Adidas (Canada) Limited (Appelante)
c.
Skoro Enterprises Limited et Raymond C.
Labarge, sous-ministre du Revenu national pour
les douanes et l'accise (Intimés)
Cour d'appel; le juge Thurlow, les juges sup
pléants Wells et Cameron—Toronto, le 20 octo-
bre 1971.
Procédure—Parties—Requête introductive d'instance
demandant un mandamus—Droit d'une personne intéressée
à être constituée partie à une procédure—Règles 5 et 1716 de
la Cour fédérale—Procédure anglaise et ontarienne
correspondante.
L'intimé, le sous-ministre du Revenu national (douanes et
accise) a obtenu de la Cour de l'Échiquier un jugement
interdisant l'importation au Canada de chaussures arborant
une certaine marque de commerce. L'intimée, Skoro, s'est
alors adressée à la Cour fédérale par voie de requête intro-
ductive d'instance, régie par la Règle 603b) de la Cour
fédérale, demandant un mandamus enjoignant au sous-
ministre du Revenu national (douanes et accise) de laisser
entrer au Canada certaines chaussures lui appartenant blo-
quées aux douanes. L'appelante a demandé à être consti-
tuée partie à la demande de mandamus. Le juge Gibson a
accordé le mandamus mais a rejeté la requête de l'appelante
visant à se faire constituer partie. Ce rejet fait l'objet de
l'appel.
Arrêt: l'appelante doit être constituée' partie intimée à la
demande de mandamus.
Aucune Règle de la Cour fédérale ne traitant de la consti
tution de parties en matière de requêtes introductives d'ins-
tance par opposition aux actions, si on tient compte de la
Règle 5, il faut suivre la procédure établie en Angleterre et
en Ontario et qui est semblable à celle que prévoient les
Règles de cette Cour pour la constitution de parties (Règle
1716). L'ordonnance de mandamus a affecté les droits que
détenait l'appelante en vertu du jugement de la Cour de
l'Échiquier au point que la justice exige qu'elle soit consti-
tuée partie à la demande de mandamus pour lui permettre
de les porter en appel.
APPEL d'un jugement du juge Gibson.
Donald F. Sim, c.r. et R. T. Hughes pour
l'appelante.
I. Goodman pour Skoro Enterprises Ltd.
Personne n'a comparu pour le sous-ministre
du Revenu national (douanes et accise).
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE THURLOW—Il est fait appel en l'es-
pèce du rejet, par le juge Gibson, de la demande
de la requérante visant à obtenir (inter alfa) une
ordonnance la constituant partie aux poursuites
intentées par l'intimée Skoro. Cette dernière
demandait à la Cour de prendre un bref de
mandamus à l'encontre de l'intimé Labarge
pour l'enjoindre à laisser entrer au Canada cer-
taines chaussures appartenant à l'intimée Skoro
et bloquées à Toronto par les préposés des
douanes canadiennes. La demande d'émission
du bref et la requête de l'appelante ont été
présentées au juge Gibson le 7 juin 1971; ce
même jour, après avoir entendu au fond l'avo-
cat de l'appelante et ceux des intimés sur la
demande d'émission du bref, le bref a été
octroyé et la requête de l'appelante rejetée. Par
le présent appel, l'appelante cherche à obtenir
une ordonnance visant (1) à infirmer le rejet de
la demande d'ordonnance qui l'aurait adjointe
comme partie à la demande du mandamus, et
(2) à proroger de trente jours le délai d'appel de
l'ordonnance accordant le mandamus.
A l'égard du (2), l'article 27(2) de la Loi sur la
Cour fédérale prévoit que l'appel devant la Cour
d'appel fédérale d'un jugement de la Division de
première instance sera interjeté dans un délai
prescrit ou dans un délai supplémentaire que la
Division de première instance pourra, soit
avant, soit après l'expiration dudit délai, fixer
ou accorder. Comme il ne semble pas y avoir
toutefois de disposition conférant à la Cour
d'appel le pouvoir d'accorder une extension du
délai d'appel, j'estime que la requête de l'appe-
lante à cette fin ne peut être accueillie. Il ne
reste donc plus qu'à étudier la question de
savoir si l'appelante aurait dû être constituée
partie à la demande d'émission du mandamus.
L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale
confère à la Division de première instance la
compétence d'entendre une telle demande et la
Règle 603 que voici en donne la procédure:
RÈGLE 603. Les procédures prévues par l'article 18 de
la Loi en vue d'obtenir l'un quelconque des redressements
qui y sont mentionnés, à l'exception d'une procédure contre
le procureur général du Canada, peuvent être engagées soit
a) sous forme d'action en vertu de la Règle 400, ou
b) par demande faite à la Cour en vertu dès Règles 319 et
suivantes.
Dans l'avis de requête qu'elle a produit et
l'affidavit qui l'accompagne, tout comme dans
son exposé des faits et du droit, l'appelante a
considéré comme une action ce que j'ai men-
tionné comme étant la demande d'émission de
mandamus, c'est pourquoi elle a fondé sa
requête sur la Règle 1716 des Règles de cette
cour ainsi que sur la doctrine traitant des règles
anglaises et canadiennes correspondantes.
Énoncé de la règle:
RÈGLE 1716. (1) La validité d'une action n'est pas
affectée à cause d'une fausse constitution de partie ou de
l'omission de mettre une partie en cause, et la Cour peut
dans toute action disposer des points ou des questions en
litige dans la mesure où ils touchent aux droits et intérêts
des personnes qui sont parties à l'action.
(2) La Cour peut, à tout stade d'une action, aux condi
tions qu'elle estime justes, et soit de sa propre initiative, soit
sur demande,
a) ordonner qu'une personne constituée partie à tort ou
sans nécessité ou qui, pour quelque raison, a cessé d'être
une partie compétente ou nécessaire, soit mise hors de
cause, ou
b) ordonner que soit constituée partie une personne qui
aurait dû être constituée partie où dont la présence devant
la Cour est nécessaire pour assurer qu'on pourra valable-
ment et complètement juger toutes les questions en litige
dans l'action et statuer sur elles;
toutefois, nul ne doit être constitué codemandeur sans son
consentement notifié par écrit ou de telle autre manière que
la Cour peut juger adéquate dans les circonstances.
(3) Lorsqu'une ordonnance est rendue en vertu de la
présente règle, la déclaration doit obligatoirement être recti-
fiée en conséquence et on doit obligatoirement y inscrire
a) une mention de l'ordonnance en vertu de laquelle la
rectification est faite, et
b) la date à laquelle la rectification est faite;
et cette rectification doit obligatoirement être faite dans le
délai que spécifie l'ordonnance ou, si aucun délai n'y est
spécifié, dans les 15 jours qui suivent la date à laquelle
l'ordonnance a été rendue.
(4) Lorsqu'une ordonnance est rendue en vertu de la
présente règle, elle doit contenir des instructions quant aux
plaidoiries ou autres procédures qui en résulteront; et toute
partie intéressée peut demander des instructions
supplémentaires.
Il faut remarquer que l'énoncé de cette Règle
diffère de celui de la règle analogue anglaise et
de celui de l'ancienne Règle 3E de la Cour de
l'Échiquier étudiée dans l'arrêt Merck & Co. c.
Sherman & Ulster [1970] R.C.É. 662. Sous sa
forme actuelle, la Règle semble s'appliquer uni-
quement aux actions et non aux autres types de
demande. En l'espèce, la demande d'émission
du mandamus a été introduite par un avis de
requête, affidavit à l'appui et constituait une
motion introductive d'instance conforme à la
Règle 603b). Il ressort de la définition du mot
«action» à la Règle 2b) qu'une telle requête
n'est pas une action au sens des Règles. Voici la
Règle 2b):
RÈGLE 2 (1) Dans les présentes Règles, à moins qu'une
acception différente ne ressorte du contexte,
b) «action» désigne une procédure devant la Division de
première instance, à l'exception d'un appel, d'une
demande ou d'une requête introductive d'instance et s'en-
tend d'une telle procédure engagée par ou contre la Cou-
ronne ou par ou contre toute personne agissant pour la
Couronne ou pour le compte de la Couronne,
Par conséquent, à mon avis, la procédure en
question n'est pas une action et la Règle 1716
ne s'applique pas.
Elle peut cependant avoir un certain effet sur
la décision à prendre dans la mesure où la Cour
peut décider que les principes qu'elle énonce en
matière de constitution de partie s'appliqueront
par analogie conformément à la Règle 5. Notons
ici que la Loi sur la Cour fédérale ne contient
pas de dispositions correspondant à celle des
dispositions des Judicature Acts de l'Ontario et
du Manitoba, respectivement mentionnées dans
les arrêts Ottawa Separate School Trustees c.
Quebec Bank (1917) 39 O.L.R. 118, et Nolan c.
Nallet & Carey Ltd. [1948] 4 D.L.R. 447.
La Règle 5 précise que:
RÈGLE 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque
se pose une question non autrement visée par une disposi
tion d'une Loi du Parlement du Canada ni par une règle ou
ordonnance générale de la Cour (hormis la présente règle),
la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant
des instructions, soit après la survenance de l'événement si
aucune requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et
la procédure à suivre pour cette question par analogie
a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des
procédures semblables devant les tribunaux de la pro
vince à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet
des procédures,
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en
l'espèce.
Pour revenir aux Règles mentionnées à la
Règle 603b), la Règle 319 parle d'«une partie
adverse» et de «toute autre partie» mais, à
l'exception de «la partie présentant une
requête», elle ne précise pas qui sont ces
parties.
La Règle 321(1) prévoit la signification des
requêtes «à toutes les autres parties» et précise
que:
RÈGLE 321. (1) Sauf dans le cas où les présentes
Règles autorisent à présenter des requêtes ex parte, les
requêtes doivent être présentées sur avis signifié à toutes
les autres parties, avis qui doit indiquer, outre l'objet de la
requête, la date, les temps et lieu de l'audition, à moins que
la Cour ne juge bon, dans l'intérêt de la justice, de dispenser
le requérant de signifier un avis à ces parties ou à l'une ou
plusieurs d'entre elles.
La Règle 322 énonce que:
RÈGLE 322. Si, lors de l'audition d'une requête, la Cour
estime qu'une personne qui n'a pas reçu un avis devrait
avoir cet avis ou l'avoir eu, la Cour pourra soit rejeter la
requête, soit ajourner son audition, afin que cet avis puisse
être donné aux conditions que la Cour, le cas échéant,
estime appropriées. Lorsque la personne à laquelle un avis
aurait autrement dû être signifié est décédée, la Cour pourra
prescrire que la signification soit faite aux exécuteurs testa-
mentaires ou aux administrateurs de sa succession.
Notons que, même si ces Règles prescrivent
la procédure à suivre en matière de requêtes,
présentées à l'occasion d'une action ou autre-
ment, elles ne précisent pas qui est obligatoire-
ment et nécessairement partie lors d'une
requête introductive d'instance; on peut seule-
ment en déduire que les personnes à qui l'avis
de requête est adressé et les personnes à qui la
Cour demande d'adresser l'avis en vertu de la
Règle 322, ont le droit d'être entendues sur la
requête et sont parties à celle-ci. Il s'agit là de
procédures sommaires généralement moins for-
melles qu'une procédure par action.
Dans la pratique anglaise, d'après l'ordon-
nance 59, c'est la Règle 7 qui précise quelles
sont les personnes pouvant s'opposer à une
requête de mandamus comme l'énonce à la
page 1732 l'Annual Practice de 1966. Voici la
Règle 7:
[TRADUCTION] 7. A l'audition de l'une quelconque de ces
requêtes ou actes introductifs d'instance précités, toute
personne qui désire attaquer cette requête ou acte introduc-
tif d'instance et que la cour ou le juge considère être la
personne à entendre sera entendue même si elle n'a pas reçu
signification de l'avis ou de l'acte introductif d'instance.
Dans les notes accompagnant la Règle 5, sur la
même page de l'Annual Practice on peut lire:
Personnes directement concernées.—En plus du tribunal
dont les procédures sont en cause, l'avis de requête ou
d'acte introductif d'instance devra aussi porter le nom, en
qualité d'intimée, de l'autre partie aux procédures engagées
devant ce tribunal, et l'affidavit de signification devra indi-
quer qu'il lui a été signifié—quand il s'agit par exemple, de
la police (R. c. Hereford JJ., L.T. Jo., 4 déc. 1943, pp.
203-4), ou dans les cas mettant en cause la Régie des loyers,
du locataire ou du propriétaire, selon le cas (R. c. St. Helens
Rent Tribunal, ex. p. Pickavance, 12 fév. 1952).
En Ontario, la procédure est sanctionnée par les
Règles 629 à 631 que voici:
[TRADUCTION] 629. Les brefs de mandamus, de prohibi
tion et de certiorari peuvent être accordés sur demande
sommaire par avis introductif d'instance.
630. Aucun bref de mandamus, de prohibition ou de
certiorari ne sera émis mais le jugement ou l'ordonnance
prévoiront toutes les dispositions nécessaires (Formules 88
et 89).
631. La cour peut exiger qu'un avis soit adressé à toute
personne prétendant avoir un droit ou un intérêt dans l'objet
de la demande.
Dans l'arrêt R. c. York Township ex parte 125
Varsity Road Ltd. [1960] O.R. 238, qui portait
sur le refus, par une autorité municipale, de
donner un permis de construction sur certains
terrains, la Cour a accordé une ordonnance
adjoignant, à titre d'intimés à la requête, les
propriétaires de terrains adjacents qui s'oppo-
saient à l'utilisation proposée des terrains en
question.
Le fond de ces dispositions anglaises et onta-
riennes ne me semble pas être très différent de
celui des Règles de cette Cour et je ne vois pas
pourquoi il faudrait abandonner la procédure
établie en vertu de ces règles.
En l'espèce, l'avis de requête n'a pas été
adressé à l'appelante et la Cour n'a pas exigé
qu'il le lui soit adressé; il est cependant admis
que l'appelante, représentée à l'audition, a été
entendue au fond sur la demande. Comme la
demande elle-même visait l'effet d'une interdic
tion d'importation de chaussures portant une
marque de commerce faite de trois bandes
parallèles qui avait fait l'objet d'un jugement de
la Cour de l'Échiquier dans une action à
laquelle l'appelante était l'une des deux deman-
deresses, j'aurais pensé que l'appelante était
une personne à qui l'avis aurait dû être adressé
et, s'il ne l'avait pas été, une personne à qui la
Cour aurait dû exiger que l'avis soit adressé en
vertu de la Règle 322, si elle ne s'était pas
présentée à l'audience et n'avait pas été enten-
due. Je pense également que si l'appelante a pu
se faire entendre par l'intermédiaire de son pro-
cureur à l'audition de la requête, sans objection
apparente de la requérante, cela indique que la
requérante a reconnu l'intérêt de l'appelante
dans la demande et son droit à être entendue.
Cependant l'ordonnance accordée par le juge
Gibson ne cite pas l'appelante comme partie et
ne mentionne pas qu'elle s'est présentée ou
qu'elle ait été entendue à l'audition; de plus,
comme l'appelante a été déboutée lorsqu'elle a
demandé à être officiellement constituée partie,
le dossier à l'heure actuelle ne nous dit pas si
elle est ou si elle a toujours été qualifiée pour
interjeter appel de l'ordonnance ou pour pour-
suivre. En outre, l'intimée Skoro a déclaré en
plaidant en appel que l'appelante n'était pas
partie à la demande de mandamus même si elle
avait été entendue sur cette question. Le procu-
reur de Skoro nous a déclaré qu'il ne s'était pas
opposé à l'adjonction de l'appelante devant le
juge Gibson mais qu'il cherchait néanmoins à
maintenir le rejet de la demande de l'appelante.
A mon avis, pour trancher le problème qui
nous est posé il n'est pas nécessaire de décider
si l'appelante est déjà partie au sens des Règles
du fait qu'elle s'est présentée et qu'elle a été
entendue, ou si elle est liée par l'ordonnance
rendue par la Cour sur la demande ou encore si
elle peut en appeler. En effet, si la réponse à
l'une quelconque de ces questions est positive,
aucun tort ou préjudice ne peut résulter pour
aucune autre des parties du fait qu'elle soit
officiellement constituée partie à l'instance et
on ne peut alors mettre en doute son droit
d'interjeter appel ou d'utiliser tout autre recours
dont elle pourrait disposer. D'autre part, si l'ap-
pelante n'est pas partie, n'est pas officiellement
liée par l'ordonnance et ne peut, par consé-
quent, à cet égard invoquer un droit d'appel de
celle-ci, j'estime que le fait, que l'ordonnance
de mandamus vienne affecter les droits dont
elle est censée disposer en vertu du jugement de
la Cour de l'Échiquier, lui donne dans cette
demande de mandamus un intérêt tel que la
justice exige qu'elle soit officiellement consti-
tuée partie à cette procédure de manière à lui
permettre d'obtenir toute réparation pouvant
s'offrir à elle par voie d'appel de cette
ordonnance.
J'accueille partiellement l'appel et ordonne
que l'appelante soit officiellement constituée
partie intimée à la demande de mandamus. Sur
toutes les autres questions, je rejette l'appel.
J'ordonne, pour fixer les coûts de cet appel,
d'attendre le résultat de tout appel que l'appe-
lante pourrait interjeter de l'ordonnance de
mandamus et si aucun appel n'est interjeté dans
un délai de soixante jours, de faire payer à
l'appelante les dépens du présent appel.
Puisque mes conclusions portent sur le point
précis dont il est fait appel en l'espèce, j'estime
devoir ajouter qu'à mon avis la question de
fond soulevée dans l'appel proposé par l'appe-
lante ne se rapproche pas du problème posé
dans le présent appel, je n'ai donc pas formulé
de conclusion ni tenu compte des impressions
que je pouvais avoir à son sujet.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.