National Indian Brotherhood, Indian-Eskimo
Association, Union of Ontario Indians et
Canadian-Indian Centre of Toronto (Requérants)
c.
Pierre Juneau, H. J. Boyle, Dame P. Pearce, Hal
Dornan, R. Therrien et le conseil de la Radio-
télévision canadienne (Intimés)
N° 1
Division de première instance, le juge Walsh—
Toronto, les 14 et 18 juin 1971.
Compétence — Mandamus — Certiorari — Décision du
CRTC refusant l'audition publique d'une plainte contre une
télédiffusion—Requêtes simultanées adressées à la Division
de première instance et à la Cour d'appel—Compétence—
Qualité des requérants—Les organismes sont-ils fondés à
obtenir un mandamus?—Loi sur la Cour fédérale, art. 18 et
28—Loi sur la radiodiffusion, 1967-68 (Can.), c. 25, art.
19(2)c).
Le 28 mai 1971, le comité de direction du CRTC, n'étant
pas convaincu qu'il serait dans l'intérêt public de ce faire,
décidait de ne pas tenir d'audition publique sur une plainte
portée par quatre organismes contre la télédiffusion d'un
film que l'on prétend être diffamatoire à l'égard des Indiens.
Le 7 juin, les quatre organismes demandaient à la Division
de première instance, en vertu de l'art. 18 de la Loi sur la
Cour fédérale, l'émission de brefs de mandamus et de
certiorari imposant la tenue d'une audition publique sur leur
plainte en vertu de l'art. 19(2)c) de la Loi sur la radiodiffu-
sion, 1967-68, c. 25. Le même jour, les requérants s'adres-
saient également à la Cour d'appel en vertu de l'art. 28 de la
Loi sur la Cour fédérale pour faire annuler l'ordonnance
rendue le 28 mai par le CRTC aux motifs qu'elle n'observait
pas les principes de la justice naturelle, etc.
Arrêt: On ne doit pas rendre de décision sur la requête
présentée à la Division de première instance tant que la
Cour d'appel est saisie de la question de savoir si l'affaire
relève de sa compétence en vertu de l'art. 28 de la Loi sur
la Cour fédérale.
Autre arrêt: Les requérants, bien qu'ils ne soient pas des
individus personnellement touchés par l'ordonnance du
CRTC, sont des «personnes» au sens de l'art. 19(2) de la
Loi sur la radiodiffusion et sont fondés à présenter cette
requête.
REQUÊTE en émission de mandamus et de
certiorari.
J. D. Karswick, pour les requérants.
Claude Thomson et J. D. Hylton, pour les
opposants.
LE JUGE WALSH—La présente affaire a été
instruite à Toronto le 14 juin 1971 devant la
Division de première instance de cette Cour en
vertu des dispositions de l'art. 18 de la Loi sur
la Cour fédérale, par voie de requête demandant
[TRADUCTION] a) Une ordonnance par voie de manda-
mus adressée à Pierre Juneau, H. J. Boyle, Dame P. Pearce,
Hal Dornan, R. Therrien, membres du comité de direction
du Conseil de la Radio-Télévision canadienne, leur enjoi-
gnant de décider, exposer ou déclarer qu'ils sont convaincus
qu'il serait dans l'intérêt public de tenir une audition publi-
que relative à la plainte portée par les requérants au sujet du
film intitulé «The Taming of the Canadian West»,
Et en outre, de décider, exposer ou déclarer le fondement
de cet exposé ou de cette déclaration,
b) Subsidiairement, une ordonnance autorisant l'émission
d'un bref de certiorari enjoignant au secrétaire du Conseil
de la Radio-Télévision canadienne, à ses membres, diri-
geants et administrateurs de remettre immédiatement au
bureau du protonotaire de la Cour fédérale du Canada
toutes lettres, notes, documents, certificats, dossiers et
toutes procédures qu'ils ont ou détiennent relativement à la
plainte portée au sujet du film intitulé «The Taming of the
Canadian West",
Et en outre, une ordonnance par voie de mandamus enjoi-
gnant au Conseil de la Radio-Télévision canadienne de
mener une enquête publique relativement à la plainte portée
par les requérants au sujet du film intitulé «The Taming of
the Canadian West».
c) Toute autre ordonnance jugée opportune.
A l'appui de la requête, on a versé au dossier
l'affidavit de Fred Plain et les pièces y mention-
nées, de même que les affidavits de John Wil-
liam Peace et R. Alfred Best et les pièces y
annexées; l'affaire a été discutée en détail, tant
les questions de procédure que le fond, sous
réserve des objections de procédure soulevées
par Me James D. Karswick, procureur des
requérants, et W Claude Thomson, c.r., procu-
reur des intimés.
Deux des requérants sont des organismes
composés respectivement d'Indiens du Canada
et de l'Ontario représentant leurs congénères et
les deux autres sont des organismes s'occupant
du développement social, culturel et économi-
que des Indiens et autres groupes ethniques
indigènes du Canada. Le procureur des intimés
a soulevé une objection préliminaire selon
laquelle les requérants, étant des organismes
corporatifs et non des individus directement
affectés, n'ont pas qualité pour demander à la
Cour l'émission d'un mandamus ou d'un certio-
rari. A l'appui de sa prétention, il a invoqué
l'arrêt Watson c. Cobourg (1923-24) 55 O.L.R.
531, où il est déclaré à la page 533:
[TRADUCTION]... avant d'obtenir un mandamus, le requé-
rant doit démontrer que la loi lui donne un droit précis à
faire respecter le devoir dont il veut obtenir l'exécution
forcée par son recours au tribunal. Il ne suffit pas de
démontrer que la municipalité a un devoir—ce doit être un
devoir qui lui incombe par opposition au public en général.
Le requérant n'a pas de droit plus étendu qu'un membre
quelconque du public.
Il a aussi invoqué l'arrêt La Reine c. Guardians
of Lewisham Union [1897] 1 Q.B. 498, où le
juge Wright déclarait à la page 500:
[TRADUCTION] Cette Cour outrepasserait ses pouvoirs si
elle devait s'attribuer compétence pour forcer les corps
publics à accomplir tous les devoirs qui leur sont dictés par
la loi sans exiger la preuve évidente que la personne sollici-
tant son intervention a juridiquement le droit d'en exiger
l'accomplissement.
Le juge Bruce ajoutait à la page 501:
[TRADUCTION] Cette Cour n'a jamais exercé le pouvoir
général de forcer les corps publics à accomplir les devoirs
qui leur sont dictés par la loi sur requête de quiconque
décide de demander un mandamus. Elle a toujours exigé
que ce requérant ait juridiquement un droit précis à en
obtenir l'exécution forcée.
Un examen rigoureux des faits de ces arrêts,
rapproché des termes de la loi en l'espèce,
indique cependant qu'ils ne pourraient s'appli-
quer de façon à empêcher audition de la pré-
sente requête. Voici un extrait de l'article 19 de
la Loi sur la radiodiffusion 1967-68, (Can.),
c.25, sur lequel est basée la requête:
19. (2) Le Conseil doit tenir une audition publique si le
comité de direction est convaincu qu'il serait dans l'intérêt
public de tenir une telle audition, au sujet
* * *
c) de la plainte d'une personne relativement à toute ques
tion relevant des pouvoirs du Conseil.
Cet article a trait à la plainte «d'une personne»,
ce qui est certainement un terme très large et
doit comprendre les entités corporatives (voir
l'art. 28(27) de la Loi d'interprétation 1967-68,
(Can.),c.7, qui indique: «Dans chaque texte
législatif, «personne» ou tout mot ou expression
ayant le sens du mot «personne» désigne égale-
ment une corporation;»). Il est fort possible que
la «personne» qui présente la plainte doive être
quelqu'un ayant un intérêt précis à le faire mais
on peut difficilement imaginer une «personne»
ayant un plus grand intérêt à agir de la sorte que
les requérants qui se plaignent d'avoir été offen-
sés par le film à l'affiche du réseau C.T.V.
intitulé «The Taming of the Canadian West»
qui, selon eux, est «vulgairement raciste, histo-
riquement inexact et diffamatoire envers la race
et la culture indiennes», comme l'a déclaré M.
Plain dans son affidavit. Je rejette donc cette
objection.
Il semble cependant y avoir une objection
plus sérieuse contre le fait de traiter de cette
affaire en ce moment devant la Division de
première instance même s'il s'agit d'une objec
tion soulevée par la Cour de sa propre initiative
et non par le procureur des intimés. L'article 18
de la Loi sur la Cour fédérale 1970 (Can.), c. 1,
qui confère à la Division de première instance
compétence exclusive en première instance à
l'égard des procédures en l'espèce, doit néan-
moins se lire en le rapprochant de l'art. 28 de la
Loi qui confère à la Cour d'appel fédérale com-
pétence à l'égard d'une demande d'examen et
d'annulation d'une décision ou ordonnance
rendue par un office, commission ou autre tri
bunal fédéral, comme le Conseil de la Radio-
Télévision canadienne, «autre qu'une décision
ou ordonnance de nature administrative qui
n'est pas légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire», laquelle compé-
tence d'examen existe «nonobstant l'art. 18 ou
les dispositions de toute autre loi». En outre, les
pouvoirs conférés à la Cour d'appel par l'art. 28
sont très larges et vont au-delà de ce que peut
faire la Division de première instance en appli-
quant la common law et la jurisprudence relati
ves aux brefs privilégiés comme le mandamus
et le certiorari. La décision ou ordonnance
rendue par un office, commission ou autre tri
bunal peut être examinée et annulée par la Cour
d'appel au motif qu'il
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée
d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la
lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu
sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire
ou sans tenir compte des éléments portés à sa
connaissance.
L'article 28(3) énonce de façon catégorique:
28. (3) Lorsque, en vertu du présent article, la Cour
d'appel a compétence pour entendre et juger une demande
d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, la
Division de première instance est sans compétence pour
connaître de toute procédure relative à cette décision ou
ordonnance.
La question de l'effet de l'art. 28(3) sur des
requêtes portées devant la Division de première
instance en vertu de l'art. 18 n'a encore jamais
été présentée à la Cour et je n'irai pas jusqu'à
dire qu'avant d'entendre une requête présentée
en vertu de l'art. 18, la Division de première
instance doit toujours se demander, que cette
question ait été soulevée ou non, si la Cour
d'appel a compétence en vertu de l'art. 28(1).
Cependant, tel n'est pas le cas en l'espèce. Les
requérants se sont aussi prévalus des disposi
tions de l'art. 28 devant la Cour d'appel en
demandant l'émission d'une ordonnance pour
annuler la décision du comité de direction du
Conseil de la Radio-Télévision canadienne,
intimé, rendue le 26 mai 1971, selon laquelle il
ne serait pas dans l'intérêt public de tenir une
audition publique sur les plaintes portées
comme l'énonce l'art. 19(2)c) de la Loi sur la
radiodiffusion, et l'audition d'une demande de
directives, présentée en vertu de la Règle 1403,
relative à cette requête a été fixée au 21 juin
1971 à Toronto. [Le jugement du juge en chef
Jackett, sur la demande d'instructions à la Cour
d'appel est cité immédiatement après la décision
rapportée—note de l'éditeur.]
Il y a donc actuellement, relativement au pré-
sent litige, deux procédures différentes et dis-
tinctes devant la Cour, savoir celle qui a été
portée devant la Division de première instance
présentée en vertu de l'art. 18 que j'ai entendue
et dont je suis saisi, et celle qui a été portée
devant la Cour d'appel qui est aussi une procé-
dure devant être entendue et jugée «sans délai
et d'une manière sommaire» comme l'exige
l'art. 28(5) de la Loi. Par conséquent, la Cour
d'appel décidera elle-même si elle a compétence
pour entendre et juger une requête en examen
et annulation de la décision ou ordonnance en
cause, et dans l'affirmative elle s'occupera de
l'affaire. Si elle déclarait avoir compétence, la
Division de première instance, comme consé-
quence de l'art. 28(3), n'aurait aucune compé-
tence en vertu de l'art. 18.
Dans ces conditions et en raison de cette
autre procédure pendante, il ne semble pas sou-
haitable qu'un juge de la Division de première
instance se prononce sur la question de savoir si
la Cour d'appel a compétence pour entendre et
juger la requête en examen et annulation de la
décision ou ordonnance du comité de direction
de l'intimé, le Conseil de la Radio-Télévision
canadienne, pendante devant cette même Cour.
C'est une décision qu'elle rendra elle-même
ultérieurement.
Si la Cour d'appel devait déclarer par juge-
ment définitif ne pas avoir compétence, la Divi
sion de première instance pourrait alors avoir
compétence en vertu de l'art. 18, et puisque
l'affaire a été discutée en détail devant moi et
que j'en suis saisi, je pourrais examiner la
requête sur le fond.
Une autre question de procédure m'a été pré-
sentée; elle provient du fait que la décision du
comité de direction de l'intimé, le Conseil de la
Radio-Télévision canadienne, refusant une audi
tion publique de la plainte, a été rendue le 28
mai 1971, avant l'entrée en vigueur de la Loi
sur la Cour fédérale le l er juin 1971. On a
soulevé la question de savoir si le par. (2) de
l'art. 61 de la Loi, que voici:
61. (2) Sous réserve du paragraphe (1), toute compétence
conférée par la présente loi doit être exercée relativement
aux questions soulevées soit avant soit après l'entrée en
vigueur de la présente loi,
a pour effet d'attribuer à la Cour d'appel com-
pétence, pour examiner cette décision en vertu
de l'art. 28, en dépit du fait que la décision a été
rendue avant le ler juin, ou si les requérants
doivent s'en tenir aux procédures prévues à
l'ancienne Loi; on s'est référé aux jugements
rendus récemment par la Cour suprême dans les
affaires Kootenay & Elk Rly Co. c. C.P.R.
(C.T.C.); Margianis c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration (Commission d'ap-
pel de l'immigration), déclarant que puisque la
décision faisant l'objet de la demande d'autori-
sation présentée dans chaque cas avait été
rendue antérieurement à l'entrée en vigueur de
la Loi sur la Cour fédérale, seule la Cour
suprême avait compétence pour connaître de la
demande. C'est un autre argument qui sera pro-
bablement soulevé devant la Cour d'appel lors
de l'audition de la requête, et il est préférable
qu'elle l'examine elle-même.
Jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue par
la Cour d'appel sur la question de savoir si elle
a compétence en vertu de l'art. 28, je ne puis
donc, en vertu de l'art. 18, émettre d'ordon-
nance en l'espèce car il y a doute quant à la
compétence de la Division de première
instance.
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