National Indian Brotherhood, Indian-Eskimo
Association, Union of Ontario Indians, et
Canadian-Indian Centre of Toronto(Requérants)
c.
CTV Television Network Ltd. (Opposante)
Division de première instance, le juge Kerr—
Toronto, le 16 juillet 1971.
Radio et télévision—Injonction interlocutoire—Demande
dans le but d'interdire la présentation d'un film jusqu'à ce
qu'on ait disposé d'une requête demandant, par voie de
mandamus, de forcer le CRTC à tenir une enquête—Rejet—
Compétence de la Cour—Loi sur la radiodiffusion, S.R.C.
1970, c. B-11, art. 3, 15, 16.
Arrêt: rejet d'une demande visant à obtenir une injonction
interlocutoire interdisant au réseau CTV de diffuser un film
jusqu'à ce que cette Cour se soit prononcée sur une requête
demandant, par voie de mandamus, d'ordonner au CRTC de
tenir une enquête publique sur une plainte portant que ce
film serait diffamatoire à l'endroit des Indiens —
(1) Tenant compte de la politique de radiodiffusion cana-
dienne énoncée dans la Loi sur la radiodiffusion et des
pouvoirs de réglementation et de surveillance accordés au
CRTC, il est douteux que cette Cour ait compétence pour
interdire au réseau CTV de diffuser un film sauf, peut-être,
s'il est sujet à des poursuites judiciaires parce qu'il est
diffamatoire.
(2) De plus, la demande doit être rejetée parce qu'il n'y a
pas de commencement de preuve indiquant que la diffusion
du film portera atteinte à un droit légal ou qu'il constitue
une diffamation à l'endroit d'une personne vivante.
Arrêt mentionné: National Indian Brotherhood c.
Juneau [N° 1], précité, p. 66.
DEMANDE d'injonction interlocutoire.
R. A. Best, c.r., pour les requérants.
J. E. Eberle, c.r., et H. H. Soloway, c.r., pour
l'opposante.
LE JUGE KERR—Il s'agit d'une demande
visant à obtenir une injonction interlocutoire
interdisant à l'opposante, CTV Television Net
work Limited, de diffuser le film intitulé «The
Taming of the Canadian West» jusqu'à ce que
la décision de la Cour fédérale du Canada,
Division de première instance, ait été rendue
sur une autre requête, encore pendante, deman-
dant par voie de mandamus d'ordonner au Con-
seil de la Radio-Télévision canadienne (CRTC]
de tenir une enquête publique sur une plainte
portée par les mêmes requérants au sujet de ce
film. Cette requête a été entendue par l'honora-
ble juge Walsh, qui a différé son jugement.
[National Indian Brotherhood v. Juneau [N° 1],
précité p. 66—Éd.]
L'affidavit d'Andrew Richard, qu'ont produit
les requérants, déclare que de nombreux orga-
nismes représentant les Indiens du Canada, et
notamment les requérants, s'inquiètent des ine-
xactitudes du scénario du film qui, à leur avis,
était raciste, historiquement inexact et diffama-
toire envers la race et la culture indiennes, et
qu'ils ont demandé au CRTC de tenir une
enquête publique sur la question de savoir si le
film était effectivement raciste, historiquement
inexact et diffamatoire envers la race et la cul
ture indiennes mais que le Conseil a refusé de
tenir une telle enquête.
CTV projette de diffuser ce film sur son
réseau dimanche prochain. Il est établi que le
film a été diffusé une première fois le 21 mars
1970.
Les requérants déclarent que les Indiens du
Canada subiront un préjudice si le film est
diffusé sur le réseau CTV et que la requête
opposant les requérants au CRTC, pendante
devant cette Cour, deviendra purement acadé-
mique, sinon vaine, si le réseau CTV le diffuse
avant que la Cour ne se soit prononcée sur cette
autre requête.
Les affidavits versés au dossier donnent des
renseignements sur le film et les démarches
faites par les requérants, CTV et le CRTC pour
examiner les plaintes reçues au sujet du film.
CTV s'est référé à la politique de la radiodif-
fusion pour le Canada, énoncée dans la Loi sur
la radiodiffusion S.R.C. 1970, c. B-11, et
déclare que, si la diffusion du film était inter-
dite, on porterait une atteinte grave au droit de
libre expression qui incombe au réseau CTV et
qui constitue une tradition bien établie dans la
radiodiffusion canadienne.
L'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion
énonce la politique de la radiodiffusion pour le
Canada; en voici un extrait:
3. Il est, par les présentes, déclaré
c) que toutes les personnes autorisées à faire exploiter
des entreprises de radiodiffusion sont responsables des
émissions qu'elles diffusent, mais que le droit à la liberté
d'expression et le droit des personnes de capter les émis-
sions, sous la seule réserve des lois et règlements généra-
lement applicables, est incontesté;
et que la meilleure façon d'atteindre les objectifs de la
politique de la radiodiffusion pour le Canada énoncée au
présent article consiste à confier la réglementation et la
surveillance du système de la radiodiffusion canadienne à
un seul organisme public autonome.
C'est en vertu de cet article que l'on a créé le
CRTC. Ses objets sont énumérés à l'art. 15 de
la Loi sur la radiodiffusion que voici:
15. Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur la radio
et des instructions à l'intention du Conseil émises, à l'occa-
sion, par le gouverneur en conseil sous l'autorité de la
présente loi, le Conseil doit réglementer et surveiller tous
les aspects du système de la radiodiffusion canadienne en
vue de mettre en oeuvre la politique de radiodiffusion énon-
cée dans l'article 3 de la présente loi.
L'article 16 de la loi donne au Conseil le
pouvoir d'établir des règlements concernant
notamment les normes des émissions.
En vertu de l'art. 19, le Conseil peut tenir une
audition publique au sujet
c) de la plainte d'une personne relativement à toute ques
tion relevant des pouvoirs du Conseil.
Tenant compte de la politique de radiodiffu-
sion canadienne énoncée dans la Loi sur la
radiodiffusion et des dispositions prévoyant la
réglementation et la surveillance du système de
la radiodiffusion canadienne par le CRTC, je
doute que le Parlement ait voulu donner ou ait
donné à la Cour fédérale du Canada, Division
de première instance, compétence pour inter-
dire au réseau CTV de diffuser une émission
déterminée ou le film présentement en cause. Si
des parties qui ont des objections à formuler
contre une émission télévisée détenaient un
droit à faire examiner par cette Cour une
demande visant à interdire la diffusion de l'é-
mission, à l'exception peut-être d'une émission
sujette à des poursuites judiciaires parce qu'elle
est diffamatoire, calomnieuse ou autre, il me
semble que cela fournirait à ces parties des
moyens de frustrer et de retarder la radiodiffu-
sion canadienne, de s'immiscer dans celle-ci et
que cette Cour exercerait en conséquence des
fonctions de réglementation et de surveillance
du système de la radiodiffusion canadienne que
le Parlement a cru bon de confier au CRTC.
Mais même si cette Cour avait compétence
pour entendre la présente demande, je ne suis
pas disposé à accorder une injonction empê-
chant CTV de diffuser le film parce que
(1) le film a déjà été diffusé dès le 21 mars
1970,
(2) après avoir examiné les plaintes, le CRTC
n'a pas signalé qu'il s'agissait d'un film qui ne
devait pas être diffusé,
(3) comme l'énonce l'article 3c) de la Loi sur
la radiodiffusion, CTV est responsable des
émissions qu'il diffuse et les personnes auto-
risées à exploiter des entreprises de radiodif-
fusion ont droit à la liberté d'expression, sous
réserve des lois et règlements généralement
applicables,
(4) il s'agit d'un film historique ayant trait à
une époque depuis longtemps révolue, ne se
rattachant donc pas à l'actualité, et enfin,
(5) il n'y a pas, à mon avis, de commence
ment de preuve indiquant que si le film est
diffusé cela créera une infraction ou une
injustice qui doivent être empêchées au
moyen d'une injonction, ni que le film consti-
tue effectivement une calomnie ou une diffa-
mation à l'endroit d'une personne vivante.
La demande d'injonction est donc rejetée
avec dépens.
Étant donné ma décision de refuser l'injonc-
tion pour les motifs ci-dessus mentionnés, il ne
me sera pas nécessaire d'examiner les objec
tions préliminaires, soulevées par le procureur
de l'intimé, selon lesquelles les requérants ne
sont pas des individus ni des entités corporati-
ves et n'ont donc pas qualité pour présenter la
demande, et selon lesquelles la demande est
nulle puisqu'elle ne se rattache à aucune action
principale déjà engagée.
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