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[2016] 1 R.C.F. 575

2015 CF 892

IMM-3700-13

Y.Z. et l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeurs)

IMM-5940-14

G.S. et C.S. (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Y.Z. c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Boswell—Toronto, 24 et 25 février; Ottawa, 23 juillet 2015.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Pays d’origine désignés — Contrôles judiciaires contestant la constitutionnalité de l’art. 110(2)d.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) et le mécanisme de sélection des pays d'origine désignés (POD) — Les demandeurs, des demandeurs d’asile provenant de POD, ont allégué que le fait de refuser aux demandeurs d’asile provenant de pays d’origine désignés le droit d’interjeter appel à la Section d’appel des réfugiés (la SAR) viole les art. 7 et 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés — La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande des demandeurs — Les demandeurs ont contesté la constitutionnalité du régime relatif aux POD en interjetant appel devant la SAR — La SAR a décidé qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité des dispositions de l’art. 110(2) de la LIPR — Il s’agissait de savoir si l’art. 110(2)d.1) de la Loi viole les art. 15(1) et 7 de la Charte et, dans un tel cas, si l’art. 110(2)d.1) est justifié par l’art. premier de la Charte — L’art. 110(2)d.1) viole l’art. 15(1) de la Charte — La différence de traitement que prévoit l’art. 110(2)d.1) constitue une distinction fondée sur l’origine nationale du demandeur d’asile — Cette distinction accorde un avantage procédural aux demandeurs d’asile provenant d’autres pays que les POD — L’insertion de l’art. 110(2)d.1) a privé les demandeurs d’asile en provenance de POD d’une égalité réelle avec les demandeurs ne provenant pas de POD — Il n’était pas nécessaire d’aborder la question de savoir si l’art. 110(2)d.1) violait l’art. 7 de la Charte puisque les arguments des demandeurs se rapportaient principalement au mécanisme de sélection prévu à l’art. 109.1 — L’art. premier de la Charte s’appliquait, car le refus d’accorder aux demandeurs d’asile provenant d’un POD le droit d’interjeter appel devant la SAR est « prescrit par une règle de droit » — Il y avait présence d’un objectif urgent et réel en procédant aux réformes en matière d’immigration et de protection des réfugiés — Cependant, l’art. 110(2)d.1) ne constituait pas une atteinte minimale — Le fait de nier tout droit d’appel à la SAR à certains demandeurs et non à d’autres n’était pas justifié — Il n’était pas nécessaire que le législateur établisse une distinction entre les demandeurs provenant de POD et ceux issus d’autres pays pour les empêcher d’interjeter appel devant la SAR, étant donné que l’objectif déclaré de décourager les demandes abusives ou infondées pouvait être atteint par l’effet conjugué des art. 107.1 et 107(2) et des art. 110(2)b) et 110(2)c) — Refuser un droit d’appel à tous les demandeurs d’asile provenant des POD n’est pas une mesure proportionnelle aux fins visées par le gouvernement; il s’agit d’une inégalité qui est disproportionnée et qui a une portée trop large et qui ne peut être sauvegardée par l’art. premier — L’art. 110(2)d.1) a été déclaré incompatible avec l’art. 15 de la Charte et donc inopérant — Les décisions rendues par la SAR ont été annulées — Des questions ont été certifiées — Demandes accueillies en partie.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Les demandeurs ont contesté la constitutionnalité de l’art. 110(2)d.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) et le mécanisme de sélection des pays d’origine désignés (POD) — Les demandeurs ont allégué que le fait de refuser aux demandeurs d’asile provenant de POD le droit d’interjeter appel à la Section d’appel des réfugiés (la SAR) viole l’art. 15(1) de la Charte — Les demandeurs ont soutenu que l’art. 15(1) devrait être interprété de manière à donner effet aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne; l’art. 110(2)d.1) crée une distinction fondée sur l’origine nationale, créant un désavantage — Il s’agissait de savoir si l’art. 110(2)d.1) viole l’art. 15(1) — Le critère de l’arrêt Withler c. Canada (Procureur général) est satisfait et l’art. 110(2)d.1) viole l’art. 15(1) — La différence de traitement que prévoit l’art. 110(2)d.1) de la Loi constitue une distinction fondée sur l’origine nationale du demandeur d’asile — Cette distinction est établie indépendamment des caractéristiques personnelles du demandeur d’asile ou de la question de savoir si ce pays est effectivement sûr pour lui — Les demandeurs d’asile n’ont aucun contrôle sur le moment où le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration défendeur pourrait cesser d’établir des distinctions — L’art. 110(2)d.1) crée deux catégories de demandeurs d’asile en fonction de leur origine nationale — La distinction qui crée l’avantage procédural accordé aux demandeurs d’asile provenant d’autres pays que les POD et le désavantage subi par les demandeurs d’asile provenant de POD est discriminatoire — Elle contribue à marginaliser les demandeurs d’asile provenant de POD, en plus de leur causer un préjudice — L’insertion de l’art. 110(2)d.1) a privé les demandeurs d’asile en provenance de POD d’une égalité réelle avec les demandeurs ne provenant pas de POD.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limitative — Les demandeurs ont contesté la constitutionnalité de l’art. 110(2)d.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) et le mécanisme de sélection des pays d’origine désignés (POD) — Les demandeurs ont allégué que le fait de refuser aux demandeurs d’asile provenant de POD le droit d’interjeter appel à la Section d’appel des réfugiés (la SAR) viole les art. 7 et 15(1) de la Charte et que ces violations ne sont pas justifiées par l’art. premier de la Charte — L’art. 110(2)d.1) de la Loi viole l’art. 15(1) — Le critère visant à déterminer si le refus d’accorder aux demandeurs d’asile provenant d’un POD le droit d’interjeter appel à la SAR constitue une limite raisonnable a été énoncé dans l’arrêt La Reine c. Oakes — L’art. premier de la Charte s’appliquait, car le refus prévu à l’art. 110(2)d.1) de la Loi d’accorder aux demandeurs d’asile provenant d’un POD le droit d’interjeter appel devant la SAR est « prescrit par une règle de droit » — Il y avait présence d’un objectif urgent et réel en procédant aux réformes en matière d’immigration et de protection des réfugiés — Cependant, l’art. 110(2)d.1) ne constituait pas une atteinte minimale — Le fait de nier tout droit d’appel à la SAR à certains demandeurs et non à d’autres n’était pas justifié — Les défendeurs n’ont pas démontré que l’empêchement absolu d’interjeter appel devant la SAR qui frappe l’ensemble des demandeurs d’asile provenant des POD constituait le moyen le moins radical d’atteindre ses objectifs — L’objectif déclaré de décourager les demandes abusives ou infondées pouvait être atteint par l’effet conjugué des art. 107.1 et 107(2) et des art. 110(2)b) et 110(2)c) — Le fait de refuser un droit d’appel devant la SAR constitue une atteinte sérieuse au droit à l’égalité — Le risque de refoulement attribuable à l’absence du droit d’interjeter appel devant la SAR n’est pas entièrement atténué par les autres recours dont disposent les demandeurs provenant de POD — Refuser un droit d’appel à tous les demandeurs d’asile provenant des POD n’est pas une mesure proportionnelle aux objectifs visés par le gouvernement — Il s’agit d’une inégalité qui est disproportionnée et qui a une portée trop large et qui ne peut être sauvegardée par l’art. premier.

Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire contestant la constitutionnalité de l’alinéa 110(2)d.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) et le mécanisme de sélection des pays d’origine désignés (POD). Les demandeurs, des demandeurs d’asile provenant de POD, ont allégué que le fait de refuser aux demandeurs d’asile provenant de pays d’origine désignés le droit d’interjeter appel à la Section d’appel des réfugiés (SAR) viole l’article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande des demandeurs au motif qu’ils disposaient d’une protection suffisante dans leur pays. Les demandeurs ont tenté de contester la constitutionnalité du régime relatif aux POD en interjetant appel devant la SAR. La SAR a décidé qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité des dispositions du paragraphe 110(2) de la Loi et que la seule question qu’elle pouvait trancher était celle de savoir si les conditions énumérées à ce paragraphe étaient effectivement remplies. Les demandeurs ont soutenu, entre autres, que le paragraphe 15(1) de la Charte devrait être interprété de manière à donner effet aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne; que l’alinéa 110(2)d.1) de la Loi crée une distinction fondée sur un motif de discrimination analogue, soit l’origine nationale, et un désavantage en perpétuant un préjugé ou un stéréotype; que l’article 7 s’applique parce que l’affaiblissement des garanties substantielles et procédurales dans le cas des demandeurs d’asile provenant de POD augmente leur risque d’être refoulés; et que l’article premier de la Charte ne saurait justifier les violations de la Charte étant donné que la procédure de révision de la désignation des pays désignés n’est pas « prescrite par une règle de droit ».

Il s’agissait de savoir principalement si l’alinéa 110(2)d.1) de la Loi viole le paragraphe 15(1) et l’article 7 de la Charte, et, dans un tel cas, si l’alinéa 110(2)d.1) est justifié par l’article premier de la Charte.

Jugement : la demande doit être accueillie en partie.

L’alinéa 110(2)d.1) de la Loi viole le paragraphe 15(1) de la Charte. Le critère permettant de savoir s’il y a violation du paragraphe 15(1) de la Charte a été énoncé dans l’arrêt Withler c. Canada (Procureur général), dans lequel la Cour suprême a affirmé que l’analyse de l’égalité réelle pour l’application du paragraphe 15(1) comporte deux étapes : celle de savoir si la Loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue et si la distinction crée un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes. La différence de traitement que prévoit l’alinéa 110(2)d.1) de la Loi constituait de toute évidence une distinction fondée sur l’origine nationale du demandeur d’asile. La raison pour laquelle un demandeur d’asile provenant d’un POD est traité différemment tient au pays dont il provient. Cette distinction est établie indépendamment des caractéristiques personnelles du demandeur d’asile ou de la question de savoir si ce pays est effectivement sûr pour lui. De plus, le fait qu’un pays puisse en théorie être retiré de la liste des pays désignés à l’avenir ne change rien à l’origine nationale du demandeur d’asile. Cela veut simplement dire que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration défendeur pourrait cesser d’établir des distinctions en fonction de l’origine nationale des demandeurs d’asile à l’avenir et que ces derniers n’ont aucun contrôle sur le moment où cette décision pourrait être prise. Le premier volet du critère de l’arrêt Withler était satisfait par les dispositions mêmes de l’alinéa 110(2)d.1) dans la mesure où il crée deux catégories de demandeurs d’asile en fonction de leur origine nationale : ceux qui proviennent d’un POD et ceux qui proviennent d’autres pays que des POD. Quant à savoir si la distinction que l’alinéa 110(2)d.1) de la Loi établit entre les demandeurs d’asile provenant d’un POD et ceux qui ne proviennent pas d’un POD crée un désavantage en perpétuant un préjugé ou un stéréotype, l’avantage procédural accordé aux demandeurs d’asile provenant d’autres pays que les POD et le désavantage subi par les demandeurs d’asile provenant de POD en raison de l’alinéa 110(2)d.1) de la Loi est discriminatoire à première vue. Il contribue également à marginaliser les demandeurs d’asile provenant de POD qui sont la plupart du temps considérés comme sûrs et d’où ne proviennent pas généralement les réfugiés, en plus de les marginaliser et de leur causer un préjudice. Elle perpétue par ailleurs l’opinion stéréotypée selon laquelle les demandeurs d’asile provenant de pays d’origine désignés sont en quelque sorte des resquilleurs ou des personnes dont les demandes d’asile sont « bidons » et qui ne viennent au Canada que pour profiter du système de protection des réfugiés canadien. L’insertion de l’alinéa 110(2)d.1) dans la Loi a privé les demandeurs d’asile en provenance de POD d’une égalité réelle avec les demandeurs ne provenant pas de POD. Le fait d’imposer expressément un désavantage en se fondant uniquement sur l’origine nationale constitue en soi de la discrimination. La prétention selon laquelle l’alinéa 110(2)d.1) peut légitimement limiter, pour les demandeurs d’asile provenant de POD, la possibilité d’interjeter appel auprès de la SAR, puisque chaque demande présentée par un demandeur d’asile de ces pays fait encore l’objet d’une évaluation individualisée par la SPR, a été rejetée. Vu la conclusion que l’alinéa 110(2)d.1) viole le paragraphe 15(1) de la Charte, il n’était pas nécessaire de décider si l’alinéa 110(2)d.1) a des répercussions disproportionnées sur quelque sous-groupe particulier de demandeurs.

Il n’était pas nécessaire d’aborder la question de savoir si l’alinéa 110(2)d.1) de la Loi viole l’article 7 de la Charte. Les arguments que les demandeurs ont tirés de l’article 7 de la Charte se rapportaient principalement au mécanisme de sélection prévu à l’article 109.1 et à la question de savoir si le régime des POD dans son ensemble constituait une façon nettement démesurée de décourager les demandes d’asile abusives.

Le critère visant à déterminer si le refus d’accorder aux demandeurs d’asile provenant d’un POD le droit d’interjeter appel à la SAR constitue une limite raisonnable prescrite par une règle de droit dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique a été énoncé dans l’arrêt La Reine c. Oakes. La question centrale est celle de savoir si les répercussions négatives de l’alinéa 110(2)d.1) sur les droits des demandeurs d’asile provenant de POD par rapport aux autres demandeurs d’asile est proportionné à l’objectif urgent et réel de défense de l’intérêt public prévu à l’alinéa 110(2)d.1). Le refus prévu à l’alinéa 110(2)d.1) d’accorder aux demandeurs d’asile provenant d’un POD le droit d’interjeter appel devant la SAR est « prescrit par une règle de droit » et, par conséquent, l’article premier de la Charte s’applique. Le Canada poursuivait un objectif urgent et réel en procédant aux réformes prévues par la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés et la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada. L’objectif de l’alinéa 110(2)d.1) est précisément de diminuer le nombre de paliers de recours et de s’assurer que les demandeurs déboutés provenant de POD peuvent être renvoyés plus rapidement. Toutefois, même s’il avait pu être raisonnable de supposer que le fait de nier tout droit d’appel à la SAR pourrait favoriser les objectifs en question, on ne saurait affirmer que l’alinéa 110(2)d.1) constitue une atteinte minimale. Le fait que certains demandeurs peuvent se pourvoir en appel devant la SAR, alors que d’autres ne le peuvent pas n’est pas justifié. Il n’a pas été démontré que l’empêchement absolu d’interjeter appel devant la SAR qui frappe l’ensemble des demandeurs d’asile provenant des POD constitue le moyen le moins radical pour le Canada d’atteindre ses objectifs. Aucun élément de preuve pour démontrer que l’alinéa 110(2)d.1) avait d’autres effets dissuasifs n’a été présenté. Il n’était pas nécessaire que le législateur établisse une distinction entre les demandeurs provenant de POD et ceux issus d’autres pays pour les empêcher d’interjeter appel devant la SAR, étant donné que l’objectif déclaré de décourager les demandes abusives ou infondées pouvait être atteint par l’effet conjugué des paragraphes 107(1) et 107(2) et des alinéas 110(2)b) et 110(2)c) de la Loi. Le fait de refuser ce droit d’appel à certains demandeurs d’asile en raison de leurs pays d’origine constitue une atteinte sérieuse à leur droit à l’égalité. De plus, à la différence des demandeurs provenant d’autres pays que les POD, les demandeurs d’asile provenant d’un POD ne bénéficient pas d’un sursis automatique de leur renvoi lorsqu’ils cherchent à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision défavorable de la SPR. Tout risque de refoulement attribuable à l’absence du droit d’interjeter appel devant la SAR n’est pas entièrement atténué par les autres recours dont disposent les demandeurs provenant de POD. Refuser un droit d’appel à tous les demandeurs d’asile provenant des POD n’est pas une mesure proportionnelle aux objectifs visés par le gouvernement; il s’agit d’une inégalité qui est disproportionnée et qui a une portée trop large et qui ne peut être sauvegardée par l’article premier de la Charte.

L’alinéa 110(2)d.1) de la Loi a été déclaré incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte et donc inopérant en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982; les décisions rendues par la SAR ont été annulées et les appels interjetés par G.S. et C.S. ont été renvoyés à la SAR pour qu’elle rende une nouvelle décision. Les questions de savoir si l’alinéa 110(2)d.1) de la Loi est en conformité avec le paragraphe 15(1) de la Charte et si, dans le cas contraire, l’alinéa 110(2)d.1) impose une restriction raisonnable des droits garantis par la Charte qui est prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer en vertu de la Charte, impose une restriction raisonnable des droits garantis par la Charte qui est prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer en vertu de la Charte, ont été certifiées.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Arrêté établissant des seuils quantitatifs pour la désignation des pays d’origine, (2012) Gaz. C. I, 3378.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 15.

Décret concernant le Programme fédéral de santé intérimaire (2012), TR/2012-26, (2012) Gaz. C. II, 1135.

Décret fixant au 15 décembre 2012 la date d’entrée en vigueur de certains articles de la loi, TR/2012-94, (2012) Gaz. C. II, 2980.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(1), 18.4(1),(2).

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 20(1)a),(2)b).

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 3f).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25(1), 25.1, 30(1.1), 32d), 48(2), 49(2)c), 72(1), 74c),d), 96, 97, 99(3.1), 100(4),(4.1), 107(2), 107.1, 109.1, 110, 111.1(1)a),b),(2), 112(2)b.1),c), 161(1)c),(1.1), 275.

Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 159.8, 159.9(1), 159.91(1)a), 206(1),(2), 224(2), 231(1),(2), 240(1)a),b),c).

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, règles 3(2),(3)b), 7, 8, 54(1),(4),(5).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 52.4(1).

Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, règle 4(1).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221, art. 13.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 3.

Protocole (no 24) sur le droit d’asile pour les ressortissants des États membres de l’Union Européenne.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés c. Canada (Procureur général), 2014 CF 651, [2015] 2 R.C.F. 267; Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290.

DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :

Pawar c. Canada, 1999 CanLII 8760 (C.A.F.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

X (Re), 2013 CanLII 92094 (C.I.S.R.); Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357; Peter c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1073; Canada (Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 213, [2006] 1 R.C.F. 53; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.); Bedford v. Canada (Attorney General), 2012 ONCA 186, 109 O.R. (3d) 1; R. c. D.D., 2000 CSC 43, [2000] 2 R.C.S. 275; Graat c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 819; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567; R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613; Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3.

DÉCISIONS CITÉES :

Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; Kroon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 697; Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 156, [2015] 4 R.C.F. 297; Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 774; Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en Conseil), 2007 CAF 374; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9; R. v. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330; R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485; Armstrong c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1013; Gravel c. Telus Communications Inc., 2011 CAF 14; Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., 2005 CAF 50; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22; Meggeson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 175; Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 215, [2009] 1 R.C.F. 476; White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61; Barbra Schlifer Commemorative Clinic v. Canada, 2014 ONSC 5140, 121 O.R. (3d) 733; Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; Lakatos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 785; R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764; Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120; Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., 2007 CSC 30, [2007] 2 R.C.S. 610; Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203.

DOCTRINE CITÉE

Bureau du vérificateur général du Canada. Le Point : Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la Chambre des communes (2009). Chapitre 2 « Le processus de nomination par le gouverneur en conseil », en ligne : <http://www.oag-bvg.gc.ca/internet/docs/parl_oag_200903_00_f.pdf>.

Cross, Sir Rupert. Cross on Evidence, 5e éd. London : Butterworths, 1979.

Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 3e sess., no 33 (26 avril 2010).

Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 3e sess., no 36 (29 avril 2010).

Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., no 220 (6 mars 2012).

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 5e éd. vol. 2, édition à feuilles mobiles. Toronto : Thomson/Carswell, 2007.

demandes de contrôle judiciaire contestant la constitutionnalité de l’alinéa 110(2)d.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et le mécanisme de sélection des pays d’origine désignés. Demandes accueillies en partie.

ONT COMPARU

Maureen Silcoff pour le demandeur Y.Z.

Jared Will pour la demanderesse l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés.

Prasanna Balasundaram pour les demandeurs G.S. et C.S.

David Tyndale, Jelena Urosevic, Suran Bhattacharyya, Nimanthika Kaneira et Lucan Gregory pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Silcoff Shacter, Toronto, pour le demandeur Y.Z.

Jared Will, Toronto, pour la demanderesse l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés.

Downtown Legal Services, Toronto, pour les demandeurs G.S. et C.S.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Boswell :

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphe

I.          Introduction

1–6

II.         Les grandes lignes du régime relatif aux pays d'origine désignés

7–14

III.        L'article 109.1 est-il directement en cause?

15–23

IV.       Les questions en litige

24

V.        L’ACAADR a-t-elle qualité pour agir dans l'intérêt public?

25

A.        Les arguments de l'ACAADR

26–30

B.        Les arguments des défendeurs

31–35

C.        Analyse

36–43

VI.       Les affidavits déposés en preuve

44–45

A.        Les affidavits déposés par les demandeurs

46–68

B.        Les affidavits déposés par les défendeurs

69–76

C.        Les affidavits contestés devraient-ils être radiés?

77–83

1)         Les arguments des défendeurs

77–83

2)         Les arguments des demandeurs

84–90

3)         Analyse

91–101

VII.      L’alinéa 110(2)d.1) de la Loi contrevient-il le paragraphe 15(1) de la Charte?

102

A.        Les arguments des demandeurs

103–107

B.        Les arguments des défendeurs

108–114

C.        Analyse

115–131

VIII.     L'alinéa 110(2)d.1) de la LIPR viole-t-il l'article 7 de la Charte?

132

A.        Les arguments des demandeurs

133–138

B.        Les arguments des défendeurs

139–141

C.        Analyse

142–143

IX.       Si les droits garantis par la Charte ont été violés, l'alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est-il justifié par l'article premier de la Charte?

144

A.        Les arguments des défendeurs

145–151

B.        Les arguments des demandeurs

152–153

C.        Analyse

154–170

X.        Si l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est inconstitutionnel, quelle est la réparation appropriée?

171–177

XI.       Quelles questions devraient être certifiées?

178–183

XII.      Dispositif

184–185

I.          Introduction

[1]        Dans le cadre des réformes mises en œuvre par la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17, le législateur a inséré l’alinéa 110(2)d.1) dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR [ou la Loi]). Ce nouvel alinéa est entré en vigueur le 10 décembre 2012, le jour même où la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la C.I.S.R.) est entrée en fonction en vertu de l’article 110 de la LIPR (Décret fixant au 15 décembre 2012 la date d’entrée en vigueur de certains articles de la loi, TR/2012-94, (2012) Gaz. C. II, 2980; LIPR, article 275). L’alinéa 110(2)d.1) interdit l’accès à la SAR à tous les demandeurs d’asile provenant d’un pays qui a été désigné par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en vertu du paragraphe 109.1 de la LIPR.

[2]        Les présentes demandes de contrôle judiciaire contestent la constitutionnalité de l’alinéa 110(2)d.1) et le mécanisme de sélection des pays à désigner. Les demandeurs allèguent que le fait de refuser aux demandeurs d’asile provenant de pays d’origine désignés le droit d’interjeter appel à la Section d’appel des réfugiés viole l’article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte).

[3]        Les demandeurs principaux sont trois demandeurs d’asile provenant de pays d’origine désignés (les POD). Y.Z. est un citoyen de la Croatie qui craint d’être persécuté en tant que Serbe et homosexuel. G.S. et C.S. sont un couple gay provenant de Hongrie qui craignent d’être persécutés en raison de leur orientation sexuelle; C.S. est également un ressortissant de la Roumanie.

[4]        La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la C.I.S.R. a estimé que chacun des trois demandeurs était crédible, mais elle a finalement rejeté leur demande au motif qu’ils disposaient d’une protection suffisante de l’État en Croatie, dans le cas d’Y.Z., et en Hongrie, dans le cas de G.S. et de C.S. Les demandeurs d’asile ont chacun obtenu l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire des décisions de la SPR, et la Cour a conclu que la conclusion tirée par la SPR au sujet de la protection de l’État était déraisonnable dans le cas d’Y.Z. et elle a fait droit à sa demande de contrôle judiciaire. Cette conclusion n’a toutefois pas d’incidence sur la qualité d’Y.Z. en tant que partie à la présente instance. Tant que la SPR ne lui reconnaît pas la qualité de réfugié, la question de savoir s’il a le droit d’interjeter appel devant la SAR se pose toujours. Aucune décision n’a pas encore été rendue au sujet de la demande de contrôle judiciaire de G.S. et de C.S.

[5]        Parallèlement, les demandeurs ont tenté de contester la constitutionnalité du régime relatif aux POD en interjetant appel devant la SAR. Le 2 mai 2013 [X (Re), 2013 CanLII 92094], l’appel interjeté par Y.Z. devant la SAR a été rejeté avant même qu’il ait eu le temps de mettre son appel en état; la SAR s’est contentée de déclarer qu’elle n’avait pas compétence en raison de l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR. Y.Z. s’est finalement désisté de sa demande de réouverture de son appel. G.S. et C.S. ont effectivement mis leur appel en état, mais la SAR les a également déboutés de leur appel le 11 juillet 2014. La SAR a décidé qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur la constitutionnalité des dispositions du paragraphe 110(2) de la LIPR et que la seule question qu’elle pouvait trancher était celle de savoir si les conditions énumérées à ce paragraphe étaient effectivement remplies (citant l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, aux paragraphes 42 et 48; Kroon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 697, aux paragraphes 9, 32, 33 et 40; et d’autres décisions).

[6]        Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire des décisions de la SAR en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. L’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (l’ACAADR) s’est également jointe à Y.Z. en tant que partie agissant dans l’intérêt public. La requête par laquelle les défendeurs contestent la qualité pour agir de l’ACAADR n’a été déposée que le 16 décembre 2014, plus de 18 mois après qu’Y.Z. et l’ACAADR eurent déposé leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire; cette requête a été rejetée par la Cour aux termes d’une ordonnance prononcée le 15 janvier 2015 au motif qu’elle n’avait pas été présentée avec diligence. La Cour a cependant rejeté cette requête sans préjudice du droit des défendeurs de soulever les mêmes arguments lors de l’instruction de la présente affaire, ce qu’ils ont fait. Les défendeurs ont également présenté une requête en vue de faire radier bon nombre des affidavits déposés par les demandeurs. L’examen de cette requête, qui a été déposée le 19 novembre 2014, a été reporté jusqu’à l’instruction des présentes demandes réunies.

II.         Les grandes lignes du régime relatif aux pays d’origine désignés

[7]        Teny Dikranian, l’un des témoins des défendeurs, déclare dans son affidavit que l’un des principaux objectifs du régime des POD [traduction] « est de dissuader les gens qui proviennent de pays qui sont la plupart du temps considérés comme sûrs et d’où ne proviennent pas généralement les réfugiés d’abuser du système de réfugiés du Canada tout en préservant le droit de chaque demandeur d’asile admissible à une audience impartiale devant la CISR ». Pour atteindre cet objectif, le législateur fédéral a créé une procédure distincte dans le cas des demandes d’asile présentées par les ressortissants des POD. Ces personnes disposent néanmoins d’une audience en bonne et due forme devant la SPR, mais leurs demandes sont traitées différemment sous le régime de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Les dispositions légales applicables sont reproduites à l’annexe A des présents motifs. Elles prévoient diverses conséquences uniques dans le cas des demandeurs d’asile provenant de POD. Je vais examiner plus en détail ces conséquences un peu plus loin, mais pour le moment, je résume dans le tableau suivant les conséquences les plus importantes :


Demandeurs provenant d’un POD

Demandeurs ne provenant pas d’un POD

LIPR et Règlement

Admissible à un permis de travail en vertu du R206?

180 jours après que la demande a été déférée à la SPR

Immédiatement après que la demande ait été déférée à la SPR

L30(1.1); L32d); R206(1); R206(2)

Délai avant l’audience de la SPR?

Dans les 45 jours (point d’entrée)

Dans les 30 jours (au Canada)

Dans les 60 jours

L100(4.1); L111.1(1)b); L111.1(2); R159.9(1)

Droit d’interjeter appel devant la SAR?

Non

Oui sauf si autrement empêché par L110(2)

L110(2)d.1)

Prise d’effet de la mesure de renvoi?

15 jours après réception de la décision écrite de la SPR

En cas d’appel à la SAR, 15 jours après notification du rejet par la SAR

Sinon, 15 jours après réception de la décision écrite de la SPR

L49(2)c); L110(2.1); R159.91(1)a)

Sursis automatique du renvoi jusqu’à la décision sur le contrôle judiciaire et épuisement des appels?

Non

Oui, si demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR

R231(1); R231(2)

Interdiction de présenter une demande d’examen des risques avant le renvoi pendant :

36 mois

12 mois

L112(2)b.1); L112(2)c)

[8]        Voici les différentes procédures auxquelles la LIPR assujettit les demandeurs d’asile provenant de POD vis-à-vis des demandeurs d’asile issus d’autres pays :

1.         Le paragraphe 206(1) du Règlement permet normalement aux étrangers dont les demandes d’asile sont déférées à la SPR d’obtenir un permis de travail s’ils ne peuvent subvenir à leurs besoins autrement qu’en travaillant et s’ils font l’objet d’une mesure de renvoi qui ne peut être exécutée. Toutefois, le paragraphe 206(2) du Règlement prévoit que l’étranger provenant d’un POD ne peut obtenir un permis de travail que si au moins 180 jours se sont écoulés depuis que sa demande d’asile a été déférée à la SPR.

2.         Le paragraphe 111.1(2) de la LIPR permet la prise de règlements prévoyant à l’égard de demandeurs d’asile provenant de POD « des délais différents de ceux qui sont applicables à l’égard des autres demandeurs d’asile » lorsqu’il s’agit d’impartir un délai pour l’audition mentionnée au paragraphe 100(4.1) de la LIPR. De tels délais ont effectivement été fixés aux termes de l’alinéa 159.9(1)a) du Règlement, qui prévoit que la date de l’audience doit, dans le cas d’un demandeur d’asile provenant d’un POD, être fixée dans un délai de 45 jours, s’il se trouve à un point d’entrée, ou dans un délai de 30 jours, s’il présente sa demande d’asile au Canada. Pour les demandeurs provenant d’autres pays qu’un POD, la date de l’audience est censée être fixée dans un délai de 60 jours — que la demande ait été faite à un point d’entrée ou ailleurs au Canada (Règlement, alinéa 159.9(1)b)). Sous réserve de la disponibilité des avocats, la date d’audience est fixée à « la date la plus proche du dernier jour du délai applicable prévu par le Règlement, à moins que le demandeur consente à une date plus rapprochée » (Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (Règles de la SPR), paragraphe 3(2), alinéa 3(3)b), paragraphe 54(5)). Tout demandeur d’asile peut présenter une demande en vue de faire changer la date ou l’heure de l’audience en cas de circonstances exceptionnelles (Règles de la SPR, paragraphes 54(1) et 54(4)).

3.         Le paragraphe 161(1.1) de la LIPR permet au président de la C.I.S.R. de traiter différemment une demande d’asile selon que le demandeur est, ou non, un ressortissant d’un POD lorsqu’il prend des règles visant « la teneur, la forme, le délai de présentation et les modalités d’examen des renseignements à fournir dans le cadre d’une affaire dont la Commission est saisie » (LIPR, alinéa 161(1)c), paragraphe 161(1.1)). Il semble qu’aucune règle établissant de telles distinctions n'ait encore été prise. Les demandeurs provenant de tout pays peuvent soumettre leurs formulaires de fondement de la demande d’asile ainsi que tout autre document pertinent dès que leurs demandes d’asile sont déférées à la SPR si leurs demandes sont présentées au Canada ou dans un délai de 15 jours si leurs demandes sont présentées à un point d’entrée (LIPR, paragraphes 99(3.1), 100(4), alinéa 111.1(1)a); Règlement, article 159.8; Règles de la SPR, règle 7). Tous les demandeurs peuvent également réclamer une prorogation de délai (Règlement, paragraphe 159.8(3); Règles de la SPR, règle 8).

4.         Les demandeurs provenant de POD ne peuvent interjeter appel d’une décision négative de la SPR devant la SAR en raison de l’alinéa 110(2)d.1) :

110. […]

(2) Ne sont pas susceptibles d’appel [à la Section d’appel des réfugiés] :

[…]

d.1) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile du ressortissant d’un pays qui faisait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1) à la date de la décision.

Restriction

La situation est différente dans le cas des demandeurs issus d’autres pays que les POD; ils ne perdent accès à la SAR que si l’une des autres conditions énoncées au paragraphe 110(2) est satisfaite (par exemple, en cas de décision de la SPR « faisant état de l’absence d’un minimum de fondement de la demande d’asile ou du fait que celle-ci est manifestement infondée » (LIPR, alinéa 110(2)c))).

5.         Les mesures de renvoi prennent normalement effet plus tôt dans le cas des demandeurs provenant de POD. L’alinéa 49(2)c) de la LIPR empêche la mesure de renvoi visant un demandeur d’asile de prendre effet avant que 15 jours se soient écoulés après le rejet de l’appel interjeté devant la SAR, ce dont les demandeurs provenant de POD ne peuvent jamais se prévaloir étant donné qu’ils ne disposent d’aucun droit d’appel devant la SAR. La mesure d’interdiction de séjour les visant prend plutôt effet 15 jours après qu’ils reçoivent par écrit les motifs de la SPR rejetant leur demande et cette mesure d’interdiction de séjour devient une mesure d’expulsion 30 jours plus tard à moins qu’ils ne quittent le Canada avant (LIPR, alinéa 49(2)c), paragraphe 110(2.1); Règlement, alinéa 159.91(1)a), paragraphe 224(2), alinéas 240(1)a) à c); affidavit de Christopher Raymond (20 novembre 2014), aux paragraphes 3 à 5).

6.         Le paragraphe 231(1) du Règlement accorde un sursis automatique à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre les demandeurs d’asile qui demandent le contrôle judiciaire d’une décision de la SAR, mais pas à ceux qui demandent le contrôle judiciaire d’une décision de la SPR. Ainsi, les demandeurs provenant d’un POD ne peuvent se prévaloir de cette disposition. Même s’ils pouvaient interjeter appel devant la SAR parce que le pays dont ils proviennent avait été désigné après le rejet de leur demande par la SPR, le paragraphe 231(2) fait en sorte que ces demandeurs ne peuvent obtenir un sursis automatique de leur renvoi s’ils présentent par la suite une demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, à moins d’obtenir de la Cour une ordonnance sursoyant à l’exécution de leur renvoi, les demandeurs provenant d’un POD peuvent être renvoyés du Canada avant même que leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire n’ait été examinée par la Cour.

7.         À moins que certaines dispenses ne soient accordées, les alinéas 112(2)b.1) et 112(2)c) de la LIPR empêchent tous les demandeurs d’asile de présenter une demande d’examen des risques avant le renvoi tant que 12 mois ne se sont pas écoulés depuis que leur demande d’asile a été rejetée. Les demandeurs provenant de POD doivent toutefois attendre 36 mois dans les mêmes circonstances.

[9]        La désignation d’un pays comme POD a également eu des conséquences sur l’ampleur des soins de santé financés par l’État que les demandeurs d’asile provenant de POD recevaient jusqu’à ce que le Décret concernant le Programme fédéral de santé intérimaire (2012), TR/2012-26, (2012) Gaz. C. II, 1135, soit invalidé par la juge Anne Mactavish dans le jugement Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés c. Canada (Procureur général), 2014 CF 651, [2015] 2 R.C.F. 267 (Médecins canadiens).

[10]      La procédure à suivre pour désigner un pays est prévue à l’article 109.1 de la LIPR :

109.1 (1) Le ministre peut, par arrêté, désigner un pays pour l’application du paragraphe 110(2) et de l’article 111.1.

Désignation de pays d’origine

(2) Il ne peut procéder à la désignation que dans les cas suivants :

a) s’agissant d’un pays dont les ressortissants ont présenté des demandes d’asile au Canada sur lesquelles la Section de la protection des réfugiés a statué en dernier ressort en nombre égal ou supérieur au nombre prévu par arrêté, si l’une ou l’autre des conditions ci-après est remplie :

(i) le taux, exprimé en pourcentage, obtenu par la division du nombre total des demandes présentées par des ressortissants du pays en cause qui ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés en dernier ressort et de celles dont elle a prononcé le désistement ou le retrait en dernier ressort — durant la période prévue par arrêté — par le nombre total des demandes d’asile présentées par des ressortissants du pays en cause et sur lesquelles la Section a statué en dernier ressort durant la même période est égal ou supérieur au pourcentage prévu par arrêté,

(ii) le taux, exprimé en pourcentage, obtenu par la division du nombre total des demandes présentées par des ressortissants du pays en cause dont la Section de la protection des réfugiés a prononcé le désistement ou le retrait en dernier ressort — durant la période prévue par arrêté — par le nombre total des demandes d’asile présentées par des ressortissants du pays en cause et sur lesquelles la Section a statué en dernier ressort durant la même période est égal ou supérieur au pourcentage prévu par arrêté;

b) s’agissant d’un pays dont les ressortissants ont présenté des demandes d’asile au Canada sur lesquelles la Section de la protection des réfugiés a statué en dernier ressort en nombre inférieur au nombre prévu par arrêté, si le ministre est d’avis que le pays en question répond aux critères suivants :

(i) il y existe des institutions judiciaires indépendantes,

(ii) les droits et libertés démocratiques fondamentales y sont reconnus et il y est possible de recourir à des mécanismes de réparation pour leur violation,

(iii) il y existe des organisations de la société civile.

Réserve

(3) Le ministre peut, par arrêté, prévoir le nombre, la période et les pourcentages visés au paragraphe (2).

Arrêté

(4) Les arrêtés ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires, mais sont publiés dans la Gazette du Canada.

Caractère non réglementaire

[11]      Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le MCI) a, en vertu du paragraphe 109.1(3), pris l’Arrêté établissant des seuils quantitatifs pour la désignation des pays d’origine, (2012) Gaz. C. I, 3378 (l’Arrêté sur les seuils), qui prévoit comme suit les chiffres utilisés au paragraphe 109.1(2) :

2. Pour l’application des alinéas 109.1(2)a) et b) de la Loi, le nombre est de trente durant toute période de douze mois consécutifs au cours des trois années antérieures à la date de la désignation.

3. Pour l’application du sous-alinéa 109.1(2)a)(i) de la Loi, la période est la même période de douze mois retenue aux termes de l’article 2 et le pourcentage est de 75 %.   

4. Pour l’application du sous-alinéa 109.1(2)a)(ii) de la Loi, la période est la même période de douze mois retenue aux termes de l’article 2 et le pourcentage est de 60 %.   

[12]      Un des témoins du défendeur, Eva Lazar, a expliqué que lorsqu’un pays satisfait aux critères quantitatifs énoncés à l’alinéa 109.1(2)a) ou aux critères qualitatifs énumérés à l’alinéa 109.1(2)b), la Division du contrôle, de l’analyse et de l’évaluation des pays (la DCAEP) de la Direction générale des affaires des réfugiés de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) procède à une analyse approfondie de la situation qui existe dans ce pays. Ce processus nécessite un examen minutieux des éléments de preuve objectifs accessibles au public provenant de diverses sources crédibles telles que le Département d’État des États-Unis, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Amnistie Internationale et diverses organisations non gouvernementales locales. La DCAEP établit ensuite un rapport dans lequel elle évalue neuf facteurs relatifs aux droits de la personne et à la protection de l’État : 1) la gouvernance démocratique; 2) la protection du droit à la liberté et à la sécurité de la personne; 3) la liberté d’opinion et d’expression; 4) la liberté de religion et d’association; 5) la protection contre la discrimination et la protection des droits des groupes à risque; 6) la protection des acteurs non étatiques; 7) l’accès à des enquêtes impartiales; 8) l’accès à un système judiciaire indépendant; 9) l’accès à des mesures de réparation (les facteurs de désignation). La version finale de ce rapport est préparée après consultation avec le Comité interministériel des directeurs généraux sur les POD, qui compte des représentants de CIC, de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, de la Sécurité publique, du ministère de la Justice, du Service canadien du renseignement de sécurité et de la Gendarmerie royale du Canada. Si la désignation est recommandée, cette recommandation et le rapport d’examen définitif sur le pays concerné en vue de sa désignation comme POD sont envoyés au MCI, qui décide alors de l’opportunité de désigner le pays en question.

[13]      Au moment où l’affaire en l’espèce a été entendue, 42 pays avaient été désignés par le MCI comme POD. La Croatie, la Hongrie et la Roumanie avaient été désignées en fonction des critères quantitatifs énumérés à l’alinéa 109.1(2)a). D’autres pays comme Andorre, l’Estonie et la Slovénie avaient été désignés parce qu’ils répondaient aux critères qualitatifs prévus à l’alinéa 109.1(2)b). Sur les 42 pays désignés comme POD, des examens des pays avaient été entrepris en fonction des critères quantitatifs prévus à l’alinéa 109.1(2)a) dans le cas de 19 pays, et en fonction des critères qualitatifs prévus à l’alinéa 109.1(2)b) pour 23 pays.

[14]      La LIPR ne prévoit aucun pouvoir permettant expressément de supprimer la désignation d’un pays, mais Mme Lazar a expliqué que le MCI avait approuvé un processus permettant de le faire le 14 octobre 2014 ou vers cette date. Ce processus exige que tous les POD fassent l’objet d’un contrôle régulier pour vérifier si des changements importants sont survenus dans leur situation et d’un réexamen annuel en fonction des facteurs de désignation. Un examen peut être recommandé s’il semble que la situation se détériore de façon sensible en fonction de cinq des neuf facteurs de désignation ou d’après l’un des trois critères essentiels suivants : la gouvernance démocratique, la protection du droit à la liberté et à la sécurité de la personne et l’indépendance de la magistrature. En cas de réexamen, un nouveau rapport détaillé sur le pays sera préparé et le MCI décidera si la désignation du pays devrait être maintenue. Au moment de l’instruction de l’affaire en l’espèce, aucun POD n’avait été retiré de la liste des POD.

III.        L’article 109.1 est-il directement en cause?

[15]      Les demandeurs formulent les questions litigieuses découlant des présentes demandes de façon plus large que les défendeurs. Ils affirment que la principale question à résoudre est celle de savoir s’il résulte de l’effet conjugué de l’article 109.1 et de l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR et de l’Arrêté sur les seuils qu’il y a violation de l’article 7 et du paragraphe 15(1) de la Charte. Lors de l’instruction de la présente affaire, les demandeurs ont contesté le régime POD en entier en soutenant que le processus de désignation lui-même n’était pas conforme à la Charte.

[16]      En revanche, les défendeurs soutiennent que les demandeurs réclament des réparations qui ne font pas régulièrement partie des présentes demandes, signalant notamment que leurs demandes de contrôle judiciaire ne concluent pas à l’invalidation de l’Arrêté sur les seuils. Suivant les défendeurs, si le jugement déclaratoire réclamé relativement à l’alinéa 110(2)d.1) est accordé, il serait superflu de déclarer inopérant l’article 109.1 de la LIPR et l’Arrêté sur les seuils connexe parce que les personnes physiques demanderesses obtiendraient la réparation qu’elles réclament, en l’occurrence, un droit d’appel à la SAR.

[17]      Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la réparation réclamée par les demandeurs a évolué avec le temps. La demande formulée dans le dossier IMM-3700-13 du 27 mai 2013 réclamait uniquement l’annulation de la décision rendue par la SAR dans le dossier d’Y.Z. et un jugement déclarant inopérant l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] [Loi constitutionnelle de 1982]. Quant à la demande présentée dans le dossier IMM-5940-14 du 5 août 2014, elle vise à obtenir à la fois que la décision prononcée par la SAR dans le dossier de G.S. et de C.S. soit annulée et que l’article 109.1 et l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR soient déclarés inopérants en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Plus récemment, l’avis de question constitutionnelle du 11 février 2015 faisait état de l’intention des demandeurs de contester la constitutionnalité de « l’effet » de l’article 109.1, de l’alinéa 110(2)d.1) et de l’Arrêté sur les seuils.

[18]      Je suis également d’accord avec les défendeurs pour dire qu’il ne conviendrait pas de se prononcer sur la question de savoir si le régime POD dans son ensemble, ou tout aspect de ce régime autre que l’alinéa 110(2)d.1), ne sont pas conformes à la Charte. Il ne convient pas en l’espèce de se prononcer directement sur la constitutionnalité de l’article 109.1 et de l’Arrêté sur les seuils connexes, et ce, pour diverses raisons.

[19]      En premier lieu, une déclaration d’inconstitutionnalité de l’alinéa 110(2)d.1) suffirait pour accorder aux personnes physiques demanderesses la réparation substantielle qu’elles réclament dans les présentes demandes, en l’occurrence, le droit d’interjeter appel devant la SAR des demandes dont elles ont été déboutées par la SPR. Déborder le cadre de cette question constitutionnelle et se prononcer également sur la constitutionnalité d’autres aspects du régime POD constituerait un exerce injustifié parce que les déclarations inutiles sur un point de droit constitutionnel devraient, en principe, être évitées (Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, aux paragraphes 6 à 11; Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 156, [2015] 4 R.C.F. 297, au paragraphe 66).

[20]      Deuxièmement, on ne trouve pas suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour évaluer comme il se doit toutes les conséquences de la désignation d’un pays en vertu de l’article 109.1. Ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux pages 361 et 362 :

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit l’intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte […] Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.

Par exemple, nous ne disposons pas de suffisamment de preuves pour évaluer les éventuels inconvénients pour les demandeurs d’asile provenant de POD qui ne sont pas admissibles à recevoir un permis de travail tant que 180 jours ne se sont pas écoulés après que leur demande d’asile a été déférée à la SPR. G.S. affirme dans son affidavit qu’il est contrarié de ne pouvoir obtenir un permis de travail et que, comme les prestations d’aide sociale sont insuffisantes, lui et C.S. ont dû accepter des emplois précaires et travailler plus fort que leurs collègues canadiens pour la même rémunération. Toutefois, à eux seuls, ces éléments de preuve ne suffisent pas pour prouver que le paragraphe 206(2) du Règlement viole l’article 7 ou le paragraphe 15(1) de la Charte. De plus, l’affidavit de G.S. n’a été déposé que le 21 octobre 2014 et c’était le premier indice que le paragraphe 206(1) du Règlement pouvait être compromis. Les défendeurs avaient l’obligation de signifier leurs propres affidavits supplémentaires un mois plus tard, le 21 novembre 2014 et ils n’avaient pas eu d’occasion raisonnable de préparer une défense fondée sur l’article premier de la Charte en réponse à cette éventuelle contestation avant l’instruction de la présente affaire.

[21]      Troisièmement, je ne suis pas convaincu qu’il convient en l’espèce de décider si les délais abrégés qui s’appliquent dans le cas des demandeurs d’asile provenant de POD sont nécessairement invalides ou inconstitutionnels. Malgré les arguments contraires des demandeurs, les délais abrégés ne semblent pas constituer un obstacle insurmontable. La différence entre la date d’audience prévue pour les demandeurs issus de POD et celle prévue dans le cas des demandeurs issus d’autres pays n’est pas excessive et les décisions de la SPR concernant les personnes physiques demanderesses en l’espèce démontrent qu’en tant que demandeurs issus de POD, ils ont été en mesure de respecter ces délais. C.S. a mentionné au cours de son réinterrogatoire qu’il aurait aimé disposer de plus de temps pour recevoir d’autres éléments de preuve en provenance de la Hongrie, mais cet argument n’a jamais été invoqué au soutien de sa demande. Les personnes physiques demanderesses n’ont pas demandé à la SPR d’ajourner leur audience; elles ont été en mesure de déposer une abondante documentation (y compris des rapports médicaux); elles ont été en mesure de faire valoir leur point de vue pleinement et elles n’ont pas allégué, dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qu’elles ont soumise à la Cour, qu’elles n’avaient pas disposé de suffisamment de temps pour se préparer en vue de leur audience devant la SPR. Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve suivant lesquels certains types de demandeurs d’asile avaient peut-être plus de difficulté à respecter des délais plus courts; pourtant, une procédure accélérée pourrait être considérée comme plus avantageuse pour les demandeurs d’asile qui obtiennent finalement gain de cause, étant donné qu’il pourrait être stressant pour les réfugiés authentiques d’attendre des années avant qu’une décision définitive soit rendue au sujet de leur statut. Il serait préférable de trancher ces questions dans le cadre d’une affaire dans laquelle les délais abrégés auraient effectivement fait une différence pour les demandeurs et / ou la validité des mécanismes de prorogation des délais et de réouverture des dossiers aurait effectivement été vérifiée.

[22]      Quatrièmement, aucune des personnes physiques demanderesses n’a encore été touchée par le délai de 36 mois qui doit s’écouler avant de pouvoir présenter une demande d’examen des risques avant le renvoi (ERAR) selon les alinéas 112(2)b.1) et 112(2)c) de la LIPR. La constitutionnalité de cette interdiction devrait être tranchée dans un contexte factuel dans lequel la question serait directement et carrément soulevée. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. La décision rendue par la Cour dans l’affaire Peter c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1073 (Peter), ne portait pas directement sur cette interdiction; dans l’affaire Peter, la décision portait uniquement sur l’interdiction de demander un ERAR pendant un délai de 12 mois à la lumière de l’article 7 de la Charte. De plus, la constitutionnalité de l’interdiction de présenter une demande d’ERAR avant l’écoulement d’un délai de 36 mois, du moins par rapport à l’article 7 de la Charte, sera examinée par la Cour d’appel [fédérale] dans le cadre de l’appel interjeté du jugement Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 774.

[23]      En résumé, il ne convient donc pas en l’espèce de se prononcer sur la constitutionnalité du régime POD dans son ensemble ou de l’article 109.1 en particulier, car toute déclaration d’invalidité aurait des répercussions qui déborderaient le cadre des présentes demandes et du dossier de la preuve.

IV.       Les questions en litige

[24]      Comme l’article 109.1 de la LIPR n’est pas directement en litige dans les présentes demandes, les questions à trancher sont les suivantes :

1.         L’ACAADR a-t-elle qualité pour agir dans l’intérêt public?

2.         Les affidavits contestés devraient-ils être radiés?

3.         L’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR viole-t-il le paragraphe 15(1) de la Charte?

4.         L’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR viole-t-il l’article 7 de la Charte?

5.         Si des droits garantis par la Charte ont été violés, l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est-il justifié par l’article premier de la Charte?

6.         Si l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est inconstitutionnel, quelle est la réparation appropriée?

7.         Quelles questions la Cour devrait-elle, le cas échéant, certifier?

V.        L’ACAADR a-t-elle qualité pour agir dans l’intérêt public?

[25]      Les parties reconnaissent que la Cour doit tenir compte de trois facteurs pour décider s’il y a lieu de reconnaître ou non à quelqu’un la qualité pour agir dans l’intérêt public, à savoir : « (1) une question justiciable sérieuse [relevant des tribunaux] est-elle soulevée? (2) le demandeur a-t-il un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question? et (3) compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue-t-elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux? » (Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524 (Downtown), au paragraphe 37).

A.        Les arguments de l’ACAADR

[26]      L’ACAADR soutient que tous les principes relatifs à la qualité pour agir dans l’intérêt public militent en sa faveur : il n’y a pas de risque de mal employer des ressources judiciaires limitées parce que sa demande a déjà été réunie à celle d’Y.Z., G.S. et C.S.; sa participation au dossier a déjà permis de mieux circonscrire le débat et de s’assurer qu’il soit présenté de façon rigoureuse et il serait avantageux pour la primauté du droit que la qualité pour agir lui soit reconnue, car les affaires constitutionnelles sont complexes et l’ACAADR pourrait poursuivre l’affaire si, pour une raison ou pour une autre, les personnes physiques demanderesses ne le pouvaient plus.

[27]      L’ACAADR affirme en outre que tous les facteurs énumérés dans l’arrêt Downtown appuient la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public. Les défendeurs admettent qu’il existe une question sérieuse relevant des tribunaux et l’ACAADR soutient qu’elle a un réel intérêt dans le litige. Se fondant sur l’affidavit de Mitchell Goldberg, l’ACAADR affirme qu’elle est une association de juristes et d’universitaires intéressés aux questions juridiques concernant les réfugiés, les demandeurs d’asile et les droits des immigrants et que l’un des principaux objectifs de sa mission consiste à s’assurer que les droits fondamentaux des réfugiés et des migrants vulnérables soient protégés. D’ailleurs, l’ACAADR a fait part de ses préoccupations au sujet du régime POD devant le Parlement alors que celui-ci débattait du projet de loi C-31, qui est devenu la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17 (la LPSIC). Ces intérêts sont plus vastes que ceux des personnes physiques demanderesses et en se faisant reconnaître la qualité pour agir, l’ACAADR affirme qu’elle a été en mesure de signaler certaines conséquences négatives du régime des POD qui vont plus loin que celles qu’ont subies les personnes physiques demanderesses. De plus, elle a participé à l’affaire depuis le début, démontrant ainsi son intérêt, et sa participation n’a nullement nui au déroulement de l’instance.

[28]      L’ACAADR affirme que le fait de lui reconnaître la qualité pour agir aux côtés des trois personnes physiques demanderesses constitue une façon raisonnable et efficace de soumettre les questions en litige en l’espèce à la Cour. L’ACAADR affirme que la Cour a déjà reconnu qu’il valait mieux débattre ces questions dans le cadre d’une seule et même instance solide par la réunion des dossiers nos IMM-3700-13 et IMM-5940-14. Reconnaître à l’ACAADR la qualité pour agir favorise la continuité et la viabilité de la présente instance tout en lui permettant de faire valoir toute la gamme des questions soulevées par le régime des POD. D’ailleurs, l’ACAADR souligne qu’il n’y a aucune garantie que les personnes physiques demanderesses seraient aptes ou disposées à poursuivre un appel si leur demande n’était pas accueillie. L’affaire pourrait fort bien devenir théorique si elles obtenaient gain de cause au sujet de leur demande de contrôle judiciaire de leur décision respective de la SPR. De plus, le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi que les personnes physiques demanderesses ont obtenu ne s’applique que jusqu’à la clôture de la présente instance et il n’y a aucune garantie que la Cour d’appel fédérale prolongerait ce sursis.

[29]      Appliquant les considérations énoncées dans l’arrêt Downtown, au paragraphe 51, l’ACAADR fait valoir qu’elle dispose de toute évidence des ressources et de l’expertise nécessaires pour défendre la présente affaire et que ses membres ont déjà consacré des centaines d’heures au présent litige à titre bénévole. Le fait de reconnaître la qualité pour agir à l’ACAADR ne puisera pas davantage dans les ressources judiciaires et empêchera un dédoublement de procès en plus de minimiser les risques de décisions contradictoires. De plus, les dispositions relatives aux POD touchent un nombre important de demandeurs d’asile. Bon nombre d’entre eux ne disposent pas de ressources suffisantes pour contester eux-mêmes la loi et leur intérêt ne pourrait être défendu de façon adéquate uniquement par les seules personnes physiques demanderesses.

[30]      L’ACAADR conteste l’argument des défendeurs suivant lequel bon nombre d’autres demandeurs, y compris G.S. et C.S., se sont défendus sans l’aide de l’ACAADR. G.S. et C.S. se sont fondés exclusivement sur le dossier préparé par l’ACAADR et par Y.Z.; il est donc trompeur d’affirmer qu’ils ont soumis leur demande « sans l’aide de l’ACAADR ». Quant aux autres éventuels plaideurs, les demandeurs signalent que les défendeurs n’ont pas tardé à les expulser et à contester leurs arguments en invoquant des vices de procédure et en tentant d’imposer une procédure complexe et lourde lorsqu’il s’est agi de soumettre les questions en litige à la Cour, risquant ainsi d’épuiser les ressources d’un bon nombre de plaideurs et de les exposer à un plus grand risque d’expulsion. Il n’y a par ailleurs aucun conflit entre les intérêts de l’ACAADR et ceux des personnes physiques demanderesses, de sorte que l’ACAADR affirme que la qualité pour agir devrait lui être reconnue.

B.        Les arguments des défendeurs

[31]      Les défendeurs soutiennent que l’ACAADR n’a aucun intérêt direct dans la présente affaire et que la Cour devrait lui refuser la qualité pour agir dans l’intérêt public. Bien que les défendeurs admettent qu’il y a une question sérieuse relevant des tribunaux, ils affirment que l’ACAADR n’est pas en mesure d’offrir un point de vue utile ou original sur cette question parce que ses arguments sont identiques à ceux avancés par les personnes physiques demanderesses et qu’elle sollicite la même réparation. Les défendeurs affirment que l’argument de l’ACAADR suivant lequel elle soulève des questions distinctes n’est rien d’autre qu’un écran de fumée pour justifier sa participation.

[32]      Les défendeurs font d’ailleurs valoir qu’un procès intenté par des particuliers constitue un moyen parfaitement efficace de soulever les questions proposées par l’ACAADR. Même si l’ACAADR reconnaît qu’il y a potentiellement des centaines de justiciables dans la même situation que les demandeurs et qu’il y en a déjà trois dans la présente affaire, ils ont tous bénéficié d’un sursis à leur renvoi, de sorte que leur demande ne deviendra pas théorique. Suivant les défendeurs, le fait d’ajouter une autre partie inutile dans la présente affaire ne fera qu’augmenter les coûts et ajouter des inconvénients. Bien que l’ACAADR affirme qu’elle a aidé à préparer le dossier, les défendeurs soutiennent qu’elle n’avait pas besoin de se voir reconnaître la qualité de partie pour ce faire et que l’on ne dispose d’aucun élément de preuve au sujet de l’ampleur de l’aide qu’elle a apportée. Les défendeurs admettent que toutes choses étant égales par ailleurs, les parties ayant qualité pour agir de plein droit devraient être préférées à l’ACAADR.

[33]      Les défendeurs affirment en outre que rien ne permet de penser que d’autres demandeurs ne disposent pas des ressources nécessaires pour formuler leurs propres contestations ou que la participation de l’ACAADR empêcherait ceux qui ont suffisamment de ressources de présenter des demandes parallèles qui créeraient une jurisprudence contradictoire. Les défendeurs affirment également que l’ACAADR a mal interprété la position des défendeurs dans d’autres affaires. Les défendeurs ne prétendent pas que les demandeurs doivent poursuivre un appel futile devant la SAR; ils s’en prennent seulement à la tentative des demandeurs de contester l’absence d’un droit d’appel par le biais du contrôle judiciaire d’une décision de la SPR. Si les demandeurs en question avaient introduit une demande distincte dans laquelle ils auraient soulevé uniquement les questions constitutionnelles, les défendeurs n’auraient rien trouvé à redire.

[34]      Les défendeurs soulignent également que l’ACAADR a participé à la plupart des dossiers en question uniquement à titre d’intervenante. Bien que l’ACAADR se soit effectivement vu reconnaître la qualité de partie dans l’affaire Médecins canadiens, les défendeurs affirment qu’il y a lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et cette affaire parce que : 1) les dispositions contestées en l’espèce ne concernent que des ressortissants provenant de POD et qu’il n’y a aucune autre catégorie de personnes visées qui ne sont pas devant la Cour; 2) rien ne permet de penser que l’ACAADR a fait des efforts concertés pour recruter d’autres plaideurs; 3) les personnes visées par les dispositions contestées ont déjà vu leur demande rejetée, de sorte qu’elles ne craignent pas la vengeance du gouvernement si elles contestent la constitutionnalité du régime POD; 4) le dossier de preuve compilé dans l’affaire Médecins canadiens débordait le cadre de ce à quoi l’on pouvait s’attendre de la part d’un demandeur d’asile individuel alors qu’en l’espèce, G.S. et C.S. ont été en mesure de monter un dossier pratiquement identique sans l’aide de l’ACAADR.

[35]      Les défendeurs reprochent par ailleurs à l’ACAADR d’avoir déposé son avis de demande en même temps que celui d’Y.Z., alors qu’il incombait à l’ACAADR de démontrer qu’elle pouvait se voir reconnaître la qualité pour agir. Les défendeurs demandent à la Cour de réprouver cette façon d’agir étant donné qu’elle impose de façon injuste aux défendeurs l’obligation de présenter une requête pour contester la qualité pour agir dans l’intérêt public. Bien que cette requête ait finalement été rejetée pour cause de retard, les défendeurs ont néanmoins été autorisés à soulever les mêmes arguments à l’audience. Ils affirment qu’il serait injuste de voir leur requête déférée au juge des requêtes, qui la rejetterait en raison de son caractère théorique, et ils demandent une décision sur le fond.

C.        Analyse

[36]      Les défendeurs soutiennent que l’ACAADR a contourné les règles de procédure de la Cour fédérale en se désignant elle-même comme partie lorsque Y.Z. a introduit sa demande. Cet argument est mal fondé. Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (Loi sur les Cours fédérales) prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée « par quiconque est directement touché par l’objet de la demande » et la Cour d’appel [fédérale] a déclaré que ces termes étaient « suffisamment larges pour englober les demandeurs qui ne sont pas directement touchés si toutefois ils ont qualité pour agir dans l’intérêt public » (Canada (Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 213, [2006] 1 R.C.F. 53, au paragraphe 56). La qualité pour agir est revendiquée chaque fois qu’une partie présente une demande de contrôle judiciaire et les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, n’exigent pas qu’une partie prouve sa qualité pour agir au moyen d’une requête préliminaire.

[37]      Il n’y a aucune raison pour laquelle une partie devrait avoir à apporter cette preuve. Il incombe à l’ACAADR de démontrer qu’elle a la qualité pour agir, mais cela est vrai pour tous les plaideurs, et ce, qu’ils agissent dans l’intérêt public ou dans l’intérêt privé (Downtown, au paragraphe 18). Il ne s’ensuit pas pour autant qu’ils doivent également prouver qu’ils ont la qualité pour agir à titre préliminaire. Une telle règle serait contraire aux indications données dans l’arrêt Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607 (Finlay), aux pages 616 et 617, dans laquelle la Cour suprême s’est dite d’avis que, dans de nombreuses situations, il n’était pas possible de se prononcer sur la question de la qualité pour agir sans tenir d’audience en bonne et due forme : « [c]ela dépend de la nature des points litigieux et de savoir si le dossier dont la cour est saisie, les énoncés des faits et du droit, et les arguments invoqués sont suffisants pour lui permettre de bien comprendre, au stade de l’exception préliminaire, la nature de l’intérêt invoqué » (Finlay, à la page 617). Ces questions sont encore plus importantes dans le cas des demandes de contrôle judiciaire soumises à la Cour; ces demandes sont censées être des procédures sommaires où l’on tente de « parvenir au stade de l’audition le plus rapidement possible » (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), aux pages 596 à 598; LIPR, alinéa 74c); Loi sur les Cours fédérales, paragraphe 18.4(1)). Les décisions préliminaires sont en règle générale peu encouragées, non seulement sur les questions de qualité pour agir, mais également sur toute autre question (Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 374, au paragraphe 13; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, aux paragraphes 47 et 48).

[38]      Il n’y a donc rien d’irrégulier dans la façon dont l’ACAADR a fait valoir sa qualité pour agir et il n’y a rien d’inéquitable dans le fait que la décision de reconnaître la qualité pour agir à l’ACAADR à cette étape-ci ne causerait aucun préjudice aux défendeurs. Toutes les questions présentement soumises à la Cour devraient être examinées même si Y.Z., G.S. et C.S. étaient les seuls demandeurs. Dans une situation semblable, la Cour d’appel de l’Ontario a, dans l’arrêt Bedford v. Canada (Attorney General), 2012 ONCA 186, 109 O.R. (3d) 1, au paragraphe 50, inf. en partie pour d’autres motifs à 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, refusé de même aborder la question de la qualité pour agir, la jugeant non pertinente.

[39]      Les défendeurs réclament cependant une décision sur le fond de leur requête, et ce, même si j’avais conclu qu’il y avait lieu de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public à l’ACAADR en l’espèce, étant donné que cette mesure permettrait de trancher de façon raisonnable et efficace les questions litigieuses soulevées par les présentes demandes.

[40]      Les défendeurs admettent qu’il y a une question sérieuse relevant des tribunaux et j’abonde dans leur sens. La constitutionnalité de l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est certainement un « point constitutionnel important [qui est] loin d’être futile » (Downtown, au paragraphe 54).

[41]      Quant à savoir si l’ACAADR a un véritable intérêt dans la présente affaire, « ce facteur tradui[t] la préoccupation de conserver les ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les simples trouble-fête […] [et] concerne la question de savoir si le demandeur a un intérêt réel dans les procédures ou est engagé quant aux questions qu’elles soulèvent » (Downtown, au paragraphe 43). L’ACAADR n’est pas un simple trouble-fête. L’ACAADR est une organisation qui comprend de nombreux avocats expérimentés spécialisés en immigration et en droit des réfugiés et l’une des raisons d’être de sa mission est de [traduction] « se faire le défendeur des personnes ayant des problèmes juridiques en droit des réfugiés ou en droit d’asile et de l’immigration » (affidavit de Mitchell Goldberg (15 septembre 2014), au paragraphe 4 (l’affidavit de Goldberg)). L’ACAADR avait d’ailleurs exprimé des réserves au sujet du régime POD devant le Parlement au moment où la LPSIC y était débattue. De plus, l’ACAADR a pleinement participé à la présente affaire depuis le début, démontrant ainsi son intérêt.

[42]      Reconnaître à l’ACAADR la qualité pour agir dans l’intérêt public constitue également une façon raisonnable et efficace de soumettre à la Cour les questions constitutionnelles soulevées au sujet de l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR. Les ressources et les compétences de l’ACAADR font en sorte que les questions constitutionnelles ont été formulées dans un cadre contextuel concret. Bien que l’existence d’éventuels autres demandeurs d’asile soit une considération pertinente, l’ACAADR a joint sa demande à celle de trois particuliers, garantissant ainsi qu’il n’y aura pas de gaspillage des ressources judiciaires (Downtown, au paragraphe 50). De plus, il est nécessaire d’envisager la possibilité concrète que d’autres demandeurs d’asile soumettent la question à la Cour par des moyens tout aussi raisonnables et efficaces en tenant compte du fait que d’autres éventuels demandeurs d’asile pourraient être expulsés avant même d’être en mesure de contester la loi (voir LIPR, paragraphe 48(2); affidavit de James Gildiner (30 septembre 2014)). La plupart des demandeurs d’asile arrivent au Canada avec peu d’argent et ne disposent pas de suffisamment de moyens financiers pour plaider des questions constitutionnelles complexes, tandis que l’ACAADR a obtenu d’Aide juridique Ontario un financement pour des causes types (affidavit de Goldberg, aux paragraphes 15 et 20; affidavit de Dolores De Rico (23 juin 2013), au paragraphe 3). L’ACAADR sera bien placée pour poursuivre le présent litige advenant le cas où Y.Z., G.S. ou C.S. ne pourraient pas ou ne voudraient pas le faire.

[43]      En outre, l’ACAADR et deux autres organismes se sont vus reconnaître l’intérêt pour agir dans l’intérêt public par la Cour dans l’affaire Médecins canadiens, dans laquelle ma collègue la juge Anne Mactavish a fait observer ce qui suit en ce qui concerne l’ACAADR en tant qu’une des trois organisations qui cherchaient à obtenir la qualité pour agir dans cette affaire [aux paragraphes 347 et 348] :

Les trois organismes demandeurs qui cherchent à obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public en l’espèce sont des organismes crédibles dont l’expertise n’est plus à démontrer en ce qui concerne les questions soulevées dans les présentes demandes. Ils sont représentés par un avocat expérimenté, et ils ont la capacité, les ressources et les compétences nécessaires pour présenter les questions dans un contexte factuel suffisamment concret et élaboré : Downtown Eastside, précité, au paragraphe 51. On peut conclure que la présente action constitue une façon efficace de soumettre à la Cour les questions soulevées dans la présente procédure, et ce, dans un contexte favorable à ce qu’une décision soit rendue dans le cadre du système contradictoire.

Les membres de l’ACAADR comptent une vaste expérience en matière de droit des réfugiés, et cet organisme défend activement les réfugiés. Bien qu’il s’agisse d’un organisme assez récent, la Cour suprême du Canada lui a déjà accordé la qualité pour agir à titre d’intervenant dans au moins trois affaires : Downtown Eastside; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; et Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678.

VI.       Les affidavits déposés en preuve

[44]      Les parties ont déposé plus de 25 affidavits qui renferment des dépositions écrites ainsi que de nombreuses annexes. Les défendeurs cherchent à faire radier certains des affidavits déposés par les demandeurs, ou des parties de ces affidavits.

[45]      Avant d’aborder le bien-fondé de la requête des défendeurs, il est utile de résumer certains des éléments de preuve présentés par les parties.

A.        Les affidavits déposés par les demandeurs

[46]      Y.Z. est l’un des demandeurs dans le dossier IMM-3700-13. Il explique qu’il craint d’être persécuté en Croatie parce qu’il est Serbe et homosexuel. Sa demande d’asile a été rejetée par la SPR, mais il maintient qu’il pourrait être attaqué ou même tué s’il vivait ouvertement comme homosexuel en Croatie et qu’il se suiciderait ou mourrait d’une [traduction] « mort lente » s’il devait cacher son orientation sexuelle. Il a commencé à fréquenter des hommes au Canada et il est craintif et anxieux chaque fois qu’il songe à la possibilité d’être renvoyé en Croatie. Il a présenté certains éléments de preuve récents au sujet de la situation en Croatie sous forme d’annexe.

[47]      G.S. est l’un des demandeurs dans le dossier no IMM-5940-14. Cet homme homosexuel originaire de la Hongrie a vu sa demande d’asile refusée par la SPR au motif que l’État hongrois était en mesure d’assurer sa protection, ainsi que celle de son conjoint, C.S. Il a expliqué, dans son premier affidavit du 3 septembre 2014, que sa famille a depuis découvert qu’il était homosexuel et que ses beaux-frères avaient juré de le tuer parce qu’il les avait déshonorés. Dans son deuxième affidavit du 21 octobre 2014, G.S. a déclaré qu’il était contrarié de constater qu’il avait moins de droits procéduraux que d’autres demandeurs d’asile simplement parce qu’il est originaire de la Hongrie. Bien que la Cour ait sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre G.S. et C.S., G.S. affirme que c’est la pire chose qui leur soit arrivée depuis leur admission au Canada. Il est terrorisé à l’idée de devoir retourner en Hongrie et lui et son conjoint ont fait de l’insomnie pendant des jours. Le traitement de leur demande d’asile dans son ensemble s’est avéré très frustrant pour eux, et G.S. affirme que les fonctionnaires de l’ASFC ont eu [traduction] « un petit sourire narquois » lorsqu’ils ont appris que lui et son conjoint étaient originaires de la Hongrie. G.S. affirme également que deux de ses amis qui habitaient le même immeuble que lui en Hongrie avaient le même avocat et avaient obtenu le droit d’asile en invoquant essentiellement les mêmes éléments de preuve. G.S. est également contrarié de ne pouvoir obtenir un permis de travail, expliquant que les prestations d’aide sociale ne sont pas suffisantes. Lui et son conjoint exerçaient tous les deux des carrières qui leur permettaient de vivre aisément en Hongrie, mais, sans permis de travail, ils ont été contraints d’accepter des emplois précaires et de travailler trois fois plus fort que leurs collègues canadiens pour le même salaire. G.S. affirme également que lui et C.S. veulent qu’on leur donne l’occasion de contribuer à la société canadienne. Vivre au Canada leur a permis à lui et à son conjoint de ressentir un sentiment de dignité qu’ils n’auraient jamais cru possible et il affirme que le priver de ce sentiment serait de la torture.

[48]      C.S. est l’autre demandeur dans le dossier no IMM-5940-14. Il s’agit d’un homme homosexuel originaire de la Roumanie qui est également citoyen de la Hongrie. Il a expliqué qu’il ne pouvait vivre ouvertement avec G.S. en Roumanie ou en Hongrie parce qu’il risquait de faire l’objet de violentes persécutions. Le fait de pouvoir vivre ensemble en couple au Canada s’est avéré une expérience incroyablement positive pour eux. Il explique qu’il est frustré et consterné par le processus d’octroi du droit d’asile au Canada et que d’être l’objet des tentatives faites par l’ASFC pour l’expulser a été pour lui l’une des expériences les plus traumatisantes de sa vie.

[49]      Mitchell Goldberg est le vice-président de l’ACAADR. Il explique que l’ACAADR est composée de nombreux juristes et universitaires expérimentés en droit des réfugiés et que l’ACAADR s’est vue reconnaître le statut de partie ou d’intervenante dans de nombreuses affaires. Il signale que le système canadien d’immigration et de droit des réfugiés a fait l’objet de réformes en profondeur et que l’ACAADR a formulé des observations devant le Comité permanent sur l’immigration lorsque le Parlement débattait de ce qui allait devenir la LPSIC. Les POD ont toujours été un sujet de préoccupation important; ils ont eu pour effet de créer un régime qui, selon ce que craint l’ACAADR, a créé une véritable menace pour la vie et un risque pour la liberté et la sécurité des clients de ses membres. Il explique également qu’il est difficile pour les demandeurs d’asile eux-mêmes de contester la constitutionnalité de cette loi, étant donné qu’ils ne disposent pas de suffisamment de ressources et qu’ils risquent d’être expulsés dès que leurs demandes sont rejetées. D’ailleurs, seul Y.Z. était disposé à contester la loi au moment où la présente demande a été introduite. Bien que Y.Z. puisse être en mesure d’invoquer la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’origine ethnique, M. Goldberg affirme que seule l’ACAADR peut représenter certains des autres intérêts en jeu, notamment ceux des femmes qui fuient un pays en raison de persécutions fondées sur le sexe. L’ACAADR est également bien placée pour présenter des éléments de preuve et elle pourrait poursuivre un appel si l’affaire devient théorique pour Y.Z.

[50]      Dolores De Rico est codirectrice et cofondatrice du Centre de réfugiés des Fidèles Compagnes de Jésus [FCJ Refugee Centre], lequel offre hébergement et assistance aux femmes réfugiées et à leurs enfants. Également présidente du Conseil canadien pour les réfugiés, elle a beaucoup travaillé auprès de ceux-ci. De son avis, les réfugiés arrivent souvent avec très peu d’argent et ne peuvent engager d’avocats sans recourir à l’aide juridique.

[51]      Chargé de cours au département de science politique de l’Université Wilfrid-Laurier, Christopher Anderson dit avoir consacré beaucoup de temps à l’étude de la politique du Canada en matière d’immigration et de réfugiés. Son affidavit, en date du 17 juin 2013, porte principalement sur les tendances historiques qui caractérisent la politique du Canada concernant l’immigration et les réfugiés. À son avis, le désir du Canada d’attirer certains immigrants a toujours été accompagné d’une volonté d’en exclure d’autres, et des stéréotypes négatifs ont souvent servi à établir les groupes à exclure (notamment les réfugiés et les demandeurs d’asile). À certaines époques, cela s’est fait par une discrimination raciale explicite, comme ce fut le cas pour la taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois. Le Canada a fait preuve de discrimination à l’égard d’autres groupes, notamment les immigrants du Japon et des Indes orientales. Cela ne s’est pas toujours fait au moyen de la loi, ajoute le professeur Anderson, et la tendance à attribuer un vaste pouvoir de réglementation à l’autorité exécutive a quelque peu soustrait les lois sur l’immigration à l’examen du Parlement et du public. Les mesures restrictives prises par le Canada pour exclure les Arméniens fuyant le génocide, à l’époque de la Première Guerre mondiale, et pour exclure les Juifs dans les années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale en sont un bel exemple, soutient le professeur.

[52]      Après l’Holocauste, il est devenu plus difficile pour le Canada de défendre ses politiques explicitement racistes, mais le professeur Anderson affirme que le Canada a tout simplement dissimulé le débat racial sous un discours mentionnant rarement quels groupes seraient l’objet de restrictions, tout en s’assurant que certains le seraient. Le Canada a continué à faire preuve de discrimination en accordant de larges pouvoirs discrétionnaires aux fonctionnaires leur permettant d’établir des catégories géographiques d’immigrants ayant priorité. M. Anderson soutient que les derniers vestiges de la discrimination formelle ne disparurent qu’en 1967 et que le Canada s’est par la suite formellement engagé à promouvoir l’égalité en édictant l’alinéa 3f) de la Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52. Le professeur Anderson affirme que, tandis que la discrimination raciale explicite s’estompait, des préoccupations quant à la sécurité et à des abus découlant de la guerre froide érigeaient des barrières pour les réfugiés fuyant l’oppression politique. Il est en effet d’avis que le Canada n’a pas signé initialement la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention) en partie parce qu’il ne voulait pas reconnaître à des non-citoyens indésirables, notamment des communistes, des droits qu’ils auraient pu faire valoir contre l’État pour éviter l’expulsion. Les demandes d’asile ont d’abord été traitées de manière informelle, mais un processus officiel a par la suite été mis en place, par crainte d’abus. Cette crainte d’abus est également la raison pour laquelle les demandeurs n’avaient pas droit à une audience avant que la Cour suprême n’intervienne dans l’affaire Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177. Le professeur Anderson ajoute que cet argument fondé sur la sécurité et les abus continue aujourd’hui d’influencer la politique concernant les réfugiés et à motiver tant l’imposition d’exigences en matière de visas qu’à influencer la façon dont le gouvernement gère les modalités d’accueil des personnes en situation irrégulière.

[53]      Cathryn Costello enseigne le droit à l’Université d’Oxford et travaille dans le domaine du droit des réfugiés depuis les années 1990. Elle se présente comme une experte en droit international et européen des réfugiés; dans son affidavit, elle évalue le régime des POD à la lumière de sa connaissance des dispositions relatives aux pays d’origine sûrs (POS) dans la législation de l’Union européenne (UE) sur le droit d’asile. Même si la directive originale de l’UE sur les POS semblait offrir peu de garanties sur le plan procédural, la professeure Costello souligne qu’elle ne peut pas être interprétée de façon littérale, et ce, pour plusieurs raisons : les directives de l’UE doivent être mises en œuvre à l’échelon national; des parties de la directive et l’application du droit interne ont été invalidées; la désignation d’un pays sûr ne doit jamais avoir pour conséquence de priver un demandeur de formalités équitables requises à l’intérieur du pays ni d’un recours judiciaire utile. En 2013, fait observer la professeure Costello, l’UE a adopté une directive de refonte concernant les POS qui tient désormais compte du droit fondamental à un appel avec effet suspensif et les exceptions sont assorties de garanties importantes comme le droit de demander un effet suspensif. La refonte de la directive fait également en sorte que le concept de POS sert essentiellement à accélérer la procédure et qu’il ne peut pas servir à considérer une demande comme infondée sans qu’il y ait eu appréciation spécifique de la situation particulière de l’intéressé. Pour déterminer si un pays est un POS, il faut se référer à un éventail de sources, et l’application du concept de POS demeure réfutable selon la situation particulière de l’intéressé. Mme Costello soutient que le mécanisme des POS comporte des lacunes et qu’il est susceptible de mener à de mauvaises décisions et au refoulement de personnes.

[54]      La professeure Costello passe également en revue le régime des POD et conclut qu’il est encore pire que le régime des POS de l’UE. Elle estime que les critères quantitatifs à partir desquels on désigne un pays sont douteux, notamment parce qu’ils comprennent les demandes abandonnées et retirées dans leurs calculs; il est également problématique que ces critères soient fondés sur les statuts de réfugié reconnus dans le passé et non sur la situation actuelle ou prévue du pays. En ce qui concerne les critères qualitatifs, la professeure Costello estime qu’ils sont généraux et qu’ils ne tendent pas suffisamment à déterminer si un pays est susceptible de produire des réfugiés. Le processus de désignation d’un pays est secret, ce qui est problématique; la professeure Costello est d’avis que ce processus devrait pouvoir être attaqué devant les tribunaux et pouvoir être révisé selon l’évolution de la situation du pays. Elle ajoute que le processus a des conséquences défavorables, plus particulièrement dans la mesure où des demandeurs sont privés d’un droit d’appel avec effet suspensif, droit qui constitue une exigence fondamentale d’un processus d’asile équitable. Elle conclut que le régime des POD aura un effet néfaste considérable sur l’appréciation des demandes d’asile.

[55]      Sean Rehaag est professeur agrégé à la Osgoode Hall Law School; il se spécialise en droit de l’immigration et des réfugiés et de ce qui en découle en matière de sexe et de sexualité. Dans son affidavit, daté du 12 juin 2013, le professeur Rehaag remet en question l’utilisation du critère quantitatif pour la désignation d’un pays. Il soutient que les statistiques concernant les décisions rendues au sujet des demandes d’asile concernant un pays donné peuvent varier considérablement au fil du temps, en raison de changements dans la situation du pays et de facteurs aléatoires. Il souligne que certains pays qui satisfont aux critères quantitatifs de désignation une année donnée peuvent avoir des taux élevés de reconnaissance dans les années subséquentes. La Corée du Nord, par exemple, satisfaisait aux critères quantitatifs en 2008, malgré le fait que pour la plupart des années la majorité des demandes de ce pays, qui ont été jugées sur le fond, ont été accueillies. M. Rehaag ajoute que le problème est aggravé du fait que les demandes abandonnées et retirées sont prises en considération dans le calcul du taux de rejet; cela peut donner l’impression que les demandes d’un pays donné sont souvent rejetées, alors qu’il peut simplement s’agir d’une situation où de nombreuses demandes n’ont pas été inscrites au calendrier des audiences de la C.I.S.R. pour un examen sur le fond. Un autre problème vient du fait qu’un pays peut être sûr pour de nombreux demandeurs, mais ne pas l’être pour certains sous-groupes de demandeurs. Le professeur Rehaag fait plus particulièrement état des demandes fondées sur le sexe et l’orientation sexuelle; ces demandes, déclare-t-il, sont généralement plus susceptibles d’être accueillies que les autres types de demandes du même pays d’origine, sans compter que les demandeurs peuvent souvent provenir de pays qui ne produisent généralement pas beaucoup de réfugiés. Enfin, il soutient que les données qu’utilise la C.I.S.R. pour effectuer ses calculs ne peuvent pas constituer des données démographiques fiables, puisque tel n’est pas leur objectif. Le professeur estime que cela ne peut pas rendre compte correctement des demandeurs qui sont des ressortissants de divers pays ou dont la SPR a conclu qu’ils provenaient d’autres pays que ceux dont ils se prétendaient originaires.

[56]      Le 20 mai 2014, le professeur Rehaag a souscrit un autre affidavit tenant compte, celui-là, du rapport de la C.I.S.R. sur la situation dans le pays qui a servi à toutes les décisions rendues en 2013. Il a soutenu que cela n’influençait pas son analyse. Il a souscrit un affidavit supplémentaire le 8 décembre 2014 pour révéler qu’il était membre de l’ACAADR et qu’il siège à son comité du contentieux. Lorsqu’il a été contre-interrogé toutefois, M. Rehaag a précisé qu’il n’avait pas pris part à la décision de l’ACAADR de se joindre aux présentes demandes.

[57]      Julianna Beaudoin est titulaire d’un doctorat en anthropologie; sa thèse portait sur les Roms au Canada et les divers problèmes auxquels ils sont confrontés. Dans son premier affidavit, en date du 13 juin 2013, Mme Beaudoin déclare que les Roms sont souvent dépeints et traités négativement et que les Canadiens manquent d’informations précises sur les personnes de ce groupe ethnique. En raison du très faible contact de la population avec les Roms, elle considère que la situation devient problématique lorsque des représentants de l’État affirment que ceux-ci font des demandes « bidon » ou ne méritent pas l’asile. Elle est aussi d’avis qu’on ne devrait pas, dans le cadre du régime des POD, considérer les demandes abandonnées et retirées comme des demandes rejetées, puisque cela ne rend pas compte de la proportion dans laquelle les demandes sont accueilles par la SPR. Elle soutient notamment qu’il peut y avoir plusieurs raisons pour lesquelles une demande peut être retirée ou abandonnée, qui n’ont rien à voir avec le fait qu’une personne pourrait on non être victime de persécution dans son pays d’origine. Elle souligne que certains Roms sont analphabètes, même dans leur langue maternelle, et qu’il peut être difficile de corriger les renseignements erronés qui circulent dans leur communauté. Mme Beaudoin dit avoir interrogé un grand nombre d’immigrants roms pour sa thèse et rapporte quelques-unes des raisons pour lesquelles des demandes ont été abandonnées, à savoir les suivantes : soit leurs représentants les ont escroqués, soit ils étaient incompétents; certains demandeurs n’ont pas compris qu’ils ne pouvaient pas rentrer chez eux pour n’importe quelle raison ou ont cru à tort qu’ils pouvaient refaire leur demande plus tard; certains demandeurs doivent changer d’adresse fréquemment et ne se rendent pas compte de l’importance d’en informer la C.I.S.R., ce qui leur fait manquer les échéances; certains demandeurs souffrent d’incapacité mentale qui complique les choses; certains se sont découragés lorsqu’ils ont entendu un ancien ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration dire que leurs demandes étaient « bidon ». Mme Beaudoin dit aussi que les réclamations non fondées ne sont pas toutes frauduleuses. Elle conclut en disant que même si certains Roms tentent de commettre une fraude en matière d’immigration, il est raciste de généraliser ce comportement à tous les demandeurs roms.

[58]      Dans son affidavit supplémentaire daté du 18 septembre 2014, Mme Beaudoin explique sa méthodologie. Elle affirme avoir réalisé plus d’une centaine d’entrevues, sans toutefois chercher à recueillir un échantillon statistiquement significatif. Elle a également effectué des recherches quantitatives et archivistiques dans le cadre de son travail de terrain. Enfin, elle dit s’être investie à fond dans l’« anthropologie appliquée », car il serait contraire à l’éthique d’étudier une population marginalisée sans plaider en faveur d’un meilleur sort pour celle-ci.

[59]      Nicole LaViolette est professeure de droit à l’Université d’Ottawa; elle travaille dans le domaine du droit des réfugiés depuis le début des années 1990. Elle se présente comme une experte en demandes d’asile fondées sur l’orientation et l’identité sexuelles. Dans un affidavit daté du 16 septembre 2014, elle émet l’avis que les délais abrégés et l’incapacité de présenter de nouveaux éléments de preuve après le rejet d’une demande d’asile empêche un règlement équitable des demandes d’asile fondées sur l’orientation et l’identité sexuelles. Elle ajoute que les délais plus courts touchent ce type de demandeurs plus que les autres pour deux principales raisons : d’abord, les problèmes psychosociaux fréquents chez les demandeurs de la communauté LGBTQ (lesbienne, gaie, bisexuelle, transidentitaire et queer) (demandeurs LGBTQ) — notamment la stigmatisation sexuelle intériorisée, les problèmes de santé mentale et l’isolement social — peuvent empêcher la divulgation opportune et complète des faits liés à leur demande et le dévoilement de leur identité; ensuite, des difficultés à réunir des éléments de preuve peuvent apparaître pour différentes raisons, dont les suivantes : les demandeurs peuvent avoir besoin de plus de temps pour que la confiance s’installe avant de raconter leur histoire; il est plus difficile de recueillir des éléments de corroboration parce que les demandeurs sont souvent coupés de ceux qui les connaissaient dans leur pays d’origine et parce que la persécution qu’ils fuient se passe parfois en privé; ils peuvent avoir besoin de rapports d’experts en santé mentale; ils doivent faire preuve de plus de débrouillardise pour prouver que la situation dans leur pays est dangereuse pour eux, puisque les documents se rapportant au pays disent peu de choses, quand ils ne sont pas muets, au sujet de la persécution des minorités sexuelles.

[60]      Brian Brenie est coordonnateur des programmes pour les réfugiés à la Metropolitan Community Church of Toronto. Il œuvre auprès des demandeurs LGBTQ depuis plus de sept ans. Dans son affidavit daté du 14 juin 2013, il soutient que les nouveaux délais sont trop courts pour de nombreux demandeurs LGBTQ. Ces demandeurs ont souvent vécu toute leur vie dans le secret; c’est pourquoi M. Brenie estime qu’ils ont besoin de temps pour s’adapter au Canada et trouver de l’aide avant de pouvoir livrer pleinement leur témoignage, ce qu’ils ne peuvent faire dans un délai de 30 ou de 60 jours. En outre, M. Brenie soutient qu’il existe un grand nombre de pays d’où ne proviennent habituellement pas les réfugiés, mais qui persécutent les personnes LGBTQ.

[61]      Woo Jin Edward Lee est un membre actif d’Action LGBTQ avec immigrantEs et réfugiéEs (AGIR). Dans son affidavit, il cite des statistiques sur l’œuvre d’AGIR auprès des demandeurs LGBTQ. Il est lui aussi d’avis qu’un délai de 30 ou de 45 jours est trop court pour permettre aux demandeurs LGBTQ d’avoir accès aux organismes de soutien et de services comme AGIR, en partie parce que des besoins immédiats, notamment le logement et l’alimentation, doivent être satisfaits en priorité. Il estime donc que le délai est trop court et que cela empêche un règlement complet et équitable de leurs demandes. Leur incapacité de s’adresser à un tribunal où ils peuvent fournir de nouveaux éléments de preuve constitue un problème. Il ajoute que le Mexique, bien qu’il s’agisse d’un pays désigné, n’est pas sûr pour l’ensemble de ses citoyens LGBTQ et souligne que, si le régime des POD avait été en vigueur en 2009, seulement deux des huit demandeurs d’asile acceptés, soutenus par AGIR, auraient communiqué avec l’organisme avant leur audience.

[62]      Michael Battista est avocat en Ontario depuis 1992; il a représenté des milliers de demandeurs d’asile depuis, dont environ 80 p. 100 étaient des personnes LGBTQ. Il déclare qu’un certain nombre de facteurs combinés rendent ces demandes plus compliquées que la plupart des autres et que le processus tronqué pour les demandeurs issus de POD complique encore plus leurs démarches. M. Battista mentionne plus particulièrement les problèmes suivants : 1) les pays sûrs pour la plupart des gens ne le sont pas pour les personnes LGBTQ; 2) la meilleure preuve de l’orientation sexuelle est le lien avec la communauté LGBTQ, mais cette communauté peut avoir vécu dans la clandestinité dans le pays d’origine et les demandeurs ont besoin de temps pour s’intégrer à la communauté LGBTQ au Canada; 3) les demandeurs LGBTQ ont souvent besoin de l’aide de professionnels en santé mentale, aide qu’ils peuvent ne pas avoir le temps de recevoir dans des délais limités; 4) les demandeurs peuvent ne pas avoir pleinement conscience de la possibilité qu’ils ont de présenter une demande d’asile pour des raisons d’orientation sexuelle, car cette possibilité n’est pas expressément mentionnée dans la Convention et il est d’autant plus difficile pour eux de le savoir que la communauté ethnique à laquelle ils appartiennent peut avoir des préjugés contre les personnes LGBTQ; 5) peu de documents sur la situation du pays font état des risques auxquels la communauté LGBTQ s’expose.

[63]      Sharalyn Jordan est chargée de cours en psychologie de l’orientation à l’Université Simon Fraser. Depuis 2004, elle est bénévole au Rainbow Refugee Committee, une association communautaire qui soutient et défend les demandeurs d’asile LGBTQ. À ce titre, elle est venue en aide à plus de 300 réfugiés LGBTQ. Son expérience lui a fait constater que de nombreux demandeurs ne faisaient pas confiance à l’État et craignaient que le fait de demander de la protection fasse d’eux des cibles. Il peut aussi être difficile de prouver qu’une demande est fondée, notamment pour les demandeurs d’asile issus de pays qui, autrement, semblent sûrs, puisque la persécution des demandeurs LGBTQ est souvent cachée et très stigmatisée. Elle affirme que de nombreux demandeurs fuyant les persécutions fondées sur l’orientation ou l’identité sexuelles ont caché cet aspect de leur vie pendant des années, ce qui rend difficile la collecte de preuves. Mme Jordan ajoute qu’il faut généralement beaucoup de temps avant que les demandeurs LGBTQ fassent suffisamment confiance à leur avocat pour divulguer des renseignements importants et se préparent mentalement à témoigner; de plus, ces demandeurs ont souvent des antécédents de traumatisme complexe qui peuvent nuire à leur mémoire.

[64]      Patricia Durish, qui est travailleuse sociale clinique depuis plus de 15 ans, a effectué plus de 250 évaluations des traumatismes, dont une majorité en faveur de demandeurs d’asile. Dans son affidavit daté du 25 juin 2013, elle aborde trois contraintes liées à la façon dont le processus des POD traite les demandes des personnes ayant vécu un traumatisme : 1) le fait qu’un pays démocratique soit « désigné » ne garantit pas que la culture du pays reconnaît et aborde le problème de la violence fondée sur le sexe, sur la race ou sur l’identité sexuelle; Mme Durish donne de nombreux exemples de clients traumatisés qu’elle a rencontrés, issus de POD qui ne leur offraient aucune protection; 2) les délais très courts ne tiennent pas compte de la façon dont le traumatisme est traité et il est irréaliste de penser que des personnes ayant vécu un traumatisme peuvent consciemment raconter les expériences qui les ont traumatisées et parler de leurs symptômes d’une manière cohérente et spontanée; 3) le taux d’acceptation des demandes précédentes est biaisé et non fiable, parce que le système met l’accent sur la connaissance et l’autonomie, défavorisant ainsi les personnes qui ont vécu un stress traumatique.

[65]      Amanda Dale est directrice administrative de la Barbra Schlifer Commemorative Clinic depuis mai 2010. Depuis 25 ans, la clinique, qui lutte contre la violence envers les femmes, fournit des services de première ligne aux femmes qui ont été victimes de violence; elle fournit également des services de représentation juridique dans de nombreux domaines, notamment en droit des réfugiés et de l’immigration. Dans son affidavit, daté du 4 juillet 2014, Mme Dale déclare que les femmes sont souvent vulnérables à la violence et ne peuvent y échapper sans devoir surmonter un certain nombre d’obstacles. Parmi les situations fréquentes que vivent les réfugiées, il y a des femmes qui fuient la violence, d’autres qui arrivent au Canada avec un conjoint violent qui prend en charge la demande d’asile et d’autres encore qui quittent un conjoint violent pendant le processus de parrainage, ce qui met fin au processus. Mme Dale dit que les récentes modifications apportées à la législation sur les réfugiés touchent ces femmes d’une manière disproportionnée. Elle déclare que beaucoup de femmes sont souvent victimes de discrimination systémique et de violence, même dans les pays réputés « sûrs », et que le régime des POD ne tient pas compte de ce fait. Elle ajoute que les délais réduits qui s’appliquent aux demanderesses de pays désignés signifient qu’elles ne seront pas en mesure de prouver correctement le bien-fondé de leur demande, puisque la violence au foyer se passe en secret et que le lien de confiance risque de ne pas s’établir à temps pour que les victimes se confient à leur avocat. En outre, si une femme est arrivée avec un partenaire dominant et violent et que celui-ci était le principal demandeur d’asile, la SPR risque de ne jamais connaître le fondement véritable des démarches de la demanderesse, puisque celle-ci peut être expulsée avant de pouvoir demander de rouvrir sa demande, ou même alors qu’elle attend une décision relativement à une telle demande. Mme Dale soutient que, depuis que le régime des POD a été adopté, d’autres maisons d’hébergement ont signalé que des femmes provenant de POD ont été expulsées, malgré des antécédents de violence, et qu’elles étaient plus craintives et plus démoralisées.

[66]      Aisling Bondy est une avocate de l’Ontario qui exerce dans le domaine du droit de l’immigration et des réfugiés et qui a représenté quelque 25 demandeurs qui ont vécu une forme de violence au foyer ou de violence fondée sur le sexe. Elle déclare que, dans certains cas, le plus souvent lorsqu’une femme victime de violence dépose sa demande conjointement avec son partenaire, les allégations ne sont formulées que plusieurs mois, voire plusieurs années après le début du processus. Selon Me Bondy, les délais abrégés prévus par le régime des POD font en sorte qu’il est peu probable qu’une femme victime de violence fera état de ses craintes avant l’audience devant la SPR et qu’il devient difficile par la suite de faire une demande pour diverses raisons. Ainsi, il n’y a pas d’appel à la SAR; il peut être difficile de rouvrir une audience devant la SPR après qu’une demande a été refusée; un ERAR n’est pas possible avant 36 mois et, même si une femme tombe sous le coup de l’une des exceptions limitées lui permettant de présenter une demande en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR (une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire) sans avoir à attendre 12 mois, la loi ne prévoit pas de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi et la femme en question sera probablement expulsée avant qu’une décision ne soit rendue. La preuve pose par ailleurs certaines difficultés particulières, puisque la violence conjugale se passe en privé. Me Bondy a représenté une dizaine de demandeurs ayant de graves problèmes de santé mentale; elle soutient qu’ils aussi sont lésés par le régime des POD. Elle affirme que ces demandeurs sont souvent réticents à parler de leur déficience à leur avocat et que les délais raccourcis font qu’il y a de plus fortes chances que leurs troubles mentaux passent inaperçus, ce qui nuit à leur demande s’ils apparaissent comme non crédibles en raison de problèmes de mémoire ou autres.

[67]      Catherine Bruce est une avocate de l’Ontario qui se spécialise en droit de l’immigration et des réfugiés; au cours des 15 dernières années, elle a représenté un millier de demandeurs d’asile du monde entier. MBruce dit avoir représenté environ 80 femmes sud-coréennes et leurs enfants, qui ont été victimes de violence conjugale et familiale. Ces personnes sont parmi les plus traumatisées de tous les clients qu’elle a eus, en plus d’être les personnes les plus vulnérables. Son expérience lui a fait constater que ces demandeurs ont souvent de la difficulté à formuler leur demande, mais que leur statut de réfugiés est reconnu beaucoup plus souvent que les autres demandeurs de la Corée du Sud. Dans son affidavit, elle affirme que 70 p. 100 des femmes et des enfants sud-coréens qu’elle a représentés de 2009 à 2012 se sont vu reconnaître la qualité de réfugiés, même si le taux moyen de reconnaissance pour toutes les demandes provenant de la Corée du Sud n’a été que de 13,5 p. 100 pendant la même période (même si dans son contre-interrogatoire elle a ramené le taux de réussite à 60 p. 100 pour l’adapter à la façon dont le taux de 13,5 p. 100 a été calculé). Elle ajoute que ces cas peuvent être très complexes, la Corée du Sud étant une société patriarcale dans laquelle les femmes sont conditionnées à accepter la violence sans se plaindre. En ce qui concerne les enfants, les châtiments corporels sont largement acceptés en Corée du Sud, ce qui pose des problèmes de procédure, puisque les enfants prennent rarement la parole lors des audiences de la SPR. La Corée du Sud est néanmoins un POD, sans distinction pour les groupes historiquement marginalisés comme les femmes victimes de violence au foyer. Me Bruce affirme que le régime des POD aggrave les risques que ces groupes historiquement marginalisés soient privés de la protection dont ils ont besoin. Elle ajoute que les délais sont trop courts pour que le lien de confiance nécessaire entre ce type de clients et leur avocat s’établisse. MBruce souligne également que, pour réfuter la présomption de protection de l’État dans de tels cas, elle a dû recueillir de nombreux affidavits de personnes dans la même situation. Les délais abrégés rendraient la collecte des éléments de preuve beaucoup plus difficile. De plus, le contrôle judiciaire est une solution inférieure à un appel à la SAR, puisque même si l’issue du contrôle est favorable au demandeur, l’affaire devra être plaidée de nouveau, ce qui peut donner lieu à un nouveau traumatisme.

[68]      Il n’y a pas lieu d’exposer en détail les autres affidavits déposés par les demandeurs. Geraldine MacDonald, James Gildiner et Tibor Tiboz ont tous témoigné de cas particuliers dans lesquels l’ASFC a tenté d’expulser du Canada des demandeurs provenant de POD, avant que la Cour fédérale puisse entendre leur demande de contrôle judiciaire. Les autres affidavits ont apporté des éléments de preuve documentaires ou fait état de diverses demandes d’accès à l’information.

B.        Les affidavits déposés par les défendeurs

[69]      Kay Hailbronner a été proposé comme expert en étude et exercice du droit de l’immigration et des réfugiés allemands, européens et international et en droit international public et en questions connexes de droit international public régissant la migration et la protection des réfugiés. Il a souscrit deux affidavits datés chacun du 19 novembre 2014. Il explique dans son premier affidavit comment le principe fondamental des POS a été élaboré et il en a expliqué le fonctionnement dans le cadre juridique de l’UE. Chaque État membre de l’UE propose sa propre liste de pays sûrs. Les demandeurs d’asile provenant d’un POS ne peuvent obtenir le droit d’asile à moins de réfuter la présomption de pays sûr et il existe normalement des conséquences sur le plan de la procédure ainsi que des délais accélérés. Selon la nouvelle directive, l’article 39 garantit aux demandeurs d’asile un accès raisonnable à une réparation efficace si leur demande est refusée, mais les États membres de l’UE disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de décider si les demandeurs d’asile sont autorisés à demeurer au pays en attendant l’issue de leur demande. Normalement, les délais accélérés ont été acceptés dès lors que les demandeurs d’asile disposent en pratique de suffisamment de temps pour préparer et introduire une action efficace devant le tribunal. Le professeur Hailbronner discute également du protocole Aznar [Protocole (no 24) sur le droit d’asile pour les ressortissants des États membres de l’Union Européenne], qui prévoit essentiellement que les pays de l’UE sont considérés comme étant sûrs l’un vis-à-vis l’autre, à certaines exceptions près. Il explique ensuite en détail les régimes nationaux de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de la France, de la Belgique et de l’Autriche et il formule quelques observations sur d’autres pays. Il conclut qu’en règle générale, les régimes POS de l’UE reflètent le concept fondamental de la présomption réfutable de la sécurité. Il existe une tendance générale au sein des pays de l’UE d’abréger les délais, mais le droit d’appel est généralement reconnu. L’effet suspensif de cet appel a toutefois été souvent restreint ou refusé et peut être suspendu dès lors que le demandeur d’asile a la possibilité de réclamer l’effet suspensif.

[70]      Le second affidavit du professeur Hailbronner se veut une réponse au témoignage de la professeure Costello. Il affirme que les explications que cette dernière donne au sujet du concept des POS sont en grande partie exactes, mais il estime que la comparaison qu’elle fait avec le régime POD canadien n’est pas convaincante. Il n’est pas d’accord pour dire que le modèle de l’UE ou le modèle canadien contreviennent au droit des réfugiés international et il soutient que l’émergence de certains principes fondamentaux d’équité dans le cadre de procédures accélérées en matière d’octroi du droit d’asile ne constitue pas un modèle irréprochable et inébranlable en matière de règles de procédure. Bien que la professeure Costello critique l’absence de critères qualitatifs dans le cas des pays qualifiés de sûrs, le professeur Hailbronner affirme que sa collègue méconnaît le fait que les critères qui sont effectivement pris en compte sont très semblables. Il souligne également le fait que, à la différence du régime européen, le système de désignation canadien des POD ne crée pas de présomption de pays sûrs et que, pour cette raison, il risque moins de produire de fausses décisions négatives. Il ne perçoit aucun risque que des critères quantitatifs donnent lieu à un processus d’examen qualitatif dans ces circonstances, bien qu’il admette que la situation soit inusitée du point de vue européen. Il reconnaît que le droit à une protection judiciaire efficace constitue un principe reconnu en droit de l’UE et qu’un sursis à l’exécution constitue une pratique administrative qui ne survivrait pas à un contrôle exercé en vertu de l’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221. Il affirme toutefois qu’il ne s’agit pas du critère à employer pour mesurer la conformité du Canada avec les traités internationaux portant sur les droits de l’homme ou la Charte. À son avis, la question à se poser est celle de savoir si le régime des POD garantit une protection efficace des droits fondamentaux des demandeurs d’asile et assure une procédure équitable en matière d’octroi du droit d’asile et il répond affirmativement à cette question. Il affirme qu’il ne peut [traduction] « penser à une probabilité plus élevée de fausses décisions défavorables de la CISR et à un risque plus élevé de préjudices irréparables causés par des violations graves des droits de la personne en droit et en pratique canadiens des droits de la personne que ce qu’on constate dans le droit et la pratique de l’UE en matière de procédure d’octroi du droit d’asile, dans le cas des POS ». Il ajoute que les procédures de renvoi établies et le droit de demander au tribunal le sursis d’une mesure de renvoi constituent des précautions suffisantes contre un préjudice irréparable dans le cas des demandes d’asile provenant des POD.

[71]      Teny Dikranian a travaillé pour CIC de mai 2009 à juillet 2013. Elle était gestionnaire des Programmes et des politiques des droits d’asile à la Direction générale des réfugiés. Elle a contribué à la réforme du système d’octroi de l’asile et a mentionné quatre raisons pour lesquelles le système avait été modifié : 1) il était trop lent et il fallait attendre jusqu’à 20 mois pour obtenir une audience devant la SPR, ce qui était injuste pour les véritables demandeurs d’asile et ce qui rendait le système vulnérable aux abus; 2) les ressources du C.I.S.R. étaient poussées à la limite et le système accusait un arriéré de 61 000 dossiers lorsque la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8 (la LMRER) a été présentée; 3) il y avait trop de paliers de recours et aucune limite quant au nombre de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ou demandes d’ERAR, de sorte que les demandeurs d’asile déboutés pouvaient souvent répondre qu’ils attendaient l’issue de plusieurs décisions; 4) il fallait attendre en moyenne quatre ans et demi entre le moment où une demande était présentée en vue d’obtenir le renvoi d’un demandeur d’asile débouté et l’issue de cette décision, et pendant cette période les demandeurs d’asile en question bénéficiaient de la plupart des mêmes services sociaux que les demandeurs d’asile qui attendaient une décision de la SPR. Elle a également expliqué que le régime POD était l’une des plus importantes modifications apportées pour répondre aux besoins en question et qu’il était inspiré de systèmes semblables mis en place au Royaume-Uni, en Irlande, en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Norvège, en Suisse et en Finlande. En clair, elle a expliqué qu’on consacrait des ressources considérables à traiter des demandes d’asile infondées présentées par des ressortissants de pays d’où ne proviennent habituellement pas les réfugiés. Elle a expliqué que l’une des principales raisons pour lesquelles le régime POD avait été introduit était de [traduction] « dissuader les personnes provenant de pays qui sont la plupart du temps considérés comme sûrs et d’où ne proviennent pas généralement les réfugiés d’abuser de notre système de protection des réfugiés tout en protégeant le droit de chaque demandeur d’asile admissible à une audience impartiale devant la CISR ». Elle a ensuite expliqué les conséquences de la désignation d’un pays qui ont déjà résumées plus tôt.

[72]      Jennifer Irish a été directrice des programmes et des politiques des droits d’asile à CIC entre août 2008 et août 2012. Elle a relaté bon nombre des mêmes problèmes que Mme Dikranian avait signalés, notamment l’arriéré de dossiers de la C.I.S.R. et le fait qu’il fallait attendre en moyenne quatre ans et demi pour renvoyer les demandeurs d’asile déboutés. CIC devait donc créer un mécanisme plus rapide et elle affirme que l’on partait du principe que tous les demandeurs d’asile continueraient à bénéficier d’un examen complet et équitable de leur demande de la part de la C.I.S.R. On a étudié le concept des POS utilisés en Europe et on savait que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) avait confirmé que les conséquences que ce type de désignation entraînait sur le plan procédural étaient conformes à la Convention. Bon nombre des pays en question se fondaient uniquement sur des critères quantitatifs pour procéder à une désignation, mais Mme Irish a expliqué que CIC avait décidé que le modèle canadien devait également tenir compte des taux objectifs de rejet, d’abandon et de retrait et qu’on avait donc également retenu des critères quantitatifs. La raison pour laquelle on avait permis à MCI de prescrire les chiffres en question était, selon Mme Irish, de lui permettre de disposer d’un outil flexible pour répondre rapidement aux pointes observées dans les demandes d’asile provenant de pays ayant un pourcentage plus élevé de demandes d’asile rejetées, abandonnées ou retirées. Quant aux critères qualitatifs, ils étaient censés être conformes aux articles 96 et 97 de la LIPR ainsi qu’aux instruments internationaux applicables. Les taux applicables étaient cependant seulement censés donner lieu à un examen de la situation dans le pays concerné et les facteurs de désignation qui devaient ensuite être examinés avaient également été définis en fonction de plusieurs instruments internationaux portant sur les droits de la personne. Au lieu de confier le processus à un tribunal indépendant, on a estimé qu’il valait mieux créer une nouvelle division au sein de CIC pour évaluer la situation dans les pays en question au motif que ce mécanisme serait plus souple et permettrait de tenir compte des documents classés portant sur la situation du respect des droits de la personne provenant des missions canadiennes à l’étranger. Elle a conclu en déclarant que tous les demandeurs d’asile obtiennent encore une audience en bonne et due forme et qu’il existe des protections contre le refoulement, telles que celles permettant l’accès à un ERAR notamment lorsque la situation a évolué dans un pays au point de mettre l’ensemble de la population en danger. De plus, même si l’on prévoit que cette situation est rare, le MCI peut intervenir de son propre chef pour permettre à quelqu’un de demander un ERAR.

[73]      Eva Lazar est la directrice de la DCAEP au CIC. Dans son premier affidavit du 25 juillet 2013, elle a expliqué la procédure de désignation d’un pays qui a déjà été résumée. Elle a également déclaré que les demandeurs avaient cité des statistiques trompeuses. Elle leur a en particulier reproché de ne pas avoir tenu compte des demandes abandonnées ou retirées pour calculer les taux d’acceptation et de les avoir ensuite comparés côte à côte avec les taux de rejet qui en tenaient compte. Selon Mme Lazar, on ne peut comparer le nombre de demandes déférées à la C.I.S.R. au cours d’une année avec le nombre de demandes parachevées par la C.I.S.R. au cours de la même année, étant donné que les longs délais font en sorte que bon nombre ou la plupart des demandes qui lui sont déférées n’aboutissent pas au cours de la même année. Elle a également reproché aux demandeurs d’utiliser des données de la C.I.S.R. pour laisser entendre que la désignation d’un pays comme POD avait des répercussions disproportionnées sur des personnes qui présentaient certains types de demandes. La C.I.S.R. ne tient pas des données statistiques exhaustives sur les demandes en fonction de leur type et l’on ne peut se fier à ces données à des fins d’analyse statistique.

[74]      Mme Lazar a actualisé son témoignage dans un affidavit du 20 novembre 2014 dans lequel elle a expliqué que les facteurs de désignation étaient conformes aux articles 96 et 97 de la LIPR ainsi qu’à divers instruments internationaux relatifs aux droits de la personne. Pour élaborer la méthodologie permettant d’évaluer la situation existant dans un pays déterminé, CIC tenait compte des méthodes employées dans d’autres pays et de la méthodologie de recherche utilisée dans les pays d’origine. Elle a expliqué qu’en date du 20 novembre 2014, MCI avait désigné 42 pays. Mme Lazar a également expliqué comment CIC recueillait des données au sujet des demandeurs d’asile tant avant qu’après l’entrée en vigueur de la LPSIC. Elle a fait observer que le nombre total de demandes d’asile reçues de la part des 37 POD désignés avant septembre 2014 avait diminué de 83 p. 100. Les demandes reçues de la Hongrie avaient diminué de 94 p. 100 et celles provenant de la Croatie avaient diminué de 78 p. 100. Les statistiques démontraient également que le taux d’acceptation des demandes d’asile provenant de la Hongrie était passé de 9 p. 100 avant l’entrée en vigueur de la LPSIC à 44 p. 100 après l’entrée en vigueur de la LPSIC, tandis que le taux de retrait des demandes avait fléchi de 44 à 15 p. 100. Elle a également fourni des données au sujet de la Croatie. Elle a affirmé que ces statistiques étaient meilleures que celles fournies par le professeur Rehaag, étant donné que les données fournies par ce dernier au sujet de 2013 comprenaient des dossiers historiques antérieurs à la LPSIC et n’établissaient pas de distinction acceptable entre les données antérieures et les données postérieures à la réforme. Mme Lazar a expliqué que les taux d’acceptation des demandes d’ERAR demeuraient faibles. Elle a également expliqué que le nombre moyen de jours écoulés entre la dernière décision négative de la SPR et le renvoi avait été réduit d’une centaine de jours depuis l’entrée en vigueur de la LPSIC, mais qu’il demeurait à peu près le même tant dans le cas des demandeurs de pays issus de POD que de ceux provenant d’autres pays.

[75]      Dans son affidavit supplémentaire du 15 décembre 2014, Mme Lazar a ajouté quelques données sur ce qu’on est convenu d’appeler les dossiers historiques de la Croatie et de la Hongrie, c’est-à-dire les dossiers régis par l’ancien système puisqu’ils ont été déférés à la SPR avant le 15 décembre 2012, mais qui n’avaient abouti qu’après cette date. Elle signale en particulier que le taux d’acceptation des demandes provenant de la Hongrie n’était que de 22 p. 100.

[76]      Christopher Raymond est conseiller principal en matière de programmes pour l’ASFC dans le cadre du Programme des renvois. Dans son affidavit du 20 novembre 2014, il s’attarde à la procédure suivie pour renvoyer quelqu’un du Canada. La plupart des demandeurs d’asile se voient remettre un avis d’interdiction de séjour conditionnel qui n’entre en vigueur que 15 jours après le rejet de leur demande d’asile. Ils disposent d’un délai supplémentaire de 30 jours pour quitter de leur plein gré le Canada, après quoi leur mesure d’interdiction de séjour conditionnelle devient une mesure d’expulsion que l’ASFC exécute. S’ils quittent le Canada avant que la mesure d’interdiction de séjour ne devienne une mesure d’expulsion, ils n’auront pas besoin de demander l’autorisation de l’ASFC pour revenir ultérieurement au Canada. Cependant, s’ils demeurent au Canada, l’ASFC les convoquera à une entrevue avant leur renvoi et examinera toute question en suspens telle que la fixation de la date de leur renvoi. Ils peuvent alors demander le report de leur renvoi et un agent d’application de la loi à l’intérieur du pays peut reporter leur renvoi. Si l’on juge qu’il existe de nouveaux éléments de preuve quant à l’existence d’une menace de mort, de sanctions extrêmes ou de traitement inhumain, l’agent peut déférer l’affaire à la CIC pour qu’elle rende une nouvelle décision en vertu de l’article 25.1 de la LIPR. Si le report est refusé, l’intéressé peut alors demander un contrôle judiciaire et demander au tribunal de surseoir à son renvoi. M. Raymond affirme que ce processus est suffisant pour justifier sur le plan constitutionnel l’interdiction de demander un ERAR. M. Raymond a également expliqué le Programme d’aide au retour volontaire et à la réintégration auquel 3 721 demandeurs d’asile déboutés avaient participé entre le 29 juin 2012 et le 30 septembre 2014. Parmi ceux qui ont participé, 1 738 provenaient de la Hongrie et 217 de la Croatie. Il explique également que l’ASFC est chargée de la suspension temporaire des renvois lorsque la situation qui existe dans un pays déterminé représente un risque généralisé pour l’ensemble de la population civile et signale que l’ASFC s’occupe également du report administratif des renvois lorsqu’une intervention immédiate est nécessaire pour surseoir temporairement aux renvois d’individus dans des situations de crise humanitaire. Enfin, M. Raymond a expliqué qu’entre janvier 2013 et juin 2014, 213 demandeurs d’asile déboutés avaient réclamé un sursis de leur renvoi à la Cour et que 21 d’entre eux provenaient de POD. Il explique que la Cour fédérale avait accordé un sursis à sept demandeurs d’asile provenant de POD et à 58 demandeurs d’asile provenant d’autres pays que des POD.

C.        Les affidavits contestés devraient-ils être radiés?

1)         Les arguments des défendeurs

[77]      Les défendeurs affirment que bon nombre des affidavits déposés par le demandeur devraient être radiés et que la Cour doit exercer comme il se doit son rôle de gardien. Ils soulignent que, dans l’arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9 (Mohan), à la page 20, la Cour suprême a énoncé quatre exigences à satisfaire pour qu’un témoignage d’expert soit accepté au procès : 1) la pertinence; 2) la nécessité d’aider le juge des faits; 3) l’absence de toute règle d’exclusion; 4) la qualification suffisante de l’expert. Les défendeurs affirment que quatre des témoins experts proposés par les demandeurs, en l’occurrence Christopher Anderson, Sean Rehaag, Nicole LaViolette et Patricia Durish, ne satisfont pas à ces critères.

[78]      Les défendeurs affirment que l’affidavit du professeur Anderson est un résumé sélectif de politiques d’immigration notoires antérieures du Canada et que le professeur Anderson ne donne aucun contexte historique ayant rapport aux demandes d’asile des demandeurs. Les défendeurs affirment que, même si l’affidavit du professeur Anderson avait fourni un contexte historique, les effets préjudiciels de cet affidavit dépassent largement sa valeur probante en ce sens qu’il élargit le cadre du litige en attaquant toutes les politiques d’immigration canadienne depuis le début de la Confédération. Obliger des défendeurs à réfuter cet affidavit serait un gaspillage de temps et d’argent. Les défendeurs affirment également que cet affidavit est inutile parce que les politiques au sujet desquelles le professeur Anderson témoigne sont bien connues et qu’il aurait pu tout aussi facilement les décrire en mentionnant un ouvrage dans les observations des demandeurs.

[79]      Quant aux affidavits souscrits par le professeur Rehaag, les défendeurs affirment que les paragraphes 7 à 18 et l’annexe B de son affidavit complémentaire devraient être radiés. Il est acquis aux débats que certaines demandes d’asile provenant des POD sont acceptées, et les défendeurs soutiennent qu’il n’est pas pertinent de ventiler les données en fonction des commissaires qui ont tranché les demandes en question. De plus, les défendeurs affirment que le professeur Rehaag fait preuve de partialité. Il a milité contre le régime POD et, plus précisément, s’est prononcé contre le fait que les demandeurs d’asile provenant de POD ne disposaient pas d’un droit d’appel devant la SAR en déclarant devant le Comité permanent du Parlement sur la Citoyenneté et l’Immigration que ce régime était inconstitutionnel. Or, il s’agit précisément de la question en litige et le défendeur affirme que ses affidavits devraient se voir accorder peu de valeur.

[80]      Les défendeurs soutiennent que l’affidavit de la professeure LaViolette n’est pas pertinent. Elle a témoigné au sujet des répercussions des conséquences des délais abrégés dans le cas des demandeurs d’asile LGBTQ, mais les conséquences de ces délais ne sont pas en litige et elles n’ont jamais causé de préjudice aux personnes physiques demanderesses en l’espèce.

[81]      Les défendeurs soutiennent, dans le même ordre d’idées, que dans son affidavit Mme Durish se contente de critiquer la façon dont tout le système d’octroi du droit d’asile traite les victimes de traumatismes tant avant qu’après les réformes. Elle ne cite aucun exemple et les défendeurs affirment que sa contestation en bloc déborde largement le cadre du présent litige, qui porte uniquement sur l’incapacité des demandeurs provenant de POD de s’adresser à la SAR. Les défendeurs soutiennent également que l’opinion de Mme Durish n’est pas nécessaire, étant donné qu’il n’est pas besoin d’être un expert pour reconnaître que certains demandeurs d’asile subissent des expériences traumatisantes. Les défendeurs affirment par conséquent que les deux affidavits de Mme Durish devraient être radiés.

[82]      Les affidavits des experts ne sont pas les seuls qui, selon les défendeurs, devraient être radiés. Les défendeurs affirment que les affidavits d’Amanda Dale, d’Aisling Bondy et de Catherine Bruce ne sont pas pertinents parce qu’ils portent sur les femmes victimes de violence conjugale, qu’ils ne donnent aucun exemple de victimes de ces violences qui auraient été affectées par le régime POD et qu’ils ne se limitent pas aux faits dont les auteurs des affidavits ont eu personnellement connaissance. Les défendeurs soutiennent que les auteurs de ces affidavits et de beaucoup d’autres donnent des preuves d’opinion qui sont inadmissibles et qu’il s’agit de tentatives voilées d’ajouter des témoins experts sans demander d’autorisation. De nombreux auteurs d’affidavits ont même joint leur curriculum vitæ. Plus précisément, les défendeurs soutiennent que les affidavits suivants devraient être radiés parce que les paragraphes indiqués comportent des nuances et des preuves d’opinion :

Affidavit

Paragraphes

Annexe

Amanda Dale (4 juillet 2014)

5–10, 35–48

A, B

Sharalyn Jordan (10 octobre 2014)

3–9, 11–21

-

Julianna Beaudoin (13 juin 2013)

2–4, 5, 6, 9–33

A

Julianna Beaudoin (18 septembre 2014)

All

-

Michael Battista (9 octobre 2014)

3–41, 46–49

-

Aisling Bondy (15 octobre 2014)

3–4, 6–25, 30–73

-

Audrey Macklin (21 juin 2013)

1

A

Catherine Bruce (20 juin 2013)

1–15, 17–81

-

[83]      Les défendeurs affirment également que la Cour ne devrait pas tenir compte des passages indiqués des affidavits suivants pour la même raison, sans toutefois demander que le reste des affidavits soit également radié :

Affidavit

Paragraphes

Woo Jin Edward Lee (17 octobre 2014)

18–28

Edson Emilio Alvarez Garcia (20 juin 2013)

10–14, 19–22

Brian Brenie (14 juin 2013)

2–7

2)         Les arguments des demandeurs

[84]      Les demandeurs n’invoquent plus les affidavits d’Audrey Macklin et Edson Emilio Alvarez Garcia, ni les paragraphes 20 et 21 de l’affidavit du professeur Jordan.

[85]      Ils affirment toutefois qu’un litige constitutionnel nécessite un dossier complet et font valoir que les autres affidavits devraient demeurer intacts. Les demandeurs soutiennent que les défendeurs se fondent sur une vision trop étroite de la portée du présent litige. À leur avis, la présente demande ne porte pas uniquement sur l’alinéa 110(2)d.1), mais aussi sur la question de savoir si le système de désignation des POD est en soi inconstitutionnel. Toutes les conséquences découlant d’une désignation sont par conséquent en litige.

[86]      En ce qui concerne les témoignages d’experts, les demandeurs font valoir que le rôle de gardien de la Cour revêt une grande importance lors du procès (R. v. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330 (Abbey), aux paragraphes 77 à 95), et que ce rôle est nettement atténué dans le cas des demandes de contrôle judiciaire où il n’y a ni témoignage ni jury. L’admission d’éléments de preuve en l’espèce n’entraîne aucun coût étant donné qu’elle ne cause aucun préjudice et elle ne cause aucune perte de temps.

[87]      Les demandeurs font valoir les raisons suivantes pour expliquer pourquoi les affidavits de leurs experts devraient être admis en preuve : 1) l’affidavit du professeur Anderson est pertinent et nécessaire étant donné qu’il démontre que les immigrants et les réfugiés sont un groupe historiquement défavorisé, ce qui constitue un des éléments de leur argumentation fondée sur l’article 15 de la Charte; 2) les paragraphes contestés de l’affidavit complémentaire du professeur Rehaag indiquent le nombre effectif de demandeurs d’asile dont la demande a été acceptée et démontrent qu’il existe un vaste consensus parmi les commissaires de la SPR suivant lequel les pays en question produisent effectivement des réfugiés; 3) le professeur Rehaag n’a pas comparu devant le Comité permanent sur la Citoyenneté et l’Immigration à titre de défenseur d’une cause quelconque, mais bien comme expert qui était d’avis qu’il existait un risque inévitable que la SPR rende de fausses décisions défavorables, d’où la nécessité de prévoir un droit d’appel; 4) la professeure LaViolette a témoigné expressément au sujet des conséquences du régime POD sur les demandeurs d’asile LGBTQ en ce qui a trait à l’article 15 et aux arguments invoqués par les demandeurs au sujet de la portée excessive; 5) l’affidavit de Patricia Durish explique que les délais abrégés rendent le système d’octroi du droit d’asile encore plus préjudiciable dans le cas des victimes de traumatisme, et son opinion suivant laquelle l’ancien système n’était pas adapté aux besoins des victimes en question ne change rien à son avis au sujet du régime POD. Les demandeurs affirment par conséquent qu’aucun des affidavits des experts ne devrait être radié.

[88]      En ce qui concerne les affidavits d’Amanda Dale, d’Aisling Bondy et de Catherine Bruce, les demandeurs soutiennent que, lorsqu’il s’agit de vérifier s’il y a eu violation de la Charte, on peut et l’on doit tenir compte des éléments de preuve anecdotiques et des « hypothèses raisonnables » (citant, par exemple R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485, aux pages 515 et 516; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101 (Bedford), aux paragraphes 154 et 155). À leur avis, il n’est donc pas pertinent que les exemples fournis par ces témoins soient antérieurs au régime.

[89]      Quant aux autres éléments de preuve contestés, les demandeurs affirment qu’il est inacceptable que les défendeurs cherchent à faire radier au complet les affidavits au motif que quelques paragraphes pourraient renfermer des témoignages d’opinion (citant, par exemple, le jugement Armstrong c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1013 (Armstrong), aux paragraphes 40 à 42). Ainsi, tout en reconnaissant que les témoins suivants se sont laissés aller à donner leur opinion à l’occasion, les demandeurs affirment qu’il n’y a aucune raison de radier leur affidavit :

Affidavit

Paragraphes

Julianna Beaudoin (13 juin 2013)

10, 12–18, 24–25, 32–33

Michael Battista (9 octobre 2014)

13, 26, 38, 48–49

Catherine Bruce (20 juin 2013)

non précisé

Brian Brenie (14 juin 2013)

non précisé

[90]      Sinon, les demandeurs affirment que les témoins ont déposé au sujet de renseignements dont ils avaient une connaissance personnelle ou ont fourni des renseignements concernant leur expérience. S’ils ont joint leur curriculum vitæ, c’était parce qu’ils avaient acquis leurs connaissances ou leur expérience par le biais de leurs activités professionnelles. Ils ont pu tirer des inférences fondées sur le bon sens à partir de leurs connaissances personnelles, mais les demandeurs affirment que la valeur de ces inférences devrait être évaluée sur le fond.

3)         Analyse

[91]      Il est de jurisprudence constante que les requêtes en radiation de la totalité ou d’une partie d’un affidavit ne devraient être présentées que dans des circonstances exceptionnelles (Gravel c. Telus Communications Inc., 2011 CAF 14, au paragraphe 5), surtout lorsque la radiation a trait à la pertinence de la preuve. Ce n’est que dans des cas exceptionnels, lorsque le préjudice a été démontré et que la preuve est manifestement non pertinente, que de telles requêtes sont justifiées (Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., 2005 CAF 50, au paragraphe 13; Armstrong, au paragraphe 40).

[92]      Les présentes demandes de contrôle judiciaire ont fait l’objet d’une gestion de l’instance. La protonotaire Milczynski connaissait bien le dossier et elle aurait pu instruire la requête si elle croyait que cette mesure était manifestement justifiée (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 11 et 12). Or, elle ne l’a pas fait. Si les défendeurs craignaient que la complexité de la présente demande justifiait davantage de garanties procédurales, ils auraient pu tenter de la convertir en action en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales (Meggeson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 175, aux paragraphes 31 et 32; Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 215, [2009] 1 R.C.F. 476, au paragraphe 44), mais ils ne l’ont pas fait. Dans ces conditions, la requête doit être examinée telle qu’elle a été formulée et le fait de rejeter la requête des défendeurs ne leur cause pour le moment aucun préjudice, à mon avis.

[93]      Les défendeurs ont contre-interrogé la presque totalité des auteurs des affidavits qu’ils contestent et la transcription de ces contre-interrogatoires a été versée au dossier soumis à la Cour. Je ne suis pas convaincu que les défendeurs ont subi un préjudice important en raison du dossier certes volumineux compilé par les demandeurs.

[94]      De plus, les affidavits que les défendeurs contestent en tout ou en partie ne sont pas à ce point sans rapport avec les questions constitutionnelles soulevées par les présentes demandes pour devoir être radiés du dossier. Il ne s’agit pas ici d’un cas où la radiation totale ou partielle des affidavits contestés faciliterait le bon déroulement de l’instruction des présentes demandes de contrôle judiciaire. Il est inutile d’examiner chaque affidavit ligne par ligne et de préciser quels passages sont pertinents et quels passages ne le sont pas. À cet égard, je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que mon rôle à titre de gardien perd de l’importance lorsqu’aucune partie n’est lésée.

[95]      Néanmoins, les défendeurs s’opposent effectivement à certains des témoins experts des demandeurs pour d’autres motifs et il faut en tenir compte. La Cour suprême du Canada a récemment réitéré le critère applicable à la réception des témoignages d’experts dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182 (White), et ce critère correspond essentiellement aux arguments formulés par les parties au sujet des décisions Mohan et Abbey (White, aux paragraphes 19 à 24).

[96]      Les défendeurs affirment que l’affidavit du professeur Anderson n’est pas nécessaire. Ce volet du critère pose la question de savoir « si l’expert fournit des renseignements qui dépassent vraisemblablement l’expérience et les connaissances ordinaires du juge des faits » (R. c. D.D., 2000 CSC 43, [2000] 2 R.C.S. 275, au paragraphe 21; White, au paragraphe 21). Certains des exemples particuliers de discrimination évoqués par le professeur Anderson dans son affidavit sont notoires, mais l’histoire générale de l’immigration qu’il relate est plus détaillée que celle qui ferait partie de « l’expérience et les connaissances ordinaires » du Canadien raisonnablement informé. Je ne suis pas convaincu que je devrais prendre connaissance d’office de chacune des affirmations ou des opinions formulées par le professeur Anderson au sujet des tendances historiques. Cet affidavit ne sera donc pas radié.

[97]      Les défendeurs affirment également que le témoignage de Patricia Durish n’était pas nécessaire. Les critiques qu’elle a formulées au sujet du système d’octroi du droit d’asile débordent le cadre du régime POD, mais elles permettent de situer dans leur contexte ses préoccupations plus précises. Ses affidavits ne devraient pas être radiés.

[98]      Quant à l’allégation de parti pris du professeur Rehaag formulée par les défendeurs, leurs réserves ne portaient que sur le poids à accorder à son témoignage. Je tiens toutefois à aborder brièvement la question de l’admissibilité et à dire que je souscris aux arguments des demandeurs. Je ne suis pas convaincu que le professeur Rehaag « ne peut ou ne veut fournir une preuve juste, objective et impartiale » (White, au paragraphe 49).

[99]      Les défendeurs soutiennent également que certains des autres témoins des demandeurs ont formulé des opinions alors qu’ils ne possédaient pas les compétences voulues pour les exprimer. Ainsi que les défendeurs le font observer à juste titre, il faut obtenir l’autorisation de la Cour pour pouvoir faire entendre plus de cinq témoins experts (Règles des Cours fédérales, paragraphe 52.4(1); Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, paragraphe 4(1)). En règle générale, les témoins profanes ne peuvent donner leur opinion que dans les circonstances énumérées dans l’arrêt Graat c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 819 (Graat), à la page 837, citant l’ouvrage Cross on Evidence, 5e éd. (London : Butterworths, 1979), à la page 451 :

[traduction] Lorsque, selon l’expression d’un juge américain, les faits qui ont produit une impression sur le témoin sont trop fugaces pour qu’il s’en rappelle ou trop compliqués pour qu’il les énonce un par un, le témoin peut faire état de son opinion ou de son impression. Il était dans une situation plus favorable que le jury pour y arriver et il lui est impossible de faire saisir au jury les prémisses sur lesquelles il s’appuie.

[100]   Je suis d’accord pour dire que certains des affidavits présentés par les demandeurs renferment des opinions qui ne satisferaient pas aux critères formulés dans l’arrêt Graat. Il ne s’ensuit toutefois pas pour autant que les affidavits devraient être radiés en entier, d’autant plus que bon nombre des opinions en question s’accompagnent d’observations factuelles régulièrement admissibles en preuve. Qu’il suffise de dire que je suis conscient des objections formulées par les défendeurs et que je n’accorde aucune valeur aux opinions formulées par les témoins profanes des demandeurs ni aux inférences qu’ils ont tirées.

[101]   Par conséquent, la requête en radiation totale ou partielle des affidavits présentés par les défendeurs telle qu’elle a été formulée dans leurs observations écrites déposées le 19 novembre 2014, est refusée.

VII.      L’alinéa 110(2)d.1) de la Loi contrevient-il au paragraphe 15(1) de la Charte?

[102]   L’article 15 de la Charte dispose :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

Programmes de promotion sociale

A.        Les arguments des demandeurs

[103]   Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 15(1) devrait être interprété de manière à donner effet aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne (citant, par exemple, l’arrêt R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292 (Hape), aux paragraphes 53 à 56). Ils soulignent que la Convention ne reconnaît pas le concept de POS et que l’article 3 dispose : « Les États contractants appliqueront les dispositions de cette Convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine ». Bien que le HCR ait déclaré que le concept des POS peut être utilisé comme outil pour accélérer les procédures d’examen des demandes d’asile, les demandeurs signalent qu’il a condamné le régime POD du Canada au motif qu’il ne respecte pas les normes du HCR.

[104]   Dans l’arrêt Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396 (Withler), au paragraphe 61, la Cour suprême a proposé un critère à deux volets pour déterminer s’il y a eu violation du paragraphe 15(1) de la Charte : « (1) La Loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? (2) La distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes? » Les demandeurs affirment que ces deux conditions sont remplies en l’espèce.

[105]   En ce qui concerne le premier volet du critère, les demandeurs soulignent que l’origine nationale constitue un motif énuméré au paragraphe 15(1) de la Charte et ils soutiennent que l’article 109.1 vise à assujettir certains demandeurs d’asile à un processus de détermination du statut de réfugié inférieur fondé sur ce motif. À l’audience, les demandeurs ont contesté la proposition des défendeurs suivant laquelle la nationalité était un indicateur du degré de sécurité. Or, la Loi ne mentionne pas la sécurité et la désignation d’un pays ne garantit nullement qu’un pays est sûr pour les personnes qui réclament effectivement sa protection. Suivant les demandeurs, les demandeurs d’asile provenant de POD sont tout simplement piégés dans un processus inférieur duquel aucun des aspects relatifs à leur situation personnelle ne peut les libérer.

[106]   Quant au second volet du critère, les demandeurs affirment que la discrimination est « une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société » (Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143 (Andrews), à la page 174, le juge McIntyre, dissident, mais se ralliant aux juges majoritaires sur ce point). Ils affirment que le fait d’imposer expressément des avantages sur le seul fondement de l’origine nationale constitue de la discrimination étant donné que cette distinction perpétue un désavantage historique imposé à des non-citoyens et aux demandeurs d’asile. Ils ajoutent que le fait que le gouvernement qualifie leur demande d’asile de demande « bidon » et que l’on utilise des statistiques pour justifier une désignation les expose au stéréotype suivant lequel leurs craintes sont moins dignes d’attention parce qu’ils sont des indésirables (citant le jugement Médecins canadiens, aux paragraphes 835, 837 et 838).

[107]   Les demandeurs affirment également que le régime POD a des effets préjudiciables sur les demandeurs LGBTQ, les demandeurs issus de minorités ethniques, les femmes réclamant une protection parce qu’elles craignent d’être persécutées en raison de leur sexe ainsi que les demandeurs atteints de certains troubles cognitifs. Ils affirment que ces demandeurs sont souvent traumatisés et plus vulnérables que les autres demandeurs d’asile et qu’ils peuvent avoir plus de difficulté à divulguer entièrement et immédiatement le fondement de leurs demandes. Les demandeurs affirment que le fait d’exposer les personnes qui ont été victimes de discrimination dans leur propre pays à une différence de traitement additionnelle ne fait qu’exacerber ces problèmes et fait en sorte que le régime POD est démesurément sévère pour ces demandeurs d’asile.

B.        Les arguments des défendeurs

[108]   Les défendeurs admettent que le critère de la violation du paragraphe 15(1) est énoncé dans l’arrêt Withler, mais affirment que le régime POD n’établit pas de distinction entre les demandeurs d’asile selon leur origine nationale. Suivant les défendeurs, les demandeurs sont plutôt assujettis au régime POD uniquement parce qu’ils proviennent de différentes régions du globe qui sont habituellement sûres. L’origine nationale est simplement un indicateur de la relative sécurité des pays dont ils proviennent (citant le jugement Pawar c. Canada, 1999 CanLII 8760 (C.A.F.) (Pawar), aux paragraphes 3 et 4). Comme la liste des POD est régulièrement modifiée, les défendeurs affirment que l’appartenance à un POD n’est pas une caractéristique immuable.

[109]   À titre subsidiaire, les défendeurs affirment qu’il ne s’agit pas d’une distinction discriminatoire et que quatre facteurs entrent en ligne de compte dans le cadre de cette analyse : 1) la préexistence, s’il en est, d’un désavantage subi par le groupe dont fait partie le demandeur d’asile; 2) la correspondance entre la loi contestée et les besoins, les capacités et la situation propre du groupe dont fait partie le demandeur d’asile; 3) la question de savoir si la loi ou le programme a un objet ou un effet d’amélioration; 4) la nature du droit touché (citant l’arrêt Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, aux paragraphes 325 à 330 et 417 et 418).

[110]   Suivant les défendeurs, le régime POD n’est pas fondé sur des stéréotypes; il repose sur des généralisations statistiques fondées et repose sur un examen exhaustif de la situation qui existe au pays. Un traitement accéléré fondé sur la sécurité relative d’un pays est un processus légitime conforme aux obligations internationales du Canada. De plus, les ressortissants de pays sûrs ne sont pas victimes d’un désavantage historique que le régime POD pourrait perpétuer. Les défendeurs affirment que les demandeurs qualifient de façon erronée les conséquences de la désignation lorsqu’ils allèguent que le régime POD crée une sorte de présomption suivant laquelle les demandes d’asile provenant de POD sont infondées, car tel n’est pas le cas.

[111]   Les défendeurs soutiennent également que le régime POD tient compte des besoins des personnes qu’il vise. Il limite l’accès au droit d’appel à la SAR en fonction d’une évaluation approfondie et exacte de la situation qui existe dans les pays visés tout en garantissant à chaque demandeur d’asile provenant d’un POD une évaluation individualisée de son cas par la SPR. Quant à l’argument des demandeurs suivant lequel le régime POD nuit aux réfugiés en tant que groupes vulnérables, les défendeurs répondent que cet argument repose sur l’hypothèse erronée que tous les demandeurs d’asile sont des réfugiés authentiques.

[112]   Les défendeurs affirment également qu’aucun des droits touchés par le régime POD ne permet de penser qu’il y a discrimination, et ce, pour les raisons suivantes : 1) la Charte ne prévoit pas de droit à un appel d’un tribunal quasi-judiciaire comme la SAR; 2) les demandeurs n’ont pas démontré que les délais accélérés causaient un préjudice à un groupe de demandeurs d’asile provenant d’un POD davantage qu’à un autre groupe et leurs arguments méconnaissent le fait qu’il existe déjà des procédures pour remédier, au besoin, aux délais stricts et pour tenir compte des besoins de groupes comme les personnes appartenant au LGBTQ, aux demandeurs d’asile présentant des demandes fondées sur le sexe et à ceux ayant des problèmes de santé mentale; 3) l’interdiction limitée dans le temps de présenter une demande d’ERAR a déjà été jugée constitutionnelle et le MCI a toujours le pouvoir discrétionnaire de lever cette interdiction dans le cas d’une personne lorsque les circonstances le justifient.

[113]   Les défendeurs soutiennent que les demandeurs n’ont soumis aucun élément de preuve fiable tendant à démontrer que le régime POD a des effets préjudiciables sur un sous-groupe minoritaire particulier de demandeurs d’asile provenant de POD. Les défendeurs affirment plutôt que : 1) les sous-groupes minoritaires étaient confrontés à des défis avant que le régime POD ne soit adopté; 2) d’autres demandeurs d’asile sont confrontés à des défis semblables; 3) les demandeurs n’ont cité aucun exemple de demandeurs d’asile provenant de pays POD qui seraient lésés par le régime POD; 4) les personnes physiques demanderesses en l’espèce n’ont pas été lésées; 5) aucune étude ou analyse statistique n’appuie les allégations quant aux effets préjudiciables en question et les demandeurs n’ont en réalité avancé que des spéculations provenant de témoins non experts intéressés; 6) les données de la SPR ne sont pas fiables et rien n’appuie l’allégation suivant laquelle les questions concernant le sexe ou l’orientation sexuelle sont davantage susceptibles d’être soulevées par des demandeurs d’asile provenant de pays POD.

[114]   De plus, les défendeurs affirment que le contexte juridique plus large démontre qu’il n’y a pas de discrimination. Il y a de nombreuses façons de réformer le système du droit d’asile sans garantie quant à celui qui serait le plus efficace, et les défendeurs affirment que le législateur est mieux placé que les tribunaux pour prendre les difficiles décisions d’orientation nécessaires (citant, par exemple, le jugement Barbra Schlifer Commemorative Clinic v. Canada, 2014 ONSC 5140, 121 O.R. (3d) 733, aux paragraphes 116 à 119). Suivant les défendeurs, aucune personne raisonnable ne conclurait que le régime POD constitue un affront à la dignité humaine (citant l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, aux paragraphes 60 et 61).

C.        Analyse

[115]   Les parties s’entendent pour dire que le critère permettant de savoir s’il y a violation du paragraphe 15(1) de la Charte a été énoncé dans l’arrêt Withler, dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit [aux paragraphes 61, 62, 65 et 66] :

[…] l’analyse de l’égalité réelle pour l’application du par. 15(1) comporte deux étapes : (1) La loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? (2) La distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes? […] La comparaison joue un rôle du début à la fin de l’analyse.

Le rôle de la comparaison consiste, à la première étape, à établir l’existence d’une « distinction ». Il ressort du mot « distinction » l’idée que le demandeur est traité différemment d’autrui. La comparaison entre donc en jeu, en ce sens que le demandeur prétend qu’il s’est vu refuser un avantage accordé à d’autres ou imposer un fardeau que d’autres n’ont pas, en raison d’une caractéristique personnelle correspondant à un motif énuméré ou analogue visé par le par. 15(1).

[…]

L’analyse à la deuxième étape sert à déterminer si la loi cause une inégalité réelle en perpétuant un désavantage ou un préjugé ou en appliquant un stéréotype qui ne correspond pas à la situation ou aux caractéristiques réelles des demandeurs. À cette étape, la comparaison peut favoriser une meilleure compréhension contextuelle de la situation du demandeur dans le cadre d’un régime législatif et dans la société en général et aider ainsi à déterminer si la mesure législative ou la décision contestée perpétue un désavantage ou un stéréotype. La valeur probante de la preuve comparative, considérée dans cette perspective contextuelle, dépendra des circonstances. [Renvois omis.]

Les facteurs contextuels particuliers pertinents dans l’analyse de l’égalité réelle à la deuxième étape varieront selon la nature de l’affaire. Un modèle rigide pourrait mener à un examen qui inclut des questions non pertinentes ou, à l’opposé, qui exclut des facteurs pertinents […] Des facteurs comme […] un désavantage préexistant, la correspondance avec les caractéristiques réelles, l’effet sur d’autres groupes et la nature du droit touché […] peuvent être utiles. Toutefois, il n’est pas nécessaire de les examiner expressément dans tous les cas pour répondre complètement et correctement à la question de savoir si une distinction particulière est discriminatoire […] En définitive, il faut tenir compte de tous les facteurs pertinents. Pour reprendre les propos de la juge Wilson dans l’arrêt Turpin [R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296] :

Pour déterminer s’il y a discrimination pour des motifs liés à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, il importe d’examiner non seulement la disposition législative contestée qui établit une distinction contraire au droit à l’égalité, mais aussi d’examiner l’ensemble des contextes social, politique et juridique. [p. 1331]

[116]   Plus récemment, dans l’arrêt Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548, la Cour suprême du Canada a résumé la jurisprudence relative à l’article 15 de la Charte comme suit [aux paragraphes 16 à 21] :

L’approche relative au par. 15(1) […] énoncée […] dans Québec (Procureur général) c. A, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 319-347 […] exige « une analyse souple et contextuelle visant à déterminer si la distinction a pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard du demandeur, du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue » (par. 331 (italiques ajoutés)).

La Cour a confirmé à maintes reprises que l’art. 15 protège l’égalité réelle (Québec c. A, par. 325; Withler c. Canada (Procureur général), [2011] 1 R.C.S. 396, par. 2; R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, par. 16; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143). Cette démarche reconnaît que des désavantages systémiques persistants ont eu pour effet de restreindre les possibilités offertes aux membres de certains groupes de la société et elle vise à empêcher tout acte qui contribue à perpétuer ces désavantages. […]

L’article 15 vise donc les lois qui établissent des distinctions discriminatoires, c’est-à-dire des distinctions qui ont pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard d’une personne du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue (Andrews, p. 174–175; Québec c. A, par. 331). L’analyse à laquelle on procède pour l’application du par. 15(1) s’intéresse donc au contexte social et économique dans lequel s’inscrit la plainte d’inégalité et aux effets de la loi ou de l’acte contesté sur le groupe demandeur (Québec c. A, par. 331).

Le premier volet de l’analyse fondée sur l’art. 15 consiste donc à se demander si, à première vue ou de par son effet, une loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue. Limiter les demandes à celles fondées sur des motifs énumérés ou analogues — qui « constituent des indicateurs permanents de l’existence d’un processus décisionnel suspect ou de discrimination potentielle » —, permet d’écarter « les demandes [traduction] qui n’ont rien à voir avec l’égalité réelle et de mettre l’accent sur l’égalité dans le cas de groupes qui sont défavorisés dans un contexte social et économique plus large » (Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 8; Lynn Smith et William Black, « The Equality Rights » (2013), 62 S.C.L.R. (2d) 301, p. 336). […]

Le second volet de l’analyse est axé sur les désavantages arbitraires — ou discriminatoires —, c’est-à-dire sur la question de savoir si la loi contestée ne répond pas aux capacités et aux besoins concrets des membres du groupe et leur impose plutôt un fardeau ou leur nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage dont ils sont victimes :

[…]

Pour établir qu’il y a eu à première vue violation du par. 15(1), le demandeur doit par conséquent démontrer que la loi en cause a un effet disproportionné à son égard du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue. À la seconde étape de l’analyse, la preuve précise requise variera selon le contexte de la demande, mais « les éléments tendant à prouver qu’un demandeur a été historiquement désavantagé » seront pertinents (Withler, par. 38; Québec c. A, par. 327). [Souligné dans l’original.]

[117]   Vu ce qui précède, je passe maintenant à l’examen de la question de savoir si les demandeurs ont démontré que l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR viole le paragraphe 15(1) de la Charte.

[118]   La première question à se poser est celle de savoir si le refus d’accorder un droit d’appel à la SAR aux demandeurs d’asile provenant de POD crée une distinction fondée sur un motif de discrimination énuméré ou analogue. La Cour suprême a déclaré qu’ « [i]l ressort du mot “distinction” l’idée que le demandeur est traité différemment d’autrui » (Withler, au paragraphe 62).

[119]   Dans le cas qui nous occupe, les demandeurs affirment que cette distinction est fondée sur l’origine nationale et je souscris à l’interprétation de l’expression « origine nationale » retenue par la Cour dans le jugement Médecins canadiens. La juge Mactavish a déclaré (au paragraphe 768) que l’expression « origine nationale » au paragraphe 15(1) « interdit une discrimination entre les classes de non-citoyens fondée sur leur pays d’origine est aussi compatible avec les dispositions de la Convention sur les réfugiés, dont l’article 3 interdit la discrimination à l’égard des réfugiés fondée sur le pays d’origine » (voir également la décision Hape, aux paragraphes 55 et 56).

[120]   La différence de traitement que prévoit l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR constitue de toute évidence une distinction fondée sur l’origine nationale du demandeur d’asile (Médecins canadiens, aux paragraphes 751 à 773). En effet, si le demandeur d’asile provient d’un des pays désignés en vertu du paragraphe 109.1(1) de la LIPR, sa demande sera examinée sans qu’il puisse éventuellement bénéficier de la possibilité d’interjeter appel devant la SAR, contrairement aux demandeurs d’asile provenant des pays qui ne figurent pas sur la liste des POD.

[121]   Les défendeurs ont tort d’invoquer l’arrêt Pawar. Dans la décision Médecins canadiens (aux paragraphes 753 à 755), la juge Mactavish a expliqué que cette affaire portait sur une situation différente et les motifs qu’elle a exposés sont convaincants. Indépendamment des qualités que le MCI peut attribuer à un pays donné, la raison pour laquelle un demandeur d’asile provenant d’un POD est traité différemment tient au pays dont il provient. Cette distinction est établie indépendamment des caractéristiques personnelles du demandeur d’asile ou de la question de savoir si ce pays est effectivement sûr pour lui. De plus, le fait qu’un pays puisse en théorie être retiré de la liste des pays désignés à l’avenir ne change rien à l’origine nationale du demandeur d’asile. Cela veut simplement dire que le MCI pourrait cesser d’établir des distinctions en fonction de l’origine nationale des demandeurs d’asile à l’avenir et que ces derniers n’ont aucun contrôle sur le moment où cette décision pourrait être prise, ce qui, avouons-le, n’est guère rassurant pour les demandeurs d’asile présentement visés par cette distinction.

[122]   Ainsi, le premier volet du critère est satisfait par les dispositions mêmes de l’alinéa 110(2)d.1) dans la mesure où il crée deux catégories de demandeurs d’asile en fonction de leur origine nationale : ceux qui proviennent d’un POD et ceux qui proviennent d’autres pays que des POD.

[123]   Quant à savoir si la distinction que l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR établit entre les demandeurs d’asile provenant d’un POD et ceux qui ne proviennent pas d’un POD crée un désavantage en perpétuant un préjugé ou un stéréotype, les défendeurs affirment que le régime POD n’est pas fondé sur des stéréotypes, mais bien sur des généralisations statistiques qui reposent sur un examen approfondi de la situation qui existe dans les pays concernés. De plus, suivant les défendeurs, les ressortissants des pays POD ne sont pas victimes d’un désavantage historique que le régime POD pourrait perpétuer.

[124]   Je ne puis retenir les arguments des défendeurs. Une des principales raisons pour lesquelles le régime POD dans son ensemble a été adopté, selon Mme Dikranian, était de [traduction] « dissuader les personnes provenant de pays qui sont la plupart du temps considérés comme sûrs et d’où ne proviennent pas généralement les réfugiés d’abuser de notre système de protection des réfugiés tout en protégeant le droit de chaque demandeur d’asile admissible à une audience impartiale devant la CISR ». La distinction que l’on établit entre l’avantage procédural maintenant accordé aux demandeurs d’asile provenant d’autres pays que les POD et le désavantage subi par les demandeurs d’asile provenant de POD en raison de l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est discriminatoire à première vue. Il contribue également à marginaliser les demandeurs d’asile provenant de POD qui sont la plupart du temps considérés comme sûrs et d’où ne proviennent pas généralement les réfugiés, en plus de les marginaliser et de leur causer un préjudice. Elle perpétue par ailleurs l’opinion stéréotypée selon laquelle les demandeurs d’asile provenant de pays d’origine désignés sont en quelque sorte des resquilleurs ou des personnes dont les demandes d’asile sont « bidons » et qui ne viennent au Canada que pour profiter du système de protection des réfugiés canadien et de la générosité des Canadiens. (Médecins canadiens, aux paragraphes 814, 815, 829 et 835 à 848; voir également, par exemple, Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 3e sess., no 33 (26 avril 2010), aux pages 1944 et 1945; Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 3e sess., no 36 (29 avril 2010), à la page 2126; Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., no 220 (6 mars 2012), à la page 5886; affidavit de Julianna Beaudoin (13 juin 2013), annexe B : divers articles).

[125]   Parmi les personnes directement touchées par l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR, il y a lieu de mentionner un grand nombre de demandeurs d’asile qui n’abusent pas du système. Par exemple, Mme Lazar a cité des statistiques qui démontrent que, depuis que la Hongrie a été désignée, les taux d’abandon et de retrait ont diminué de 19 p. 100 et que les taux d’acceptation ont grimpé de 44 p. 100 (ce qui est légèrement plus élevé que le taux d’acceptation général de 2013 qui se situait autour de 38 p. 100 (affidavit de Sean Rehaag (20 mai 2014), annexe A)). Ces pourcentages sont presque cinq fois plus élevés que ceux qui existaient avant l’entrée en vigueur de la LPSIC et environ deux fois plus élevés que ceux relatifs aux dossiers historiques antérieurs à l’entrée en vigueur de la LPSIC. Les défendeurs ont déclaré à l’audience que ces chiffres correspondent à ce que l’on pouvait s’attendre de la part des pays POD (bien que la Croatie ne semble pas avoir produit les mêmes résultats) et ils ont expliqué que cela démontrait que le régime POD était efficace; le pourcentage des demandes acceptées avait augmenté parce qu’on avait réussi à dissuader les gens qui tentaient d’abuser du système de venir au Canada sans décourager ceux qui cherchaient vraiment à obtenir une protection. Cet argument est logique, mais il implique aussi que les demandeurs d’asile qui se voient effectivement refuser un droit d’appel en raison de l’alinéa 110(2)d.1) demandent véritablement une protection. La plupart des demandeurs d’asile qui tentaient d’abuser du système sont demeurés chez eux ou sont allés ailleurs. Les demandes frauduleuses qui ont effectivement été présentées ont été déclarées sans fondement crédible ou manifestement mal fondées par la SPR comme celle-ci doit le faire lorsque le cas s’y prête (LIPR, paragraphe 107(2), article 107.1). Ces demandeurs d’asile se voient déjà refuser un droit d’appel (LIPR, alinéa 110(2)c)), comme tout autre demandeur d’asile qui abandonne ou retire sa demande (LIPR, alinéa 110(2)b)).

[126]   L’alinéa 110(2)d.1) ne touche que les autres demandeurs d’asile déboutés provenant de POD, c’est-à-dire ceux dont la SPR a jugé que la demande avait un fondement crédible et n’était pas manifestement infondée. Le fait de rejeter l’appel de tous les demandeurs de POD, sans égard à la décision de la SPR, signifie essentiellement que le stéréotype du demandeur « bidon » provenant d’un POD l’emporte sur l’évaluation individuelle des demandes par la SPR. Il n’y a aucune raison de penser que la SPR est moins susceptible de se tromper lorsqu’elle rejette des demandes authentiques présentées par des personnes provenant de POD que lorsqu’elle rejette des demandes ne provenant pas de POD avec des taux de succès similaires; à cet égard, il convient de souligner que la SAR a accueilli environ 17 p. 100 des appels entendus de janvier 2013 à mai 2014 (affidavit d’Ivonilde Da Silva (16 octobre 2014), pièce B). Refuser le droit d’appel aux demandeurs de POD ne revient pas à déterminer si ces demandeurs abusent effectivement du système d’asile, pas plus qu’à déterminer s’ils ont réellement moins besoin de faire appel que les demandeurs ne provenant pas de POD.

[127]   Dans l’arrêt Withler, la Cour suprême déclare (au paragraphe 2) : « Le paragraphe 15(1) est centré sur l’égalité réelle, et non sur l’égalité formelle […] En définitive, une seule question se pose : La mesure contestée transgresse-t-elle la norme d’égalité réelle consacrée par le par. 15(1) de la Charte? » (non souligné dans l’original).

[128]   L’insertion de l’alinéa 110(2)d.1) dans la LIPR a privé les demandeurs d’asile en provenance de POD d’une égalité réelle avec les demandeurs ne provenant pas de POD. Le fait d’imposer expressément un désavantage en se fondant uniquement sur l’origine nationale constitue en soi de la discrimination (Andrews, à la page 174; Withler, au paragraphe 29); cette distinction perpétue le préjudice historique des demandeurs d’asile indésirables et le stéréotype selon lequel leurs craintes de persécution ou de discrimination sont moins dignes d’intérêt.

[129]   Je rejette donc la prétention des défendeurs selon laquelle l’alinéa 110(2)d.1) peut légitimement limiter, pour les demandeurs d’asile provenant de POD, la possibilité d’interjeter appel auprès de la SAR, puisque chaque demande présentée par un demandeur d’asile de ces pays fait encore l’objet d’une évaluation individualisée par la SPR. Cela revient à dire que tous les demandeurs d’asile au Canada sont égaux, mais que certains, à savoir ceux qui ne proviennent pas d’un POD, sont plus égaux que d’autres. Aussi compétente que puisse être la SPR, il ne fait aucun doute que l’accès à la SAR constitue un avantage substantiel qui est refusé aux demandeurs d’asile provenant des POD.

[130]   Par conséquent, je conclus que l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR viole le paragraphe 15(1) de la Charte. Cet alinéa établit une distinction claire et discriminatoire entre les demandeurs d’asile qui proviennent de POD et ceux qui ne proviennent pas de POD, en niant aux premiers le droit de faire appel d’une décision de la SPR tout en permettant aux seconds de le faire. Cela constitue un déni du droit à l’égalité réelle des demandeurs provenant de POD sur le fondement de l’origine nationale. Vu cette conclusion, il n’est donc pas nécessaire de décider si l’alinéa 110(2)d.1) a des répercussions disproportionnées sur quelque sous-groupe particulier de demandeurs.

[131]   Enfin, il convient de souligner, avant de passer à une autre question, qu’aucune des parties n’a fait valoir que la distinction que l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR établit entre les demandeurs provenant de POD et les autres, apporte une amélioration. En conséquence, cet aspect du paragraphe 15(2) n’est pas directement en cause dans les présentes demandes.

VIII.     L’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR viole-t-il l’article 7 de la Charte?

[132]   L’article 7 de la Charte dispose :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Vie, liberté et sécurité

A.        Les arguments des demandeurs

[133]   Les demandeurs soutiennent que l’article 7 s’applique parce que l’affaiblissement des garanties substantielles et procédurales dans le cas des demandeurs d’asile provenant de POD augmente leur risque d’être refoulés et ce, d’autant plus qu’ils ne pourront bénéficier d’aucune autre évaluation de risque garantie par la loi avant leur expulsion.

[134]   Par conséquent, suivant les demandeurs, le régime des POD ne peut survivre que s’il est conforme aux principes de justice fondamentale, ce qui, à leur avis, n’est pas le cas, étant donné que ce régime a une portée trop large et qu’il produit des effets totalement disproportionnés par rapport à ses objectifs. À cet égard, les demandeurs affirment que l’article 7 doit être interprété à la lumière de la garantie d’égalité prévue à l’article 15 et qu’il doit donc être appliqué de manière à garantir que les distinctions interdites ne peuvent être invoquées pour affaiblir les protections contre les menaces à la vie, et à la liberté et à la sécurité de la personne.

[135]   Les demandeurs affirment que le régime des POD a une portée trop large parce que, bien que son objectif soit de « prévenir l’abus du système de protection des réfugiés par des personnes provenant de pays qui sont généralement considérés comme sûrs », les critères utilisés pour sélectionner les pays en question a conduit à la désignation de pays desquels proviennent des réfugiés véritables et où il existe encore de la persécution. D’ailleurs, les demandeurs affirment que le MCI peut choisir et modifier à sa guise les exigences minimales servant à définir les critères en question, permettant ainsi la désignation de n’importe quel pays. Même les dispositions minimales prévues par la LIPR ne sont pas appropriées, selon les demandeurs; les critères qualitatifs sont des faux indices de la protection de l’État que la Cour a souvent condamnés (citant, par exemple, le jugement Lakatos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 785, au paragraphe 30), et les critères quantitatifs sont insuffisants, parce que : 1) la formule est fondée sur des taux de rejet antérieurs et ne tient pas compte des probabilités de persécution à venir; 2) le fait que l’on tienne compte dans le calcul des demandes abandonnées ou rejetées conduit à des distorsions significatives; 3) un taux de rejet élevé n’implique pas une absence de persécution étant donné que certaines catégories de demandes d’asile peuvent être bien fondées même si le pourcentage d’acceptation général est faible; 4) la loi ne confère pas le pouvoir de supprimer la désignation d’un pays. Peu importe la façon dont le MCI exerce le pouvoir discrétionnaire absolu que lui confère l’article 109.1 de la LIPR, les demandeurs affirment que la loi elle-même a une portée trop large parce qu’elle permet la désignation de pays qui ne sont pas sûrs.

[136]   À titre subsidiaire, les demandeurs affirment que l’Arrêté sur les seuils a une portée trop large. Le fait de fixer le seuil numérique d’utilisation des critères quantitatifs à 30 demandes au cours d’une période de 12 mois constitue un échantillon beaucoup trop petit pour refléter la situation véritable d’un pays et risque aisément de donner une image déformée de la réalité. De plus, les pourcentages permettent de désigner un pays lorsque les demandes d’asile sont acceptées entre 25 et 40 p. 100 du temps, ce qui fausse la prémisse selon laquelle on a affaire à un pays qui n’est habituellement pas source de réfugiés. Ces problèmes ne sont qu’amplifiés lorsqu’on permet au MCI de choisir arbitrairement toute période de 12 mois au cours des trois dernières années pour appliquer les seuils en question, d’autant plus que l’on permet ainsi au MCI de se fonder sur de vieilles statistiques qui ne reflètent pas la situation actuelle du pays.

[137]   Ces problèmes ne sont pas corrigés par le processus secret et entièrement discrétionnaire dont se sert le MCI pour évaluer la situation qui existe dans le pays en cause. Selon les demandeurs, la sécurité n’est pas un facteur déterminant de l’analyse et le processus a conduit en fait à la désignation de pays qui ne sont pas sûrs comme la Hongrie, la Croatie, le Mexique et la Corée du Sud. Quant à la procédure suivie pour retirer un pays de la liste des pays sûrs, elle n’a aucun fondement légal et elle ne tient pas compte des erreurs de la désignation initiale ou même des changements survenus dans la situation générale du pays qui peuvent exposer certains groupes particuliers à des risques. Les demandeurs concluent donc que le régime des POD a une portée trop large dans la mesure où il englobe des pays peu sûrs.

[138]   Les demandeurs affirment en outre que le régime des POD constitue un moyen nettement démesuré de décourager les abus. À leur avis, il expose les véritables réfugiés à un risque plus élevé d’être refoulés en les privant de toutes les garanties qui permettraient de corriger les erreurs commises par la SPR. Selon les demandeurs, comme les autres réformes adoptées par le gouvernement corrigeaient déjà tous les problèmes qui affligeaient le système d’octroi du droit d’asile, le régime des POD comporte des effets nettement démesurés si une seule personne risque d’être exposée à la persécution en raison de ce régime (citant l’arrêt Bedford, au paragraphe 122).

B.        Les arguments des défendeurs

[139]   Les défendeurs admettent que l’octroi du droit d’asile fait intervenir les droits prévus à l’article 7, mais soutiennent que toute négation des droits en question est conforme aux principes de justice naturelle. Les demandeurs provenant d’un POD ont accès au même système que celui auquel avait accès l’ensemble des demandeurs d’asile avant l’entrée en vigueur de la LMRER. Ce système était conforme à la Charte à l’époque et il l’est toujours. La SPR prévoit une audience en bonne et due forme assortie de nombreuses garanties, y compris la capacité de demander une prorogation de délai et de faire rouvrir une demande d’asile. Les défendeurs soulignent que, si ces garanties ne suffisent pas, le demandeur d’asile peut demander un contrôle judiciaire, réclamer le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui ou le report de son renvoi ou même chercher à obtenir le droit d’asile par un autre moyen s’il tombe sous le coup d’une des exceptions prévues par la loi.

[140]   Les défendeurs soutiennent que le droit d’appel ne fait pas partie des principes de justice fondamentale (citant, par exemple, les arrêts R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764, aux pages 1773 à 1775, et Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53, aux pages 69 et 70). De plus, le régime des POD n’a pas une portée trop large; les critères législatifs et le processus d’examen discrétionnaire garantissent que les limites ne visent que les pays où il existe des motifs raisonnables d’accélérer le système d’octroi du droit d’asile. Il n’est pas non plus nettement démesuré parce que le principe « ne s’applique que dans les cas extrêmes où la gravité de l’atteinte est sans rapport aucun avec l’objectif de la mesure » (Bedford, au paragraphe 120).

[141]   Enfin, les défendeurs affirment que la Cour devrait respecter le choix du Parlement de limiter l’accès à la SAR parce que ce choix était nécessaire pour mettre en œuvre un système d’octroi du droit d’asile plus efficace et plus efficient. Bien que le système d’octroi du droit d’asile doive être tourné vers l’avenir, le régime des POD ne pourrait fonctionner sans tenir compte des tendances statistiques passées. Les défendeurs soutiennent que rien ne permet de penser que ce système a entraîné des résultats disproportionnés ou incorrects. Au contraire, la SPR accorde l’asile à un plus grand pourcentage de demandeurs d’asile en provenance des POD, ce qui indique que la désignation d’un pays n’a aucune incidence sur les demandes bien fondées.

C.        Analyse

[142]   Les arguments que les demandeurs tirent de l’article 7 de la Charte se rapportent principalement au mécanisme de sélection prévu à l’article 109.1 et à la question de savoir si le régime des POD dans son ensemble constitue une façon nettement démesurée de décourager les demandes d’asile abusives. Pour les motifs que j’ai déjà exposés, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’aborder cette question dans le cadre des présentes demandes.

[143]   En tout état de cause, je souscris aux arguments invoqués par les défendeurs au sujet de l’article 7 de la Charte. Ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, au paragraphe 136 : « le droit d’appel n’est pas garanti par la Constitution [et] on ne peut affirmer non plus que ce droit découle de la primauté du droit » (renvois omis).

IX.       Si les droits garantis par la Charte ont été violés, l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est-il justifié par l’article premier de la Charte?

[144]   L’article premier de la Charte dispose :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Droits et libertés au Canada

A.        Les arguments des défendeurs

[145]   Les défendeurs affirment que s’il y a eu violation des droits garantis par la Charte, cette violation est justifiée par l’article premier de la Charte. Les défendeurs affirment que le pouvoir discrétionnaire du MCI de désigner des pays est prévu par l’article 109.1 et qu’il devrait donc être présumé conforme à la Charte. Ce pouvoir discrétionnaire est également circonscrit par les critères qualitatifs et quantitatifs établis au paragraphe 109.1(2) et par l’Arrêté sur les seuils et il est encadré en pratique par les politiques régissant l’analyse des pays et la suppression d’une désignation. Les défendeurs soutiennent donc que toute restriction apportée aux droits garantis par la Charte est prescrite par une règle de droit, de sorte qu’elle peut faire intervenir l’article premier de la Charte (citant les arrêts Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120, au paragraphe 82; Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295 (GVTA), aux paragraphes 51 à 55).

[146]   Les défendeurs affirment également que l’article premier de la Charte peut justifier même la violation de l’article 7 lorsque l’objectif visé par la Loi contestée est urgent et réel et que les moyens utilisés pour atteindre cet objectif sont proportionnels à cet objectif (Bedford, aux paragraphes 126 à 129). L’exigence de proportionnalité est satisfaite si l’État démontre que les mesures choisies : 1) ont un lien rationnel avec l’objectif; 2) portent le moins possible atteinte aux droits garantis par la Charte; 3) ne font pas en sorte que leurs effets préjudiciables l’emportent sur l’intérêt public qu’elles étaient censées favoriser (citant l’arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 (Oakes), aux pages 138 et 139).

[147]   Dans le cas qui nous occupe, les défendeurs soutiennent que le Canada a un objectif urgent et réel, en l’occurrence la nécessité d’accueillir les demandeurs d’asile tout en assurant l’intégrité de ses frontières. Avec l’ancien système, il fallait compter une vingtaine de mois avant qu’une demande d’asile puisse être entendue et il fallait en moyenne quatre ans et demi avant d’expulser un demandeur d’asile débouté, une situation qui selon le vérificateur général donnait lieu à des abus. De plus, il y avait souvent des doubles emplois dans le système : les agents chargés d’examiner les demandes d’ERAR et ceux qui examinaient les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire évaluaient les mêmes risques que la SPR. À tous ces problèmes s’ajoutait celui d’un nombre de demandes d’asile sans cesse croissant, dont beaucoup provenaient de pays de l’UE, sans compter le grand nombre de demandes qui étaient abandonnées ou retirées. Depuis que le régime des POD a été mis en place, le nombre de demandes provenant de POD a diminué de 83 p. 100 et le nombre moyen de jours écoulés entre la dernière décision négative et la date de renvoi a chuté radicalement. Le nombre de demandes accueillies par la SPR a également augmenté au cours de la même période. Les défendeurs soutiennent que le gouvernement a ainsi pu réaliser son objectif urgent et réel.

[148]   Selon les défendeurs, il est « raisonnable de supposer » que le régime des POD peut avoir contribué à l’atteinte de cet objectif par des délais raccourcis, par l’absence de droit d’appel à la SAR pour certains demandeurs et par des renvois plus rapides pour libérer des ressources et traiter ainsi un plus grand nombre de demandes au cours de la même période (citant l’arrêt Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567 (Hutterian Brethren), au paragraphe 48).

[149]   Les défendeurs soutiennent également que le régime des POD constitue une atteinte minimale et que la Cour devrait s’en remettre au choix du législateur lorsqu’il s’agit de trancher entre des intérêts sociaux opposés. Dans le cas présent, le législateur a veillé à ce que chaque demandeur d’asile bénéficie d’une audience en bonne et due forme devant la SPR; de plus, il existe des mécanismes qui permettent de demander un ajournement ou de proroger les délais si les délais plus brefs ne peuvent être respectés, et de rouvrir une demande en cas de manquement aux principes de justice naturelle. En outre, tout risque découlant de l’absence de droit d’appel à la SAR est atténué par la possibilité d’un contrôle judiciaire et par la possibilité de demander à la Cour un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi ou une suspension administrative du renvoi. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peut également, de sa propre initiative, intervenir pour soustraire un ressortissant étranger aux exigences de la LIPR et, dans des circonstances exceptionnelles, il est possible de demander un ERAR. Quant à l’impossibilité de demander un ERAR d’une manière plus générale, les défendeurs soutiennent que les conséquences sont minimes, puisque la plupart des demandes d’ERAR sont rejetées de toute façon.

[150]   Les défendeurs soutiennent que les demandeurs n’ont proposé aucune solution de rechange qui permettrait de répondre à tous les objectifs du gouvernement. Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, la LMRER n’a pas fourni de garanties supplémentaires, puisque la méthode actuelle prévoit toujours une évaluation de la situation du pays; or, s’en remettre à la SPR pour déterminer si une demande est manifestement infondée ne contribuerait pas à simplifier le processus ni à raccourcir les délais. En outre, les défendeurs ont souligné que le régime des POD a été calqué sur des concepts similaires déjà en place dans des pays libres et démocratiques de l’UE et ont donc fait valoir qu’il était approprié de se tourner vers ces pays pour déterminer si une mesure constitue une atteinte minimale (Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., 2007 CSC 30, [2007] 2 R.C.S. 610 (JTI), aux paragraphes 10 et 138).

[151]   Enfin, les défendeurs affirment que les effets du régime des POD sont proportionnels. Ce régime contribue à la durabilité du système d’asile tout en faisant en sorte que tous les demandeurs aient droit à une évaluation exhaustive et équitable de leur demande. En outre, les délais plus courts accélèrent le processus et rendent le système plus efficace, ce qui est bénéfique en soi.

B.        Les arguments des demandeurs

[152]   Les demandeurs affirment que l’article premier ne saurait justifier les violations de la Charte étant donné que la procédure de révision de la désignation des pays désignés n’est pas « prescrite par une règle de droit » (citant, par exemple, l’arrêt R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613, aux pages 644 et 645; et l’arrêt GVTA, aux paragraphes 53 à 55 et 65). Selon les demandeurs, la procédure de désignation confère simplement au MCI un pouvoir discrétionnaire illimité de faire tout ce qui lui plaît et il est « impossible d’interpréter [l’article 109.1] comme limitant de quelque manière le pouvoir du gouvernement » (citant l’arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, aux pages 94 à 97).

[153]   Les demandeurs soutiennent en outre que les défendeurs n’ont pas démontré qu’il existait des circonstances spéciales ou inusitées qui justifieraient de restreindre un droit garanti par l’article 7 citant, par exemple, le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, à la page 518). Quant à l’article 15, les demandeurs soutiennent que le régime des POD ne constitue pas une atteinte minimale et ce, pour trois raisons : 1) la SPR pourrait tout aussi aisément décourager les demandes non fondées en les déclarant manifestement infondées ou sans fondement crédible, ce qui aurait les mêmes conséquences que le fait de provenir d’un POD (LIPR, paragraphe 107(2), article 107.1, alinéa 110(2)c)); 2) la LMRER prévoyait un régime des POD moins attentatoire; 3) les autres mesures introduites en 2012 abordaient tous les problèmes que le régime des POD était censé résoudre et rien ne permet de penser qu’il fallait adopter ce régime en plus de ces autres mesures. Les demandeurs soutiennent que le régime des POD ne satisfaisait par ailleurs pas aux critères de la proportionnalité étant donné qu’il a une portée trop large et qu’il est nettement démesuré.

C.        Analyse

[154]   Comme je n’ai pas conclu que l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR viole l’article 7 de la Charte, il n’est pas nécessaire d’examiner cette disposition en fonction de l’article premier de la Charte. De plus, comme seule la constitutionnalité de l’alinéa 110(2)d.1) devrait être examinée pour les motifs susmentionnés, il n’est également pas nécessaire de se pencher sur les arguments des demandeurs suivant lesquels la procédure de révision de la désignation des pays n’est pas « prescrite par une règle de droit ».

[155]   Il est toutefois nécessaire d’aborder la question de savoir si le refus d’accorder aux demandeurs d’asile provenant d’un POD le droit d’interjeter appel à la SAR constitue une limite raisonnable prescrite par une règle de droit dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[156]   Le critère permettant de trancher cette question a été énoncé dans l’arrêt Oakes, dans lequel la Cour suprême a déclaré ce qui suit (aux pages 138 et 139) :

Pour établir qu’une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux critères fondamentaux. En premier lieu, l’objectif que visent à servir les mesures qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté garantis par la Charte, doit être « suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution » : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. La norme doit être sévère afin que les objectifs peu importants ou contraires aux principes qui constituent l’essence même d’une société libre et démocratique ne bénéficient pas de la protection de l’article premier. Il faut à tout le moins qu’un objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu’on puisse le qualifier de suffisamment important.

En deuxième lieu, dès qu’il est reconnu qu’un objectif est suffisamment important, la partie qui invoque l’article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l’application d’« une sorte de critère de proportionnalité » : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes. À mon avis, un critère de proportionnalité comporte trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l’objectif en question. Deuxièmement, même à supposer qu’il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter « le moins possible » atteinte au droit ou à la liberté en question : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l’objectif reconnu comme « suffisamment important ». [Souligné dans l’original.]

[157]   Plus récemment, dans l’arrêt Bedford, la Cour suprême a déclaré ce qui suit [aux paragraphes 125 et 126] :

[…] Pour les besoins de l’article premier, il faut […] se demander si l’effet préjudiciable sur les droits des personnes est proportionné à l’objectif urgent et réel de défense de l’intérêt public. La justification fondée sur l’objectif public prédominant constitue l’axe central de l’application de l’article premier […]

[…] Suivant l’article premier, il incombe à l’État de démontrer que la disposition attentatoire peut être justifiée par l’objectif du législateur. Parce que la question est celle de savoir si l’intérêt public général justifie l’atteinte aux droits individuels, l’objectif doit être urgent et réel. Le volet de l’analyse fondée sur l’article premier qui porte sur l’existence d’un « lien rationnel » consiste à déterminer si, pour le législateur, la disposition représente un moyen rationnel d’atteindre son objectif. Le volet relatif à l’« atteinte minimale » établit si le législateur aurait pu concevoir une disposition moins attentatoire; il s’intéresse aux solutions de rechange raisonnables qui s’offrent au législateur. À l’étape finale de l’analyse fondée sur l’article premier, le tribunal soupèse l’effet préjudiciable de la disposition sur les droits des personnes et son effet bénéfique sur la réalisation de son objectif dans l’intérêt public supérieur. L’effet est apprécié sur les plans qualitatif et quantitatif. À la différence d’un demandeur individuel, l’État est bien placé pour présenter une preuve relevant des sciences humaines ainsi que le témoignage d’experts qui justifient les répercussions d’une disposition sur l’ensemble de la société.

[158]   Ainsi, la question centrale est celle de savoir si les répercussions négatives de l’alinéa 110(2)d.1) sur les droits des demandeurs d’asile provenant de POD par rapport aux autres demandeurs d’asile est proportionné à l’objectif urgent et réel de défense de l’intérêt public prévu à l’alinéa 110(2)d.1).

[159]   Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que le refus prévu à l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR d’accorder aux demandeurs d’asile provenant d’un POD le droit d’interjeter appel devant la SAR est « prescrit par une règle de droit » et que, par conséquent, l’article premier de la Charte s’applique.

[160]   Je suis également d’accord avec les défendeurs pour dire que le Canada poursuivait un objectif urgent et réel en procédant aux réformes prévues par la LMRER et par la LPSIC. Avant ces réformes, il fallait attendre une vingtaine de mois avant qu’une demande d’asile soit entendue et environ quatre années et demie avant que les demandeurs d’asile déboutés soient expulsés. En 2009, la vérificatrice générale avait signalé que, pour empêcher les abus du système d’immigration canadien, « il importe qu’une revendication du statut de réfugié ne soit pas perçue comme une permission automatique de séjour prolongé au Canada » (Bureau du vérificateur général du Canada, Le Point : Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la Chambre des communes (2009), chapitre 2 « Le processus de nomination par le gouverneur en conseil », au paragraphe 2.108). De plus, le nombre de demandes d’asile ne cessait de croître, bon nombre d’entre elles provenaient de pays de l’UE et beaucoup d’entre elles étaient abandonnées ou retirées. Or, depuis l’adoption du régime des POD, le nombre total de demandes d’asile provenant de POD a diminué de 83 p. 100, les demandes sont jugées plus rapidement et le nombre moyen de jours écoulés entre la date du rejet des demandes d’asile et la date de renvoi des demandeurs d’asile déboutés a été coupé de près de moitié.

[161]   Cela étant, « aux fins d’une analyse fondée sur l’article premier, l’objectif pertinent et l’objectif de la mesure attentatoire, puisque c’est cette dernière et rien d’autre que l’on cherche à justifier » (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, au paragraphe 143, la juge McLachlin; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 142). L’objectif de l’alinéa 110(2)d.1) est précisément de diminuer le nombre de paliers de recours et de s’assurer que les demandeurs déboutés provenant de POD peuvent être renvoyés plus rapidement; l’éventualité d’un séjour plus court devrait dissuader ces demandeurs qui pourraient sinon venir au Canada et présenter une demande d’asile frauduleuse. À cet égard, Eva Lazar a expliqué qu’il fallait en moyenne 122 jours entre la date à laquelle une demande d’asile est rejetée par la SPR et celle à laquelle un demandeur provenant d’un pays autre qu’un POD peut être renvoyé et en moyenne 116 jours pour renvoyer un demandeur en provenance d’un POD (affidavit d’Eva Lazar (20 novembre 2014), au paragraphe 24).

[162]   Toutefois, même s’il aurait pu être raisonnable de supposer que le fait de nier tout droit d’appel à la SAR pourrait favoriser les objectifs en question (voir l’arrêt Hutterian Brethren, au paragraphe 48), on ne saurait affirmer que l’alinéa 110(2)d.1) constitue une atteinte minimale. Le simple fait tous les demandeurs d’asile ont encore droit à une audience en bonne et due forme devant la SPR et que la LIPR, le Règlement et les Règles de la SPR renferment des dispositions permettant de réclamer un ajournement, de demander la prorogation d’un délai si l’on ne peut respecter un délai accéléré, ou de solliciter la réouverture d’une demande, ne saurait justifier le fait que certains demandeurs peuvent se pourvoir en appel devant la SAR, alors que d’autres ne le peuvent pas.

[163]   Ainsi que la Cour suprême l’a fait observer dans l’arrêt Bedford (au paragraphe 126), pour déterminer si la loi contestée constitue une atteinte minimale à un droit garanti par la Charte, le tribunal doit se demander si le législateur aurait pu élaborer une loi qui porte atteinte à des droits dans une moindre mesure et s’il aurait pu concevoir une disposition moins attentatoire et s’intéresser aux solutions de rechange raisonnable qui s’offraient à lui. La Cour suprême a fait observer que, pour procéder à cette analyse, « les tribunaux font preuve d’une certaine déférence à l’égard de la législature, surtout en ce qui concerne les questions sociales complexes où la législature est peut-être mieux placée que les tribunaux pour choisir parmi une gamme de mesures » (Hutterian Brethren, au paragraphe 53).

[164]   Les défendeurs n’ont pas démontré que l’empêchement absolu d’interjeter appel devant la SAR qui frappe l’ensemble des demandeurs d’asile provenant des POD constitue le moyen le moins radical d’atteindre ses objectifs. Dans la mesure où l’un des objectifs des réformes réalisés par la LMRER et la LPSIC consistait à décourager les demandes abusives ou infondées, cet objectif pouvait être atteint en permettant à la SPR de déclarer une demande manifestement infondée en vertu de l’article 107.1 de la LIPR ou de conclure que la demande n’a aucun fondement crédible en vertu du paragraphe 107(2). Dans les deux cas, l’alinéa 110(2)c) empêche tout appel à la SAR. Les demandeurs d’asile qui abandonnent ou retirent leur demande se voient également refuser tout droit d’appel à la SAR (LIPR, alinéa 110(2)b)).

[165]   Les défendeurs n’ont fourni aucun élément de preuve pour démontrer que l’alinéa 110(2)d.1) avait d’autres effets dissuasifs et leur seul argument consiste à affirmer que le fait de déclarer une demande non crédible ou manifestement infondée ne simplifierait pas le processus d’octroi du droit d’asile parce que la SPR devrait quand même juger toutes les demandes dans les mêmes délais. Cet argument pourrait peut-être justifier des délais accélérés, mais certainement pas l’absence de droit d’appel. Au moment où il y a lieu de faire appel, la SPR a déjà examiné la demande en fonction des délais accélérés et elle est tenue de par la loi de déclarer si elle est manifestement infondée ou si elle n’a pas de fondement crédible. Les défendeurs n’ont présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer que les commissaires de la SPR n’ont pas la compétence voulue pour déceler les demandes non crédibles ou frauduleuses. Il n’était pas nécessaire que le législateur établisse une distinction entre les demandeurs provenant de POD et ceux issus d’autres pays pour les empêcher d’interjeter appel devant la SAR, étant donné que l’objectif déclaré de décourager les demandes abusives ou infondées pouvait être atteint par l’effet conjugué de l’article 107.1 et du paragraphe 107(2) et des alinéas 110(2)b) et 110(2)c) de la LIPR.

[166]   Un appel devant la SAR confère un avantage important aux demandeurs d’asile et le fait de refuser ce droit d’appel à certains demandeurs d’asile en raison de leurs pays d’origine constitue une atteinte sérieuse à leur droit à l’égalité. Il est juste que les demandeurs d’asile provenant de POD bénéficient toujours d’une audience en bonne et due forme devant la SPR, puissent obtenir des ajournements et puissent demander la réouverture d’une demande dans certaines circonstances, mais tous les autres demandeurs d’asile en obtiennent autant et davantage. Ces facteurs ne sauraient justifier le fait que certains demandeurs peuvent se pourvoir en appel devant la SAR alors que d’autres ne le peuvent pas.

[167]   De plus, à la différence des demandeurs provenant d’autres pays que les POD qui ne peuvent être renvoyés du Canada tant que la Cour fédérale n’a pas rejeté leur demande de contrôle judiciaire à la suite de l’appel de la décision de la SAR, les demandeurs d’asile provenant d’un POD ne bénéficient pas d’un sursis automatique de leur renvoi lorsqu’ils cherchent à obtenir le contrôle judiciaire d’une décision défavorable de la SPR. Ils n’ont d’autre choix que de demander un sursis à la Cour — une mesure discrétionnaire et pour le moins incertaine —, de demander un report administratif de leur renvoi ou, dans certaines circonstances, de demander un ERAR. Je ne suis pas d’accord avec les défendeurs pour dire que tout risque de refoulement attribuable à l’absence du droit d’interjeter appel devant la SAR est entièrement atténué par les autres recours dont disposent les demandeurs provenant de POD.

[168]   De plus, bien que les défendeurs invoquent l’existence du concept de POS au sein de l’UE pour justifier le régime des POD dans son ensemble, même le professeur Hailbronner affirme que [traduction] « le sursis à l’exécution ne serait pas considéré comme une mesure administrative suffisante » pour être jugé acceptable au sein de l’UE (deuxième affidavit de Kay Hailbronner (19 novembre 2014), au paragraphe 40). Bien que le professeur Hailbronner explique qu’il croit que la procédure canadienne est en fin de compte suffisante, il est utile d’examiner comment les autres pays s’y prennent pour décider si une mesure est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique (JTI, au paragraphe 138).

[169]   Toutefois, même en faisant abstraction du risque de refoulement, une suspension automatique du renvoi permettrait à tout le moins d’éviter aux demandeurs provenant de POD de devoir subir de façon prématurée l’épreuve d’un renvoi en cas de rejet erroné de leur demande (voir, par exemple, l’affidavit de G.S. (21 octobre 2014), aux paragraphes 13 à 19; affidavit de C.S. (20 octobre 2014), au paragraphe 8; affidavit de Tibor Toboz (28 août 2014), au paragraphe 16). Compte tenu de l’alinéa 110(2)d.1), on ne peut affirmer, contrairement à ce que prétendent les défendeurs, que tous les demandeurs d’asile peuvent toujours compter sur une évaluation complète et équitable de leur demande d’asile dans le cadre du régime des POD. Ce n’est tout simplement pas le cas, étant donné que, désormais, certains demandeurs d’asile se voient de façon injuste et inéquitable privés de l’avantage évident que constitue le droit d’interjeter appel devant la SAR d’une décision défavorable de la SPR.

[170]   Refuser un droit d’appel à tous les demandeurs d’asile provenant des POD n’est pas une mesure proportionnelle aux objectifs visés par le gouvernement; il s’agit d’une inégalité qui est disproportionnée et qui a une portée trop large et qui ne peut être sauvegardée par l’article premier de la Charte.

X.        Si l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est inconstitutionnel, quelle est la réparation appropriée?

[171]   Les demandeurs sollicitent notamment les réparations suivantes dans leur mémoire supplémentaire :

•  un jugement déclarant inopérant en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 l’article 109.1 et l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR, l’Arrêté sur les seuils et tous les arrêtés de désignation pris en vertu de la Loi en question;

•  une ordonnance enjoignant à la SAR d’entendre les appels d’Y.Z., G.S. et C.S.

[172]   Comme je l’ai déjà mentionné, les défendeurs ont contesté la portée de la réparation sollicitée et j’ai conclu que seule la constitutionnalité de l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR devait être examinée dans le cadre des présentes demandes. Les défendeurs demandent également à la Cour de suspendre tout jugement déclaratoire d’invalidité pour une période de 12 mois.

[173]   Vu les motifs qui précèdent, je suis disposé à accorder aux demandeurs certaines des réparations qu’ils réclament, et notamment les suivantes :

1.         La Cour déclare que l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte et qu’il est inopérant en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44];

2.         Les décisions rendues par la SAR dans les dossiers SAR nos TB3-02838, TB4-00950 et TB4-00951 sont annulées et les appels interjetés par G.S. et C.S. sont renvoyés à la SAR pour qu’elle rende une nouvelle décision.

[174]   Je ne vais pas ordonner à la SAR de rendre une nouvelle décision au sujet de l’appel d’Y.Z., étant donné que la Cour a déjà annulé la décision en question de la SPR et que la demande d’asile d’Y.Z. fera l’objet d’une nouvelle décision de la part de la SPR. Advenant le cas où la demande d’asile d’Y.Z. serait rejetée de nouveau par la SPR, la déclaration d’invalidité susmentionnée devrait lui permettre d’interjeter appel devant la SAR sans qu’il soit nécessaire que la Cour prononce une ordonnance spécifique à cet égard.

[175]   Je ne vais également pas suspendre la déclaration d’invalidité comme le demandent les défendeurs. Dans l’arrêt Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679 (Schachter), à la page 719, la Cour suprême a expliqué qu’il convient de suspendre une déclaration d’invalidité lorsqu’une déclaration d’invalidité immédiate poserait un danger pour le public, menacerait la primauté du droit ou priverait de bénéfices les personnes admissibles sans profiter à la personne dont les droits ont été violés. Aucun de ces critères ne s’applique en l’espèce.

[176]   Occasionnellement, la Cour suprême a toutefois suspendu temporairement l’effet d’une déclaration d’invalidité lorsque l’on pouvait soutenir que les conditions énoncées dans l’arrêt Schachter n’étaient pas réunies pour donner suffisamment de temps au législateur d’élaborer une réparation appropriée (voir, par exemple, l’arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, aux paragraphes 116 à 121, avec l’appui de la juge L’Heureux-Dubé; Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 2 (Toronto : Thomson/Carswell, 2007) (édition à feuilles mobiles mise à jour en 2014), ch. 40, à la section 40.1(d)). Ce raisonnement est très convaincant lorsque le législateur dispose de divers moyens pour vraisemblablement corriger le problème, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Une déclaration immédiate d’invalidité est susceptible d’exercer des pressions supplémentaires sur les ressources de la SAR et de retarder certains renvois, mais chaque jour qui passe où l’alinéa 110(2)d.1) est en vigueur est un jour où l’on ne peut dire, s’agissant des demandeurs d’asile en provenance d’un POD, que la loi « ne fait exception de personne et s’applique également à tous » et où il faut admettre qu’ils seront privés de leur « droit à la même protection et au même bénéfice de la loi indépendamment de toute discrimination ». Toute personne qui, dans l’intervalle, est expulsée risque d’être renvoyée dans un pays où elle pourrait subir des persécutions parce qu’elle ne pourrait interjeter appel devant la SAR d’une décision erronée de la SPR. La nécessité de corriger cette inégalité dans les meilleurs délais l’emporte sur tout fardeau administratif que cette mesure est susceptible d’imposer au gouvernement.

[177]   Pour la même raison, le fait de rendre la présente décision simultanément dans les deux langues officielles « entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public » (Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (la LLO), alinéa 20(2)b)). Je reconnais toutefois que, dès lors que la présente décision tranche « [un] point de droit [qui] présente de l’intérêt ou de l’importance pour [le public] » (LLO, alinéa 20(1)a)), elle sera traduite dans les meilleurs délais.

XI.       Quelles questions devraient être certifiées?

[178]   Lors de l’instruction de la présente affaire, les parties ont proposé que certaines questions soient certifiées en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR.

[179]   Les demandeurs ont suggéré la certification de questions inspirées de celles qu’ils avaient énoncées dans leur mémoire supplémentaire; ils demandent donc que les questions suivantes soient certifiées :

1.   Y a-t-il violation du paragraphe 15(1) de la Charte par l’effet combiné de l’article 109.1, de l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR et de l’Arrêté sur les seuils?

2.   Dans l’affirmative, les défendeurs ont-ils établi que cette violation était justifiée par l’article premier de la Charte?

3.   Y a-t-il violation de l’article 7 de la Charte par l’effet combiné de l’article 109.1 de l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR et de l’Arrêté sur les seuils dans la mesure où ces dispositions ont une portée trop large et / ou sont nettement démesurées?

4.   Dans l’affirmative, les défendeurs ont-ils établi que cette violation était justifiée par l’article premier de la Charte?

[180]   Les défendeurs adoptent une démarche plus étroite de la question à certifier et proposent la question suivante :

1.   L’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est-il conforme à la Charte et, dans la négative, est-il sauvegardé par l’article premier de la Charte?

[181]   Dans l’arrêt Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit [au paragraphe 9] :

Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge […] [Renvois omis.]

[182]   Je suis d’accord avec les parties pour dire qu’il convient en l’espèce de certifier une question en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR.

[183]   Les questions suivantes sont déterminantes quant à l’issue de l’affaire compte tenu de la conclusion et de la déclaration susmentionnées suivant lesquelles l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR viole le paragraphe 15(1) de la Charte. Elles transcendent également les intérêts des parties immédiates et elles soulèvent des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale :

1.         L’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est-il en conformité avec le paragraphe 15(1) de la Charte?

2.         Sinon, l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR impose-t-il une restriction raisonnable des droits garantis par la Charte qui est prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer en vertu de la Charte?

XII.      Dispositif

[184]   Par conséquent, les demandes de contrôle judiciaire des demandeurs sont accueillies en partie, les décisions rendues par la SAR dans les dossiers de la SAR nos TB3-02838, TB4-00950 et TB4-00951 sont annulées, et celles rendues par la SAR dans les dossiers nos TB4-00950 et TB4-00951 sont renvoyées à la SAR pour qu’elle rende de nouvelles décisions.

[185]   Les questions susmentionnées sont certifiées en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies en partie;

2.         les décisions rendues par la Section d’appel des réfugiés dans les dossiers de la SAR nos TB3-02838, TB4-00950 et TB4-00951 sont annulées;

3.         les décisions rendues par la SAR dans les dossiers nos TB4-00950 et TB4‑00951 sont renvoyées à la Section d’appel des réfugiés pour qu’elle rende de nouvelles décisions;

4.         il n’y a aucune adjudication de dépens;

5.         les questions suivantes sont certifiées en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR :

i.          L’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR est-il en conformité avec le paragraphe 15(1) de la Charte?

ii.         Sinon, l’alinéa 110(2)d.1) de la LIPR impose-t-il une restriction raisonnable des droits garantis par la Charte qui est prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer en vertu de la Charte?

Annexe A

Textes et documents constitutionnels pertinents

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[…]

Droits et libertés au Canada

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[…]

Vie, liberté et sécurité

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

[…]

Programmes de promotion sociale

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

Recours en cas d’atteinte aux droits et libertés

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Primauté de la Constitution du Canada

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6

Article 3

Non-Discrimination

Les États Contractants appliqueront les dispositions de cette Convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

3. […]

(2) S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

[…]

e) de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain;

[…]

Objet relatif aux réfugiés

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

[…]

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

(1.2) Le ministre ne peut étudier la demande de l’étranger faite au titre du paragraphe (1) dans les cas suivants :

[…]

c) sous réserve du paragraphe (1.21), moins de douze mois se sont écoulés depuis le dernier rejet de la demande d’asile, le dernier prononcé de son retrait après que des éléments de preuve testimoniale de fond aient été entendus ou le dernier prononcé de son désistement par la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés.

Exceptions

(1.21) L’alinéa (1.2)c) ne s’applique pas à l’étranger si l’une ou l’autre des conditions suivantes est remplie :

a) pour chaque pays dont l’étranger a la nationalité — ou, s’il n’a pas de nationalité, pour le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle —, il y serait, en cas de renvoi, exposé à des menaces à sa vie résultant de l’incapacité du pays en cause de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats;

b) le renvoi de l’étranger porterait atteinte à l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché.

[…]

Exception à l’alinéa (1.2)c)

25.1 (1) Le ministre peut, de sa propre initiative, étudier le cas de l’étranger qui est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 — ou qui ne se conforme pas à la présente loi; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

[…]

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à l’initiative du ministre

30. (1) L’étranger ne peut exercer un emploi au Canada ou y étudier que sous le régime de la présente loi.

Études et emploi

(1.1) L’agent peut, sur demande, autoriser l’étranger qui satisfait aux conditions réglementaires à exercer un emploi au Canada ou à y étudier.

[…]

Autorisation

32. Les règlements régissent l’application des articles 27 à 31, définissent, pour l’application de la présente loi, les termes qui y sont employés et portent notamment sur :

[…]

d) les conditions qui peuvent ou doivent être, quant aux résidents permanents et aux étrangers, imposées, modifiées ou levées, individuellement ou par catégorie, notamment quant à l’exercice d’une activité professionnelle et d’études;

[…]

48. […]

Règlements

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.

49. […]

Conséquence

(2) Toutefois, celle visant le demandeur d’asile est conditionnelle et prend effet :

a) sur constat d’irrecevabilité au seul titre de l’alinéa 101(1)e);

b) sept jours après le constat, dans les autres cas d’irrecevabilité prévus au paragraphe 101(1);

c) en cas de rejet de sa demande par la Section de la protection des réfugiés, à l’expiration du délai visé au paragraphe 110(2.1) ou, en cas d’appel, quinze jours après la notification du rejet de sa demande par la Section d’appel des réfugiés;

d) quinze jours après la notification de la décision prononçant le désistement ou le retrait de sa demande;

e) quinze jours après le classement de l’affaire au titre de l’avis visé aux alinéas 104(1)c) ou d).

[…]

Cas du demandeur d’asile

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

[…]

Demande d’autorisation

74. Les règles suivantes s’appliquent à la demande de contrôle judiciaire :

[…]

d) le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

[…]

99. […]

Demande de contrôle judiciaire

(3.1) La personne se trouvant au Canada et qui demande l’asile ailleurs qu’à un point d’entrée est tenue de fournir à l’agent, dans les délais prévus par règlement et conformément aux règles de la Commission, les renseignements et documents — y compris ceux qui sont relatifs au fondement de la demande — exigés par ces règles.

[…]

100. […]

Demande faite au Canada ailleurs qu’à un point d’entrée

(4) La personne se trouvant au Canada, qui demande l’asile à un point d’entrée et dont la demande est déférée à la Section de la protection des réfugiés est tenue de lui fournir, dans les délais prévus par règlement et conformément aux règles de la Commission, les renseignements et documents — y compris ceux qui sont relatifs au fondement de la demande — exigés par ces règles.

Renseignements et documents à fournir

(4.1) L’agent qui défère la demande d’asile fixe, conformément aux règlements, aux règles de la Commission et à toutes directives de son président, la date de l’audition du cas du demandeur par la Section de la protection des réfugiés.

[…]

107. […]

Date de l’audition

(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

Preuve

107.1 La Section de la protection des réfugiés fait état dans sa décision du fait que la demande est manifestement infondée si elle estime que celle-ci est clairement frauduleuse.

[…]

Demande manifestement infondée

109.1 (1) Le ministre peut, par arrêté, désigner un pays pour l’application du paragraphe 110(2) et de l’article 111.1.

Désignation de pays d’origine

(2) Il ne peut procéder à la désignation que dans les cas suivants :

a) s’agissant d’un pays dont les ressortissants ont présenté des demandes d’asile au Canada sur lesquelles la Section de la protection des réfugiés a statué en dernier ressort en nombre égal ou supérieur au nombre prévu par arrêté, si l’une ou l’autre des conditions ci-après est remplie :

(i) le taux, exprimé en pourcentage, obtenu par la division du nombre total des demandes présentées par des ressortissants du pays en cause qui ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés en dernier ressort et de celles dont elle a prononcé le désistement ou le retrait en dernier ressort — durant la période prévue par arrêté — par le nombre total des demandes d’asile présentées par des ressortissants du pays en cause et sur lesquelles la Section a statué en dernier ressort durant la même période est égal ou supérieur au pourcentage prévu par arrêté,

(ii) le taux, exprimé en pourcentage, obtenu par la division du nombre total des demandes présentées par des ressortissants du pays en cause dont la Section de la protection des réfugiés a prononcé le désistement ou le retrait en dernier ressort — durant la période prévue par arrêté — par le nombre total des demandes d’asile présentées par des ressortissants du pays en cause et sur lesquelles la Section a statué en dernier ressort durant la même période est égal ou supérieur au pourcentage prévu par arrêté;

b) s’agissant d’un pays dont les ressortissants ont présenté des demandes d’asile au Canada sur lesquelles la Section de la protection des réfugiés a statué en dernier ressort en nombre inférieur au nombre prévu par arrêté, si le ministre est d’avis que le pays en question répond aux critères suivants :

(i) il y existe des institutions judiciaires indépendantes,

(ii) les droits et libertés démocratiques fondamentales y sont reconnus et il y est possible de recourir à des mécanismes de réparation pour leur violation,

(iii) il y existe des organisations de la société civile.

Réserve

(3) Le ministre peut, par arrêté, prévoir le nombre, la période et les pourcentages visés au paragraphe (2).

Arrêté

(4) Les arrêtés ne sont pas des textes réglementaires au sens de la Loi sur les textes réglementaires, mais sont publiés dans la Gazette du Canada.

Caractère non réglementaire

Appel devant la Section d’appel des réfugiés

110. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

[…]

Appel

(2) Ne sont pas susceptibles d’appel :

[…]

b) le prononcé de désistement ou de retrait de la demande d’asile;

c) la décision de la Section de la protection des réfugiés rejetant la demande d’asile en faisant état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile ou du fait que celle-ci est manifestement infondée;

[…]

d.1) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile du ressortissant d’un pays qui faisait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1) à la date de la décision;

[…]

Restriction

(2.1) L’appel doit être interjeté et mis en état dans les délais prévus par les règlements.

[…]

Formation de l'appel

111.1 (1) Les règlements régissent l’application de la présente section et portent notamment sur :

a) les délais impartis pour fournir des renseignements et documents au titre des paragraphes 99(3.1) ou 100(4);

b) les délais impartis pour l’audition mentionnée au paragraphe 100(4.1);

[…]

Règlements

(2) Les règlements pris au titre de l’alinéa (1)b) peuvent prévoir, à l’égard des demandeurs d’asile qui, à la date de leur demande, sont les ressortissants d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1), des délais différents de ceux qui sont applicables à l’égard des autres demandeurs d’asile.

Délais différents : alinéa (1)b)

Section 3

Examen des risques avant renvoi

Protection

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

Demande de protection

(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :

[…]

b.1) sous réserve du paragraphe (2.1), moins de douze mois ou, dans le cas d’un ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1), moins de trente-six mois se sont écoulés depuis le dernier rejet de sa demande d’asile — sauf s’il s’agit d’un rejet prévu au paragraphe 109(3) ou d’un rejet pour un motif prévu à la section E ou F de l’article premier de la Convention — ou le dernier prononcé du désistement ou du retrait de la demande par la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés;

c) sous réserve du paragraphe (2.1), moins de douze mois ou, dans le cas d’un ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1), moins de 36 mois se sont écoulés depuis le rejet de sa dernière demande de protection ou le prononcé du retrait ou du désistement de cette demande par la Section de la protection des réfugiés ou le ministre.

[…]

Exception

(2.1) Le ministre peut exempter de l’application des alinéas (2)b.1) ou c) :

a) les ressortissants d’un pays ou, dans le cas de personnes qui n’ont pas de nationalité, celles qui y avaient leur résidence habituelle;

b) ceux de tels ressortissants ou personnes qui, avant leur départ du pays, en habitaient une partie donnée;

c) toute catégorie de ressortissants ou de personnes visés à l’alinéa a).

Exemption

(2.2) Toutefois, l’exemption ne s’applique pas aux personnes dont la demande d’asile a fait l’objet d’une décision par la Section de la protection des réfugiées ou, en cas d’appel, par la Section d’appel des réfugiés après l’entrée en vigueur de l’exemption.

[…]

Application

161. (1) Sous réserve de l’agrément du gouverneur en conseil et en consultation avec les vice-présidents, le président peut prendre des règles visant :

[…]

c) la teneur, la forme, le délai de présentation et les modalités d’examen des renseignements à fournir dans le cadre d’une affaire dont la Commission est saisie;

[…]

Règles

(1.1) Les règles visées à l’alinéa (1)c) peuvent traiter différemment une demande d’asile faite par un demandeur se trouvant au Canada selon que celle-ci a été soumise à un point d’entrée ou ailleurs ou selon que le demandeur est, ou non, à la date de sa demande, ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1).

[…]

Variations

170.2 La Section de la protection des réfugiés n’a pas compétence pour rouvrir, pour quelque motif que ce soit, y compris le manquement à un principe de justice naturelle, les demandes d’asile ou de protection ou les demandes d’annulation ou de constat de perte de l’asile à l’égard desquelles la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale, selon le cas, a rendu une décision en dernier ressort.

Demandes non susceptibles de réouverture

Arrêté établissant des seuils quantitatifs pour la désignation des pays d’origine, (2012) Gaz. C. I, 3378 

1. Dans le présent arrêté, la « Loi » s’entend de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

2. Pour l’application des alinéas 109.1(2)a) et b) de la Loi, le nombre est de trente durant toute période de douze mois consécutifs au cours des trois années antérieures à la date de la désignation.

3. Pour l’application du sous-alinéa 109.1(2)a)(i) de la Loi, la période est la même période de douze mois retenue aux termes de l’article 2 et le pourcentage est de 75 %.

4. Pour l’application du sous-alinéa 109.1(2)a)(ii) de la Loi, la période est la même période de douze mois retenue aux termes de l’article 2 et le pourcentage est de 60 %.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

159.9 (1) Pour l’application du paragraphe 100(4.1) de la Loi et sous réserve des paragraphes (2) et (3), la date de l’audition devant la Section de la protection des réfugiés ne peut être postérieure à l’expiration :

a) dans le cas d’un demandeur visé au paragraphe 111.1(2) de la Loi :

(i) d’un délai de trente jours suivant la date à laquelle la demande est déférée à la Section, si le demandeur se trouve au Canada et demande l’asile ailleurs qu’à un point d’entrée,

(ii) d’un délai de quarante-cinq jours suivant la date à laquelle la demande est déférée à la Section, si le demandeur se trouve au Canada et demande l’asile à un point d’entrée;

b) dans le cas de tout autre demandeur — que la demande ait été faite à un point d’entrée ou ailleurs au Canada —, d’un délai de soixante jours suivant la date à laquelle la demande est déférée à la Section.

[…]

Délais — audition

159.91 (1) Pour l’application du paragraphe 110(2.1) de la Loi et sous réserve du paragraphe (2), la personne en cause ou le ministre qui porte en appel la décision de la Section de la protection des réfugiés le fait dans les délais suivants :

a) pour interjeter appel de la décision devant la Section d’appel des réfugiés, dans les quinze jours suivant la réception, par la personne en cause ou le ministre, des motifs écrits de la décision;

[…]

Délais d’appel

206. (1) Un permis de travail peut être délivré à l’étranger au Canada en vertu de l’article 200 si celui-ci ne peut subvenir à ses besoins autrement qu’en travaillant et si, selon le cas :

a) sa demande d’asile a été déférée à la Section de la protection des réfugiés, mais n’a pas encore été réglée;

b) il fait l’objet d’une mesure de renvoi qui ne peut être exécutée.

Aucun autre moyen de subsistance

(2) Malgré le paragraphe (1), un permis de travail ne peut être délivré à un demandeur visé au paragraphe 111.1(2) de la Loi que si au moins cent quatre-vingts jours se sont écoulés depuis que sa demande d’asile a été déférée à la Section de la protection des réfugiés.

[…]

Exception

231. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (4), la demande d’autorisation de contrôle judiciaire faite conformément à l’article 72 de la Loi à l’égard d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés rejetant une demande d’asile ou en confirmant le rejet emporte sursis de la mesure de renvoi jusqu’au premier en date des événements suivants :

a) la demande d’autorisation est rejetée;

b) la demande d’autorisation est accueillie et la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans qu’une question soit certifiée pour la Cour fédérale d’appel;

c) si la Cour fédérale certifie une question :

(i) soit l’expiration du délai d’appel sans qu’un appel ne soit interjeté,

(ii) soit le rejet de la demande par la Cour d’appel fédérale et l’expiration du délai de dépôt d’une demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada sans qu’une demande ne soit déposée;

d) si l’intéressé dépose une demande d’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada du jugement de la Cour d’appel fédérale visé à l’alinéa c), la demande est rejetée;

e) si la demande d’autorisation visée à l’alinéa d) est accueillie, l’expiration du délai d’appel sans qu’un appel ne soit interjeté ou le jugement de la Cour suprême du Canada rejetant l’appel.

Sursis : contrôle judiciaire

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si, au moment de la demande d’autorisation de contrôle judiciaire, l’intéressé est un étranger désigné ou un ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1) de la Loi.

Exception

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256

3. […]

(2) Sous réserve de l’alinéa (3)b), l’agent choisit la date la plus proche du dernier jour du délai applicable prévu par le Règlement, à moins que le demandeur consente à une date plus rapprochée.

Date fixée par l’agent

(3) Pour fixer les date, heure et lieu de l’audience, l’agent prend en considération les éléments suivants :

[…]

b) la disponibilité du conseil, si le demandeur d’asile a retenu les services d’un conseil au moment où sa demande a été déférée et que l’agent a été avisé de la disponibilité du conseil pour assister à l’audience à l’une des dates proposées par la Section.

[…]

Éléments à considérer

7. (1) Le demandeur visé au paragraphe 99(3.1) de la Loi transmet l’original et une copie du Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli à l’agent visé à la règle 3.

Transmission du formulaire — demande ailleurs qu’à un point d’entrée

(2) Le demandeur autre qu’un demandeur visé au paragraphe 99(3.1) de la Loi transmet à la Section l’original et une copie du Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli.

Transmission du formulaire — demande à un point d’entrée

(3) Le demandeur d’asile joint à l’original et à la copie du Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli, une copie de ses documents d’identité, de ses titres de voyage, qu’ils soient authentiques ou non, et de tout autre document pertinent en sa possession. Il n’a pas à le faire dans le cas d’un document saisi par l’agent ou transmis à la Section par l’agent.

[…]

Documents à joindre

8. (1) Le demandeur d’asile qui présente une demande de prorogation du délai pour transmettre le Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli fait sa demande conformément à la règle 50 mais il n’est pas tenu d’y joindre un affidavit ou une déclaration solennelle.

[…]

Demande de prorogation de délai

54. (1) Sous réserve du paragraphe (5), la demande de changer la date ou l’heure d’une procédure est faite conformément à la règle 50, mais la partie n’est pas tenue d’y joindre un affidavit ou une déclaration solennelle.

[…]

Demande par écrit

(4) Sous réserve du paragraphe (5), la Section ne peut accueillir la demande, sauf en cas des circonstances exceptionnelles, notamment :

a) le changement est nécessaire pour accommoder une personne vulnérable;

b) dans le cas d’une urgence ou d’un autre développement hors du contrôle de la partie, lorsque celle-ci s’est conduite avec diligence.

Éléments à considérer

(5) Si, au moment où l’agent a fixé la date d’une audience en vertu du paragraphe 3(1), il n’avait pas de conseil ou était incapable de transmettre les dates auxquelles son conseil serait disponible pour se présenter à une audience, le demandeur d’asile peut faire une demande pour changer la date ou l’heure de l’audience. Sous réserve de restrictions d’ordre fonctionnel, la Section accueille la demande si, à la fois :

a) le demandeur d’asile retient les services d’un conseil au plus tard cinq jours ouvrables après la date à laquelle l’audience a été fixée par l’agent;

b) le conseil n’est pas disponible à la date fixée pour l’audience;

c) la demande est faite par écrit;

d) la demande est faite sans délai et au plus tard cinq jours ouvrables après la date à laquelle l’audience a été fixée par l’agent;

e) le demandeur d’asile transmet au moins trois dates et heures auxquelles le conseil est disponible, qui sont dans les délais prévus par le Règlement pour l’audience relative à la demande d’asile.

[…]

Conseil retenu ou disponibilités du conseil transmises après la date à laquelle l’audience a été fixée

62. (1) À tout moment avant que la Section d’appel des réfugiés ou la Cour fédérale rende une décision en dernier ressort à l’égard de la demande d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou dont le désistement a été prononcé, le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir cette demande d’asile.

[…]

Demande de réouverture d’une demande d’asile

(6) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi.

Élément à considérer

(7) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

a) la question de savoir si la demande a été faite en temps opportun et, le cas échéant, la justification du retard;

b) les raisons pour lesquelles :

(i) soit une partie qui en avait le droit n’a pas interjeté appel auprès de la Section d’appel des réfugiés,

(ii) soit une partie n’a pas présenté une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ou une demande de contrôle judiciaire.

Éléments à considérer

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