T-367-13
2015 CF 405
La Commissaire à l’information du Canada (demanderesse)
c.
Le procureur général du Canada (défendeur)
et
Via Rail Canada Inc., l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien et la Banque de développement du Canada (intervenantes)
Répertorié : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Procureur général)
Cour fédérale, juge Harrington—Ottawa, 25 février et 31 mars 2015.
Accès à l’information — Renvoi visant à déterminer la question de savoir s’il est loisible aux institutions gouvernementales de facturer un droit pour la recherche de renseignements figurant dans des documents électroniques gouvernementaux et pour leur préparation en vue de leur communication — Une demande d’accès à des dossiers a été faite en vertu de la Loi sur l’accès à l’information à Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) — Ces documents existaient sous forme électronique et n’avaient pas à être créés par un ordinateur à partir d’autres documents — RHDCC a calculé des droits de recherche et de préparation conformément aux art. 11(2) et 11(3) de la Loi — La demanderesse a fait valoir qu’étant donné que les documents en question existaient et étaient informatisés, il n’y avait pas de droits à payer — Le débat portait sur le sens des mots « document », « document informatisé », « document [qui] n’est pas informatisé » et « ordinateur » au sens de la Loi et du Règlement sur l’accès à l’information — Il s’agissait de savoir si les documents électroniques sont des documents qui ne sont pas informatisés en vue de l’application des droits de recherche et de préparation qu’autorisent l’art. 11(2) de la Loi et l’art. 7(2) du Règlement — Le changement apporté à la définition d’un « document » dans la Loi est une affaire de style plutôt que de fond — La nouvelle définition est neutre et prévoit l’évolution de la technologie — Le législateur a permis au gouverneur en conseil de réglementer les droits de recherche et de préparation, peu importe la forme que revêt le document — C’est dans l’interprétation du Règlement que réside la difficulté — La question quant à savoir pourquoi l’art. 7(2) fait mention d’un « document [qui] n’est pas informatisé », plutôt que de faire simplement mention d’un document, comme c’est le cas dans la Loi elle-même a été posée — L’art. 7(3) se rapporte aux documents qui n’existaient pas à l’époque de la demande, mais qui ont été créés par la suite — II y a un écart sur le plan des droits de recherche et de préparation, en ce sens qu’ils ne portent pas sur les documents électroniques qui n’ont pas été eux-mêmes créés à partir d’un document informatisé — Il n’y a aucune ambiguïté entre les versions française et anglaise de la Loi et du Règlement — Rien ne conférerait au terme « document [qui] n’est pas informatisé » de l’art. 7(2) le sens restreint que préconisent le procureur général et les intervenantes, à savoir qu’un « document [qui] n’est pas informatisé » comprend tout document électronique qui n’existait pas en soi, mais qui a été créé à partir d’autres documents en vue de répondre à une demande présentée en vertu de l’art. 4(3) de la Loi — Lorsqu’il a fixé les frais de copie, le gouverneur en conseil a été très précis; de même, la disposition réglementaire concernant la recherche et la préparation est très précise — Le législateur l’indique très clairement : pas de règlement, pas de droit — La question faisant l’objet du renvoi est répondue par la négative.
Il s’agissait d’un renvoi de la part de la demanderesse visant à déterminer la question de savoir s’il est loisible aux institutions gouvernementales de facturer au public un droit pour la recherche de renseignements figurant dans des documents électroniques gouvernementaux et pour leur préparation en vue de leur communication.
Un citoyen a présenté une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information à Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), qui porte aujourd’hui le nom de ministère de l’Emploi et du Développement social, pour trois séries de documents. Ces documents existent sous forme électronique et n’avaient pas à être créés par un ordinateur à partir d’autres documents. RHDCC a calculé des droits de recherche et de préparation de 4 180 $ pour deux séries de documents, le tout conformément aux paragraphes 11(2) et 11(3) de la Loi. Les droits ont été calculés en prenant pour base qu’il faudrait 423 heures pour trouver et préparer tous les documents applicables. La demanderesse a toutefois exprimé l’avis qu’étant donné que les documents en question existaient et étaient informatisés, il n’y avait pas de droits de recherche et de préparation à payer. Le débat a porté sur le sens des mots « document », « document informatisé », « document [qui] n’est pas informatisé » et « ordinateur » au sens de la Loi et du Règlement sur l’accès à l’information.
La question soumise consistait à savoir si les documents électroniques sont des documents qui ne sont pas informatisés en vue de l’application des droits de recherche et de préparation qu’autorisent le paragraphe 11(2) de la Loi et le paragraphe 7(2) du Règlement.
Jugement : On doit répondre par la négative à la question faisant l’objet du renvoi.
La définition du mot « document » dans la Loi a été modifiée pour signifier « éléments d’information, quel qu’en soit le support ». Ce changement apporté à la définition d’un « document » est une affaire de style plutôt que de fond. La nouvelle définition est neutre et prévoit l’évolution de la technologie sans avoir à réviser à répétition la définition. La Loi elle-même ne pose aucune difficulté. À part prévoir qu’un droit de demande ne doit pas excéder la somme de 25 $, le législateur a permis au gouverneur en conseil de réglementer les droits de recherche et de préparation, peu importe la forme que revêt le document, électronique ou imprimé, et, s’il est sous forme électronique, s’il existait déjà ou a dû être créé à partir d’un document informatisé. C’est dans l’interprétation du Règlement que réside la difficulté. Il s’agit de savoir pourquoi le paragraphe 7(2) fait mention d’un « document [qui] n’est pas informatisé », plutôt que de faire mention d’un document. Il faut considérer que le paragraphe 7(3) se rapporte aux documents qui n’existaient pas à l’époque de la demande, mais qui ont été créés par la suite. Le règlement est extrêmement précis au sujet des types de forme de reproduction pour lesquels des droits peuvent être imposés. Ils n’ont pas été mis à jour pour englober la production de formes de DVD ou de dispositifs USB. Dans le même ordre d’idées, il y a un écart sur le plan des droits de recherche et de préparation, en ce sens qu’ils ne portent pas sur les documents électroniques qui n’ont pas été eux-mêmes créés à partir d’un document informatisé. Il n’y a aucune ambiguïté entre les versions française et anglaise de la Loi et du Règlement. Il est question au paragraphe 7(2) du Règlement d’un « document [qui] n’est pas informatisé ». Rien ne conférerait à ce terme le sens restreint préconisé, à savoir qu’un « document [qui] n’est pas informatisé » comprend tout document électronique qui n’existait pas en soi, mais qui a été créé à partir d’autres documents en vue de répondre à une demande présentée en vertu du paragraphe 4(3) de la Loi. Lorsqu’il a fixé les frais de copie, le gouverneur en conseil a été très précis. Dans le même ordre d’idées, la disposition réglementaire concernant la recherche et la préparation est très précise. Le législateur l’indique très clairement : pas de règlement, pas de droit. Certaines des intervenantes sont mal équipées pour répondre aux demandes, et sont soumises à des contraintes budgétaires. Des droits de recherche et de préparation aideraient à alléger leur situation financière. Mais c’est le législateur qui a assujetti ces institutions gouvernementales à la Loi. Si elles sont insuffisamment financées, il ne faudrait pas qu’elles s’adressent aux tribunaux pour obtenir réparation.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [L.R.C. (1985) appendice II, no 5], art. 91, 92.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91.
Loi édictant la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, modifiant la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la Cour fédérale et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, S.C. 1980-81-82-83, ch. 111.
Loi fédérale sur la responsabilité, L.C. 2006, ch. 9.
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2, 3 « document », 4(3), 11, 77.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.3.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 20.
Merchant Shipping (Liability of Shipowners and Others) Act 1958 (R.-U.), 6 & 7 Eliz. II, ch. 62.
Personal Information Protection Act, S.A. 2003, ch. P-6.5.
Règlement sur l’accès à l’information, DORS/83-507, art. 3, 7.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :
Blank c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2000 CanLII 16437 (C.F. 1re inst.).
DÉCISION APPLIQUÉE :
Procureur général de l’Ontario et autre c. Municipalité régionale de Peel, [1979] 2 R.C.S. 1134.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
The Putbus, [1969] 2 All E.R. 676, [1969] 1 Lloyd’s Rep. 253 (C.A.); Police Authority for Huddersfield v. Watson, [1947] K.B. 842; Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 341; Yeager c. Canada (Services correctionnels), 2003 CAF 30, [2003] 3 C.F. 107; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 40, [2013] 4 R.C.F. 155; Glykis c. Hydro-Québec, 2004 CSC 60, [2004] 3 R.C.S. 285; The Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons, [1881] UKPC 49 (BaiLII), (1881-82), 7 A.C. 96; Yates v. United States, 574 U.S. __ (2015).
DÉCISIONS CITÉES :
Commissaire à l’information du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CF 133; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Perka et al. c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84.
DOCTRINE CITÉE
Carroll, Lewis. Through the looking-glass and what Alice found there.
Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 4e éd. Montréal : Thémis, 2009.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham, Ont. : Lexis Nexis Canada, 2008.
renvoi de la part de la demanderesse visant à déterminer la question de savoir s’il est loisible aux institutions gouvernementales de facturer au public un droit pour la recherche de renseignements figurant dans des documents électroniques gouvernementaux et pour leur préparation en vue de leur communication. La question faisant l’objet du renvoi est répondue par la négative.
ONT COMPARU
Louisa Garib et Diane Therrien pour la demanderesse.
Gregory Tzemenakis pour le défendeur.
Loïc Berdnikoff pour les intervenantes.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Sack Goldblatt Mitchell LLP, Toronto, et Commissaire à l’information du Canada, Gatineau (Québec), pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Lavery, de Billy, Montréal, pour les intervenantes.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Harrington : Est-il loisible aux institutions gouvernementales assujetties à la Loi sur l’accès à l’information [L.R.C. (1985), ch. A-1] (la Loi) de facturer au public un droit pour la recherche de renseignements figurant dans des documents électroniques gouvernementaux et pour leur préparation en vue de leur communication? Le problème réside dans la définition du mot « document » (record) [à l’article 3 de la Loi]. La Loi envisage deux types de documents électroniques : ceux qui existent déjà et ceux qui n’existent pas, mais qu’il est possible de créer avec l’aide d’ordinateurs. L’actuelle commissaire à l’information soutient que l’on ne peut imposer des droits qu’à l’égard du second type de documents électroniques. Le procureur général et les sociétés d’État qui sont intervenus sont d’avis qu’il est possible de facturer un droit, indépendamment du fait que le document en question existe présentement ou non. C’était également l’avis du prédécesseur de la commissaire.
[2] Il s’agit là d’un point précis, qui n’est pas facile à régler. Non seulement le libellé de la Loi et du Règlement [Règlement sur l’accès à l’information, DORS/83-507] y afférent est-il vague, mais ces deux textes n’ont presque pas changé depuis leur adoption, au début des années 1980. À cette époque, il existait bien des ordinateurs personnels, mais leur emploi dans les lieux de travail gouvernementaux était plus ou moins inexistant. Au fil des ans, les documents que l’on produisait uniquement sur papier ont été remplacés par des documents électroniques, mais il peut aussi y avoir des versions papier. Aujourd’hui, les ordinateurs personnels, les ordinateurs portables et les tablettes sont largement répandus dans les lieux de travail gouvernementaux.
[3] La réponse réside dans l’intention du législateur et du gouverneur en conseil, mais je dois dire que je suis loin d’être sûr de ce qu’était cette intention. Il me vient à l’esprit la décision du lord juge Edmund Davies, dans l’affaire The Putbus, [1969] 2 All E.R. 676 (C.A.), qui a déclaré ce qui suit au sujet d’une disposition complexe de la Merchant Shipping (Liability of Shipowners and Others) Act 1958 (R.-U.), 6 & 7 Eliz. II, ch. 62 [à la page 681] :
[traduction] Cette disposition obscure incite à adopter librement les propos du lord juge Scrutton dans Green v. Premier Glynrhonwy Slate Co., Ltd., [[1928] 1 K.B. 561, à la page 566] […]
« […] quand on me demande si j’ai découvert le sens des mots qu’envisageait le législateur, je réponds franchement que je n’en ai pas la moindre idée ».
Mais, bien que je sois tenté de faire écho à ces propos, je ne suis pas d’avis que le problème d’interprétation soit tout à fait insoluble.
[4] De nombreuses aides à l’interprétation des lois ont été invoquées : la méthode « moderne », le sens commun des lois bilingues, ainsi que l’originalisme par opposition à la méthode de l’« arbre vivant », parmi d’autres. Une vaste jurisprudence a été résumée dans deux des principaux textes canadiens sur le sujet : Pierre-André Côté, avec la collaboration de Mathieu Devinat et de Stéphane Beaulac, Interprétation des lois, 4e éd. (Montréal : Thémis, 2009) et Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham, Ont. : Lexis Nexis Canada, 2008).
[5] La question a été renvoyée à la Cour par la commissaire à l’information en vertu du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7], lequel dispose que les offices fédéraux peuvent renvoyer devant la Cour fédérale pour jugement toute question de droit. Le procureur général a tout d’abord exprimé l’avis que la commissaire ne tombait pas sous le coup de l’article 18.3 parce que ses fonctions étaient de nature consultative plutôt que décisionnelle. La protonotaire Tabib a rejeté sa requête en radiation au motif qu’il n’était pas évident et manifeste que la commissaire à l’information ne pouvait pas se prévaloir de cette disposition (Commissaire à l’information du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CF 133).
[6] Le procureur général est ensuite revenu sur sa position initiale. Son client, Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), qui porte aujourd’hui le nom de ministère de l’Emploi et du Développement social, a l’intention d’imposer des frais de recherche et de préparation pour les documents électroniques qui se trouvent dans ses ordinateurs. Je suis convaincu que la commissaire à l’information a le droit de soumettre une question à la Cour en vertu de l’article 18.3.
I. Les faits
[7] Il convient de louer les parties pour le temps et les efforts qu’elles ont dépensés en vue d’établir un exposé conjoint des faits assorti de diverses pièces.
[8] Le présent litige a débuté en 2011. Un citoyen a présenté une demande en vertu de la Loi à RHDCC pour les trois séries de documents qui suivent :
[traduction]
1. Le « schéma de relations de tables » (ou le « dictionnaire de données » par ailleurs formaté) d’une base de données relationnelle, qui définit la structure de tables présente dans la base de données sur les dossiers de NAS, y compris le schéma de tous les tableaux (nom et types de données de tous les champs), ainsi que les relations de tables;
2. Tous les manuels ou guides de l’utilisateur concernant le système de bases de données, ainsi que les interfaces utilisateur-ordinateur frontal connexes utilisés pour dispenser les services relatifs à l’« immatriculation aux assurances sociales », y compris, notamment au processus d’actualisation des dossiers de NAS existants;
3. Une description du journal des changements du réalisateur de logiciel, indiquant les changements successifs de version en version du système susmentionné et de son application d’interface utilisateur-ordinateur frontal.
Il est admis que ces documents existent sous forme électronique et n’ont pas à être créés par un ordinateur à partir d’autres documents.
[9] Après certains échanges, la première série de documents a été fournie. Cependant, RHDCC a calculé des droits de recherche et de préparation de 4 180 $ pour les deux autres séries et a exigé un paiement anticipé, le tout conformément aux paragraphes 11(2) et 11(3) de la Loi. Les droits ont été calculés en prenant pour base qu’il faudrait 423 heures pour trouver et préparer tous les documents applicables.
[10] L’auteur de la demande a ensuite porté plainte auprès du Commissariat à l’information. Sa plainte avait trait à l’estimation du temps requis et, donc, au montant des droits. La commissaire a toutefois exprimé l’avis qu’étant donné que les documents en question existaient et étaient informatisés, il n’y avait pas de droits de recherche et de préparation à payer. La question qui m’est soumise est donc le caractère raisonnable de l’estimation.
[11] Cette position constitue un changement radical, car le commissaire à l’information précédent était d’avis que les institutions gouvernementales étaient en droit de facturer des droits pour la recherche et la préparation de documents électroniques. Cet avis reposait sur la décision du juge Muldoon dans l’affaire Blank c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2000 CanLII 16437 (C.F. 1re inst.). L’actuelle commissaire à l’information estime que la décision Blank n’a pas tranché la question et que, si l’on interprète comme il faut la Loi sur l’accès à l’information et le Règlement sur l’accès à l’information, de tels droits ne peuvent pas être imposés.
II. La Loi et le Règlement
[12] La Loi a été sanctionnée en 1982 (S.C. 1980-81-82-83, ch. 111 [Loi édictant la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, modifiant la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la Cour fédérale et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois]), et le Règlement a été enregistré l’année suivante (DORS/83-507). Ces deux textes ont été modifiés par la suite en vue de prévoir la création de documents sur « supports de substitution », permettant à une personne ayant une déficience sensorielle de les lire ou de les écouter. Les documents créés sur un tel support ne sont pas en litige.
[13] La seule modification à la Loi qui pourrait être pertinente est la définition du mot « document/record ». Un « document » (record) est défini à l’article 3 de la Loi :
3. […] |
|
« document » Éléments d’information, quel qu’en soit le support. |
« document » “record” |
Le texte antérieur de cette définition était le suivant :
3. […] |
|
« document » Tous éléments d’information, quels que soient leur forme et leur support, notamment correspondance, note, livre, plan, carte, dessin, diagramme, illustration ou graphique, photographie, film, microformule, enregistrement sonore, magnétoscopique ou informatisé, ou toute reproduction de ces éléments d’information. |
« document » “record” |
[14] Le mot « document » (record) a été défini plus en détail au paragraphe 4(3) de la Loi, qui n’a jamais été modifié :
4. […] |
|
(3) Pour l’application de la présente loi, les documents qu’il est possible de préparer à partir d’un document informatisé relevant d’une institution fédérale sont eux-mêmes considérés comme relevant de celle-ci, même s’ils n’existent pas en tant que tels au moment où ils font l’objet d’une demande de communication. La présente disposition ne vaut que sous réserve des restrictions réglementaires éventuellement applicables à la possibilité de préparer les documents et que si l’institution a normalement à sa disposition le matériel, le logiciel et les compétences techniques nécessaires à la préparation. [Non souligné dans l’original.] |
Document issu d’un document informatisé |
[15] Le débat porte sur le sens des mots « document/record », « document informatisé/machine readable record », « document [qui] n’est pas informatisé/non-computerized record » et « ordinateur/computer » au sens de la Loi et du Règlement.
[16] Comme l’indique l’article 2 de la Loi, cette dernière vise à donner aux Canadiens accès aux documents que détiennent certaines institutions gouvernementales.
[17] Les droits à acquitter sont prévus à l’article 11 de la Loi et à l’article 7 du Règlement, deux dispositions dont le texte est reproduit intégralement à l’annexe ci-jointe. L’article 11 de la Loi précise qu’une personne qui fait une demande d’accès à un document peut être tenue d’acquitter :
a. un droit de demande d’un montant maximal de 25 $;
b. un droit correspondant aux frais de reproduction;
c. le coût de la production d’un document sur support de substitution;
d. un montant déterminé par règlement, s’il faut plus de cinq heures pour rechercher le document ou en prélever la partie communicable, que ce soit à partir d’un document informatisé ou non.
[18] L’article 77 de la Loi prévoit que le gouverneur en conseil peut notamment, par voie de règlement :
77. […] d) fixer le montant des droits prévus à l’alinéa 11(1)a) et déterminer le mode de calcul du montant exigible en vertu des alinéas 11(1)b) et c) et des paragraphes 11(2) et (3); |
Règlements |
[19] L’article 7 du Règlement indique les quatre types de droit que le législateur a autorisé le gouverneur en conseil à adopter par voie de règlement :
a. le droit de demande est de 5 $;
b. les droits de reproduction sont fixés pour une photocopie, la reproduction d’une micro-fiche, la reproduction d’un microfilm, la reproduction d’une micro-forme sur papier et la reproduction d’une bande magnétique sur une autre bande;
c. le droit de reproduction d’un document sur un support de substitution, qu’il soit en braille, en gros caractères, sur audiocassette ou sur disquette de micro-ordinateur.
Ces droits ne sont pas directement en litige, mais ils éclairent quand même le débat entourant le quatrième type de droit, celui qui s’applique à la recherche et à la préparation. Par exemple, il est bien établi qu’aucun droit ne peut être imposé en vue de produire un document sur un support plus moderne, comme un DVD ou une clé USB.
[20] Cela nous amène au cœur du problème : les paragraphes 2 et 3 de l’article 7 du Règlement. Aux termes du paragraphe 7(2) du Règlement, si le document « n’est pas informatisé » (is a non-computerized record) [non souligné dans l’original] le responsable de l’institution gouvernementale en question peut exiger le versement d’un montant de 2,50 $ la personne par quart d’heure pour chaque heure en sus de cinq passée à la recherche et à la préparation.
[21] Le paragraphe 7(3) prévoit ensuite que lorsque le document demandé est produit « à partir d’un document informatisé » ( the record […] is produced from a machine readable record ) [non souligné dans l’original], le responsable de l’institution gouvernementale peut, en plus de tout autre droit, en imposer deux autres :
7. […]
(3) […]
a) 16,50 $ par minute pour l’utilisation de l’unité centrale de traitement et de tous les périphériques connectés sur place; et
b) 5 $ la personne par quart d’heure passé à programmer l’ordinateur.
III. La position des parties
[22] Le texte officiel du renvoi est formulé en ces termes :
[traduction] Les documents électroniques sont-ils des documents qui ne sont pas informatisés en vue de l’application des droits de recherche et de préparation qu’autorisent le paragraphe 11(2) de la Loi sur l’accès à l’information (la Loi) et le paragraphe 7(2) du Règlement sur l’accès à l’information (le Règlement)?
[23] La commissaire à l’information soutient que la réponse à cette question est « non ». À son avis, l’expression « documents non informatisés » désigne ceux qui ne sont pas stockés dans un ordinateur ou produits sous forme électronique.
[24] Le procureur général soutient que la réponse devrait être la suivante :
[traduction] Oui. Selon une analyse contextuelle, les documents qui sont soumis aux droits de recherche et de préparation dont il est question au paragraphe 7(2) du Règlement comprennent les documents établis sous une forme électronique (tels que les documents Word ou les messages électroniques) qu’il est possible de produire sans devoir programmer un ordinateur pour les créer.
[25] Les intervenantes soutiennent-elles aussi que la réponse devrait être « oui ».
[26] Les parties conviennent toutes que le Règlement est périmé. Les droits, abstraction faite de la modification qui a été apportée ultérieurement au sujet des documents présentés sur un support de substitution, sont les mêmes qu’en 1983, sauf qu’en 1986 le droit de photocopie a été réduit de 0,25 $ la page à 0,20 $ la page. La commissaire est consciente que, dans certains cas, la recherche de documents électroniques est une opération simple, tandis que, dans d’autres, il peut s’agir d’un travail ardu, qui requiert un temps et des ressources considérables. Les renseignements gouvernementaux existent sous forme tant électronique que non électronique. Les documents électroniques peuvent être stockés dans divers systèmes au moyen d’un éventail de techniques classiques et nouvelles. La gamme des matériels et des logiciels change rapidement. Il n’existe aucun système intégré pour la gestion des données, car les renseignements peuvent être stockés dans des ordinateurs personnels, des disques durs, des disques externes, des dispositifs USB, des tablettes, des serveurs autonomes, des serveurs à accès commun, etc.
IV. Le degré de déférence requis
[27] Dois-je faire preuve de déférence envers les juges qui se sont penchés dans le passé sur les passages applicables de la Loi et du Règlement, envers la commissaire à l’information, dont c’est la loi habilitante qui est en question, ainsi qu’envers l’opinion de ministres fédéraux, et notamment le président du Conseil du Trésor, dont ce sont les prédécesseurs qui ont fixé les droits de recherche et de préparation? À mon avis, c’est par la négative qu’il faut répondre à la question.
[28] Dans la décision Blank, précitée, l’accent était principalement mis sur la question de savoir s’il existait certains documents. Cependant, le juge Muldoon était également d’avis que les frais de recherche et de préparation proposés pour la communication de messages électroniques déjà existants étaient raisonnables.
[29] Le juge Muldoon et moi sommes de même rang, soumis à rectification de la part de la Cour d’appel fédérale. Le principe applicable n’est donc pas le stare decisis, mais plutôt la courtoisie judiciaire. Ce principe a déjà été clairement expliqué par le lord juge en chef Goddard, dans l’affaire Police Authority for Huddersfield v. Watson, [1947] K.B. 842, à la page 848 :
[traduction] […] je pense que selon la pratique contemporaine et la conception contemporaine de la question, c’est par déférence confraternelle qu’un juge de première instance se conforme toujours à la décision d’un autre juge de première instance, à moins qu’il ne soit convaincu que cette décision est erronée. Il n’est certainement pas tenu de se conformer à la décision d’un juge de même rang. Il n’est tenu de suivre que les décisions qui ont force jurisprudentielle à son égard, c’est-à-dire, s’il est juge de première instance, celles qui émanent de la Cour d’appel, de la Chambre des lords et de la Cour divisionnaire.
[30] Dans la décision Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 341, la juge Dawson a exposé les conditions qui justifieraient le refus de se conformer à une décision antérieure d’un même tribunal (au paragraphe 52) :
Un juge de la Cour, par courtoisie judiciaire, doit suivre une décision antérieure rendue par un autre juge de la Cour, à moins qu’il ne soit convaincu que : a) des décisions subséquentes ont remis en question la validité de cette décision antérieure; b) la décision antérieure ne tenait pas compte d’un précédent faisant autorité ou d’une loi pertinente; c) la décision antérieure a été rendue sans délibéré, c’est-à-dire que le juge a rendu sa décision sans avoir le temps de consulter la jurisprudence. S’il se trouve en présence de l’une de ces circonstances, un juge peut s’écarter de la ligne établie par la décision antérieure, à la condition qu’il expose clairement ses motifs de ce faire et, dans une affaire d’immigration, qu’il permette à la Cour d’appel fédérale de clarifier le droit en certifiant une question. Voir Re Hansard Spruce Mills Ltd., [1954] 4 D.L.R. 590, à la page 591 (B.C.C.A.), et Ziyadah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 152 (1re inst.).
[31] Il ne semble pas que la question de savoir si les droits étaient imposables, par opposition à leur caractère raisonnable, ait été soumise au juge Muldoon. À mon avis, la décision Blank est sans rapport avec la question.
[32] L’autre décision qu’il faut prendre en considération est l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Yeager c. Canada (Services correctionnels), 2003 CAF 30, [2003] 3 C.F. 107. Cette affaire, si elle est pertinente, a force exécutoire par application du principe du stare decisis. Elle est fort utile pour déterminer les documents qui sont susceptibles d’être communiqués. M. Yeager menait des recherches sur le système pénal canadien. Les données qu’il souhaitait obtenir n’existaient pas, mais pouvaient être créées. Cela aurait toutefois exigé un travail, des ressources et une expertise considérables. Il y avait également en jeu des questions de sécurité et d’atteinte à la vie privée. La Cour d’appel fédérale a exprimé l’avis que les documents demandés étaient des documents au sens du paragraphe 4(3) de la Loi. Elle a toutefois déclaré qu’il n’était pas obligatoire de les produire, car l’article 3 du Règlement prescrit qu’il n’est pas nécessaire de produire un document si cela entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution gouvernementale en question. La décision ne traite pas de la question des droits et, dans le présent contexte, on ne peut donc pas considérer qu’elle a force obligatoire.
[33] Le Commissariat à l’information s’est rangé des deux côtés de la question à des moments différents. Il faudrait examiner avec soin les avis exprimés — exprimés en fait dans des rapports annuels au Parlement — mais ils n’ont pas force obligatoire.
[34] Il est question en l’espèce d’un renvoi à la Cour de la part de la commissaire à l’information au sujet de la juste interprétation de la Loi et du Règlement. La Cour est appelée à former sa propre opinion, et non à décider si l’opinion de la commissaire à l’information, dans le passé ou à l’heure actuelle, est raisonnable ou pas, comme cela pourrait fort bien être le cas s’il s’agissait d’un contrôle judiciaire. Il ne s’agit pas d’une décision de la commissaire à l’information qui fait l’objet d’un tel contrôle.
[35] En conséquence, le principe général que la Cour suprême du Canada a énoncé, à savoir qu’il convient de faire preuve de déférence envers le décideur qui interprète sa loi habilitante, ne s’applique pas.
[36] Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, la Cour a conclu qu’il y avait lieu de faire preuve de déférence envers le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée sous le régime de la Personal Information Protection Act [S.A. 2003, ch. P-6.5] de l’Alberta. Le juge Rothstein a clairement indiqué qu’il traitait de la question de la déférence à l’égard des décisions de nature administrative. Voici ce qu’il a indiqué, au premier paragraphe :
En créant un tribunal administratif, une législature confère à un décideur le pouvoir de rendre des décisions dans un domaine où il est censé posséder une expertise. Une cour de justice doit déférer aux décisions administratives qui ressortissent à ce pouvoir décisionnel.
Et, a-t-il ajouté, au paragraphe 34 :
[…] je me contente d’affirmer que, sauf situation exceptionnelle — et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir —, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire. [Non souligné dans l’original.]
[37] La référence à l’arrêt Dunsmuir, ci-dessus, est un renvoi à l’arrêt de principe de la Cour suprême Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.
[38] Dans le cadre de ses fonctions, la commissaire à l’information a écrit à divers ministres fédéraux afin de les convaincre de la justesse du point de vue actuel du Commissariat. La réponse de l’honorable Tony Clement, président du Conseil du Trésor, en septembre 2011, revêt un intérêt particulier. La lettre de la commissaire portait sur des enquêtes relatives aux droits imposés par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI). Il a indiqué :
[traduction] La directive que le Secrétariat du Conseil du Trésor a donnée aux institutions assujetties à la Loi sur l’accès à l’information exige que ces dernières veillent à ne facturer des droits aux auteurs des demandes que pour les activités et les formats décrits à l’article 7 du Règlement sur l’accès à l’information, et qu’elles fassent preuve de discernement quand elles appliquent des droits, des dispenses, des réductions ou des remboursements. Dans ce contexte, le MAECI a fait preuve de discernement, conformément aux exigences juridiques et de principe.
[39] D’autres ministres ont fait preuve de déférence envers le Conseil du Trésor. Cela ne veut pas dire que l’opinion de M. Clement a force obligatoire, mais il y a lieu de l’examiner avec soin, car la politique n’a pas changé depuis de nombreuses années. La Cour d’appel fédérale a toutefois conclu dans l’arrêt Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 40, [2013] 4 R.C.F. 155, que la norme de la décision correcte s’applique à l’interprétation que fait un ministre de sa loi habilitante.
V. Les règles d’interprétation législative
[40] Les parties sont toutes d’accord sur la conception « moderne » de Driedger au sujet de l’interprétation législative. Comme l’a déclaré la juge Deschamps dans l’arrêt Glykis c. Hydro-Québec, 2004 CSC 60, [2004] 3 R.C.S. 285, au paragraphe 5 :
La méthode d’interprétation des textes législatifs est bien connue (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42). La disposition législative doit être lue dans son contexte global, en prenant en considération non seulement le sens ordinaire et grammatical des mots mais aussi l’esprit et l’objet de la loi et l’intention du législateur. Cette méthode, énoncée à l’occasion de l’analyse de textes législatifs, s’impose, avec les adaptations nécessaires, pour l’interprétation de textes réglementaires.
[41] Cette méthode contextuelle d’interprétation législative, par opposition à une méthode plus littérale, n’est pas particulièrement nouvelle. Dans la décision The Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons, [1881] UKPC 49 (BaiLII), (1881-82), 7 A.C. 96, le Conseil privé avait à examiner le partage des pouvoirs législatifs énoncés aux articles 91 et 92 de ce qui était à l’époque l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, appendice II, no 5]]. Sir Montague Smith a déclaré, aux pages 108 et 109 :
[traduction] Par conséquent, en ce qui a trait à certaines catégories de sujets décrits en termes généraux à l’art. 91, il se peut que la compétence législative sur certains aspects d’un sujet, pris dans son ensemble, appartienne aux législatures provinciales. Chaque fois que cela se produit, et même si la question à trancher est extrêmement compliquée, les tribunaux ont le devoir de déterminer jusqu’à quel point et de quelle façon chaque législature a compétence pour légiférer sur les questions tombant dans ces catégories de sujets et de définir, dans chaque cas précis qui leur est soumis, les limites de leurs pouvoirs respectifs. On n’a certainement pas voulu qu’il y ait conflit; pour empêcher un tel résultat, les deux articles doivent se lire en corrélation, et les termes de l’un interprétés et, lorsque nécessaire, modifiés, par ceux de l’autre. De cette manière, on pourra, dans presque tous les cas, en arriver à une interprétation équitable et pratique des termes de ces articles, de façon à réconcilier les compétences respectives qu’ils contiennent et leur donner plein effet. En accomplissant ce devoir difficile, il serait sage que ceux qui en sont chargés jugent de leur mieux chaque affaire qui se présente, sans pousser l’interprétation de la Loi plus loin que ne l’exige le règlement de la question soumise.
[42] Cette méthode contextuelle d’interprétation législative ne s’applique pas qu’au Canada. Tout récemment, dans l’arrêt Yates v. United States, 574 U.S. __ (2015), la juge Ginsburg, s’exprimant au nom de la majorité, a déclaré (à la page 7) :
[traduction] Cependant, la question de savoir si une disposition législative est dénuée d’ambiguïté ne dépend pas uniquement des définitions de ses mots constitutifs que donnent les dictionnaires. Au contraire, « on détermine la clarté ou l’ambiguïté d’un texte législatif [non seulement] en se reportant au texte lui-même [mais aussi d’après] le contexte précis dans lequel ce texte est employé, ainsi que le contexte plus général de la loi dans son ensemble. » Robinson v. Shell Oil Co., 519 U.S. 337, 341 (1997). Voir aussi Deal v. United States, 508 U.S. 129, 132 (1993) (il est un « principe fondamental de l’interprétation d’une loi (et, à vrai dire, du langage lui-même) que le sens d’un mot ne peut pas être déterminé isolément, mais qu’il doit s’inspirer du contexte dans lequel il est employé »). Habituellement, l’emploi d’un mot concorde avec la définition qu’en donnent les dictionnaires. Toutefois, dans le droit comme dans la vie, des mots identiques, situés dans des contextes différents, veulent parfois dire des choses différentes.
[43] Une autre règle d’interprétation invoquée a trait aux dispositions législatives bilingues, ainsi qu’à la présomption d’une expression uniforme dans les deux versions. Si l’une des versions est ambiguë et l’autre claire, on présume que c’est le sens commun qui est celui qu’on recherche. Les parties soutiennent qu’il n’y a aucune ambiguïté. Le procureur général et les intervenantes font toutefois valoir que s’il y a ambiguïté, celle-ci réside dans la version anglaise, et qu’il faut donc la lire de pair avec la version française. Selon leur argument, un « document informatisé » est un document qui n’existait pas à l’époque de la présentation de la demande, mais qui a été créé par la suite à partir d’un document informatisé. C’est donc dire qu’un document qui « n’est pas informatisé », au sens du paragraphe 7(2) du Règlement, est un document électronique qui, en soi, n’est pas créé à partir d’un document informatisé. Autrement dit, les courriels, les documents Word et autres documents du genre existants ne sont pas des documents informatisés.
[44] Un autre principe sur lequel on se fonde aussi est que les termes d’une loi doivent s’interpréter comme ils l’auraient été le lendemain de l’adoption de cette loi (Perka et al. c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232, aux pages 264 à 266 — la doctrine de la contemporanea expositio).
VI. L’analyse
[45] Il existe une présomption réfutable selon laquelle le législateur et le gouverneur en conseil envisagent de donner aux mots leur sens ordinaire (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, aux paragraphes 29 à 35). Je vais tout d’abord interpréter la Loi et le Règlement sous cette optique et examiner ensuite si le contexte confère un autre sens aux mots employés.
[46] À mon avis, le changement apporté à la définition d’un « document/record » est une affaire de style plutôt que de fond. La définition initiale était du genre « pour plus de garantie », comme on peut le voir à l’article 91 de la Constitution [Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]. La modification apportée en 2006 faisait partie de la Loi fédérale sur la responsabilité [L.C. 2006, ch. 9]. La nouvelle définition est neutre et prévoit l’évolution de la technologie sans avoir à réviser à répétition la définition.
[47] La Loi elle-même ne pose aucune difficulté. À part prévoir qu’un droit de demande ne doit pas excéder la somme de 25 $, le législateur laisse la question des droits au soin du gouverneur en conseil. Il a permis à ce dernier de réglementer les droits de recherche et de préparation, peu importe la forme que revêt le document, électronique ou imprimé, et, s’il est sous forme électronique, s’il existait déjà ou a dû être créé à partir d’un document informatisé.
[48] C’est dans l’interprétation du Règlement que réside la difficulté. Je ne comprends pas pourquoi le paragraphe 7(2) fait mention d’un « document [qui] n’est pas informatisé » (a non-computerized record), plutôt que de faire simplement mention d’un document, comme c’est le cas dans la Loi elle-même.
[49] Il faut considérer que le paragraphe 7(3) se rapporte aux documents qui n’existaient pas à l’époque de la demande, mais qui ont été créés par la suite.
[50] À mon avis, en langage ordinaire, les messages électroniques, les documents Word et les autres documents produits sous forme électronique sont des documents informatisés. Le règlement est extrêmement précis au sujet des types de forme de reproduction pour lesquels des droits peuvent être imposés. Ils n’ont pas été mis à jour pour englober la production de formes de DVD ou de dispositifs USB. Dans le même ordre d’idées, il y a un écart sur le plan des droits de recherche et de préparation, en ce sens qu’ils ne portent pas sur les documents électroniques qui n’ont pas été eux-mêmes créés à partir d’un document informatisé.
[51] Il se peut fort bien que le gouverneur en conseil n’ait pas anticipé que l’on ferait aujourd’hui un usage généralisé des ordinateurs dans les milieux de travail. Cependant, les parties ont toutes admis qu’en 1983, Apple, Tandy Radioshack, Atari, IBM et Compac avaient toutes lancé des ordinateurs personnels sur le marché.
[52] Je ne vois aucune ambiguïté entre les versions française et anglaise de la Loi et du Règlement. Il est question au paragraphe 7(2) du Règlement d’un « document [qui] n’est pas informatisé ». Rien ne conférerait à ce terme le sens restreint que préconisent le procureur général et les intervenantes, à savoir qu’un « document [qui] n’est pas informatisé » inclut tout document électronique qui n’existait pas en soi, mais qui a été créé à partir d’autres documents en vue de répondre à une demande présentée en vertu du paragraphe 4(3) de la Loi.
[53] Le procureur général dit que, en anglais, le terme « non-computerized record » détonne, car il n’apparaît à nul autre endroit dans les lois ou les règlements fédéraux. Mais cela ne veut pas dire qu’il a un sens différent de son sens propre.
[54] Qu’ils soient stockés dans un disque dur interne, un disque dur externe ou dans les disquettes ou cartes à perforer aujourd’hui obsolètes, ces documents sont lisibles par machine et donc informatisés.
[55] Une loi est promulguée au public. La Loi et le Règlement dont il est question en l’espèce s’adressent à tous les Canadiens. Le texte ne peut pas être obscur au point que l’on soit tenu de passer en revue des centaines de lois et des milliers de règlements en vue d’en déterminer le sens véritable.
[56] Lorsqu’il a fixé les frais de copie, le gouverneur en conseil a été très précis. Dans le même ordre d’idées, la disposition réglementaire concernant la recherche et la préparation est très précise. Il y a un écart. Cependant, le législateur l’indique très clairement : pas de règlement — pas de droit.
[57] Nous en sommes maintenant au stade où il faut examiner le contexte pour déterminer s’il convient de donner aux termes employés une interprétation autre que leur sens clair et ordinaire.
[58] Il est illogique, allègue-t-on, qu’il n’y ait aucun droit à payer pour la recherche et la préparation de documents électroniques car la plupart des documents que stocke le gouvernement fédéral se présentent aujourd’hui sous cette forme.
[59] Peut-être que oui, j’en conviens. Mais je ne crois pas qu’il appartienne à la Cour de donner à un règlement le sens qu’il devrait avoir, plutôt que celui qu’il a.
[60] Aux dires des intervenantes, les droits peuvent servir de mesure dissuasive, comme l’a effectivement mentionné le juge Muldoon dans la décision Blank. La commissaire à l’information rétorque que l’objet même de la Loi est de donner accès aux documents gouvernementaux, de sorte que s’il existait une ambiguïté quelconque — et elle insiste pour dire qu’il n’y en a pas — il faudrait faire pencher la balance du côté de l’accès.
[61] Dans sa lettre susmentionnée, le ministre Clement a souligné que les droits ne sont pas calculés selon le principe de la récupération des coûts. Cela n’est pas contesté. Cependant, l’objet des droits n’est indiqué nulle part et je n’accorde donc aucun poids à cet argument.
[62] Certaines des intervenantes sont mal équipées pour répondre aux demandes, et sont soumises à des contraintes budgétaires. Des droits de recherche et de préparation aideraient à alléger leur situation financière. Mais c’est le législateur qui a assujetti ces institutions gouvernementales à la Loi. Si elles sont insuffisamment financées, il ne faudrait pas qu’elles s’adressent aux tribunaux pour obtenir réparation.
[63] Le présent renvoi pourrait être une sorte de faux-fuyant, en ce sens qu’au cours des deux derniers exercices le gouvernement fédéral a perçu des droits pour la recherche de documents tant imprimés qu’électroniques dans moins de 1 p. 100 des demandes d’accès. Par exemple, en 2012–2013, des droits ont été recueillis dans le cadre de 306 demandes sur un total de 53 993, ce qui ne représente que 0,56 p. 100 des demandes; dans le cas de 164 dossiers, une dispense de droits a été accordée où ces derniers ont été remboursés, chose que le responsable d’une institution gouvernementale est autorisé à faire. Mais je ne considère pas que ce fait soit pertinent. La question n’est pas de savoir si l’on peut renoncer à percevoir des droits, mais plutôt si ces derniers peuvent être imposés. De plus, comme les cinq premières heures sont gratuites, il est probable que les statistiques soient quelque peu faussées.
[64] Enfin, je suis d’accord avec la commissaire à l’information quand elle dit : [traduction] « [l’] analyse contextuelle a ses limites. Un tribunal ne peut pas, sous le couvert d’une analyse contextuelle ou d’une interprétation libérale et téléologique, donner à une disposition législative un sens qui va au-delà de celui que l’on peut raisonnablement attribuer aux mots de la loi ou du règlement. Agir ainsi reviendrait à s’écarter du rôle qui revient au judiciaire et à adopter celui qui revient au législateur ». (Procureur général de l’Ontario et autre c. Municipalité régionale de Peel, [1979] 2 R.C.S. 1134, aux pages 1138 et 1139). Le Règlement a été modifié dans le passé et rien n’empêche aujourd’hui de le faire encore.
[65] Il y a un peu de Lewis Carroll [Through the looking-glass and what Alice found there] dans la position de ceux qui s’opposent à la commissaire à l’information :
[Traduction] « “Quand j’emploie un mot” dit Humpty Dumpty avec un certain mépris, “il signifie ce que je veux qu’il signifie, ni plus ni moins.”
“La question est de savoir,” dit Alice, “si vous pouvez faire que les mots signifient tant de choses différentes. ”
“La question est de savoir,” dit Humpty Dumpty, “qui est le maître — c’est tout.” »
[66] À l’issue des plaidoiries, les parties ont toutes convenu que la décision ne devrait faire l’objet d’aucuns dépens.
[67] Enfin, vu l’importance de la Loi sur l’accès à l’information, on pourrait dire qu’il faudrait rendre simultanément les présents motifs en français et en anglais, conformément à l’article 20 de la Loi sur les langues officielles [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31]. Cependant, les parties ont toutes demandé que l’on rende une des versions en premier, quelle qu’en soit la langue, plutôt que d’en attendre la traduction. La raison en est qu’un délai pourrait être préjudiciable à l’intérêt public, car il y a un arriéré de plaintes.
JUGEMENT
POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT,
LA COUR ORDONNE :
1. Le texte officiel du renvoi est formulé en ces termes :
Les documents électroniques sont-ils des documents qui ne sont pas informatisés en vue de l’application des droits de recherche et de préparation qu’autorisent le paragraphe 11(2) de la Loi sur l’accès à l’information (la Loi) et le paragraphe 7(2) du Règlement sur l’accès à l’information (le Règlement)?
2. La réponse de la Cour est « non ».
3. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.
ANNEXE
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1
11. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, il peut être exigé que la personne qui fait la demande acquitte les droits suivants : a) un versement initial accompagnant la demande et dont le montant, d’un maximum de vingt-cinq dollars, peut être fixé par règlement; b) un versement prévu par règlement et exigible avant la préparation de copies, correspondant aux frais de reproduction; c) un versement prévu par règlement, exigible avant le transfert, ou la production de copies, du document sur support de substitution et correspondant au coût du support de substitution. |
Frais de communication |
(2) Le responsable de l’institution fédérale à qui la demande est faite peut en outre exiger, avant de donner communication ou par la suite, le versement d’un montant déterminé par règlement, s’il faut plus de cinq heures pour rechercher le document ou pour en prélever la partie communicable. |
Supplément |
(3) Dans les cas où le document demandé ne peut être préparé qu’à partir d’un document informatisé qui relève d’une institution fédérale, le responsable de l’institution peut exiger le versement d’un montant déterminé par règlement. |
Document issu d’un document informatisé |
(4) Dans les cas prévus au paragraphe (2) ou (3), le responsable d’une institution fédérale peut exiger une partie raisonnable du versement additionnel avant que ne soient effectuées la recherche ou la préparation du document ou que la partie communicable n’en soit prélevée. |
Acompte |
(5) Dans les cas où sont exigés les versements prévus au présent article, le responsable de l’institution fédérale : a) avise par écrit la personne qui a fait la demande du versement exigible; b) l’informe, par le même avis, qu’elle a le droit de déposer une plainte à ce propos auprès du Commissaire à l’information. |
Avis |
(6) Le responsable de l’institution fédérale peut dispenser en tout ou en partie la personne qui fait la demande du versement des droits ou lui rembourser tout ou partie du montant déjà versé. |
Dispense |
Règlement sur l’accès à l’information, DORS/83-507
7. (1) Sous réserve du paragraphe 11(6) de la Loi, la personne qui présente une demande de communication d’un document doit payer
a) un droit de 5 $ au moment de présenter la demande;
b) s’il y a lieu, un droit pour la reproduction d’une partie ou de la totalité du document, établi comme suit :
(i) photocopie d’une page dont les dimensions n’excèdent pas 21,5 cm sur 35,5 cm, 0,20 $ la page,
(ii) reproduction d’une micro-fiche, sans emploi d’argent, 0,40 $ la fiche,
(iii) reproduction d’un microfilm de 16 mm, sans emploi d’argent, 12 $ la bobine de 30,5 m,
(iv) reproduction d’un microfilm de 35 mm, sans emploi d’argent, 14 $ la bobine de 30,5 m,
(v) reproduction d’une micro-forme sur papier, 0,25 $ la page, et
(vi) reproduction d’une bande magnétique sur une autre bande, 25 $ la bobine de 731,5 m;
c) s’il y a lieu, un droit pour le support de substitution sur lequel une partie ou la totalité du document est reproduite, ce droit ne dépassant pas celui exigible aux termes de l’alinéa b) pour le même document, établi comme suit :
(i) version en braille sur papier d’au plus 21,5 cm sur 35,5 cm, 0,05 $ la page,
(ii) version en gros caractères sur papier d’au plus 21,5 cm sur 35,5 cm, 0,05 $ la page,
(iii) version sur audiocassette, 2,50 $ l’audiocassette,
(iv) version sur disquette de micro-ordinateur, 2 $ la disquette.
(2) Lorsque le document demandé en vertu du paragraphe (1) n’est pas informatisé, le responsable de l’institution fédérale en cause peut, outre les droits prescrits à l’alinéa (1)a), exiger le versement d’un montant de 2,50 $ la personne par quart d’heure pour chaque heure en sus de cinq passée à la recherche et à la préparation.
(3) Lorsque le document demandé conformément au paragraphe (1) est produit à partir d’un document informatisé, le responsable de l’institution fédérale en cause peut, en plus de tout autre droit, exiger le paiement du coût de la production du document et de la programmation, calculé comme suit :
a) 16,50 $ par minute pour l’utilisation de l’unité centrale de traitement et de tous les périphériques connectés sur place; et
b) 5 $ la personne par quart d’heure passé à programmer l’ordinateur.