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[2016] 3 R.C.F. 427

A-81-14

2015 CAF 283

Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée (appelante, intimée à l’appel incident)

c.

Canexus Chemicals Canada, LP, Olin Canada, ULC, s/n Olin Chlor Alkali Products, ERCO Worldwide, une division de Superior Plus LP, Chemtrade Logistics Inc. et Chemtrade West Limited Partnership (intimées, appelantes à l’appel incident)

et

L’Office des transports du Canada (intimé, intimé à l’appel incident)

et

Agrium et L’Institut canadien des engrais (intervenants)

Répertorié : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canexus Chemicals Canada

Cour d’appel fédérale, juges Pelletier, Gauthier et Scott, J.C.A.—Montréal, 27 mai; Ottawa, 7 décembre 2015.

Transports — Appel et appel incident interjetés à l’encontre de décisions rendues par l’Office des transports du Canada : 1) concluant que des clauses du paragraphe 54, un groupe de clauses concernant des questions de responsabilité et d’indemnisation qui se trouve dans le tarif 8, étaient interdites aux termes de l’art. 137(1) de la Loi sur les transports au Canada, et ordonnant à l’appelante de s’abstenir d’appliquer le paragraphe 54 jusqu’à ce que le tarif soit modifié pour retirer les limitations de responsabilité interdites; 2) déclarant qu’il ne pouvait pas, au titre de l’art. 120.1 de la Loi, radier le paragraphe 54 au motif qu’il était déraisonnable, puisque l’art. 120.1 s’appliquait uniquement aux frais relatifs aux services connexes ou aux conditions afférentes dont le coût avait été séparé du prix de transport des marchandises — L’Office était d’avis que l’art. 137(1) interdit aux compagnies de chemin de fer de limiter leur responsabilité envers un expéditeur, sauf par accord écrit — L’Office a accordé à l’art. 137(1) une portée très vaste de manière à viser tout préjudice qui est attribuable au transport de marchandises — L’Office excluait de la portée de l’art. 137(1) toute responsabilité que la compagnie de chemin de fer peut avoir à l’égard de tiers — L’Office a conclu que le terme « frais » représentait autre chose que le « prix » ou les « conditions » pour le transport des marchandises de l’expéditeur — L’Office a conclu qu’il n’avait pas, au titre de l’art. 120.1, la compétence pour accorder la réparation demandée par les intimées — Il s’agissait de savoir si le paragraphe 54 limite la responsabilité de l’appelante envers un expéditeur, contrairement à l’art. 137(1) et si l’art. 120.1 autorise l’Office à intervenir s’il conclut que le paragraphe 54 est une condition déraisonnable — Une interprétation aussi restrictive de l’art. 137(1) n’était pas justifiée — L’art. 137(1) ne codifie pas les obligations d’une compagnie de chemin de fer à titre de transporteur public — L’art. 137(1) restreint plutôt la capacité d’une compagnie de chemin de fer de limiter sa responsabilité envers un expéditeur, sans vouloir définir ces obligations — Les obligations visées par l’art. 137(1) ne sont pas celles énoncées à l’art. 4 du Règlement sur la responsabilité à l’égard du transport ferroviaire des marchandises — L’art. 4 est muet quant aux obligations d’une compagnie de chemin de fer en ce qui a trait au préjudice subi par un tiers — L’art. 137(2) de la Loi vise la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers l’expéditeur, quant aux marchandises, pour les pertes et les dommages, ce qui se situe à l’extérieur du champ d’application de l’art. 137(1) — L’art. 137(1) est le moyen que le législateur a choisi pour établir un équilibre entre les intérêts des compagnies de chemin de fer et ceux des expéditeurs ainsi que pour promouvoir la négociation d’accords commerciaux — L’art. 137(1) s’applique également aux limitations du droit de l’expéditeur de mettre en cause la compagnie de chemin de fer pour le préjudice à un tiers — L’interprétation de l’Office du paragraphe 54 ne pouvait être maintenue — Il est clair que le paragraphe 54 ne peut être exécutoire contre les expéditeurs, à moins qu’un contrat signé ne le contienne — Le paragraphe 54 comporte entre autres une limitation générale de responsabilité en faveur de l’appelante et une obligation générale imposée à l’expéditeur d’indemniser — La limitation générale de responsabilité ne peut pas s’appliquer aux dommages causés aux marchandises de l’expéditeur ou à leur perte et elle ne s’applique pas non plus à un préjudice causé par la seule négligence de l’appelante — L’Office n’a pas examiné le paragraphe 54 dans son ensemble et n’a pas examiné tous ses termes dans leur contexte — Il est clair que les termes sur lesquels l’Office s’est appuyé ne limitent pas indûment la responsabilité de l’appelante envers les expéditeurs — L’obligation d’indemniser ne peut être interprétée comme une limitation de la responsabilité envers les expéditeurs — Il n’existait aucun fondement pour conclure que le paragraphe 54 contient des limitations de responsabilité interdites — Il n’existait pas de fondement pour une ordonnance interdisant à l’appelante d’appliquer le paragraphe 54 jusqu’à l’élimination de la limitation de responsabilité interdite — Quant à la question de savoir si l’art. 120.1 autorise l’Office à intervenir s’il conclut que le paragraphe 54 est une condition déraisonnable, il serait difficile de soutenir que ce paragraphe est déraisonnable — Les frais constituent des montants payables à la compagnie de chemin de fer — Un montant payable à un tiers ne peut pas être des frais et par conséquent, cette modalité n’est pas assujettie à l’art. 120.1 — Appel accueilli; appel incident rejeté.

Il s’agissait d’un appel et d’un appel incident interjetés à l’encontre de deux décisions de l’Office des transports du Canada (l’Office). Dans la première décision (la décision no 202), l’Office a conclu que des clauses du paragraphe 54, un groupe de clauses concernant des questions de responsabilité et d’indemnisation qui se trouve dans le tarif 8 publié par l’appelante, étaient effectivement interdites aux termes du paragraphe 137(1) de la Loi sur les transports au Canada et a ordonné à l’appelante de s’abstenir d’appliquer le paragraphe 54 jusqu’à ce que le tarif soit modifié pour retirer les limitations de responsabilité interdites. L’Office a déclaré dans la deuxième décision (la décision no 388) qu’il ne pouvait pas, au titre de l’article 120.1 de la Loi, radier le paragraphe 54 au motif qu’il était déraisonnable, puisqu’elle avait conclu que l’article 120.1 s’appliquait uniquement aux frais relatifs aux services connexes ou aux conditions afférentes dont le coût avait été séparé du prix de transport des marchandises. Les intimées Canexus Chemicals Canada, LP, Olin Canada, ULC, ERCO Worldwide, Chemtrade Logistics Inc. et Chemtrade West Limited Partnership ont interjeté un appel incident à l’encontre du rejet de leur demande présentée en vertu de l’article 120.1.

Dans la décision no 202, l’Office était d’avis, entre autres, que le paragraphe 137(1), selon son libellé, interdit aux compagnies de chemin de fer de « limiter leur responsabilité envers un expéditeur pour le transport des marchandises et l’emploi du matériel nécessaire à ces fins, sauf par accord écrit signé par l’expéditeur ou par une association ou un groupe représentant les expéditeurs ». L’Office a accordé au paragraphe 137(1) une portée très vaste de manière à viser « tout préjudice qui est attribuable au transport de marchandises ou qui en découle, ou qui y est associé de quelque façon que ce soit ». Dans la décision no 388, l’Office excluait de la portée du paragraphe 137(1) toute responsabilité que la compagnie de chemin de fer pouvait avoir à l’égard de tiers ou tout déplacement de cette responsabilité par la compagnie de chemin de fer à l’expéditeur. L’Office a donc conclu que le terme « frais » représentait autre chose que le « prix » ou les « conditions » pour le transport des marchandises de l’expéditeur ou pour la prestation de services connexes. L’Office a conclu qu’il n’avait pas, au titre de l’article 120.1, la compétence pour accorder la réparation demandée par les intimées, puisque l’obligation d’indemniser et de dégager de toute responsabilité ne constituait pas des frais ni une condition liée à des frais.

Il s’agissait principalement de déterminer si le paragraphe 54 limite la responsabilité de l’appelante envers un expéditeur, contrairement au paragraphe 137(1) et si l’article 120.1 autorise l’Office à intervenir s’il conclut que le paragraphe 54 est une condition déraisonnable.

Arrêt : l’appel doit être accueilli; l’appel incident doit être rejeté.

L’interprétation restrictive de l’Office du paragraphe 137(1) n’était pas justifiée. Dans la décision no 202, l’Office a conclu que le paragraphe 137(1) interdisait à une compagnie de chemin de fer de limiter sa responsabilité envers un expéditeur à l’égard de tout préjudice qui découle du transport de marchandises ou qui y est associé de quelque façon que ce soit. Dans la décision no 388, l’Office a conclu que le paragraphe 137(1) ne faisait qu’empêcher une compagnie de chemin de fer de limiter sa responsabilité envers un expéditeur à l’égard d’un montant qu’elle peut lui devoir à la suite du transport de marchandises de l’expéditeur qui a causé un préjudice à l’expéditeur. Le paragraphe 137(1) ne codifie pas les obligations d’une compagnie de chemin de fer à titre de transporteur public. Il restreint plutôt la capacité d’une compagnie de chemin de fer de limiter sa responsabilité envers un expéditeur, sans vouloir définir ces obligations. Les obligations visées par le paragraphe 137(1) ne sont pas celles énoncées à l’article 4 du Règlement sur la responsabilité à l’égard du transport ferroviaire des marchandises. L’article 4 du Règlement sur la responsabilité à l’égard du transport ferroviaire des marchandises ne vise que la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers un expéditeur, quant aux marchandises, pour les pertes et les dommages. L’article 4 est muet quant aux obligations d’une compagnie de chemin de fer en ce qui a trait au préjudice subi par un tiers. Cette responsabilité est reconnue aux articles 92 à 94 de la Loi et dans le Règlement sur l’assurance responsabilité civile relative aux chemins de fer. Le paragraphe 137(2) de la Loi vise la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers l’expéditeur, quant aux marchandises, pour les pertes et les dommages. Cela se situe à l’extérieur du champ d’application du paragraphe 137(1). Le paragraphe 137(1) est le moyen que le législateur a choisi pour établir un équilibre entre les intérêts des compagnies de chemin de fer et ceux des expéditeurs ainsi que pour promouvoir la négociation d’accords commerciaux entre expéditeurs et compagnies de chemin de fer. Le paragraphe 137(1) s’applique également aux limitations du droit de l’expéditeur de mettre en cause la compagnie de chemin de fer pour le préjudice à un tiers qui découle en totalité ou en partie de la négligence de la compagnie de chemin de fer.

L’interprétation de l’Office du paragraphe 54 ne pouvait être maintenue. Il ressort clairement du sens ordinaire des mots du paragraphe 137(1) que le paragraphe 54 ne peut être exécutoire contre les expéditeurs, à moins qu’un contrat signé ne le contienne. Le paragraphe 54 comporte, entre autres, une limitation générale de responsabilité en faveur de l’appelante et une obligation générale imposée à l’expéditeur d’indemniser l’appelante et de la dégager de toute responsabilité. Une des questions que soulève le libellé du paragraphe 54 est le lien entre la limitation générale et l’obligation générale d’indemniser. La limitation générale de responsabilité ne peut pas s’appliquer aux dommages causés aux marchandises de l’expéditeur ou à leur perte. Elle ne s’applique pas non plus à la réclamation qu’un expéditeur pourrait avoir envers l’appelante pour sa part proportionnelle du préjudice causé à un tiers en raison de la négligence conjointe ou concourante de l’appelante, de l’expéditeur et d’autres parties. Enfin, elle ne s’applique pas à un préjudice causé par la seule négligence de l’appelante. L’Office n’a pas examiné le paragraphe 54 dans son ensemble et n’a pas examiné tous ses termes dans leur contexte. Lorsque le paragraphe 54 est interprété à la lumière de tous ses termes, il est clair que les termes sur lesquels l’Office s’est appuyé dans la décision no 202 ne limitent pas indûment la responsabilité de l’appelante envers les expéditeurs. L’obligation de l’expéditeur d’indemniser ne peut pas être interprétée comme une exonération par l’expéditeur. Une renonciation est un abandon volontaire de certains droits par la partie qui les détient. Un acte unilatéral de la part d’une compagnie de chemin de fer ne peut pas équivaloir à la renonciation de ses droits par un expéditeur. La renonciation à ces droits relève de l’expéditeur, non de la compagnie de chemin de fer. Par conséquent, l’obligation d’indemniser l’appelante ne peut être interprétée comme une limitation de la responsabilité de l’appelante envers les intimées. Lorsque le paragraphe 137(1) est appliqué à cette interprétation du paragraphe 54, il n’existe aucun fondement pour conclure que le paragraphe 54 contient des limitations de responsabilité interdites. La conclusion selon laquelle la limitation générale de responsabilité au début du paragraphe 54 est une limitation de responsabilité interdite ne tient pas, puisque cette limitation générale de responsabilité est assujettie aux exceptions qui maintiennent la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers l’expéditeur. Par conséquent, il n’existait pas de fondement pour une ordonnance interdisant à l’appelante d’appliquer le paragraphe 54 jusqu’à l’élimination de la limitation de responsabilité interdite.

La conclusion selon laquelle le paragraphe 137(1) n’interdit pas le paragraphe 54 a laissé en suspens la question de savoir si l’article 120.1 autorisait l’Office à intervenir s’il concluait que le paragraphe 54 est une condition déraisonnable. Il serait difficile de soutenir qu’il est déraisonnable. Il est implicite dans toute l’analyse de l’Office concernant les frais qu’il s’agit de montants payables à la compagnie de chemin de fer. À des fins de réglementation, un montant payable à un tiers ne peut pas être des « frais », puisque l’Office n’exerce aucun contrôle à l’égard de tels montants. La modalité qui exige le paiement d’un tel montant ne porte pas sur des frais et, par conséquent, n’est pas assujettie à l’article 120.1.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 26, 87, 92 à 94, 113, 114(4), 116(4), 117, 120.1, 126, 127, 129, 137, 161, 169.31(1).

Règlement sur l’assurance responsabilité civile relative aux chemins de fer, DORS/96-337.

Règlement sur la responsabilité à l’égard du transport ferroviaire des marchandises, DORS/91-488, art. 4, 5.

Règlement sur les tarifs de transport ferroviaire des marchandises et des passagers, DORS/96-338, art. 2f).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Mitsubishi Heavy Industries Ltd. v. Canadian National Railway Co., 2012 BCSC 1415, 38 B.C.L.R. (5th) 169; Demande voulant le droit de faire circuler et d’exploiter des trains sur des lignes particulières de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada – Hudson Bay Railway Company, Décision no 212-R-2001; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2002 CAF 166, [2002] 4 C.F. 3, inf. en partie 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427; Canadian National Railway Co. v. Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd., 2006 BCSC 1073, 60 B.C.L.R. (4th) 96; Mitsubishi Heavy Industries Ltd. v. Canadian National Railway Co., 2012 BCSC 1415, 38 B.C.L.R. (5th) 169; Alstom Canada Inc. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2008 CF 1311.

DÉCISIONS CITÉES :

Canadian Forest Products Ltd. v. B.C. Rail Ltd., 2005 BCCA 369, 42 B.C.L.R. (4th) 201; Boutique Jacob Inc. c. Pantainer Ltd., 2006 CF 217, infirmée pour d’autres motifs par 2008 CAF 85; Canadian National Railway Co. v. Harris, [1946] R.C.S. 352; Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Office national des transports) (1992), 151 N.R. 16, [1992] A.C.F. no 1161 (C.A.) (QL); Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; Fonds de développement économique local c. Canadian Pickles Corp., [1991] 3 R.C.S. 388; Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808; Tower c. M.R.N., 2003 CAF 307, [2004] 1 R.C.F. 183; Saskatchewan River Bungalows Ltd. c. La Maritime, Compagnie d’assurance-vie, [1994] 2 R.C.S. 490.

appel et appel incident interjetés à l’encontre de deux décisions (décisions no 202-R-2013 et décision no 388-R-2013) de l’Office des transports du Canada (l’Office) 1) concluant que des clauses du paragraphe 54, un groupe de clauses concernant des questions de responsabilité et d’indemnisation, qui se trouve dans le tarif 8 publié par l’appelante, étaient effectivement interdites aux termes du paragraphe 137(1) de la Loi sur les transports au Canada et ordonnant à l’appelante de s’abstenir d’appliquer le paragraphe 54 jusqu’à ce que le tarif soit modifié pour retirer les limitations de responsabilité interdites, et 2) déclarant qu’il ne pouvait pas, au titre de l’article 120.1 de la Loi, radier le paragraphe 54 au motif qu’il était déraisonnable. Appel accueilli; appel incident rejeté.

ONT COMPARU

Patrick Riley, Enrico Forlini et Cassandra Quach pour l’appelante Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée (intimée à l’appel incident).

Chris Paliare et Michael Fenrick pour les intimées Canexus Chemicals Canada, LP, Olin Canada, ULC, s/n Olin Chlor Alkali Products, ERCO Worldwide, une division de Superior Plus LP, Chemtrade Logistics Inc. et Chemtrade West Limited Partnership (appelantes à l’appel incident).

Valérie Lagacé pour l’intimé l’Office des transports du Canada (intimé à l’appel incident).

P. John Landry et Forrest C. Hume pour l’intervenante Agrium.

Ian S. MacKay pour l’intervenant l’Institut canadien des engrais.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée et Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour l’appelante Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée (intimée à l’appel incident).

Paliare Roland Rosenberg Rothstein LLP, Toronto, pour les intimées Canexus Chemicals Canada, LP, Olin Canada, ULC, s/n Olin Chlor Alkali Products, ERCO Worldwide, une division de Superior Plus LP, Chemtrade Logistics Inc. et Chemtrade West Limited Partnership (appelantes à l’appel incident).

Office des transports du Canada, Gatineau, Québec, pour l’intimé l’Office des transports du Canada (intimé à l’appel incident).

DLA Piper (Canada) LLP, pour l’intervenante Agrium.

Ian S. MacKay, Ottawa, pour l’intervenant l’Institut canadien des engrais.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Pelletier, J.C.A. :

I.          INTRODUCTION

[1]        Un groupe d’expéditeurs de produits dangereux a demandé à l’Office des transports du Canada (l’Office) de se prononcer sur la légalité et le caractère raisonnable du paragraphe 54, un groupe de clauses concernant des questions de responsabilité et d’indemnisation, qui se trouve dans le tarif 8 publié par la société Chemin de fer Canadien Pacifique limitée (CP). Les expéditeurs, Canexus Chemicals Canada, LP, Olin Canada, ULC, faisant affaire sous la raison sociale Olin Chlor Alkali Products, ERCO Worldwide, une division de Superior Plus LP, Chemtrade Logistics Inc. et Chemtrade West Limited Partnership (collectivement appelés les expéditeurs), ont soutenu que le paragraphe 54 était interdit aux termes du paragraphe 137(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la Loi). Subsidiairement, ils ont soutenu que le paragraphe 54 devait être radié au motif qu’il était déraisonnable suivant l’article 120.1 de la Loi.

[2]        L’Office a examiné la question et, dans deux décisions [Canexus Chemicals Canada, LP, Olin Canada, ULC, faisant affaires sous la raison sociale d’Olin Chlor Alkali Products, ERCO Worldwide, division de Superior Plus LP, et Chemtrade Logistics Inc. et Chemtrade West Limited Partnership – demande conformément aux articles 120.1 et 137 de la LTC, au sujet du paragraphe 54 du tarif 8 de CP, Décision no 202-R-2013; Canexus Chemicals Canada, LP, Olin Canada, ULC, faisant affaires sous la raison sociale d’Olin Chlor Alkali Products, ERCO Worldwide, division de Superior Plus LP, et Chemtrade Logistics Inc. et Chemtrade West Limited Partnership – Relatif à la décision no 202-R-2013 en réponse à la demande, Décision no 388-R-2013], il a conclu que des clauses du paragraphe 54 étaient effectivement interdites aux termes du paragraphe 137(1) et, conformément à l’article 26 de la Loi, il a ordonné à CP de s’abstenir d’appliquer le paragraphe 54 jusqu’à ce que le tarif soit modifié pour retirer les limitations de responsabilité interdites. L’Office a également déclaré qu’il ne pouvait pas, au titre de l’article 120.1 de la Loi, radier le paragraphe 54 au motif qu’il était déraisonnable. L’Office a conclu que l’article 120.1 s’appliquait uniquement aux frais relatifs aux services connexes ou aux conditions afférentes dont le coût avait été séparé du prix de transport des marchandises. Vu les faits de l’espèce, le paragraphe 54 ne visait pas de tels frais.

[3]        CP interjette appel à l’encontre de l’ordonnance de s’abstenir d’appliquer le paragraphe 54. Les expéditeurs interjettent un appel incident à l’encontre du rejet de leur demande présentée en vertu de l’article 120.1.

[4]        Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais l’appel et je rejetterais l’appel incident. Je renverrais l’affaire à l’Office avec comme instructions de rejeter la demande des expéditeurs.

II.         LES FAITS ET LES DISPOSITIONS LÉGALES

[5]        À moins d’avoir conclu un contrat précis avec un expéditeur, une compagnie de chemin de fer ne peut exiger un prix et prévoir des modalités que s’ils ont été publiés dans un tarif. L’obligation d’une compagnie de chemin de fer de publier ses prix et modalités dans un tarif découle de l’article 117 de la Loi :

Prix exigibles

117 (1) Sous réserve de l’article 126, une compagnie de chemin de fer ne peut exiger un prix pour le transport de marchandises ou de passagers que s’il est indiqué dans un tarif en vigueur qui a été établi et publié conformément à la présente section.

Renseignements tarifaires

(2) Le tarif comporte les renseignements que l’Office peut exiger par règlement.

Publication des tarifs

(3) La compagnie de chemin de fer fait publier et soit affiche le tarif, soit permet au public de le consulter à ses bureaux.

[6]        En vertu du pouvoir conféré par le paragraphe 117(2), le Règlement sur les tarifs de transport ferroviaire des marchandises et des passagers, DORS/96-338 (le Règlement), a été promulgué. Il indique clairement qu’un tarif n’est pas limité à l’indication du prix, mais qu’il doit aussi inclure les modalités du tarif :

2 Tout tarif de transport des marchandises ou des passagers que la compagnie de chemin de fer établit et publie aux termes de la partie III de la Loi doit comporter les renseignements suivants :

[…]

f) les modalités du tarif, y compris les conditions de transport applicables aux personnes ayant des déficiences, ou une indication, avec les renvois pertinents, de l’endroit où se trouvent ces modalités.

[7]        L’article 126 [de la Loi], auquel renvoient les premiers mots de l’article 117, est la disposition qui permet aux parties de conclure un contrat confidentiel qui peut contenir des prix et des modalités autres que ceux publiés dans le tarif de la compagnie de chemin de fer :

Conclusion de contrats confidentiels

126 (1) Les compagnies de chemin de fer peuvent conclure avec les expéditeurs un contrat, que les parties conviennent de garder confidentiel, en ce qui concerne :

a) les prix exigés de l’expéditeur par la compagnie;

b) les baisses de prix, ou allocations afférentes à ceux-ci, indiquées dans les tarifs établis et publiés conformément à la présente section;

c) les rabais sur les prix, ou allocations afférentes à ceux-ci, établis dans les tarifs ou dans les contrats confidentiels, qui ont antérieurement été exigés licitement;

d) les conditions relatives au transport à effectuer par la compagnie;

e) les moyens pris par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations en application de l’article 113.

[8]        En l’espèce, CP a publié le tarif 8 qui comprend le paragraphe 54, lequel, en raison de sa longueur, est reproduit en annexe A des présents motifs. En résumé, le paragraphe 54 prévoit ce qui suit :

a)         CP n’est pas responsable envers l’expéditeur des réclamations, pertes ou dommages découlant ou étant attribuables au transport des marchandises (de l’expéditeur).

b)         L’expéditeur indemnise CP et la dégage de toute responsabilité à l’égard des réclamations, pertes ou dommages attribuables au transport des marchandises ou qui en découlent.

c)         L’indemnisation vise notamment les responsabilités découlant de :

i.          toute défaillance ou défectuosité du matériel fourni par l’expéditeur pour le transport de marchandises, ou la libération de la marchandise de ce matériel;

ii.         le chargement des marchandises dans le matériel, ou le fait d’y fixer ou d’y arrimer les marchandises;

iii.        la libération, le déchargement, le transfert, la livraison, le traitement, le vidage, l’entreposage ou l’élimination des marchandises;

iv.        toute amende ou pénalité résultant d’une violation alléguée ou établie d’une loi, d’un code ou d’un règlement, notamment au sujet de l’environnement;

v.         toute perte causée par la seule négligence de l’expéditeur.

d)         L’expéditeur n’est pas tenu d’indemniser CP si sa responsabilité résulte de la seule négligence ou de l’inconduite délibérée de CP, de ses mandataires ou de ses employés.

e)         L’expéditeur indemnise CP et la dégage de toute responsabilité à l’égard de la présence de contaminants dans les marchandises qui ne sont pas décrits de façon appropriée dans le document d’expédition des marchandises.

f)          L’obligation de l’expéditeur liée à l’indemnisation de CP ne comprend pas les réclamations pour les dommages ou retards relatifs aux marchandises ainsi que pour la perte de celles-ci.

g)         Sous réserve de l’obligation de l’expéditeur d’indemniser CP et de la dégager de toute responsabilité, si l’expéditeur allègue que des réclamations, pertes ou dommages attribuables au transport des marchandises ou en découlant sont attribuables à la faute conjointe ou concourante de CP, la responsabilité à l’égard des réclamations, pertes ou dommages sera établie selon le principe de la comparaison de la faute et le juge des faits déterminera la part de responsabilité de CP, de l’expéditeur et de toute autre partie. CP ne sera tenue responsable qu’en proportion de sa part de responsabilité et l’expéditeur sera tenu responsable de toute autre responsabilité.

[9]        Comme on peut le constater, le paragraphe 54 porte sur des questions de responsabilité entre CP et l’expéditeur, de même que sur des responsabilités envers les tiers. La question présentée par les expéditeurs à l’Office était de savoir si le paragraphe 54 allait à l’encontre du paragraphe 137(1) de la Loi, qui vise les limitations de responsabilité :

Limitation par accord

137 (1) La compagnie de chemin de fer ne peut limiter sa responsabilité envers un expéditeur pour le transport des marchandises de celui-ci, sauf par accord écrit signé soit par l’expéditeur, soit par une association ou un groupe représentant les expéditeurs.

Mesure de la limitation

(2) En l’absence d’un tel accord, la mesure dans laquelle la responsabilité de la compagnie de chemin de fer peut être limitée en ce qui concerne un transport de marchandises est prévue par les conditions de cette limitation soit fixées par l’Office pour le transport, sur demande de la compagnie, soit, si aucune condition n’est fixée, établies par règlement de l’Office.

[10]      En vertu du pouvoir conféré par l’alinéa 137(2)b), le Règlement sur la responsabilité à l’égard du transport ferroviaire des marchandises, DORS/91-488, a été promulgué. Il contient plusieurs modalités, dont les plus importantes, pour les besoins des présentes, sont les suivantes :

4 Sous réserve des articles 8 et 15, pour l’application du paragraphe 137(2) de la Loi, le transporteur est responsable, quant aux marchandises qui sont en sa possession, des pertes, des dommages et des retards de transport subis par celles-ci, sauf dans les cas où cette responsabilité est limitée par le présent règlement.

5 (1) Le transporteur n’est pas responsable des pertes, des dommages et des retards de transport subis par les marchandises qui sont attribuables à l’une des causes suivantes :

a) cas de force majeure;

b) guerre ou insurrection;

c) émeute, grève ou lock-out;

d) défectuosité des marchandises;

e) acte, omission ou négligence de l’expéditeur ou du propriétaire des marchandises;

f) application d’une loi;

g) mise en quarantaine.

[11]      Ces dispositions reprennent en grande partie les obligations d’un transporteur public (et les exceptions à ses obligations) en common law, selon laquelle un transporteur public est considéré comme l’assureur des marchandises de l’expéditeur (voir Canadian Forest Products Ltd. c. B.C. Rail Ltd., 2005 BCCA 369, 42 B.C.L.R. (4th) 201, aux paragraphes 35 et 36; Boutique Jacob Inc. c. Pantainer Ltd., 2006 CF 217 (infirmée pour d’autres motifs par 2008 CAF 85), citant Canadian National Railway Co. v. Harris, [1946] R.C.S. 352).

[12]      Dans leur demande, les expéditeurs demandaient à l’Office de prononcer une ordonnance établissant que le paragraphe 54 contrevenait au paragraphe 137(1) et qu’il était déraisonnable, et exigeant qu’il soit éliminé du tarif 8. Ils soutenaient qu’en vertu des articles 26 et 120.1 de la Loi, l’Office avait le pouvoir de prononcer les ordonnances qu’ils sollicitaient :

Pouvoir de contrainte

26 L’Office peut ordonner à quiconque d’accomplir un acte ou de s’en abstenir lorsque l’accomplissement ou l’abstention sont prévus par une loi fédérale qu’il est chargé d’appliquer en tout ou en partie.

[…]

Frais ou conditions déraisonnables

120.1 (1) Sur dépôt d’une plainte de tout expéditeur assujetti à un tarif applicable à plus d’un expéditeur — autre qu’un tarif visé au paragraphe 165(3) — prévoyant des frais relatifs au transport ou aux services connexes ou des conditions afférentes, l’Office peut, s’il les estime déraisonnables, fixer de nouveaux frais ou de nouvelles conditions par ordonnance.

[…]

Précision

(7) Il est entendu que le présent article ne s’applique pas aux prix relatifs au transport.

[13]      Après avoir examiné le contexte, j’examinerai maintenant les décisions faisant l’objet du présent appel.

III.        LES DÉCISIONS FAISANT L’OBJET DE L’APPEL

[14]      Comme je l’ai mentionné plus tôt, deux décisions sont en cause dans le présent appel. La première, la décision no 202-R-2013 (la décision no 202), a été rendue le 24 mai 2013. Dans cette décision, l’Office a traité de l’interprétation du paragraphe 137(1) et du paragraphe 54. Toutefois, étant donné que certaines questions n’avaient pas été examinées, à savoir l’effet des dispositions du paragraphe 54 relatives à l’indemnisation et au dégagement de toute responsabilité et celle de savoir si l’article 120.1 s’appliquait au paragraphe 54, l’Office a demandé aux parties de présenter des observations supplémentaires sur ces questions.

[15]      Après avoir reçu ces observations, l’Office a rendu la décision no 388-R-2013 (la décision no 388) le 7 octobre 2013. Dans la décision no 388, l’Office ne s’est pas limité aux deux questions à l’égard desquelles il avait demandé des observations supplémentaires. Il est revenu sur les questions déjà abordées dans la décision no 202 et, à mon avis, il a tiré des conclusions différentes de celles qu’il avait tirées dans la décision no 202. L’Office a par la suite examiné les questions à l’égard desquelles il avait demandé des observations supplémentaires et s’est prononcé sur celles-ci.

[16]      Afin de faciliter la comparaison des deux décisions, je présenterai le raisonnement et les conclusions concernant les questions communes aux deux décisions. J’examinerai ensuite les questions précises qui ont fait l’objet des observations supplémentaires.

[17]      La première question examinée dans la décision no 202 était l’interprétation du paragraphe 137(1).

[18]      L’Office a aisément rejeté la prétention de CP selon laquelle les mots « limiter sa responsabilité envers un expéditeur pour le transport des marchandises de celui-ci » devraient être interprétés comme signifiant [traduction] « limiter sa responsabilité envers un expéditeur pour les dommages causés aux marchandises de celui-ci ou la perte de ces marchandises ». L’Office a conclu que l’interprétation était incompatible avec le sens ordinaire des mots utilisés dans la disposition légale.

[19]      Selon l’Office, selon son libellé, le paragraphe 137(1) interdit aux compagnies de chemin de fer de « limiter leur responsabilité envers un expéditeur pour le transport des marchandises et l’emploi du matériel nécessaire à ces fins, sauf par accord écrit signé par l’expéditeur ou par une association ou un groupe représentant les expéditeurs » (voir la décision no 202, au paragraphe 58).

[20]      L’Office s’est par la suite penché sur le sens de l’expression « transport des marchandises » qui, selon sa conclusion, est plus large que le simple renvoi à des marchandises. Après avoir mentionné l’arrêt de la Cour dans Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Office national des transports) (1992), 151 N.R. 16, [1992] A.C.F. no 1161 (C.A.) (QL), l’Office a conclu que l’expression « transport de marchandises » « devrait être lue de façon à inclure l’ensemble du processus de transport des marchandises du point d’origine au point de destination ainsi que l’emploi du matériel nécessaire à ces fins » (voir la décision no 202, au paragraphe 63). L’Office a alors répété sa position à l’égard du paragraphe 137(1) en remplaçant cette définition élargie de « transport des marchandises », ce qui a donné le résultat suivant (décision no 202, au paragraphe 66) :

[…] le paragraphe 137(1) de la LTC doit être lu comme une disposition interdisant aux compagnies de chemin de fer de limiter leur responsabilité envers les expéditeurs relativement à tout le processus ou toute la série d’actions par lesquels les marchandises sont transportées du point d’origine au point de destination et par lesquels le matériel nécessaire à ces fins est employé, sauf par accord écrit signé par l’expéditeur ou par une association ou un groupe représentant les expéditeurs.

[21]      L’Office a ensuite examiné l’objet et la portée du paragraphe 137(1) de la Loi, de même que le régime légal. L’Office a mentionné la décision Mitsubishi Heavy Industries Ltd. c. Canadian National Railway Co., 2012 BCSC 1415, 38 B.C.L.R. (5th) 169, dans laquelle la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que le paragraphe 137(1) visait à protéger les expéditeurs d’une limitation de la responsabilité sans bien connaître les modalités de cette limitation.

[22]      En ce qui a trait au régime légal, l’Office s’est reporté à l’une de ses décisions antérieures, la décision no 212-R-2001 [Demande voulant le droit de faire circuler et d’exploiter des trains sur des lignes particulières de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada – Hudson Bay Railway Company], dans laquelle il a indiqué que la déréglementation conférait aux expéditeurs et aux transporteurs une grande liberté pour conclure leurs propres arrangements, mais que la Loi continuait néanmoins à prévoir la réglementation économique de l’industrie du chemin de fer en offrant des recours précis aux expéditeurs et en imposant des obligations aux compagnies de chemin de fer. L’Office a conclu que le paragraphe 137(1) était une obligation imposée aux compagnies de chemin de fer qui visait à protéger les expéditeurs des transferts de responsabilité non autorisés (voir la décision no 202, au paragraphe 70).

[23]      L’Office a résumé ainsi son raisonnement rejetant l’argument de CP au sujet de la portée du paragraphe 137(1) (décision no 202, au paragraphe 73) :

L’interprétation restrictive que préconise CP, selon laquelle la limitation de la responsabilité envers l’expéditeur touche uniquement la responsabilité pour les dommages causés aux marchandises de l’expéditeur ou la perte de ces marchandises, est incompatible avec la règle de l’interprétation selon le sens ordinaire des mots et n’est pas appuyée par l’objet de la législation qui sous-tend cette disposition.

[24]      Après avoir rejeté l’argument de CP, l’Office a répété ainsi sa position quant à l’interprétation de cette disposition (décision no 202, au paragraphe 76) :

L’Office conclut que le paragraphe 137(1) de la LTC interdit aux compagnies de chemin de fer de limiter leur responsabilité envers les expéditeurs à l’égard de tout préjudice qui est attribuable au transport de marchandises ou qui en découle, ou qui y est associé de quelque façon que ce soit, à moins qu’un accord écrit n’ait été conclu en ce sens ou qu’il n’en soit prévu dans un règlement pris en application du paragraphe 137(2) de la LTC.

[25]      L’interprétation que l’Office a ajoutée au libellé du paragraphe 137(1) se trouve dans les mots « à l’égard de tout préjudice qui est attribuable au transport de marchandises ou qui en découle, ou qui y est associé de quelque façon que ce soit ».

[26]      J’examine maintenant la décision no 388, dans laquelle les mêmes questions ont été étudiées.

[27]      Se concentrant sur les mots « responsabilité envers un expéditeur » au paragraphe 137(1), l’Office a indiqué que cela sous-entendait que la compagnie de chemin de fer a ou pourrait avoir une responsabilité envers l’expéditeur. Il a conclu de cela que, si une réclamation contre la compagnie de chemin de fer est présentée par une personne autre que l’expéditeur, cette réclamation n’est pas visée par le paragraphe 137(1) (décision no 388, au paragraphe 37).

[28]      Justement parce que le paragraphe 137(1) porte précisément sur la responsabilité d’une compagnie de chemin de fer envers un expéditeur, il ne s’applique pas à tous les aspects de la responsabilité liés au transport de marchandises ou en découlant. Plus précisément, l’imposition d’obligations à un expéditeur relativement à des réclamations présentées par un tiers n’est pas visée par le paragraphe 137(1) (décision no 388, au paragraphe 39) :

Le paragraphe 137(1) de la LTC ne porte pas sur tous les aspects de la responsabilité pouvant être liés au transport de marchandises. Il ne porte que sur la limitation de la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers un expéditeur. Autrement dit, le paragraphe 137(1) ne fait qu’empêcher la compagnie de chemin de fer de limiter le montant qu’elle peut devoir à un expéditeur à la suite d’un événement survenu en lien avec le transport de marchandises de l’expéditeur au cours duquel des dommages ont été causés à l’expéditeur. Les cas où la compagnie de chemin de fer impose des obligations à l’expéditeur relativement à une réclamation présentée contre elle par un tiers ne sont pas visés par l’article 137; et rien dans le paragraphe 137(1) n’empêche la compagnie de chemin de fer d’imposer à l’expéditeur […] des conditions visant à limiter ou à atténuer les répercussions financières que ces responsabilités envers les tiers auront sur la compagnie de chemin de fer.

[29]      L’Office a résumé sa position ainsi (décision no 388, au paragraphe 44) :

[…] les conditions qui se trouvent dans le paragraphe 54 seront contraires au paragraphe 137(1) seulement si elles ont pour effet de limiter, de restreindre ou de réduire de quelque façon que ce soit le montant d’une réclamation qu’un expéditeur a déposé ou pourrait déposer contre CP en lien avec le transport des marchandises de l’expéditeur.

[30]      En résumé, dans la décision no 202, l’Office accorde au paragraphe 137(1) une portée très vaste de manière à viser « tout préjudice qui est attribuable au transport de marchandises ou qui en découle, ou qui y est associé de quelque façon que ce soit », tandis que, dans la décision no 388, l’Office exclut de la portée du paragraphe 137(1) toute responsabilité que la compagnie de chemin de fer peut avoir à l’égard de tiers ou tout déplacement de cette responsabilité par la compagnie de chemin de fer à l’expéditeur.

[31]      Je reviens maintenant à la décision no 202 pour examiner l’interprétation qu’a donnée l’Office au paragraphe 54 et son application du paragraphe 137(1) à cette interprétation. L’Office a commencé son analyse par l’appréciation de l’effet des mots [traduction] « n’est pas responsable envers le client » (la limitation générale). Je reproduis ci-dessous, avec des omissions pour en faciliter la lecture, le premier alinéa du paragraphe 54 :

[traduction] […] CP n’est pas responsable envers le client, et celui-ci s’engage à indemniser CP et à la dégager de toute responsabilité, à l’égard des réclamations […], des dommages-intérêts […] et de toutes les responsabilités, les réclamations, les actions, les amendes et les pénalités, ainsi que les coûts et les frais qui y sont associés (collectivement, les « responsabilités »), attribuables au transport des marchandises, ou qui en découlent, de quelque façon que ce soit, ou à toute chose faite ou non faite en vertu du présent tarif. [Non souligné dans l’original.]

[32]      La conclusion de l’Office quant à la portée de cette disposition est reproduite ci-dessous (décision no 202, aux paragraphes 81 et 82) :

L’Office est d’avis qu’en utilisant les mots « [n’est pas] responsable envers le client » au paragraphe 54, CP a intégré dans son tarif une exclusion totale de la responsabilité envers les expéditeurs relativement au transport de marchandises dangereuses que CP effectue.

De toute évidence, cette exclusion générale de responsabilité constitue une limitation de la responsabilité envers l’expéditeur pour le transport des marchandises au sens du paragraphe 137(1) de la LTC.

[33]      Puisque cette limitation de responsabilité figure au tarif, qui n’est pas un accord écrit signé par l’expéditeur, l’Office a conclu qu’elle allait à l’encontre du paragraphe 137(1) de la Loi.

[34]      L’Office a par la suite examiné l’exigence du paragraphe 54 selon laquelle le client (l’expéditeur) s’engageait « à indemniser CP et à la dégager de toute responsabilité ». L’Office a conclu que le paragraphe 54 imposait aux expéditeurs l’obligation de dédommager CP des responsabilités découlant du transport de marchandises dangereuses. Il a conclu que cette obligation d’indemnisation devait nécessairement être liée aux responsabilités envers les tiers, « étant donné que CP s’est déjà soustraite à toute responsabilité envers l’expéditeur aux termes du paragraphe 54 » (voir la décision no 202, au paragraphe 86).

[35]      Le paragraphe 54 comprend également une disposition concernant la responsabilité conjointe (la disposition sur la responsabilité conjointe) qui est reproduite ci-dessous :

[traduction] Sous réserve des obligations du client d’indemniser CP et de la dégager de toute responsabilité qui précèdent, si le client croit que les responsabilités sont attribuables, en tout ou en partie, à la négligence ou à la faute conjointe ou concourante de CP, la responsabilité sera établie selon le principe de la comparaison de la faute et le juge des faits déterminera la part de responsabilité de CP, du client et de toute autre partie. CP ne sera tenue responsable que de la responsabilité établie à son égard en proportion de sa part de responsabilité. Le client sera tenu responsable de toute autre responsabilité.

[36]      L’Office était d’avis que cette clause pouvait alourdir la responsabilité de l’expéditeur au-delà de celle qui lui incomberait par ailleurs selon les règles de droit applicables à la situation. Puisqu’un expéditeur doit tout d’abord indemniser CP et la dégager de toute responsabilité avant de se prévaloir de la disposition sur la responsabilité conjointe, l’Office a conclu qu’en ce faisant, l’expéditeur supporterait des frais qu’il ne pourrait recouvrer aux termes de la disposition sur la responsabilité conjointe. Ceci a mené l’Office à conclure que, « par suite de l’application de la disposition relative à la responsabilité conjointe énoncée au paragraphe 54, la responsabilité de l’expéditeur pourrait, dans certains cas, être en bout de ligne plus lourde que celle qui lui incomberait par ailleurs selon les règles de droit applicables à la situation » (voir la décision no 202, au paragraphe 91).

[37]      En fin de compte, l’Office a conclu que le paragraphe 54 non seulement soustrayait CP de sa responsabilité envers l’expéditeur, mais encore imposait à ce dernier des obligations supplémentaires relativement aux responsabilités pouvant naître du transport de ses marchandises. À titre d’exemple, l’Office était d’avis que, si un événement déclenchant le paragraphe 54 survenait, non seulement l’expéditeur ne serait pas en mesure de recouvrer ses propres pertes de CP, mais il serait tenu d’assumer la responsabilité de CP envers les tiers et d’assumer les frais de la défense de CP. De plus, l’expéditeur serait tenu d’assumer divers coûts comme les coûts d’intervention d’urgence et d’évacuation, les coûts des mesures correctives et les coûts de surveillance de l’État (sans qu’on sache trop ce qu’ils pourraient être), de même que le coût de tout préjudice à la faune ou à l’environnement (voir la décision no 202, au paragraphe 94).

[38]      Ce raisonnement a mené l’Office à tirer la conclusion suivante (décision no 202, au paragraphe 95) :

Étant donné que le paragraphe 54 écarte le principe de la répartition de la responsabilité découlant des règles de droit qui régissent la responsabilité conjointe entre CP et l’expéditeur en réduisant ou en annulant la part de responsabilité de CP, l’Office conclut que cette disposition constitue une limitation de la responsabilité envers l’expéditeur. Puisque ces conditions ne figurent pas dans un accord écrit conclu entre CP et les demanderesses ni ne sont établies par règlement, l’Office conclut que cette limitation de la responsabilité est interdite aux termes du paragraphe 137(1) de la LTC.

[39]      Cette conclusion semble découler de l’interprétation que l’Office a donnée à la disposition sur la responsabilité conjointe.

[40]      Après avoir conclu que la disposition sur la responsabilité conjointe limitait la responsabilité de CP envers les expéditeurs, l’Office s’est demandé si l’obligation d’indemniser CP et de la dégager de toute responsabilité constituait aussi une limitation de responsabilité (décision no 202, au paragraphe 96) :

En imposant à l’expéditeur l’obligation [d’indemniser CP et de la dégager] de toute responsabilité, CP a intégré dans le tarif un mécanisme par lequel elle s’assure que l’expéditeur la dédommagera entièrement des responsabilités envers les tiers. Cette obligation va au-delà de la limitation de la responsabilité et ne constitue peut-être pas une clause de limitation de la responsabilité envers l’expéditeur.

[41]      Toutefois, puisque les parties n’avaient pas fait d’observations sur la clause visant l’obligation d’indemniser CP et de la dégager de toute responsabilité, l’Office a demandé des observations supplémentaires.

[42]      Ces observations supplémentaires ont donné lieu à la décision no 388. En ce qui a trait à l’obligation d’indemnisation, l’Office a conclu que l’obligation exigeait simplement que l’expéditeur paie à CP un montant égal à celui que CP pourrait devoir à des tiers, sous réserve du droit de l’expéditeur de recouvrer ces montants de CP au titre de la disposition sur la responsabilité conjointe. Cela n’avait pas pour effet d’exonérer CP de ses obligations envers ces tiers. Cependant, puisque CP ne devait rien à l’expéditeur relativement aux réclamations des tiers, l’obligation d’indemnisation ne pouvait limiter la responsabilité de CP envers un expéditeur. Pour ce motif, l’Office a conclu que l’obligation d’indemnisation n’était pas une limitation de responsabilité envers un expéditeur au sens du paragraphe 137(1) de la Loi.

[43]      Étant donné que l’obligation d’indemniser que comprend le paragraphe 54 impose des obligations supplémentaires à l’expéditeur et ne limite pas la responsabilité de CP envers ce dernier, l’Office a conclu qu’elle n’était pas une limitation de responsabilité visée par le paragraphe 137(1).

[44]      Quant à l’obligation de dégager de toute responsabilité, l’Office s’est appuyé sur la définition suivante du dictionnaire Black’s Law Dictionary (décision no 388, au paragraphe 54) :

[traduction] [Convention de dédommagement]

• Contrat ou entente par lequel une partie consent à exonérer l’autre de toute responsabilité à l’égard du préjudice ou des autres obligations découlant de l’opération en cause.

[45]      S’appuyant sur cette définition, l’Office a tiré la conclusion suivante (décision no 388, au paragraphe 55) :

Cette définition laisse entendre que l’obligation de l’expéditeur de [dégager CP de toute responsabilité] pourrait dépasser la responsabilité de CP envers les tiers. Elle pourrait aussi être interprétée comme une exonération par l’expéditeur relativement à toute réclamation que l’expéditeur a déposée ou pourrait déposer contre CP en ce qui a trait aux responsabilités envers les tiers. En ce sens, l’obligation de l’expéditeur de protéger CP limiterait ou restreindrait le montant de la réclamation d’un expéditeur contre CP en ce qui a trait au transport des marchandises de l’expéditeur.

[46]      L’Office n’a pas expliqué comment un document délivré de façon unilatérale par la compagnie de chemin de fer pouvait équivaloir à une renonciation de ses droits par l’expéditeur.

[47]      La dernière question à examiner était de savoir si l’Office avait, en vertu de l’article 120.1, la compétence de se prononcer sur le caractère raisonnable du paragraphe 54. Dans la décision no 202, l’Office a estimé, à titre préliminaire, que les modalités du paragraphe 54 n’étaient pas afférentes à des frais. Il a toutefois donné aux parties la possibilité de présenter des observations supplémentaires. L’Office a par la suite examiné la question de la portée de l’article 120.1 de la Loi dans la décision no 388.

[48]      Par souci de commodité, je reproduis l’article 120.1 ci-dessous :

Frais ou conditions déraisonnables

120.1 (1) Sur dépôt d’une plainte de tout expéditeur assujetti à un tarif applicable à plus d’un expéditeur — autre qu’un tarif visé au paragraphe 165(3) — prévoyant des frais relatifs au transport ou aux services connexes ou des conditions afférentes, l’Office peut, s’il les estime déraisonnables, fixer de nouveaux frais ou de nouvelles conditions par ordonnance.

[…]

Précision

(7) Il est entendu que le présent article ne s’applique pas aux prix relatifs au transport.

[49]      L’Office a indiqué que sa compétence en vertu de l’article 120.1 était limitée aux « frais » et aux « conditions afférentes » pour le transport ou les services connexes. Bien que les prix soient expressément exclus des éléments qui peuvent être examinés au titre de l’article 120.1, l’Office a conclu que cela ne signifiait pas que toute autre chose qu’un prix pouvait par conséquent être examinée.

[50]      Après avoir passé en revue plusieurs définitions du mot anglais « charge » (frais) dans des dictionnaires, l’Office a conclu que le terme « frais », dans son sens ordinaire, « pourrait littéralement inclure presque toutes les obligations, que ce soit le paiement d’une somme d’argent ou l’exécution d’une obligation de faire quelque chose » (décision no 388, au paragraphe 84).

[51]      Après avoir rappelé l’approche moderne de l’interprétation des lois, l’Office a examiné le contexte dans lequel le terme « frais » apparaissait dans la Loi. Cela l’a amené à conclure que la question à trancher était la signification à donner au terme « frais » dans le cas du tarif d’une compagnie de chemin de fer.

[52]      L’Office a alors comparé le recours possible au titre de l’article 120.1 en lien avec des « frais relatifs au transport ou aux services connexes ou des conditions afférentes » et le recours possible au titre de l’article 161 en lien avec « des prix appliqués ou proposés par un transporteur pour le transport de marchandises ou des conditions imposées à cet égard ». Il a conclu que la différence entre les recours selon qu’il s’agissait du prix ou des frais qui étaient contestés signifiait que les termes « prix », « frais » et « conditions » tels qu’ils étaient utilisés dans la définition du tarif avaient des significations différentes et n’étaient pas interchangeables.

[53]      L’Office a poursuivi son raisonnement en indiquant que, si l’article 120.1 était destiné à lui permettre d’examiner n’importe quel élément d’un tarif qui n’est pas un prix, le législateur aurait utilisé un libellé plus adapté à cette fin, comme il l’a fait au paragraphe 114(4) de la Loi, qui autorise l’Office à rejeter tout prix ou tarif dans certaines circonstances.

[54]      L’Office a donc conclu que le terme « frais » représentait autre chose que le « prix » ou les « conditions » pour le transport des marchandises de l’expéditeur ou pour la prestation de services connexes (décision no 388, au paragraphe 90).

[55]      L’Office a ensuite examiné les obligations d’une compagnie de chemin de fer envers un expéditeur lors du paiement du prix prévu par le tarif. Le paragraphe 113(2) de la Loi prévoit que sur paiement du prix, une compagnie de chemin de fer est tenue de prendre les marchandises au point d’origine, de les transporter et de les livrer au point de destination. L’Office a conclu que l’obligation de payer le prix n’était pas liée à des services accessoires ou connexes, mais était le paiement pour le transport complet des marchandises.

[56]      L’Office a également conclu que les « conditions » mentionnées à l’article 120.1 désignaient les obligations autres que l’obligation de l’expéditeur de payer le prix que l’expéditeur doit remplir « comme condition pour le transport de marchandises par une compagnie de chemin de fer » (décision no 388, au paragraphe 94). Un exemple de ce qui précède serait l’obligation de l’expéditeur d’étiqueter les marchandises de façon appropriée, comme le prévoit le tarif 8. L’Office a ainsi conclu que ces « frais » devaient s’entendre d’obligations autres que l’obligation de l’expéditeur de payer le prix ou les obligations devant être remplies par l’expéditeur comme condition pour le transport de marchandises.

[57]      Selon l’Office, des frais constituent une obligation d’un expéditeur à l’égard d’un service précis devant être effectué par la compagnie de chemin de fer, ou de marchandises précises devant être fournies par elle, autres que les marchandises ou les services visés par le prix. Des frais pourraient inclure un paiement pour des services facultatifs demandés par l’expéditeur ou des services qui sont nécessaires en raison du défaut de l’expéditeur d’exécuter ses propres obligations aux termes du tarif (décision no 388, aux paragraphes 95 et 96). Un exemple de ce dernier point pourrait être les droits de stationnement.

[58]      Un examen des dispositions du paragraphe 116(4) de la Loi, qui porte sur les pouvoirs de l’Office dans le cas où une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations en matière de niveau de services, a confirmé l’avis de l’Office. Après avoir mené une enquête à propos d’une plainte, l’Office peut exiger qu’une compagnie de chemin de fer entreprenne diverses mesures et peut préciser « le prix maximal que la compagnie peut exiger » à l’égard de ces mesures (en anglais, « the maximum charges that may be made »). L’emploi du terme « charges » (prix) dans la version anglaise de la loi en lien avec des biens et des services qui doivent être fournis pour remplir les obligations d’une compagnie de chemin de fer en matière de niveau de services est compatible avec l’emploi de ce terme pour désigner d’autres obligations que celles visées par le mot anglais « rate ».

[59]      Le paragraphe 169.31(1), qui porte sur l’arbitrage sur l’offre finale dans le cas de la négociation d’un contrat confidentiel relativement à la manière dont une compagnie de chemin de fer s’acquittera de ses obligations en matière de niveau de services, emploie également le terme « frais ». Le paragraphe 169.31(1) précise les sujets qui peuvent être soumis à l’arbitrage sur l’offre finale, notamment « la question de savoir si des frais peuvent être imposés par la compagnie de chemin de fer relativement aux conditions d’exploitation » ou « pour les services » connexes. L’Office était d’avis que les « conditions d’exploitation » et les « services » connexes étaient des services que devait exécuter la compagnie de chemin de fer, mais qui avaient été séparés et qui n’avaient pas été inclus dans le prix.

[60]      À la suite de son examen du régime légal, l’Office a conclu que son interprétation du terme « frais » à l’article 120.1, comme l’énonce le paragraphe 57 ci-dessus, était compatible avec l’utilisation de ce terme dans le reste du régime légal (décision no 388, au paragraphe 102).

[61]      L’Office a terminé son analyse en se reportant à l’historique législatif de l’article 120.1. Il a conclu qu’au moment de l’adoption de l’article 120.1, les types de frais qui préoccupaient surtout les expéditeurs étaient les frais de stationnement, de nettoyage et d’entreposage des wagons. Ces services étaient des services connexes, facultatifs ou accessoires au transport de marchandises et tous étaient liés à des activités ou à des transactions précises qui avaient été séparées et, par la suite, n’avaient pas été incluses dans le prix pour le transport de marchandises.

[62]      Ce raisonnement a amené l’Office à tirer la conclusion suivante (décision no 388, au paragraphe 104) :

Dans le cas présent, l’obligation de l’expéditeur [d’indemniser et de dégager de toute responsabilité] qui se trouve dans le paragraphe 54 n’est pas liée à un service précis qui doit être effectué ou à des marchandises qui doivent être fournies par CP, et elle n’est pas séparée du prix. En vertu du paragraphe 54, l’expéditeur doit s’engager à [indemniser CP et à la dégager de toute responsabilité] comme condition du transport des marchandises de cet expéditeur. En retour de cet engagement, l’expéditeur obtient seulement l’exécution de l’obligation principale de CP, qui est le transport des marchandises. Ce qui revient à dire que l’obligation de la compagnie de chemin de fer est incluse dans le prix.

[63]      Ainsi, l’Office a conclu qu’il n’avait pas, au titre de l’article 120.1, la compétence pour accorder la réparation demandée par les expéditeurs, puisque l’obligation d’indemniser et de dégager de toute responsabilité ne constituait pas des frais ni une condition liée à des frais (décision no 388, au paragraphe 105).

[64]      Cette conclusion signifiait que l’Office n’était pas tenu d’entreprendre une analyse du caractère raisonnable du paragraphe 54. Toutefois, en réponse à un argument présenté par Agrium qui demandait de radier le paragraphe 54 au titre de l’article 26 (qui traite des actes interdits), l’Office a répété sa conclusion portant que, puisque le paragraphe 54 ne se rapportait pas à des « frais » ni à des « conditions afférentes », il n’était pas interdit par l’article 120.1 et, par conséquent, il ne pouvait faire l’objet d’une ordonnance aux termes de l’article 26.

[65]      L’Office a conclu la décision no 388 en déclarant que, puisque le paragraphe 54 renfermait des conditions qui limitaient la responsabilité d’une compagnie de chemin de fer envers un expéditeur, lesquelles conditions étaient interdites par le paragraphe 137(1) de la Loi, il ordonnait à CP, en vertu de l’article 26, de ne pas appliquer le paragraphe 54 tant que celui-ci n’aurait pas été modifié pour retirer expressément les limites de responsabilité interdites de CP envers un expéditeur.

[66]      Si j’ai bien compris les décisions de l’Office, CP peut se conformer à celles-ci en retirant les dispositions sur la limitation générale et sur la responsabilité conjointe du paragraphe 54. Cela entraîne une anomalie : alors que CP demeurera responsable envers les expéditeurs, ces derniers seront tenus de l’indemniser de toute responsabilité envers les tiers, à l’exception de celle causée par sa seule négligence. Par conséquent, les expéditeurs auront perdu le droit de réclamer une contribution de CP dans le cas de négligence conjointe ou concourante.

IV.       LES QUESTIONS EN LITIGE DANS LES APPELS

[67]      CP interjette appel à l’encontre de l’ordonnance de ne pas appliquer le paragraphe 54 jusqu’à ce que les dispositions en cause soient retirées. Les expéditeurs interjettent appel à l’encontre de l’interprétation que l’Office a donnée à l’article 120.1.

[68]      La première étape de l’analyse consiste à établir la norme de contrôle applicable. En l’espèce, deux normes de contrôle doivent être examinées. La première norme vise l’interprétation que l’Office a donnée au paragraphe 137(1) et son application au paragraphe 54. La deuxième norme vise l’analyse de l’article 120.1 effectuée par l’Office.

[69]      Étant donné que les deux décisions faisant l’objet de l’appel portent exclusivement sur des questions d’interprétation, la question fondamentale est de savoir si les interprétations de l’Office sont compatibles avec la norme de contrôle applicable.

V.        LA NORME DE CONTRÔLE

[70]      Quelle est la norme de contrôle applicable à l’interprétation de l’Office relative au paragraphe 137(1) et à son application au paragraphe 54?

[71]      L’interprétation par un tribunal administratif « de “sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie” est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire » (voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 (Alberta Teachers), au paragraphe 34). Cette présomption peut cependant être réfutée au moyen d’une analyse contextuelle comme celle entreprise dans l’arrêt Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283 (Rogers). Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de la décision correcte s’appliquait en présence d’un régime légal au titre duquel un tribunal administratif et les cours de justice avaient tous deux compétence en première instance pour interpréter la loi pertinente (voir Rogers, aux paragraphes 13 à 15).

[72]      L’arrêt Rogers a été précédé d’au moins deux arrêts qui ont appliqué le même raisonnement. Dans l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2002 CAF 166, [2002] 4 C.F. 3 (Tarif 22), le juge Evans a entrepris une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable aux interprétations de la Commission du droit d’auteur relatives à sa loi constitutive. Lorsqu’il a examiné les facteurs contextuels, le juge Evans a souligné que la Commission n’avait pas une compétence exclusive pour se prononcer sur ce qui constituait une violation du droit d’auteur, puisque cette question pouvait aussi être en cause devant les tribunaux judiciaires (voir Tarif 22, aux paragraphes 84 à 87). Au bout du compte, le juge Evans a estimé que l’existence d’une compétence concurrente faisait pencher la balance en faveur de la norme de la décision correcte pour le contrôle de l’interprétation que donnait la Commission du droit d’auteur à ce qui constituait une violation du droit d’auteur parce que, dans les cas de compétence concurrente (et, par extension, de compétence égale), « il est peu probable que la réserve judiciaire favorise l’uniformité de même que l’efficacité et l’économie des ressources judiciaires » (voir Tarif 22, au paragraphe 104).

[73]      Dans le pourvoi à la Cour suprême (Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427 (ACFI)), la position du juge Evans concernant la norme de contrôle applicable a été confirmée dans trois courts paragraphes (voir ACFI, aux paragraphes 48 à 50). La Cour a établi une distinction entre les questions de violation du droit d’auteur, qui relèvent souvent des cours de justice, et la mise au point d’un tarif de redevances approprié, laquelle est au cœur du mandat de la Commission du droit d’auteur (voir ACFI, au paragraphe 49).

[74]      Les arrêts Tarif 22 et ACFI ont tous deux été rendus avant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), mais sont conformes à la règle énoncée dans l’arrêt Dunsmuir selon laquelle il n’est pas nécessaire d’entreprendre l’analyse relative à la norme de contrôle dans les cas où la norme de contrôle a été déterminée d’une manière satisfaisante. Depuis l’arrêt Dunsmuir, l’arrêt ACFI a été cité et approuvé dans l’arrêt Rogers, et l’arrêt Rogers a lui-même été cité et approuvé dans l’arrêt McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895 (McLean), aux paragraphes 22 à 24, et il a été plus récemment appliqué dans l’arrêt Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615, au paragraphe 35.

[75]      Je conclus de ce qui précède que l’existence d’une compétence concurrente d’un tribunal administratif et des cours de justice à l’égard d’une question donnée est un facteur important, sinon déterminant, en faveur de la norme de la décision correcte en ce qui a trait au traitement de cette question par le tribunal administratif.

[76]      En l’espèce, l’Office et la Cour ont une compétence concurrente à l’égard de l’interprétation du paragraphe 137(1) et d’une disposition de limitation de responsabilité dont l’applicabilité ou la légalité est contestée. Ces questions sont présentées à l’Office, comme c’était le cas en l’espèce, au moyen d’une demande sollicitant l’annulation d’une modalité d’un tarif au motif qu’elle est interdite par le paragraphe 137(1).

[77]      Par contre, les cours de justice se prononceront sur toute tentative par une compagnie de chemin de fer d’appliquer les modalités d’un tarif à l’encontre d’un expéditeur ou d’un tiers. Voir Canadian National Railway Co. c. Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd., 2006 BCSC 1073, 60 B.C.L.R. (4th) 96 (Neptune Bulk Terminals), dans lequel la question en litige était l’applicabilité d’une modalité d’un tarif à une entité qui n’était pas partie au contrat de transport, Mitsubishi Heavy Industries Ltd. c. Canadian National Railway Co., 2012 BCSC 1415, 38 B.C.L.R. (5th) 169, dans lequel une des questions à trancher était l’identité de l’expéditeur aux fins du paragraphe 137(1), et Alstom Canada Inc. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2008 CF 1311, dans lequel une question visait le caractère exécutoire d’une limitation de responsabilité en raison du paragraphe 137(1).

[78]      Puisque la norme de contrôle de la Cour relative à l’interprétation du paragraphe 137(1) est la norme de la décision correcte, suivant l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8, la norme de contrôle de l’interprétation de la même disposition par un tribunal administratif doit également être la norme de la décision correcte, pour les motifs énoncés dans l’arrêt Rogers, au paragraphe 14 :

Il serait illogique de contrôler la décision de la Commission sur un point de droit selon une norme déférente, mais d’examiner de novo la décision d’une cour de justice rendue en première instance sur le même point de droit dans le cadre d’une action pour violation du droit d’auteur. Il serait tout aussi incohérent que, saisie d’un appel visant un contrôle judiciaire, la cour d’appel fasse preuve de déférence à l’égard de la décision de la Commission sur un point de droit, mais applique la norme de la décision correcte à la décision d’une cour de justice en première instance sur le même point de droit.

[79]      En l’espèce, le raisonnement est le même. Il serait illogique d’examiner l’interprétation du paragraphe 137(1) faite par l’Office suivant une norme de contrôle judiciaire faisant appel à la déférence, pour ensuite examiner la même question selon la norme de la décision correcte lorsqu’elle survient lors d’un appel d’une décision d’une cour de justice. Pour ce motif, la norme de contrôle des interprétations de l’Office du paragraphe 137(1) est la norme de la décision correcte.

[80]      Bien que le paragraphe 54 ne fasse pas partie de la loi constitutive de l’Office, il est possible de soutenir qu’à titre de composante d’un tarif, il relève de l’expertise particulière de l’Office. En contrepoids est le fait que, comme dans le cas du paragraphe 137(1), des questions concernant les limitations de responsabilité seront soulevées en première instance à la fois devant les cours de justice et devant l’Office, pour les motifs énoncés à l’égard du paragraphe 137(1). Pour les mêmes motifs que ceux énoncés relativement au paragraphe 137(1), je conclus que la norme de contrôle applicable à l’interprétation de l’Office du paragraphe 54 est la norme de la décision correcte.

[81]      La norme de contrôle applicable à l’interprétation de l’Office de l’article 120.1 est la simple application de la présomption de la norme du caractère raisonnable. Aucun des facteurs mentionnés dans l’arrêt McLean, précité, aux paragraphes 21 et 22, n’est présent de manière à réfuter la présomption. L’article 120.1 ne soulève pas une question constitutionnelle ou une question ayant une importance générale pour le système juridique. De plus, l’interprétation de l’article 120.1 n’est pas une question à l’égard de laquelle les cours de justice et l’Office ont tous deux une compétence concurrente en première instance. La norme de contrôle de l’interprétation par l’Office de l’article 120.1 est par conséquent la norme de la décision raisonnable, tout comme pour l’application par l’Office de l’article 120.1 aux faits de l’espèce.

VI.       L’INTERPRÉTATION DU PARAGRAPHE 137(1)

[82]      CP conteste l’interprétation faite par l’Office du paragraphe 137(1), au motif que l’Office lui a attribué une portée trop vaste. Selon CP, cette disposition ne visait qu’à traiter des limitations des responsabilités d’une compagnie de chemin de fer à titre de transporteur public et en vertu de la loi. Dans son mémoire, CP présente l’historique des obligations et des responsabilités des transporteurs publics et de leur codification ultérieure dans l’article 113 de la Loi et l’article 4 du Règlement sur la responsabilité à l’égard du transport ferroviaire des marchandises. Selon CP, le paragraphe 137(1) existe pour empêcher les compagnies de chemin de fer de se décharger de ces responsabilités sans avoir obtenu par écrit le consentement exprès de l’expéditeur.

[83]      CP conteste la décision de l’Office relativement à l’interprétation du paragraphe 137(1) telle qu’elle est exprimée dans la décision no 202. Comme je l’ai souligné plus tôt, il existe une différence sur ce point entre la décision no 202 et la décision no 388.

[84]      L’Office a tiré sa conclusion quant à la portée du paragraphe 137(1) dans la décision no 202 et à nouveau dans la décision no 388. Il existe une différence entre les deux positions. Au paragraphe 76 de la décision no 202, l’Office a conclu ainsi :

L’Office conclut que le paragraphe 137(1) de la LTC interdit aux compagnies de chemin de fer de limiter leur responsabilité envers les expéditeurs à l’égard de tout préjudice qui est attribuable au transport de marchandises ou qui en découle, ou qui y est associé de quelque façon que ce soit, à moins qu’un accord écrit n’ait été conclu en ce sens ou qu’il n’en soit prévu dans un règlement pris en application du paragraphe 137(2) de la LTC.

[85]      Au paragraphe 39 de la décision no 388, l’Office a décrit ainsi le sens du paragraphe 137(1) :

Le paragraphe 137(1) de la LTC ne porte pas sur tous les aspects de la responsabilité pouvant être liés au transport de marchandises. Il ne porte que sur la limitation de la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers un expéditeur. Autrement dit, le paragraphe 137(1) ne fait qu’empêcher la compagnie de chemin de fer de limiter le montant qu’elle peut devoir à un expéditeur à la suite d’un événement survenu en lien avec le transport de marchandises de l’expéditeur au cours duquel des dommages ont été causés à l’expéditeur.

[86]      Les deux textes comportent une différence. Dans la décision no 202, l’Office a conclu que le paragraphe 137(1) interdisait à une compagnie de chemin de fer de limiter sa responsabilité envers un expéditeur à l’égard de tout préjudice qui découle du transport de marchandises ou qui y est associé de quelque façon que ce soit. Dans la décision no 388, l’Office a conclu que le paragraphe 137(1) ne faisait qu’empêcher une compagnie de chemin de fer de limiter sa responsabilité envers un expéditeur à l’égard d’un montant qu’elle peut lui devoir à la suite du transport de marchandises de l’expéditeur qui a causé un préjudice à l’expéditeur.

[87]      Dans la décision no 388, l’Office a par la suite examiné la situation parfaitement réaliste d’une réclamation présentée par un tiers à l’encontre de l’expéditeur (décision no 388, au paragraphe 39) :

[…] Les cas où la compagnie de chemin de fer impose des obligations à l’expéditeur relativement à une réclamation présentée contre elle par un tiers ne sont pas visés par l’article 137; et rien dans le paragraphe 137(1) n’empêche la compagnie de chemin de fer d’imposer à l’expéditeur […] des conditions visant à limiter ou à atténuer les répercussions financières que ces responsabilités envers les tiers auront sur la compagnie de chemin de fer.

[88]      La conclusion présentée dans la décision no 388 semble ressembler étroitement à la position de CP. Cela dit, la question est de savoir si une interprétation aussi restrictive du paragraphe 137(1) est justifiée.

[89]      Un expéditeur peut avoir une réclamation contre une compagnie de chemin de fer dans le cas où un préjudice est causé à un tiers, en tout ou en partie, par la négligence de la compagnie de chemin de fer et où le tiers cherche à recouvrer ses pertes de l’expéditeur. Dans un tel cas, l’expéditeur aurait une réclamation à l’encontre de la compagnie de chemin de fer selon la règle de la négligence concourante du droit provincial pour la part de la perte causée par la faute de la compagnie de chemin de fer. Toute limitation de la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers l’expéditeur pour sa part de cette perte serait visée par les mots « limiter sa responsabilité envers un expéditeur » et tomberait sous le coup du sens ordinaire des mots du paragraphe 137(1).

[90]      Existe-t-il une raison, soit dans l’objet de la loi, soit dans le contexte légal, de s’écarter du sens ordinaire des mots? CP soutient que l’article 137 codifiait les responsabilités d’une compagnie de chemin de fer envers un expéditeur en common law (mémoire des faits et du droit de CP, au paragraphe 54). Avec égards, je ne vois pas comment il pourrait en être ainsi.

[91]      Le paragraphe 137(1) ne codifie pas les obligations d’une compagnie de chemin de fer à titre de transporteur public. Il restreint plutôt la capacité d’une compagnie de chemin de fer de limiter sa responsabilité envers un expéditeur, sans vouloir définir ces obligations.

[92]      À première vue, la thèse de CP peut sembler plus solide lorsque celle-ci soutient que les obligations visées par le paragraphe 137(1) sont celles énoncées à l’article 4 du Règlement sur la responsabilité à l’égard du transport ferroviaire des marchandises. Le paragraphe 137(2) est rédigé ainsi :

137 […]

Aucun accord

(2) En l’absence d’un tel accord, le traitement, entre eux, de la question de la responsabilité de la compagnie de chemin de fer, à l’égard de l’expéditeur, relativement aux pertes et aux dommages de marchandises de celui-ci qui sont en la possession de la compagnie ainsi qu’aux retards liés à leur transport est régi :

a) par l’Office, si la compagnie présente une demande;

b) selon les modalités prévues par règlement, si la compagnie ne présente pas de demande ou si elle en présente une et que l’Office ne fixe aucune condition quant au traitement de cette question.

[93]      L’article 4 du Règlement sur la responsabilité à l’égard du transport ferroviaire des marchandises découle de l’exercice par l’Office du pouvoir que lui confère le paragraphe 137(2). Il s’applique dans un cas comme celui-ci où il n’y a pas d’accord. Toutefois, une lecture attentive de l’article 4 indique clairement qu’il ne vise que la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers un expéditeur, quant aux marchandises, pour les pertes et les dommages. L’article 4 est muet quant aux obligations d’une compagnie de chemin de fer en ce qui a trait au préjudice subi par un tiers. Cette responsabilité est reconnue aux articles 92 à 94 de la Loi et dans le Règlement sur l’assurance responsabilité civile relative aux chemins de fer, DORS/96-337. Mais ce règlement n’appuie pas la thèse de CP, parce que le paragraphe 137(2) vise la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers l’expéditeur, quant aux marchandises, pour les pertes et les dommages. Pour sa part, le Règlement sur l’assurance responsabilité civile relative aux chemins de fer porte sur la responsabilité d’une compagnie de chemin de fer envers des tiers et sur l’assurance pour couvrir ces pertes. Cela se situe à l’extérieur du champ d’application du paragraphe 137(1).

[94]      Par conséquent, je ne souscris pas à la thèse de CP, ni à celle adoptée par l’Office au paragraphe 39 de la décision no 388, cité plus haut, lorsque l’Office semble autoriser une compagnie de chemin de fer à limiter sa responsabilité à l’égard de sa négligence conjointe ou concourante autrement que de la manière prévue au paragraphe 137(1).

[95]      Dans son analyse, l’Office a précisé l’objectif du paragraphe 137(1) comme étant celui de protéger les expéditeurs d’une limitation de la responsabilité sans vraiment comprendre et connaître les conditions de cette limitation (voir la décision no 202, au paragraphe 67). Avec égards, la publication des tarifs des compagnies de chemin de fer et leur accessibilité à quiconque en demande une copie sont exigées pour que les expéditeurs puissent voir le prix et les conditions de transport que propose la compagnie de chemin de fer (paragraphes 117(1), (2) et (4) de la Loi). Cela sert d’avis public. Par ailleurs, l’objectif poursuivi par le paragraphe 137(1) n’est pas d’informer les expéditeurs, mais de leur donner des moyens lors de la négociation de toute limitation de responsabilité.

[96]      L’analyse du régime légal entreprise par l’Office l’a amené à conclure que l’article 137 visait à protéger les expéditeurs des transferts de responsabilité non autorisés. Selon l’Office, cet objet ne pouvait être atteint en limitant l’application du paragraphe 137(1) à la responsabilité découlant des pertes ou des préjudices causés aux marchandises de l’expéditeur. L’Office a donc conclu qu’une interprétation inclusive de la portée du paragraphe 137(1) permettait d’atteindre les objectifs du régime légal, y compris la promotion des négociations commerciales.

[97]      Il est possible d’accepter la conclusion de l’Office selon laquelle le régime légal cherche à promouvoir les négociations commerciales sans accepter son opinion sur la portée du paragraphe 137(1). Les compagnies de chemin de fer sont assujetties aux obligations des transporteurs publics qui leur imposent d’accepter le transport des marchandises de quiconque en paie le prix (paragraphes 113(1) et (2) de la Loi). Ainsi, les compagnies de chemin de fer n’ont pas le choix de refuser des marchandises qui présentent un risque inacceptable en matière de responsabilité. Cette obligation est nécessaire pour la simple raison qu’un système économique efficace ne peut reposer sur les caprices de la bonne volonté de ceux qui contrôlent les moyens de transport des marchandises vers les différents marchés.

[98]      Toutes les marchandises ne présentent toutefois pas les mêmes risques pour les compagnies de chemin de fer. Le transport de marchandises sèches en vrac comme le charbon ou le blé présente un niveau de risque différent de celui du transport de produits chimiques industriels en vrac qui, à son tour, présente un niveau de risque différent de celui du transport d’articles manufacturés finis. Les compagnies de chemin de fer ont un intérêt manifeste à limiter leur exposition aux risques inhérents au transport de certains types de marchandises. Un des moyens dont elles disposent pour limiter leur exposition est le recours aux clauses de limitation de responsabilité dans leurs tarifs.

[99]      En l’absence de contrôle, le pouvoir de fixer des modalités au moyen des tarifs ferait en sorte que des expéditeurs de certains types de marchandises seraient à la merci des compagnies de chemin de fer. Le paragraphe 137(1) est le moyen que le législateur a choisi pour établir un équilibre entre les intérêts des compagnies de chemin de fer et ceux des expéditeurs ainsi que pour promouvoir la négociation d’accords commerciaux entre expéditeurs et compagnies de chemin de fer.

[100]   Exiger que l’expéditeur signe (de quelque façon que ce soit) les contrats de transport qui limitent la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers l’expéditeur est, en fait, un moyen de forcer les compagnies de chemin de fer à négocier les limitations de responsabilité avec les expéditeurs ou à rédiger leurs clauses de limitation de responsabilité de manière à ce qu’il ne soit pas nécessaire de les signer pour qu’elles soient exécutoires. Si la compagnie de chemin de fer choisit de limiter sa responsabilité de façon étroite, de manière à ne pas être visée par le paragraphe 137(1), la clause de limitation de la responsabilité sera vraisemblablement plus équilibrée, ce qui est à l’avantage de l’expéditeur. Comme nous le verrons lors de l’examen du paragraphe 54, CP semble avoir choisi ce second moyen.

[101]   En résumé, je conclus que le paragraphe 137(1) restreint la capacité d’une compagnie de chemin de fer de limiter sa responsabilité envers un expéditeur, quant aux marchandises, pour les pertes et les dommages, ainsi que pour les retards. Le paragraphe 137(1) s’applique également aux limitations du droit de l’expéditeur de mettre en cause la compagnie de chemin de fer pour le préjudice à un tiers qui découle en totalité ou en partie de la négligence de la compagnie de chemin de fer.

VII.      L’INTERPRÉTATION DU PARAGRAPHE 54

[102]   Avant d’entreprendre l’interprétation du paragraphe 54, je désire traiter d’une question sous-jacente à la présente demande, sur laquelle aucune des parties ni l’Office ne semblent s’être penchés. Si le paragraphe 54 comprend des modalités qui limitaient la responsabilité de CP envers les expéditeurs, les parties et l’Office semblent avoir supposé que le paragraphe 54 serait exécutoire conformément à ses modalités contre les expéditeurs, une situation qui requiert l’intervention de l’Office. Il ressort toutefois clairement du sens ordinaire des mots du paragraphe 137(1) que le paragraphe 54 ne peut être exécutoire contre les expéditeurs, à moins qu’un contrat signé ne le contienne.

[103]   Ainsi, les expéditeurs ne sont pas assujettis à une limitation de responsabilité en raison de la simple publication du paragraphe 54 du tarif 8 ou de l’incorporation par renvoi de ses modalités dans un contrat de transport non signé conclu au moyen d’un acte, comme le fait de demander des services de transport à CP. Ainsi, la question de savoir si le paragraphe 54, en sa forme actuelle, sera ou non éliminé du tarif 8 n’aura aucune incidence sur les expéditeurs, à moins que le paragraphe n’ait été incorporé dans un contrat de transport signé.

[104]   J’aborde maintenant l’interprétation du paragraphe 54. En règle générale, l’interprétation d’un document juridique sans l’examiner dans son ensemble et donner une signification à tous ses termes constitue à la fois une erreur de droit et une interprétation déraisonnable (voir Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, au paragraphe 64; Fonds de développement économique local c. Canadian Pickles Corp., [1991] 3 R.C.S. 388, au paragraphe 36; Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808, au paragraphe 63; Tower c. M.R.N., 2003 CAF 307, [2004] 1 R.C.F. 183, aux paragraphes 15 et 16).

[105]   Comme point de départ, il est peut-être utile de présenter un aperçu du paragraphe 54 pour faciliter son interprétation. De manière générale, le paragraphe 54 comporte trois éléments : a) une limitation générale de responsabilité en faveur de CP (la limitation générale) et une obligation générale imposée à l’expéditeur d’indemniser CP et de la dégager de toute responsabilité (l’obligation générale d’indemniser); b) une limitation de responsabilité précise et une obligation d’indemniser en lien avec des contaminants et un étiquetage inapproprié; c) trois limitations précises à l’obligation générale d’indemniser en ce qui a trait aux préjudices causés i) exclusivement par la négligence de CP, ii) conjointement par la négligence de CP et d’une autre partie, iii) en lien avec les pertes ou les dommages causés aux marchandises de l’expéditeur ou leur retard.

[106]   Une des questions que soulève le libellé du paragraphe 54 est le lien entre la limitation générale et l’obligation générale d’indemniser. À ce moment-ci, il est utile de citer un extrait du paragraphe 54 lui-même :

[traduction] […] CP n’est pas responsable envers le client, et celui-ci s’engage à indemniser CP et à la dégager de toute responsabilité, à l’égard des réclamations, des instances judiciaires […] (collectivement, les « responsabilités »), attribuables au transport des marchandises, ou qui en découlent, de quelque façon que ce soit, ou à toute chose faite ou non faite en vertu du présent tarif.

[107]   Si la limitation générale exclut la responsabilité de CP envers un expéditeur, cette responsabilité ne peut être l’objet de l’obligation générale d’indemniser. Si la responsabilité de CP est exclue, aucun montant n’est payable par CP à l’égard de cette responsabilité et, si aucun montant n’est payable, il ne peut y avoir de devoir d’indemnisation des expéditeurs. On ne peut être indemnisé de ce qu’on n’a pas payé. Cela signifie qu’il existe un conflit entre l’obligation générale d’indemniser et la limitation générale de responsabilité.

[108]   On pourrait résoudre ce conflit s’il était possible de montrer que la limitation générale s’applique à certaines responsabilités et que l’obligation générale d’indemniser s’applique à d’autres. Cette analyse est exclue par le fait que les deux obligations visent le terme défini [traduction] « responsabilités », qui est suffisamment large pour inclure les responsabilités entre les parties et envers les tiers.

[109]   Le fait que l’obligation générale d’indemniser est assujettie à des exceptions accroît ce conflit. Il y a trois exceptions : les pertes causées par la seule négligence de CP, les pertes causées aux marchandises de l’expéditeur, et la part de tout préjudice subi par un tiers auquel a contribué la négligence de CP. S’il y a une exception à l’obligation générale d’indemniser, il ne peut en être ainsi que parce que l’objet de l’exception serait normalement assujetti à cette obligation générale. Ces exceptions aident donc à circonscrire la portée de la limitation générale de responsabilité.

[110]   L’exception visant les marchandises d’un expéditeur est rédigée ainsi :

[traduction] Les obligations du client liées à l’indemnisation en vertu du présent paragraphe ne comprennent pas les réclamations pour les dommages présumés aux marchandises, ou pour les retards, ou pour la perte des marchandises.

[111]   Si la limitation générale de responsabilité vise les dommages aux marchandises de l’expéditeur ou leur perte, CP ne peut être responsable de cette perte ou de ces dommages et, par conséquent, il n’y a pas pour l’expéditeur d’obligation d’indemniser CP. Je conclus que la limitation générale de responsabilité ne s’applique pas aux dommages causés aux marchandises de l’expéditeur ou à leur perte. La mention [traduction] « pour les dommages présumés aux marchandises, ou pour les retards, ou pour la perte des marchandises » signifie que l’exception s’appliquerait sans qu’il soit nécessaire qu’il y ait un jugement au sujet de la responsabilité de CP.

[112]   La même question survient à l’égard des réclamations de l’expéditeur pour les préjudices ou les pertes causés par la faute concourante de CP, de l’expéditeur et de tiers. L’exception est prévue par la clause de responsabilité conjointe :

[traduction] Sous réserve des obligations du client d’indemniser CP et de la dégager de toute responsabilité qui précèdent, si le client croit que les responsabilités sont attribuables, en tout ou en partie, à la négligence ou à la faute conjointe ou concourante de CP, la responsabilité sera établie selon le principe de la comparaison de la faute et le juge des faits déterminera la part de responsabilité de CP, du client et de toute autre partie. CP ne sera tenue responsable que de la responsabilité établie à son égard en proportion de sa part de responsabilité. Le client sera tenu responsable de toute autre responsabilité.

[113]   L’importance de la clause de responsabilité conjointe repose sur l’engagement de CP de payer sa part proportionnelle de tout préjudice subi par des tiers. Cette clause constitue une exception à l’obligation générale d’indemniser, au début du paragraphe 54. Elle doit également constituer une exception à la clause de limitation générale de responsabilité. Si un expéditeur a versé des dommages-intérêts en vertu d’un jugement qui prononçait la responsabilité partielle de CP, toute tentative de l’expéditeur de recouvrer de CP la part des dommages-intérêts pour laquelle CP a été jugée responsable serait visée par la limitation générale de responsabilité, puisque le montant réclamé serait un montant dû à l’expéditeur. Ainsi, l’engagement de CP de payer sa part proportionnelle du préjudice ne tiendrait plus. Par conséquent, la réclamation d’un expéditeur de la part proportionnelle de CP à l’égard d’un préjudice causé conjointement par l’expéditeur et CP doit être exclue de la portée de la limitation générale de responsabilité pour donner effet à la clause de responsabilité conjointe.

[114]   Par ailleurs, si la réclamation visant la part proportionnelle de CP était présentée par un tiers, elle ne serait pas visée par la limitation générale de responsabilité, parce que cette dernière s’applique uniquement aux responsabilités envers l’expéditeur. La réclamation du tiers ne serait pas non plus visée par l’obligation générale d’indemniser, parce qu’une telle réclamation serait assujettie à la clause de responsabilité conjointe.

[115]   La troisième exception à l’obligation d’indemniser est le cas où un préjudice subi par un tiers est causé par la seule négligence de CP, de ses mandataires ou de ses employés. Puisque la responsabilité en cause est envers le tiers, elle n’est pas visée par la limitation générale de responsabilité, bien qu’elle soit visée par l’obligation générale d’indemniser, parce qu’il s’agit d’une réclamation attribuable au transport des marchandises de l’expéditeur, ou qui en découle de quelque façon que ce soit, ou à toute chose faite ou non faite au titre du tarif 8, pour reprendre le libellé du paragraphe 54.

[116]   Cette réclamation serait toutefois visée par l’exception suivante à l’obligation générale d’indemniser :

[traduction] Le client n’est toutefois pas tenu d’indemniser CP si la responsabilité résulte de la seule négligence ou de l’inconduite délibérée de CP, de ses mandataires ou de ses employés.

[117]   Par conséquent, le coût de la négligence de CP elle-même, ou de ceux dont elle est responsable en droit, sera assumé par CP, et non par l’expéditeur.

[118]   En fin de compte, par suite de l’interprétation du paragraphe 54 dans son ensemble, on est amené à conclure que la limitation générale de responsabilité n’a pas l’effet que lui a attribué l’Office.

[119]   Nonobstant le libellé général employé, la limitation générale de responsabilité ne peut pas s’appliquer aux dommages causés aux marchandises de l’expéditeur ou à leur perte. Elle ne s’applique pas non plus à la réclamation qu’un expéditeur pourrait avoir envers CP pour sa part proportionnelle du préjudice causé à un tiers en raison de la négligence conjointe ou concourante de CP, de l’expéditeur et d’autres parties. Enfin, elle ne s’applique pas à un préjudice causé par la seule négligence de CP.

[120]   Cela dit, l’obligation de donner un sens à chaque terme d’un document joue dans les deux sens. Si ces responsabilités sont exclues, quel objet la clause de limitation générale de responsabilité peut-elle viser? Les responsabilités envers des tiers sont exclues parce que la limitation générale de responsabilité vise uniquement la responsabilité de CP envers l’expéditeur. Les responsabilités possibles de CP envers l’expéditeur semblent avoir été épuisées en ce qu’il existe seulement deux possibilités : la responsabilité pour les pertes de l’expéditeur même ou la responsabilité envers l’expéditeur pour des préjudices subis par des tiers.

[121]   Il est possible de choisir des éléments individuels de la liste des réclamations possibles visées par la limitation générale de responsabilité, comme les honoraires d’avocats, les coûts de surveillance de l’État ou les coûts d’intervention d’urgence, et de se demander s’ils sont visés par la limitation générale de responsabilité. Toutefois, la clause concernant la « seule négligence » et la clause de responsabilité conjointe mentionnent toutes deux le terme défini « responsabilités », qui inclut tous les éléments individuels énumérés au premier alinéa du paragraphe 54. Ainsi, ces éléments sont assujettis aux modalités de la clause de responsabilité conjointe et de celle concernant la « seule négligence » et, par conséquent, ils doivent être considérés comme étant exclus de la limitation générale de responsabilité de la même façon que toutes les autres responsabilités.

[122]   Bien que ce problème d’interprétation soit réel, il n’est pas nécessaire de le résoudre pour trancher le présent appel. La question à laquelle nous devons répondre dans le présent appel est de savoir si le paragraphe 54 limite la responsabilité de CP envers les expéditeurs, contrairement au paragraphe 137(1). L’Office a conclu à une telle limitation dans les mots « n’est pas responsable envers le client » et dans la clause de responsabilité conjointe. Cependant, pour en arriver à cette conclusion, l’Office n’a pas examiné le paragraphe 54 dans son ensemble et n’a pas examiné tous ses termes dans leur contexte. Lorsque le paragraphe 54 est interprété à la lumière de tous ses termes, il est clair que les termes sur lesquels l’Office s’est appuyé dans la décision no 202 ne limitent pas indûment la responsabilité de CP envers les expéditeurs.

[123]   Dans la décision no 388, l’Office a conclu que l’obligation d’indemniser constituait également une limitation de la responsabilité de CP envers les expéditeurs. Pour en arriver à cette conclusion, l’Office s’est appuyé sur une définition tirée du dictionnaire Black’s Law Dictionary, en concluant que l’obligation de l’expéditeur d’indemniser CP pourrait être interprétée « comme une exonération par l’expéditeur relativement à toute réclamation que l’expéditeur a déposée ou pourrait déposer contre CP en ce qui a trait aux responsabilités envers les tiers » (décision no 388, au paragraphe 55). Ainsi, l’Office a conclu que l’obligation d’indemniser CP constituait une limitation de la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers un expéditeur qui était visée par le paragraphe 137(1).

[124]   Avec égards, je ne comprends pas la logique de ce raisonnement. Une renonciation est un abandon volontaire de certains droits par la partie qui les détient. Par définition, une renonciation est l’acte volontaire d’une personne qui, connaissant ses droits, renonce à s’en prévaloir (voir Saskatchewan River Bungalows Ltd. c. La Maritime, Compagnie d’assurance-vie, [1994] 2 R.C.S. 490, au paragraphe 19). Il s’ensuit qu’un acte unilatéral de la part d’une compagnie de chemin de fer ne peut pas équivaloir à la renonciation de ses droits par un expéditeur. La renonciation à ces droits relève de l’expéditeur, non de la compagnie de chemin de fer. Par conséquent, l’obligation d’indemniser CP ne peut être interprétée comme une limitation de la responsabilité de CP envers les expéditeurs.

[125]   Pour tous ces motifs, l’interprétation de l’Office du paragraphe 54 ne peut être maintenue.

[126]   En résumé, la limitation générale de responsabilité que contiennent les premiers mots du paragraphe 54 n’exclut pas complètement la responsabilité de CP envers l’expéditeur, comme l’a conclu l’Office. Lorsque cette disposition est étudiée en regard des autres dispositions du paragraphe 54, il en émerge une vision plus nuancée de son effet. Plus particulièrement :

a)         CP demeure responsable envers l’expéditeur pour les dommages ou retards relatifs aux marchandises ainsi que pour la perte de celles-ci;

b)         CP demeure responsable pour la perte causée par sa seule négligence ou son inconduite délibérée ou celle de ses mandataires ou de ses employés;

c)         CP demeure responsable pour la perte causée conjointement par elle, l’expéditeur et d’autres parties dans la mesure établie à son égard, en proportion de sa part de responsabilité pour les dommages qui a été établie. L’expéditeur assume le risque de l’insolvabilité d’autres auteurs de délits.

[127]   Lorsque le paragraphe 137(1) est appliqué à cette interprétation du paragraphe 54, il n’existe aucun fondement pour conclure que le paragraphe 54 contient des limitations de responsabilité interdites. La conclusion selon laquelle la limitation générale de responsabilité au début du paragraphe 54 est une limitation de responsabilité interdite ne tient pas, puisque cette limitation générale de responsabilité est assujettie aux exceptions qui maintiennent la responsabilité de la compagnie de chemin de fer envers l’expéditeur pour les dommages causés aux marchandises de celui-ci ou pour leur perte, et pour les pertes causées en totalité ou en partie par la seule négligence de CP. La conclusion selon laquelle la disposition sur la responsabilité conjointe est une limitation de responsabilité interdite ne tient pas pour le même motif. Comme je l’ai mentionné plus haut, la disposition sur la responsabilité conjointe ne peut être considérée comme étant une renonciation de responsabilité de la part des expéditeurs.

[128]   Par conséquent, il n’existe pas de fondement pour une ordonnance en vertu de l’article 26 interdisant à CP d’appliquer le paragraphe 54 jusqu’à l’élimination de la limitation de responsabilité interdite. En bref, le paragraphe 54 ne contient pas de limitation de responsabilité interdite.

[129]   Les questions que la Cour a adressées aux parties après l’audition de l’affaire n’ont pas d’incidence sur cette conclusion. Qu’on estime que le tarif 8 est exécutoire contre des expéditeurs parce qu’il est un tarif, ou qu’on estime que le paragraphe 54 est uniquement exécutoire contre des expéditeurs s’il est incorporé dans un contrat de transport, comme en a décidé l’arrêt Neptune Bulk Terminals, précité, au paragraphe 107, le résultat est le même. Dans l’un ou l’autre cas, le paragraphe 54 ne limite pas de façon interdite la responsabilité d’un expéditeur envers CP.

[130]   La conclusion à laquelle j’arrive réfute également l’argument d’Agrium fondé sur l’enrichissement sans cause. Agrium soutenait que CP s’enrichissait injustement lorsque les expéditeurs, sans motif juridique, versaient des paiements pour lesquels CP était responsable. Selon mon interprétation du paragraphe 54, les expéditeurs ne seront pas tenus de verser des paiements pour lesquels CP est responsable, puisqu’ils seront en mesure de recouvrer de CP les montants à l’égard desquels elle est entièrement ou partiellement responsable. Si le paragraphe 54 exige que des expéditeurs versent des paiements précis qu’ils ne seraient pas autrement tenus de verser, le motif juridique pour ces paiements se trouve au paragraphe 54 qui, selon mon interprétation de celui-ci, n’est pas invalide ni illégal.

VIII.     L’INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE 120.1

[131]   La conclusion selon laquelle le paragraphe 137(1) n’interdit pas le paragraphe 54 laisse en suspens la question de savoir si l’article 120.1 autorise l’Office à intervenir s’il conclut que le paragraphe 54 est une condition déraisonnable. Selon mon interprétation du paragraphe 54, il serait difficile de soutenir qu’il est déraisonnable. Néanmoins, j’examinerai l’argument des expéditeurs.

[132]   Comme je l’ai souligné plus tôt dans les présents motifs, le raisonnement de l’Office concernant l’article 120.1 reposait sur la question de savoir si le paragraphe 54 visait des « frais relatifs au transport ou aux services connexes ou des conditions afférents ». L’Office a conclu par la négative, parce que le paragraphe 54 n’était pas lié « à un service précis qui doit être effectué ou à des marchandises qui doivent être fournies par CP » et qu’il n’était pas séparé du prix (décision no 388, au paragraphe 104). Les expéditeurs ont contesté la conclusion de l’Office concernant l’article 120.1 en soutenant qu’elle faisait violence aux termes clairs de l’article. Selon les expéditeurs (mémoire des faits et du droit des expéditeurs, au paragraphe 68) :

[traduction] Pour que l’article 120.1 ait la signification que lui donne l’Office, il serait nécessaire que l’article s’applique aux tarifs qui comprennent « des frais relatifs [aux services connexes] ou des conditions afférentes [au transport] ». En d’autres mots, l’Office a conclu que les « frais » visés étaient ceux des « services connexes », et il a exclu les mots entre ces deux termes, y compris la conjonction « ou » qui lie « des frais relatifs au transport ou aux services connexes ». [Non souligné dans l’original.]

[133]   Pour illustrer leur position, les expéditeurs renvoient au paragraphe 53 du tarif 8, qui exige que les expéditeurs souscrivent une assurance responsabilité [traduction] « pour toute obligation en matière de responsabilité et d’indemnisation assumée par [l’expéditeur] en vertu du présent tarif », ce que les expéditeurs qualifient de frais. Étant donné que l’assurance doit viser les obligations sur l’indemnisation et la responsabilité au paragraphe 54, les expéditeurs soutiennent qu’elle est liée au paragraphe 54 et, par conséquent, qu’elle est visée par l’article 120.1.

[134]   Avec égards, ce raisonnement n’est pas convaincant. Il est implicite dans toute l’analyse de l’Office concernant les frais qu’il s’agit de montants payables à la compagnie de chemin de fer. À des fins de réglementation, un montant payable à un tiers ne peut pas être des « frais », puisque l’Office n’exerce aucun contrôle à l’égard de tels montants. La modalité qui exige le paiement d’un tel montant ne porte pas sur des frais et, par conséquent, n’est pas assujettie à l’article 120.1.

[135]   Agrium pousse l’argument des expéditeurs un peu plus loin et indique que, si CP souscrivait elle-même l’assurance et facturait ensuite la prime à l’expéditeur, les conditions établies par l’Office pour l’application de l’article 120.1 seraient remplies. Selon Agrium, il est illogique que la compétence de l’Office dépende des différentes manières dont un achat peut être fait. L’Office devrait donc passer outre à la forme de l’opération pour en vérifier la substance.

[136]   L’argument d’Agrium suppose que la facturation de la prime d’assurance à l’expéditeur constituerait des frais. Puisque l’assurance n’est pas un service précis que doit accomplir CP ni une marchandise à fournir, il n’est pas évident que la prime constitue des frais. En échange du paiement de la prime, l’expéditeur n’obtiendrait rien de plus de CP que le transport de ses marchandises, comme l’exige l’article 113. La thèse d’Agrium n’est pas bien servie par la présentation d’une analogie fondée sur un exemple douteux.

[137]   Le même raisonnement s’applique aux divers autres frais inclus dans la définition des responsabilités au paragraphe 54, comme les frais de litige, les coûts d’intervention d’urgence et d’évacuation, les coûts des mesures correctives et les coûts de surveillance de l’État. Ces coûts ne sont pas payables pour des services supplémentaires ou connexes que doit fournir CP. Ils font partie des obligations que les expéditeurs assument en contrepartie du transport de leurs marchandises au titre du paragraphe 113(2) de la Loi sur paiement du prix. Ces responsabilités ne sont pas des frais et ne sont pas susceptibles de contrôle aux termes de l’article 120.1.

[138]   L’analyse de l’Office menant à sa conclusion concernant l’article 120.1 a été examinée en détail plus tôt dans les présents motifs. Cette analyse possédait les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et elle a donné lieu à une conclusion appartenant « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Le fait que d’autres issues sont également raisonnables ne rend pas la conclusion de l’Office déraisonnable.

[139]   Selon l’argument récurrent des parties appuyant l’appel incident, le législateur ne peut avoir eu l’intention de laisser les expéditeurs sans recours devant des conditions oppressives imposées par des compagnies de chemin de fer quasi monopolistes. Cependant, la Loi prévoit une série de recours pour réduire le risque qu’un expéditeur doive s’appuyer sur une seule compagnie de chemin de fer, comme l’interconnexion (article 127), les prix de ligne concurrentiels (article 129), la détermination par l’Office de prix communs, de même que l’arbitrage sur l’offre finale en ce qui concerne le prix pour le transport de marchandises ou les modalités de ce transport. Si les expéditeurs sont convaincus que le paragraphe 54, même s’il est interprété de façon appropriée, est une condition oppressive et déraisonnable, ils ont un recours en l’arbitrage sur l’offre finale, à l’occasion duquel ils peuvent proposer, en guise d’offre finale, le tarif 8 sans le paragraphe 54. Cette approche comporte certains coûts, mais on suppose que les montants qui peuvent être en jeu justifient la dépense.

[140]   Compte tenu de ce qui précède, je rejetterais l’appel incident.

IX.       CONCLUSION

[141]   Pour les motifs énoncés ci-dessus :

1)         j’accueillerais l’appel, avec dépens en faveur de CP;

2)         je rejetterais l’appel incident, avec dépens en faveur de CP;

3)         j’annulerais l’ordonnance de l’Office que CP n’applique pas le paragraphe 54 du tarif 8 jusqu’à ce qu’il soit modifié pour retirer expressément la limitation interdite de la responsabilité de CP envers un expéditeur des obligations que le paragraphe du tarif impose;

4)         je renverrais l’affaire à l’Office pour nouvelle décision en lui donnant instruction de rejeter la demande des expéditeurs.

La juge Gauthier, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Scott, J.C.A. : Je suis d’accord.

Annexe A

[traduction]

Chemin de fer Canadien Pacifique

Tarif 8 – Marchandises dangereuses

Indemnisation et responsabilité – Paragraphe 54

Outre les dispositions qui précèdent, CP n’est pas responsable envers le client, et celui-ci s’engage à indemniser CP et à la dégager de toute responsabilité, à l’égard des réclamations, des instances judiciaires, des plaintes, des pertes, des privilèges, des décisions, notamment arbitrales, des dépens (notamment les honoraires d’avocats et les autres frais raisonnables des litiges, notamment les litiges visant à faire exécuter la présente indemnisation, les coûts d’intervention d’urgence et d’évacuation, les coûts des mesures correctives et les coûts de surveillance de l’État), des dommages-intérêts (notamment les dommages-intérêts spéciaux et indirects), des blessures ou du décès de toute personne, ou de tout préjudice à la faune ou à l’environnement, et de toutes les responsabilités, les réclamations, les actions, les amendes et les pénalités, ainsi que les coûts et les frais qui y sont associés (collectivement, les « responsabilités »), attribuables au transport des marchandises, ou qui en découlent, de quelque façon que ce soit, ou à toute chose faite ou non faite en vertu du présent tarif. L’indemnisation assumée par le client vise notamment les responsabilités découlant :

•     de toute défaillance ou de la défectuosité du matériel fourni par le client pour le transport des marchandises, ou de la libération des marchandises de ce matériel;

•     du chargement des marchandises dans ce matériel, ou du fait d’y fixer ou d’y arrimer les marchandises;

•     de la libération, du déchargement, du transfert, de la livraison, du traitement, du vidage, de l’entreposage ou de l’élimination des marchandises;

•     de toute amende, pénalité, action ou poursuite judiciaire résultant d’une violation présumée ou établie d’une loi, d’une ordonnance, d’un code ou d’un règlement fédéral, provincial ou local, notamment au sujet de l’environnement;

•     de toute perte causée par la seule négligence ou faute du client.

Le client n’est toutefois pas tenu d’indemniser CP si la responsabilité résulte de la seule négligence ou de l’inconduite délibérée de CP, de ses mandataires ou de ses employés.

Le client assume l’entière responsabilité, et indemnise CP et la dégage de toute responsabilité, à l’égard de la présence de produits chimiques ou de contaminants dans les marchandises qui ne sont pas décrits de façon appropriée dans le document d’expédition des marchandises.

Les obligations du client liées à l’indemnisation en vertu du présent paragraphe ne comprennent pas les réclamations pour les dommages présumés aux marchandises, ou pour les retards, ou pour la perte des marchandises.

Responsabilité conjointe

Sous réserve des obligations du client d’indemniser CP et de la dégager de toute responsabilité qui précèdent, si le client croit que les responsabilités sont attribuables, en tout ou en partie, à la négligence ou à la faute conjointe ou concourante de CP, la responsabilité sera établie selon le principe de la comparaison de la faute et le juge des faits déterminera la part de responsabilité de CP, du client et de toute autre partie. CP ne sera tenue responsable que de la responsabilité établie à son égard en proportion de sa part de responsabilité. Le client sera tenu responsable de toute autre responsabilité.

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