[2016] 2 R.C.F. 282
IMM-1133-15
2015 CF 1190
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (demandeur)
c.
Bahareh Esfand (défenderesse)
Répertorié : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Esfand
Cour fédérale, juge Locke—Vancouver, 9 septembre; Montréal, 21 octobre 2015.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) par laquelle elle a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre, sur le fondement de l’art. 108 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la demande d’annulation du statut de réfugié de la défenderesse au motif que la défenderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention visée à l’art. 95(1)a) de la Loi — La défenderesse est une citoyenne de l’Iran qui était une personne à charge de son époux à qui on avait reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention — En vertu d’une politique en matière d’unité familiale, la défenderesse est devenue membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières (RC-1) — Le demandeur a demandé un constat selon lequel la défenderesse avait perdu la qualité de réfugié au sens de la Convention au motif qu’elle s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection de l’Iran — La SPR a conclu que c’est à tort que la demanderesse affirmait que la demanderesse s’est vu reconnaître la qualité de réfugié en raison de la décision dont fait l’objet son époux — La SPR a conclu que la défenderesse a accédé à la catégorie RC-1 parce qu’elle était une personne à la charge de son époux — Il s’agissait de savoir si la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas été établi que la défenderesse est une réfugiée au sens de la Convention au titre de l’art. 95 de la LIPR, de sorte que la SPR n’avait pas compétence pour examiner la demande visant à mettre fin au statut de réfugié — La décision de la SPR était raisonnable — Il n’y a pas eu, à l’égard de la défenderesse, un « constat qu’elle est […] un réfugié au sens de la Convention » comme l’exige l’art. 95(1)a) de la Loi — Le passage dans le Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP) de Citoyenneté et Immigration Canada qui indique que les membres de la famille accompagnant un demandeur principal obtiennent leur statut de réfugié du fait que le demandeur principal l’obtient ne dit pas qu’il y a eu à l’égard de la défenderesse un « constat qu’elle est […] un[e] réfugié au sens de la Convention » — Il faudrait que les dispositions législatives et réglementaires soient plus claires pour que la thèse du demandeur l’emporte — Une question a été certifiée — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) par laquelle elle a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre, sur le fondement de l’article 108 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la demande d’annulation du statut de réfugié de la défenderesse présentée par le demandeur au motif que la défenderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention visée à l’alinéa 95(1)a) de la Loi.
La défenderesse, une citoyenne de l’Iran, était une personne à charge de son époux à qui on avait reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention. En vertu d’une politique en matière d’unité familiale, la défenderesse est devenue membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières (RC-1). L’époux de la défenderesse craignait avec raison d’être persécuté du fait de ses opinions politiques. Aucune conclusion similaire n’a été tirée à l’égard de la défenderesse. La défenderesse est retournée en Iran après avoir renouvelé son passeport iranien. Cela a amené le demandeur à demander un constat selon lequel la défenderesse avait perdu la qualité de réfugié au sens de la Convention au motif qu’elle s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection de l’Iran. La SPR a conclu que c’est à tort que le demandeur affirmait que si un agent des visas accorde l’asile en qualité de réfugié au demandeur d’asile principal, tous les autres demandeurs se voient aussi reconnaître la qualité de réfugié en raison de la décision dont fait l’objet le demandeur principal. La SPR a examiné l’article 140 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, (le Règlement) et a conclu que la défenderesse a accédé à la catégorie RC-1 parce qu’elle était une personne à la charge de son époux, et non parce qu’elle s’était vu reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention.
Il s’agissait de savoir si la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas été établi que la défenderesse est une réfugiée au sens de la Convention au titre de l’article 95 de la Loi, de sorte que la SPR n’avait pas compétence pour examiner sur le fondement de l’article 108 la demande visant à mettre fin au statut de réfugié de la défenderesse.
Jugement : la demande doit être rejetée.
La décision de la SPR était raisonnable. Le présent litige portait sur une question d’interprétation législative, et plus précisément sur la question de savoir s’il y a eu, à l’égard de la défenderesse, un « constat qu’elle est […] un réfugié au sens de la Convention » comme l’exige l’alinéa 95(1)a) de la Loi. Le passage sur lequel s’est appuyé le demandeur dans le Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) intitulé OP 5, qui indique que les membres de la famille accompagnant un demandeur principal qui s’est vu reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention obtiennent leur statut de réfugié du fait que le demandeur principal l’obtient, ne fait qu’indiquer que la défenderesse a qualité de réfugié. Il ne dit pas qu’il y a eu à l’égard de la défenderesse un « constat qu’elle est […] un[e] réfugié au sens de la Convention ». Certaines dispositions du Règlement portent à croire que, bien que les membres de la famille de la personne dont la qualité de réfugié au sens de la Convention a été constatée appartiennent à la même catégorie que ce dernier, leur qualité de réfugié au sens de la Convention n’est pas réputée avoir été constatée. Il paraît insensé d’envisager la modification du statut de la défenderesse du seul fait qu’elle a séjourné dans un pays dans lequel son époux a été considéré comme étant en danger, mais dans lequel elle n’a jamais prétendu l’être. Cela n’est pas loin d’être une conséquence absurde du genre de celles interdites par l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re). Si la défenderesse perdait son statut de réfugié, elle risquerait de perdre sa qualité de résidente permanente en vertu de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi. Il faudrait que les dispositions législatives et réglementaires soient plus claires pour que la thèse du demandeur l’emporte.
La question de savoir si, lorsqu’une personne est devenue résidente permanente en vertu du fait qu’un membre de sa famille a été déclaré réfugié au sens de la Convention, cette personne est un réfugié au sens de la Convention au sens de l’alinéa 95(1)a) de la Loi qui peut faire l’objet de perte de la qualité de réfugié en vertu du paragraphe 108(2) de la Loi, a été certifiée.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 38, 46(1)c.1), 55(2), 95, 108, 115.
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 139(1), 140.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.
DÉCISIONS CITÉES :
B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, [2014] 4 R.C.F. 326; Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266.
DOCTRINE CITÉE
Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP), Chapitre OP 5 : Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières, 13 août 2009, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/op/op05-fra.pdf>.
demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés par laquelle elle a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre, sur le fondement de l’article 108 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la demande d’annulation du statut de réfugié de la défenderesse présentée par le demandeur au motif que la défenderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention visée à l’alinéa 95(1)a) de la LIPR. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Mark East pour le demandeur.
Douglas Cannon pour la défenderesse.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.
Elgin, Cannon & Associates, Vancouver, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Locke :
I. Nature de l’affaire
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) portant sur une question préliminaire de compétence, datée du 19 février 2015. Un tribunal de la SPR a conclu qu’il n’avait pas compétence pour entendre, sur le fondement de l’article 108 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), la demande d’annulation du statut de réfugié de la défenderesse présentée par le ministre au motif que le tribunal a conclu que la défenderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention visée à l’alinéa 95(1)a) de la LIPR.
[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande sera rejetée et la décision de la SPR sera maintenue.
II. Les faits
[3] La défenderesse est une citoyenne de l’Iran qui est devenue une résidente permanente du Canada à son arrivée au pays le 13 juin 2006. Un agent des visas à l’étranger avait reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention à l’époux de la défenderesse, et celle-ci était une personne à charge de son époux. En vertu d’une politique en matière d’unité familiale, la défenderesse, son époux et leur fils sont devenus des membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières (RC-1).
[4] Il ressort clairement des notes de l’agent des visas à l’étranger que celui-ci a examiné la question de savoir si l’époux de la défenderesse était un réfugié au sens de la Convention. L’agent a conclu que l’époux de la défenderesse craignait avec raison d’être persécuté du fait de ses opinions politiques. Aucune conclusion similaire n’a été tirée à l’égard de la défenderesse. Il semble qu’après avoir conclu que l’époux de la défenderesse était un réfugié au sens de la Convention l’agent des visas a estimé qu’il n’était pas nécessaire qu’il évalue les risques auxquels les autres membres de la famille étaient exposés en Iran. En vertu de la politique en matière d’unité familiale, qui est appliquée régulièrement selon ce que je comprends, les autres membres de la famille ont été admis sans évaluation.
[5] Depuis, la défenderesse est retournée en Iran à deux occasions (la deuxième fois, après avoir renouvelé son passeport iranien). Cela a amené le ministre à demander, en vertu de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, un constat selon lequel la défenderesse avait perdu la qualité de réfugié au sens de la Convention au motif qu’elle s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection de l’Iran. Toutefois, l’article 108 de la LIPR s’applique seulement aux personnes ayant qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger : paragraphe 95(1) de la LIPR. Le litige actuel découle du fait que la défenderesse affirme qu’elle n’a pas qualité de réfugié.
III. La décision contestée
[6] La question préliminaire relative à la compétence sur laquelle la SPR s’est prononcée était celle de savoir si la défenderesse est une personne ayant qualité de réfugié au sens de la Convention visée à l’article 95 de la LIPR. Le tribunal a conclu qu’un seul demandeur avait demandé à l’étranger la protection à titre de réfugié, soit l’époux de la défenderesse. L’époux de la défenderesse avait allégué qu’il craignait avec raison d’être persécuté en Iran. La défenderesse avait été incluse dans la demande de son époux non pas en qualité de demandeur d’asile, mais plutôt à titre de personne à charge de son époux. Les seules questions posées à la défenderesse par l’agent des visas ont eu trait aux risques auxquels son époux était exposé.
[7] Le tribunal de la SPR a conclu que c’est à tort que la représentante du ministre affirmait que si un agent des visas accorde l’asile en qualité de réfugié au demandeur d’asile principal, tous les autres demandeurs se voient aussi reconnaître la qualité de réfugié en raison de la décision dont fait l’objet le demandeur principal. Tous les demandeurs qui comparaissent devant la Section de la protection des réfugiés doivent être évalués individuellement en vue de déterminer s’ils ont qualité de réfugié au sens de la Convention. En raisonnant par analogie, le tribunal a donc conclu que la défenderesse n’avait pas acquis la qualité de réfugié au sens de la Convention du simple fait que la demande d’asile de son époux a été accueillie par l’agent des visas à l’étranger.
[8] Le tribunal a examiné l’article 140 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), qui est ainsi rédigé :
Catégorie des membres de la famille
140 Les membres de la famille du demandeur considéré comme appartenant à une catégorie établie par la présente section font partie de cette catégorie.
[9] Le tribunal a conclu que cette disposition s’appliquait à l’époux de la défenderesse, mais non à la défenderesse. La défenderesse a accédé à la catégorie RC-1 parce qu’elle était une personne à la charge de son époux, et non parce qu’elle s’était vu reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention.
[10] Le tribunal a également examiné la section 10.2 du Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) intitulé OP 5 : Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières (manuel OP 5). La section 10.2 de ce texte fait mention de quatre facteurs dont il faut tenir compte au moment d’évaluer la recevabilité d’une demande. Le tribunal a relevé qu’il y est indiqué qu’il suffit que le demandeur principal satisfasse aux critères de recevabilité pour que les membres de la famille qui l’accompagnent « obtiennent leur statut de réfugié ». Le tribunal a conclu que, bien que cette mention donne à penser que la défenderesse en l’espèce a qualité de réfugié au sens de la Convention tout comme son époux, il ressort de la simple lecture du texte que les personnes à charge ne sont pas évaluées; la section 10.2 ne donne aucunement à penser que les personnes à charge sont des réfugiés au sens de la Convention selon l’alinéa 95(1)a) de la LIPR.
[11] Après avoir conclu que la défenderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention au titre de l’alinéa 95(1)a) de la LIPR, le tribunal a conclu qu’il n’avait pas compétence pour entendre la demande du ministre visant à mettre fin au statut de réfugié de la défenderesse.
IV. Question en litige
[12] La seule question en litige dans le cadre de la présente demande est celle de savoir si la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas été établi que la défenderesse est une réfugiée au sens de la Convention au titre de l’article 95 de la LIPR, de sorte que la SPR n’avait pas compétence pour examiner sur le fondement de l’article 108 la demande du ministre visant à mettre fin au statut de réfugié de la demanderesse.
V. La norme de contrôle
[13] Les parties conviennent que la décision de la SPR devrait être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, étant donné que l’interprétation de l’article 95 de la LIPR par le tribunal est une question de droit qui concerne l’interprétation de la loi constitutive du tribunal et qui n’est pas « “à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre”» : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), aux paragraphes 54 et 60.
[14] Le demandeur fait remarquer que le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, au paragraphe 47. Le demandeur souligne également que la gamme des issues possibles acceptables peut être limitée étant donné que le tribunal était appelé à se livrer à un exercice d’interprétation législative (B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 87, [2014] 4 R.C.F. 326, au paragraphe 72; Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266, aux paragraphes 45 et 48).
VI. Analyse
[15] Le présent litige porte essentiellement sur une question d’interprétation législative, et plus précisément sur la question de savoir s’il y a eu, à l’égard de la défenderesse, un « constat qu’elle est […] un réfugié au sens de la Convention » comme l’exige l’alinéa 95(1)a) de la LIPR. C’est seulement à cette condition que la SPR a le pouvoir en vertu du paragraphe 108(1) de la LIPR de déclarer que la défenderesse a perdu son statut de réfugié.
[16] La Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit au sujet de l’interprétation des lois dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 (Rizzo), au paragraphe 21 :
Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre […] Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :
[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
[17] Bien que la défenderesse n’ait pas été évaluée en ce qui a trait aux risques auxquels elle serait exposée en Iran, le demandeur soutient que la défenderesse est réputée s’être vue reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention par suite d’une telle évaluation du fait qu’il a été reconnu qu’elle fait partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. Le demandeur insiste sur le passage susmentionné de la section 10.2 du manuel OP 5 qui indique que les membres de la famille accompagnant un demandeur principal qui s’est vu reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention obtiennent leur statut de réfugié du fait que le demandeur principal l’obtient.
[18] Toutefois, le manuel OP 5 n’a pas force de loi. Chose plus importante encore, l’énoncé sur lequel s’appuie le demandeur ne fait qu’indiquer que la défenderesse a qualité de réfugié. Il ne dit pas qu’il y a eu « constat qu’elle est […] un[e] réfugié au sens de la Convention » comme l’exige l’alinéa 95(1)a) de la LIPR.
[19] Le demandeur invoque également l’affidavit de Jean-Marc Gionet, directeur de la Division de la réinstallation de la Direction générale des affaires des réfugiés de CIC, comme preuve que la qualité de réfugié au sens de la Convention de la défenderesse est réputée avoir été constatée. Toutefois, M. Gionet ne fait qu’exprimer son opinion. Les seules sources qu’il cite au soutien de cette opinion sont l’article 140 du RIPR (précité), le manuel OP 5, et les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) concernant la demande d’asile de l’époux de la défenderesse. On ne peut accorder de valeur persuasive à ces sources. Bien que M. Gionet, en raison de son poste, soit bien au fait du programme outre-mer de réinstallation des réfugiés et de réinstallation pour raisons humanitaires, je ne suis pas enclin à accorder beaucoup de poids à son opinion. Son avis selon lequel la qualité de réfugié est réputée avoir été constatée est essentiellement une opinion sur une question de droit exprimée par un représentant d’une des parties à la présente demande.
[20] Par ailleurs, certaines dispositions du RIPR portent à croire que, bien que les membres de la famille de la personne dont la qualité de réfugié au sens de la Convention a été constatée appartiennent à la même catégorie que ce dernier, leur qualité de réfugié au sens de la Convention n’est pas pour autant réputée avoir été constatée. Par exemple, le préambule du paragraphe 139(1) du RIPR énonce qu’« [u]n visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis : […] ». Ce préambule est suivi d’une série d’exigences qui concernent presque exclusivement l’étranger plutôt que les membres de sa famille qui l’accompagnent. Tous reçoivent un visa, mais aucun constat n’est fait quant aux risques auxquels seraient exposés les membres de la famille. De même, l’article 140 du RIPR (précité) énonce que les membres de la famille d’une personne qui est considérée comme étant un réfugié font partie de la même catégorie que cette personne, mais il ne dit pas qu’ils sont réputés avoir fait l’objet d’un constat qu’elles sont des réfugiés.
[21] Le demandeur affirme que si les risques auxquels serait exposée la défenderesse n’ont pas été évalués séparément des risques auxquels serait exposé son époux, c’était seulement par souci d’efficacité, étant donné qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une évaluation distincte concernant la défenderesse dès lors qu’il avait été constaté que son époux était un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur semble soutenir qu’il serait inéquitable de le priver de la possibilité de mettre fin au statut de réfugié de la défenderesse simplement parce qu’il a agi efficacement dans le passé. Cet argument donne presque l’impression que le ministre se préoccupe plus d’avoir la possibilité de retirer le statut de réfugié que de l’accorder. À mon avis, cela n’est pas l’objectif principal de la LIPR.
[22] Selon moi, l’argument le plus fort du demandeur concerne la définition de « personne protégée » et les conséquences de la décision de la SPR. Le paragraphe 95(2) de la LIPR définit la personne protégée comme « la personne à qui l’asile est conféré et dont la demande n’est pas ensuite réputée rejetée au titre des paragraphes 108(3), 109(3) et 114(4) ». Le demandeur note que si la défenderesse n’a pas qualité de réfugié pour l’application du paragraphe 95(1) de la LIPR, elle ne peut pas être une « personne protégée » au sens du paragraphe 95(2). Si la défenderesse n’est pas une « personne protégée », plusieurs mesures pourraient s’ensuivre, auxquelles échappent les personnes protégées, notamment :
1. elle pourrait être déclarée interdite de territoire pour motifs sanitaires en vertu de l’article 38 de la LIPR;
2. elle pourrait être arrêtée et détenue sans mandat en vertu du paragraphe 55(2) de la LIPR;
3. elle n’aurait pas droit à la protection contre le refoulement en vertu de l’article 115 de la LIPR.
[23] Le demandeur soutient également que, si la défenderesse n’est pas une personne protégée, elle n’a pas droit aux services de santé auxquels a accès une personne protégée et n’a pas accès à un titre de voyage pour réfugié.
[24] Le titre de voyage pour réfugié et la protection contre le refoulement ne semblent pas être pertinents en ce qui concerne la défenderesse qui a réussi à renouveler son passeport iranien et à entrer en Iran et en sortir plus d’une fois.
[25] Bien que certains des autres avantages liés à la qualité de personne protégée puissent être pertinents, il paraît insensé d’envisager la modification du statut de la défenderesse au Canada du seul fait qu’elle a séjourné dans un pays dans lequel son époux a été considéré comme étant en danger, mais dans lequel elle n’a jamais prétendu l’être. À mon avis, cela n’est pas loin d’être une conséquence absurde du genre de celles interdites par l’arrêt Rizzo, au paragraphe 27. En outre, il ne s’agit pas d’un débat théorique. Par exemple, si la défenderesse perdait son statut de réfugié, elle risquerait de perdre sa qualité de résidente permanente en vertu de l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR, avec toutes les répercussions que cela pourrait avoir sur elle et sa famille. À mon avis, il faudrait que les dispositions législatives et réglementaires soient plus claires pour que la thèse du demandeur l’emporte.
[26] Le demandeur soutient que la présente instance ne concerne pas la question de savoir si la défenderesse devrait perdre son statut de réfugié, mais plutôt la question de savoir si la SPR a même seulement compétence pour examiner la question — pour étudier les faits et trancher l’affaire sur le fond. Le demandeur soutient qu’il résulte de la décision de la SPR qu’il n’y a aucune situation dans laquelle la défenderesse pourrait perdre son statut de réfugié en application de l’article 108 de la LIPR.
[27] À mon avis, cet argument ne l’emporte pas sur les points importants suivants :
1. il est insensé que la défenderesse subisse des conséquences négatives du fait d’avoir séjourné en Iran, où elle n’a jamais prétendu être exposée à des risques;
2. les dispositions législatives et réglementaires applicables (lues dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la LIPR ainsi que l’intention du législateur) n’étayent pas la thèse du demandeur;
3. la thèse du demandeur irait à l’encontre de la politique clairement énoncée en matière d’unité familiale.
[28] Je conclus que la décision de la SPR était raisonnable, même en retenant une gamme étroite d’issues possibles acceptables.
VII. Conclusion
[29] La présente demande sera rejetée et la décision de la SPR, maintenue.
[30] Le demandeur m’a demandé de certifier une question sérieuse de portée générale. La défenderesse répond qu’aucune question ne devrait être certifiée. Après avoir entendu les parties, j’ai accepté de certifier la question formulée ci-dessous.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La présente demande est rejetée et la décision de la SPR est maintenue.
2. La question sérieuse de portée générale suivante est certifiée :
Lorsqu’une personne est devenue résidente permanente en vertu d’une demande de visa dans le Programme outre-mer de réinstallation des réfugiés et de réinstallation pour raisons humanitaires, en vertu du fait qu’un membre de sa famille mentionné dans la demande de visa a été déclaré réfugié au sens de la Convention (même si la personne n’a pas été évaluée comme un réfugié au sens de la Convention), cette personne est-elle un réfugié au sens de la Convention au sens de l’alinéa 95(1)a) de la LIPR qui peut faire l’objet de perte de la qualité de réfugié en vertu du paragraphe 108(2) de la LIPR?
Annexe A : dispositions législatives pertinentes
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger
Asile
95 (1) L’asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :
a) sur constat qu’elle est, à la suite d’une demande de visa, un réfugié au sens de la Convention ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d’un permis de séjour délivré en vue de sa protection;
b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger;
c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).
[…]
Définition de « réfugié »
96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
[…]
Perte de l’asile
Rejet
108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :
a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;
b) il recouvre volontairement sa nationalité;
c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;
d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;
e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.
Perte de l’asile
(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).
Effet de la décision
(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.
Exception
(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.
[…]
Attributions communes
Compétence exclusive
162 (1) Chacune des sections a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — dans le cadre des affaires dont elle est saisie.