[2016] 1 R.C.F. 213
A-163-14
2015 CAF 56
Commissaire à l’information du Canada (appelante)
c.
Ministre de la Défense nationale (intimé)
et
Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario (intervenant)
Répertorié : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Défense nationale)
Cour d’appel fédérale, juge en chef Noël et juges Stratas et Scott, J.C.A.—Ottawa, 19 novembre 2014 et 3 mars 2015.
Accès à l’information — Appel interjeté à l’encontre de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire faite par l’appelante d’une décision de l’intimé déclarant une prorogation de délai de 1 110 jours en réponse à une demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information — Un avocat agissant pour ses clients a demandé l’accès à des documents de l’intimé relatifs à la vente de certains articles de matériel militaire — L’intimé a, conformément à l’art. 9(1) de la Loi, prorogé le délai de 30 jours mentionné à l’art. 7 pour traiter la demande — L’avocat a par la suite déposé une plainte auprès de l’appelante — Après avoir mené son enquête, l’appelante a conclu que l’intimé avait manqué à son obligation aux termes de l’art. 4(2.1) de la Loi, parce qu’il n’avait pas fait tous les efforts raisonnables pour donner suite à la demande de l’avocat en temps utile — L’appelante a jugé que la prorogation de délai décidée par l’intimé était invalide, car les critères relatifs à une prorogation fondée sur l’art. 9(1)a) n’étaient pas tous réunis et que le délai décidé au titre de l’art. 9(1)b) était déraisonnable — Elle a également conclu que comme aucune réponse n’avait été reçue dans les délais applicables de la part de l’intimé, le défaut de communication de celui-ci valait décision de refus de communication en vertu de l’art. 10(3) de la Loi — Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, l’appelante demandait un jugement déclarant que l’intimé était présumé avoir refusé la communication dans les délais prévus par la Loi, ainsi qu’une ordonnance enjoignant à l’intimé de répondre à la demande dans un délai de 30 jours — Comme l’intimé a communiqué les documents demandés à l’avocat, la question est devenue théorique avant la tenue de l’audience — La Cour fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire pour examiner malgré tout la demande de jugement déclaratoire malgré le caractère théorique de la question — La Cour fédérale a conclu que, lorsqu’une institution fédérale s’accorde une prorogation au titre de l’art. 9(1), elle n’est pas présumée avoir refusé la communication tant et aussi longtemps qu’elle n’est pas en défaut de communication à la date d’expiration de la prorogation décidée — Comme l’intimé a communiqué les documents demandés en respectant les délais qu’il s’était accordés au titre de l’art. 9(1), la Cour fédérale a déclaré ne pas avoir la compétence nécessaire pour rendre le jugement déclaratoire demandé — Par conséquent, la Cour n’avait pas à décider si la prorogation prise était raisonnable — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale avait compétence en vertu de l’art. 42 de la Loi pour entendre la demande de l’appelante et si, le cas échéant, la prorogation décidée par l’intimé était valide — La bonne interprétation de l’art. 10(3) de la Loi était celle présentée par l’appelante — Une institution fédérale peut exercer le pouvoir, conféré en vertu de l’art. 9 de la Loi, de proroger le délai, sous réserve de certaines conditions — Si les conditions énoncées aux art. 9(1)a) et/ou 9(1)b) ne sont pas respectées, la prorogation de délai n’est pas valable — En vertu de l’art. 10(3), une présomption de refus existe chaque fois que le délai de 30 jours initial imposé par l’art. 7 de la Loi expire sans qu’il y ait communication, dans les cas où la prorogation n’est pas légalement valide — Il s’ensuit que le droit de demander un contrôle judiciaire à l’égard de la validité d’une prorogation découle des art. 41 et/ou 42 à l’expiration du délai de 30 jours, dans la mesure où une plainte est déposée et un rapport d’enquête présenté — Par conséquent, la Cour fédérale avait compétence pour instruire la demande de contrôle judiciaire de l’appelante concernant la prorogation décidée par l’intimé et pour examiner la validité de cette prorogation — Pour qu’une institution fédérale puisse énoncer la prorogation retenue en vertu de l’art. 9(1)a), elle doit démontrer qu’un grand nombre de documents sont mis en cause, mais aussi que l’ampleur du travail requis pour donner accès aux documents dans tout délai considérablement moindre que celui établi entraverait le fonctionnement de l’institution — Le même type de lien rationnel devrait être fait relativement à l’art. 9(1)b) en ce qui concerne les consultations nécessaires — Lorsque les textes anglais et français des art. 9(1)a) et b) sont interprétés comme un tout, ces deux textes prévoient que la prorogation doit être raisonnable ou justifiée par les circonstances — En l’espèce, l’intimé a estimé le délai décidé au titre de l’art. 9(1)b) au moyen d’une formule qui repose sur une logique déficiente; son traitement de la question ne permet pas d’établir qu’un effort réel ou qu’une tentative réelle a été fait pour évaluer la durée de la prorogation — Par conséquent, la prorogation décidée par l’intimé ne satisfaisait pas aux exigences de l’art. 9(1) — Ce défaut suffisait pour établir le droit de l’appelante au jugement déclaratoire demandé — Appel accueilli.
Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire faite par l’appelante d’une décision de l’intimé de déclarer une prorogation de délai de 1 110 jours en réponse à une demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Un avocat agissant pour ses clients a demandé l’accès à des documents relatifs à la vente de certains articles de matériel militaire. L’intimé a avisé l’avocat que, conformément au paragraphe 9(1) de la Loi, il prorogeait le délai de 30 jours mentionné à l’article 7 de 1 110 jours pour traiter la demande. En réponse, l’avocat a fait part de son intention de déposer une plainte auprès de l’appelante, ce qu’il a fait. Au cours de l’enquête, l’intimé a informé l’appelante que 230 jours de prorogation de délai sur 1 110 jours étaient requis, au titre de l’alinéa 9(1)a) de la Loi, pour traiter le grand nombre de documents mis en cause et que les autres 880 jours étaient requis, au titre de l’alinéa 9(1)b), pour mener les consultations nécessaires auprès de tiers. L’intimé a également souligné que 2 400 pages devaient être examinées et faire l’objet de consultations, plus particulièrement auprès de ministères. Plus tard, l’appelante a informé l’intimé des résultats de son enquête, ayant conclu que l’intimé avait manqué à son obligation aux termes du paragraphe 4(2.1) de la Loi, parce qu’il n’avait pas fait tous les efforts raisonnables pour donner suite à la demande en temps utile. L’appelante a également conclu que la prorogation de délai décidée par l’intimé était invalide, car les critères relatifs à une prorogation fondée sur l’alinéa 9(1)a) n’étaient pas tous réunis et que le délai décidé au titre de l’alinéa 9(1)b) était déraisonnable. L’appelante a conclu que comme aucune réponse n’avait été reçue dans les délais initiaux applicables de la part de l’intimé, le défaut de communication valait décision de refus de communication en vertu du paragraphe 10(3) de la Loi. L’appelante a recommandé que l’intimé s’engage à répondre au plus tard à une date précise, mais l’intimé a informé l’appelante qu’il ne pouvait pas prendre un tel engagement, car les consultations en question étaient externes et échappaient à son contrôle.
Dans sa demande de contrôle judiciaire, l’appelante sollicitait un jugement déclarant que l’intimé était présumé avoir refusé la communication dans les délais prévus par la Loi, ainsi qu’une ordonnance enjoignant à l’intimé de répondre à la demande dans un délai de 30 jours. Environ un mois avant l’audience devant la Cour fédérale, l’intimé a communiqué les documents demandés à l’avocat. Pour cette raison, l’intimé a présenté une requête en rejet de la demande de l’appelante au motif que la question était devenue théorique.
Bien qu’elle reconnût que le litige était théorique, la Cour fédérale a décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour examiner la demande de jugement déclaratoire de l’appelante. Quant à la question de savoir si elle avait compétence en vertu de l’article 42 de la Loi pour rendre le jugement déclaratoire demandé, la Cour fédérale a conclu que, lorsqu’une institution fédérale s’accorde une prorogation au titre du paragraphe 9(1), elle n’est pas présumée avoir refusé la communication tant et aussi longtemps qu’elle n’est pas en défaut de communication à la date d’expiration de la prorogation décidée. Comme l’intimé a communiqué les documents demandés en respectant les délais qu’il s’était accordés au titre du paragraphe 9(1) de la Loi, la Cour fédérale a déclaré ne pas avoir la compétence nécessaire pour rendre le jugement déclaratoire demandé. Par conséquent, la Cour n’avait pas à décider si la prorogation de 1 100 jours était raisonnable.
Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale avait compétence en vertu de l’article 42 de la Loi pour entendre la demande de l’appelante et si, le cas échéant, la prorogation décidée par l’intimé était valide.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
Une interprétation du paragraphe 10(3) qui ferait obstacle au contrôle judiciaire d’une prorogation, comme il a été proposé en l’espèce, ne correspondait pas à l’intention du législateur. Les délais prévus par la présente loi constituent une partie du régime législatif. Ces délais, s’ils ne sont pas respectés, donnent lieu à une présomption de refus en vertu du paragraphe 10(3). Seuls deux délais sont mentionnés : le délai de 30 jours, visé à l’article 7, pour faire suite à une demande d’accès, et le délai prorogé qui découle de l’avis de prorogation donné en vertu de l’article 9. Selon l’interprétation de la Cour fédérale, la durée de ce dernier délai relève exclusivement de l’institution fédérale qui se prévaut de la prorogation et est soustraite au contrôle judiciaire, peu importe son ampleur. L’interprétation du paragraphe 9(1) aux fins de l’application du paragraphe 10(3) comme autorisant toute prorogation que l’institution souhaite s’accorder fait abstraction de l’exigence de la Loi selon laquelle la prorogation doit être « d’une période que justifient les circonstances » et des critères énoncés aux alinéas 9(1)a) et 9(1)b). De surcroît, le délai prorogé qui, selon la Cour fédérale, s’inscrit dans les délais prévus par la Loi, ne constitue nullement une limite de temps. Si une institution fédérale est libre de choisir l’échéance qui lui convient, sans égard aux conditions énoncées au paragraphe 9(1), aucune limite ne s’applique à cette échéance. La comparaison faite par la Cour fédérale entre l’article 30 et les articles 41 et 42 de la Loi ne lui était d’aucune utilité pour étayer son interprétation lui ayant permis de conclure que, si le législateur avait voulu que les délais déraisonnables soient susceptibles de contrôle judiciaire, il l’aurait mentionné expressément, comme il l’a fait au paragraphe 30(1) en ce qui a trait aux plaintes. La bonne interprétation du paragraphe 10(3) était celle présentée par l’appelante. L’article 7 de la Loi exige que les institutions fédérales répondent à une demande d’information dans un délai de 30 jours. Cette exigence est assujettie à plusieurs exceptions, l’une étant le pouvoir conféré aux institutions fédérales, en vertu de l’article 9 de la Loi, de proroger le délai. Une institution fédérale peut exercer ce pouvoir, sous réserve de certaines conditions, dont celle que la prorogation soit raisonnable eu égard aux circonstances exposées aux alinéas 9(1)a) et/ou 9(1)b). Si cette condition n’est pas respectée, la prorogation de délai n’est pas valable et le délai de 30 jours imposé en application de l’article 7 demeure donc le délai applicable. Par conséquent, en vertu du paragraphe 10(3), une présomption de refus existe chaque fois que le délai de 30 jours initial expire sans qu’il y ait communication, dans les cas où la prorogation n’est pas légalement valide. Il s’ensuit que le droit de demander un contrôle judiciaire à l’égard de la validité d’une prorogation découle des articles 41 et/ou 42 à l’expiration du délai de 30 jours, dans la mesure où une plainte est déposée et un rapport d’enquête présenté. Par conséquent, la Cour fédérale avait compétence pour instruire la demande de contrôle judiciaire de l’appelante concernant la prorogation décidée par l’intimé et pour examiner la validité de cette prorogation.
Une institution fédérale ne peut pas simplement faire valoir l’existence d’une justification législative à l’appui d’une prorogation et énoncer la prorogation retenue. Elle doit s’efforcer de démontrer le lien entre la justification mise de l’avant et la durée de la prorogation qu’elle s’accorde. En ce qui concerne l’alinéa 9(1)a), cela signifie qu’il faut non seulement démontrer qu’un grand nombre de documents sont mis en cause, mais aussi que l’ampleur du travail requis pour donner accès aux documents dans tout délai considérablement moindre que celui établi entraverait le fonctionnement de l’institution. Le même type de lien rationnel devrait être fait relativement à l’alinéa 9(1)b) en ce qui concerne les consultations nécessaires. Interprétées comme un tout, les versions anglaise et française de ces deux textes prévoient que la prorogation doit être raisonnable ou justifiée par les circonstances et qu’il faut démontrer que, sans la prorogation, la communication des documents entraverait de manière déraisonnable ou indue le « fonctionnement de l’institution » dans le cas de l’alinéa 9(1)a), et qu’il n’est pas raisonnable, ou en pratique possible, de s’attendre à ce que les consultations nécessaires soient menées à bien, dans le cas de l’alinéa 9(1)b). Les institutions fédérales qui reçoivent une demande visant un grand nombre de documents ou nécessitant de vastes consultations doivent sérieusement s’employer à évaluer le délai requis et s’assurer que le calcul estimatif est suffisamment rigoureux, logique et soutenable pour tenir la route lors d’un examen de son caractère raisonnable.
En l’espèce, l’intimé a prétendu initialement avoir évalué le délai décidé au titre de l’alinéa 9(1)b) au moyen d’une formule qui reposait manifestement sur une logique déficiente et ne démontrait pas qu’une tentative réelle avait été faite pour évaluer la durée nécessaire. Bien que l’intimé ait par la suite déclaré que d’autres variables avaient été prises en compte, il ne pouvait pas expliquer pourquoi, si ces autres variables ont été comptabilisées, elles n’ont eu aucune incidence sur le temps nécessaire d’après la formule décrite dans son explication initiale. Ce type de traitement superficiel de la question démontre que l’intimé a agi comme s’il n’avait de comptes à rendre à personne d’autre qu’à lui-même lorsqu’il a décidé de la prorogation. Son traitement de la question ne permettait pas d’établir qu’un effort réel avait été fait pour évaluer la durée de la prorogation. Par conséquent, la prorogation décidée par l’intimé ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 9(1) de la Loi, ce qui suffisait pour établir le droit de la commissaire au jugement déclaratoire demandé.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2, 4(2.1), 6, 7, 9, 10(3), 30, 32, 37(1), 41, 42.
Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F.31.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS NON SUIVIES :
Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CF 649; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2002 CFPI 136, [2002] 4 C.F. 110; X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1991] 1 C.F. 670 (1re inst.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1989] 1 C.F. 3 (1re inst.); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1990] 3 C.F. 514 (1re inst.); Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340.
DÉCISIONS CITÉES :
Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Clearwater c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 1999 CanLII 8836 (C.F. 1re inst.); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1990] 3 C.F. 22 (1re inst.); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006; Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266; Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2012 CAF 308; Apotex Inc. v. Pfizer Canada Inc., 2014 CAF 250; Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421.
DOCTRINE CITÉE
Conseil du Trésor du Canada. Politique sur l’accès à l’information, en ligne : <http://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=12453>.
APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2014 CF 205, [2015] 2 R.C.F. 786) qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire faite par l’appelante d’une décision de l’intimé de déclarer une prorogation de délai de 1 110 jours en réponse à une demande présentée en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’accès à l’information. Appel accueilli.
ONT COMPARU
Marlys Edwardh et Daniel Sheppard pour l’appelante.
Diane Therrien et Michael De Santis pour l’appelante.
Sharon Johnston pour l’intimé.
William S. Challis pour l’intervenant.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Sack Goldblatt Mitchell LLP, Toronto, et Commissariat à l’information du Canada, Gatineau (Québec), pour l’appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.
Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, Toronto, pour l’intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge en chef Noël : La Cour est saisie d’un appel interjeté par la commissaire à l’information du Canada (la commissaire) à l’encontre de la décision (2014 CF 205, [2015] 2 R.C.F. 786) par laquelle la juge Kane de la Cour fédérale (la juge de la Cour fédérale) a rejeté sa demande de contrôle judiciaire d’une décision du ministère de la Défense nationale (le MDN) de déclarer une prorogation de délai de 1 110 jours en réponse à une demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi).
[2] Le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario (l’intervenant) a obtenu l’autorisation d’intervenir dans le présent appel.
[3] La question en litige est de savoir si la Cour fédérale a compétence, en vertu de l’article 42 de la Loi, pour examiner la décision d’une institution fédérale prise en application du paragraphe 9(1) de proroger le délai mentionné à l’article 7. La juge de la Cour fédérale a répondu à cette question par la négative.
[4] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel doit être accueilli.
[5] Les dispositions législatives pertinentes quant à l’analyse sont reproduites dans l’annexe jointe aux présents motifs.
CONTEXTE
[6] Le 3 février 2011, un avocat agissant pour ses clients (le demandeur) a demandé l’accès à des documents du MDN relatifs à la vente de certains articles de matériel militaire.
[7] Le 4 mars 2011, le MDN a avisé le demandeur que, conformément au paragraphe 9(1) de la Loi, il prorogeait le délai de 30 jours mentionné à l’article 7 de 1 110 jours pour traiter la demande. En réponse, le demandeur a fait part de son intention de déposer une plainte auprès de la commissaire, ce qu’il a fait le 22 mars 2011 ou vers cette date.
[8] Le 29 mars 2011, la commissaire a donné avis de son intention de faire enquête, conformément à l’article 32 de la Loi. Au cours de l’enquête, le MDN a informé la commissaire que 230 jours de prorogation de délai sur 1 110 étaient requis, au titre de l’alinéa 9(1)a), pour traiter le grand nombre de documents mis en cause et que les autres 880 jours étaient requis, au titre de l’alinéa 9(1)b), pour mener les consultations nécessaires auprès de tiers.
[9] En mai 2012, le MDN a informé la commissaire que 2 400 pages devaient être examinées et faire l’objet de consultations. Le MDN a également fourni plusieurs raisons pour expliquer l’ampleur de la prorogation, mentionnant notamment la nécessité d’examiner les documents en raison de questions liées au secret professionnel de l’avocat et au privilège relatif au litige, le problème logiciel majeur et sans précédent dont avait été victime l’unité de l’accès à l’information et la nécessité de consulter trois ministères, à savoir Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), le ministère de la Justice (Justice) et le ministère des Affaires extérieures et du Commerce international (MAECI). Le MDN a indiqué que le MAECI pourrait également devoir consulter des gouvernements étrangers.
[10] Le 9 juillet 2012, le MDN a envoyé les documents pertinents aux trois ministères menant des consultations. Le 15 août 2012, le MDN avait déjà reçu la réponse de TPSGC et de Justice, mais le MAECI n’a répondu que le 31 août 2012 en avisant le MDN qu’il lui faudrait 120 autres jours pour terminer ses consultations.
[11] Le 18 octobre 2012, la commissaire a informé le MDN des résultats de son enquête. Elle a conclu que le MND avait manqué à son obligation aux termes du paragraphe 4(2.1) de la Loi, parce qu’il n’avait pas fait tous les efforts raisonnables pour donner suite à la demande en temps utile. La prorogation de délai décidée par le MDN a été jugée invalide, car les critères relatifs à une prorogation fondée sur l’alinéa 9(1)a) n’étaient pas tous réunis et que le délai décidé au titre de l’alinéa 9(1)b) était déraisonnable. Ayant conclu à l’invalidité de la prorogation, la commissaire a déclaré que la date de réponse pour répondre à la demande du demandeur demeurait le 4 mars 2011, soit 30 jours après le dépôt de la demande initiale. Comme aucune réponse n’avait été reçue à cette date, la commissaire a conclu que le défaut de communication du MDN valait décision de refus de communication en vertu du paragraphe 10(3) de la Loi.
[12] La commissaire a recommandé que le MDN s’engage à répondre au plus tard le 28 février 2013. Le 6 novembre 2012, le MDN a informé la commissaire qu’il ne pouvait pas prendre un tel engagement, car les consultations en question étaient externes et échappaient à son contrôle.
[13] Le 11 janvier 2013, la commissaire a, conformément à l’article 42 de la Loi, déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Elle demandait un jugement déclarant que le MDN était présumé avoir refusé la communication dans les délais prévus par la Loi, ainsi qu’une ordonnance enjoignant au MDN de répondre à la demande dans un délai de 30 jours.
[14] Le 11 septembre 2013, soit 27 jours avant l’audience devant la Cour fédérale, le MDN a communiqué les documents demandés au demandeur. Le MDN a par la suite présenté une requête en rejet de la demande de la commissaire au motif que la question sous-jacente était devenue théorique.
[15] La requête en rejet a été entendue le 8 octobre 2013, conjointement avec la demande de contrôle judiciaire.
DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE
[16] Dans une décision rendue le 3 mars 2014, la juge de la Cour fédérale a statué tant sur la requête en rejet que sur la demande de contrôle judiciaire. Bien qu’elle reconnaissait que le litige était théorique, l’examen des facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, l’a amené à exercer son pouvoir discrétionnaire pour examiner malgré tout la demande de jugement déclaratoire de la commissaire.
[17] Avant d’examiner le caractère raisonnable de la prorogation décidée par le MDN, la juge de la Cour fédérale s’est d’abord demandé si la Cour fédérale avait compétence en vertu de l’article 42 de la Loi pour rendre le jugement déclaratoire demandé.
[18] Selon la juge de la Cour fédérale, pour répondre à cette question, il fallait chercher à savoir si et quand une prorogation prise par une institution fédérale en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi peut être assimilable à une présomption de refus aux termes du paragraphe 10(3). Comme la compétence de la Cour fédérale se limite aux cas de refus (articles 41 et 42), la présomption de refus est le seul moyen de contester la prorogation que veut s’accorder une institution fédérale en vertu du paragraphe 9(1), lorsque celle-ci ne refuse pas à proprement parler de communiquer les documents demandés.
[19] La juge de la Cour fédérale a conclu que, lorsqu’une institution fédérale s’accorde une prorogation au titre du paragraphe 9(1), elle n’est pas présumée avoir refusé la communication tant et aussi longtemps qu’elle n’est pas en défaut de communication à la date d’expiration de la prorogation décidée (aux paragraphes 97 à 99 des motifs).
[20] La juge de la Cour fédérale a mentionné plusieurs motifs à l’appui de cette conclusion. Premièrement, elle a invoqué le libellé de la Loi. Aux termes de l’article 7 de la Loi, le responsable de l’institution fédérale dispose de 30 jours pour répondre à une demande d’accès. Le paragraphe 9(1) de la Loi permet de proroger ce délai de 30 jours « d’une période que justifient les circonstances ». Le paragraphe 10(3) de la Loi dispose que le défaut de communiquer les documents demandés dans les délais prévus par la Loi vaut décision de refus de communication. Selon la juge de la Cour fédérale, cette dernière disposition prévoit en effet que « lorsqu’il n’y a pas eu avis de refus catégorique de communication, le défaut de communication des documents demandés dans le délai de 30 jours ou avant l’expiration du délai prorogé en vertu de l’article 9, vaut décision de refus de communication » (au paragraphe 66 des motifs).
[21] La juge de la Cour fédérale a également comparé le libellé de l’article 30 de la Loi avec celui des articles 41 et 42. L’article 30, qui énonce quand le commissaire doit enquêter sur des plaintes, établit une distinction entre les plaintes suivant un refus de communication (alinéa 30(1)a)) et les plaintes relatives à une prorogation que le demandeur estime être excessive (alinéa 30(1)c)). Cependant, les articles 41 et 42, qui énoncent les motifs de contrôle judiciaire, traitent uniquement des refus. Si le législateur avait voulu accorder à la Cour fédérale la compétence nécessaire pour se prononcer sur le caractère raisonnable des prorogations, il l’aurait fait de manière expresse, comme il l’a fait à l’égard de la commissaire en mentionnant les motifs de plaintes (aux paragraphes 96, 105 et 106 des motifs). Interprétées comme un tout, les dispositions indiquent clairement que le seul recours possible en cas de prorogation jugée abusive est de demander au commissaire de faire enquête, de formuler des recommandations à l’institution fédérale et, s’il y a lieu, de signaler le comportement dans son rapport annuel ou un rapport spécial (aux paragraphes 105 et 109 des motifs).
[22] La juge de la Cour fédérale a aussi fondé sa conclusion sur différentes décisions de la Cour fédérale. Elle a notamment invoqué la décision Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CF 649 (AFPC) dans laquelle le juge Beaudry a déclaré (au paragraphe 21) :
À mon sens, il ne peut y avoir de refus, ni, par conséquent, de révision au titre de l’article 41 de la Loi avant que n’expire le délai de traitement de la demande de communication. Le libellé de la Loi limite clairement la compétence de révision de la Cour aux refus, réels ou présumés, et n’admet pas la révision des prorogations.
[23] La juge de la Cour fédérale a également cité une autre décision de la Cour fédérale, Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2002 CFPI 136, [2002] 4 C.F. 110 (Procureur général), dans laquelle le juge Kelen a déclaré ce qui suit (au paragraphe 26) :
En l’espèce, le délai de communication a été prorogé à trois ans et ce délai n’est pas encore écoulé. Il n’y a donc aucune « présomption de refus de communication » puisque l’institution fédérale n’a pas refusé de communiquer les documents dans le délai prorogé.
[24] La juge de la Cour fédérale a tenu compte de deux autres décisions de la Cour fédérale qui, selon la commissaire, allaient dans le sens contraire (au paragraphe 89 des motifs, où elle cite la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1989] 1 C.F. 3 (1re inst.) (Affaires extérieures I) et la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1990] 3 C.F. 514 (1re inst.) (Affaires extérieures II), mais a néanmoins jugé que rien ne permet d’affirmer que la jurisprudence est contradictoire (au paragraphe 101 des motifs).
[25] La juge de la Cour fédérale a également fondé sa conclusion sur des raisons de principe. Si la thèse de la commissaire était acceptée, la prorogation décidée aurait été jugée invalide et le MDN aurait été réputé avoir refusé la communication à l’expiration du délai de 30 jours mentionné à l’article 7 de la Loi. Or, de l’avis de la juge de la Cour fédérale, une telle décision n’aurait pas nécessairement eu pour effet d’accélérer la communication des documents demandés en l’espèce (au paragraphe 112 des motifs). Par ailleurs, la Cour n’est peut-être pas l’organisme le mieux placé pour se prononcer sur ce qui constitue un délai approprié (au paragraphe 112 des motifs). Enfin, le MDN serait tenu de répondre immédiatement à la demande de contrôle judiciaire et à la demande d’accès, ce qui serait susceptible de l’obliger à « redoubler ses efforts et à répartir encore plus parcimonieusement les ressources judiciaires » (au paragraphe 112 des motifs). Selon la juge de la Cour fédérale, si les institutions fédérales sont tenues de respecter le délai de 30 jours sans prorogation, elles auront tout simplement besoin de plus de ressources (aux paragraphes 126 et 127 des motifs).
[26] Comme le MDN a communiqué les documents demandés en respectant les délais qu’il s’était accordés au titre du paragraphe 9(1), la juge de la Cour fédérale a déclaré ne pas avoir la compétence nécessaire pour rendre le jugement déclaratoire demandé. Par conséquent, la Cour n’avait pas à décider si la prorogation de 1 100 jours était raisonnable (au paragraphe 122 des motifs).
THÈSE DE L’APPELANTE
[27] La commissaire fait valoir qu’une prorogation décidée en vertu de l’article 9 de la Loi représente une exception conditionnelle au délai de 30 jours mentionné à l’article 7 (aux paragraphes 42, 45 et 51 du mémoire de la commissaire). Lorsqu’une institution fédérale décide une prorogation en vertu de l’article 9, mais omet de respecter les conditions, la prorogation est nulle ab initio (au paragraphe 63 du mémoire de la commissaire). L’une des conditions mentionnées à l’article 9 est que la prorogation soit d’une « période que justifient les circonstances » (aux paragraphes 42, 45 et 51 du mémoire de la commissaire).
[28] Le paragraphe 10(3) dispose que l’institution fédérale qui ne communique pas les documents demandés « dans les délais prévus par la présente loi » vaut décision de refus de communication. Interprétés comme un tout, les articles 7 et 9 énoncent ces délais (au paragraphe 61 du mémoire de la commissaire). Il y aura donc présomption de refus au terme du délai de 30 jours lorsque l’institution fédérale n’a ni signifié à proprement parler un refus effectif ni communiqué les documents en réponse à une demande et qu’elle ne s’est pas accordé une prorogation de délai valide (aux paragraphes 49 et 63 du mémoire de la commissaire).
[29] La commissaire affirme que la juge de la Cour fédérale a commis une erreur en comparant l’article 30 aux articles 41 et 42. Plus précisément, elle a fait abstraction de plusieurs affaires qui démontrent qu’il faut interpréter de façon large ces articles de manière à englober des motifs de contrôle judiciaire qui ne sont pas énoncés expressément (aux paragraphes 67 et 68 du mémoire de la commissaire, où elle cite la décision Clearwater c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 1999 CanLII 8836 (C.F. 1re inst.), et la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1990] 3 C.F. 22 (1re inst.)).
[30] La commissaire soutient également que l’interprétation de la juge de la Cour fédérale contredit le principe, enchâssé dans l’article 2 de la Loi, selon lequel « les décisions quant à la communication [sont] susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif » (au paragraphe 69 du mémoire de la commissaire, où elle cite l’article 2 de la Loi). Si elle était confirmée, la décision de la juge de la Cour fédérale aurait pour effet de permettre aux institutions fédérales de s’immuniser contre le contrôle judiciaire (au paragraphe 72 du mémoire de la commissaire).
[31] La commissaire estime que l’examen des décisions antérieures de la Cour fédérale effectué par la juge de la Cour fédérale était erroné. À son avis, les décisions AFPC et Procureur général portaient sur un ensemble de faits entièrement différents (au paragraphe 78 du mémoire de la commissaire). Par ailleurs, la décision Procureur général a été rendue avant l’ajout du paragraphe 4(2.1) à la Loi en 2006, et le juge qui a rendu la décision AFPC n’a pas tenu compte de cette modification, qui prévoit que les institutions fédérales doivent prêter assistance aux demandeurs et leur communiquer les documents sollicités en temps utile (au paragraphe 80 du mémoire de la commissaire). Enfin, la commissaire fait valoir que la juge de la Cour fédérale a commis une erreur en omettant de tenir compte de la déclaration faite dans la décision Affaires extérieures I (le juge en chef adjoint Jerome, à la page 13) voulant que :
Lorsque la demande vise une prorogation de délai supposément non autorisée par l’article 9, cette enquête consiste à établir si la prorogation […] pourrait constituer un refus présumé. Pour ce faire, la Cour doit nécessairement pouvoir examiner la prorogation elle-même, ainsi que les raisons invoquées à son appui.
[32] La commissaire est également en désaccord avec l’affirmation de la juge de la Cour fédérale selon laquelle la Cour ne serait pas l’organisme le mieux placé pour se prononcer sur ce qui constitue un délai raisonnable. La Loi confère au commissaire le pouvoir d’enquêter sur les prorogations de délai et de constituer un dossier factuel qui peut être présenté à la Cour fédérale aux fins de décision (aux paragraphes 84 et 88 du mémoire de la commissaire). La préoccupation relative au fait que les tribunaux devraient éviter de « remettre en question » les décisions des institutions fédérales témoigne d’une crainte que les tribunaux n’exercent de la microgestion en ce qui a trait aux prorogations. On pourrait penser que cette crainte n’est pas justifiée étant donné la norme empreinte de déférence devant être appliquée (c.-à-d. caractère raisonnable) (au paragraphe 91 du mémoire de la commissaire).
[33] Dans le cas qui nous occupe, la commissaire dit que la prorogation décidée était invalide et que, par souci d’efficacité, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher la question. Comme le dossier de la preuve est par écrit, la Cour n’est pas plus mal placée que la cour de première instance pour se prononcer sur la question.
[34] De l’avis de la commissaire, la prorogation décidée était invalide pour trois motifs. Premièrement, elle soutient que les 230 jours alloués au titre de l’alinéa 9(1)a) ne respectaient pas les conditions législatives, parce que le MDN n’a pas pu démontrer, comme l’exige la disposition en question, que l’observation du délai de 30 jours entraverait de façon sérieuse son fonctionnement (aux paragraphes 96 à 98 du mémoire de la commissaire).
[35] Deuxièmement, la commissaire prétend que la période restante, c’est-à-dire les 880 jours alloués en vertu de l’alinéa 9(1)b), était déraisonnablement longue. Le MDN a d’abord expliqué avoir simplement calculé la moyenne du temps d’exécution du MAECI (110 jours), qu’il a multipliée par huit, parce que le demandeur avait demandé environ huit fois le nombre de documents habituellement envoyés au MAECI aux fins de consultation (au paragraphe 102 du mémoire de la commissaire). Un tel exercice fait fi de plusieurs facteurs, notamment de la nature et de l’accessibilité des documents (au paragraphe 103 du mémoire de la commissaire). Le MDN a par la suite modifié sa réponse en précisant qu’il avait été tenu compte de ces facteurs, mais il n’a pas pu expliquer pourquoi le nombre de jours est demeuré exactement le même, soit 880 (au paragraphe 104 du mémoire de la commissaire). Le fait que les consultations n’ont pas pris plus de 173 jours vient également démontrer le caractère déraisonnable de cette estimation (aux paragraphes 105 et 106 du mémoire de la commissaire).
[36] Troisièmement, la commissaire soutient de façon générale que le MDN a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable en s’accordant cette prorogation. Premièrement, il a omis de tenir compte de facteurs pertinents, tels que l’obligation de prêter assistance conformément à ce que prévoit le paragraphe 4(2.1) de la Loi, du statut quasi constitutionnel de la Loi et des politiques pertinentes du gouvernement (aux paragraphes 108 à 110 du mémoire de la commissaire, citant les paragraphes 3.1, 6.2.1 et 6.2.2 de la Politique sur l’accès à l’information du Conseil du Trésor du Canada). Deuxièmement, il a tenu compte de facteurs non pertinents, tels que d’éventuelles causes du retard, et s’est déchargé de toutes ses responsabilités en prétendant n’avoir aucun contrôle sur les réponses des autres institutions (aux paragraphes 111 à 113 du mémoire de la commissaire).
THÈSE DE L’INTERVENANT
[37] Dans ses observations, l’intervenant a cherché à démontrer qu’en Ontario, la question du caractère raisonnable d’une prorogation de délai pour répondre à une demande d’accès à l’information se révélait être une question pouvant être tranchée par les tribunaux (au paragraphe 35 du mémoire de l’intervenant). À l’appui, l’intervenant a examiné les facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si une institution fédérale a démontré qu’une prorogation était nécessaire pour les motifs énoncés dans la loi habilitante de l’intervenant (aux paragraphes 22 à 25 du mémoire de l’intervenant).
[38] Bien que l’intervenant n’ait adopté aucune thèse formelle quant au règlement de l’affaire, il n’était pas d’accord avec la durée de la prorogation décidée. Il a mis en doute tout particulièrement la validité de la formule initialement proposée par le MDN pour expliquer les 880 jours de la prorogation (aux paragraphes 9 et 23 du mémoire de l’intervenant). De façon plus générale, l’intervenant a indiqué que, dans le contexte ontarien, aucune prorogation excédant 10 mois n’a jamais été jugée raisonnable (au paragraphe 25 du mémoire de l’intervenant).
THÈSE DE L’INTIMÉ
[39] Le MDN soutient que la juge de la Cour fédérale a correctement interprété la Loi et qu’elle a bien tenu compte de la jurisprudence, essentiellement pour les motifs qu’elle a donnés. Les observations écrites reprennent en grande partie les mots de la juge (voir, par exemple, les paragraphes 35 et 70 du mémoire du MDN).
[40] En plus de reprendre le raisonnement de la juge de la Cour fédérale, le MDN soutient que l’interprétation de la Loi que propose la commissaire est erronée. À son avis, l’examen des procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques démontre que le gouvernement n’était pas disposé à imposer un délai précis pour les prorogations au titre du paragraphe 9(1) de la Loi (au paragraphe 47 du mémoire du MDN). Par ailleurs, si le législateur avait voulu que la Cour fédérale ait compétence pour examiner les prorogations, il aurait utilisé un libellé plus précis au lieu de simplement exiger que les prorogations soient « d’une période que justifient les circonstances » (au paragraphe 48 du mémoire du MDN). Par exemple, il aurait pu prévoir des délais clairement définis en jours (au paragraphe 48 du mémoire du MDN). Enfin, si le législateur avait voulu que les présomptions de refus visées au paragraphe 10(3) de la Loi englobent les cas où une institution fédérale s’accorde une prorogation abusive au titre de l’article 9 ou une prorogation dépassant une durée déterminée, il aurait pu le spécifier (au paragraphe 49 du mémoire du MDN).
[41] Le MDN réitère son argument, accepté par la juge de la Cour fédérale, selon lequel, bien que le paragraphe 30(1) de la Loi établisse une distinction claire entre les refus et les prorogations abusives en énonçant les motifs des plaintes pouvant être déposées devant le commissaire, les articles 41 et 42 se limitent aux refus (aux paragraphes 51 et 52 du mémoire du MDN). Si le législateur avait voulu conférer à la Cour fédérale compétence pour se prononcer sur le caractère raisonnable des prorogations, il aurait pu inclure dans l’article de la Loi sur le contrôle judiciaire une disposition semblable à celle se trouvant à l’article sur les plaintes (au paragraphe 52 du mémoire du MDN).
[42] Le MDN soutient également que, contrairement à certains régimes législatifs provinciaux équivalents, le législateur a expressément limité le rôle du commissaire à celui d’un ombudsman, refusant de lui conférer le pouvoir d’imposer la conformité à la Loi (au paragraphe 55 du mémoire du MDN). Les conclusions du commissaire ne sont donc pas des « décisions » pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire, ce qui affaiblit l’argument de la commissaire selon lequel elle peut présenter une demande de contrôle judiciaire dès lors qu’elle conclut qu’une prorogation est abusive (au paragraphe 56 du mémoire du MDN).
[43] Enfin, le MDN fait valoir que la décision de la juge de la Cour fédérale n’est pas incompatible avec le principe de l’article 2, qui prévoit que les décisions quant à la communication sont susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif. Autrement dit, ce principe n’exige pas que toutes les décisions prises en application de la Loi puissent faire l’objet d’un contrôle judiciaire (au paragraphe 58 du mémoire du MDN).
[44] Dans l’éventualité où la Cour devrait conclure qu’elle a compétence pour rendre le jugement déclaratoire demandé, le MDN soutient que sa prorogation était raisonnable.
[45] Le MDN insiste sur le fait que sa seule obligation aux termes du paragraphe 9(1) était d’aviser le demandeur de la prorogation et de lui en préciser la durée (au paragraphe 61 du mémoire du MDN).
[46] Le MDN soutient avoir tenu compte de plusieurs variables pour déterminer le temps nécessaire au titre de l’alinéa 9(1)a) de la Loi, notamment l’expérience antérieure au regard de demandes semblables, le caractère sensible de l’information et la charge de travail de l’analyste responsable du dossier (au paragraphe 63 du mémoire du MDN). De plus, l’unité responsable de l’accès à l’information du MDN a eu un problème de logiciel majeur et sans précédent, ce qui a également retardé le délai de réponse (au paragraphe 63 du mémoire du MDN).
[47] Quant aux consultations, le MDN explique qu’il a tenu compte de son expérience et de ses communications antérieures avec les autres institutions (au paragraphe 64 du mémoire du MDN). Il a été particulièrement difficile d’évaluer le temps nécessaire aux consultations du MAECI, parce qu’il est souvent difficile de prévoir de façon précise les réactions des gouvernements étrangers (aux paragraphes 65 à 67 du mémoire du MDN).
[48] Le MDN souligne qu’en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi, il dispose de seulement 30 jours pour déterminer la prorogation dont il a besoin (au paragraphe 68 du mémoire du MDN), et qu’il ne peut pas modifier cette estimation. Il est donc raisonnable d’envisager les éventuelles causes de retard (au paragraphe 68 du mémoire du MDN). De plus, le fait que les consultations aient pris ultimement moins de temps que prévu n’est pas pertinent pour déterminer si, au moment où la prorogation a été décidée, la durée de celle-ci était raisonnable (au paragraphe 69 du mémoire du MDN).
[49] En réponse aux observations de l’intervenant, le MDN a décrit les différences entre la Loi et la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F.31, en soulignant que cette dernière loi confère au commissaire provincial un rôle décisionnel, alors que la première confère au commissaire fédéral un rôle d’enquête (aux paragraphes 15 à 18 du mémoire en réponse de l’intimé). En ce qui a trait à la nécessité de fournir une justification exceptionnelle dans les cas de prorogations d’une durée supérieure à 10 mois, le MDN soutient que l’intervenant n’a ni expertise ni expérience des affaires comme celle qui nous occupe, où du matériel militaire et des consultations avec des gouvernements étrangers sont en cause (aux paragraphes 25 et 26 du mémoire en réponse de l’intimé).
ANALYSE
La norme de contrôle
[50] En l’espèce, la Cour doit statuer sur l’appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par la commissaire en vertu de l’alinéa 42(1)a).
[51] L’appel soulève deux questions. La première est de savoir si la Cour fédérale avait compétence en vertu de l’article 42 de la Loi pour entendre la demande de la commissaire. La deuxième, à laquelle il faut répondre seulement si la réponse à la première question est affirmative, est de savoir si la prorogation décidée par le MDN était valide.
[52] La première question est préliminaire à l’examen de la demande sous-jacente, à savoir si les conditions préalables au contrôle judiciaire ont été réunies. La Cour fédérale s’est donc tout d’abord prononcée sur cette question, qui n’a jamais été soulevée devant le décideur administratif en cause. Par conséquent, dans le cas d’un appel, nous recourrons à la norme de contrôle applicable en appel énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen), et non à la norme de contrôle administrative exposée dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.
[53] La question de savoir si les conditions préalables au contrôle judiciaire étaient réunies repose sur une pure question d’interprétation législative : lorsqu’une institution fédérale a recours à une prorogation, la Loi (plus précisément les articles 41 et 42, lus conjointement avec l’article 7 et les paragraphes 9(1) et 10(3)) confère-t-elle à la Cour fédérale la compétence voulue pour évaluer la validité juridique de la prorogation? La Cour fédérale a répondu à cette question par la négative. Puisqu’il s’agit d’une décision portant sur une question de droit, cette conclusion s’inscrit dans le cadre applicable en appel des questions devant être contrôlées selon la norme de la décision correcte : arrêt Housen, précité, aux paragraphes 8 et 9.
[54] Si je conclus que les conditions préalables de l’article 42 ont été réunies en l’espèce, je dois me demander si la prorogation que le MDN s’est accordée était valide. La juge de la Cour fédérale ne s’est pas prononcée sur cette question. Conformément à l’approche énoncée dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47, je dois choisir la norme de contrôle appropriée et l’appliquer.
[55] À l’instar des parties, j’accepte que la deuxième question doive être contrôlée selon la norme du caractère raisonnable. J’ajouterais que, comme la décision en cause repose essentiellement sur des considérations de faits et de politique, l’éventail des issues possibles acceptables est vaste, tout comme la latitude à accorder au MDN pour apprécier les faits : Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités) c. Farwaha, 2014 CAF 56, [2015] 2 R.C.F. 1006, aux paragraphes 91 et 92; Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266, au paragraphe 44.
Les conditions préalables du contrôle judiciaire en vertu de l’article 42 sont-elles réunies?
[56] En ce qui concerne la première question, la conclusion déterminante de la juge de la Cour fédérale figure au paragraphe 66 de ses motifs :
[...] le paragraphe 10(3) prévoit que le défaut de communication totale ou partielle de documents dans les délais prévus par la Loi vaut décision de refus de communication. En d’autres termes, lorsqu’il n’y a pas eu avis de refus catégorique de communication, le défaut de communication des documents demandés dans le délai de 30 jours ou avant l’expiration du délai prorogé en vertu de l’article 9, vaut décision de refus de communication.
En exprimant à l’inverse et de manière peut-être plus exacte les propos de la juge de la Cour fédérale, celle-ci a conclu que, dès lors que le délai prorogé est respecté, il ne peut pas y avoir présomption de refus en vertu du paragraphe 10(3), peu importe que la prorogation soit raisonnable ou non, et que les circonstances de la présente affaire ne donnent donc pas naissance à un droit à un contrôle judiciaire.
[57] Comme nous le verrons, l’interprétation proposée par la juge de la Cour fédérale va dans le sens de nombreuses décisions de la Cour fédérale (X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1991] 1 C.F. 670 (1re inst.) (X), aux paragraphes 8 et 10; Procureur général, aux paragraphes 25 à 27, où est cité le paragraphe 8 de la décision X; le paragraphe 21 d’AFPC, où est cité le paragraphe 25 de la décision Procureur général). Par contre, d’autres jugements de la même cour statuent dans le sens contraire (Affaires extérieures I, au paragraphe 19 et Affaires extérieures II, au paragraphe 9).
L’interprétation législative
[58] Je vais d’abord examiner la question de l’interprétation législative. À mon avis, une interprétation du paragraphe 10(3) qui ferait obstacle au contrôle judiciaire d’une prorogation, comme il est proposé en l’espèce, ne correspond pas à l’intention du législateur. La méthode appropriée d’interprétation des lois exige qu’on interprète les termes d’une loi « dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur » (Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340, au paragraphe 112).
[59] Les « délais prévus par la présente loi » constituent une partie du régime législatif. Ces délais, s’ils ne sont pas respectés, donnent lieu à une présomption de refus en vertu du paragraphe 10(3). Seuls deux délais sont mentionnés : le délai de 30 jours, visé à l’article 7, pour faire suite à une demande d’accès, et le délai prorogé qui découle de l’avis de prorogation donné en vertu de l’article 9. Selon l’interprétation de la juge de la Cour fédérale, la durée de ce dernier délai relève exclusivement de l’institution fédérale qui se prévaut de la prorogation et est soustraite au contrôle judiciaire, peu importe son ampleur.
[60] L’interprétation du paragraphe 9(1) aux fins de l’application du paragraphe 10(3) comme autorisant toute prorogation que l’institution souhaite s’accorder fait abstraction de l’exigence de la Loi selon laquelle la prorogation doit être « d’une période que justifient les circonstances » et des critères énoncés aux alinéas 9(1)a) et 9(1)b). De surcroît, le délai prorogé qui, selon la juge de la Cour fédérale, s’inscrit dans les « délais prévus par la Loi » (au paragraphe 66 des motifs), ne constitue nullement une limite de temps. Si une institution fédérale est libre de choisir l’échéance qui lui convient, sans égard aux conditions énoncées au paragraphe 9(1), aucune limite ne s’applique à cette échéance.
[61] La comparaison faite par la juge de la Cour fédérale entre l’article 30 et les articles 41 et 42 de la Loi ne lui est d’aucune utilité. À son avis, si le législateur avait voulu que les délais déraisonnables soient susceptibles de contrôle judiciaire, il l’aurait mentionné expressément, comme il l’a fait au paragraphe 30(1) en ce qui a trait aux plaintes. Si je comprends bien, elle laisse entendre que, si une prorogation abusive pouvait donner lieu à une présomption de refus en vertu du paragraphe 10(3), comme l’affirme la commissaire, l’alinéa 30(1)c) ne serait pas nécessaire (par souci de commodité, le paragraphe 30(1) est reproduit en partie ci-après) :
30. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Commissaire à l’information reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes : a) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la communication totale ou partielle d’un document qu’elles ont demandé en vertu de la présente loi; […] c) déposées par des personnes qui ont demandé des documents dont les délais de communication ont été prorogés en vertu de l’article 9 et qui considèrent la prorogation comme abusive; [Non souligné dans l’original.] |
Réception des plaintes et enquêtes |
[62] Ce raisonnement soulève deux problèmes. Premièrement, le paragraphe 10(3) établit clairement qu’il y a présomption de refus lorsqu’une institution fédérale n’a pas respecté les « délais prévus par la présente loi ». Il est donc inutile de procéder par inférences pour dégager le sens d’une présomption de refus aux fins de l’application des articles 41 et 42, et cela peut même poser un problème notamment lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, ces inférences mènent à un sens qui diffère de ce que prévoit expressément la Loi.
[63] Deuxièmement, le raisonnement selon lequel l’alinéa 30(1)c) perdrait tout son sens ne tient pas compte de la situation d’un demandeur qui reçoit un avis de prorogation dans la période initiale de 30 jours. Dans de telles circonstances, l’alinéa 30(1)c) accorde au demandeur le même droit immédiat de demander l’assistance du commissaire que s’il s’était heurté à un refus catégorique. Je souligne à cet égard, et dans le cadre d’un appel de manière générale, que la communication en temps utile fait partie intégrante du droit d’accès (au paragraphe 4(2.1) de la Loi).
La jurisprudence de la Cour fédérale
[64] La juge de la Cour fédérale n’explique pas sa conclusion selon laquelle « [r]ien ne permet d’affirmer que la jurisprudence est contradictoire » (au paragraphe 101 des motifs). Comme je l’ai mentionné précédemment, au moins deux décisions vont dans le sens contraire. Dans la décision Affaires extérieures I¸ le juge en chef adjoint Jerome a conclu que, lorsqu’une demande fondée sur l’article 42 de la Loi vise une prorogation de délai supposément non autorisée par l’article 9, la Cour doit nécessairement pouvoir examiner la prorogation elle-même et décider si elle est justifiée (à la page13). Dans la décision Affaires extérieures II, le juge Muldoon est arrivé à la même conclusion, en déclarant que « afin de prouver que les prorogations sont d’une “période que justifient les circonstances”, le Ministère doit fournir des motifs convaincants et sérieux, justifiant la prorogation et sa durée » (à la page 526).
[65] La juge de la Cour fédérale adopte le raisonnement du juge Beaudry dans la décision AFPC (aux paragraphes 99 à 101 des motifs, où elle cite les paragraphes 21 à 24 du jugement AFPC), qui a refusé de suivre les décisions Affaires extérieures I et II, mais la décision du juge Beaudry n’a pas plus valeur de précédent que les deux autres. Il était bien sûr loisible à la juge de la Cour fédérale d’adopter une thèse et de rejeter l’autre, dans la mesure où elle expliquait son choix dans ses motifs (Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2012 CAF 308 (Allergan), aux paragraphes 48 et 50; Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2014 CAF 250, aux paragraphes 112 à 115).
[66] Comme je l’ai déjà expliqué, la décision AFPC ne devrait pas être suivie parce que le raisonnement exposé dans cette affaire ne traite pas de l’exigence que la prorogation respecte les conditions énoncées au paragraphe 9(1) ou ne tient pas compte de cette exigence. La même observation s’applique aux décisions X et Procureur général.
Les autres motifs
[67] Je n’accepte pas les tentatives du MDN d’étayer l’interprétation de la juge de la Cour fédérale au moyen d’autres motifs. Plus précisément, on ne peut conclure que, si le législateur avait voulu que les prorogations soient susceptibles de contrôle judiciaire, il aurait fixé des délais précis définis en jours. Le concept du « caractère raisonnable » enchâssé dans le paragraphe 9(1) est une norme juridique fondamentale que les tribunaux doivent régulièrement appliquer. Rien ne permet de croire que cette norme n’est pas appropriée ou applicable pour évaluer la légalité des prorogations décidées en vertu du paragraphe 9(1).
[68] De même, les extraits invoqués par le MDN, tirés des procès-verbaux et des témoignages du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, ne sont d’aucune utilité (dossier d’appel, vol. II, onglet 41) :
Il m’est difficile de fixer une période bien précise au cours de laquelle le responsable de l’institution devra autoriser l’accès aux dossiers. Si aucun avis n’est donné, on considérera la demande comme refusée et l’on en appellera au Commissaire à l’information qui, à son tour, s’adressera aux tribunaux. Cela peut se compliquer quand il y a demande de communication de toute une série de renseignements. […] Tout cela prend énormément de temps, il est donc difficile de prendre l’engagement que la réponse doit être donnée dans un délai fixe. Voilà pourquoi nous essayons d’inclure dans cet article le type d’amendement recommandé ce matin, de façon que le Commissaire à l’information soit avisé, ce qui lui donne toujours l’occasion de poser des questions.
[69] Selon mon interprétation, rien dans ce passage n’indique que la Cour fédérale n’a pas compétence pour statuer sur les prorogations décidées en vertu de l’article 9 (au paragraphe 47 du mémoire du MDN). Lorsqu’on replace le passage dans un contexte plus global, il ressort plutôt que la seule proposition rejetée est celle ayant entraîné cette réponse, c’est-à-dire la limitation des prorogations permises en appliquant un délai ferme de 30 jours.
[70] Par ailleurs, le fait que les conclusions de l’enquête du commissaire présentées en vertu du paragraphe 37(1) ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire ne peut faire obstacle au droit du commissaire de présenter une demande de contrôle judiciaire après avoir conclu qu’une prorogation est abusive (au paragraphe 56 du mémoire du MDN). Dans ce contexte, la décision visée par le contrôle est celle prise par l’institution fédérale de proroger le délai, et non les conclusions formulées par le commissaire à l’égard de cette décision. En fait, il est difficile d’imaginer un régime dans le cadre duquel le commissaire rendrait une décision et demanderait ensuite son contrôle judiciaire.
L’interprétation correcte
[71] Selon moi, la bonne interprétation est celle présentée par la commissaire. L’article 7 de la Loi exige que les institutions fédérales répondent à une demande d’information dans un délai de 30 jours. Cette exigence est assujettie à plusieurs exceptions, l’une étant le pouvoir conféré aux institutions fédérales, en vertu de l’article 9 de la Loi, de proroger le délai.
[72] Une institution fédérale peut exercer ce pouvoir, sous réserve de certaines conditions, dont celle que la prorogation soit raisonnable eu égard aux circonstances exposées aux alinéas 9(1)a) et/ou 9(1)b). Si cette condition n’est pas respectée, la prorogation de délai n’est pas valable et le délai de 30 jours imposé en application de l’article 7 demeure donc le délai applicable.
[73] Ayant interprété le paragraphe 10(3) dans le contexte de la loi et à la lumière de son libellé, je conclus à l’existence d’une présomption de refus chaque fois que le délai de 30 jours initial expire sans qu’il y ait communication, dans les cas où la prorogation n’est pas légalement valide. Il s’ensuit que le droit de demander un contrôle judiciaire à l’égard de la validité d’une prorogation découle des articles 41 et/ou 42 à l’expiration du délai de 30 jours, bien sûr dans la mesure où une plainte est déposée et un rapport d’enquête présenté (voir, à titre de comparaison, Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421, au paragraphe 64).
[74] En l’espèce, je conclus que la Cour fédérale avait compétence pour instruire la demande de contrôle judiciaire de la commissaire concernant la prorogation décidée par le MDN et pour examiner la validité de cette prorogation. Je vais maintenant examiner cette question.
La prorogation décidée par le MDN était-elle valide?
[75] En insistant pour obtenir un jugement déclaratoire, la commissaire ne demande rien de plus que des orientations générales pour des causes futures. Bien que la prorogation que s’est accordée le MDN en l’espèce semble longue, un nombre important de documents étaient visés et de vastes consultations devaient être menées.
[76] Cela dit, il peut également être utile d’ajouter qu’une institution fédérale ne peut pas simplement faire valoir l’existence d’une justification législative à l’appui d’une prorogation et énoncer la prorogation retenue. Elle doit s’efforcer de démontrer le lien entre la justification mise de l’avant et la durée de la prorogation qu’elle s’accorde. En ce qui concerne l’alinéa 9(1)a), cela signifie qu’il faut non seulement démontrer qu’un grand nombre de documents sont mis en cause, mais aussi que l’ampleur du travail requis pour donner accès aux documents dans tout délai considérablement moindre que celui établi entraverait le fonctionnement de l’institution. Le même type de lien rationnel devrait être fait relativement à l’alinéa 9(1)b) en ce qui concerne les consultations nécessaires.
[77] Je constate que la version anglaise de l’alinéa 9(1)a) prévoit qu’une institution fédérale a droit à une prorogation lorsque l’observation d’un délai plus court « would unreasonably interfere with the operations », alors que le texte français utilise les mots « entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution ». De même, la notion du caractère raisonnable est intégrée au texte anglais de l’alinéa 9(1)b), mais la version française prévoit qu’une prorogation est justifiée lorsque les consultations nécessaires pour donner suite à la demande « rendraient pratiquement impossible l’observation du délai ». Enfin, le préambule de la version anglaise du paragraphe 9(1) mentionne « a reasonable period of time, having regard to the circumstances », alors que la version française parle « d’une période que justifient les circonstances ».
[78] Interprétés comme un tout, ces deux textes prévoient que la prorogation doit être raisonnable ou justifiée par les circonstances et qu’il faut démontrer que, sans la prorogation, la communication des documents entraverait de manière déraisonnable ou indue le « fonctionnement de l’institution » dans le cas de l’alinéa 9(1)a), et qu’il n’est pas raisonnable, ou en pratique possible, de s’attendre à ce que les consultations nécessaires soient menées à bien, dans le cas de l’alinéa 9(1)b).
[79] Il ne serait ni opportun ni utile que je dise quoi que ce soit de plus que ce qui est nécessaire pour trancher la présente affaire. Il suffit de dire que les institutions fédérales qui reçoivent une demande visant un grand nombre de documents ou nécessitant de vastes consultations doivent sérieusement s’employer à évaluer le délai requis et s’assurer que le calcul estimatif est suffisamment rigoureux, logique et soutenable pour tenir la route lors d’un examen de son caractère raisonnable.
[80] En l’espèce, le MDN a prétendu initialement avoir évalué le délai décidé au titre de l’alinéa 9(1)b) (880 jours) simplement en divisant le nombre de pages demandées par le nombre de pages en cause lors d’une consultation moyenne du MAECI, et en multipliant le quotient obtenu (8) par la durée moyenne des consultations du MAECI (110 jours). Comme cet exercice représentera toujours une projection, ce type de formule repose manifestement sur une logique déficiente et ne démontre pas qu’une tentative réelle a été faite pour évaluer la durée nécessaire. Le MDN a par la suite déclaré que d’autres variables ont été prises en compte, mais il ne pouvait pas expliquer pourquoi, si ces autres variables ont été comptabilisées, elles n’ont eu aucune incidence sur le temps nécessaire d’après la formule décrite dans son explication initiale.
[81] Ce type de traitement superficiel de la question démontre que le MDN a agi comme s’il n’avait de comptes à rendre à personne d’autre qu’à lui-même lorsqu’il a décidé de la prorogation. Son traitement de la question ne permet pas d’établir qu’un effort réel a été fait pour évaluer la durée de la prorogation. Par conséquent, la prorogation décidée par le MDN ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 9(1). Cela suffit pour établir le droit de la commissaire au jugement déclaratoire demandé.
DISPOSITIF
[82] Pour les motifs susmentionnés, j’accueillerais l’appel, et rendant le jugement que la juge de la Cour fédérale aurait dû rendre, je déclarerais que le MDN était présumé avoir refusé la communication aux termes du paragraphe 10(3) de la Loi le 5 mars 2011, à l’expiration du délai de 30 jours mentionné à l’article 7 de la Loi. Comme les parties n’ont pas sollicité de dépens, aucuns dépens ne sont adjugés.
Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Scott, J.C.A. : Je suis d’accord.
ANNEXE
[Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1]
2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif. […] 4. […] |
Objet |
(2.1) Le responsable de l’institution fédérale fait tous les efforts raisonnables, sans égard à l’identité de la personne qui fait ou s’apprête à faire une demande, pour lui prêter toute l’assistance indiquée, donner suite à sa demande de façon précise et complète et, sous réserve des règlements, lui communiquer le document en temps utile sur le support demandé. […] |
Responsable de l’institution fédérale |
6. La demande de communication d’un document se fait par écrit auprès de l’institution fédérale dont relève le document; elle doit être rédigée en des termes suffisamment précis pour permettre à un fonctionnaire expérimenté de l’institution de trouver le document sans problèmes sérieux. |
Demandes de communication |
7. Le responsable de l’institution fédérale à qui est faite une demande de communication de document est tenu, dans les trente jours suivant sa réception, sous réserve des articles 8, 9 et 11 : a) d’aviser par écrit la personne qui a fait la demande de ce qu’il sera donné ou non communication totale ou partielle du document; b) le cas échéant, de donner communication totale ou partielle du document. […] |
Notification |
9. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut proroger le délai mentionné à l’article 7 ou au paragraphe 8(1) d’une période que justifient les circonstances dans les cas où : a) l’observation du délai entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution en raison soit du grand nombre de documents demandés, soit de l’ampleur des recherches à effectuer pour donner suite à la demande; b) les consultations nécessaires pour donner suite à la demande rendraient pratiquement impossible l’observation du délai; c) avis de la demande a été donné en vertu du paragraphe 27(1). Dans l’un ou l’autre des cas prévus aux alinéas a), b) et c), le responsable de l’institution fédérale envoie à la personne qui a fait la demande, dans les trente jours suivant sa réception, un avis de prorogation de délai, en lui faisant part de son droit de déposer une plainte à ce propos auprès du Commissaire à l’information; dans les cas prévus aux alinéas a) et b), il lui fait aussi part du nouveau délai. |
Prorogation du délai |
(2) Dans les cas où la prorogation de délai visée au paragraphe (1) dépasse trente jours, le responsable de l’institution fédérale en avise en même temps le Commissaire à l’information et la personne qui a fait la demande. […] 10. […] |
Avis au Commissaire à l’information |
(3) Le défaut de communication totale ou partielle d’un document dans les délais prévus par la présente loi vaut décision de refus de communication. […] |
Présomption de refus |
30. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Commissaire à l’information reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes : a) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la communication totale ou partielle d’un document qu’elles ont demandé en vertu de la présente loi; b) déposées par des personnes qui considèrent comme excessif le montant réclamé en vertu de l’article 11; c) déposées par des personnes qui ont demandé des documents dont les délais de communication ont été prorogés en vertu de l’article 9 et qui considèrent la prorogation comme abusive; […] |
Réception des plaintes et enquêtes |
37. (1) Dans les cas où il conclut au bien-fondé d’une plainte portant sur un document, le Commissaire à l’information adresse au responsable de l’institution fédérale de qui relève le document un rapport où : a) il présente les conclusions de son enquête ainsi que les recommandations qu’il juge indiquées; b) il demande, s’il le juge à propos, au responsable de lui donner avis, dans un délai déterminé, soit des mesures prises ou envisagées pour la mise en œuvre de ses recommandations, soit des motifs invoqués pour ne pas y donner suite. […] |
Conclusions et recommandations du Commissaire à l’information |
41. La personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation. |
Révision par la Cour fédérale |
42. (1) Le Commissaire à l’information a qualité pour : a) exercer lui-même, à l’issue de son enquête et dans les délais prévus à l’article 41, le recours en révision pour refus de communication totale ou partielle d’un document, avec le consentement de la personne qui avait demandé le document; b) comparaître devant la Cour au nom de la personne qui a exercé un recours devant la Cour en vertu de l’article 41; c) comparaître, avec l’autorisation de la Cour, comme partie à une instance engagée en vertu des articles 41 ou 44. [Non souligné dans l’original.] |
Exercice du recours par le Commissaire, etc. |