[2018] 2 R.C.F. 154
T-2051-10
2017 CF 350
The Dow Chemical Company, Dow Global Technologies Inc. et Dow Chemical Canada ULC (demanderesses/défenderesses reconventionnelles)
c.
Nova Chemicals Corporation (défenderesse/demanderesse reconventionnelle)
Répertorié : Dow Chemical Company c. Nova Chemicals Corporation
Cour fédérale, juge Fothergill—Toronto, 5 au 9, 12 au 16 et 20 au 22 décembre 2016, et 11 au 13 janvier 2017; Ottawa, 7 avril (jugement confidentiel et motifs) et 19 avril 2017 (jugement public et motifs).
Brevets — Contrefaçon — Dommages-intérêts — Renvoi portant sur les hypothèses et les autres considérations qui ont fondé le calcul des dommages-intérêts et des profits dus par la défenderesse/demanderesse reconventionnelle (défenderesse) aux demanderesses/défenderesses reconventionnelles (demanderesses) — La défenderesse a contrevenu au brevet canadien no 2160705 (brevet '705) des demanderesses — Les demanderesses ont eu droit à des dommages-intérêts en vertu de l’art. 55(2) de la Loi sur les brevets — Les demanderesses fabriquent des articles produits à partir du métallocène polyéthylène à basse densité et structure linéaire (mPEBDL), appelé ELITE — Le brevet permet la fabrication de pellicules de polyéthylène plus minces offrant une résistance accrue — La défenderesse a contrevenu au brevet '705, car elle a fabriqué, distribué et vendu des polymères de qualité pellicule portant le nom de SURPASS — Les demanderesses ont choisi de comptabiliser les bénéfices de la défenderesse — Des questions ont été soulevées en ce qui concerne les catégories de polymère contestées en vertu d’une ordonnance (2016 CF 361) dans laquelle la Cour a conclu que la demanderesse avait omis de modifier sa déclaration introductive pour y inclure d’autres polymères de qualité pellicule utilisés par la défenderesse — Dans la décision 2016 CF 361, la Cour a conclu, entre autres, qu’une décision juste et rapide des questions en litige ne justifie pas d’empêcher indéfiniment les demanderesses de présenter à la Cour les pellicules contestées telles qu’elles ont été désignées, ni ne devrait-elle empêcher la défenderesse de faire valoir des défenses — La défenderesse a fait valoir notamment que les catégories contestées sont interdites par la doctrine de res judicata, l’abus de procédure et les délais de prescription — Les principales questions en litige étaient 1) la question de savoir si les catégories et les sous-qualités contestées devraient être comptabilisées dans le calcul des dommages-intérêts et du recouvrement des bénéfices; 2) la méthode de calcul des dommages exigibles par les demanderesses en vertu des art. 55(1) et (2) de la Loi — La Cour conserve un pouvoir discrétionnaire résiduel de ne pas appliquer la doctrine de res judicata si cela donnerait lieu à une injustice — Accorder aux demanderesses des recours pour les qualités contestées ne serait ni oppressif ni vexatoire — En ce qui concerne le calcul des bénéfices, le rôle de la Cour est d’évaluer les bénéfices réels dégagés par la défenderesse par suite de la contrefaçon — La demanderesse a droit seulement à une portion des bénéfices du contrefacteur qui sont directement attribuables à l’invention — Dans la présente affaire, les recettes attribuables à la contrefaçon par la défenderesse du brevet '705 comprennent celles dégagées des ventes des qualités contestées et des sous-qualités contrefaites — La prétention de la défenderesse selon laquelle le paiement de redevances et la restitution des bénéfices qualifient un cautionnement des activités du contrefacteur trouve certains appuis dans la jurisprudence — L’omission de plaider explicitement le cautionnement dans l’énoncé des questions en litige n’empêche pas la défenderesse de se défendre contre l’allégation des demanderesses fondée sur le tremplin de profits pour ce motif — L’idée de cautionnement est implicite dans toute analyse destinée à calculer une redevance raisonnable ou une restitution des profits dégagés par un défendeur — Le cautionnement ne revient pas à une approbation des gestes posés par le contrefacteur — Il correspond plutôt à une reconnaissance que le « fiduciaire coupable de détournement » doit verser une contrepartie pour sa violation de brevet — Tout recouvrement des bénéfices doit être examiné en relation à une situation hypothétique — Les dommages-intérêts au titre de l’effet de tremplin relèvent purement du type de perte devant être démontrée par preuve; il n’y a aucun motif pour que ce principe soit appliqué différemment aux gains d’un demandeur dans un contexte de recouvrement des bénéfices — Sans l’effet de la violation du brevet, la défenderesse aurait pris un certain temps à surmonter la présence bien établie des produits ELITE des demanderesses, et à faire accélérer ses ventes au niveau qu’elle a atteint grâce à la violation du brevet — Par conséquent, le scénario fondé sur le pourcentage de démarrage mensuel constitue une méthode juste et équilibrée — Les coûts engagés par la défenderesse pour produire l’éthène ont été correctement déduits — La jurisprudence ne limite pas la possibilité d’appliquer la méthode du coût de revient total dans des circonstances adaptées — La défenderesse a été autorisée à déduire certains frais fixes et en capital des recettes dégagées de la vente des produits contrefaits — Les bénéfices de la défenderesse ont été composés et calculés annuellement, puis convertis en devises canadiennes à la date du jugement.
Pratique — Res Judicata — Renvoi portant sur les hypothèses et les autres considérations qui ont fondé le calcul des dommages-intérêts et des profits dus par la défenderesse/demanderesse reconventionnelle (défenderesse) aux demanderesses/défenderesses reconventionnelles (demanderesses) — La défenderesse a contrevenu au brevet canadien no 2160705 des demanderesses (brevet '705) — Les demanderesses ont eu droit à des dommages-intérêts en vertu de l’art. 55(2) de la Loi sur les brevets — Des questions ont été soulevées en ce qui concerne les catégories de polymère contestées en vertu d’une ordonnance (2016 CF 361) dans laquelle la Cour a conclu que la demanderesse avait omis de modifier sa déclaration introductive afin d’y inclure d’autres polymères de qualité pellicule utilisés par la défenderesse — Dans la décision 2016 CF 361, la Cour a conclu, entre autres, qu’une décision juste et rapide des questions en litige ne justifie pas d’empêcher indéfiniment les demanderesses de présenter à la Cour les pellicules contestées telles qu’elles ont été désignées, ni ne devrait-elle empêcher la défenderesse de faire valoir des défenses — La défenderesse a fait valoir notamment que les catégories contestées sont interdites par la doctrine de res judicata, l’abus de procédure et les délais de prescription — Il s’agissait de savoir si les catégories et les sous-qualités contestées devraient être comptabilisées dans le calcul des dommages-intérêts et du recouvrement des bénéfices — La conclusion tirée dans la décision 2016 CF 361 n’empêchait pas de conclure dans la présente affaire que des défenses ne sont pas valables, puisque les qualités contestées étaient déjà visées par la décision de la Cour selon laquelle la défenderesse a contrevenu au brevet — Les actions posées par la défenderesse sont défavorables à l’admission d’une défense d’équité dans les circonstances — La Cour conserve un pouvoir discrétionnaire résiduel de ne pas appliquer la doctrine de res judicata si cela donnerait lieu à une injustice — Le refus d’un recours aux demanderesses au motif de res judicata aurait pour effet de sanctionner et de récompenser les tactiques obfuscatoires de la défenderesse.
Il s’agissait d’un renvoi visant à déterminer les hypothèses et les autres considérations qui ont fondé le calcul des dommages-intérêts et des profits dus par la défenderesse/demanderesse reconventionnelle (défenderesse) aux demanderesses/défenderesses reconventionnelles (demanderesses).
Dans l’affaire Dow Chemical Company c. Nova Chemicals Corporation, 2014 CF 844 (Dow c. Nova), la Cour a conclu que la défenderesse a contrevenu au brevet canadien n° 2160705 de la demanderesse (le brevet '705). Dans cette affaire, la Cour n’a entendu que la phase de l’examen de la responsabilité de l’action. Conformément à son jugement, les demanderesses ont eu droit à des dommages-intérêts en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets et le droit de choisir entre la restitution des profits de la défenderesse, ou tous les dommages-intérêts liés à la contrefaçon du brevet par la défenderesse. Les demanderesses fabriquent des produits faits de métallocène polyéthylène à basse densité et structure linéaire (mPEBDL) portant le nom ELITE. Le brevet '705 vise le polyéthylène utilisé pour fabriquer des produits « pellicules », comme des sacs à déchets en plastique et des emballages alimentaires. Le brevet permet la production de polymères qui peuvent être formés en pellicules plus minces offrant une résistance accrue. La défenderesse a contrevenu au brevet '705 en fabriquant au Canada et en distribuant, en offrant en vente, en vendant ou autrement en offrant des polymères destinés à la fabrication de pellicules sous le nom de SURPASS. Les demanderesses ont choisi de comptabiliser les bénéfices de la défenderesse.
L’instance en l’espèce portait également sur des questions concernant les catégories de polymères contestées en vertu d’une ordonnance datée du 30 mars 2016 (2016 CF 361), dans laquelle la Cour a convenu avec la défenderesse que la demanderesse n’avait pas modifié sa déclaration introductive pour y inclure d’autres polymères de qualité pellicule utilisés par la défenderesse. La Cour a conclu, entre autres, qu’une décision juste et rapide sur les questions en litige entre les parties ne justifiait pas d’empêcher indéfiniment les demanderesses de présenter à la Cour les autres catégories contestées telles qu’elles ont été désignées, ni ne devrait empêcher la défenderesse de faire valoir des défenses (c.-à-d. res judicata, abus de procédure, délais et prescription) qu’elle estimait opportunes. La défenderesse a fait valoir, entre autres, que les catégories contestées étaient interdites par la doctrine de res judicata, spécifiquement la préclusion pour cause d’action. Elle a également plaidé l’abus de procédure et les délais. L’article 55.01 de la Loi sur les brevets prévoit qu’aucun recours ne peut être accordé pour contrefaçon commise plus de six ans avant l’introduction d’une procédure. La défenderesse a soutenu que la vente des catégories contestées avait eu lieu plus de six ans avant qu’elles ne soient ajoutées à la déclaration introductive des demanderesses par voie de modification.
Les principales questions à trancher étaient 1) de savoir si les catégories et les sous-qualités contestées devaient être comptabilisées dans le calcul des dommages-intérêts et du recouvrement des bénéfices, et 2) la méthode de calcul des bénéfices et des dommages-intérêts payables aux demanderesses en vertu des paragraphes 55(1) et (2) de la Loi.
Arrêt : le calcul des dommages-intérêts et des bénéfices payables par la défenderesse aux demanderesses doit inclure les catégories contestées et toutes les sous-qualités mentionnées dans la décision 2016 CF 361, une « période d’effet de tremplin », ainsi que les divers frais engagés par la défenderesse.
La conclusion de la Cour, dans la décision 2016 CF 361, selon laquelle la défenderesse devrait avoir la possibilité de présenter des défenses de res judicata, d’abus de procédure, des délais et de la prescription, n’empêchait pas de conclure, dans la présente affaire, qu’elles n’étaient pas valables parce que les catégories contestées étaient déjà visées par la décision rendue dans l’affaire Dow c. Nova. Subsidiairement, en supposant que la défenderesse pouvait invoquer la préclusion fondée sur la cause d’action comme moyen de défense, certains aspects des actions de la défenderesse étaient défavorables à l’admission d’une défense d’équité dans les circonstances. La Cour a conservé un pouvoir discrétionnaire résiduel de ne pas appliquer la doctrine de res judicata si cela donnerait lieu à une injustice. Il existait un risque que le refus aux demanderesses du recours pour une violation avérée du brevet '705 au motif de res judicata ait pour effet de sanctionner et de récompenser les tactiques obfuscatoires de la défenderesse. Accorder aux demanderesses des recours pour les qualités contestées, dont il a été reconnu qu’elles violaient le brevet '705, ne serait ni oppressif ni vexatoire, et ne contreviendrait pas au sens de l’équité et de la décence de la société. La défenderesse ne devrait pas pouvoir invoquer la défense fondée sur la prescription pour seul motif qu’elle a vendu la qualité plaidée sous un nom légèrement différent.
Le recouvrement des bénéfices constitue un recours équitable qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. Une fois la méthode de calcul acceptée, le rôle de la Cour est d’évaluer les bénéfices réels dégagés par la défenderesse par sa violation de brevet. La demanderesse a droit seulement à une portion des bénéfices du contrefacteur qui sont directement attribuables à l’invention. Les recettes attribuables à la contrefaçon par la défenderesse du brevet '705 comprennent celles dégagées des ventes des qualités contestées et des sous-qualités contrefaites. La prétention de la défenderesse selon laquelle le paiement de redevances et la restitution des bénéfices qualifient un cautionnement des activités du contrefacteur trouve certains appuis dans la jurisprudence canadienne. L’omission de plaider explicitement le cautionnement dans l’énoncé des questions en litige n’empêche pas la défenderesse de se défendre contre l’allégation des demanderesses fondée sur le tremplin de profits pour ce motif. Les dommages-intérêts correspondant à l’effet de tremplin peuvent être octroyés même s’ils n’ont pas été explicitement évoqués à la phase de l’examen de la responsabilité, tout comme l’idée de cautionnement est implicite dans toute analyse destinée à calculer une redevance raisonnable ou une restitution des profits dégagés par un défendeur à titre de mandataire du titulaire du brevet. Dans le présent contexte, le cautionnement ne revient pas à une approbation des gestes posés par le contrefacteur. Il correspond plutôt à une reconnaissance que le « fiduciaire coupable de détournement » doit verser une contrepartie pour sa violation de brevet. Tout recouvrement des bénéfices doit être examiné en relation à une situation hypothétique, dans laquelle le défendeur n’a pas violé le brevet du demandeur. Les dommages-intérêts au titre de l’effet de tremplin relèvent purement du type de perte devant être démontrée par preuve; il n’y a aucun motif pour que ce principe soit appliqué différemment aux gains d’un demandeur dans un contexte de recouvrement des bénéfices. Sans l’effet de la violation du brevet, dans un scénario où la défenderesse aurait été incapable de pénétrer le marché des mPEBDL jusqu’à l’arrivée à échéance du brevet '705, cette dernière aurait pris un certain temps à surmonter la présence bien établie des produits ELITE, et à faire accélérer ses ventes au niveau qu’elle a atteint grâce à la violation du brevet. Par conséquent, le scénario fondé sur le pourcentage de démarrage mensuel est une méthode juste et équilibrée. La défenderesse a joui d’un avantage économique en ce qui concerne le coût de l’éthène qu’elle a utilisé pour fabriquer les produits contrefaits, dont les bénéfices doivent revenir aux demanderesses. Les coûts réellement engagés par la défenderesse pour produire l’éthène ont été correctement déduits comme coût variable des produits contrefaits.
La jurisprudence canadienne ne limite pas la possibilité d’appliquer la méthode du coût de revient total dans des circonstances adaptées. La loi qui régit le recouvrement des bénéfices a systématiquement mis en garde contre les dommages-intérêts punitifs. Vu les circonstances qui entourent le présent dossier, plus particulièrement le modèle de fabrication spécifique à l’industrie du polyéthylène, il aurait été punitif de ne pas autoriser la défenderesse à déduire une proportion de certains coûts fixes et en capital des recettes dégagées par la vente de produits contrefaits. La défenderesse a donc été autorisée à déduire un montant proportionnel de certains coûts des revenus applicables durant la période pour laquelle le recouvrement des bénéfices s’appliquait. Les intérêts peuvent faire l’objet d’un recouvrement des bénéfices. La compétence en équité de la Cour et le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets l’autorisent à octroyer des intérêts composés. Dans la présente affaire, les bénéfices de la défenderesse ont été composés et calculés annuellement. Cela correspond à la jurisprudence.
La défenderesse a dégagé des bénéfices sur la vente des catégories contrefaites surtout en monnaie américaine. Elle a vraisemblablement employé ces bénéfices pour investir en monnaie américaine, payer des dettes en monnaie américaine et verser des dividendes à sa société-mère en monnaie américaine, entre autres. Les bénéfices de la défenderesse ont donc été convertis en dollars canadiens à la date du jugement.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur la monnaie, L.R.C. (1985), ch. C-52, art. 12.
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 55(1),(2), 55.01.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 36(4)b),f).
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 399.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Dow Chemical Company c. Nova Chemicals Corporation, 2014 CF 844, conf. par 2016 CAF 216; White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; AlliedSignal Inc. c. du Pont Canada Inc., [1998] A.C.F. no 190 (QL) (1re inst.), conf. par [1999] A.C.F. no 38 (QL) (C.A.); Monsanto Canada Inc. c. Rivett, 2009 CF 317, [2010] 2 R.C.F. 93; Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.); Dart Industries Inc. v. Decor Corporation Pty Ltd., [1993] HCA 54 (AustLII), (1993), 179 C.L.R. 101; Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2014 CF 1254, [2015] 4 R.C.F. 601.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Dow Chemical Company c. Nova Chemicals Corporation, 2016 CF 361, le juge Hughes, ordonnance du 30 mars 2016; Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada Ltée, [1979] 1 C.F. 138 (1re inst.); Dow Chemical Company c. Nova Chemicals Corporation, 2016 CF 706, le juge Russell, ordonnance en date du 23 juin 2016; Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902; AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2015 CF 671; Bayer Cropscience KK v. Charles River Laboratories Preclinical Services Edinburgh Limited & Albaugh Inc., [2010] CSOH 158; Gerber Garment Technology Inc. v. Lectra Systems Ltd., [1995] R.P.C. 383, conf. par [1997] R.P.C. 443 (C.A.); Ductmate Industries Inc. c. Exanno Products Ltd., [1987] A.C.F. no 479 (QL) (1re inst.); Beloit Canada Ltd. c. Valmet-Dominion Inc., [1997] 3 C.F. 497 (C.A.); Cala Homes (South) Ltd. v. Alfred McAlpine Homes East Ltd., [1996] F.S.R. 36 (Ch. D.); Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483, [1994] A.C.F. no 1514 (QL) (C.A.); Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy, [1992] A.C.F. no 825 (QL) (C.A.); Apotex Inc. c. ADIR, 2017 CAF 23; Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2015 CAF 171, [2016] 2 R.C.F. 202; Hollister Incorporated Dansac AS v. Medik Ostomy Supplies Ltd., [2012] EWCA Civ. 1419 (BAILII).
DÉCISIONS CITÉES :
Dow Chemical v. Nova Chemicals, no 10-1526 (Fed. Cir. 2012); Dow v. Nova, no 05-737-LPS (DI 760) (U.S. Dist. Ct. Del.); Dow v. Nova, nos 2014-1431, 2014-1462 (Fed. Cir. 2015); Grandview c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621; Henderson v. Henderson (1843), 3 Hare 100, 67 E.R. 313 (Ch.); CSI Manufacturing and Distribution Inc. c. Astroflex Inc., [1993] A.C.F. no 1310 (QL) (1re inst.); Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77; Dhaliwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1425, [2001] A.C.F. no 1943 (QL); Glenko Enterprises Ltd. v. Keller, 2008 MBCA 24 (CanLII), 290 D.L.R. (4th) 712; Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422; Jay-Lor International Inc. c. Penta Farm Systems Ltd., 2007 CF 358; Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077; Teledyne Industries Inc. v. Lido Industrial Products Ltd., [1982] A.C.F. no 1024 (QL) (1re inst.); AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc., [1995] A.C.F. no 744 (QL) (C.A.); Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp., [1990] A.C.F. no 952 (QL) (1re inst.); Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458; LED Builders Pty Ltd. v. Eagle Homes Pty Ltd., [1999] FCA 584 (AustLII); Design & Display Ltd. v. Ooo Abbot & Anor, [2016] EWCA Civ. 95 (BAILII); Collette v. Lasnier (1886), 13 R.C.S. 563; Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy, [1995] A.C.F. no 733 (QL) (C.A.); Banque d’Amérique du Canada c. Société de Fiducie Mutuelle, 2002 CSC 43, [2002] 2 R.C.S. 601; Kuehne + Nagel Ltd. c. Agrimax Ltd., 2010 CF 1303; Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1984] A.C.F. no 510 (QL) (C.A.), inf. pour d’autres motifs [1987] 1 R.C.S. 1247; Schweizerische Metallwerke Selve & Co. c. Atlantic Container Line Ltd., [1985] A.C.F. no 1039 (QL) (C.A.).
DOCTRINE CITÉE
Siebrasse, Norman J. et Alexander J. Stack. « Monetary Relief – Quantum » dans Ronald E. Dimock. Intellectual Property Disputes : Resolutions & Remedies, feuilles mobiles. Toronto : Thomson Reuters, 2016.
RENVOI visant à déterminer les hypothèses et les autres considérations qui ont fondé le calcul des dommages-intérêts et des profits dus par la défenderesse/demanderesse reconventionnelle (défenderesse) aux demanderesses/défenderesses reconventionnelles (demanderesses). Le calcul des dommages-intérêts et des bénéfices payables par la défenderesse aux demanderesses doit inclure les catégories contestées et toutes les sous-qualités mentionnées dans la décision 2016 CF 361, une « période d’effet de tremplin », ainsi que les divers frais engagés par la défenderesse.
ONT COMPARU :
Steven B. Garland, Jeremy E. Want, Colin B. Ingram, Daniel S. Davies et Kevin K. Graham pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles.
Ryan T. Evans pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles.
Robert H. C. MacFarlane, Michael E. Charles, Andrew I. McIntosh, Adam Bobker, Michael Burgess, et Jerry Chen pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Smart & Biggar, Ottawa, pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles.
DLA Piper (Canada) LLP, Toronto, pour les demanderesses/défenderesses reconventionnelles.
Bereskin & Parr LLP, Toronto, pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle.
Table des matières
Sections : |
Paragraphe |
I. Aperçu |
|
II. Introduction au polyéthylène |
8 |
III. Brevet en question |
16 |
IV. Historique de l’affaire |
18 |
A. Procédure aux États-Unis |
18 |
B. Phase liée à la responsabilité |
22 |
C. Requête concernant les qualités contestées |
23 |
V. Preuve |
25 |
A. Observations générales |
25 |
B. Contestations préliminaires |
26 |
C. Faits et témoins experts |
36 |
VI. Questions en litige |
41 |
VII. Qualités contestées |
42 |
A. Res Judicata |
45 |
B. Abuse of Process Abus de procédure |
59 |
C. Délais et prescription |
62 |
VIII. Dommages-intérêts |
63 |
A. Redevance raisonnable |
63 |
B. Consentement minimal de Dow à accepter |
68 |
C. Disposition maximale de Nova à payer |
82 |
D. Autres arguments de Nova |
90 |
E. Produits assujettis à la redevance raisonnable |
98 |
F. Intérêts antérieurs au jugement |
101 |
IX. Bénéfices |
106 |
A. Principes généraux |
108 |
B. Recettes tirées de la vente |
110 |
C. Qualités contestées et sous-qualités contrefaites |
111 |
D. Bénéfices indirects |
112 |
E. Frais déductibles |
131 |
1) Coût de l’éthène |
134 |
2) Frais fixes et amortissement des immobilisations |
141 |
F. Intérêts antérieurs au jugement et « bénéfices sur les bénéfices » |
166 |
X. Conversion monétaire |
175 |
XI. Conclusion |
190 |
XII. Postscriptum |
193 |
Ce qui suit est la version française des motifs publics du jugement et du jugement rendus par
Le juge Fothergill :
I. Aperçu
[1] Dans les présents motifs, je me référerai aux demanderesses Dow Chemical Company, Dow Global Technologies Inc. et Dow Chemical Canada ULC collectivement par « Dow ». Je me référerai à la défenderesse Nova Chemicals Corporation par « Nova ».
[2] Le 5 septembre 2014, le juge O’Keefe a déclaré que le brevet canadien de Dow no 2160705 « Articles produits à partir de mélanges de polymères éthyléniques » (le brevet '705), était valide et qu’il avait été violé par Nova (Dow Chemical Company c. Nova Chemicals Corporation, 2014 CF 844 (Dow c. Nova)). Ces conclusions ont été confirmées par la Cour d’appel fédérale le 6 septembre 2016 (Nova Chemicals Corporation c. Dow Chemical Company, 2016 CAF 216 (Dow c. Nova (CAF))).
[3] Le juge O’Keefe n’a entendu que la phase de l’examen de la responsabilité de l’action. Conformément à son jugement, Dow a eu droit aux dommages-intérêts en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, et le droit de choisir entre la restitution des profits de Nova ou tous les dommages-intérêts liés à la violation par Nova du brevet '705 en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets. Le montant de l’octroi devait être évalué par un renvoi après des communications préalables si elles étaient demandées.
[4] Ce renvoi a été lancé par réquisition présentée avec l’énoncé des questions en litige de Dow le 20 octobre 2014. Nova a déposé une version révisée de sa réponse à l’énoncé des questions en litige le 22 avril 2016. Les précisions ont été échangées entre les parties. Dow a fait connaître son choix du recouvrement des bénéfices de Nova le 24 juin 2016, suivant ordonnance de la Cour en date du 10 juin 2016.
[5] La présente procédure vise aussi des questions liées aux qualités contestées en vertu d’une ordonnance du juge Hughes en date du 30 mars 2016 (2016 CF 361).
[6] Sur accord des parties, les présents motifs portent uniquement sur les hypothèses et les autres considérations qui ont fondé les calculs des dommages-intérêts et des profits. Les comptables des parties calculeront les sommes dues par Nova à Dow d’après les conclusions atteintes par la Cour à cette étape du renvoi.
[7] Les hypothèses et les autres considérations qui serviront à calculer les dommages-intérêts et profits à payer par Nova à Dow sont celles définies dans le jugement qui suit les présents motifs.
II. Introduction au polyéthylène
[8] Le polyéthylène est une forme courante de plastique. Parmi ses utilisations commerciales, on note les sacs d’épicerie, les emballages et pellicules alimentaires, les bouteilles de boissons, les sacs de plastique résistant, les conduites de plastique, les seaux et les cageots. Le polyéthylène est fabriqué par différents procédés, le plus souvent à l’aide de solutions, de phases gazeuses ou de réacteurs à suspension. Les réacteurs à solution peuvent être des systèmes à réacteur simple ou double.
[9] Certains produits polyéthyléniques sont fabriqués avec un éthène qui a été copolymérisé avec d’autres hydrocarbures, le plus souvent du butène, de l’hexène, ou de l’octène. Ils sont souvent définis comme des comonomères.
[10] Les catalyseurs jouent un rôle important dans la production de polyéthylènes, en permettant la formation de polymères dans des conditions plus douces. Les catalyseurs créent des sites réactifs qui facilitent la formation de chaînes composées de milliers de petites molécules d’éthène liées en longues et larges molécules de polyéthylène. Un « catalyseur à site unique », qui génère des sites réactifs qui sont tous identiques, produit une distribution de la masse moléculaire du polymère qui correspond approximativement à 2. Un « catalyseur multisites », qui génère des sites réactifs qui agissent différemment les uns des autres, produit une distribution de la masse moléculaire du polymère d’environ 3,5 ou plus.
[11] Les mélanges de polymères dont la distribution de la masse moléculaire est étroite présentent des propriétés avantageuses telles que la force d’impact élevée et la résistance. Cependant, ils peuvent être plus difficiles à transformer en pellicules.
[12] Le polyéthylène à haute densité (PEHD) est souvent rigide et sert à la fabrication de produits tels que les conduites de plastique, les seaux et les cageots. Les produits de commodité en PEHD appartiennent généralement à la catégorie appelée « seau et cageot ». Le PEHD qui sert à fabriquer des produits de commodité se caractérise par un coût relativement peu élevé et une faible marge bénéficiaire.
[13] Le PEHD se distingue du polyéthylène à basse densité (PEBD). Le PEBD est souvent plus souple que le PEHD, et sert à la fabrication de pellicules plastiques, telles que celles utilisées pour l’emballage du pain.
[14] Avec le temps, le PEBD a permis la formulation dérivée d’un polyéthylène à basse densité à structure linéaire (PEBDL). La structure du PEBDL, différente de celle du PEBD, lui octroie des propriétés supérieures. Les produits à base de PEBDL comprennent le DOWLEX, fabriqué par Dow, et le SCLAIR, fabriqué par Nova. Les deux produits sont fabriqués dans un réacteur simple à l’aide du catalyseur « Ziegler Natta » (ZN). DOWLEX et SCLAIR peuvent être décrits comme des produits de PEBDL « conventionnels » et sont sur le marché depuis plusieurs années.
[15] Une innovation plus récente est celle du métallocène polyéthylène à basse densité et structure linéaire (mPEBDL). ELITE, fabriqué par Dow, et SURPASS, fabriqué par Nova, sont tous les deux des produits de mPEBDL. Ils se distinguent des produits conventionnels de PEBDL tels que DOWLEX et SCLAIR par leurs caractéristiques plus performantes, surtout en ce qui concerne leur résistance et leur transformabilité.
[16] Dow a déposé sa demande pour le brevet '705 le 19 avril 1994. Le brevet '705 a été publié le 10 novembre 1994, mais n’a pas été émis avant le 22 août 2006. Le brevet '705 est arrivé à l’échéance le 22 avril 2014, après être resté en vigueur pendant environ huit ans.
[17] Dans l’arrêt Dow c. Nova (CAF) [aux paragraphes 5, 6, 8 et 9] la Cour d’appel fédérale décrit le brevet '705 comme suit :
Le brevet vise principalement le polyéthylène utilisé pour fabriquer des « pellicules », c’est-à-dire des feuilles de plastique, comme des sacs à déchets en plastique et des emballages alimentaires. Pour certains types d’utilisations, les exigences en matière de résistance ne sont pas très élevées, mais elles le sont pour d’autres. Une solution consistait à fabriquer des « pellicules » plus épaisses, de sorte qu’elles soient plus résistantes. Toutefois, il faut utiliser dans ce cas davantage de plastique, ce qui entraîne des coûts plus élevés et davantage de déchets quand la pellicule de plastique est mise aux rebuts.
Le brevet mentionne la nécessité de mettre au point des polymères capables de former des pellicules plus minces offrant une résistance accrue […]
[…]
L’invention revendiquée et sa réalisation commerciale par Dow (ELITE) permettent une réduction à la source, les pellicules étant plus minces, mais tout aussi résistantes. Alors que les efforts précédents pour créer des polymères et des mélanges de polymères améliorés consistaient largement en tâtonnements, M. Lai, l’un des inventeurs, a témoigné au procès que les chercheurs de Dow avaient utilisé une approche différente pour déterminer le meilleur mélange selon la densité, la masse moléculaire et l’écrouissage (c’est-à-dire le durcissement du matériel sous l’action de l’étirement) du polymère. Ces travaux ont été divulgués dans le brevet 705, y compris la création de la pente du coefficient d’écrouissage (CE) pour déterminer quels polymères présentent un intérêt […]
Chacune des 46 revendications du brevet 705 vise un mélange formé au moins de ces deux composants, chaque composant ayant certaines exigences, selon la revendication visée […]
A. Procédure aux États-Unis
[18] Avant le litige au Canada, Dow avait poursuivi Nova en justice pour ses ventes de SURPASS aux États-Unis en vertu de deux brevets délivrés aux É.-U. qui correspondaient au brevet '705 du Canada. Le procès aux É.-U. a été lancé en 2005, et s’est conclu avec le verdict du jury le 15 juin 2010. Dow a reçu 76 millions de dollars US en dommages et intérêts pour les pertes de ventes et les redevances raisonnables résultant de la vente par Nova de produits SURPASS aux É.-U. jusqu’au 31 décembre 2009. Cette décision a été confirmée par le circuit fédéral des É.-U. (verdict du jury en date du 15 juin 2010, U.S. Proceeding C.A. no 05-737 (JJF) (U.S. Dist. Ct. Del.); Dow Chemical v. Nova Chemicals, no 10-1526 (Fed. Cir. 2012); Dow v. Nova, Civ. No. 05-737-LPS (D.I. 760) (U.S. Dist. Ct. Del.)).
[19] La demande en injonction de Dow au litige aux É.-U. a été déboutée. Par conséquent, un procès pour [traduction] « dommages-intérêts complémentaires » a été mené en avril et en mai 2013 pour débattre de la conclusion du jury sur la violation de brevet. Ce verdict a donné lieu à une nouvelle décision accordant à Dow 30 millions de dollars U.S. en dommages et intérêts pour les pertes de ventes de ELITE et les redevances raisonnables résultant des ventes par Nova de SURPASS aux É.-U. jusqu’à l’arrivée à échéance des brevets pour les É.-U. le 15 octobre 2011 (Dow v. Nova, nos 2014-1431, 2014-1462 (Fed. Cir. 1015); Dow v. Nova, CA no 05-737 (LPS), Order of Final Judgment (US Dist. Ct. Del.)).
[20] L’attribution de dommages-intérêts complémentaires a plus tard été renversée en appel dans le circuit fédéral des É.-U. en raison de modifications qui ont été apportées à la loi des É.-U. sur l’insuffisance de la preuve. L’argument de l’insuffisance de la preuve n’a jamais été évoqué pendant le déroulement du litige au Canada.
[21] Dow ne demande pas de dommages-intérêts ni un recouvrement des bénéfices liés aux ventes aux É.-U. de produits SURPASS de Nova, qui ont fait l’objet de la procédure aux É.-U.
B. Phase liée à la responsabilité
[22] La phase de l’examen de la responsabilité de la présente procédure est ainsi résumée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nova c. Dow (CAF) [aux paragraphes 10 et 11] :
Dow a déposé une déclaration le 9 décembre 2010, dans laquelle elle accuse Nova de contrefaçon de son brevet 705. Nova a déposé une demande reconventionnelle en invalidité du brevet et en enrichissement sans cause, mais a finalement abandonné sa prétention d’enrichissement sans cause. Dans sa déclaration introductive au procès, Dow a limité l’instance à seulement huit revendications de compositions, soit les revendications 11, 29, 30, 33, 35, 36, 41 et 42; Nova a de même limité sa demande reconventionnelle en invalidité à ces mêmes revendications. Par conséquent, le juge a commis une erreur en déclarant valide et contrefaite la revendication 15; Dow avait abandonné ses allégations portant sur cette revendication, et la mention de cette revendication au paragraphe 1 du jugement devrait être supprimée.
[…] Le juge a conclu que toutes les revendications en litige étaient valides, et que Nova avait contrefait ces revendications en fabriquant au Canada et en distribuant, en offrant en vente, en vendant ou en mettant d’une autre façon à la disposition du public des polymères destinés à la fabrication de pellicules sous le nom SURPASS.
C. Requête concernant les qualités contestées
[23] Après le jugement du juge O’Keefe à la phase de l’examen de la responsabilité, mais avant que n’ait été rendue la décision de la Cour d’appel fédérale sur l’arrêt Nova c. Dow (CAF), Dow a présenté à la Cour une requête en ordonnance pour :
A. Déclarer que [traduction] : « La dénomination “polymères de qualité pellicule portant le nom SURPASS”, notamment au paragraphe 1 du jugement du juge O’Keefe au procès en date du 7 mai 2014, inclut dans son champ et sa signification les polymères de qualité « pellicule » SURPASS : FPs016-A, EX-FPs016-A01, EX-FPs225-A01 et FPs417-A »; et
B. Demander à Nova de divulguer et de produire tous les documents pertinents sur ces polymères de qualité « pellicule » SURPASS.
[24] Le juge Hughes s’est rallié à Nova pour dire que Dow avait omis de modifier sa demande introductive pour y inclure les nouveaux polymères SURPASS de qualité pellicule (les qualités contestées), malgré la divulgation par Nova de trois des qualités contestées à la procédure aux É.-U. en février 2012. Il a aussi conclu que la règle 399 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, ne s’appliquait pas au motif que Dow connaissait les qualités contestées avant le procès. Il a ainsi analysé la requête de Dow (2016 CF 361, aux paragraphes 31 à 34) :
[traduction] En audience, j’ai demandé à l’avocat de la défenderesse s’il était interdit aux demanderesses de lancer une nouvelle action pour demander que les quatre pellicules désignées dont l’intégration avait été demandée dans le renvoi fassent l’objet d’un examen dans une nouvelle action. Vraisemblablement, le principe de res judicata s’appliquerait aux conclusions du juge O’Keefe sur l’articulation de la demande et sa validité, et au moins certaines questions de violation de brevet. Nova pourrait faire valoir une défense de non-violation de brevet au moins pour la pellicule FPs417-A, et évoquer le principe de res judicata, l’abus de procédure, les délais et la prescription dans sa défense.
Une nouvelle action constituerait une perte des ressources de la Cour. Tout en me ralliant à la défenderesse pour ce qui est de ses arguments énoncés aux paragraphes 1 et 2 précités, je n’estime pas qu’une décision juste, plus rapide et moins coûteuse sur les questions litigieuses entre les parties ne justifie d’empêcher indéfiniment les demanderesses de présenter à la Cour les quatre autres pellicules telles qu’elles ont été désignées. Cela ne devrait pas non plus empêcher la défenderesse de faire valoir la défense qu’elle estime la plus opportune.
Les parties ont répondu à de longues communications préalables en procès. De nombreux faits ont été présentés, et de nombreuses conclusions ont été proposées au juge de première instance. Ces actes procéduraux ne devraient pas être perdus.
J’accorderai aux demanderesses l’autorisation, prenant effet par la présente requête le 20 janvier 2016, de modifier de nouveau leur demande introductive afin d’y inclure à l’Annexe A, les pellicules désignées FPs016, FPs117, FPs225, et FPs317. La défenderesse pourra modifier sa défense en réponse aux présentes. Toutes les communications préalables et la preuve antérieurement déposée en procès pourront continuer d’être utilisées par les parties comme si elles avaient émané des communications préalables. En plus, les parties pourront faire d’autres communications préalables selon ce qui sera raisonnablement nécessaire.
A. Observations générales
[25] Les témoins qui ont été entendus dans ce renvoi étaient généralement crédibles. Les témoins experts étaient hautement qualifiés, et tous les témoins entendus se sont prononcés de manière directe et coopérative, en répondant directement aux questions qui leur étaient posées. Les motifs pour lesquels j’ai préféré certains témoins à d’autres sont définis ci-après.
B. Contestations préliminaires
[26] Il faut reconnaître que les parties ont généralement exprimé leur accord sur les qualifications des témoins experts qui ont été entendus dans ce renvoi. La seule exception était celle de M. Eric Kelusky. M. Kelusky a témoigné à titre de témoin factuel au cours de la phase de l’examen de la responsabilité entendue par le juge O’Keefe, et a aussi témoigné comme témoin factuel dans le présent renvoi. Dow ne s’est pas opposée par son témoignage à titre de témoin factuel dans ni l’une ni l’autre phase de la procédure.
[27] Cependant, Dow a postulé dans le présent renvoi que M. Kelusky n’avait pas toute l’impartialité nécessaire pour être accueilli par la Cour en tant qu’expert objectif. Le témoignage d’opinion de M. Kelusky portait sur les mesures qu’aurait vraisemblablement prises Nova pour apporter sa gamme de produits SURPASS sur le marché si elle avait attendu l’arrivée à échéance du brevet '705 en 2014. Il a été autorisé à donner son témoignage d’expert aux conditions imposées par la Cour à l’opposition, que la Cour a acceptées sous réserve.
[28] Immédiatement après son départ à la retraite de Nova, M. Kelusky a été retenu comme conseiller de l’avocat en contentieux de Nova dans l’espèce. Son contrat, conclu en 2010, était toujours en vigueur lorsqu’il a été témoigné dans ce renvoi. Il a aussi contribué au procès aux É.-U. à titre d’employé de Nova. Sa seule autre participation dans l’industrie du polyéthylène depuis son départ à la retraite était à titre de conseiller au présent litige. Il n’a pas participé aux décisions prises par Nova sur ses activités ou le développement des produits depuis 2010.
[29] M. Kelusky a été témoin à la procédure aux É.-U. à titre de représentant d’entreprise de Nova. Il avait pour tâche de donner des réponses pendant les communications préalables du présent litige, ainsi que dans les essais préalables menés au nom de Nova. Il était présent au procès devant le juge O’Keefe, et a maintenu un contact constant avec l’avocat de Nova, surtout en matière de questions techniques. Le juge Hughes a relevé, dans son ordonnance en date du 30 mars 2016 au paragraphe 15, que M. Kelusky avait donné des [traduction] « réponses très prudentes » aux questions posées durant le processus de communication préalable.
[30] Nova soutient que M. Kelusky dispose de compétences et de connaissances quasi uniques sur ce qu’aurait fait Nova pour se préparer au lancement de sa gamme de produits SURPASS si elle avait attendu l’arrivée à échéance du brevet '705 en 2014. Puisqu’il avait travaillé chez Nova pendant le lancement de SURPASS en 2002, aucun autre témoin appelé à la présente procédure ne peut y apporter une perspective comparable. Nova a déploré que Dow ait attendu cinq semaines après sa réception pour s’opposer au rapport d’expert de M. Kelusky, malgré l’exigence du paragraphe 52.5(1) des Règles des Cours fédérales voulant que les oppositions aux preuves d’expert soient exprimées le plus rapidement possible. Dow répond avoir fait connaître son opposition au rapport de M. Kelusky avant le délai mutuellement convenu entre les parties.
[31] Nova prétend qu’elle subirait un préjudice si le témoignage de M. Kelusky était refusé. Nova affirme que toutes les préoccupations concernant l’allégeance de M. Kelusky à Nova ne peuvent concerner que le poids accordé à son témoignage.
[32] Dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182 (White Burgess), la Cour suprême du Canada rappelle au paragraphe 10 que les témoins experts ont pour devoir envers la Cour de présenter des témoignages d’opinion justes, objectifs et impartiaux. Ils doivent connaître ce devoir et être disposés à s’en acquitter. S’ils ne répondent pas à cette exigence minimale, leurs témoignages ne devraient pas être accueillis. Même si cette exigence est remplie, il demeure toutefois possible de soulever des préoccupations sur l’indépendance ou l’impartialité d’un témoin expert au moment de soupeser dans leur ensemble les coûts et les bénéfices d’accepter la preuve.
[33] La Cour suprême donne les directives complémentaires suivantes dans l’arrêt White Burgess, au paragraphe 49 :
Ce critère [de fournir une preuve juste, objective et impartiale] n’est pas particulièrement exigeant, et il sera probablement très rare que le témoignage de l’expert proposé soit jugé inadmissible au motif qu’il ne satisfait pas au critère. Le juge de première instance doit déterminer, compte tenu tant de la situation particulière de l’expert que de la teneur du témoignage proposé, si l’expert peut ou veut s’acquitter de sa principale obligation envers le tribunal. Par exemple, c’est la nature et le degré de l’intérêt ou des rapports qu’a l’expert avec l’instance ou une partie qui importent, et non leur simple existence : un intérêt ou un rapport quelconque ne rend pas d’emblée la preuve de l’expert proposé inadmissible. Dans la plupart des cas, l’existence d’une simple relation d’emploi entre l’expert et la partie qui le cite n’emporte pas l’inadmissibilité de la preuve […] De même, l’expert qui, dans sa déposition ou d’une autre manière, se fait le défenseur d’une partie ne peut ou ne veut manifestement pas s’acquitter de sa principale obligation envers le tribunal. Je tiens à souligner que la décision d’exclure le témoignage à la première étape de l’analyse pour non-conformité aux critères d’admissibilité ne devrait être prise que dans les cas manifestes où l’expert proposé ne peut ou ne veut fournir une preuve juste, objective et impartiale. Dans les autres cas, le témoignage ne devrait pas être exclu d’office, et son admissibilité sera déterminée à l’issue d’une pondération globale du coût et des bénéfices de son admission.
[34] Devant l’examen du témoignage de M. Kelusky, je suis convaincu qu’il a reconnu et accepté son devoir de présenter un témoignage juste, objectif et impartial à la Cour. Ses réponses aux questions étaient directes et pertinentes, en interrogatoire et en contre-interrogatoire. C’est sans aucune hésitation que je le qualifie comme expert pouvant témoigner à la présente procédure. Le poids à accorder à son témoignage représente une question distincte, qui sera abordée ci-après.
[35] Les deux parties se sont aussi opposées à certaines portions des rapports d’expert déposés au nom de la partie opposée. De nombreuses oppositions ont été soulevées devant les témoignages et ont fait l’objet de jugements en conséquence. Dans les présents motifs, je fonde mes conclusions sur la preuve que j’ai estimée admissible et probante. J’ai écarté toute preuve qui, à mon avis, outrepassait les qualifications d’un témoin expert, et n’ai accordé aucun poids aux points de vue dénaturés des éléments de preuve ou qui étaient indûment spéculatifs. Les raisons pour lesquelles j’ai accepté ou rejeté certains éléments de preuve et avis sont expliqués dans l’analyse ci-après.
C. Faits et témoins experts
[36] Le présent survol des faits et témoins experts appelés par les parties se fonde sur le résumé utile fourni par Nova dans ses conclusions finales.
[37] Les témoins factuels suivants ont pris la parole pour Dow :
• M. Christopher (Kip) Thomson, retraité de Dow en 2013. Avant son départ à la retraite, M. Thomson a occupé divers emplois en ventes et en marketing, notamment à titre de responsable de produit pour les applications d’emballage alimentaire et spécialisé. M. Thomson a témoigné sur la qualification des produits de Dow auprès de ses clients, la fabrication de pellicules, les propriétés des pellicules, la concurrence sur les marchés, et les questions de licence chez Dow.
• M. Gregory Bunker est directeur principal du marketing mondial pour la division de santé et d’hygiène de Dow. Il a occupé divers postes techniques et commerciaux chez Dow, notamment celui de directeur du marketing de l’emballage alimentaire spécialisé chez Dow. M. Bunker a témoigné sur la concurrence sur le marché des pellicules plastiques, particulièrement celle représentée par les produits EXCEED de Exxon, et la qualification pour les clients.
[38] Les témoins experts suivants ont témoigné pour Dow :
• M. Ross Hamilton était qualifié comme expert sur la quantification des dommages-intérêts et des bénéfices dans les litiges commerciaux et sur la propriété intellectuelle. M. Hamilton a exprimé des avis sur la quantification des bénéfices tirés par Nova de la fabrication et la vente des produits contrefaits SURPASS.
• M. Thomas Dunn était qualifié comme expert sur les échéanciers du développement de résines de polyéthylène, la qualification des résines de polyéthylène utilisées dans la composition de produits d’emballage souple, les processus et l’utilisation par les convertisseurs de résines de polyéthylène, et les produits et processus de fabrication d’emballages souples. Il a été intronisé au « temple de la renommée » des produits d’emballage aux États-Unis. M. Dunn a témoigné sur les étapes de développement et de qualification que devrait franchir Nova avant de pouvoir vendre les produits SURPASS, et les échéanciers qui auraient été associés à ces étapes dans un scénario hypothétique exempt de la cause proche.
• M. Gregory Leonard était qualifié comme économiste expert, spécialisé en microéconomique appliquée, c’est-à-dire l’étude des comportements des consommateurs et des entreprises, ainsi qu’en économétrie. Il s’est exprimé sur la quantification des dommages-intérêts, notamment les taux de redevance raisonnables dans les situations de violation de brevet. M. Leonard a évoqué les taux de redevance raisonnables à verser à Dow, le temps qu’aurait dû prendre Nova pour « faire décoller » ses ventes de produits SURPASS après l’arrivée à échéance du brevet '705, et la méthode pour mesurer les intérêts antérieurs au jugement. Dans son rapport de réponse et son témoignage, M. Leonard a réagi au rapport de M. Heeb, ainsi qu’à certains aspects évoqués dans les rapports de M. Soriano et de M. Kelusky.
• M. João Soares était qualifié comme expert en science et en ingénierie des polymères, et dans la caractérisation et la composition des polymères, incluant leur synthèse, leur analyse, les essais, leur production et la modélisation mathématique. M. Soares a témoigné sur la portée des revendications énoncées dans la demande de brevet telle qu’elle avait été publiée en 1994, et les caractéristiques de transformabilité des produits ELITE et SURPASS.
[39] Les témoins factuels suivants ont témoigné au nom de Nova :
• M. Eric Kelusky a été embauché à DuPont Canada en 1984, à titre de responsable du centre de recherches de DuPont sur le polyéthylène. Après l’acquisition par Nova de DuPont Canada en 1994, il est devenu directeur de la recherche sur le polyéthylène et responsable des programmes de recherche et de développement de Nova sur le polyéthylène. En 2002, après sa nomination comme vice-président du développement des produits Advanced SCLAIRTECH (AST), il a été chargé de la commercialisation et de la profitabilité des produits AST, y compris SURPASS. À partir de la fin de l’année 2006 jusqu’à son départ à la retraite en 2010, il a été vice-président des technologies chez Nova. Depuis lors, il est devenu conseiller de Nova. M. Kelusky a témoigné sur l’acquisition par Nova de la technologie de catalyseurs DuPont, le développement et la commercialisation des polymères SURPASS litigieux, le litige antérieur aux É.-U., la gamme de produits de l’usine PE2 à Joffre (Alberta), la nomenclature des produits, les coûts en capital de l’usine PE2, et les coûts de la recherche et du développement associés aux produits SURPASS de Nova.
• M. Daryll Harrison travaille chez Nova depuis 1988, lorsqu’il a été embauché comme chercheur scientifique sur les polymères. En 1996, il est devenu le directeur du groupe de recherche New Polymers Catalyst, un groupe de scientifiques qui ont développé des technologies de catalyseurs pour la division des polyéthylènes. Il a depuis occupé les postes de directeur de la recherche et du développement des polyoléfines, et de vice-président de la technologie. Il est aujourd’hui vice-président de la gestion du programme 1NOVA. Il a témoigné sur le développement et la commercialisation du catalyseur Emerald et de SURPASS, ainsi que sur les capacités de développement de produits Nova depuis 2002.
• Mme Debra Van Holst est directrice logistique de Nova. Elle a travaillé pour Nova et son prédécesseur, DuPont Canada, pendant environ 28 ans, dont 20 ans dans la division des polyéthylènes Nova. Elle a témoigné sur l’histoire de la marque SCLAIR chez Nova et DuPont, la capacité et la gestion de la gamme de produits de l’usine PE2, l’identification des sous-qualités produites à l’usine PE2, ainsi que la demande globale sur le marché des polyéthylènes.
• M. Mark Kay est gestionnaire de marché chez Nova depuis 1999. Il dirige le groupe des marchés pour les pellicules performantes chez Nova, un groupe chargé de la gestion des ventes d’applications telles que les sacs d’expédition ultra robustes, l’emballage alimentaire, ainsi que l’emballage moulant spécialisé. Entre 2005 et 2011, il a été directeur des ventes de distribution chez Nova, traitant avec les distributeurs et courtiers pour la revente des produits de polyéthylène et de polystyrène de Nova en Amérique du Nord. Il a témoigné sur la gamme de produits de l’usine PE2, les opportunités et la demande de catégories de film performant, de seaux et de cageots SCLAIR Nova, le marketing et les ventes de sous-qualités produites à l’usine PE2, la transformabilité, et la concurrence sur le marché.
• M. John Hotz est vice-président de la stratégie d’entreprise chez Nova. Il a été embauché par Nova en 2000 à titre de vice-président de la division des polyéthylènes, et était responsable de la gestion des bénéfices, des pertes et des produits. Il a témoigné sur la première de gamme de produits PE2, les ventes de produits PE2, les opportunités et les relations avec les clients de Nova, la concurrence avec Exxon et Dow, les premières stratégies d’établissement des prix pour les qualités SURPASS, et le marché pour les produits de qualité seau et cageot.
• M. Larry MacDonald a été directeur financier de Nova de 2002 jusqu’à son départ à la retraite en 2009. Auparavant, il a travaillé chez Nova ou ses prédécesseurs pendant 30 ans. Il a témoigné sur l’histoire d’entreprise et commerciale de Nova, la division de l’éthène et la structure d’entreprise de Nova.
• M. Rocky Vermani a travaillé chez Nova ou ses prédécesseurs pendant plus de 25 ans. Depuis 1990, il occupe divers postes dans la section des brevets technologiques que Nova. Il a été directeur général des brevets de 2004 à 2011. Entre 2006 et 2011, il a aussi été responsable des exportations de polyéthylène de Nova. De 2011 à 2014, il a été directeur de la division de l’éthène chez Nova. Depuis 2014, il était vice-président des produits d’oléfines, et à ce titre gérait l’ensemble des activités menées au sein de la division commerciale de l’éthène de Nova.
[40] Les témoins suivants ont témoigné au nom de Nova :
• M. Eric Kelusky était qualifié comme expert de la capacité de Nova à développer et commercialiser ses nouveaux produits de polyéthylène et de leur qualification auprès des clients de Nova, surtout les produits SURPASS. Dr. Kelusky a témoigné sur l’hypothétique développement et la vente de produits de pellicules SURPASS suivant l’arrivée à échéance du brevet '705, en prenant en considération les capacités historiques de Nova à développer, faire des essais et présenter les produits SURPASS, et ses pratiques pour les vendre et les qualifier auprès des clients.
• M. Randal Heeb était qualifié comme expert sur la valeur économique des droits de propriété intellectuelle, notamment les questions économiques liées à l’évaluation des dommages-intérêts et des bénéfices, et le calcul des redevances raisonnables dans les litiges en propriété intellectuelle. Il est économiste au cabinet de conseil Bates White, LLC, et a été agrégé supérieur de recherche à l’école de gestion de l’université Yale, où il a enseigné au MBA, notamment sur les aspects économiques des questions de brevets liés à l’utilisation de la propriété intellectuelle et l’efficacité et la profitabilité de tels brevets.
• M. Charles Speed était qualifié comme expert en science des polymères, techniques de polymérisation, développement de procédés, caractérisation et essais des polymères et des compositions, développement d’application de produits, incluant les mélanges et le soufflage de feuilles minces, et analyse de produits. Il a plus de 40 ans d’expérience en technologie des polymères chez ExxonMobil Chemical Company et comme conseiller. Il est parti à la retraite de ExxonMobil à titre de scientifique en chef pour les produits de polyéthylène. Dr. Speed a expliqué la technologie des polymères et examiné la teneur des revendications sur la demande de brevet publiée le 10 novembre 1994, la question de savoir si le brevet permet une meilleure transformabilité, et les sous-qualités de produits Nova qui n’étaient composés qu’avec un catalyseur ZN.
• M. Errol Soriano était qualifié comme expert sur la quantification des préjudices financiers et des bénéfices, l’évaluation des intérêts commerciaux et la comptabilité judiciaire, notamment en contexte de litige en propriété intellectuelle. Il est directeur général de Duff & Phelps, comptables professionnels agréés, experts agréés en évaluation d’entreprise, et examinateur en fraudes autorisé. Il a témoigné dans environ 45 dossiers d’octroi de dommages-intérêts et de recouvrement des bénéfices au Canada. Il est l’auteur de livres et de documents pédagogiques pour l’Institut des comptables professionnels agréés et l’université of Toronto. M. Soriano a témoigné sur la quantification des bénéfices de Nova issus de la fabrication et de la vente de produits SURPASS contrefaits.
[41] Les questions suivantes sont étudiées dans les présents motifs de décision :
A. La question de savoir si les catégories et les sous-qualités contestées et devraient être comptabilisées dans le calcul des dommages-intérêts et du recouvrement des bénéfices.
B. La méthode de calcul des dommages exigibles par Dow en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets.
C. La méthode selon laquelle les bénéfices à payer à Dow en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets devraient être calculés.
D. Les taux applicables aux intérêts antérieurs au jugement.
E. La méthode de conversion monétaire des montants à verser à Dow au titre des dommages-intérêts ou du recouvrement des bénéfices.
[42] Les qualités contestées comprennent quatre catégories de produits SURPASS qui selon Dow sont identiques ou presque identiques à celles qui étaient expressément revendiquées dans la première demande introductive : FPs417-A, FPs016-A, EX-FPs016-A01 et EX-FPs225-A01. Nova concède que, d’après l’analyse du juge O’Keefe dans la décision Dow c. Nova, les qualités contestées contreviennent au brevet '705. En conséquence, les seuls enjeux à résoudre sont ceux de la défense de Nova au titre de res judicata, de l’abus de procédure, des délais et de la prescription.
[43] Dow affirme que la seule différence entre les qualités contestées et les qualités jugées contrefaites était leurs noms commerciaux qui étaient légèrement différents. Dow prétend que Nova ne peut se dire surprise ni lésée par l’inclusion des qualités contestées dans le calcul des dommages-intérêts et des bénéfices : Nova savait ou aurait dû savoir que les qualités contestées contrefaisaient le brevet '705 de la même manière que les qualités qui étaient spécifiquement plaidées dans la première demande introductive de Dow. Nova aurait présenté ses arguments de non-violation de brevet et d’invalidité exactement de la même manière si les qualités contestées avaient été incluses dès le départ.
[44] Nova répond que les qualités contestées avaient été ajoutées à la demande introductive présentée par Dow par modification effective au 20 janvier 2016. Nova prétend que les qualités contestées sont interdites par la doctrine de res judicata, spécifiquement par la préclusion fondée sur la cause d’action. Nova a aussi plaidé l’abus de procédure et les délais. L’article 55.01 de la Loi sur les brevets prévoit qu’aucun recours ne peut être accordé pour contrefaçon commise plus de six ans avant l’introduction d’une procédure. Nova soutient que toutes les ventes de la catégorie contestée EX-FPs225-A01 ont été enregistrées en 2008 et 2009, c’est-à-dire plus de six ans avant la date d’application du 20 janvier 2016.
A. Res Judicata
[45] Un demandeur qui fait valoir une cause d’action doit normalement réclamer tous les recours possibles au même moment. À défaut, il existe un risque que les demandeurs mènent leur instance de manière échelonnée (Grandview c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621 (Grandview), aux pages 637 et 638). La préclusion fondée sur la cause d’action s’applique non seulement aux points sur lesquels la Cour devait réellement se prononcer, mais aussi sur tous les points adéquatement liés à l’objet du litige, lesquels pourraient être présentés au moment de l’exercice de la diligence raisonnable (voir Grandview, aux pages 634 à 639, citant Henderson v. Henderson (1843), 3 Hare 100, 67 E.R. 313 (Ch.), à la page 319).
[46] Dans l’Annexe A de sa première demande introductive, Dow a identifié 58 qualités SURPASS dont il était allégué qu’elles violaient le brevet '705. Ces qualités se regroupaient dans trois grandes catégories de produits : FPs016, FPs117 et FPs317. Le 22 février 2012, Dow a modifié sa demande pour y inclure une quatrième catégorie de produits, pour la qualité FPs225-A, portant à 59 le nombre total de qualités.
[47] Dow déplore que, dans la phase de l’examen de la responsabilité du procès devant le juge O’Keefe, Nova aurait délibérément dissimulé des informations concernant les qualités contestées et leurs liens avec les qualités de produits SURPASS qui avaient été plaidées. Nova a refusé de répondre à toute question qui n’était pas liée à l’une des appellations de qualité SURPASS qui avaient été spécifiquement identifiées dans l’Annexe A de la demande introductive, malgré le fait que les catégories de produits plus vastes avaient aussi été plaidées.
[48] Le juge Hughes a fait le constat suivant dans son ordonnance en date du 30 mars 2016 (2016 CF 361, au paragraphe 15) :
[traduction] L’attitude des parties tout au long du présent litige me semble hostile, surtout celle de la défenderesse. Le juge O’Keefe a répondu à cette préoccupation dans son ordonnance sur les dépens. Une transcription partielle de l’interrogatoire préalable des défenderesses par la demanderesse, tenu le 31 octobre 2011, a été versée au dossier de requête que j’ai devant moi […] Elle indique que l’avocat de la défenderesse résistait à donner des réponses sur tout produit de pellicule plastique qui n’était pas identifié dans l’Annexe A de la demande introductive, et répondait très prudemment sur celles qui étaient identifiées, par exemple en déclarant qu’aucun produit n’était appelé FPs317, tout en reconnaissant la fabrication d’un produit nommé FPs317-A.
[49] Nova a caviardé toutes les références aux qualités contestées dans les documents qu’elle avait produits durant la phase de l’examen de la responsabilité, notamment les passages comparant les qualités contestées aux qualités plaidées. Dow soutient que certains documents pertinents n’ont jamais été présentés.
[50] Au cours de la phase complémentaire des dommages-intérêts du procès aux É.-U., et une fois achevé l’interrogatoire préalable de Nova par Dow dans l’action portée devant la justice canadienne, Nova a déposé des informations à jour sur les ventes qui faisaient référence à trois des quatre qualités contestées. Dow reconnaît que EX-FPs225-A01 était évoquée dans des documents présentés à la phase initiale du procès aux É.-U., mais soutient que cette qualité n’a pas été examinée dans cette procédure.
[51] Il existe de bonnes raisons de conclure que les qualités contestées sont déjà visées par le jugement du juge O’Keefe dans la décision Dow c. Nova :
a) FPs417-A a été présentée par Nova en mai 2010 comme [traduction] « une version du FPs317-A à indice de fluidité (IF) plus élevé », une qualité incluse dans l’Annexe A de la première demande introductive de Dow. Les documents internes de Nova caractérisaient le FPs417-A comme [traduction] « une variation mineure » du FPs317-A, et décrivaient les deux comme [traduction] « pratiquement identiques ».
b) Les données techniques sur l’IF de Nova sur le FPs317-A et le FPs417-A se chevauchent. Dans le cas du FPs317, la plage d’IF acceptable se situe entre 3,35 et 4,65. Dans le cas du FPs417, la variation acceptable de l’IF se situe entre 3,8 et 5,0. Outre les modifications apportées à l’IF cible pour les deux produits, les fiches signalétiques pour le FPs317-A et le FPs417-A sont identiques, notamment en ce qui concerne les propriétés tensiles déclarées des pellicules.
c) D’après l’interrogatoire préalable de M. Kelusky, Nova n’a pas mené d’essais sur les propriétés de pellicule du FPs417-A pour préparer la fiche signalétique, les supposant identiques à celles du FPs317-A. M. Kelusky a reconnu que les FPs317-A et le FPs417-A auraient pu être étiquetées avec la même désignation de qualité (c.-à-d., FPs417-A), conformément à la convention de nomenclature de Nova. Depuis le 28 juillet 2011, Nova a reclassé des matériaux originalement produits comme FPs417-A sous la désignation FPs317-A. Nova a aussi redésigné des lots de FPs317-A comme FPs417-A.
d) EX-FPs016-A01 et FPs016-A sont identiques. Le préfixe « EX » indique simplement le statut expérimental d’une qualité, même si elle pourrait être commercialisée. Les ventes de EX-FPs016-A01 ont débuté en octobre 2010. Entre juin et août 2011, Nova a cessé d’employer la désignation « EX » et a commencé à utiliser la dénomination FPs016-A.
e) Le FPs016-A ne diffère des qualités identifiées dans l’Annexe A de la première demande introductive de Dow (FPs016-C et FPs016-D) que par l’opération d’un [traduction] « ensemble d’additifs » mélangé à la résine de base du FPs016 après la production dans les réacteurs. La résine de base du FPs016 a fait l’objet d’un plaidoyer spécifique et sa violation du brevet '705 a été constatée.
f) L’EX-FPs225-A01 est identique au FPs225-A et son précurseur expérimental, lequel précurseur était spécifiquement identifié dans l’Annexe A de la première demande introductive de Dow.
[52] Auparavant, il avait été avancé, dans un contexte de brevet, que les actes de procédure en contrefaçon de brevets doivent avoir pour objet des variantes qui ne sont pas substantiellement différentes les unes des autres, et que d’exiger la présentation d’une revendication de violation de brevet distincte pour chaque variante ferait perdurer les litiges (CSI Manufacturing and Distribution Inc. c. Astroflex Inc., [1993] A.C.F. no 1310 (QL) (1re inst.), au paragraphe 31). En outre, le juge O’Keefe [au paragraphe 11] a conclu, dans la décision Dow c. Nova que « polymères destinés à la fabrication de pellicules sous le nom SURPASS » contrefaisaient le brevet '705. Il serait contraire à l’intention et à l’application directe de ce jugement que d’exclure les catégories de SURPASS qui qualifient la violation de brevet uniquement au motif de leur vente sous des dénominations légèrement différentes par la partie contrefaisante.
[53] La Cour a examiné des circonstances similaires dans la décision Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada Limitée, [1979] 1 C.F. 138 (1re inst.). Dans cette cause, la demande introductive identifiait comme appareil contrefait le « IBM Copier I », et le jugement à la phase de l’examen de la responsabilité a été rendu en conséquence. Dans les renvois ultérieurs sur les dommages et intérêts, la Cour a examiné si le plus récent produit du défendeur, le Copier II, était suffisamment semblable à l’appareil contrefait pour justifier son inclusion dans la phase d’étude des dommages-intérêts. La Cour a avancé que le jugement du procès ne se limitait pas à un seul type d’appareil, mais à tout photocopieur IBM contrefait dans une mesure comparable.
[54] Nova estime que l’argument de Dow voulant que les qualités contestées sont déjà prises en compte dans le jugement du juge O’Keefe sur la décision Dow c. Nova constitue une contestation indirecte de l’ordonnance du juge Hughes en date du 30 mars 2016. Nova relève, qu’au paragraphe 30, le juge Hughes se rallie à l’argument de Nova en remarquant ce qui suit :
[traduction] […] [Nova] a fait connaître trois autres pellicules au cours de l’action menée aux États-Unis en février 2012. Dow était informée de la divulgation et a pu en prendre connaissance pendant l’examen de l’action menée au Canada, mais n’a pas posé de geste pour y réagir. L’ordonnance du protonotaire Milczynski en date du 11 mars 2011 laissait peu de place au doute : l’Annexe A de la demande introductive devait identifier spécifiquement les produits en question, et si tout autre produit devait être identifié, la demande introductive pourrait être modifiée comme l’ont fait les demanderesses le 22 février 2012.
[55] Le juge Hughes s’est aussi rallié à l’argument de Nova selon lequel l’omission des qualités contestées dans le jugement du juge O’Keefe sur la décision Dow c. Nova ne pouvait être rectifiée en vertu de la règle 399. Cependant, il n’apporte aucune conclusion définitive sur le bien-fondé des défenses potentielles de Nova fondées sur la non-violation de brevet, le principe de res judicata, l’abus de procédure, les délais ou la prescription. Il soutient uniquement que Nova devrait pouvoir présenter ces défenses (au paragraphe 31).
[56] Nova se fonde aussi sur l’ordonnance du juge Russell en date du 23 juin 2016 (2016 CF 706), aux paragraphes 38 à 39 et 75 à 76. Cependant, ces extraits ne décrivent que certains aspects du jugement du juge Hughes. Ils ne prétendent pas les approfondir ni les modifier.
[57] Nova a convenu avoir violé le brevet. À mon avis, la conclusion du juge Hughes selon laquelle Nova devrait pouvoir présenter une défense fondée sur le principe de res judicata, d’abus de procédure, de délais et de prescription n’écarte pas la possibilité qu’une Cour puisse conclure que ces défenses n’étaient pas valables puisque les qualités contestées étaient déjà visées par le jugement du juge O’Keefe sur la décision Dow c. Nova.
[58] À titre subsidiaire, en admettant sans l’ordonner que la préclusion fondée sur la cause d’action pourrait former une défense valable pour Nova, certains aspects des actions posées par Nova sont défavorables à l’admission d’une défense d’équité dans les circonstances. La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire résiduel de ne pas appliquer le principe de res judicata si cela donnait lieu à une injustice (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, au paragraphe 80). Dans le présent dossier, la preuve démontre que Nova a cherché à dissimuler les qualités contestées durant la phase de l’examen de la responsabilité de la présente action en justice, en caviardant toutes les références aux qualités contestées dans les documents pertinents et en ne donnant que des « réponses très prudentes » en interrogatoire. Il existe un risque que le refus à Dow du recours pour une violation avérée du brevet '705 au motif de res judicata ait pour effet de sanctionner et de récompenser les tactiques obfuscatoires de Nova.
B. Abus de procédure
[59] Même si Nova a invoqué l’abus de procédure dans son mémoire de défense modifié en date du 22 avril 2016, elle n’a produit aucune présentation à l’appui d’une telle défense dans ses conclusions finales. L’abus de procédure peut se qualifier par des procédures oppressives ou vexatoires, et qui violaient les principes fondamentaux de justice qui sous-tendent le sens de l’équité et de la décence de la société (Toronto (Ville) c. S.C.F.P. section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77 (Toronto (Ville)), au paragraphe 35).
[60] L’ouverture de nouvelles procédures, en soi, ne constitue pas un fondement suffisant pour constater l’abus de procédure; un autre élément significatif, tel que le harcèlement injuste, est nécessaire (Dhaliwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] CFPI 1425, [2001] A.C.F. no 1943 (QL), au paragraphe 6). Il faut faire usage de ce recours avec retenue, et uniquement pour les dossiers les plus nets et raisonnables (Glenko Enterprises Ltd. v. Keller, 2008 MBCA 24 (CanLII), 290 D.L.R. (4th) 712, au paragraphe 56). La principale préoccupation est celle de l’équilibre entre l’équité et la finalité (Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422, aux paragraphes 25 et 34; Toronto (Ville), aux paragraphes 37 et 38).
[61] Je constate que les qualités contestées ont déjà été examinées dans le jugement du juge O’Keefe’s sur la décision Dow c. Nova. À titre subsidiaire, je conclus qu’il ne serait pas équitable ni juste de donner effet à la défense d’équité fondée sur le principe de res judicata, vu la dissimulation délibérée par Nova de renseignements concernant les qualités contestées pendant les interrogatoires préalables. Pour les mêmes motifs, je suis convaincu que d’accorder à Dow des recours pour les qualités contestées, dont il a été reconnu qu’elles violaient le brevet '705, ne serait ni oppressif ni vexatoire, et ne contreviendrait pas au sens de l’équité et de la décence de la société.
C. Délais et prescription
[62] Nova ne fait valoir une défense fondée sur la prescription que pour EX-FPs225-A01. Dow reconnaît que Nova a cessé de vendre cette qualité contestée avant le 20 janvier 2010, c.-à-d., plus de six ans avant la date effective à laquelle Dow a ajouté les qualités contestées à sa revendication. Cependant, Dow a plaidé le même produit sous son nom commercial de FPs225-A avant l’arrivée à échéance du délai de prescription le 22 février 2012. Vu que les deux produits sont identiques, je ne peux accueillir l’argument que fait valoir Teva pour invoquer la défense fondée sur la prescription pour seul motif qu’elle a vendu la qualité plaidée FPs225-A sous un nom légèrement différent.
A. Redevance raisonnable
[63] Le paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets prévoit ce qui suit :
55 (1) […]
[…]
Indemnité raisonnable
(2) Est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci, à concurrence d’une indemnité raisonnable, quiconque accomplit un acte leur faisant subir un dommage entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible au public sous le régime de l’article 10 et l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où cette demande est ainsi devenue accessible.
[64] Dow et Nova conviennent que la mesure applicable des dommages-intérêts en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets est une redevance raisonnable pour l’utilisation par Nova de la technologie brevetée par Dow dès le lancement de SURPASS en 2002 et jusqu’à la délivrance du brevet '705 en 2006. Dow admet que la prescription pourrait l’empêcher de demander une redevance raisonnable pour la période antérieure à 2004, et que la période applicable pour la réclamation d’une indemnisation est donc du 9 décembre 2004 au 21 août 2006.
[65] La redevance raisonnable se calcule en simulant une négociation entre Dow et Nova sur une licence autorisant Nova à utiliser la technologie brevetée. L’objet de cet exercice est d’établir le taux de redevance qui serait convenu après une négociation hypothétique entre un concédant consentant et un porteur de brevet consentant (AlliedSignal Inc. c. du Pont Canada Inc., [1998] A.C.F. no 190 (QL) (1re inst.) (AlliedSignal (FC)), au paragraphe 199, confirmé par [1999] A.C.F. no 38 (QL) (C.A.) (AlliedSignal (FAC)); Jay-Lor International Inc. c. Penta Farm Systems Ltd., 2007 CF 358 (Jay-Lor), au paragraphe 125).
[66] La négociation hypothétique est située après la première violation de brevet le 1er janvier 2002. La négociation porte sur de multiples facteurs, mais surtout sur les bénéfices anticipés par Nova de la vente de produits issus de technologie brevetée par Dow (Jay-Lor, aux paragraphes 128 et 150).
[67] M. Leonard et M. Heeb, les experts appelés aux noms de Dow et de Nova respectivement, ont mutuellement convenu du cadre à appliquer à la négociation hypothétique sur les redevances. Les limites de la négociation hypothétique sont le « consentement minimal à accepter » (CMA) de Dow concernant l’impact anticipé des ventes de SURPASS par Nova sur les ventes des produits ELITE de Dow, et la « disposition maximale à payer » (DMP) de Nova pour les bénéfices que Nova anticiperait de faire avec la vente de SURPASS. C’est la marge des négociations. La différence entre le CMA de Dow et la DMP de Nova constitue les « gains à équilibrer » (c.-à-d., le bénéfice commun découlant de la licence hypothétique), qui seront divisés entre les parties de manière raisonnable.
B. Consentement minimal de Dow à accepter
[68] M. Leonard et M. Heeb conviennent que le CMA de Dow serait égal aux bénéfices auxquels Dow aurait présumé renoncer en accordant une licence pour sa technologie à Nova, c.-à-d., la proportion des ventes par Nova de SURPASS qui seraient soustraites des ventes par Dow de produits ELITE (taux de déviation). Dow chercherait à récupérer ses bénéfices sur ces ventes perdues.
[69] M. Leonard a mené une étude du marché du mPEBDL en 2002, et conclu que le taux de déviation devrait être prudemment estimé à 50 p. 100. M. Heeb, à l’aide d’un modèle de simulation, a conclu que le taux de déviation serait de 22 p. 100.
[70] SURPASS et ELITE sont de proches substituts l’un de l’autre, tant par leurs propriétés que par leur transformabilité. Ce sont tous deux des produits de mPEBDL, qui occupent chacun un segment distinct sur le marché des polyéthylènes. Ces produits sont en concurrence directe. Les produits de PEBDL conventionnel, tels que le DOWLEX de Dow et le SCLAIR Nova, sont vendus sur différents segments de marché, et leurs principaux concurrents sont les autres produits de leurs segments respectifs. Nova et ses clients reconnaissent que SURPASS est une « solution de rechange » pour ELITE, tel que le juge O’Keefe avait observé à la phase de l’examen de la responsabilité, en relevant qu’il s’agissait d’une caractéristique fondamentale de sa formulation (Dow c. Nova, au paragraphe 252).
[71] Le EXCEED d’Exxon est un autre concurrent dans la catégorie des mPEBDL, et est considéré comme un chef de file sur ce marché. Ce produit est réputé pour sa résistance, mais sa transformabilité a parfois été considérée comme une faiblesse. ELITE et SURPASS sont tous les deux commercialisés comme des produits offrant un agencement supérieur de propriétés et de transformabilité par rapport à EXCEED.
[72] Le EXCEED produit par Exxon est souvent moins cher que SURPASS et ELITE. Les clients qui tiennent à la meilleure transformabilité de ELITE et de SURPASS sont prêts à payer un prix plus élevé pour ces produits, tandis que les clients pour lesquels la transformabilité est moins importante demeureront vraisemblablement fidèles à EXCEED.
[73] À la lumière de ces dynamiques de marché, M. Leonard a conclu que si SURPASS n’avait pas été offert sur le marché en 2002, la plupart de ses clients se seraient vraisemblablement tournés vers ELITE comme seul autre produit ayant les mêmes caractéristiques. Entre 2002 et 2006, ELITE et SURPASS étaient vendus sur le même marché circonscrit, et se disputaient la même clientèle.
[74] Dow est d’avis que durant la période pour laquelle une redevance raisonnable est demandée, près de 100 p. 100 des ventes de SURPASS auraient été attribuables à des déviations des ventes aux dépens de ELITE. Cet avis est confirmé par les documents internes de Nova, lesquels considéraient ELITE et SURPASS comme les seuls concurrents sur un segment de marché supérieur, distinct des PEBDL conventionnels et du EXCEED produit par Exxon. Ainsi, Dow soutient que le taux de déviation de 50 p. 100 proposé par M. Leonard relève de l’estimation prudente.
[75] Le taux de déviation de 22 p. 100 avancé par M. Heeb était fondé sur un modèle de simulation logit. M. Heeb a postulé que si le SURPASS de Nova n’avait pas été offert sur le marché entre 2002 à 2006, ces ventes seraient revenues à une gamme de différents produits alternatifs selon les prix et les parts de marché des acteurs sur un marché sélectif. M. Heeb a reconnu avoir dû adopter des hypothèses sur les prix des produits alternatifs et les parts de marché respectives occupées par les autres fabricants, et s’être fondé sur des données contestables présentées par des conseillers sectoriels, puisque ces données constituent des secrets commerciaux farouchement gardés et souvent difficiles à obtenir.
[76] À mon avis, il faut déplorer une lacune encore plus fondamentale du modèle de simulation logit employé par M. Heeb. M. Heeb a supposé que tous les produits alternatifs qui avaient été pris en compte dans son modèle de simulation étaient interchangeables et mutuellement et également concurrentiels. Cette hypothèse omettait que ELITE et SURPASS constituent l’un pour l’autre le produit de remplacement le plus proche, et que de nombreux clients qui achètent SURPASS envisageraient uniquement ÉLITE comme produit alternatif. M. Heeb a même inclus certains produits conventionnels de PEBDL dans son modèle de simulation, tel que le SCLAIR, lequel est fabriqué par Nova. Cependant, ces produits ne constituent pas des substituts plausibles de SURPASS pour la plupart des applications.
[77] Le modèle de simulation logit de M. Heeb se fondait sur l’hypothèse que le prix du ELITE de Dow augmenterait si le SURPASS de Nova n’était pas offert sur le marché, alors que le prix du SCLAIR de Nova, quant à lui, diminuerait. Il a conclu qu’environ 45 p. 100 des ventes de SURPASS auraient plutôt dévié vers les produits de PEBDL conventionnel SCLAIR, tandis que seulement 22 p. 100 seraient revenus à ELITE, produit par Dow. Ces calculs ne correspondaient pas aux données probantes selon lesquelles les produits de mPEBDL forment un segment de marché distinct, qui n’est pas le même que celui occupé par les produits conventionnels de PEBDL.
[78] En conclusion finale, l’avocat de Nova a admis avec franchise que M. Leonard avait [traduction] « supplanté » M. Heeb en matière de modèle de simulation logit. Je suis d’accord. Pour les motifs précédemment explicités, je préférerai l’analyse de M. Leonard. Son calcul d’un taux de déviation de 50 p. 100 est prudent et je l’accueille sans hésitation.
[79] Les avis de M. Leonard et de M. Heeb divergent aussi en ce qui concerne les attentes des parties envers la profitabilité de ELITE dans la négociation hypothétique. Tous les deux ont appliqué les marges bénéficiaires attribuées par Dow aux ventes de produits ELITE pour calculer les attentes des parties en 2002. Cependant, M. Heeb a tenu compte des marges bénéficiaires enregistrées en 2001, une année de récession au cours de laquelle Dow a enregistré les plus faibles marges bénéficiaires de ELITE dans l’histoire de ce produit (1,4 p. 100).
[80] Dow a lancé ELITE en 1997, et au moment de la négociation hypothétique en 2002, des données historiques sur les marges bénéficiaires n’existaient que pour une période de quatre ans, soit de 1997 à 2001. La décision de M. Heeb de se fonder sur la marge bénéficiaire exceptionnellement faible de 2001 a réduit la marge bénéficiaire moyenne pour ELITE de 17,7 p. 100 à 12,5 p. 100, ce qui est se distingue nettement de la marge bénéficiaire moyenne pour ELITE de 21,6 p. 100 pour la période de 1997 à 2011, marquée par deux années de récession. Les calculs de M. Leonard n’ont pas tenu compte de l’année 2001, et donnent une marge bénéficiaire moyenne historique pour ELITE de 17,7 p. 100. Cette marge concorde davantage avec ce qui a été enregistré au cours des années qui ont suivi celles qui étaient visées dans la négociation hypothétique. En se fondant sur le taux de déviation de 50 p. 100, M. Leonard a anticipé le CMA de Dow à 8,8 p. 100.
[81] Ici encore, je me rallie à l’analyse de M. Leonard plutôt qu’à celle de M. Heeb. La prise en compte de 2001, une année de récession, dans l’évaluation des attentes des parties sur la marge bénéficiaire de la vente de produits ELITE au moment de la négociation hypothétique, a artificiellement diminué la moyenne. L’exclusion de l’année 2001 conduit au calcul d’une marge bénéficiaire moyenne pour ELITE de 17,7 p. 100. Cette moyenne est légèrement inférieure mais correspond assez bien à une marge de 21,6 p. 100, c.-à-d., la véritable marge bénéficiaire enregistrée pour ELITE entre 1997 et 2011, période marquée par deux années de récession. Le calcul qui a permis au M. Leonard d’estimer le CMA de Dow à 8,8 p. 100 est un calcul prudent, que j’accueille sans hésitation.
C. Disposition maximale de Nova à payer
[82] Les deux parties conviennent que la disposition maximale de Nova à payer correspond au bénéfice que Nova estimait pouvoir dégager des ventes de SURPASS par rapport au produit alternatif non contrefait (PANC) le plus proche. Les PANC proposés par Nova sont principalement des produits de qualité seau et cageot.
[83] M. Heeb a supposé qu’au moment de la négociation hypothétique, Nova aurait pu s’attendre à opérer à sa pleine capacité à tout moment, et à ce que toutes les ventes de SURPASS pourraient, par conséquent, être remplacées par des ventes de produits de qualité seau et cageot. Il a ensuite utilisé les véritables marges bénéficiaires sur les ventes de PANC pendant la période 2002 à 2008 pour calculer la profitabilité vraisemblable des PANC dans le scénario de négociation hypothétique.
[84] D’après M. Leonard, si les PANC sont pris en compte, il faut aussi prendre en considération pendant combien de temps Nova a fonctionné à plein rendement entre 2002 à 2006. D’après lui, Nova n’a fonctionné à plein rendement que pendant 37 p. 100 de cette période. Il a aussi avancé que pour les périodes au cours desquelles Nova a fonctionné à plein rendement, il serait impératif de mesurer la proportion de la marge bénéficiaire sur la vente de produits SURPASS par rapport aux marges sur la vente de PANC par heure de fonctionnement des réacteurs.
[85] Dans sa réponse au rapport de M. Leonard, M. Heeb a accepté, en principe, cette méthode. Cependant, il a contesté le calcul de M. Leonard sur la proportion de cette période au cours de laquelle Nova aurait pu anticiper que son usine fonctionne à plein rendement, et l’utilisation des produits à plus faible marge dans la formulation de l’hypothèse de départ pour calculer la profitabilité des PANC de Nova. D’après M. Heeb, si M. Leonard avait utilisé des données de 2002 à 2008 (cycle économique complet) et appliqué les bonnes marges par heure d’utilisation du réacteur, la proportion entre les marges bénéficiaires sur les ventes de PANC aurait été près de deux fois plus élevée par rapport aux marges sur les ventes de SURPASS.
[86] À mon avis, la preuve appuie les dires de M. Heeb selon lequel en 2002, les parties auraient estimé que Nova aurait pu utiliser l’usine PE2 de manière adaptative sans remplacer tous les produits contrefaits par des PANC. J’examinerai l’exploitation par Nova de l’usine PE2 et ses objectifs d’entreprise de maintenir sa pleine capacité ci-après dans le contexte des bénéfices. Je suis plus convaincu par le taux de marge de M. Heeb que je le suis par celui proposé par M. Leonard. En appliquant ces hypothèses, M. Heeb a conclu que la DMP de Nova serait inférieure au CMA de Dow.
[87] Si la DMP de Nova est inférieure d’au moins 8,8 p. 100 au CMA de Dow, il n’y a aucune marge de négociation entre les parties. M. Heeb a précisé que [traduction] « [p]uisqu’une entente est obligatoire dans cette négociation hypothétique, le taux de redevances raisonnable correspond simplement au CMA de Dow ». M. Leonard n’a pas contesté ce principe. Il ne convient donc pas d’examiner la division des gains à équilibrer.
[88] Même sans tenir compte des PANC, selon M. Heeb, la DMP de Nova demeure inférieure à 8,8 p. 100. En conséquence, les PANC proposés par Nova n’ont aucune incidence sur l’établissement de la redevance raisonnable.
[89] C’est pourquoi je conclus que le taux de redevances raisonnables à payer par Nova à Dow pour la période 2004 à 2006, que les PANC de seau et cageot soient ou non pris en compte, est de 8,8 p. 100.
D. Autres arguments de Nova
[90] Nova a fait valoir de multiples autres arguments pour réduire le montant de la redevance raisonnable à payer à Dow. Aucun de ces arguments n’a été convaincant, et je les aborderai sommairement ci-après.
[91] Nova a prétendu que le CMA de Dow devait être réduit au motif que [traduction] « la concurrence peut faire gonfler un marché par la disponibilité augmentée de produits, et la plus grande force commerciale de Nova lui permettrait de rallier plus de clients que Dow pourrait le faire à elle seule. Dow constaterait Nova pourrait plus facilement que Dow vendre d’autres produits aux clients actuels de Nova. Dow pourrait constater qu’elle pourrait continuer de vendre toute sa production, et en plus recevoir une redevance de Nova pour l’élargissement de son marché ». Cette hypothèse spéculative n’a été soulevée par aucun des témoins experts qui ont témoigné à cette procédure. Elle n’est donc pas appuyée par la preuve, et je ne l’accueillerai pas.
[92] Nova a critiqué l’évaluation de M. Leonard sur la DMP de Nova au motif qu’il a, dans une large mesure, omis de considérer les négociations de licence entreprises par Nova pour le SCLAIRTECH. M. Vermani, qui était chargé des accords de licence de Nova, a témoigné que Nova estimait la valeur de son AST (servant à la fabrication des produits contrefaits) comme étant seulement légèrement supérieure à celle de SCLAIRTECH. M. Vermani a proposé que la DMP de Nova doive donc se situer entre 1 p. 100 et 2 p. 100. Cependant, la preuve démontre que SURPASS et ELITE occupent un segment de marché distinct de celui sur lequel sont commercialisés les produits conventionnels de PEBDL, tels que le SCLAIR de Nova. Ni Dow ni Nova n’a jamais octroyé de licence pour les technologies ELITE ou SURPASS, et je ne peux tirer aucune conclusion concernant la valeur éventuelle d’une licence hypothétique pour la technologie ELITE d’après la redevance obtenue par Nova pour la mise sous licence de SCLAIRTECH. En outre, cette valeur ne fonde pas l’évaluation par les experts de Nova ou de Dow sur le montant de la redevance raisonnable payable à Dow pour la violation par Nova du brevet '705 durant la période d’application.
[93] Nova a invoqué la doctrine de l’adhésion déférente pour demander à la Cour de respecter la décision du jury aux É.-U. d’appliquer un taux de redevance effectif de 1,755 p. 100 pour calculer le préjudice subi par Dow suivant la violation par Nova du brevet équivalent aux É.-U. au cours de la même période. Elle n’a identifié aucune autorité soutenant cet avis. Je ne suis pas convaincu que l’adhésion déférente s’applique à la décision du jury des É.-U., lequel n’a pas examiné la question de la redevance raisonnable en soi (d’où l’utilisation par Nova du terme « redevance effective »), et appliqué un droit différent dans une juridiction distincte (voir Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, au paragraphe 29).
[94] Au début du présent renvoi, Nova a informé la Cour qu’à la publication de la demande de Dow pour le brevet '705 en 1994 :
[traduction] […] celle-ci n’a présenté aucune revendication pour un interpolymère éthène α-oléfine à ramification homogène linéaire avec limitation de CE. Toutes les revendications présentées par Dow visaient un composant A linéaire à ramification homogène (tel que celui que l’on retrouve dans le SURPASS), avec spécification de CE (reconnu par le juge de première instance comme un concept inventif). La seule revendication dans la demande publiée faisant référence à la CE est la revendication 4, mais son composant A est essentiellement linéaire plutôt que linéaire. [Soulignement dans l’original.]
[95] Cependant, M. Speed, le témoin expert appelé par Nova pour appuyer cette affirmation, a reconnu en contre-interrogatoire qu’il ne savait pas que la revendication 4 de la demande de Dow avait été modifiée le 2 juin 1995 pour ajouter un interpolymère éthène α-oléfine à ramification homogène linéaire avec limitation de CE. C’était sept ans avant que ne débute la violation du brevet '705 par Nova.
[96] Nova a maintenu que le fait que Dow ait tardé à lancer la poursuite pour sa demande de brevet de 1994 à 2006 devrait constituer un facteur valable dans l’établissement par la Cour du montant d’une indemnisation « raisonnable ». Cependant, cela était fondé sur l’hypothèse de Nova voulant qu’aucune des revendications publiées du brevet ꞌ705 avant sa délivrance n’avait été violée par Nova. Cela s’est révélé incorrect.
[97] Enfin, dans ses conclusions finales, l’avocat de Nova a présenté un argument entièrement nouveau voulant que les parties à la négociation hypothétique sur la licence en 2002 auraient anticipé que la durée de la licence ne serait que de quatre ans, c.-à-d., de 2002 jusqu’à 2006, du moment où le brevet '705 a été délivré. Dans ce scénario hypothétique exempt de la cause proche, Nova aurait cherché à demander une licence pour la technologie brevetée par Dow seulement jusqu’à l’entrée en vigueur du brevet '705, et aurait aussi cessé de produire les produits SURPASS jusqu’à l’arrivée à échéance du brevet '705 en 2014. Nova n’a présenté aucune preuve à l’appui de cette nouvelle théorie. Cette hypothèse n’a pas non plus fondé l’évaluation par les experts de Nova ou de Dow sur le montant de la redevance raisonnable payable à Dow pour la violation par Nova du brevet '705 pendant la période visée.
E. Produits assujettis à la redevance raisonnable
[98] Dow et Nova conviennent que les bénéfices nets rajustés découlant de la violation par Nova du brevet '705 devraient reposer sur le bilan des ventes consolidé de Nova (aussi nommé la liste détaillée des transactions de vente), c.-à-d., le chiffre d’affaires brut plus les frais supplémentaires facturés, soustraits des réductions des prix facturés, rabais et escomptes. Elles conviennent aussi que l’indemnisation raisonnable devrait être calculée en multipliant les bénéfices nets rajustés de Nova par le taux de redevance que la Cour estime équitable.
[99] Nova accepte que les qualités et sous-qualités contrefaites devraient être comptabilisées dans le calcul de la redevance raisonnable. Il est mutuellement convenu entre les parties que les qualités contestées n’ont pas été vendues durant la période de redevances. Cependant, Nova soutient que ce qu’elle décrit comme les « sous-qualités ZN non contrefaites » devraient être exclues du calcul de la redevance raisonnable payable à Dow.
[100] Je suis convaincu que les sous-qualités contrefaites sont celles incluses dans le jugement du juge O’Keefe sur Dow c. Nova. En appel, Nova n’a pas contesté l’inclusion des sous-qualités dans le jugement rendu par le juge O’Keefe. La décision d’exclure les dénommées « sous-qualités ZN non contrefaites » du calcul des dommages-intérêts et des bénéfices reviendrait à une contestation indirecte du jugement du juge O’Keefe. La preuve présentée par Nova dans ce renvoi pour appuyer son postulat que certaines sous-qualités ne peuvent avoir violé le brevet '705, car elles reposaient sur un changement de catalyseur aurait dû être présentée au juge O’Keefe. Quoi qu’il en soit, cette preuve n’est pas fiable. Les acheteurs des sous-qualités Nova ne sont pas indifférents à leurs propriétés ni à leur transformabilité. C’est pourquoi elles ont reçu leur propre désignation spécifique de Nova. Les sous-qualités sont souvent mélangées à d’autres qualités, et leurs caractéristiques de performance sont prises en compte par les clients de Nova. Pour tous les motifs précités, il convient de comptabiliser toutes les sous-qualités identifiées dans le jugement du juge O’Keefe dans le calcul de la redevance raisonnable.
F. Intérêts antérieurs au jugement
[101] Dans la décision Dow c. Nova, le juge O’Keefe a rendu l’ordonnance ci-après sur les intérêts antérieurs au jugement sur la redevance raisonnable payable par Nova à Dow (au paragraphe 283) :
[…]
4. Les demanderesses ont droit aux intérêts avant jugement sur le montant de l’indemnité raisonnable qui leur sera accordé en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets pour les actes de la défenderesse ainsi que sur le montant des dommages-intérêts qui leur seront octroyés (dans le cas où elles choisiraient d’être indemnisées par voie de dommages-intérêts), intérêts non composés, d’un taux d’intérêt à calculer séparément pour chaque année à compter du début de l’année de l’activité contrefaisante, égal au taux bancaire annuel moyen établi par la Banque du Canada comme taux minimum auquel elle consent des avances à court terme aux banques énumérées à l’annexe I de la Loi sur les banques, LC 1991, ch. 46. Cependant, cette décision est subordonnée à la condition que le juge chargé du renvoi n’accorde pas d’intérêts en vertu d’un droit visé à l’alinéa 36(4)f) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c F-7.
[102] Dow sollicite un taux d’intérêt antérieur au jugement plus élevé que le taux d’intérêt annuel appliqué dans les institutions bancaires. Dow prétend que les intérêts antérieurs au jugement pour la période d’indemnisation raisonnable devraient être calculés à partir des coûts annuels d’emprunt à partir d’une méthode de calcul simple.
[103] Nova affirme que Dow ne s’est pas prononcée sur l’alinéa 36(4)f) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, et que le taux applicable est par conséquent le taux d’intérêt bancaire. À titre subsidiaire, Nova déplore que les conclusions de M. Hamilton sur le taux d’intérêt antérieur au jugement à appliquer ne soient pas corroborées par la preuve. Dow répond que son énoncé des questions en litige renvoie au paragraphe 4 du jugement du juge O’Keefe et à l’alinéa 36(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales. Dow affirme qu’il s’agit d’une erreur de typographie, et qu’elle souhaitait faire référence à l’alinéa 36(4)f). Dow soutient aussi que Nova connaissait son avis sur l’alinéa 36(4)f) de la Loi sur les Cours fédérales et son opinion que le taux d’emprunt de Dow constitue une mesure adéquate, au moins depuis le rapport initial d’expertise présenté par M. Hamilton, reçu par Nova le 15 juillet 2016.
[104] M. Hamilton avait remarqué dans son rapport d’expertise initial qu’il avait [traduction] « pris connaissance des bilans financiers publiés par Dow pour les exercices terminés de 2001 à 2015, et constaté que Dow avait déclaré une dette à long terme variant entre 9,5 milliards et 24,3 milliards de dollars US, et un coût moyen pondéré annuel de la dette sur ces emprunts variant entre 5,1 % to 6,3 % ». M. Soriano n’a pas abordé les intérêts antérieurs au jugement pour la période d’indemnisation raisonnable dans son rapport d’expert, exception faite de sa mention d’avoir appliqué le taux d’intérêt bancaire sur demande de l’avocat.
[105] La preuve sur laquelle M. Hamilton a fondé ses conclusions était celle des bilans rendus disponibles au public des états financiers de Dow. Nova n’a pas mis en cause l’exactitude de ses calculs ni la légitimité de son analyse dans son rapport d’expert ou en contre-interrogatoire. En adoptant une démarche prudente, je constate que le taux d’intérêt antérieur au jugement adapté aux dommages-intérêts payables en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets est de 5 p. 100, non composé.
[106] Dans la décision Dow c. Nova, le juge O’Keefe remarque, au paragraphe 283 :
[…]
2. Les demanderesses ont le choix, après enquête et communication intégrale, entre une comptabilisation des profits de la défenderesse et des dommages-intérêts les indemnisant en totalité du préjudice subi par suite du manque à gagner qui découle directement pour elles de la contrefaçon par la défenderesse du brevet susmentionné. Ces dommages-intérêts ou les profits en question seront calculés dans le cadre d’un renvoi précédé par une communication préalable au besoin.
[…]
5. Si les demanderesses choisissent la comptabilisation des profits, le juge chargé du renvoi établira les intérêts applicables.
[107] Dow a choisi de comptabiliser les bénéfices de Nova issus des produits contrefaits.
A. Principes généraux
[108] Le recouvrement des bénéfices constitue un recours équitable qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. Une fois la méthode de calcul acceptée, le rôle de la Cour est d’évaluer les bénéfices réels dégagés par le défendeur par sa violation de brevet. Un demandeur a seulement droit à la portion des profits réalisés par le contrefacteur qui a un lien de causalité avec l’invention (Teledyne Industries Inc. c. Lido Industrial produits Ltd., [1982] A.C.F. no 1024 (QL) (1re inst.) (Teledyne), aux paragraphes 207 à 209; Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902 (Schmeiser), au paragraphe 101; Monsanto Canada Inc. c. Rivett, 2009 CF 317, [2010] 2 R.C.F. 93 (Rivett), au paragraphe 27).
[109] Le recours à la restitution des profits est une mesure réparatrice et non punitive (Schmeiser, au paragraphe 101; Lubrizol Corp. c. Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.) (Lubrizol), au paragraphe 15; AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc., [1995] A.C.F. no 744 (QL) (C.A.), au paragraphe 81). Comme le remarque le juge Zinn dans la décision Rivett, au paragraphe 22, « le transgresseur qui se trouve rétabli, par la restitution des profits, dans la situation qui aurait été la sienne s’il n’avait pas commis l’acte illégal ».
B. Recettes tirées de la vente
[110] Le fardeau de démontrer les montants des ventes ou des recettes liées à la violation de brevet revient au demandeur. M. Hamilton et M. Soriano, les témoins experts appelés aux noms de Dow et de Nova respectivement, étaient généralement en accord sur la valeur des recettes. Ils ont tous deux déclaré que leurs conclusions ne divergeaient qu’en raison de différentes hypothèses de départ qui leur avaient été mutuellement imposées par les avocats respectifs des parties que chacun représentait.
C. Qualités contestées et sous-qualités contrefaites
[111] Pour les motifs précédemment explicités, les recettes découlant de la violation par Nova du brevet '705 comprennent celles dégagées des ventes des qualités contestées et des sous-qualités contrefaites.
D. Bénéfices indirects
[112] Si Nova n’avait pas contrefait le brevet '705, Nova aurait dû attendre un certain temps suivant l’arrivée à échéance du brevet pour que ses ventes atteignent le même niveau que celui des ventes de produits contrefaits dont Nova jouissait en avril 2014. Dow affirme que la violation par Nova du brevet '705 a constitué pour elle un « tremplin » qui a permis à ses ventes de faire un bond sur le marché et, par conséquent, que Nova a continué de profiter de ses activités de contrefaçon après l’arrivée à échéance du brevet '705. Dow affirme avoir droit à ces « bénéfices de rebond » du 20 avril 2014 au 31 décembre 2015.
[113] Dans la décision AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2015 CF 671 (AstraZeneca), au paragraphe 7, le juge Barnes a reconnu la possibilité d’octroyer des dommages-intérêts au titre de l’effet de tremplin dans une action en brevet :
[…] À mon avis, les dommages-intérêts de cette nature ne sont rien de plus qu’un type de perte et ne sont nullement différents des autres dommages-intérêts. Ils doivent être établis ou réfutés au moyen d’éléments de preuve. Il n’est donc pas nécessaire de parler des dommages-intérêts fondés sur la règle dite du « tremplin » ou de toute autre forme particulière de dommages-intérêts à la phase de l’examen de la responsabilité.
[114] Dans la décision Bayer Cropscience KK v. Charles River Laboratories Preclinical Services Edinburgh Limited & Albaugh Inc., [2010] CSOH 158 (Bayer Cropscience), la Court of Session d’Écosse a reconnu que le recours pour l’effet de tremplin devrait être pris en compte pour le recouvrement des bénéfices ainsi que pour les dommages-intérêts. Lord Malcolm, cité dans la décision antérieure du tribunal des brevets dans Gerber Garment Technology Inc. v. Lectra Systems Ltd., [1995] R.P.C. 383, confirmé dans [1997] R.P.C. 443 (C.A.), avait décrit un contrefacteur établissant un [traduction] « pont » ou un [traduction] « tremplin » pour les ventes avant l’arrivée à échéance d’un brevet. Il continue au paragraphe 9 :
[traduction] […] Vu qu’il est bien compris qu’une restitution des profits et une étude des dommages opèrent sur le principe commun de la causalité de droit […], je ne constate aucune bonne raison pour laquelle cette conclusion ne devrait pas s’appliquer aux deux formes de recours […] [I]l serait très surprenant que les réclamations au titre de l’effet de tremplin n’étaient possibles que pour les dommages-intérêts, et non pour le recours alternatif d’une restitution des profits réalisés par l’auteur du tort.
[115] Nova remarque que malgré la reconnaissance par la jurisprudence canadienne de la possibilité d’octroyer des dommages-intérêts liés à l’effet de tremplin, aucun tribunal canadien n’a accordé de bénéfices de rebond après postérieurement à l’arrivée à échéance d’un brevet. Nova soutient qu’en acceptant le paiement d’une redevance à titre d’indemnisation raisonnable, et en choisissant la restitution des profits, Dow est réputée avoir toléré la violation par Nova du brevet '705, et Nova est réputée avoir continué ses activités contrefaisantes à titre de mandataire de Dow. Selon Nova, l’arrivée à échéance du brevet de Dow en 2014 a mis fin à la relation de mandataire et à la nature contrefaisante des activités de Nova. Il ne convient donc pas de comptabiliser aucun bénéfice dégagé par Nova suivant l’arrivée à échéance du brevet '705. Tout bénéfice que Nova pourrait avoir tiré de son « tremplin » sur le marché suivant l’arrivée à échéance du brevet a été équitablement acquis par le versement d’une redevance raisonnable et/ou une restitution des profits.
[116] La conclusion de Nova que le paiement d’une redevance et la restitution du montant des bénéfices qualifient un cautionnement des activités d’un contrefacteur trouve certains appuis dans la jurisprudence canadienne. Dans la décision Ductmate Industries Inc. c. Exanno Products Ltd., [1987] A.C.F. no 479 (QL) (1re inst.), au paragraphe 15, le juge Reed a indiqué ce qui suit :
[…] Un relevé des bénéfices procède du principe que le défendeur est considéré comme le fiduciaire du demandeur. Dans l’ouvrage Patents for Inventions (4e éd., 1974) rédigé par T.A. Blanco White, les explications suivantes sont données à la page 430 :
[traduction] Un relevé des bénéfices (en vertu duquel l’entreprise du défendeur, dans la mesure où elle se rapporte aux contrefaçons du brevet en cause, est considérée comme ayant été exploitée pour le compte du breveté)...
Et, dans Fisher and Smart on Patents (Canada Law Book, 1914), à la page 228 :
[traduction]… En choisissant de prendre ces bénéfices, le demandeur ferme les yeux sur la contrefaçon, et adopte ce qui a été fait par le défendeur, qui peut dans l’enquête être considéré comme le mandataire ou le fiduciaire du demandeur. (American Braided Wire Co. c. Thompson, [1890] 7 R.P.C. 138.)…
[117] Dans l’arrêt Beloit Canada Ltée. c. Valmet-Dominion Inc., [1997] 3 C.F. 497 (C.A.), au paragraphe 100, la Cour d’appel fédérale a statué que :
Dans le cadre de l’equity, la restitution était accordée à l’encontre de la personne qui avait violé un brevet, un droit d’auteur ou une marque de commerce au motif que celle-ci avait agi à titre de mandataire du titulaire du droit auquel il avait été porté atteinte et qu’elle était donc tenue de rendre compte des bénéfices réalisés par suite de cette atteinte. En conséquence, on considérait que le titulaire de brevet qui demandait une restitution des bénéfices avait admis l’atteinte et ne pouvait réclamer des dommages-intérêts en sus de la restitution. [Note en bas de page omise.]
[traduction] Par uniformité de raisonnement, les demandeurs affirment que le choix de la restitution ne signifie pas qu’ils acceptent ou cautionnent la violation de brevet. Ils ont simplement choisi l’un de deux types of recours prévus par le paragraphe 96(2) [de la Copyright, Designs and Patents Act 1988 (U.K.), 1988, c. 48] pour atteinte à leurs droits. Qu’ils soient ou non autorisés à recevoir une restitution des profits en vertu du paragraphe 96(2) et à d’autres dommages statutaires en vertu du paragraphe 97(3) doit être établi sur examen de la possible incohérence entre ces deux formes de recours et de leur exclusivité mutuelle, et non en prétendant que les demandeurs ont approuvé les activités du défendeur et par conséquent ne pourraient plus déplorer leur flagrance. À mon avis les demandeurs ont raison.
[119] Selon Dow, « le contrefacteur d’un brevet doit être considéré comme le fiduciaire du demandeur, et comme un fiduciaire ayant frauduleusement détourné des fonds » (citant Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp., [1995] 1 C.F. 483 [à la page 503], [1994] A.C.F. no 1514 (QL) (C.A.) (Reading & Bates), au paragraphe 40).
[120] Je n’ai pas été persuadé que le manquement de Nova à plaider explicitement le cautionnement dans son énoncé des questions en litige l’empêche de se défendre devant l’allégation formulée par Dow et fondée sur le tremplin de profits pour ce motif. Tout comme le juge Barnes avait observé sur AstraZeneca, les dommages-intérêts correspondant à l’effet de tremplin peuvent être octroyés même s’ils n’ont pas été explicitement évoqués à la phase de l’examen de la responsabilité, l’idée de cautionnement est implicite dans toute analyse destinée à calculer une redevance raisonnable ou une restitution des profits dégagés par un défendeur à titre de mandataire du titulaire du brevet. Dans le présent contexte, le cautionnement ne revient pas à une approbation des gestes posés par le contrefacteur. Il correspond plutôt à une reconnaissance que le « fiduciaire coupable de détournement » doit verser une contrepartie pour sa violation de brevet. La fonction de la restitution des profits est simplement de remettre au demandeur les bénéfices dégagés par le défendeur par la violation du brevet (Diversified produits Corp. c. Tye-Sil Corp., [1990] A.C.F. no 952 (QL) (1er inst.) (Tye-Sil), au paragraphe 6; Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, [1992] A.C.F. no 825 (QL) (C.A.) (Beloit 1992), au paragraphe 10).
[121] Nova doit verser à Dow une redevance raisonnable pour la violation par Nova du brevet entre le 9 décembre 2004 et le 21 août 2006. M. Leonard et M. Heeb ont tous deux témoigné que la durée de la licence aux fins du calcul de la redevance raisonnable commence à la date de la première violation du brevet '705 et prend fin à son échéance.
[122] Dans sa conclusion finale, l’avocat de Nova a fait valoir le postulat implicite dans les expertises de M. Leonard et de M. Heeb, postulat voulant que le taux de redevance tienne compte de l’arrivée à échéance du brevet et de toute période d’effet de tremplin qui en a résulté. L’avocat de Dow oppose que le recouvrement des bénéfices devrait être examiné distinctement des dommages sous la forme d’une redevance raisonnable.
[123] Dow a droit à certains octrois en vertu des paragraphes 55(1) et 55(2) de la Loi sur les brevets. Même si les taux de redevance calculés par M. Heeb et M. Leonard peuvent être considérés comme incluant la période suivant l’arrivée à échéance du brevet '705, la redevance n’indemnise Dow que pour la violation du brevet par Nova durant la période du 9 décembre 2004 au 21 août 2006. Le recouvrement des bénéfices englobe une période beaucoup plus longue.
[124] Tout recouvrement des bénéfices doit être examiné en relation à une situation hypothétique, dans laquelle le défendeur n’a pas violé le brevet du demandeur. Dans la présente hypothèse, au moment de l’arrivée à échéance du brevet, la défenderesse n’avait pas encore commencé à fabriquer le produit contrefait. Je me rallie à l’avis du juge Barnes et j’estime que les dommages-intérêts au titre de l’effet de tremplin relèvent purement du type de perte devant être démontrée par preuve, et je ne constate aucun motif pour que ce principe soit appliqué différemment aux gains d’un demandeur dans un contexte de recouvrement des bénéfices.
[125] M. Dunn a témoigné qu’en faisant abstraction de la cause proche, Nova aurait eu à franchir deux étapes avant de pouvoir mettre en vente les produits contrefaits. En premier lieu, Nova aurait eu à développer les produits, incluant les essais et la génération de données pour démontrer aux clients que les produits peuvent être utilisés pour des applications spécifiques. En second lieu, les produits auraient dû être qualifiés pour leur utilisation pour les applications spécifiques de chaque client. M. Dunn a témoigné qu’en faisant abstraction de la cause proche, suivant l’arrivée à échéance du brevet '705, et selon l’application — p. ex. : emballage alimentaire, couches et produits d’hygiène, pellicules agricoles, pellicules rétrécissables, sacs industriels, film étirable, sacs et emballages domestiques, sacs à ordures et revêtements industriels — Nova aurait pris entre 15 et 36 mois pour achever les deux étapes.
[126] M. Leonard a affirmé que le temps qu’aurait pris Nova pour faire décoller ses ventes de produits contrefaits en 2002 permet d’appuyer certaines preuves sur le temps qu’aurait pris Nova pour lancer ses ventes, en l’absence de la cause proche, suivant l’arrivée à échéance du brevet '705. M. Leonard a indiqué que l’utilisation des données de vente de 2002 était un choix prudent, puisqu’en 2014, le marché était plus mature, et que les autres produits de mPEBDL, tels que ELITE, auraient capté la plupart des clients significatifs à ce moment.
[127] M. Hamilton a calculé les recettes attribuées à la période d’effet de tremplin dans trois différents scénarios : i) une période de développement de 12 mois avec un délai moyen de qualification pour chaque demande; ii) une période de développement de 12 mois avec une période de qualification additionnelle de 3 mois, avec en plus une période de démarrage calculée d’après les taux de démarrage mensuels indiqués dans le premier rapport de M. Leonard; et iii) une période de démarrage calculée avec les taux de démarrage annuels tirés du rapport de réponse de M. Leonard.
[128] M. Kelusky a témoigné sur les conditions dans lesquelles Nova pourrait avoir pénétré le marché des mPEBDL suivant l’arrivée à échéance du brevet '705. Il ne s’est pas sérieusement intéressé aux estimations de M. Dunn sur les délais de qualification des produits pour différentes applications. Il a toutefois exprimé son opinion qu’en 2014, Nova aurait atteint le pic de ses ventes de SURPASS plus rapidement qu’elle ne l’avait fait en 2001, lorsqu’elle avait mis en vente ses produits SURPASS. Ce qui ressort de son témoignage est que la période de démarrage aurait été considérablement plus courte si le brevet n’avait pas été violé. M. Kelusky n’a pas présenté de preuve conséquente pour appuyer cette affirmation spéculative. Il ne participe plus aux activités commerciales de Nova depuis 2010. Son rapport ne formule pas le fondement de ses conclusions concernant le marché des mPEBDL en 2014, notamment son analyse sur l’alignement des prix avec ceux du FPs317-A, ainsi que sur le prix des matières premières, l’exploitation des usines ou l’évacuation des déchets. Par conséquent, je donne peu de poids à son avis.
[129] M. Heeb a suggéré que le taux de démarrage de Nova suivant l’arrivée à échéance du brevet '705 devrait être calculé d’après les ventes réelles de produits Nova de qualités expérimentale et commerciale durant la période 2014-2015. Il a déclaré que Nova aurait initialement adopté la même stratégie agressive d’établissement des prix qu’elle avait appliquée à certains produits en 2006. Il a supposé qu’une fois atteint le pic de ventes mensuelles d’un produit, les ventes en auraient été soutenues à chaque mois subséquent, une hypothèse qui n’est pas corroborée par les données. Il a ensuite appliqué ces taux aux ventes réelles par Nova de produits contrefaits après l’arrivée à échéance du brevet '705. À mon avis, l’analyse de M. Heeb est spéculative et n’est pas corroborée par la preuve. Je n’accueillerai pas cette analyse.
[130] Je suis convaincu que sans l’effet de la violation du brevet, dans un scénario où Nova aurait été incapable de pénétrer le marché des mPEBDL jusqu’à l’arrivée à échéance du brevet '705, cette dernière aurait pris un certain temps à surmonter la présence bien établie des produits de Dow, et à faire accélérer ses ventes au niveau qu’elle a atteint grâce à la violation du brevet. Je suis surtout persuadé par un troisième scénario calculé par M. Hamilton, fondé sur le pourcentage de démarrage mensuel présenté par M. Leonard dans son rapport de réplique. Cette analyse se fonde sur les véritables données enregistrées par Nova pour ses périodes de démarrage antérieures, c’est-à-dire sur des données réelles. Elle prend aussi en considération les bénéfices cumulatifs historiques de Nova pour les 11 premiers mois au cours desquels les produits contrefaits étaient offerts à la vente, et repose sur l’hypothèse d’un taux de démarrage effectif de zéro au cours de cette période initiale. Cette méthode est juste et équilibrée.
E. Frais déductibles
[131] Après la comptabilisation des recettes, le défendeur doit établir la preuve, de manière générale, de tous les frais à déduire (Tye-Sil, au paragraphe 11; Rivett, au paragraphe 67). Tout doute doit être tranché en faveur du demandeur (Rivett, au paragraphe 67). Le grand principe qui s’applique aux dossiers d’enrichissement indu est que le fond doit avoir préséance sur la forme (Lubrizol, au paragraphe 8, citant Dart Industries Inc. v. Decor Corporation Pty Ltd., [1993] HCA 54 (AustLII), (1993), 179 C.L.R. 101 (Dart Industries), à la page 111 [paragraphe 5 sur AustLII]).
[132] M. Soriano et M. Hamilton ont tous les deux convenu de la méthode de déduction des coûts variables. Les deux experts se sont fondés sur les bilans des ventes consolidées de Nova pour établir le coût variable des matières premières (hors éthène), de l’emballage, du transport, des frais de douanes, et des commissions extérieures. Les deux experts ont utilisé la même méthode pour établir le coût variable des coûts variables attribués aux [traduction] « Services » et à la catégorie « Autres » sur les déclarations de revenus. Les deux experts ont aussi considéré comme variables les frais fixes attribués aux « rajustements des stocks », « opérations de change », et « Autres » sur les déclarations de revenus pour AST. Chacun a attribué ces frais aux produits contrefaits d’après leur proportion relative de volumes facturés.
[133] On compte deux différends centraux entre les parties : 1) la mesure correcte du coût de l’éthène employé pour fabriquer les produits contrefaits; et 2) la déductibilité de l’amortissement proportionnel du capital et des frais fixes liés à l’exploitation de l’usine PE2.
[134] Nova affirme que la véritable valeur économique de l’éthène correspond à sa valeur dans une opération de marché, que l’éthène soit produit par Nova ou par un tiers, utilisé pour fabriquer des produits contrefaits ou non, et que ces produits soient vendus à des tiers ou utilisés par l’entité productrice. Nova prétend donc que la bonne mesure pour établir le coût déductible de l’éthène est celle du prix moyen de vente par un tiers (c.-à-d., le prix du marché). À titre subsidiaire, Nova sollicite l’application de la méthode du coût de revient complet à sa fabrication de l’éthène, notamment une proportion des coûts variables, fixes et en capital.
[135] Dow affirme que Nova ne doit être autorisée à déduire que les coûts réels encourus pour obtenir l’éthène qu’elle a utilisé pour fabriquer les produits contrefaits. Puisque Nova produisait son propre éthène à ses usines E1, E2 et E3 à ses installations de Joffre, en Alberta, la bonne mesure pour établir le coût déductible de l’éthène correspond au coût de fabrication variable de Nova. Dow affirme que le postulat de Nova se fonde sur sa capacité de vendre de l’éthène à des tiers, ou de vendre des produits de polyéthylène alternatifs non contrefaits fabriqués à l’usine PE2. Or, Nova n’a pas démontré qu’il existait une demande distincte d’éthène et de polyéthylène non contrefait. Dow remarque aussi que Nova n’a démontré aucun aspect du supposé prix du marché qu’elle avance, ni que Nova a refusé de répondre de manière conséquente aux questions préalables de Dow sur le sujet.
[136] En réponse au postulat alternatif de Nova, Dow affirme que Nova ne devrait pas être autorisée à déduire un coût de l’éthène qui inclut ses frais de production fixes (c.-à-d., méthode du coût de revient complet). Selon Dow, cela aurait été suggéré pour la première fois dans le second rapport d’expert de M. Soriano, et la déduction des frais fixes associés à la fabrication de produits contrefaits n’est pas appuyée par la jurisprudence canadienne.
[137] Il est incontestable que Nova a bénéficié de l’« Alberta Advantage » dans la production de l’éthène. Elle a produit de l’éthène à sa propre usine de Joffre (Alberta) à un prix considérablement moins élevé que le prix en vigueur sur le marché de l’éthène. Cet éthène a ensuite été utilisé pour produire du polyéthylène à l’usine PE2.
[138] Le recouvrement des bénéfices a pour objectif d’apporter au demandeur tous les bénéfices dégagés par le défendeur par la violation de brevet. Dans ce dessein, il faut évaluer le contrefacteur dans sa véritable situation (Schmeiser, aux paragraphes 103 à 105; Norman V. Siebrasse et Alexander J. Stack, « Monetary Relief – Quantum » dans Ronald E. Dimock, Intellectual Property Disputes : Resolutions & Remedies (Toronto : Thomson Reuters, 2016), à la page 19-73; voir aussi Tye-Sil, au paragraphe 6; Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458, au paragraphe 34).
[139] Le recouvrement des bénéfices devrait se fonder sur les recettes et les coûts réels (Rivett, au paragraphe 92). Dans le cas présent, Nova a joui d’un avantage économique en matière du coût de l’éthène, dont les bénéfices doivent maintenant revenir à Dow. Nova n’a pas payé le juste prix du marché pour l’éthène qu’elle a utilisé pour fabriquer ses produits contrefaits. Alors que Nova tenait des registres commerciaux distincts indiquant le « prix de cession » de l’éthène pour le segment de l’Ouest des oléfines, lequel produisait l’éthène à l’usine de Joffre, Nova concède que l’éthène était produit par la même corporation qui produisait les produits contrefaits, nommément Nova Chemicals Corporation. Nova ne prétend pas que le « prix de cession », c.-à-d., le prix enregistré dans plusieurs bilans internes de Nova, constitue la mesure juste du coût de l’éthène. En termes clairs, le postulat de Nova voulant qu’il faudrait appliquer le juste prix du marché se fonde sur un coût théorique qu’elle n’a pas encouru.
[140] En me fondant résolument sur les recettes et les coûts réels, je conclus que Nova devrait être autorisée à appliquer la méthode du coût de revient complet pour déduire les coûts associés à la production de l’éthène. En conséquence, les coûts, variables ou fixes, réellement encourus par Nova pour produire l’éthène qui a été utilisé pour fabriquer les produits contrefaits, sont correctement déduits comme coût variable des produits contrefaits. Alors que Dow déplore que la déduction des frais fixes liés à l’éthène ait été initialement soulevée dans une [traduction] « réplique indue » dans le second rapport de M. Soriano, les bons coûts à déduire dans un recouvrement des bénéfices sont pour la Cour une question de droit. Je suis convaincu que tout effet préjudiciable du second rapport de M. Soriano est atténué par sa valeur probatoire.
2) Frais fixes et amortissement des immobilisations
[141] Le second litige entre les parties est celui de savoir si les coûts en capital ou les frais d’amortissement devraient s’appliquer contre les recettes pertinentes.
[142] Il existe plusieurs méthodes reconnues pour comptabiliser les bénéfices. Ces méthodes comprennent entre autres la méthode de « profit différentiel », celle du « coût variable », celle du « coût marginal » ou « coût différentiel »; ainsi que la méthode du « coût de revient total ». Le choix de méthode influence les déductions autorisées, et si la Cour prendra en compte les PANC.
[143] Avec la méthode du profit différentiel, les bénéfices qui devront être restitués sont ceux dégagés par la violation de brevet, soustraits des bénéfices qui auraient été dégagés si le contrefacteur avait produit un PANC (Rivett, au paragraphe 29). La Cour suprême du Canada qualifie cette méthode de [traduction] « méthode préconisée » (Schmeiser, au paragraphe 102; voir Apotex Inc. c. ADIR, 2017 CAF 23 (<I>ADIR</I>), au paragraphe 28). Le PANC doit être un réel substitut ou une réelle alternative (Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2015 CAF 171, [2016] 2 R.C.F. 202 (Merck & Co.), au paragraphe 73).
[144] Avec la méthode du coût marginal, les bénéfices à restituer se calculent en soustrayant des revenus applicables tout coût variable attribuable à l’invention, et tout coût fixe ou en capital attribuable à l’invention (Rivett, au paragraphe 30).
[145] Avec la méthode du coût de revient total, les bénéfices à restituer sont les revenus applicables soustraits des frais variables et fixes applicables, et une proportion de certains frais fixes et en capital (Rivett, au paragraphe 32). Le juge Zinn a remarqué, dans la décision Rivett, au paragraphe 33, que « [s]i la Cour a jamais avalisé la méthode de la totalité des coûts, ce n’est pas de date récente. »
[146] Dans le présent renvoi, Nova concède qu’il n’existait aucun [traduction] « produit alternatif non contrefait direct » offert sur le marché aux fins de l’application de la méthode des [traduction] « profits différentiels ». Par ailleurs, Nova affirme que ses coûts marginaux sont négligeables et que l’application de la méthode du « coût marginal » serait [traduction] « manifestement inéquitable ». Malgré cela, Nova prétend qu’elle devrait être autorisée à déduire les bons frais variables, fixes et en capital puisque sans l’effet de la cause proche, elle aurait produit ce qu’elle qualifie de [traduction] « produits alternatifs non contrefait indirects ».
[147] Nova relève que le critère pour la déduction des frais fixes devrait être la question de savoir si [traduction] « un contrefacteur aurait fabriqué ou vendu des produits non contrefaits s’il n’avait pas commis de contrefaçon et avait encouru des coûts indirects auxiliaires à la fabrication ou la vente ». À titre subsidiaire, Nova affirme que l’usine PE2 était exploitée à pleine capacité durant les périodes pertinentes, toujours dans le but d’optimiser les bénéfices.
[148] Dow affirme que la méthode du coût de revient total préconisée par Nova a été plusieurs fois rejetée par les Cours canadiennes, car les frais fixes, qui demeurent inchangés, ne sont pas attribuables de manière causative à la violation de brevet. À titre subsidiaire, Dow affirme que Nova doit prouver ce qui suit avant que les coûts fixes et en capital puissent être déduits : i) les actifs de production de Nova fonctionnaient à pleine capacité; ii) la demande était assez élevée pour remplacer la production de produits contrefaits par des produits alternatifs; et iii) les bénéfices qui en auraient résulté auraient suffi à couvrir les frais fixes et en capital en question. Dow affirme que Nova n’a pas prouvé ces conditions.
[149] Selon Nova, si elle n’avait pas fabriqué les produits SURPASS contrefaits, elle n’en aurait pas moins exploité la capacité de l’usine PE2 pour fabriquer et vendre d’autres produits incluant, en dernier recours, les produits de qualité « seau et cageot ». Nova fait aussi valoir qu’elle aurait pu fabriquer et vendre de petits volumes de produits SCLAIR non contrefaits pour des qualités SURPASS spécifiques utilisées par certains clients. Cependant, ces qualités ne représentent que 4 p. 100 des PANC proposés. Nova affirme que les bénéfices issus des ventes de tous les produits non contrefaits auraient suffi à couvrir les frais fixes et en capital non marginaux attribués aux produits SURPASS contrefaits.
[150] Dow déplore que Nova se soit opposée, en interrogatoire préalable, aux questions portant sur la défense par Nova liée aux PANC indirects. Dow remarque aussi que le témoignage présenté par Nova était de niveau élevé et général, et omettait des détails importants, notamment l’ampleur du marché dans diverses régions, les concurrents sur le marché, le segment de marché des produits Nova, des exemples de clients représentant une demande complémentaire, ou toute analyse de l’impact possible d’un approvisionnement possible sur les prix.
[151] Malgré la réticence de Nova à donner des précisions en interrogatoire préalable, je suis convaincu que Dow a reçu une possibilité juste de contester la preuve apportée par Nova pour démontrer la disponibilité de PANC indirects. Dow était en mesure de démontrer que le marché des produits de qualité seau et cageot est un marché complexe qui n’est pas nécessairement toujours profitable. John Hotz, ancien vice-président de Nova responsable du polyéthylène, a confirmé que sur le marché nord-américain [traduction] « les clients ont parfois des stocks suffisants, ou la demande est insuffisante » que [traduction] « l’établissement des prix est trop fluide », et que parfois [traduction] « il n’y a pratiquement aucune demande. » Mark Kay, le directeur du segment de marché des pellicules de performance, a reconnu qu’il existait un effet défavorable sur les prix sur le marché nord-américain des seaux et des cageots lorsque Nova a eu à vendre [traduction] « 50 ou 100 wagons [...] en 30 [ou 45] jours ». Il est incontestable que Nova aurait eu à vendre plus de 50 wagons porte-rails par mois de produits additionnels de qualité « seau et cageot » pour remplacer toutes ses ventes of SURPASS. M. Kay a aussi reconnu que Nova a vendu chaque année des produits de qualité « seau et cageot » sur le marché asiatique, bien que cela soit pour Nova un « dernier recours », une fois taries les occasions en Amérique du Nord.
[152] Les témoins de Nova ont affirmé que toutes les qualités sur le marché du « seau et cageot » sont généralement interchangeables, et ont caractérisé le marché du « seau et cageot » comme un marché de [traduction] « très, très vaste » de [traduction] « produits de commodité ». La gamme de produits fabriqués à l’usine PE2 est variée, et comprend des qualités « de base », notamment pour assurer que l’usine vend tous ses produits peu importa les conditions du marché, à quelques exceptions près. Dans les faits, l’usine PE2 écoulait réellement tous ses produits de 2006 à 2014, à l’exception d’une courte période pendant la récession de 2008.
[153] D’après les témoins de Nova, l’ampleur des marchés des « produits de base » lui aurait permis de remplacer ses ventes de produits SURPASS contrefaits (100 à 150 millions de livres chaque année) par des produits non contrefaits : a) le marché polyéthylène tend à croître avec le PIB [produit intérieur brut] chaque année; b) le marché nord-américain était d’environ 24 milliards de livres chaque année, incluant environ 1,5 à 2,0 milliards de livres de produits de qualité « seau et cageot »; c) le marché chinois apportait un autre 30 à 32 milliards de livres, incluant 15 à 16 milliards de livres de qualités cageot; et d) Nova était toujours en mesure de vendre tous les volumes de produits de qualité « seau et de cageot » qu’elle avait à vendre.
[154] Mme Van Holst, directrice de la logistique chez Nova, a témoigné que l’usine PE2 écoulait toute sa production tout au long de la période au cours de laquelle elle en assurait la gestion, de 2009 à 2014. D’après Mme Van Holst : a) l’usine PE2 était destinée à rouler 24 heures par jour, 7 jours par semaine, et chaque heure de fonctionnement et de non-fonctionnement des réacteurs fait l’objet d’un suivi, et les causes de tout non-fonctionnement sont enregistrées; b) la capacité « nominale » de l’usine représente le rythme maximum auquel l’usine peut rouler de manière continue; c) les événements qui causent une perte de temps de fonctionnement du réacteur qui sont « extérieurs » à l’usine, tels que les événements émanant du marché, les pénuries de matières premières, les problèmes de charge d’alimentation, ou les wagons-trémies, sont suivis dans un registre des temps d’immobilisation; d) aucun temps d’immobilisation des réacteurs enregistré à l’usine PE2 durant la période de la fin 2009 à 2014 n’a été causé par les conditions du marché; et e) les seules « pertes commerciales » enregistrées à l’usine PE2 entre 2002 à 2015 ont été subies en 2005 (551,6 heures), 2008 (288 heures) et 2009 (25,8 heures).
[155] M. Leonard a tenté de réfuter le témoignage de Mme Van Holst en ajustant la capacité nominale pour 2014 de 1 000 millions de livres pour PE2 au niveau de production de 1,057 millions de livres atteint en 2014, ce qu’elle a appliqué rétroactivement. À mon avis, il s’agissait d’un exercice factice qui ne tenait pas compte de la description non contestée de la capacité « nominale » comme la capacité maximale que peut durablement maintenir l’usine.
[156] M. Leonard a reconnu que si son hypothèse concernant les données ajustées sur l’utilisation de la capacité de l’usine PE2 n’était pas été acceptée, ou s’il était constaté que l’usine PE2 était utilisée à plein rendement lorsqu’elle n’enregistrait aucune perte commerciale (tous les ans de la période de violation sauf 2008 et un jour en 2009), alors l’usine aurait écoulé tous ses produits, à un niveau suffisant pour couvrir tous les frais fixes.
[157] Nova a tenu des registres détaillés de l’exploitation de l’usine PE2. Ces registres, conjugués au témoignage de Mme Van Holst, démontrent que Nova a cherché à continuer d’exploiter l’usine PE2 à plein rendement. Le témoin appelé par Dow, M. Thomson, a confirmé qu’il s’agissait d’une pratique courante dans l’industrie du polyéthylène. Pendant la période applicable, Nova a produit des milliards de livres de polyéthylène à l’usine PE2. La preuve établit que la grande majorité du temps d’immobilisation de l’usine avaient été causés par des activités d’entretien et d’autres raisons extérieures. Les temps d’immobilisation causés par une trop faible demande commerciale étaient négligeables.
[158] Je suis convaincu que si Nova n’avait pas fabriqué de produits contrefaits, elle se serait acharnée à exploiter l’usine PE2 pour fabriquer d’autres produits, notamment ceux appartenant à la catégorie seau et cageot ou encore d’autres résines qui forment la « gamme de produits » de Nova. Je suis aussi convaincu que Nova aurait vendu ces autres produits sur des marchés en Amérique du Nord ou en Asie. Il est important de rappeler l’observation du juge Reed dans la décision Tye-Sil que cette catégorie de preuve ne doit pas être présentée dans tous ses détails (au paragraphe 11). Je n’ai aucun doute que les déclarations faites par les témoins appelés par Nova étaient fondées sur des connaissances et leur expérience directes.
[159] Dow demande à la Cour de prendre en compte le rendement de l’usine B-line de Nova à Sarnia (Ontario). Cependant, les produits contrefaits étaient produits seulement à l’usine PE2 à Joffre (Alberta). L’usine PE2 était facile d’accès par les ports de la côte Ouest, et était donc en bonne position pour la fabrication de produits destinés aux marchés asiatiques. À mon avis, le rendement de l’usine PE2 devrait être évalué par la preuve de l’exploitation de cette usine, et non d’usines situées ailleurs.
[160] M. Hamilton au nom de Dow, et M. Soriano au nom de Nova, ont reconnu que si l’exploitation à plein rendement de l’usine PE2 pouvait être démontrée, la méthode du coût de revient complet serait, d’une perspective comptable, la bonne méthode de calcul des coûts.
[161] La Cour d’appel fédérale a décrit l’arrêt Dart Industries comme donnant une « bonne idée de la nature, de l’étendue et des principes qui régissent le recours consistant à faire rendre compte des bénéfices » (Lubrizol, au paragraphe 8). Dans l’arrêt Dart Industries, la Haute Cour d’Australie a défini la bonne méthode pour calculer équitablement les bénéfices dans les situations où les coûts indirects attribués aux produits contrefaits seraient autrement attribués à la fabrication ou à la vente d’autres produits non contrefaits, et où un défendeur ne pourrait pas appliquer la méthode connue au Canada comme méthode des « profits différentiels ». La Haute Cour a indiqué que lorsqu’une usine de fabrication fonctionne à plein rendement de production, il pouvait être déduit de la preuve que si le défendeur n’avait pas fabriqué ou mis sur le marché des produits contrefaits, la capacité utilisée pour fabriquer les produits contrefaits aurait été utilisée pour fabriquer et mettre en marché les produits alternatifs (Dart Industries, aux paragraphes 13 et 14; voir aussi LED Builders Pty Ltd. v. Eagle Homes Pty Ltd., [1999] FCA 584 (AustLII), aux paragraphes 157 à 165). La Haute Cour a ainsi décrit la justification sous-jacente de cette méthode (Dart Industries, aux pages 114 et 115 [paragraphes 14 et 15 sur AustLII]) :
[traduction] […] [I]l y aurait une réelle iniquité si un défendeur se voyait refuser une déduction des coûts de renonciation, et de déduire les coûts indirects pour maintenir la capacité qui aurait été utilisée pour un produit alternatif et qui a été en fait utilisée pour le produit contrefait. Si les deux étaient refusés, le défendeur serait dans une situation plus défavorable que s’il n’avait pas utilisé l’invention brevetée. L’objectif de la restitution des profits n’est pas de punir le défendeur, mais bien d’empêcher l’enrichissement inéquitable.
Lorsque le défendeur a renoncé à la possibilité de fabriquer et de vendre des produits alternatifs, il est généralement opportun d’attribuer au produit contrefait une proportion des frais généraux qui auraient pu maintenir l’opportunité. Par contre, si aucune opportunité n’a fait l’objet d’une renonciation, et si les coûts indirects encourus l’avaient été dans toutes les situations, il ne convient pas d’attribuer des coûts indirects au produit contrefait. Autrement, le défendeur serait dans une meilleure position qu’il ne l’aurait été s’il n’avait pas commis la violation du brevet. It n’est pas pertinent que le produit n’ait pas été fabriqué ou vendu sans que ne soient encourus ces coûts indirects. Il n’est pas non plus pertinent que la méthode comptable d’absorption attribue une proportion des coûts indirects au produit contrefait. Le principe d’équité qui sous-tend la restitution des profits n’est pas d’indemniser le demandeur, ni d’établir un prix juste du produit contrefait, mais bien d’empêcher l’enrichissement injuste du défendeur.
[162] Dans l’arrêt Hollister Incorporated Dansac AS v. Medik Ostomy Supplies Ltd., [2012] EWCA Civ. 1419 (BAILII), la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles a pris connaissance de l’arrêt Dart Industries, et reconnu qu’une condition suspensive de l’application de la méthode du coût de revient total est que l’entreprise doit rouler à plein rendement (aux paragraphes 80 à 86; voir aussi Design & Display Ltd. v. Ooo Abbot & Anor, [2016] EWCA Civ. 95 (BAILII), aux paragraphes 38 à 48).
[163] Je n’interprète pas la jurisprudence canadienne comme limitant la possibilité d’appliquer la méthode du coût de revient total dans des circonstances adaptées. La loi qui régit le recouvrement des bénéfices a systématiquement mis les cours en garde contre les dommages-intérêts punitifs. Vu les circonstances qui entourent le présent dossier, a fortiori le modèle de fabrication spécifique à l’industrie du polyéthylène, il serait punitif de ne pas autoriser Nova à déduire une proportion de certains coûts fixes et en capital des recettes dégagées par la vente de produits contrefaits.
[164] Tel que le relève la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Schmeiser, « Il faut comparer le profit que l’invention a permis au défendeur de réaliser à celui que lui aurait permis de réaliser la meilleure solution non contrefaisante » (au paragraphe 102). La « meilleure solution non contrefaisante » a généralement été interprétée comme un « produit de substitution » ou un « véritable choix » (Merck & Co., au paragraphe 73). Mais les tribunaux d’appel ont souvent cherché à atténuer les octrois excessivement généraux, notamment lorsqu’ils avaient méconnu les bénéfices alternatifs (Schmeiser; Collette v. Lasnier (1886), 13 R.C.S. 563, à la page 576; <I>ADIR</I>, au paragraphe 30). Récemment, la Cour d’appel fédérale a souligné que [traduction] « au fond, il faut veiller à ce que le breveté ne reçoive que la portion du profit du contrefacteur directement attribuable à l’invention » (<I>ADIR</I>, au paragraphe 28).
[165] Par conséquent, je conclus que Nova est autorisée à déduire un montant proportionnel des coûts suivants aux revenus applicables durant la période pour laquelle le recouvrement des bénéfices s’applique : i) amortissement annuel des dépenses d’immobilisations pour l’usine PE2; ii) salaires des employés de l’usine PE2; iii) coûts indirects pour l’usine PE2; iv) dépenses courantes en capital pour l’usine PE2; et v) coûts attribués à la catégorie « Usine, Distribution, Ventes et Marketing, Dépenses techniques administratives et de développement », exception faite des coûts liés à la recherche et au développement. À mon avis, chacun de ces coûts a été correctement attribué à la production et à la vente des produits contrefaits à l’usine PE2.
F. Intérêts antérieurs au jugement et « bénéfices sur les bénéfices »
[166] À la phase de l’examen de la responsabilité, le juge O’Keefe a établi que si Dow devait choisir la comptabilisation des bénéfices de Nova, les intérêts antérieurs au jugement seraient établis par le juge du tribunal saisi du renvoi (Dow c. Nova, au paragraphe 283).
[167] Nova affirme que le taux d’intérêt applicable devrait être le taux préférentiel plus 1 p. 100, non composé. Nova prétend que l’intérêt ne devrait pas être composé en raison du retard de Dow dans la présentation de sa réclamation pour violation de brevet contre Nova, qui aurait fait augmenter les bénéfices jusqu’à un [traduction] « montant très élevé ». Si l’action avait été présentée avant, Nova soutient qu’elle aurait exploité son usine PE2 pour fabriquer d’autres produits plus tôt, et dégagé des bénéfices qu’elle aurait pu réinvestir pour faire des bénéfices. En conséquence, l’octroi d’un intérêt composé peut être considéré punitif.
[168] Dow prétend que le taux d’intérêt antérieur au jugement qui devrait être appliqué devrait correspondre aux bénéfices dégagés par Nova du réinvestissement des bénéfices qu’elle avait dégagés de la violation de brevet, qu’elle décrit comme des « bénéfices sur le bénéfice ». Selon Dow, puisque Nova n’a pas fait le suivi des bénéfices dégagés par le réinvestissement des bénéfices sur la vente des produits contrefaits, le taux applicable devrait être le coût annuel pondéré des emprunts de Nova. Dow affirme qu’il s’agit d’une alternative raisonnable pour les « bénéfices sur le bénéfice » de Nova. M. Hamilton, expert-comptable de Dow, a analysé la gestion de la dette de Nova pour établir comment Nova aurait pu réinvestir les bénéfices issus des ventes de qualités contrefaites, et le taux de rendement financier dont a joui Nova sur ces investissements. M. Hamilton a conclu que la moyenne pondérée annuelle des emprunts de Nova, lesquels oscillent entre 5,1 p. 100 et 8,4 p. 100, constituerait une méthode mitoyenne raisonnable pour estimer les bénéfices que Nova a dégagés sur le réinvestissement de ses bénéfices découlant de la violation du brevet.
[169] Les intérêts peuvent faire l’objet d’un recouvrement des bénéfices (Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, [1995] A.C.F. no 733 (QL) (C.A.) (Beloit 1995), au paragraphe 37). La Cour doit décider du taux d’intérêt à appliquer, et si les intérêts doivent être composés ou non. La compétence en équité de la Cour et le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets l’autorisent à octroyer des intérêts composés (Banque d’Amérique du Canada c. Société de Fiducie Mutuelle, 2002 CSC 43, [2002] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 41; Eli Lilly and Company c. Apotex Inc, 2014 CF 1254, [2015] 4 R.C.F. 601 (Eli Lilly), aux paragraphes 115 et 116).
[170] Dans le présent dossier, les experts ont convenu que les bénéfices de Nova devraient être composés et calculés annuellement. Cela correspond à la jurisprudence (voir Teledyne, au paragraphe 20; Beloit 1995, au paragraphe 37).
[171] Dans les mots du juge Hugessen, un breveté devrait recouvrer « tous les bénéfices, directs et indirects, dégagés par le contrefacteur de sa violation illicite du brevet » (soulignement dans l’original) (Beloit 1992, au paragraphe 10; voir Beloit 1995, au paragraphe 5). Dans l’arrêt Reading & Bates, le juge Létourneau a retenu qu’un défendeur « doit rendre compte à la fois des bénéfices et de leur emploi subséquent, car le demandeur a droit aux deux » (au paragraphe 16 [de QL et à la page 494 du R.C.F.]). Dow souligne la formule « et leur utilisation subséquente » pour faire valoir que le taux d’intérêt applicable devrait être le coût annuel pondéré des emprunts de Nova. Dow affirme qu’en l’absence de preuve claire que des bénéfices sur le bénéfice ont véritablement été dégagés, le défendeur est présumé avoir dégagé des bénéfices sur la vente de produits contrefaits.
[172] Dow affirme aussi que la position avancée par Nova dans ce renvoi est incohérente avec celle qu’elle avait fait valoir lorsqu’elle sollicitait un sursis des dépens en attendant que soit entendu l’appel de Nova de la décision du juge O’Keefe sur les dépens et la décision sur leur bien-fondé. Nova a indiqué, dans un affidavit présenté à la Cour d’appel fédérale, que l’utilisation du taux bancaire pour calculer les intérêts de Nova ne ramènerait pas Nova en position antérieure, mais signifierait plutôt que le coût du capital de Nova, calculé d’après sa dette à long terme, devrait être pris en compte par la Cour. L’affidavit indique qu’en janvier 2016, les coûts de la dette à long terme de Nova étaient entre 5 et 5,25 p. 100.
[173] La preuve dans ce renvoi démontre que les bénéfices dégagés par Nova sur la vente de produits contrefaits ont été utilisés à diverses fins, incluant le versement de dividendes. Cependant, vu une déclaration antérieure de Nova à la Cour d’appel fédérale et la preuve d’expert de M. Hamilton, je suis convaincu que le taux d’intérêt applicable pour la période de recouvrement des bénéfices devrait être de 5 p. 100, composé.
[174] M. Soriano et M. Hamilton ont tous deux convenu que si les intérêts accordés étaient composés, ils devraient tenir compte des incidences fiscales. Cependant, ni l’un ni l’autre expert n’a présenté ces calculs dans son rapport. M. Hamilton a expliqué ne pas avoir tenu compte des incidences fiscales dans son calcul, car les montants qui en résultaient n’auraient pas été conséquents. Il a affirmé que d’après son expérience, les tribunaux ne tiennent pas compte des incidences fiscales ni des intérêts composés. Dans la décision Eli Lilly, le juge Zinn affirme, au paragraphe 119 : « [t]oute réduction au titre des intérêts composés appliquée par la Cour dans ce dossier ne serait rien d’autre qu’une pure spéculation. » Vu le peu de directives données par les témoins experts appelés par les deux parties, j’arrive à la même conclusion dans le présent dossier.
[175] Le jugement de la Cour dans ce renvoi doit être exprimé en monnaie canadienne (Loi sur la monnaie, L.R.C. (1985), ch. C-52, article 12). Dow soutient que le taux de change effectif à la date du jugement devrait être utilisé pour la conversion. Nova prétend que le taux de change annuel moyen pour chaque année de violation de brevet devrait être utilisé.
[176] Selon Dow, Nova a dégagé des bénéfices sur la vente de produits SURPASS contrefaits en monnaie américaine et ne les a pas convertis en monnaie canadienne. La Cour devrait par conséquent convertir les bénéfices dégagés par Nova sur la vente de produits contrefaits qui sont enregistrés en monnaie américaine en monnaie canadienne au moment du jugement afin d’assurer que Nova restitue tous les bénéfices directs et indirects découlant de sa violation du brevet. Autrement, Nova pourrait retenir des profits importants de la vente de produits contrefaits.
[177] Nova postule que les bénéfices issus de la vente de produits contrefaits, calculés en monnaie américaine, devraient être convertis en monnaie canadienne au taux de change en vigueur au moment où ils ont été enregistrés, c.-à-d., chaque année durant la période de la violation du brevet.
[178] Dans la décision AlliedSignal (CF), au paragraphe 273, la Cour fédérale retient que la seule date « pratique » de conversion monétaire est celle du prononcé du jugement. Le juge Heald opère une distinction entre la violation de brevet continue, et les affaires délictuelles ou contractuelles, où l’infraction se produit à une date unique et spécifique. La Cour d’appel fédérale a reconnu que la partie qui obtient gain de cause a droit à une compensation payable en monnaie américaine à la date du jugement, et observé que « la date du jugement à l’égard du présent rapport est la seule solution pratique » (AlliedSignal Inc. c. du Pont Canada Inc., [1999] A.C.F. no 38 (QL) (C.A.) (AlliedSignal (CAF)) [précité], aux paragraphes 15 et 16).
[179] Nova prétend que le juge Heald, dans la décision AlliedSignal (CF) a conclu que la date du manquement n’était pas pratique, au seul motif qu’aucune date ne correspond à la violation du brevet, qui s’est produit sur une période de six ans. Dans le présent dossier, la défenderesse a affirmé qu’il serait opportun d’adopter le point central de chaque année et de convertir le montant dû par année à cette date. Cependant, le juge Heald a conclu que cette méthode était excessivement lourde surtout en comparaison avec la solution de convertir la devise à la date du jugement (au paragraphe 273). La Cour d’appel fédérale a rappelé que ce choix relevait du pouvoir discrétionnaire du recommandataire, en relevant que « au moyen de la conversion, la demanderesse se verra accorder le montant nécessaire, en monnaie canadienne, pour obtenir l’indemnité complète à laquelle elle a droit en monnaie américaine » (AlliedSignal (CAF), au paragraphe 16).
[180] Nova se fonde sur la jurisprudence issue d’un contexte d’actions pour rupture de contrat ou de recouvrement dans les jugements étrangers pour étudier si la règle de date de manquement est la méthode que doit appliquer la Cour (citant Kuehne + Nagel Ltd. c. Agrimax Ltd., 2010 CF 1303, aux paragraphes 19, 20 et 22; Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1984] A.C.F. no 510 (QL) (C.A.), aux paragraphes 50 et 51, rejeté pour d’autres motifs, [1987] 1 R.C.S. 1247; Schweizerische Metallwerke Selve & Co. c. Atlantic Container Line Ltd., [1985] A.C.F. no 1039 (QL) (C.A.), au paragraphe 8). Nova affirme que, en principe, aucun motif ne justifie de distinguer la violation ponctuelle de la violation continue. Chaque vente de produits SURPASS contrefaits a qualifié une violation du brevet. Nova soutient donc qu’il n’existait aucune violation continue sur les huit ans de la durée du brevet, mais plutôt que de multiples violations du brevet se seraient accumulées au jour le jour, dont chacune a été bien documentée.
[181] Nova estime donc que la conversion des bénéfices en monnaie canadienne à la date du jugement n’est pas la seule solution pratique. Bien qu’il ne soit peut-être pas pratique de calculer les bénéfices de Nova en monnaie américaine et de les convertir en monnaie canadienne pour chaque vente sur la période de huit ans, Nova affirme qu’il est pratique d’examiner les bénéfices en adoptant une perspective annuelle.
[182] Le recouvrement des bénéfices constitue un recours équitable, et le montant à verser est celui du montant réel des bénéfices dégagés (Teledyne, à la page 209). Dans le présent dossier, je ne me préoccupe pas prioritairement de savoir si la violation par Nova du brevet '705 devrait être qualifiée de continue sur une période de huit ans ou d’une série de violations ponctuelles à examiner pour chaque année. J’examine avant tout la preuve sur la méthode selon laquelle les bénéfices de Nova sur ses ventes de produits SURPASS ont été reçus et la devise dans laquelle ces bénéfices ont été ultérieurement employés ou conservés.
[183] Il est incontestable que les qualités contrefaites étaient surtout acheminées aux clients de Nova aux États-Unis, et que la majorité des recettes de Nova tirées des qualités contrefaites, même sur les ventes réalisées au Canada, étaient réalisées en monnaie américaine. M. MacDonald, l’ancien directeur financier de Nova, a confirmé que la grande majorité du polyéthylène vendu par Nova a été facturé en monnaie américaine.
[184] Nova rappelle qu’elle mène des activités significatives au Canada. Les activités de Nova sous le titre des oléfines de l’Ouest, des oléfines Corunna, et des polyéthylènes sont toutes menées au Canada. Le segment des oléfines de l’Ouest vend de l’éthène à des tiers en monnaie canadienne, à l’exception d’un seul contrat avec une grande pétrolière. Les coûts de Nova, incluant la charge d’alimentation en éthane, les services, les frais d’usine fixes et de distribution, la recherche, le développement et l’administration, sont généralement comptabilisés en monnaie canadienne. Les dépenses liées à l’usine PE2 sont elles aussi généralement en monnaie canadienne, notamment l’éthène jusqu’à 2008, les services, les frais fixes d’usine, certaines dépenses fixes liées à la distribution, les dépenses techniques, de recherche et de développement, et administratives, et une partie des 825 millions de dollars de la construction de l’usine PE2. Au cours du mandat de M. MacDonald à titre de directeur financier, Nova a converti des montants conséquents de la monnaie américaine à la monnaie canadienne pour se conformer à ses obligations, dont la valeur oscille entre 800 millions et un milliard de dollars par année.
[185] Nova affirme qu’il n’est pas possible de retracer les fonds convertis de la monnaie américaine à la monnaie canadienne pour s’acquitter des obligations à terme de Nova en monnaie canadienne. Nova a comptabilisé les bénéfices de la vente de qualités SURPASS contrefaites avec ceux de tous ses autres actifs. Ces montants ont aussi été utilisés à diverses fins, notamment l’accumulation de liquidités, le paiement des dettes, le versement de dividendes, la conversion en monnaie canadienne pour répondre à certaines obligations en monnaie canadienne, et l’investissement en dépenses d’immobilisations. Nova prétend qu’il est impossible d’affirmer si et comment les montants tirés de la vente de SURPASS ont été retenus par Nova, et qu’il ne peut par conséquent pas être établi si Nova a maintenu les bénéfices dégagés par la violation de brevet en monnaie américaine.
[186] Dow souligne la preuve suivante démontrant que les bénéfices dégagés par Nova sur la vente de qualités contrefaites étaient perçus en monnaie américaine et majoritairement retenus ou dépensés dans cette devise :
a) Au 1er octobre 2008, il a été confirmé que la devise fonctionnelle des activités de Nova au Canada était la monnaie américaine. La monnaie américaine a été choisie comme devise fonctionnelle suivant l’évaluation que le principal milieu économique de l’entreprise et de ses filiales était celui des États-Unis. La majorité des ventes de qualités contrefaites qui sont en jeu dans le présent renvoi ont été conclues après cette date.
b) En 2009, Nova a examiné ses plus importants contrats d’achat et de vente et, dans la mesure du possible, a négocié des conditions de paiement en monnaie américaine afin de diminuer le risque de change auquel était exposé le capital de roulement de Nova. Par exemple, une entente en date de novembre 2009 entre Nova et une grande société chimique, stipulait que les paiements seraient faits en monnaie américaine.
c) Depuis 2009, les transferts d’éthène du segment Nova des oléfines de l’Ouest à la division des polyoléfines de Nova ont été faits en monnaie américaine.
d) La majorité de la dette de Nova est exprimée en monnaie américaine.
e) La société-mère de Nova utilise la monnaie américaine comme devise fonctionnelle.
[187] Nova a maintenu des soldes de trésorerie conséquents entre 2006 et 2015. Les soldes de trésorerie ont augmenté d’environ 74 millions de dollars en 2008, à 942 millions de dollars en 2015. Nova n’a pas présenté à la Cour la ventilation entre les monnaies américaine et canadienne, malgré que cela aurait été relativement facile.
[188] Il revient à Nova de démontrer que les bénéfices qu’elle a dégagés des qualités contrefaites ont été convertis en monnaie canadienne, à quelle date et dans quels montants. Tout en reconnaissant qu’une partie des bénéfices pourraient avoir été utilisés pour acquérir des biens ou des services payables en monnaie canadienne, Nova n’a présenté aucune précision à la Cour. La prépondérance de la preuve démontre que Nova a dégagé des bénéfices des ventes de qualités contrefaites, surtout en monnaie américaine. Nova aurait vraisemblablement employé ces bénéfices pour investir en monnaie américaine, payer des dettes en monnaie américaine, et verser des dividendes à sa société-mère en monnaie américaine, entre autres.
[189] La preuve corrobore la conclusion que les bénéfices de Nova sur la vente des qualités contrefaites ont été perçus et surtout retenus en monnaie américaine. Nova a présenté une preuve lacunaire du contraire. Je suis de ce fait convaincu que les bénéfices de Nova devraient être convertis en monnaie canadienne à la date du jugement.
XI. Conclusion
[190] Sur accord des parties, les présents motifs portent uniquement sur les hypothèses et les autres considérations qui appuient les calculs des dommages-intérêts et des profits. Les comptables des parties calculeront les sommes dues par Nova à Dow d’après les conclusions de la Cour à cette étape du renvoi.
[191] Les parties pourront demander à la Cour de prendre une décision sur toute question qui pourrait émaner du calcul des dommages-intérêts et des bénéfices dus par Nova à Dow.
[192] La décision sur les dépens sera tranchée à la conclusion du renvoi.
[193] Suivant la délivrance d’un jugement et de motifs confidentiels le 7 avril 2017, les parties ont reçu l’ordre d’informer la Cour si le document contenait des renseignements confidentiels, et si certaines sections devraient être caviardées ou modifiées avant la publication du jugement et des motifs. Nova a identifié comme commercialement sensibles certaines informations aux paragraphes 84 à 87 et 92. Les paragraphes correspondants dans le jugement et les motifs publics ont été modifiés pour répondre à ces préoccupations. Enfin, une erreur a été corrigée au paragraphe 88.
JUGEMENT
LA COUR JUGE que :
1. Les qualités contestées et toutes les sous-qualités identifiées dans le jugement du juge O’Keefe sur la décision Dow c. Nova seront prises en compte dans le calcul des dommages-intérêts et des bénéfices à payer par Nova à Dow.
2. Le taux de la redevance raisonnable pour la période du 9 décembre 2004 au 21 août 2006 est de 8,8 p. 100.
3. Le taux d’intérêt antérieur au jugement pour les dommages-intérêts en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets est de 5 p. 100, et n’est pas composé.
4. Le recouvrement des bénéfices comprend une « période d’effet de tremplin » du 20 avril 2014 au 31 décembre 2015, calculée d’après les pourcentages mensuels de démarrage issus du rapport de réplique de M. Leonard en date du 14 novembre 2016.
5. Contre les recettes tirées des ventes des produits contrefaits pour la période du 22 août 2006 au 31 décembre 2015, Nova a droit de déduire les coûts variables convenus entre les parties et les coûts additionnels suivants :
a) les coûts réels encourus par Nova pour obtenir l’éthène utilisé dans la fabrication des produits contrefaits, après la déduction des coûts de production de l’éthène à l’aide de la méthode du coût de revient complet;
b) un montant proportionnel pour les coûts suivants :
• amortissement annuel des dépenses d’immobilisations pour l’usine PE2;
• salaires des employés de l’usine PE2;
• coûts indirects pour l’usine PE2;
• dépenses courantes en capital pour l’usine PE2; et
• coûts attribués par Nova aux catégories « Usine, Distribution, Ventes et Marketing, Dépenses techniques, administratives, de recherche et de développement », à l’exception des coûts liés à la recherche et au développement.
6. Les taux d’intérêt pour la période de recouvrement des bénéfices sont de 5 p. 100, composé pour chaque année.
7. L’octroi des dommages-intérêts et des bénéfices à payer par Nova à Dow doit être converti en monnaie canadienne à la date du présent jugement.
8. Les parties devront échanger leurs calculs des dommages-intérêts et des bénéfices à payer par Nova à Dow d’après le présent jugement dans les 14 jours, et devront informer la Cour de l’existence éventuelle de toute question à régler dans les 14 jours suivants.