[2016] 1 R.C.F. 507
IMM-7849-14
2015 CF 860
Mo Yeung Ching (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Ching c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Roy—Winnipeg, 23 juin; Ottawa, 15 juillet 2015.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a jugé que le demandeur ne pouvait obtenir la qualité de réfugié qu’il avait demandée par l’application de l’art. 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La SPR a conclu qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun — Cette conclusion était fondée uniquement sur les motifs de jugements prononcés par des tribunaux chinois dans lesquels le demandeur a été mentionné, sans qu’il n’ait été toutefois poursuivi en justice — Le demandeur, un Chinois, a obtenu le statut de résident permanent au Canada — Alors qu’il voyageait, le demandeur a appris qu’il faisait l’objet d’un mandat lancé en Chine pour son arrestation, car il était soupçonné d’avoir détourné des fonds, ainsi que d’avoir recelé et transporté des marchandises acquises de façon illégale, ce qui était contraire aux lois de la Chine — Pour conclure à la participation du demandeur dans la transaction immobilière en cause, la SPR s’est uniquement appuyée sur les conclusions tirées par les deux tribunaux chinois et leurs décisions rendues dans ce dossier — Cependant, la SPR n’a jamais eu accès à quelque élément de preuve que ce soit ayant pu être déposé devant les tribunaux chinois — Il s’agissait de savoir si la décision de la SPR, qui a conclu qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun, était raisonnable — La décision de la SPR ne satisfaisait pas au critère de la décision raisonnable — La SPR ne disposait pas des éléments de preuve en l’espèce — La SPR a plutôt cherché à confirmer ces conclusions en se fondant sur des éléments de preuve que l’on peut qualifier, dans le meilleur des cas, de secondaires — Le tribunal ne pouvait accepter la preuve sur laquelle auraient reposé des conclusions tirées ailleurs — On ne trouvait nulle part de raison précise expliquant pourquoi le tribunal a conclu que le demandeur a en l’espèce commis un crime grave de droit commun — La Cour ne pouvait conclure à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel de la SPR lorsque celle-ci s’appuyait sur des conclusions dont l’examen était impossible — La décision de la SPR devait être fondée sur des preuves claires et convaincantes, mais celle-ci n’a jamais conclu que les preuves étaient convaincantes — La SPR a énoncé en fait un critère qui ne s’est jamais élevé au niveau requis, soit la norme relative aux raisons de croire — Demande accueillie.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a jugé que le demandeur ne pouvait obtenir la qualité de réfugié qu’il avait demandée par l’application de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La disposition examinée et visée par la décision qui faisait l’objet du présent contrôle judiciaire était la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. En l’espèce, la SPR a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun. Cette conclusion était fondée uniquement sur les motifs de jugements prononcés par des tribunaux chinois dans le cadre de poursuites intentées contre un fonctionnaire chinois et contre un courtier dans le cadre d’une opération commerciale qui avait eu lieu. Le demandeur était mentionné dans les jugements, mais il n’a pas été poursuivi en justice devant les tribunaux chinois. Il était très difficile d’affirmer quelle était sa participation en l’espèce.
Le demandeur, un Chinois, a continué à faire de nombreux voyages entre la Chine et le Canada, après avoir obtenu le statut de résident permanent au Canada. Il a fondé sa première entreprise au Canada et ses allers-retours entre la Chine et le Canada auraient apparemment beaucoup diminué. Alors qu’il voyageait des États-Unis vers le Canada, le demandeur a appris qu’il faisait l’objet d’un mandat lancé en Chine pour son arrestation, car il était soupçonné d’avoir détourné des fonds, ainsi que d’avoir recelé et transporté des marchandises acquises de façon illégale, ce qui était contraire aux lois de la Chine. Les allégations faites à l’endroit du demandeur découlaient d’une opération de développement immobilier à Beijing, au sujet de laquelle les autorités chinoises prétendaient qu’il y avait eu détournement d’une somme importante. Les procédures concernant l’interdiction de territoire du demandeur au Canada ont été finalement instituées et il y était allégué que le demandeur est interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 36(1)c) de la Loi. Par conséquent, le demandeur a fait valoir qu’il craignait de faire l’objet en Chine de fausses accusations, d’y être exposé à l’emprisonnement et à la torture et, en conséquence, qu’il était un réfugié au sens des articles 96 et 97 de la Loi.
Pour conclure à la participation du demandeur dans la transaction en cause, la SPR s’est uniquement appuyée sur les conclusions tirées par les deux tribunaux chinois et leurs décisions rendues dans ce dossier; cependant, la SPR n’a jamais eu accès à quelque élément de preuve que ce soit ayant pu être déposé devant les tribunaux chinois. La SPR a été convaincue du bien-fondé des conclusions tirées par les tribunaux chinois, et cela malgré le fait que le demandeur n’a pas été poursuivi en justice et que les déclarations le concernant aient été faites sans vraiment être étayées.
Il s’agissait principalement de savoir si la décision de la SPR, qui a conclu qu’il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun, était raisonnable.
Jugement : la demande doit être accueillie.
En dépit de la déférence dont il convenait de faire montre à l’endroit du décideur, la décision de la SPR ne satisfaisait pas au critère de la décision raisonnable. La preuve sur laquelle s’est fondée la SPR était approximative et de troisième niveau, et un examen attentif a révélé que le demandeur n’était concerné que dans le cadre d’affirmations vagues formulées dans des jugements étrangers. La tâche qui incombait à la SPR pour en arriver à sa conclusion consistait à déterminer s’il existait des raisons sérieuses de penser qu’un crime grave de droit commun avait été commis à l’extérieur du Canada, une norme qui requiert davantage qu’un simple soupçon. La SPR n’a pas semblé avoir été convaincue que la preuve permettait d’étayer plus qu’un simple soupçon. Elle ne pouvait en effet être convaincue puisque la SPR ne disposait pas de ces éléments de preuve, soit les documents présentés aux tribunaux chinois. Elle n’avait en fait pour seules raisons sérieuses de penser qu’un crime avait été commis que les décisions rendues par les tribunaux chinois, et n’a pas tenu compte de la preuve concrète présentée. La décision de la SPR n’est pas allée au-delà de ce qui se trouvait dans les décisions des tribunaux chinois. Cette décision n’indiquait pas que les éléments de preuve présentés aux tribunaux chinois n’avaient pas été examinés et il n’était pas non plus possible de procéder à un examen critique des dépositions des témoins parce qu’elles n’étaient pas disponibles. Bien qu’il arrive que l’on puisse s’appuyer sur les conclusions d’un tribunal étranger, les motifs exposés par les tribunaux étrangers doivent atteindre un niveau qui satisfasse au critère des raisons sérieuses de penser qu’un crime grave de droit commun a été commis. En l’espèce, un examen contextuel sérieux de la preuve dont disposait la SPR n’a pu être réalisé parce qu’aucune autre preuve que les conclusions des tribunaux étrangers n’a été présentée. La SPR a plutôt cherché à confirmer ces conclusions en se fondant sur des éléments de preuve que l’on pouvait qualifier, dans le meilleur des cas, de secondaires. En l’espèce, on ne pouvait conclure à l’existence de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel que requiert la jurisprudence. La SPR ne pouvait accepter la preuve sur laquelle auraient reposé des conclusions tirées ailleurs. Il n’était pas possible de conclure sur cette base à l’existence de raisons sérieuses de penser qu’un crime a été commis.
Le tribunal a cherché à s’appuyer sur le témoignage d’une personne, auquel il a accordé beaucoup de poids. Cette personne travaille au Centre international pour la réforme du droit criminel et la politique en matière de justice pénale à Vancouver et comptait une vaste expérience et des titres de compétence dans le domaine de la réforme du droit pénal et de la justice criminelle. Bien que la SPR n’ait pas reconnu cette personne comme un témoin expert, elle a décidé d’accorder beaucoup de poids à son témoignage. Toutefois, selon la norme de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, le recours au témoignage de cette personne pour justifier une conclusion tirée contre le demandeur était loin d’être suffisant.
On ne trouvait nulle part de raison précise expliquant pourquoi le tribunal a conclu que le demandeur a en l’espèce commis un crime grave de droit commun. La clause d’exclusion prévue à l’article 98 de la Loi devrait être appliquée avec précaution, ce qui donne lieu à une interprétation plutôt restrictive. Le niveau de persuasion approprié peut être atteint par une analyse des éléments de preuve, et non par la simple acceptation de certaines conclusions, qui ne sont pas clairement étayées. En l’espèce, le pouvoir décisionnel a été entièrement transféré dans les mains des tribunaux étrangers chinois desquels la SPR a accepté les conclusions.
Bien que le demandeur n’ait pas été poursuivi en justice en Chine, la SPR a accepté les conclusions d’un tribunal étranger sans en avoir déterminé l’indice de fiabilité, en tenant compte, plus particulièrement, du fait qu’il s’agissait d’un processus qui est sans aucune équivoque non accusatoire. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que le processus judiciaire du pays étranger soit accusatoire, il doit exister des raisons de se fier aux conclusions qui permettent de satisfaire au critère des raisons sérieuses de penser. La Cour ne pouvait conclure à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel de la SPR lorsque cette dernière s’appuyait sur des conclusions dont l’examen était impossible. La SPR n’a pas énoncé un critère qui allait au-delà des soupçons raisonnables. Compte tenu du peu d’information dont disposait la SPR, il n’était guère surprenant que sa décision n’ait pas respecté les exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel puisqu’elle s’est fondée sur un processus décisionnel différent. En outre, la décision de la SPR devait être fondée sur des preuves claires et convaincantes. La SPR n’a pas conclu que les preuves étaient convaincantes. À la lumière des résumés de témoignages qui figuraient dans les décisions des tribunaux chinois, ces preuves n’étaient pas claires non plus. La SPR a énoncé un critère qui ne s’est jamais élevé au niveau requis, soit celui des raisons de croire.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Code pénal de la République populaire de Chine.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 36(1)c), 72, 74, 96, 97, 98.
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fb).
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS SUIVIES :
Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678; Feimi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 325.
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Notario c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1159; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Sing c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. X, 2010 CF 112, [2011] 1 R.C.F. 493; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Alderman v. United States, 394 U.S. 165 (1969); R (on the application of JS) (Sri Lanka) v. Secretary of State for the Home Department, [2010] UKSC 15 (BAILII), [2011] 1 A.C. 184; George v. Rockett, [1990] HCA 26 (AustLII), (1990), 93 A.L.R. 483 (Aust. H.C.); Al-Sirri v. Secretary of State for the Home Department, [2012] UKSC 54 (BAILII), [2013] 1 A.C. 745; Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422.
DÉCISIONS CITÉES :
Cardenas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 139 (1re inst.) (QL); Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; Lukács c. Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités), 2015 CAF 140.
DOCTRINE CITÉE
Hathaway, James C. et Michelle Foster. The Law of Refugee Status, 2e éd. Cambridge, U.K. : Cambridge University Press, 2014.
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (X (Re), 2014 CanLII 98096) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a jugé que le demandeur ne pouvait obtenir la qualité de réfugié qu’il avait demandée par l’application de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.
ONT COMPARU
David Matas pour le demandeur.
Nalini Reddy pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
David Matas, Winnipeg, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Roy : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue, le 31 octobre 2014, par la Section de la protection des réfugiés (SPR) [X (Re), 2014 CanLII 98096]. La demande est présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).
[2] La présente demande s’inscrit comme un incident additionnel qui survient dans le cadre d’un litige prolongé; le demandeur est résident permanent du Canada depuis 1996, il a cherché à obtenir la citoyenneté canadienne au début des années 2000 et il a fait l’objet de procédures d’interdiction de territoire en vertu de la LIPR. Ce cheminement a atteint un point culminant à la suite d’une décision de la Section de l’immigration (SI), rendue le 25 juillet 2008, où la SI a jugé qu’il n’était pas interdit de territoire; cette décision a été suivie d’une autre, datée du 21 décembre 2011, rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI), laquelle a infirmé la décision de la SI, et où la SAI a conclu que le demandeur était interdit de territoire. Il semble que l’audience qui porterait devant la SAI, dans un deuxième temps, sur la suspension ou l’annulation d’une mesure de renvoi fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ait été reportée. De toute évidence, on ne saurait raisonnablement prétendre que la décision de la SAI est définitive; cette dernière n’a pas complété son examen du cas et la possibilité que d’autres procédures relatives à cette décision soient engagées ne doit pas être écartée. La Cour ne s’intéresse cependant pas à ce stade-ci aux instances devant la SI et la SAI. La Cour ne doit examiner que la décision rendue par la SPR, le 31 octobre 2014, dans laquelle il a été jugé que le demandeur ne pouvait obtenir la qualité de réfugié qu’il avait demandée le 19 avril 2012, par l’application de l’article 98 de la LIPR, dont le libellé est le suivant :
98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger. |
Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés |
[3] Dans la présente affaire, la disposition examinée et visée par la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire est la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] Can. R.T. no 6), dont voici le libellé :
Article premier
[…]
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
[…]
b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;
[4] En l’espèce, la SPR a conclu qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun. Cette conclusion est fondée uniquement sur les motifs de jugements prononcés par des tribunaux chinois dans le cadre de poursuites intentées contre un fonctionnaire chinois, un certain Wang Fuyou, en ce qui a trait à un certain nombre de transactions et contre le courtier auquel M. Wang a eu affaire dans le cadre d’une seule opération immobilière. Le demandeur est mentionné dans les jugements, mais il n’a pas comparu devant les tribunaux chinois. Le problème qui pose en l’espèce, c’est que même après un examen approfondi du dossier soumis à la Cour, on ne sait pas encore très bien quelles sont ces « raisons sérieuses de croire ». J’ai conclu que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.
I. Les faits
[5] Le demandeur est citoyen de la République populaire de Chine. Il semble qu’après avoir obtenu le statut de résident permanent au Canada en 1996, le demandeur ait continué à faire de nombreux voyages entre la Chine et le Canada. Il a fondé sa première entreprise au Canada en l’an 2000 et il semblerait qu’à compter de cette date ses allers-retours entre la Chine et le Canada aient beaucoup diminué, sinon complètement cessé.
[6] En mai 2002, alors qu’il tentait de franchir la frontière entre les États-Unis et le Canada, le demandeur a appris qu’il faisait l’objet d’un « avis rouge d’Interpol ». L’avis était fondé sur un mandat lancé en Chine pour l’arrestation du demandeur. Il était soupçonné d’avoir détourné des fonds, ainsi que d’avoir recelé et transporté des marchandises acquises de façon illégale, ce qui est contraire au Code pénal de la République populaire de Chine.
[7] Pour une raison encore inconnue, les procédures concernant l’interdiction de territoire du demandeur au Canada ont seulement été instituées en mars 2008. Il y est allégué que le demandeur est interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR, c’est-à-dire qu’on lui reproche d’avoir commis un acte à l’extérieur du Canada qui est une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction punissable par un emprisonnement maximal d’au moins 10 ans. Ces procédures sont celles auxquelles la Cour a fait allusion comme étant pendantes devant la SAI.
[8] Le demandeur fait valoir qu’il craint de faire l’objet en Chine de fausses accusations, d’y être exposé à l’emprisonnement et à la torture et, en conséquence, qu’il est un réfugié au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. L’unique question en litige devant la Cour est celle de savoir si l’article 98 de la LIPR s’applique de sorte que le demandeur ne puisse revendiquer ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Si l’interdiction prévue à l’article 98 devait être levée, le demandeur serait tout de même tenu d’établir qu’il a qualité de réfugié ou de personne à protéger.
[9] Les allégations faites à l’endroit du demandeur découlent d’une opération de développement immobilier à Beijing, au sujet de laquelle les autorités chinoises prétendent qu’il y a eu détournement d’une somme de 5 350 000 RMB. Toute la question est de savoir si des fonds ont été détournés et, dans l’affirmative, si le demandeur a participé à ce détournement et s’il en a tiré profit.
[10] L’allégation de détournement de fonds porte principalement sur le rôle joué par deux ressortissants chinois. Wang Fuyou (Wang) était le secrétaire général adjoint du gouvernement provincial du Hebei, et participait à l’opération pour le compte de celui-ci. Le père du demandeur était le secrétaire du Parti communiste chinois de la province et, en cette qualité, il était le supérieur de Wang. Il semble que le demandeur ait rencontré Wang grâce aux relations professionnelles que ce dernier entretenait avec le père du demandeur.
[11] L’autre protagoniste principal est un homme d’affaires qui aurait agi comme courtier entre Wang et une entité qui voulait disposer de son droit dans une certaine propriété. L’homme d’affaires, intervenant en tant que courtier dans la transaction, exerçait ses activités par l’intermédiaire d’une entreprise connue sous la dénomination de Beijing Hong Deli Technology Development Corporation Limited (Hong Deli). Le demandeur a rencontré le courtier en 1992 et il semblerait qu’une relation d’affaires ait alors pris naissance et se soit par la suite développée.
[12] En 1996, le courtier tentait de développer une propriété située à Beijing. Il semble que cette propriété, ainsi que les droits de cession s’y rattachant, appartenaient à la Hong Kong Macau International Investment Corporation Limited (HK Macau).
[13] Wang, le représentant du gouvernement de la province du Hebei, avait été chargé par ce dernier de trouver une propriété à Beijing pour l’acquérir en vue d’une utilisation future précise. Le demandeur a réuni Wang et le courtier, lesquels ont engagé des pourparlers portant sur le droit de cession de la propriété détenu par HK Macau.
[14] Au vu du dossier accessible au Canada, il est difficile de savoir précisément ce qui s’est ensuite produit. En se fondant sur des procédures judiciaires instituées par la République populaire de Chine contre Wang et le courtier, la SPR a néanmoins conclu que la suite des choses s’est déroulée de la façon suivante. Le courtier aurait fait croire à Wang que sa société, Hong Deli, détenait les droits de cession afférents à la propriété immobilière visée par l’opération projetée. La société HK Macau était en fait la propriétaire légitime des droits de cession. La SPR a jugé que Wang savait que cette déclaration du courtier était fausse, mais qu’il avait néanmoins conclu une certaine forme d’entente pour l’achat de la propriété au prix de 2 850 RMB par mètre carré.
[15] Ces droits de cession ont toutefois été vendus par leur propriétaire légitime pour 2 600 RMB par mètre carré. La différence de 250 RMB par mètre carré devait servir à indemniser Hong Deli. Comme on peut le constater, ce montant représente près de 10 p. 100 du prix d’achat. L’écart entre 2 600 et 2 850 RMB est de 10,7 millions RMB, ce qui équivaut, selon la SPR, à environ deux millions de dollars canadiens.
[16] La SPR a jugé que Wang n’avait pas informé ses supérieurs de l’entente conclue et que les fonds excédentaires devaient être partagés au bout du compte entre Wang, le courtier et le demandeur. Bien qu’il semble exister un certain nombre d’ententes consignées par écrit concernant l’opération, la SPR a conclu ce qui suit (au paragraphe 41) :
Le [8 avril] 1997, [Wang], au nom du gouvernement de la province [du Hebei], a signé un accord de transfert et d’indemnisation avec la [Hong De Li Ltd.] et effectué un dépôt de [1 000 000] RMB. Les quelque [10,7 millions] de RMB étaient censés représenter la [traduction] « commission d’intermédiaire » de la [Hong De Li Ltd.], alors qu’en réalité, l’argent devait être partagé entre les trois complices ayant orchestré la machination à cause de laquelle le gouvernement de la province [du Hebei] a payé au-delà de [10,7 millions] de RMB de trop pour la propriété en cause.
[17] La situation n’est toutefois pas aussi simple. L’entente pour l’achat des droits de cession a en fait été conclue pour 2 600 RMB par mètre carré. La société (soit Hong Kong Yanshan Development Limited (Yanshan)) dont les services ont été retenus par le gouvernement provincial du Hebei pour conclure la transaction concernant les droits de cession a signé, en date du 18 avril 1997, une entente de transfert de capitaux pour 2 600 RMB par mètre carré. Il semble que Wang n’ait pas informé ses supérieurs que le « prix du transfert » était de 2 850 RMB par mètre carré et que le gouvernement provincial du Hebei n’ait pas été mis au courant de l’existence d’un accord de transfert et d’indemnisation qui aurait nécessité le versement de 10,7 millions de RMB à Hong Deli Limited.
[18] La SPR a jugé que Wang avait conseillé à Yanshan de verser la somme de 10,7 millions RMB. Au vu du dossier soumis à la Cour, il est très difficile de savoir pourquoi Yanshan aurait été tenue d’effectuer un paiement de cette nature et pourquoi Wang lui aurait demandé de l’effectuer. Quoi qu’il en soit, le paiement n’aurait pas été effectué, car Hong Deli a par la suite intenté des poursuites contre le gouvernement provincial du Hebei pour le paiement du solde dû (Hong Deli avait déjà reçu 1 million RMB). Pour une entente présumée frauduleuse, et dont les détails sont à tout le moins assez flous, il est surprenant de constater que des contrats ont été signés et que des poursuites ont été engagées. La SPR a admis que les poursuites ont par la suite été abandonnées et que les parties avaient convenu de recourir à l’arbitrage.
[19] Les tribunaux chinois ont jugé que M. Wang n’avait pas fait valoir ses arguments de façon convaincante en arbitrage et ils ont, par conséquent, conclu que le gouvernement provincial du Hebei avait rompu son contrat avec Hong Deli. Il semble que M. Wang ait été démis de ses fonctions au sein du bureau de Beijing du gouvernement provincial du Hebei; il avait cependant poussé une personne du nom de Zhang Jinan à régler le différend au moyen d’un versement ponctuel de 4 350 000 RMB. En contrepartie de ce versement, un accord d’exécution d’une entente conciliatoire a été signé. Vu l’avance déjà versée de 1 million RMB, l’entente portait le montant global des indemnités versées à 5 350 000 RMB. Le 29 août 2002, Wang et le courtier ont été déclarés coupables du crime de détournement de fonds. La traduction du jugement fait référence à un certain Cheng Muyang (qui a été reconnu comme le demandeur en l’espèce) en tant que troisième acteur ayant participé au détournement de fonds, sans qu’il ne soit toutefois poursuivi en justice.
II. Décisions des tribunaux chinois et de la SPR
[20] Après avoir lu les motifs de sentence rédigés par la Cour intermédiaire du peuple de Shijiazhuang, dans la province du Hebei, ainsi que ceux fournis au soutien de la décision de la Cour supérieure du peuple de la province du Hebei, laquelle a été rendue un mois plus tard, soit le 24 septembre 2002, la Cour a du mal à comprendre quels sont les éléments de preuve qui étayent l’allégation de complicité portée contre le demandeur.
[21] Les deux jugements sont ponctués de références au demandeur (identifié tout du long comme étant Cheng Muyang), mais le mystère entoure toujours la question de savoir quels éléments de preuve, y compris les éléments de preuve documentaire, ont été présentés pour associer le demandeur aux opérations, outre le fait d’avoir mis en contact Wang et le courtier. En fait, le stratagème même du détournement de fonds est assez difficile à comprendre. Dans l’hypothèse où Wang et le courtier auraient vraiment commis un crime, une question qu’il incombe aux tribunaux chinois de trancher, il est nécessaire de démontrer que le demandeur y a participé de façon à satisfaire aux exigences de la loi canadienne. (Je souligne que le tribunal admet que la preuve est ambigüe. On peut lire au paragraphe 120 des motifs de la décision : « Je reconnais sans peine que la preuve laisse place à interprétation et qu’il semble y avoir une défense légitime à présenter au juge des faits. Cette tâche, cependant, relève d’une cour criminelle et n’est pas du ressort du présent tribunal. »)
[22] Le tribunal s’est uniquement appuyé sur les conclusions tirées par les deux tribunaux chinois et leurs décisions rendues à un mois d’intervalle (aux paragraphes 45 et 110 des motifs de la décision du tribunal). Il a été confirmé à l’audience devant la Cour que la SPR n’a jamais eu accès à quelque élément de preuve que ce soit ayant pu être déposé devant les tribunaux chinois.
[23] La probabilité que le demandeur ait participé à la transaction immobilière en cause serait vraisemblablement plus forte s’il était possible d’établir qu’il a reçu de l’argent. Le tribunal semble d’avis que le demandeur a reçu 2,8 millions des 5,35 millions RMB qui auraient été détournés. Il n’a toutefois pas été possible de savoir quels éléments de preuve étayent cette assertion.
[24] On peut lire à la page 9 de la décision du 29 août 2002 (qui en compte 17), rendue par la cour de Shijiazhuang, que [traduction] « à même les diverses sommes versées à Hong Deli Limited, et qui totalisent 5 350 000 RMB, M. Cheng Muyang s’est approprié 2 800 000 RMB et M. [le courtier] a gardé 2 550 000 RMB ». Le tribunal chinois évoque tout au plus des « éléments de preuve documentaire pertinents », sans donner de détails sur la nature de ces éléments. Au paragraphe 18, à la page 13, il est écrit : [traduction] « Les éléments de preuve documentaire pertinents confirment que, des 5 350 000 RMB versés, M. Cheng Muyang s’est approprié 2 800 000 RMB; le solde, soit 2 550 000 RMB a été gardé par M. [le courtier]. À la suite de l’ouverture de l’enquête, l’argent obtenu de façon illicite par M. [le courtier] a été récupéré ».
[25] Une déclaration générale du même genre figure dans le jugement (qui compte 11 pages) prononcé, le 24 septembre 2002, par la Cour supérieure du peuple de la province du Hebei. Il y est fait mention d’une somme d’argent reçue par le demandeur à la page 6, où il est écrit : [traduction] « M. Cheng Muyang s’est approprié 2 800 000 RMB et M. [le courtier] a gardé 2 550 000 RMB. À la suite de l’ouverture de l’enquête, l’argent obtenu de façon illicite par M. [le courtier] a été récupéré ». Dans la même veine, à la page 7, il est écrit : [traduction] « Des éléments de preuve documentaire confirment que Cheng Muyang s’est approprié 2 800 000 RMB et que M. [le courtier] a gardé 2 550 000 RMB, somme qui a déjà été récupérée ». Aucune preuve n’étaye ces affirmations. Je ne veux pas laisser entendre que ces éléments de preuve n’existent pas. Je souligne plutôt que le dossier ne contient aucune indication de ce qui pourrait être considéré comme une preuve que des sommes d’argent ont été transférées au demandeur par suite de l’opération jugée frauduleuse par les tribunaux chinois.
[26] Le jugement de la Cour supérieure du peuple semble associer de plus près le demandeur à la transaction intervenue. Ainsi, à la page 8, il est écrit que : [traduction] « [l]’acte posé par M. [le courtier] et M. Cheng Muyang en vertu duquel l’État a été frustré, par la fraude, de biens publics a été légitimé par la signature d’un “accord de transfert et d’indemnisation” ». Plus bas sur la même page, il est écrit : [traduction] « Avant de signer l’accord de transfert et d’indemnisation avec M. Cheng Muyang et M. [le courtier], M. Wang Fuyou savait pertinemment que M. [le courtier] n’avait pas acquis le droit de céder Fulin Plaza, mais il est quand même allé de l’avant en approuvant l’accord ». Il est difficile de comprendre en quoi ce qui précède rend la transaction frauduleuse. Force est de constater que des contrats ont apparemment été signés et que des droits de cession ont été transférés par HK Macau. Il se peut que le courtier ait déclaré qu’il disposait des droits de cession et que cette affirmation ait été inexacte, mais il n’en demeure pas moins que les droits de cession ont été transférés par leur propriétaire légitime.
[27] En outre, ledit accord, qui a été versé au dossier, n’a pas été signé par le demandeur. Cet accord est parfaitement clair quant au rôle que devait jouer la société Hong Deli Technology Development Corporation Limited. Il n’y est nulle part indiqué que c’est cette entreprise qui détient les droits sur la propriété, alors qu’il apparaît clairement que ces droits appartiennent à la Hong Kong Macau International Investment Company Limited.
[28] Sans que cette affirmation n’ait été étayée, la Cour supérieure du peuple déclare, à la page 8, que [traduction] « l’entreprise de M. [le courtier], Hong Deli Limited, une société contrôlée par M. Cheng Muyang, n’a pas obtenu le droit de cession sur la Fulin Plaza, une propriété appartenant à Hong Kong Macau Limited, et le prix de vente réel de la propriété par Hong Kong Macau Limited était de 2 600 RMB par mètre carré ». La déclaration selon laquelle Hong Deli est contrôlée par le demandeur n’est étayée par aucun élément de preuve dans le dossier dont la Cour dispose et elle n’a pas été reprise dans l’une ou l’autre décision.
[29] La SPR a néanmoins conclu à la participation du demandeur.
[30] À la lecture des motifs de sa décision, il semblerait que la SPR a été convaincue du bien-fondé des conclusions tirées par les tribunaux chinois, et cela malgré le fait que le demandeur n’a pas été poursuivi en justice et que les déclarations le concernant aient été faites sans vraiment être étayées. Autrement dit, le nom du demandeur est mentionné dans les décisions rendues en Chine, mais il est très difficile d’affirmer que sa participation s’est étendue au-delà du fait de présenter Wang au courtier, et d’avoir recommandé à un certain moment de recourir à l’assistance d’un conseiller juridique dans le cadre de l’opération. La question à trancher pour la Cour est celle de savoir si la décision que la SPR a rendue en se fondant sur les jugements prononcés par les deux tribunaux chinois satisfait à l’exigence du caractère raisonnable en droit canadien.
III. Norme de contrôle
[31] La question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SPR, qui a conclu que les faits en cause satisfont au critère relatif à l’existence de raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun, est appropriée. Cette question est une question mixte de fait et de droit et elle est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. En concluant ainsi, je souscris à l’opinion exprimée par le juge O’Keefe, de notre Cour, dans la décision Notario c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1159, au paragraphe 29, qui a suivi la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Feimi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 325. Il s’ensuit qu’il convient de faire montre de déférence à l’endroit du tribunal. Tel qu’énoncé dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (au paragraphe 47).
IV. Analyse
[32] En dépit de la déférence dont il convient de faire montre à l’endroit du décideur, je suis arrivé à la conclusion que la décision selon laquelle il existe des raisons sérieuses de croire que le demandeur a commis des crimes graves de droit commun avant son arrivée au Canada ne satisfait pas au critère de la décision raisonnable.
[33] Il est reconnu que l’insuffisance des motifs ne constitue pas un motif qui justifie à lui seul la contestation par voie de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un tribunal. La Cour suprême, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, n’aurait pu être plus explicite (au paragraphe 14) :
Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat. Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47). [Renvois omis.]
Il n’en demeure cependant pas moins que les cours de révision doivent examiner les motifs afin de déterminer si la décision fait partie des issues possibles acceptables et si son caractère raisonnable tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Sans chercher la perfection, les cours de révision doivent interpréter les motifs à la lumière de la preuve pour déterminer si la décision est raisonnable. La difficulté en l’espèce tient en partie à la qualité de la preuve sur laquelle la SPR s’est fondée pour en arriver à sa conclusion. Cette preuve est approximative et de troisième niveau, et un examen attentif révèle que le demandeur n’est concerné que dans le cadre d’affirmations vagues formulées dans des jugements étrangers.
[34] La tâche qui incombait à la SPR consistait à déterminer s’il existait des raisons sérieuses de penser qu’un crime grave de droit commun avait été commis à l’extérieur du Canada. Comme l’a établi la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sing c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, la norme requiert davantage qu’un simple soupçon, mais elle est moins élevée que la norme de droit civil de la prépondérance de la preuve (au paragraphe 25). Je reviendrai ultérieurement, dans le cadre des présents motifs du jugement, sur la façon dont le critère a été énoncé dans des arrêts plus récents. Il suffit de dire, à ce stade, que la norme de preuve applicable au Canada est celle de la « croyance raisonnable », qui se situe sur le spectre des normes de preuve entre le soupçon et la prépondérance des probabilités.
A. Pas plus que des soupçons raisonnables
[35] La SPR ne semble pas avoir été convaincue que la preuve permet d’étayer plus qu’un simple soupçon. Elle ne pouvait en effet être convaincue puisque la SPR ne disposait pas de ces éléments de preuve. Elle n’avait en fait pour seules raisons sérieuses de penser qu’un crime a été commis que les décisions rendues par les tribunaux chinois, et n’a pas tenu compte de la preuve concrète présentée. Au paragraphe 13 de son exposé des arguments, le défendeur fait valoir que [traduction] « [l]a SPR a estimé que les éléments de preuve présentés aux tribunaux chinois dans le cadre des procédures intentées à contre [le courtier] et Wang constituaient une preuve suffisante permettant de conclure à l’existence de raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun en Chine avant son arrivée au Canada ». Je n’ai aucun doute que c’est la conclusion à laquelle en est venue la SPR. Il ne s’agit cependant pas là du critère qui s’applique au stade du contrôle judiciaire. Ce critère est plutôt celui du caractère raisonnable de la conclusion. À la lumière de la preuve dont elle est saisie, la Cour estime que rien dans la décision de la SPR n’étaye cette déclaration.
[36] Comme je l’ai déjà souligné, l’arrêt Dunsmuir, précité, [au paragraphe 47] statue que « [l]a cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité ». En l’espèce, le tribunal a accepté la décision de tribunaux étrangers. Le tribunal ne disposait pas de la documentation qui aurait apparemment été déposée devant les tribunaux chinois. En outre, la preuve en l’espèce démontre que l’instruction devant les tribunaux chinois n’a pas duré plus d’une journée (y compris l’audition de la preuve concernant l’opération à laquelle sont intervenus Wang et le courtier, ainsi que les autres transactions à l’égard desquelles Wang a été déclaré coupable). Cette preuve démontre également qu’un seul témoin a comparu devant les juges. À l’exception de ce seul témoin, dont la déposition est en fin de compte négligeable, le reste de la preuve se limiterait aux déclarations faites par des témoins et aux documents présentés. Aucune des déclarations de ces témoins n’a cependant été présentée devant la SPR et la nature incriminante des documents disponibles est très loin d’être convaincante. Il faut que le tribunal ait été convaincu par les décisions rendues par les tribunaux étrangers. Autrement dit, les raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun sont en fait celles retenues par les tribunaux chinois. En réalité, pour ajouter à la difficulté, nous comprenons maintenant que la preuve dont disposaient les tribunaux chinois n’a pas fait l’objet d’un examen : la poursuite a déposé des déclarations et il semblerait qu’elles aient été acceptées.
[37] Avec ses 139 paragraphes, la décision de la SPR ne va pas au-delà de ce qui se trouve dans les décisions des tribunaux chinois. Elle ne contient aucun examen de la preuve parce qu’aucun élément de preuve n’a été présenté à la SPR. La SPR souligne que 10 témoins ont comparu, alors que nous savons que seules des déclarations ont été déposées en preuve (sauf en ce qui concerne un témoin). Non seulement cette décision n’indique pas que les éléments de preuve présentés aux tribunaux chinois n’ont pas été examinés, mais il n’est pas non plus possible de procéder à un examen critique des dépositions des témoins parce qu’elles ne sont pas disponibles. La SPR ne peut que déclarer que le procès était complexe et que « [l]a liste des témoins et des documents ci-dessus montre que l’État a présenté beaucoup d’éléments de preuve pour faire déclarer coupables [le courtier] et [Wang] et, par extension, pour incriminer le demandeur d’asile » (au paragraphe 61).
[38] Je n’irais pas jusqu’à dire que l’on ne doit jamais s’appuyer sur les conclusions d’un tribunal étranger. Cependant, pour pouvoir se fier à ces conclusions, il faudrait que les motifs exposés par le tribunal étranger atteignent un niveau qui satisfasse au critère des raisons sérieuses de penser qu’un crime grave de droit commun a été commis. En l’espèce, la SPR reconnaît, aux paragraphes 47 et 48, l’étendue et les limites de la tâche qu’elle a à accomplir. Ces paragraphes sont ainsi rédigés :
Le conseil du ministre concède que les défauts de l’appareil judiciaire en RPC ont donné lieu à des violations des droits de la personne. Le tribunal constate que cette affirmation est corroborée par les dossiers d’information sur le pays, le témoignage du témoin-expert du ministre lors de l’audience de la SAI, le [professeur Vincent Yang], et le témoin du demandeur d’asile lors de l’audience de la SI, M. [Clive Ansley].
Je n’en conclus pas pour autant, toutefois, que tous ceux et celles qui sont accusés d’une infraction criminelle en RPC voient leurs droits fondamentaux bafoués ni que les déclarations de culpabilité de l’appareil judiciaire sont systématiquement biaisées par des considérations politiques. La question, pour le tribunal, consiste à examiner la preuve à sa disposition et à déterminer si le demandeur d’asile en l’espèce a été victime d’une pareille machination ou s’il est plutôt un criminel fuyant son pays pour éviter d’avoir à répondre de ses actes devant la justice. Il faut pour cela que je procède à un examen contextuel de la preuve à ma disposition.
Selon la SPR, de simples déclarations faites par un tribunal étranger ne suffiront pas à la tâche, alors que c’est exactement ce qu’elle a retenu en l’espèce : un examen contextuel sérieux de la preuve dont disposait le tribunal n’a pu être réalisé parce qu’aucune autre preuve que les conclusions des tribunaux étrangers n’a été présentée. Le tribunal a plutôt cherché à confirmer ces conclusions en se fondant sur des éléments de preuve que l’on peut qualifier, dans le meilleur des cas, de secondaires.
[39] Ce n’est pas que le tribunal a mal décrit la tâche qui lui incombait. Il est possible, dans tous les cas, de procéder à un examen de la preuve et de conclure qu’il y a des raisons sérieuses de croire qu’un crime grave a été commis. Le problème est ailleurs : la décision n’indique pas qu’un tel examen a été fait, voire même qu’il aurait pu être réalisé. Le recours à des éléments de preuve secondaires n’ajoute pas grand-chose en l’espèce. Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour a examiné les deux décisions des tribunaux chinois, ainsi que la preuve testimoniale produite devant la SAI par un des procureurs dans cette affaire. En toute déférence, je n’ai pu conclure à l’existence de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel que requiert l’arrêt Dunsmuir. La SPR n’est pas allée au-delà des soupçons en acceptant les décisions rendues par ces tribunaux étrangers sans avoir procédé à un examen des éléments de preuve qui auraient été déposés. Même si un examen critique minimal avait été fait, le tribunal ne pouvait accepter la « preuve » sur laquelle auraient reposé des conclusions tirées ailleurs. Je ne puis voir comment il est possible de conclure sur cette base à l’existence de raisons sérieuses de penser qu’un crime a été commis.
B. Tentative pour trouver appui dans le témoignage d’un Canadien
[40] Le tribunal a cherché à s’appuyer sur le témoignage de M. Vincent C. Yang, auquel il a accordé beaucoup de poids. M. Yang est directeur de programme et associé principal du Centre international pour la réforme du droit criminel et la politique en matière de justice pénale à Vancouver. Le témoignage de M. Yang, présenté à la SAI, traite essentiellement des allégations de confessions forcées qu’auraient faites Wang et le courtier. Le tribunal déclare, au paragraphe 81 de ses motifs, que M. Yang « a pris connaissance de la preuve associée aux déclarations de culpabilité au criminel dans la présente affaire, et il s’est dit d’avis que, même sans les confessions [du courtier] et [de Wang], la preuve était suffisante pour les déclarer coupables ».
[41] Cette déclaration pose trois problèmes. Premièrement, il est très difficile de déterminer sur quel fondement ce témoin s’appuie lorsqu’il confirme que la preuve était suffisante pour obtenir une déclaration de culpabilité, étant donné que cette preuve n’a jamais été déposée au Canada. Il s’appuie uniquement sur la [traduction] « preuve ci-dessus » produite lors du procès de première instance. Il n’est pas mieux placé que le tribunal pour apprécier la valeur de la preuve et le poids qu’il convient d’y accorder. Deuxièmement, M. Yang donne son opinion sur la légitimité des procédures judiciaires dont le courtier et Wang ont été l’objet, et ses conclusions concernent le verdict de culpabilité rendu contre ces derniers. Il ne pouvait légitimement émettre de commentaires sur la situation du demandeur puisqu’il ne s’agissait pas d’un procès. Enfin, la SPR ne l’a pas reconnu comme un témoin expert dans le cadre de cette instruction (au paragraphe 70). Quoi qu’il en soit, compte tenu de l’expérience de M. Yang, des études qu’il a faites et de ses titres de compétence, soit les mêmes facteurs qui font en sorte qu’un témoin est reconnu comme expert et confèrent du poids à son opinion, le tribunal a décidé d’accorder « beaucoup de poids » à son témoignage (au paragraphe 72). Déterminer le poids qu’il convient d’accorder à l’opinion émise par un non-expert sur un jugement mettant en cause Wang et le courtier, de sorte qu’il soit possible de tenir pour avérée la participation du demandeur à un stratagème frauduleux dont la complexité a été soulignée, alors que le demandeur ne subissait pas de procès, est un exercice plutôt nébuleux. Selon la norme de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, il faut conclure que le recours au témoignage de M. Yang pour justifier une conclusion tirée contre le demandeur est loin d’être suffisant. Le fait de se fier à l’opinion d’une personne qui n’est pas mieux placée que le tribunal pour trancher cette question n’ajoute aucun sérieux à la décision qui est de la compétence exclusive de la SPR.
C. Les motifs des tribunaux étrangers et l’absence de preuve devant la SPR
[42] Le tribunal a consacré une bonne partie des motifs du jugement à traiter des raisons qui auraient motivé les tribunaux étrangers à tendre un piège au demandeur. Le tribunal a jugé moins que vraisemblable le motif politique invoqué suivant lequel la personne ciblée aurait été le père du demandeur, cadre supérieur du gouvernement de la province du Hebei jusqu’en 2000. Il n’en demeure pas moins que la tâche du tribunal consistait d’abord et avant tout à déterminer s’il existait des raisons sérieuses de penser qu’un crime avait été commis. Le premier exercice ne saurait remplacer l’autre. La question de savoir pourquoi une poursuite a été intentée se pose après avoir conclu à l’existence de raisons sérieuses de penser qu’un crime (auquel le demandeur a pris part) a été commis. La question subsiste cependant : de quels éléments de preuve dispose-t-on? La seule réponse possible se trouve dans les résumés offerts par les tribunaux chinois.
[43] La décision de la SPR se fonde sur les éléments suivants :
• Une série de résumés des dépositions faites par des témoins qui font partie des jugements rendus par les tribunaux chinois, lesquels semblent constituer l’unique fondement de la déclaration de culpabilité de deux personnes. La preuve concernant le demandeur est faible, pourtant la SPR ne l’analyse pas ni ne formule de commentaire à son sujet;
• Le témoignage livré devant la SAI par M. Yang, qui conclut, entre autres choses, que la preuve dont disposaient les tribunaux chinois était suffisante pour rendre une déclaration de culpabilité. M. Yang n’a eu accès à aucun autre élément que ceux mis à la disposition de la SPR, soit très peu de choses;
• Une longue explication sur les raisons pour lesquelles la poursuite instituée contre deux personnes ne pouvait avoir pour objectif de piéger le demandeur de façon à atteindre son père, le cadre supérieur du Parti communiste chinois. Toutefois, le fait de conclure qu’aucun motif d’ordre politique ne justifie une poursuite ne permet pas de conclure qu’il existe des preuves qu’un crime grave a été commis par le demandeur qui ne subissait pas un procès;
• L’existence d’un avis juridique déposé par le demandeur pour faire valoir qu’il n’est pas coupable, et interprété a contrario sensu comme suit : « à la lumière de la preuve présentée par l’État, il y a des arguments convaincants à faire valoir » (au paragraphe 121).
[44] Tellement peu d’éléments permettent d’étayer la conclusion selon laquelle il existe des raisons sérieuses de penser qu’un crime grave a été commis que la SPR en vient à inverser le fardeau de la preuve. Il est frappant de constater qu’on reproche au demandeur de ne pas avoir contesté avec succès des éléments de preuve dont la SPR ne dispose pas et qui se rapportent à la poursuite et à la déclaration de culpabilité de personnes autres que le demandeur (au paragraphe 120).
[45] À mon avis, on ne trouve nulle part de raison précise expliquant pourquoi le tribunal conclut que le demandeur a en l’espèce commis un crime grave de droit commun. Le tribunal cherche la confirmation de ses soupçons dans des considérations secondaires, que ce soit l’opinion exprimée par M. Yang, les motifs exposés par un tribunal étranger, l’avis juridique interprété a contrario et l’incapacité du demandeur à contester des éléments de preuve dont la SPR ne dispose même pas.
[46] La décision de refuser à une personne, en vertu de l’article 98 de la LIPR, l’accès au régime de protection des réfugiés prévu par la loi canadienne est une décision d’importance. S’agissant d’une clause d’exclusion écartant l’application de la Convention relative aux réfugiés, l’article 98 devrait être appliqué avec précaution, ce qui donne lieu à interprétation plutôt restrictive. On ne peut invoquer l’existence de raisons sérieuses de penser sans motif valable. Le niveau de persuasion approprié, qui dépasse celui du simple soupçon, mais qui est moins élevé que celui de la prépondérance des probabilités, peut être atteint par une analyse des éléments de preuve, et non pas la simple acceptation de certaines conclusions, dont un examen approfondi révèle qu’elles ne sont pas clairement étayées. Nous sommes en présence d’un cas où le pouvoir décisionnel est entièrement transféré dans les mains des tribunaux étrangers desquels la SPR a accepté les conclusions.
D. Quelle norme de preuve est requise pour aller « au-delà des soupçons »?
[47] Les audiences tenues devant les tribunaux étrangers ne sont évidemment pas toujours instruites selon un système accusatoire, à l’instar de celui dans lequel nous évoluons. Nous qui sommes de tradition anglo-saxonne, voyons beaucoup d’avantages au système accusatoire. Comme la Cour suprême des États-Unis l’a conclu, il y a de cela quelque 45 ans (Alderman v. United States, 394 U.S. 165 (1969) (Alderman), aux pages 183 et 184) :
[traduction] Les procédures accusatoires constituent un aspect important de notre système de justice criminelle. Nulle part ailleurs leur supériorité ne s’affiche-t-elle autant comme moyen de s’assurer que justice soit rendue que dans les causes, comme celles de l’espèce, où la question en litige doit être tranchée en fonction d’une grande quantité de documents et de la prise en compte de liens nombreux et subtils qui peuvent exister entre les faits constatés par ces documents. Comme il est de plus en plus nécessaire de recourir au processus accusatoire, en raison de la complexité des questions soumises à l’attention des tribunaux, et, par ricochet, du caractère inadéquat du recours aux procédures ex parte comme moyen d’en arriver à un règlement juste, il devient forcément moins justifiable de déroger au principe de la défense bien éclairée d’une cause.
[48] La question n’est pas tant de critiquer les systèmes judiciaires dont le fonctionnement n’est pas identique au nôtre. Il s’agit plutôt d’y trouver des indices de fiabilité avant d’accepter les conclusions de ces tribunaux étrangers [traduction] « dans les causes […] où la question en litige doit être tranchée en fonction d’une grande quantité de documents et de la prise en compte de liens nombreux et subtils qui peuvent exister entre les faits constatés par ces documents » [Alderman, aux pages 183 et 184].
[49] C’est certainement le cas dans l’affaire dont la SPR et notre Cour ont été saisies. Le demandeur n’a pas subi de procès en Chine. La SPR a néanmoins accepté les conclusions d’un tribunal étranger sans en avoir déterminé l’indice de fiabilité, en tenant compte, plus particulièrement, du fait qu’il s’agissait d’un processus qui est sans aucune équivoque non accusatoire. Des attributs d’une décision raisonnable, soit « la justification de la décision […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » sont absents en l’espèce. (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).
[50] Je répète qu’il n’est pas nécessaire que le processus judiciaire du pays étranger soit accusatoire. Ce qu’il faut, c’est qu’il existe des raisons de se fier aux conclusions tirées par le tribunal étranger qui permettent de satisfaire au critère des « des raisons sérieuses de penser ». Pour arriver à conclure en ce sens, il convient d’examiner les attributs qui confèrent à une décision son caractère raisonnable. La Cour ne peut conclure à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel du tribunal lorsque ce dernier s’appuie sur des conclusions dont l’examen est impossible. Le tribunal s’est fondé sur des décisions de tribunaux étrangers et, étant donné le manque d’information, il est impossible de déterminer sur quels facteurs reposaient la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel de ces tribunaux étrangers.
[51] Je ne perds pas de vue l’exigence selon laquelle il faut davantage qu’un simple soupçon et moins que ce qui requiert la norme de prépondérance des probabilités. Mais le tribunal lui-même semble affaiblir sa propre conclusion et ne va pas au-delà du simple soupçon lorsqu’il déclare, au paragraphe 123, que « [j]’estime qu’il pourrait y avoir assez d’éléments de preuve d’un comportement criminel pour qu’il faille les soumettre à l’examen d’un juge des faits afin d’établir la culpabilité ou l’innocence du demandeur d’asile » (je souligne). Le tribunal se dit ensuite d’avis que la norme qu’il applique (selon laquelle il « pourrait y avoir assez d’éléments de preuve d’un comportement criminel ») excède la norme applicable, soit celle des « raisons sérieuses de penser » ([en anglais] « serious reasons for considering ») que le demandeur a commis un crime grave de droit commun. Je n’en suis pas convaincu. La norme est mal interprétée.
[52] À mon avis, la SPR énonce une norme de soupçons. Elle indique tout au plus qu’il pourrait y avoir assez d’éléments de preuve. Les motifs rédigés par la SPR énoncent une norme qui correspond à des soupçons, et non à une croyance raisonnable. Le tribunal est logique dans son raisonnement puisqu’il parle de l’existence possible d’éléments de preuve qui pourraient être présentés au tribunal, parce qu’il ne sait pas en quoi cette preuve consiste. Dans de telles circonstances, il serait difficile d’avoir des raisons sérieuses qui correspondent à une croyance raisonnable.
[53] On peut comprendre que le tribunal ait eu recours à cette formulation étant donné qu’aucun élément de preuve ne lui a été présenté, à l’exception des conclusions tirées par d’autres tribunaux dans une affaire ne mettant pas en cause le demandeur, et qu’il n’a jamais vu la preuve présentée dans cette affaire. Le tribunal ne dit rien de plus qu’il pourrait y avoir assez d’éléments de preuve, et non qu’il est d’avis qu’il y a un nombre suffisant d’éléments de preuve pour saisir un tribunal de l’affaire.
[54] Il existe des indications en ce qui a trait à la formulation de la norme de preuve applicable qui, sur le spectre des normes, se situe entre la norme des soupçons et celle de la prépondérance des probabilités. Dans l’arrêt Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678 (Ezokola), la Cour souscrit à l’opinion exprimée par le lord juge Brown of Eaton-under-Heywood sur la norme de preuve des « raisons sérieuses de penser » dans l’arrêt R (on the application of JS) (Sri Lanka) v. Secretary of State for the Home Department, [2010] UKSC 15 (BAILII), [2011] 1 A.C. 184 (JS) (au paragraphe 101) :
Enfin, la norme de preuve particulière établie à l’art. 1Fa) de la Convention relative aux réfugiés s’applique pour déterminer s’il y a ou non complicité découlant de la contribution suivant le critère énoncé précédemment. Rappelons que la Commission ne statue pas sur la culpabilité. Ses décisions de refus d’asile ne sont donc pas fondées sur une preuve établie hors de tout doute raisonnable ou selon la norme de la prépondérance des probabilités généralement applicable en matière civile. L’article 1Fa) demande plutôt à la Commission de décider s’il existe ou non des « raisons sérieuses de penser » que le demandeur a commis un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un crime contre la paix. Au chapitre de l’application de la norme de preuve, nous souscrivons aux motifs du lord juge Brown dans J.S., par. 39 :
[traduction] Il me paraît vain de s’étendre sur la mention à l’art. 1F de « raisons sérieuses de penser » que le demandeur d’asile a commis un crime de guerre. De toute évidence, dans Gurung [2003] Imm AR 115 (à la fin du par. 109), le tribunal insiste avec raison sur « la norme de preuve moins stricte qui vaut dans une affaire d’exclusion de la protection », une norme moins stricte que celle applicable dans un procès pour crime de guerre. Cela dit, les mots « raisons sérieuses de penser » emportent certainement l’application d’un critère plus strict en la matière que, par exemple, les termes « motifs raisonnables de soupçonner ». Le sens du verbe « penser » se rapproche davantage du fait de « croire » que du fait de « soupçonner ».
Les raisons sérieuses de penser se transforment en une croyance raisonnable. Une profonde indécision ressort du paragraphe 123 des motifs de la décision du tribunal. Il pourrait y avoir, et non « il y a » assez d’éléments de preuve pour qu’il faille les soumettre, et non pour qu’on « les soumette », à l’examen d’un juge des faits. Où est la croyance raisonnable? Où est la probabilité fondée sur la crédibilité qui est souvent associée à l’existence d’une croyance raisonnable? Les termes employés par le tribunal donnent fortement à penser qu’il n’exprime aucune croyance raisonnable. On ne trouve nulle part l’expression d’une « croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » (Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.) [au paragraphe 24]).
[55] Dans l’arrêt George v. Rockett, [1990] HCA 26 (AustLII), (1990), 93 A.L.R. 483, la Haute Cour d’Australie a donné une illustration fort utile des différences qui existent entre les raisons de soupçonner et les raisons de croire [aux pages 490 et 491] :
[traduction] Ainsi que le lord Devlin l’a expliqué dans l’arrêt Hussein c Chong Fook Kam [1970] AC 942, à la page 948, [traduction] « dans son sens courant, le soupçon est une conjecture ou une supposition qui ne repose sur aucune preuve : “Je soupçonne mais je ne peux pas prouver” ». Les faits qui peuvent raisonnablement fonder un soupçon peuvent être tout à fait insuffisants pour justifier de façon raisonnable une conviction et pourtant il faut démontrer l’existence d’un fondement factuel à la base du soupçon. Dans l’arrêt Queensland Bacon Pty Ltd c Rees (1966) 115 CLR 266, la question soulevée consistait à savoir si un créancier avait des raisons de soupçonner que le payeur (un débiteur) « était incapable de payer [ses] dettes à mesure qu’elles arrivaient à échéance », au sens où cette expression est utilisée au paragraphe 95(4) de la Bankruptcy Act 1924 (Cth). Le juge Kitto s’est ainsi exprimé (à la page 303) :
« Soupçonner l’existence d’une chose, c’est plus que simplement se demander si cette chose existe; le soupçon est un sentiment indéniable de véritable appréhension ou méfiance qui s’apparente à « une vague idée, non étayée de façon suffisante », comme l’exprime le Chambers’ Dictionary. Par conséquent, avoir une raison de soupçonner l’existence d’un fait, c’est plus qu’avoir une raison d’examiner ou d’envisager la possibilité de son existence. La notion que sous-tend l’expression « raison de soupçonner », au paragraphe (4), correspond, je crois, à ce qui, en toutes circonstances, suscite dans l’esprit d’une personne raisonnable placée dans la situation du créancier une véritable appréhension ou peur que la situation du payeur soit réellement celle décrite dans la disposition, c’est-à-dire une certaine méfiance à l’égard de la capacité du payeur à payer ses dettes à mesure qu’elles arrivent à échéance ainsi qu’à l’égard de l’effet que produirait un tel paiement entre le bénéficiaire du paiement et les autres créanciers. »
Les circonstances objectives suffisantes pour démontrer l’existence de motifs de croire quelque chose doivent indiquer de façon plus claire l’objet de cette conviction sans qu’il soit toutefois nécessaire que ces circonstances objectives démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que l’objet de la conviction s’est effectivement produit ou qu’il existe; ce qui emporte la conviction repose sur des éléments de preuve plus mince qu’une preuve. Quant à la conviction, il s’agit d’une inclination de l’esprit à adhérer à une proposition plutôt qu’à la rejeter et les motifs qui peuvent raisonnablement susciter cette inclination de l’esprit peuvent, selon les circonstances, tenir en partie de la supposition ou de la conjoncture.
[56] Le juge Barnes l’explique avec justesse dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. X, 2010 CF 112, [2011] 1 R.C.F. 493 (au paragraphe 15) :
Même si l’intervention du ministre était destinée à obliger la Commission à faire preuve de déférence envers la manière dont le ministre interprétait la preuve, cela ne signifie pas que le ministre a le droit d’avoir des soupçons sur la foi d’une simple intuition ou conjecture. Les soupçons raisonnables sont des soupçons qui s’appuient sur des faits objectivement vérifiables qui peuvent faire l’objet d’une appréciation judiciaire : voir R. c. Kang-Brown, 2008 CSC 18, [2008] 1 R.C.S. 456, au paragraphe 75.
Dans la présente affaire, la SPR énonce une norme se rapprochant beaucoup plus des soupçons raisonnables que d’une croyance raisonnable.
[57] D’aucuns soutiennent que non seulement cette norme nécessite d’entretenir une croyance raisonnable, ce qui est certainement une norme plus rigoureuse que celle relative aux soupçons ou aux soupçons raisonnables, mais que dans les faits elle commande aussi l’application d’une norme de preuve encore plus stricte que celle applicable à la croyance raisonnable. Dans The Law of Refugee Status (James C. Hathaway et Michelle Foster, The Law of Refugee Status, 2e éd. (Cambridge, U.K. : Cambridge University Press, 2014)), les auteurs laissent entendre, à la note 61, page 533, que depuis l’arrêt JS, la C.S.R.U. [Cour suprême du Royaume-Uni] est allée encore plus loin. Dans l’arrêt Al-Sirri v. Secretary of State for the Home Department, [2012] UKSC 54 (BAILII), [2013] 1 A.C. 745 (Al-Sirri), la Cour suprême du Royaume-Uni a tiré les conclusions suivantes sur le sens de l’expression [traduction] « “raisons sérieuses de penser” » (au paragraphe 75) :
[traduction] Il est évident que nous cherchons à dégager le sens même des mots « raisons sérieuses de penser ». Ce faisant, nous sommes conscients que le HCNUR estime que les clauses d’exclusion énoncées dans la Convention sur les réfugiés doivent être interprétées restrictivement et appliquées avec prudence, une position à laquelle nous souscrivons. Ce qui nous amène à tirer les conclusions suivantes :
1) L’expression « raisons sérieuses » est plus forte que l’expression « motifs raisonnables ».
2) Les preuves dont découlent les raisons doivent être « claires et crédibles » ou « solides ».
3) « Penser » est plus fort que « suspecter ». Il est également, à notre avis, plus fort que « croire ». Cela nécessite alors le jugement éclairé du décideur.
4) Le décideur n’est pas tenu d’être convaincu hors de tout doute raisonnable, ou selon la norme applicable en droit criminel.
5) Il n’est pas nécessaire de faire intervenir nos normes de preuve internes sur ce point, car les circonstances à l’origine des demandes d’asile ainsi que la nature des éléments de preuve sont tellement variées. Si le décideur est toutefois convaincu qu’il est plus probable que le contraire que le demandeur d’asile n’a pas commis le crime reproché ou qu’il ne s’est pas rendu coupable d’agissements contraires aux objectifs et principes des Nations Unies, il est difficile de voir comment il pourrait avoir des raisons sérieuses de penser qu’il a agi de la sorte. En réalité, il est très peu probable qu’il ait des raisons suffisamment sérieuses de penser que le demandeur d’asile est coupable, à moins qu’on puisse le convaincre, selon la prépondérance des probabilités, du contraire. La tâche du décideur consiste toutefois à appliquer les termes de la Convention (et de la directive) au cas particulier dont il est saisi. [Italiques dans l’original.]
[58] Il n’est pas nécessaire de se pencher sur ce précédent ni de le commenter davantage. La décision Ezokola a force obligatoire vu que la Cour a adopté le critère appliqué avant l’arrêt Al-Sirri. Je ne veux pas dire que ce critère est plus rigoureux que celui de la « croyance », en dépit de la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni, selon laquelle le critère applicable des « raisons sérieuses » mentionné à la section F de l’article premier [de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés] est plus strict que celui des « motifs raisonnables », et que le terme « penser » est plus fort que « soupçonner », et même plus fort que « croire ». À ce stade, il suffit plutôt de statuer que la SPR n’énonce pas un critère qui va au-delà des soupçons raisonnables. Compte tenu du peu d’information dont disposait la SPR, il n’est guère surprenant que sa décision ne respecte pas les exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel puisqu’il s’est fondé sur un processus décisionnel différent. Il n’est pas nécessaire de chercher à appliquer l’arrêt Al-Sirri en l’espèce.
[59] En résumé, la question n’est pas de savoir si les conclusions d’un tribunal étranger doivent être complètement écartées. Elles ne doivent pas l’être. Je ne puis cependant pas voir comment il est possible de croire en l’existence de raisons sérieuses en se fondant uniquement sur les conclusions d’un autre tribunal sans avoir une compréhension claire des éléments de preuve présentés à l’encontre du demandeur. Il faut se rappeler que le demandeur ne subissait pas de procès. En outre, tout ce que nous avons à notre disposition se limite à un résumé de la déposition d’un témoin qui n’a pas été entendu à l’audience et dont le témoignage n’a pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire. Comme l’a admis le procureur Zhang devant la SAI lorsqu’il a expliqué pourquoi les jugements des tribunaux ne contenaient que de brefs résumés, les déclarations faites par les témoins pouvaient couvrir de nombreuses pages et s’il devait y référer dans leur intégralité, le tribunal y consacrerait de nombreuses pages. Il semble donc que les tribunaux étrangers se satisfont de cette façon de procéder. Le processus suivi se résume à la tenue d’un procès d’une journée (le tribunal de première instance chinois a examiné quatre autres opérations auxquelles Wang a participé), où des déclarations de témoins auraient été présentées à un tribunal, et où seulement un témoin aurait déposé de vive voix. La SPR ne disposait pas des déclarations des témoins ni des transcriptions des audiences tenues devant les tribunaux chinois. La SPR n’a pas eu accès aux « éléments de preuve » présentés devant les tribunaux chinois. Nous savons maintenant que ces « éléments de preuve » n’ont pas été vérifiés. Enfin, le demandeur n’a pas subi de procès en Chine et ses intérêts n’ont pas été représentés au procès de Wang et du courtier. La SPR a dû en fait accepter les conclusions tirées à l’étranger parce qu’elle ne pouvait d’aucune façon apprécier la preuve présentée à l’encontre du demandeur. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la norme de la décision raisonnable nécessite davantage que l’acceptation sans justification claire de conclusions tirées à l’étranger. Il n’existe pas, en l’espèce, de justification claire.
[60] En outre, la décision de la SPR devait être fondée sur des preuves claires et convaincantes (Cardenas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 139 (1re inst.) (QL)). La SPR ne conclut pas que les preuves sont convaincantes. À la lumière des résumés de témoignages qui figurent dans les décisions des tribunaux chinois, ces preuves ne sont pas claires non plus. La SPR énonce en fait un critère qui jamais ne s’élève au niveau requis, soit celui des raisons de croire.
E. Autres arguments
[61] Le demandeur a avancé d’autres arguments. Je m’abstiendrai de les commenter plus en détail étant donné que l’affaire est renvoyée aux fins d’un nouvel examen. L’avocat du demandeur a adopté une approche dirigée sur plusieurs fronts dans la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur a notamment fait valoir que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêchait la SPR de tirer certaines conclusions de fait parce que ces questions avaient déjà été tranchées dans le cadre d’une autre procédure devant la SAI. Il est clair que la décision de la SAI n’est pas définitive, ce qui est une condition préalable à l’application de la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460). Dans l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422, la Cour a statué qu’une décision est « “définitive” lorsque toutes les voies d’appel ou de contrôle judiciaire ont été épuisées » (au paragraphe 51). Le demandeur a également plaidé que le crime reproché est un crime politique. Ce faisant, le demandeur confond le crime politique avec la poursuite relative à un acte criminel pour des raisons politiques. C’est la motivation du délinquant qui importe et non celle du poursuivant. Le demandeur a contesté la décision de la SPR de rejeter, au motif qu’elle était « illogique », la thèse selon laquelle la poursuite intentée en Chine visait le père du demandeur. L’avocat du demandeur a aussi examiné avec attention la crédibilité de plusieurs témoins. À mon sens, la SPR a simplement dit dans ses motifs, considérés dans leur ensemble, qu’il semblait difficile de croire qu’un stratagème aussi complexe mettant en cause le fils de la personne visée ait été utilisé pour viser le père du demandeur. Ce n’était en réalité qu’une façon pour la SPR d’exprimer son désaccord avec le demandeur quant à ses propositions sur les motifs politiques. En fait, ces motifs étaient même loin d’être évidents. Le critère qu’il faut appliquer est celui de savoir si la décision du tribunal est raisonnable, et non pas si l’utilisation des termes retenus pour s’exprimer d’une certaine façon est la plus appropriée. À mon avis, la question de l’utilisation du terme « illogique » n’est pas pertinente dans le contexte de la présente affaire ni dans celui des motifs de la décision.
F. Conclusion
[62] Par conséquent, on ne saurait dire que la décision est raisonnable en raison du fait que la cour de révision conclut à l’existence de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel; la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et l’affaire doit être renvoyée à un tribunal de la SPR différemment constitué pour qu’il procède à un nouvel examen et rende une décision.
V. Questions à certifier
[63] L’avocat du demandeur a soulevé certaines questions à examiner aux fins de certification en vertu de l’article 74 de la LIPR. L’avocate du défendeur s’est opposée aux questions proposées par le demandeur et n’en a présenté aucune de son propre chef. Je n’aurais pas été enclin à certifier l’une quelconque des questions proposées, car elles ne sont pas déterminantes quant à l’issue des questions en litige. Dans l’arrêt Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290, les principes applicables sont bien résumés au paragraphe 9 :
Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL), au paragraphe 4; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).
Quoi qu’il en soit, compte tenu de la décision de notre Cour, il n’est pas nécessaire d’examiner en détail les questions proposées par le demandeur.
VI. Confidentialité
[64] Au début de l’audience sur le bien-fondé de l’affaire, la Cour a entendu les arguments présentés par l’avocat du demandeur afin que les documents déposés en l’instance soient traités de façon confidentielle.
[65] Compte tenu de l’importance des audiences publiques où l’occasion est offerte au public d’être témoin des procédures qui se déroulent devant les tribunaux, il a d’emblée été admis qu’une ordonnance de portée générale ne conviendrait pas (Lukács c. Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités), 2015 CAF 140).
[66] Le protonotaire Lafrenière avait déjà rendu une ordonnance dans la présente affaire le 11 juin 2015. Suivant l’avis de requête, le demandeur sollicitait une ordonnance de portée générale et, de façon subsidiaire, proposait pour examen d’autres ordonnances dont la portée était plus limitée. Le protonotaire Lafrenière a prononcé une ordonnance de portée assez limitée. L’avocat du demandeur n’a pas interjeté appel de cette ordonnance. Toutefois, comme l’ordonnance est arrivée à son expiration avec la tenue de l’audience devant notre Cour, l’avocat du demandeur voulait que l’ordonnance soit au moins renouvelée.
[67] En raison du fait que l’avocat du demandeur souhaitait s’adresser à la Cour afin d’examiner le cas d’un certain nombre de témoins dont l’identité devrait être protégée dans toute la mesure possible et raisonnable, la Cour a entendu à huis clos des observations concernant trois témoins.
[68] Le défendeur n’a pas pris position devant la Cour sur la question de savoir si une ordonnance de confidentialité devrait être prononcée, mais il a plutôt suggéré que la portée d’une telle ordonnance devrait être limitée.
[69] Je souscris à l’avis du protonotaire Lafrenière selon lequel il conviendrait, lorsque c’est possible, de prendre des mesures pour aider à réduire au minimum les risques courus par les témoins. Ces efforts en vue de réduire au minimum ces risques ont cependant une portée limitée, car des informations détaillées relatives à l’affaire dont la Cour est saisie sont déjà du domaine public.
[70] Il a donc été ordonné que l’identité de trois témoins serait protégée en ce que leurs noms ne seraient pas prononcés pendant l’instruction. Ils ont plutôt été désignés comme étant la personne no 1, la personne no 2 et la personne no 3. Les parties ont également désigné une de ces trois personnes comme étant « le courtier ». Il a également été convenu que la Cour utiliserait, le cas échéant, le même code dans ses motifs du jugement. L’ordonnance a été communiquée de vive voix en audience publique lors de l’instruction de la présente affaire le 23 juin 2015. J’ai également indiqué que j’inclurais mon ordonnance dans le jugement sur le fond de la présente affaire.
[71] Par conséquent, la Cour ordonne que les noms de trois témoins dont les dépositions ont été présentées à la Section de protection des réfugiés soient considérés comme étant confidentiels en ce que leurs noms ne seront pas prononcés durant l’audience sur le bien-fondé de la présente demande de contrôle judiciaire. Ces trois témoins seront désignés pendant l’instruction comme étant la « personne no 1 », la « personne no 2 » et la « personne no 3 », ou « le courtier ».
[72] Il va sans dire que l’ordonnance prononcée par le protonotaire Lafrenière, dans laquelle il est indiqué que les dossiers de requête déposés devant lui devaient être placés dans une enveloppe scellée et être traités en toute confidentialité, continue d’être traitée en conformité avec le paragraphe 3 de son ordonnance.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il la réexamine et rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.