[2016] 2 R.C.F. 3
T-2186-14
2015 CF 935
Otto Raul Godinez Ovalle (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Godinez Ovalle c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Russell—Vancouver, 8 juillet; Ottawa, 30 juillet 2015.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — Demande visant à obtenir un bref de mandamus dans le but de contraindre le défendeur à traiter la demande de citoyenneté du demandeur — Le demandeur a été informé que sa demande de citoyenneté serait renvoyée à un juge de la citoyenneté, qui prendrait la décision définitive — Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) s’est adressé à un fonctionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en raison des périodes durant lesquelles le demandeur s’était absenté — Le dossier du demandeur a été mis à jour pour indiquer « à l’étude » — Le défendeur a suspendu le traitement de la demande de citoyenneté du demandeur en vertu de l’art. 13.1 de la Loi sur la citoyenneté en attendant le résultat de l’enquête — L’ASFC a déposé une demande de constat de perte de statut du demandeur — Il s’agissait de savoir si la Cour devrait délivrer une ordonnance de mandamus — La suspension de la demande de citoyenneté était une fonction de l’application de l’art. 13.1 — La formulation de cette disposition permet de suspendre une demande « pendant la période nécessaire », d’obtenir « de[s] renseignements ou […] éléments de preuve ou […] résultats d’une enquête, afin d’établir si le demandeur remplit, à l’égard de la demande, les conditions prévues sous le régime de la présente loi » — Il s’agissait de savoir si ces termes autorisent le défendeur à suspendre une demande de citoyenneté pour permettre à l’ASFC de mener une procédure de perte de statut devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) — Ni l’art. 17 (abrogé) ni l’art. 13.1 n’autorisent cette suspension — La suspension de la demande de citoyenneté pour donner à l’ASFC le temps de priver éventuellement le demandeur constituait un usage déplacé et abusif de l’art. 13.1 — Une procédure devant la SPR est une enquête et il ne s’agit pas de déterminer si le demandeur remplit les exigences de la Loi, mais de savoir s’il faut priver le demandeur d’une qualification et d’une condition (la résidence permanente) obtenues auprès de CIC — CIC n’avait aucun pouvoir légal de faire ce qu’il a fait en l’espèce — Les fonctionnaires ne peuvent pas s’arroger le pouvoir de combler ces lacunes par des directives administratives — Les pouvoirs de suspension du défendeur n’ont pas été élargis afin d’y ajouter les autorisations de l’immigration — La décision Stanizai c. Canada (Citoyenneté et Immigration) traduit les intentions actuelles du Parlement — Le défendeur était lié par l’art. 5(1) et devait donner suite au traitement de demande du demandeur — L’abrogation de l’art. 11(5) du Règlement sur la citoyenneté ne change rien à l’obligation du défendeur — La demande de citoyenneté du demandeur a été suspendue à tort quelques mois avant l’entrée en vigueur de l’art. 13.1 — Le défendeur a invoqué l’art. 13.1 après le dépôt de la demande de mandamus — Le dossier du demandeur aurait dû être transmis à un juge de la citoyenneté — Poursuivre la procédure de perte ne fera que confirmer l’abus de procédure — L’ordonnance de mandamus reconnaîtra et confirmera les droits du demandeur en vertu de la Loi — Demande accueillie.
Il s’agissait d’une demande visant à obtenir un bref de mandamus dans le but de contraindre le défendeur à traiter la demande de citoyenneté du demandeur.
Le demandeur a obtenu le statut de résident permanent en juin 2005. Il a reçu son autorisation en vertu du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) en mai 2013. Le demandeur a eu une entrevue avec un fonctionnaire de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) en février 2014, où on lui aurait alors dit que sa demande dûment remplie était renvoyée à un juge de la citoyenneté, qui prendrait la décision définitive. En mars 2014, CIC a renvoyé le dossier du demandeur à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en raison des périodes durant lesquelles il s’était absenté du Canada. Le SSOBL a été mis à jour pour y indiquer que le dossier était à l’étude. L’ASFC a refusé de communiquer quelque document que ce soit au demandeur avant une entrevue. Le défendeur a suspendu le traitement de la demande de citoyenneté du demandeur en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté, qui est entré en vigueur le 1er août 2014, en attendant le résultat de l’enquête de l’ASFC sur la perte de statut. L’ASFC a déposé par la suite une demande de constat de perte de statut du demandeur. Le demandeur a également été avisé que sa demande de citoyenneté était suspendue.
Il s’agissait de savoir si le demandeur a établi que la Cour devrait délivrer une ordonnance de mandamus.
Jugement : la demande doit être accueillie.
La suspension de la demande de citoyenneté du demandeur était une fonction de l’application de l’article 13.1. La formulation de l’article 13.1 permet de suspendre une demande au-delà du simple contexte de la sécurité et de l’admissibilité et, « pendant la période nécessaire », d’obtenir « de[s] renseignements ou […] éléments de preuve ou […] résultats d’une enquête, afin d’établir si le demandeur remplit, à l’égard de la demande, les conditions prévues sous le régime de la présente loi ». La question était de savoir si ces termes autorisent le défendeur à suspendre une demande de citoyenneté pour permettre à l’ASFC de mener une procédure de perte de statut devant la Section de la protection des réfugiés (SPR). Ni l’article 17 abrogé ni l’article 13.1 de la présente loi n’autorisent une suspension pour permettre à l’ASFC de mener une procédure de perte de statut qui pourrait faire perdre son statut au demandeur à un moment donné. Le défendeur a suspendu le traitement de la demande pour donner à l’ASFC le temps de priver éventuellement le demandeur de son statut de résident permanent de sorte qu’il ne soit plus admissible à la citoyenneté. C’était là un usage déplacé et abusif de l’article 13.1. Même si l’on peut dire qu’une procédure devant la SPR est une enquête, il ne s’agissait pas de déterminer si le demandeur remplissait les exigences de la Loi, mais de savoir s’il fallait priver le demandeur d’une qualification et d’une condition (la résidence permanente) dont CIC savait parfaitement que celui-ci la remplissait puisque c’était CIC qui l’a reconnue et confirmée. CIC n’avait aucun pouvoir légal de faire ce qu’il a fait en l’espèce. Les fonctionnaires ne peuvent pas non plus s’arroger le pouvoir de combler ces lacunes par des directives administratives. Lorsque le Parlement a modifié la Loi et a adopté l’actuel article 13.1, il n’a pas élargi les pouvoirs de suspension du défendeur afin d’y ajouter les autorisations de l’immigration. Pour l’instant du moins, il fallait supposer que la décision de la Cour fédérale dans Stanizai c. Canada (Citoyenneté et Immigration) — jugement antérieur à l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi — traduit les intentions actuelles du Parlement. Le défendeur était lié par le paragraphe 5(1) de la Loi et devait donner suite au traitement de la demande du demandeur. L’abrogation du paragraphe 11(5) du Règlement sur la citoyenneté, qui imposait l’obligation de transmettre le dossier à un juge de la citoyenneté, ne change rien à l’obligation du défendeur, prévue au paragraphe 5(1), d’accorder la citoyenneté au demandeur si celui-ci remplit toutes les conditions. En l’espèce, la demande de citoyenneté du demandeur a été suspendue à tort quatre mois avant l’entrée en vigueur de l’article 13.1, et le défendeur n’a invoqué l’article 13.1 qu’après le dépôt de la demande de mandamus. Le dossier du demandeur était complet et prêt à être transmis et il aurait dû être transmis à un juge de la citoyenneté en février 2014. Poursuivre la procédure de perte de statut devant la SPR ne reconnaîtra ni ne rétablira ses droits tels qu’ils existaient en février 2014 et ne fera que confirmer et prolonger l’abus de procédure dont il fait l’objet. L’ordonnance de mandamus reconnaîtra et confirmera les droits du demandeur en vertu de la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 5(1), 13.1, 14, 17 (abrogé par L.C. 2014, ch. 22, art. 13), 20, 22.1(1).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. C-7, art. 18.1.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.
Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17.
Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246, art. 11(1),(5) (abrogés par DORS/2014-186, art. 1).
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Stanizai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 74; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, [2003] 4 R.C.F. 189; Murad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1089; Bermudez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 639, [2016] 1 R.C.F. 301.
DÉCISIONS CITÉES :
Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.); Magalong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 966; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1040; Tumarkin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 915; Torres Victoria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 857; Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 841; Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459; Romero c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 671, [2015] 3 R.C.F. 265; Re X, 2014 CanLII 84540 (C.I.S.R.).
demande visant à obtenir un bref de mandamus dans le but de contraindre le défendeur à traiter la demande de citoyenneté du demandeur. Demande accueillie.
ONT COMPARU
Maria Sokolova pour le demandeur.
Hilla Aharon pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Maria Sokolova, Vancouver, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Russell :
I. INTRODUCTION
[1] Il s’agit d’une demande en vertu du paragraphe 22.1(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, visant à obtenir un bref de mandamus en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Le demandeur veut contraindre le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) à traiter sa demande de citoyenneté.
II. LE CONTEXTE
[2] Le demandeur est arrivé au Canada avec sa famille en mai 2002. Ils ont obtenu le statut de réfugiés en octobre 2003. Le demandeur a obtenu le statut de résident permanent en juin 2005.
[3] Le demandeur a demandé la citoyenneté canadienne en avril 2012. Il a eu une entrevue avec un fonctionnaire de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) en février 2014. On lui aurait alors dit que sa demande serait renvoyée à un juge de la citoyenneté, qui prendrait la décision définitive.
[4] Le 4 mars 2014, un fonctionnaire de CIC s’est adressé à un fonctionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pour savoir si on s’intéressait aux périodes durant lesquelles le demandeur s’était absenté du Canada. Le fonctionnaire de l’Agence a fait savoir que le dossier du demandeur intéressait l’ASFC et a demandé qu’on lui envoie de la documentation.
[5] Un dossier a été ajouté aux notes dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) le 12 mars 2014. On peut y lire que [traduction] « le cas du demandeur intéresse l’Unité de la sécurité nationale (DELR) de l’ASFC. En attente de renseignements supplémentaires de la part de l’ASFC : A.R. en septembre 2014 ». À la même date, le dossier du demandeur dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) a été mis à jour : on y a indiqué « A.R. – À l’étude ».
[6] En juin 2014, l’ASFC a invité le demandeur à une entrevue. Celui-ci a demandé qu’on lui communique de l’information au préalable. L’ASFC a refusé de communiquer quelque document que ce soit et a suggéré au demandeur de faire une demande d’accès à l’information. L’entrevue a été annulée.
[7] Le 23 octobre 2014, le demandeur a déposé la présente demande visant l’obtention d’une ordonnance de mandamus. Le même jour, un fonctionnaire de CIC a suspendu le traitement de la demande de citoyenneté du demandeur en vertu de l’article 13.1 [édicté par L.C. 2014, ch. 22, art. 11] de la Loi sur la citoyenneté en attendant le résultat de l’enquête de l’ASFC sur la perte de statut.
[8] En décembre 2014, l’ASFC a déposé une demande de constat de perte de statut du demandeur. Par cet avis, le demandeur a également été avisé que sa demande de citoyenneté était suspendue.
III. LES QUESTIONS
[9] La seule question en l’espèce est celle de savoir si le demandeur a établi que la Cour devrait délivrer une ordonnance de mandamus.
IV. LES DISPOSITIONS LÉGALES
[10] Les dispositions suivantes de la Loi sur la citoyenneté sont actuellement en vigueur et applicables à l’espèce :
Attribution de la citoyenneté
5 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :
a) en fait la demande;
b) est âgée d’au moins dix-huit ans;
c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, a, sous réserve des règlements, satisfait à toute condition rattachée à son statut de résident permanent en vertu de cette loi et, après être devenue résident permanent :
(i) a été effectivement présent au Canada pendant au moins mille quatre cent soixante jours au cours des six ans qui ont précédé la date de sa demande,
(ii) a été effectivement présent au Canada pendant au moins cent quatre-vingt-trois jours par année civile au cours de quatre des années complètement ou partiellement comprises dans les six ans qui ont précédé la date de sa demande,
(iii) a rempli toute exigence applicable prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu de présenter une déclaration de revenu pour quatre des années d’imposition complètement ou partiellement comprises dans les six ans qui ont précédé la date de sa demande;
c.1) a l’intention, si elle obtient la citoyenneté, selon le cas :
(i) de continuer à résider au Canada,
(ii) d’occuper ou de continuer à occuper un emploi à l’étranger, sans avoir été engagée sur place, au service des Forces armées canadiennes ou de l’administration publique fédérale ou de celle d’une province,
(iii) de résider avec son époux ou conjoint de fait, son père ou sa mère — qui est citoyen ou résident permanent — et est, sans avoir été engagée sur place, au service, à l’étranger, des Forces armées canadiennes ou de l’administration publique fédérale ou de celle d’une province.
d) si elle a moins de 65 ans à la date de sa demande, a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;
e) si elle a moins de 65 ans à la date de sa demande, démontre dans l’une des langues officielles du Canada qu’elle a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;
f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.
[…]
Suspension de la procédure d’examen
13 (1) Le ministre peut suspendre, pendant la période nécessaire, la procédure d’examen d’une demande :
a) dans l’attente de renseignements ou d’éléments de preuve ou des résultats d’une enquête, afin d’établir si le demandeur remplit, à l’égard de la demande, les conditions prévues sous le régime de la présente loi, si celui-ci devrait faire l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou d’une mesure de renvoi au titre de cette loi, ou si les articles 20 ou 22 s’appliquent à l’égard de celui-ci;
b) dans le cas d’un demandeur qui est un résident permanent qui a fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans l’attente de la décision sur la question de savoir si une mesure de renvoi devrait être prise contre celui-ci.
[…]
Examen par un juge de la citoyenneté
14 (1) Lorsqu’une demande est reçue aux fins d’examen puis transmise à un juge de la citoyenneté parce que le ministre n’est pas convaincu que le demandeur remplit les conditions mentionnées dans les dispositions ci-après, le juge de la citoyenneté statue, dans les soixante jours suivant sa saisine, sur la question de savoir si le demandeur les remplit :
a) les sous-alinéas 5(1)c)(i) et (ii), dans le cas de la demande de citoyenneté présentée au titre du paragraphe 5(1);
[…]
Communication au ministre
(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté approuve ou rejette la demande selon qu’il conclut ou non à la conformité de celle-ci et transmet sa décision motivée au ministre.
Communication au demandeur
(3) En cas de rejet de la demande, le juge de la citoyenneté en informe sans délai le demandeur en lui faisant connaître les motifs de sa décision et l’existence du droit de demander le contrôle judiciaire.
[11] La disposition suivante de la Loi sur la citoyenneté a été abrogée le 31 juillet 2014 [par L.C. 2014, ch. 22, art. 13], mais reste applicable à l’espèce :
Suspension de la procédure d’examen
17 S’il estime ne pas avoir tous les renseignements nécessaires pour lui permettre d’établir si le demandeur remplit les conditions prévues par la présente loi et ses règlements, le ministre peut suspendre la procédure d’examen de la demande pendant la période nécessaire — qui ne peut dépasser six mois suivant la date de la suspension — pour obtenir les renseignements qui manquent.
[12] Les dispositions suivantes du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246 (Règlement sur la citoyenneté) ont été abrogées le 31 juillet 2014 [par DORS/2014-186, art. 1] mais restent applicables à l’espèce :
11 (1) Sur réception d’une demande visée aux paragraphes 3(1), 3.1(1), 7(1) ou 8(1), le greffier fait entreprendre les enquêtes nécessaires pour déterminer si la personne faisant l’objet de la demande remplit les exigences applicables de la Loi et du présent règlement.
[…]
(5) Une fois que les enquêtes entreprises en vertu du paragraphe (1) sont terminées, le greffier :
a) dans le cas d’une demande et des documents déposés conformément au paragraphe 3(1), demande à l’agent de la citoyenneté à qui ils ont été transmis d’en saisir le juge de la citoyenneté;
b) dans le cas d’une demande et des documents déposés conformément aux paragraphes 3.1(1), 7(1) ou 8(1), les transmet à l’agent de la citoyenneté du bureau de la citoyenneté qu’il juge compétent en l’espèce et lui demande d’en saisir le juge de la citoyenneté.
V. LES ARGUMENTS DES PARTIES
A. Le demandeur
[13] Le demandeur fait valoir que le ministre n’a pas le pouvoir de suspendre une demande de citoyenneté une fois que toutes les conditions sont remplies. Selon lui, la Loi sur la citoyenneté enjoint au ministre, dans un langage impératif, d’accorder la citoyenneté si toutes les conditions sont remplies. Il dit qu’il satisfait à toutes les conditions prévues par la loi et qu’il a donc droit à la citoyenneté.
[14] Le critère applicable à l’octroi d’un mandamus est énoncé dans la décision Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, [2003] 4 R.C.F. 189, au paragraphe 39 :
1) Il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public.
2) L'obligation doit exister envers le requérant.
3) Il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment :
a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;
b) il y a eu (i) une demande d'exécution de l'obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n'ait été rejetée sur-le-champ et (iii) il y a eu refus ultérieur, express ou implicite, par exemple un délai déraisonnable.
4) Le requérant n'a aucun autre recours adéquat.
5) L'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.
6) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, sur le plan de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé.
7) Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait être rendue.
1) Il existe une obligation envers le demandeur
[15] Le Règlement sur la citoyenneté prévoit que, lorsqu’un greffier de la citoyenneté estime qu’un requérant remplit les conditions énoncées dans la Loi sur la citoyenneté et le Règlement sur la citoyenneté, il doit transmettre la demande à un juge de la citoyenneté : Règlement sur la citoyenneté, paragraphes 11(1) et 11(5) (abrogés le 31 juillet 2014). Le juge de la citoyenneté doit ensuite rendre une décision dans les 60 jours suivant la réception de la demande : Loi sur la citoyenneté, article 14. Le ministre ne peut intervenir dans cette procédure que si le requérant est assujetti ou devrait être assujetti à une enquête ou une ordonnance de renvoi : Loi sur la citoyenneté, paragraphe 14(1.1); Stanizai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 74 (Stanizai); Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.) (Conille).
[16] Le demandeur fait valoir que le greffier de la citoyenneté a terminé les recherches nécessaires en février 2014. Il ne manquait aucune information pertinente dans sa demande, et celle-ci a donc été transmise à un juge de la citoyenneté en février 2014.
[17] Selon le demandeur, l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté ne s’applique pas à sa demande de citoyenneté. Dans la décision Stanizai, la Cour a conclu que cette disposition n’est pas applicable lorsqu’il ne manque aucune information pertinente dans un dossier, et qu’une procédure de perte de statut n’a aucun rapport avec quelque raison que le ministre pourrait invoquer pour suspendre une demande de citoyenneté. Le ministre ne peut pas suspendre une demande pour avoir le temps de recueillir plus d’information. Par ailleurs, aucune information supplémentaire utile n’a pu être trouvée par suite de l’enquête de l’ASFC.
[18] Le demandeur dit également que, en réalité, sa demande a été suspendue en février ou mars 2014, plusieurs mois avant que l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté soit entré en vigueur. De plus, dans la décision Murad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1089 (Murad), au paragraphe 61, la Cour fédérale a déclaré que tout ce qui s’est produit après une demande de mandamus n’est pas pertinent. Voir aussi la décision Magalong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 966 (Magalong). En l’espèce, cela couvre la suspension en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté et la demande de perte de statut déposée par l’ASFC.
[19] Le demandeur dit également que la décision de CIC de suspendre sa demande de citoyenneté enfreint le principe d’équité procédurale parce qu’il n’en a pas été informé : Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 140.
2) Le demandeur remplit les conditions préalables donnant lieu à l’obligation
[20] Le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté énonce clairement les conditions préalables à l’octroi de la citoyenneté. Le ministre doit attribuer la citoyenneté à toute personne qui en fait la demande, est âgée d’au moins 18 ans, est résident permanent et a accumulé, au cours des quatre années précédant immédiatement la date de la demande, au moins trois années de résidence au Canada, a une connaissance suffisante des deux langues officielles du Canada, a une connaissance suffisante du Canada et ne fait pas l’objet d’une ordonnance de renvoi ou d’une déclaration du gouverneur en conseil en vertu de l’article 20 de la Loi sur la citoyenneté. Le demandeur remplit toutes ces conditions.
[21] La seule exception à l’octroi de la citoyenneté à un demandeur qui remplit toutes les conditions prévoit qu’un juge de la citoyenneté ne doit pas rendre de décision à l’égard d’un demandeur qui fait l’objet d’une enquête : Loi sur la citoyenneté, paragraphe 14(1.1). L’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté prévoit que le ministre peut suspendre le traitement d’une demande si l’on n’a pas suffisamment d’information pour garantir que le demandeur remplit les conditions de la Loi sur la citoyenneté et du Règlement sur la citoyenneté, mais il ne manque rien dans le dossier du demandeur.
[22] Dans la décision Murad, la Cour a laissé entendre que le droit à la citoyenneté est conféré au moment où la citoyenneté aurait dû être accordée et que rien de ce qui se produit ensuite n’est pertinent. Le demandeur dit qu’on aurait dû lui accorder la citoyenneté dans les 60 jours suivant le transfert de la demande à un juge de la citoyenneté en février 2014.
3) Exigence antérieure de l’exécution de l’obligation; délai raisonnable d’exécution de l’exigence; refus subséquent
[23] Le demandeur a demandé à CIC de remplir son obligation lorsqu’il a déposé sa demande de citoyenneté. En septembre et en octobre 2014, son avocat a demandé qu’on poursuive le traitement de sa demande. Le demandeur fait valoir qu’étant donné qu’il remplissait toutes les conditions en févier 2014 et que rien ne manque à son dossier, le ministre a eu suffisamment de temps pour agir de bonne foi.
4) Il n’y a pas d’autre recours adéquat, et l’ordonnance a un effet ou une valeur à caractère pratique
[24] Il n’existe pas d’autre recours adéquat pour contraindre CIC à agir.
[25] Le demandeur dit qu’il subira un tort irréparable si un bref de mandamus ne lui est pas accordé. Si la demande de perte de statut est traitée et acceptée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), le demandeur perdra son statut de résident permanent et pourra être renvoyé du Canada. Il dit qu’il a de solides raisons d’affirmer que la demande de perte de statut est un abus de procédure en raison du retard, inconstitutionnel, déraisonnable et préjudiciable, à la déposer : voir, par exemple, Bermudez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 639, [2016] 1 R.C.F. 301 (Bermudez), aux paragraphes 27 et 28. L’ASFC a toujours eu accès aux renseignements dont elle dispose actuellement. Rien n’a changé qui justifie qu’on accélère la demande de perte de statut. La demande visant à révoquer son statut de résident permanent est également rétroactive et contraire au principe de la primauté du droit puisque tous ses voyages sont antérieurs à l’entrée en vigueur de la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17.
[26] Le demandeur est un résident permanent de longue date, bien établi au Canada, dont les membres de la famille sont tous citoyens canadiens et qui souffre de troubles de santé chroniques. Il a besoin de soins à vie, et ses médecins ne sont pas sûrs qu’il puisse recevoir les soins dont il a besoin au Guatemala.
5) Ni empêchement équitable ni prépondérance des inconvénients
[27] Le demandeur dit qu’il a toujours respecté la réglementation applicable, qu’il a toujours fait preuve d’honnêteté dans ses rapports avec les autorités et qu’il n’est responsable d’aucun retard dans le traitement de sa demande de citoyenneté. Il ajoute qu’il n’était pas tenu de se présenter à une entrevue avec l’ASFC pour quelque raison ayant trait à l’avancement du traitement de sa demande de citoyenneté. Et il estime que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.
B. Le défendeur
[28] Le défendeur est d’accord en ce qui concerne le critère d’attribution d’une ordonnance d’un bref de mandamus tel que l’a énoncé le demandeur. Voir aussi les décisions Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1040, au paragraphe 4; et Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.) (Apotex).
1) L’obligation publique d’agir et l’obligation envers le demandeur
[29] Le défendeur reconnaît que le ministre a l’obligation de traiter la demande de citoyenneté du demandeur. Cependant, le dossier du demandeur n’a jamais été transmis à un juge de la citoyenneté, de sorte que le délai de 60 jours n’est pas applicable. Le défendeur dit que le ministre n’a pas dépassé le délai estimatif généralement nécessaire au traitement d’une demande de citoyenneté et que la présente demande devrait être rejetée pour ce seul motif : Tumarkin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 915 (Tumarkin), au paragraphe 19; Conille, précitée. Il fait valoir qu’il faut terminer la procédure de perte de statut appliquée au demandeur avant de donner suite à sa demande de citoyenneté. La question du statut du demandeur au Canada est une justification suffisante pour suspendre sa demande de citoyenneté en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté : Conille, précitée.
2) Délai raisonnable d’exécution
[30] Pour que la Cour puisse conclure au caractère déraisonnable du délai de traitement de la demande de citoyenneté, elle doit être convaincue : 1) que le délai en question a été plus long que ce qu’exige le processus, 2) que le demandeur et son avocat ne sont pas responsable de ce délai excessif et 3) que l’autorité responsable du délai n’a pas produit de justification valable. Voir la décision Conille, précitée.
[31] Le défendeur estime qu’il n’y a pas eu délai excessif dans le traitement de la demande de citoyenneté du demandeur. Selon CIC, le traitement des demandes ordinaires prend généralement 36 mois, tandis que les autres peuvent prendre plus de temps. Le demandeur n’a fait sa demande qu’en mars 2012. Le ministre doit disposer du temps nécessaire lorsqu’il y a indication préliminaire qu’il faut prévoir un délai de traitement plus long en raison de circonstances particulières : Torres Victoria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 857, au paragraphe 37. De plus, la demande de citoyenneté du demandeur n’a été suspendue qu’en octobre 2014, et la demande de perte de statut a été déposée en novembre 2014. Ce n’est pas un délai excessif : Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 841, aux paragraphes 29 et 30. Le défendeur explique que le statut de résident permanent du demandeur a des effets immédiats et directs sur sa demande de citoyenneté. Tant que ce n’est pas réglé, il manque des renseignements pertinents à son dossier. Les fonctionnaires de la Citoyenneté doivent se montrer vigilants et veiller à obtenir tous les faits utiles : Tumarkin, précitée, au paragraphe 17.
3) Les conditions préalables ne sont pas remplies
[32] Le statut de résident permanent du demandeur est actuellement en question. C’est l’une des conditions prévues par la loi en matière de citoyenneté et c’est une raison valable de suspendre une demande de citoyenneté : Conille, précitée.
4) Autre recours adéquat disponible
[33] Le défendeur fait valoir que le demandeur peut comparaître devant la SPR et présenter ses arguments en réponse à la demande de perte de statut. Lorsque cette procédure sera conclue et que le statut de résident permanent du demandeur sera confirmé, le ministre pourra examiner sa demande de citoyenneté. Rien ne permet de conclure que le ministre a agi de mauvaise foi ou que la demande de citoyenneté du demandeur est suspendue indéfiniment.
5) Ordonnance sans effet pratique
[34] L’ordonnance de mandamus que veut obtenir le demandeur ne permettrait pas d’annuler ou d’écarter la suspension en vigueur, qui est valide. Même si la Cour ordonne au ministre de poursuivre le traitement de la demande de citoyenneté du demandeur, son statut de résident permanent restera en question tant que la SPR n’aura pas pris de décision à cet égard.
6) Empêchement équitable et prépondérance des inconvénients
[35] Le défendeur fait valoir que le demandeur a bien été informé de l’enquête menée par l’ASFC en juin 2014. Celui-ci a été invité à une entrevue en août 2014, mais a refusé de s’y présenter. Il ne s’est pas montré coopératif et n’a pas aidé l’ASFC à régler l’affaire aussi rapidement que possible.
[36] Le défendeur invoque la décision de la Cour dans l’affaire Stanizai, précitée. Dans cette affaire, la demande de citoyenneté du demandeur avait déjà été approuvée par un juge de la citoyenneté avant que le ministre entame une procédure de perte de statut. En l’espèce, le dossier du demandeur n’a même pas été transmis à un juge de la citoyenneté. De plus, sa demande est actuellement suspendue en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté; cette disposition n’était pas en vigueur à l’époque de la décision Stanizai. Enfin, dans l’affaire Stanizai, la demande était en suspens depuis cinq ans; en l’espèce, le traitement de la demande de citoyenneté du demandeur n’a même pas pris les trois ans habituels.
[37] Il n’y a pas non plus abus de procédure dans la décision du ministre d’entamer une procédure de perte de statut. Une demande de bref de mandamus en ce qui a trait à une demande de citoyenneté n’est pas la tribune pour que le demandeur puisse contester la décision du ministre d’entamer des procédures de perte de statut. Par ailleurs, celui-ci a bénéficié de l’équité procédurale et a été invité à rencontrer l’ASFC au sujet de la demande de perte de statut.
[38] Le défendeur établit aussi une distinction avec les remarques incidentes de la Cour dans la décision Bermudez, précitée. Premièrement, la décision Bermudez est actuellement portée en appel devant la Cour d’appel fédérale. Deuxièmement, elle portait sur une demande visant à contester la décision du ministre d’engager une procédure de perte de statut. Le demandeur a déjà contesté la décision du ministre, et sa demande a été rejetée à l’étape de l’autorisation. Troisièmement, la Cour a par deux fois examiné la question de savoir si une demande de perte de statut constitue un abus de procédure et a conclu par la négative : Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459, aux paragraphes 26 à 34; Romero c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 671, [2015] 3 R.C.F. 265.
VI. ANALYSE
[39] Le demandeur estime que sa demande de citoyenneté a été suspendue illégalement et il demande à la Cour d’ordonner à CIC d’en poursuivre le traitement. Le défendeur répond que la suspension de la demande de citoyenneté du demandeur est un élément normal et licite de la procédure et qu’un bref de mandamus n’est pas justifié en l’espèce puisque le délai normal de traitement des demandes inhabituelles n’est pas expiré.
[40] Je ne vois pas de conflit entre les parties quant au critère applicable au mandamus. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex, précité, les conditions suivantes doivent être remplies pour que la Cour puisse ordonner un bref de mandamus :
a) Il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public.
b) L'obligation doit exister envers le requérant.
c) Il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment :
i) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;
ii) il y a eu i) une demande d'exécution de l'obligation, ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n'ait été rejetée sur-le-champ et iii) il y a eu refus ultérieur, express ou implicite, par exemple un délai déraisonnable.
d) Le requérant n’a aucun autre recours adéquat.
e) L'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.
f) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, sur le plan de l’équité, rien n'empêche d’obtenir le redressement demandé.
g) Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait être rendue.
Voir aussi la décision Stanizai, précitée, au paragraphe 27.
[41] Le demandeur a présenté sa demande de citoyenneté en mars 2012, et le dossier dont je suis saisi donne à penser que la procédure a été suspendue le 12 mars 2014. Une inscription ajoutée à cette date dans le SMGC indique ceci : [traduction] « Le cas du demandeur intéresse l’Unité de la sécurité nationale (DELR) de l’ASFC. En attente de renseignements supplémentaires de la part de l’ASFC : A.R. en septembre 2014 » (DCT [dossier certifié du tribunal], à la page 110). Par ailleurs, le statut du demandeur dans le SSOBL a été modifié à la même date : [traduction] « A.R. – À l’étude » (DCT, à la page 199). Le traitement de la demande a été suspendu.
[42] Le demandeur n’a pas été informé de cette suspension, et il semble que l’on n’ait rien ajouté au dossier de citoyenneté entre le 12 mars et le 23 octobre 2014. Entre-temps, l’ASFC a envoyé une lettre au demandeur le 23 juin 2014 pour l’inviter à une entrevue. C’est à ce moment-là que le demandeur a retenu les services d’un avocat.
[43] L’ASFC a refusé de fournir quelque document que ce soit au demandeur au sujet de l’entrevue, laquelle a alors été reportée tandis que le demandeur déposait une demande d’accès à l’information pour obtenir les dossiers de CIC et de l’ASFC. Le contenu de la réponse a été maigre, et les notes inscrites par CIC dans le SSOBL ne s’y trouvaient pas. Par contre, les notes inscrites par l’ASFC dans le SSOBL ont permis au demandeur de déduire que CIC avait suspendu sa demande de citoyenneté en attendant le résultat de la procédure de perte de statut.
[44] S’appuyant sur la décision Stanizai, précitée, l’avocat du demandeur a tenté de communiquer avec CIC pour discuter de la situation de la demande de citoyenneté et demander qu’on en poursuive le traitement conformément à la loi. CIC a refusé de communiquer avec le demandeur ou son avocat.
[45] Le demandeur a déposé sa demande de bref de mandamus le 23 octobre 2014, et, le même jour, le fonctionnaire de CIC du nom de Ko aurait rempli un formulaire visant à suspendre le traitement de la demande de citoyenneté du demandeur en vertu de l’article 13.1 de la nouvelle Loi sur la citoyenneté en attendant le résultat de l’enquête de l’ASFC sur la perte de statut. Là encore, le demandeur n’a pas été informé de la suspension présumée en vertu de l’article 13.1, et il ne lui a pas non plus été permis de formuler des observations à cet égard.
[46] L’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté est entré en vigueur le 1er août 2014, mais le dossier indique que la demande de citoyenneté a été suspendue le 12 mars 2014, date à laquelle une note inscrite dans le SMGC indique que la demande de citoyenneté du demandeur est [traduction] « en attente de renseignements supplémentaires de la part de l’ASFC » et où le statut du demandeur dans le SSOBL est modifié par : [traduction] « A.R. – À l’étude ». Rien ne permet de penser que cette suspension antérieure ait à voir avec autre chose que la question de la perte de statut. En fait, le défendeur dit que le ministre a entamé une enquête concernant une éventuelle procédure de perte de statut après l’entrevue du demandeur avec CIC, en février 2014, au cours de laquelle on lui a demandé d’expliquer ses retours au Guatemala. Cela rend compte de la suspension d’office de mars 2014. Mais le demandeur dit que CIC a toujours été au courant de ses visites au Guatemala et que le ministère a renouvelé sa carte de résident permanent en 2011 après sa dernière visite.
[47] Le défendeur n’a pas fourni les renseignements utiles concernant ces suspensions présumées ni expliqué pourquoi il n’en a pas informé le demandeur. Dans ses observations écrites, le défendeur dit que la demande de citoyenneté du demandeur a été officiellement suspendue par le fonctionnaire du nom de Ko en octobre 2014, conformément à l’article 13.1, entré en vigueur le 1er août 2014. Mais cela ne rend pas compte de la suspension d’office en date du 12 mars 2014, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de ladite disposition.
[48] Lorsque j’ai interrogé le défendeur à ce sujet au cours de l’audition du 8 juillet 2015, j’ai été informé que la suspension d’office avait été appliquée en vertu de l’article 17 de l’ancienne Loi sur la citoyenneté en attendant le résultat des recherches du greffier et que cette suspension aurait pu être maintenue en vertu de l’article 17, mais qu’elle avait été officialisée en vertu de l’article 13.1 lorsque cette disposition est entrée en vigueur le 1er août 2014. Les notes inscrites dans le SMGC indiquent que la demande du demandeur était [traduction] « en attente de renseignements supplémentaires de la part de l’ASFC ». Les notes inscrites au SMGC après la suspension en vertu de l’article 13.1 sont explicites : [traduction] « Suspension en vertu de l’alinéa 13.1a) de la Loi sur la citoyenneté en attendant le résultat d’une enquête en cours de l’ASFC ». Le fonctionnaire du CIC a également rempli un formulaire intitulé « Suspension en vertu de l’article 13.1 ». Il semble donc probable que, si la suspension initiale avait été appliquée en vertu de l’article 17, les notes inscrites au SMGC l’auraient indiqué. Je pense que le défendeur se répand en conjectures, car le dossier ne contient rien qui permette de conclure que CIC ait pris une décision en vertu de l’article 17 en mars 2014. Il est évident que les recherches entreprises entre le 12 mars et le 1er août 2014 ont dû avoir trait aux questions liées à la perte de statut et à l’immigration.
[49] Le dossier indique que la demande de citoyenneté du demandeur était complète le 14 février 2014. Le demandeur a reçu son autorisation en vertu du SSOBL le 28 mai 2013 (DCT, à la page 120). On ne sait donc pas très bien pourquoi, le 12 mars 2014, on a inscrit dans le système : [traduction] « A.R. – À l’étude ». Il semble que même l’autorisation en vertu du SSOBL ait été obtenue le 14 février 2014. Un document du SMGC daté du 28 mai 2013 indique que le demandeur a obtenu son autorisation en vertu du SSOBL. C’est en mars 2014 que le dossier SSOBL a été mis à jour par la note suivante : [traduction] « A.R. – À l’étude », mais il semble que, en février 2014, le dossier aurait tout de même été considéré comme complet depuis mai 2013. Le demandeur avait rempli toutes les conditions préalables à l’obtention de la citoyenneté et il a toujours honnêtement fait part aux autorités de ses visites au Guatemala, lesquelles aujourd’hui, soit des années plus tard, sont invoquées pour justifier une perte de statut. CIC a renouvelé son statut de résident permanent en pleine connaissance de cause.
[50] Alors que CIC a confirmé le statut de résident permanent du demandeur en ayant parfaitement connaissance de ses visites au Guatemala, voilà que l’ASFC décide maintenant de déposer une demande de perte de statut en raison de ces mêmes visites au motif que le demandeur se serait réclamé de nouveau de la protection du pays d'origine, et, en novembre 2014, le ministre a adressé une demande de perte de statut de réfugié à la SPR. Les répercussions sont évidentes. Si le ministre obtient gain de cause auprès de la SPR, le demandeur perdra son statut de résident permanent et ne sera plus admissible à la citoyenneté. Et cela bien que le demandeur soit arrivé au Canada le 22 mai 2002 avec sa famille et qu’ils aient tous été acceptés comme d’authentiques réfugiés. Tous les membres de la famille du demandeur ont obtenu la citoyenneté. Le demandeur est devenu résident permanent le 2 juin 2005 et il s’est depuis conformé à toutes les conditions de ce statut. Il n’a jamais essayé de dissimuler les voyages qu’il a fait au Guatemala, et sa carte de résident permanent a été renouvelée sans problème en 2011, date de son dernier déplacement au Guatemala. Par ailleurs, il souffre de graves problèmes de santé.
[51] Il semble inhumain, pour dire le moins, de chercher aujourd’hui à invoquer le motif que le demandeur se serait de nouveau réclamé de la protection de son pays d’origine pour lui refuser la citoyenneté — et je soupçonne que c’est la raison pour laquelle CIC et l’ASFC n’ont pas informé le demandeur ni ne lui ont fourni de renseignements, mais est-ce contraire à la loi? C’est la question de fond qu’il me faut trancher dans cette demande de bref de mandamus.
[52] Selon le demandeur, CIC n’avait aucun motif légal de suspendre sa demande de citoyenneté. Il estime qu’il n’importe pas que la suspension ait été décidé en vertu de l’article 17 de l’ancienne Loi sur la citoyenneté ou de l’article 13.1 de la nouvelle parce que le ministre n’a pas le pouvoir, en vertu de l’une ou de l’autre, d’entraver le pouvoir discrétionnaire du greffier ou d’un juge de la citoyenneté de traiter une demande de citoyenneté à moins que le demandeur soit assujetti ou doive être assujetti à une enquête ou à une ordonnance de renvoi en vertu du paragraphe 14(1.1), et que les obligations du ministre ont été clairement expliquées par la Cour dans la décision Stanizai, précitée, jugement qui continue de fournir une réponse complète à cette question.
[53] Selon le défendeur, la décision Stanizai ne fournit pas de réponse à la situation actuelle et elle peut en être distinguée à trois égards :
a) Dans la décision Stanizai, la demande de citoyenneté du demandeur avait déjà été approuvée par un juge de la citoyenneté lorsque le ministre a entamé une procédure de perte de statut en s’adressant à la SPR, mais, en l’espèce, le dossier du demandeur n’avait pas encore été transmis à un juge de la citoyenneté.
b) Le traitement du dossier du demandeur est actuellement suspendu en vertu de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté, disposition qui n’était pas en vigueur à l’époque de l’affaire Stanizai.
c) Dans l’affaire Stanizai, la demande de citoyenneté est restée en suspens pendant plus de cinq ans, alors que, en l’espèce, il ne s’est pas encore écoulé le délai habituel de 36 mois.
[54] Il y a une différence importante entre les faits de l’espèce et ceux dont la juge Mactavish a eu à traiter dans la décision Stanizai, précitée. Celle-ci a énoncé les enjeux principaux de l’affaire Stanizai dans les termes suivants [aux paragraphes 3 et 29 à 32] :
Pour les motifs qui suivent, je conclus que M. Stanizai satisfait à toutes les conditions d’attribution de la citoyenneté, que sa demande de citoyenneté a été approuvée par un juge de la citoyenneté et qu’aucun nouveau renseignement porté à l’attention des autorités de l’immigration canadienne après que le juge de la citoyenneté eut rendu sa décision ne justifierait que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de rejeter la requête en mandamus dans la présente affaire. Par conséquent, une ordonnance de mandamus sera prononcée.
[…]
La question au cœur de la présente demande est de savoir si CIC a le pouvoir de différer l’attribution de la citoyenneté à un demandeur dont la demande a été approuvée par un juge de la citoyenneté, et ce, jusqu’à ce qu’il ait reçu l’attestation de vérification nécessaire en matière d’immigration.
La demande de citoyenneté de M. Stanizai a été approuvée par le juge de la citoyenneté le 21 février 2012. Le paragraphe 14(2) de la Loi sur la citoyenneté prévoit qu’« aussitôt » après avoir approuvé une demande de citoyenneté, le juge de la citoyenneté « transmet sa décision motivée au ministre ».
La jurisprudence de notre Cour est claire : « sauf si appel est interjeté, l’approbation ou le rejet par un juge de la citoyenneté est définitif en ce qui concerne la citoyenneté canadienne du demandeur. Le ministre ne fait rien d’autre sauf peut-être interjeter appel » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mahmoud, 2009 CF 57, 339 FTR 273, au paragraphe 6. Voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abou-Zahra, 2010 CF 1073, [2010] ACF no 1326; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Farooq, 2009 CF 1080, 84 Imm LR (3d) 64; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323, 386 F.T.R. 1; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wong, 2009 CF 1085, 84 Imm LR (3d) 89; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wang, 2009 CF 1290, 360 FTR 1.
Il existe une exception restreinte à ce principe. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Khalil c Canada (Secrétaire d’État), [1999] 4 CF 661, [1999] ACF no 1093, a statué que le ministre conserve le pouvoir résiduel de refuser la citoyenneté à toute personne qui remplit les conditions d’attribution de la citoyenneté s’il découvre, après que le juge de la citoyenneté lui a soumis son rapport, que cette personne a fait une fausse déclaration (voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c El Bousserghini, 2012 CF 88, 408 FTR 9, au paragraphe 27).
[55] En l’espèce, la demande de citoyenneté du demandeur n’a pas été approuvée par un juge de la citoyenneté. En fait, rien ne permet de penser que son dossier ait jamais été transmis à un juge de la citoyenneté. Mais cela ne veut pas dire que la décision Stanizai n’ait pas de pertinence ici.
[56] Le demandeur cherche à élargir la portée de la décision Stanizai en disant qu’il satisfait à toutes les conditions de la citoyenneté et que sa demande devrait être traitée en conséquence, et que le ministre n’a aucun motif légal de suspendre sa demande en invoquant l’attestation de l’immigration.
[57] Nonobstant les faits propres à la décision Stanizai, la juge Mactavish propose une orientation générale concernant l’attestation de l’immigration, et la raison en est que le ministre dans cette affaire avait fait valoir que le juge de la citoyenneté avait approuvé la demande de citoyenneté en dépit du fait que M. Stanizai n’avait pas obtenu d’attestation d’immigration valide.
[58] La juge Mactavish a fait l’observation suivante (au paragraphe 45) :
[…] Encore là, si le défendeur estimait que la décision du juge de la citoyenneté était viciée à cet égard, il n’avait qu’à interjeter appel de cette décision dans le délai de 60 jours prescrit par la Loi.
[59] Elle a poursuivi dans les termes suivants [aux paragraphes 46 à 49] :
Je constate également qu’il y a un élément de circularité dans l’argumentation du défendeur. Celui-ci affirme qu’il n’y avait aucune obligation d’attribuer la citoyenneté canadienne à M. Stanizai vu l’absence d’une attestation de vérification en matière d’immigration. Or, cette attestation n’avait pas été obtenue parce que le défendeur ne l’avait pas demandée.
Essentiellement, une attestation de vérification en matière d’immigration nécessite une recherche par ordinateur — ce qui ne prend habituellement que quelques minutes : voir la décision Martin-Ivie c. Canada (Procureur général), 2013 CF 772, [2013] ACF no 827, au paragraphe 32. Rien ne permet de croire que l’on ait tenté d’obtenir cette attestation pour M. Stanizai dans les semaines et les mois qui ont suivi l’approbation de sa demande de citoyenneté par le juge de la citoyenneté, et aucune explication de l’omission de CIC d’agir en ce sens n’a été donnée. Rien n’indique non plus qu’une telle recherche aurait révélé un quelconque obstacle, sur le fondement de la loi, à l’octroi de la citoyenneté à M. Stanizai durant les 14 mois qui ont précédé le début des procédures de révocation en avril 2013.
Aucun texte législatif n’oblige le ministre à obtenir une attestation de vérification en matière d’immigration avant d’attribuer la citoyenneté; cette attestation semble être requise par la politique ministérielle. L’article 14 de la Loi sur la citoyenneté dispose qu’un juge de la citoyenneté « statue sur la conformité — avec les dispositions applicables en l’espèce de la présente loi et de ses règlements — des demandes déposées ». Bien que la Loi énonce clairement que la citoyenneté ne peut être conférée à une personne qui fait l’objet d’un processus d’enquête ou d’une mesure de renvoi, ni l’une ni l’autre de ces restrictions ne s’applique en l’espèce. En outre, le défendeur n’a invoqué aucune disposition de la Loi ou des règlements qui assujettirait l’attribution de la citoyenneté à l’obtention d’une attestation de vérification en matière d’immigration.
De plus, le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté prévoit que « [l]e ministre attribue la citoyenneté » à toute personne qui remplit une série de conditions obligatoires. L’obligation de produire une attestation de vérification valide en matière d’immigration ne fait pas partie de ces conditions.
[60] Selon le demandeur, ces observations veulent dire que l’attestation de l’immigration n’est pas une condition de l’octroi de la citoyenneté, en conséquence de quoi il y a lieu de poursuivre le traitement de sa propre demande de citoyenneté. Mais la juge Mactavish parle d’une attestation « valide » dans le contexte d’une décision déjà prise par un juge de la citoyenneté.
[61] En l’espèce, l’attestation de l’immigration en question est le droit du demandeur au statut de résident permanent qui sera contesté et jugé dans le cadre de la procédure de perte de statut devant la SPR, laquelle est en cours dans un contexte où il n’y a pas eu décision d’un juge de la citoyenneté et où la demande du demandeur doit encore être transmise à un juge de la citoyenneté. Le demandeur peut penser qu’il a droit à la citoyenneté, mais aucun juge n’en a encore décidé.
[62] Par conséquent, j’estime que la décision Stanizai n’a pas, comme le prétend le demandeur, de rapport direct avec l’espèce et ne permet pas, de fait, d’exclure les effets de l’article 17 de l’ancienne Loi sur la citoyenneté ou de l’article 13.1 de la Loi sur la citoyenneté actuelle sur la demande de citoyenneté du demandeur. La suspension est actuellement une fonction de l’application de l’article 13.1, qui se lit comme suit :
Suspension de la procédure d’examen
13 (1) Le ministre peut suspendre, pendant la période nécessaire, la procédure d’examen d’une demande :
a) dans l’attente de renseignements ou d’éléments de preuve ou des résultats d’une enquête, afin d’établir si le demandeur remplit, à l’égard de la demande, les conditions prévues sous le régime de la présente loi, si celui-ci devrait faire l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou d’une mesure de renvoi au titre de cette loi, ou si les articles 20 ou 22 s’appliquent à l’égard de celui-ci;
b) dans le cas d’un demandeur qui est un résident permanent qui a fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans l’attente de la décision sur la question de savoir si une mesure de renvoi devrait être prise contre celui-ci.
[63] Il est clair que la formulation de cette nouvelle disposition permet de suspendre une demande au-delà du simple contexte de la sécurité et de l’admissibilité et, « pendant la période nécessaire », d’obtenir « de[s] renseignements ou […] éléments de preuve ou […] résultats d’une enquête, afin d’établir si le demandeur remplit, à l’égard de la demande, les conditions prévues sous le régime de la présente loi ». La question à mes yeux est de savoir si ces termes autorisent le ministre à suspendre une demande de citoyenneté pour permettre à l’ASFC de mener une procédure de perte de statut devant la SPR.
[64] Comme le fait remarquer le demandeur, il est actuellement résident permanent et le reste aussi longtemps que ce statut ne lui est pas enlevé, ce qui pourrait ne jamais arriver. Il remplit donc les conditions prévues par la Loi au titre de son statut de résident permanent. Il n’est pas nécessaire de faire enquête pour prouver ce fait. L’objet de la suspension en l’espèce est de permettre à l’ASFC de mener une procédure de perte de statut qui pourrait faire perdre son statut au demandeur à un moment donné. Je ne crois pas que l’article 17 de l’ancienne loi ou l’article 13.1 de la présente loi permette une suspension pour ce motif. Le ministre n’a pas suspendu le traitement de la demande parce que le demandeur ne remplit pas les conditions de la résidence permanente (qui a été reconfirmée en 2011 après le dernier voyage du demandeur au Guatemala, en pleine connaissance de ses allées et venues). Le ministre a suspendu le traitement de la demande pour donner à l’ASFC le temps de priver éventuellement le demandeur de son statut de résident permanent de sorte qu’il ne soit plus admissible à la citoyenneté. J’estime que c’est là un usage déplacé et abusif de l’article 13.1.
[65] Je dis cela parce que l’article 13.1 énonce clairement les circonstances où cette disposition peut servir à suspendre le traitement d’une demande sous réserve de ce qui pourrait se produire ultérieurement. Il y est question de problèmes d’admissibilité et de sécurité. Une procédure fondée sur le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays d’origine et une procédure de perte de statut fondée sur ce même fait ne relèvent pas de l’admissibilité ou de la sécurité. Même si l’on peut dire qu’une procédure devant la SPR est une enquête, il ne s’agit pas de déterminer si le demandeur remplit les exigences de la Loi, mais de savoir s’il faut priver le demandeur d’une qualification et d’une condition (la résidence permanente) dont CIC sait parfaitement que celui-ci la remplit puisque c’est le ministère qui l’a reconnue et confirmée.
[66] Si l’on devait permettre l’usage de l’article 13.1 en ce sens, les conséquences seraient catastrophiques et inhumaines en l’espèce. Le demandeur a plus de 60 ans et il est malade. Il demeure au Canada depuis 2002 et a le statut de résident permanent depuis juin 2005. Son dossier est vierge, et il a été absolument honnête concernant ses voyages au Guatemala. Son statut de résident permanent a été confirmé en pleine connaissance de ces voyages. Les membres de sa famille au Canada sont tous citoyens canadiens.
[67] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il convient de coordonner le traitement d’une demande de citoyenneté en vertu de la Loi sur la citoyenneté et le dossier d’immigration. Le souci du défendeur en l’espèce est que le traitement de la demande de citoyenneté devrait être suspendu si l’autorisation de l’immigration n’est pas acquise; sinon, cela devient une course entre deux systèmes. J’estime cependant, au vu des éléments de preuve dont je suis saisi, que le défendeur n’ignore pas que la suspension de la demande de citoyenneté du demandeur en vertu de l’article 13.1 pose problème. Je dis cela parce que le dossier révèle que le demandeur n’a pas été informé de ce qui se passait et que le défendeur s’est donné beaucoup de peine pour empêcher le demandeur d’avoir accès à son dossier et de découvrir par lui-même ce qui se passait. La citoyenneté est quelque chose de très important pour ceux qui la demandent, et, dans le cas du demandeur, ce pourrait être une question de vie ou de mort compte tenu de son état de santé actuel.
[68] Le dossier indique que le demandeur a obtenu une autorisation de la GRC le 21 mai 2013, qu’il détient une autorisation valide du SCRS [Service canadien du renseignement de sécurité] jusqu’en mai 2017 et qu’il a obtenu une autorisation de l’immigration le 28 mai 2013. Le 14 février 2014, CIC a rempli un formulaire d’examen de la demande de citoyenneté qui indique que le demandeur remplit les conditions d’admissibilité à la citoyenneté. C’est ce formulaire qui est transmis à un juge de la citoyenneté, lequel évaluera la demande et remplira le formulaire. Pourtant, le 12 mars 2014, le dossier d’immigration du demandeur a été modifié comme suit : [traduction] « A.R – À l’étude », et la demande a été classée [traduction] « en attente de renseignements supplémentaires de la part de l’ASFC ».
[69] Ce qui semble s’être produit est que, durant l’entrevue de citoyenneté du 14 février 2014, on a posé des questions au demandeur au sujet de ses voyages au Guatemala et que ses réponses ont suscité des [traduction] « questions concernant son statut de résident » qui ont été communiquées à l'ASFC, laquelle a fait enquête et a fini par entamer une procédure de perte de statut.
[70] L’ASFC a envoyé une lettre au demandeur le 23 juin 2014 pour l’inviter à une entrevue concernant ces questions. Le demandeur a refusé de s’y rendre parce qu’il s’est rendu compte qu’il avait besoin d’un avocat, et les échanges qui ont suivi sont passés par l’avocat.
[71] Il semble donc clair que, en dépit du fait que le demandeur avait obtenu l’autorisation de l’immigration le 28 mai 2013, CIC n’en a pas tenu compte et a invité l’ASFC à faire enquête sur son statut de résident et d’envisager une procédure de perte de statut. La justification juridique proposée pour la suspension d’office de la demande de citoyenneté le 12 mars 2014 est l’article 17 de l’ancienne Loi sur la citoyenneté et, pour la suspension actuelle, l’article 13.1 de la nouvelle Loi sur la citoyenneté, entré en vigueur le 1er août 2014 et invoqué par le fonctionnaire du nom de Ko lorsqu’il a rempli le formulaire de suspension de la demande de citoyenneté le 23 octobre 2014, jour même où la demande de bref de mandamus a été déposée.
[72] Je pense qu’il vaut la peine de répéter ce que la juge Mactavish a dit au sujet de l’autorisation de l’immigration en général dans la décision Stanizai, précitée [aux paragraphes 48 et 49] :
Aucun texte législatif n’oblige le ministre à obtenir une attestation de vérification en matière d’immigration avant d’attribuer la citoyenneté; cette attestation semble être requise par la politique ministérielle. L’article 14 de la Loi sur la citoyenneté dispose qu’un juge de la citoyenneté « statue sur la conformité —avec les dispositions applicables en l’espèce de la présente loi et de ses règlements — des demandes déposées ». Bien que la Loi énonce clairement que la citoyenneté ne peut être conférée à une personne qui fait l’objet d’un processus d’enquête ou d’une mesure de renvoi, ni l’une ni l’autre de ces restrictions ne s’applique en l’espèce. En outre, le défendeur n’a invoqué aucune disposition de la Loi ou des règlements qui assujettirait l’attribution de la citoyenneté à l’obtention d’une attestation de vérification en matière d’immigration.
De plus, le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté prévoit que « [l]e ministre attribue la citoyenneté » à toute personne qui remplit une série de conditions obligatoires. L’obligation de produire une attestation de vérification valide en matière d’immigration ne fait pas partie de ces conditions.
[73] J’estime que CIC n’avait aucun pouvoir légal de faire ce qu’il a fait en l’espèce. Comme je l’ai déjà dit, je ne pense pas que l’article 17 de l’ancienne loi ou l’article 13.1 de la nouvelle loi aient un rapport avec la situation du demandeur. La raison en est qu’il remplissait manifestement toutes les conditions prévues par la Loi sur la citoyenneté lorsqu’il a passé son entrevue du 14 février 2014. Il avait obtenu l’autorisation de l’immigration le 28 mai 2013, laquelle se trouvait dans son dossier. Ni l’article 17 ni l’article 13.1 ne disent que le ministre peut ou doit suspendre une demande pour confier une enquête à l’ASFC en vue d’une procédure de perte de statut. Peut-être que l’article 13.1 devrait le permettre, mais, à mon avis, il ne le permet pas. Et, tout comme les juges ne peuvent pas créer la loi en essayant de combler les lacunes des textes législatifs, les fonctionnaires ne peuvent pas non plus s’arroger le pouvoir de combler ces lacunes par des directives administratives. Il s’agit, à mon avis, d’une question d’une telle importance et d’une telle portée que seul le Parlement peut en décider et prévoir dans des textes législatifs ce qui est censé se produire si des questions se posent du point de vue du statut de résident lorsque quelqu’un, comme le demandeur, a obtenu ce statut en ayant intégralement communiqué ses voyages au Guatemala et que l’ASFC a entériné son statut de résident permanent et son autorisation de l’immigration. Il me semble vraiment injuste que CIC et l’ASFC prennent les mesures qu’ils ont prises sans informer le demandeur du problème. Le défendeur dit que cette procédure ne devrait pas être une course, mais c’est pourtant bien ce que CIC et l’ASFC en ont fait puisque, en n’informant pas le demandeur de la remise en question de son statut et de son admissibilité à la citoyenneté, ils se sont donné l’avance dont ils estimaient avoir besoin pour faire enquête et mener une procédure de perte de statut avant que le demandeur puisse faire quoi que ce soit (y compris faire une demande de mandamus) pour protéger ses droits. En l’occurrence, il s’agit bien d’une course, mais c’est une course où des gens comme le demandeur peuvent ne même pas savoir qu’ils y participent puisqu’ils ne sont pas informés et qu’un puissant appareil d’État s’oppose à ce qu’ils le soient. Selon moi, seul le Parlement peut régler ce problème s’il estime que c’en est un. Je tiens cependant à rappeler que le Parlement a modifié la Loi sur la citoyenneté et a adopté l’actuel article 13.1, mais qu’il n’a pas élargi les pouvoirs de suspension du ministre afin d’y ajouter les autorisations de l’immigration, de sorte que, pour l’instant du moins, je pense qu’il faut supposer que ce que la juge Mactavish a déclaré à cet égard en général dans la décision Stanizai ― jugement antérieur à l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ― traduit les intentions actuelles du Parlement. Comme le fait remarquer le demandeur, la SPR elle-même a estimé que la décision d’entamer une procédure de perte de statut pour invalider un statut de résident permanent après des années est contraire aux obligations du Canada aussi bien en vertu de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 [Convention relative au statut des réfugiés], qu’en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Voir Re X, 2014 CanLII 84540 (C.I.S.R.), au paragraphe 35. Par ailleurs, dans le cadre de l’examen d’une demande de perte de statut déposée devant la SPR, le juge Mosley a fait remarquer que le ministre était toujours informé des voyages des résidents permanents, ce qui donnait à penser qu’il « a[vait] patiemment attendu l’arrivée des changements législatifs pour s’en prendre à des résidents permanents » (Bermudez, précitée, au paragraphe 28). Il se peut que le ministre ait obtenu les modifications législatives nécessaires pour s’en prendre aux résidents permanents, mais, à mon avis, il n’a pas obtenu le droit de suspendre des demandes de citoyenneté pour s’en prendre à des résidents permanents de cette manière.
[74] Si la suspension n’est justifiée ni en vertu de l’article 17 de l’ancienne Loi sur la citoyenneté ni en vertu de l’article 13.1 de la nouvelle loi, comme on l’a vu, le ministre est lié par le paragraphe 5(1) et doit donner suite au traitement de la demande du demandeur. Je rappelle que le paragraphe 11(5) du Règlement sur la citoyenneté, qui impose l’obligation de transmettre le dossier à un juge de la citoyenneté, a été abrogé. Cependant, selon moi, l’abrogation de cette disposition ne change rien à l’obligation du ministre, prévue au paragraphe 5(1), d’accorder la citoyenneté au demandeur si celui-ci remplit toutes les conditions. En l’espèce, la demande de citoyenneté du demandeur a été suspendue à tort quatre mois avant l’entrée en vigueur de l’article 13.1, et le ministre ne semble l’avoir invoqué qu’après le dépôt de la demande de mandamus le 23 octobre 2014.
[75] En l’occurrence, le demandeur renvoie aux décisions Murad et Magalong, tous deux précitées, pour affirmer que tout ce qui se produit après le dépôt de la demande de bref de mandamus est nul et non avenu. Selon le défendeur, même si l’on ne peut pas invoquer l’article 13.1 à l’appui de la suspension en l’espèce, l’ancien article 17 est suffisant. En mars 2014, l’ancien article 17 n’a pas servi à justifier la suspension, et il ne peut servir de justification en l’espèce. Cela dit, comme je l’ai expliqué clairement plus haut, j’estime qu’aucune des deux dispositions ne permet de justifier la suspension qui s’est produite en l’occurrence et que la demande de citoyenneté du demandeur aurait dû être traitée conformément aux exigences du paragraphe 5(1) de la présente Loi sur la citoyenneté et du paragraphe 11(5) de l’ancien Règlement sur la citoyenneté. Bien entendu, le délai découlant du fait que le demandeur a dû découvrir ce qui se passait et déposer la présente demande aurait bien pu donner tout le temps dont le ministre avait besoin pour finaliser la procédure de perte de statut avant que le demandeur obtienne finalement sa citoyenneté. Je crois que je dois supposer que le ministre était parfaitement au courant de ce que la juge Mactavish a dit en général au sujet de l’autorisation de l’immigration dans la décision Stanizai, précitée, mais qu’il a préféré ne pas tenir compte des conséquences de ce jugement en l’espèce, dans l’espoir que la procédure de perte de statut ait abouti avant que la citoyenneté soit accordée. C’est pourquoi le défendeur a fait tout son possible pour empêcher le demandeur de savoir ce qui se passait. Compte tenu de la décision Stanizai et compte tenu du comportement du défendeur, je ne peux que conclure ici à un grave abus de procédure et à un manquement à l’équité procédurale à l’égard du demandeur. La Loi sur la citoyenneté prévoit que la demande du demandeur doit être traitée rapidement et en toute transparence. Voir Murad, précitée, au paragraphe 52. Le délai causé par le comportement du défendeur en l’occurrence était déraisonnable et injuste. Il a été plus long que ce que la nature de la procédure exige et il ne s’agissait pas d’une demande problématique exigeant du temps supplémentaire pour examen. Le défendeur en a fait une demande inhabituelle en invoquant des pouvoirs de suspension pour régler une éventuelle révocation du statut de résident permanent. Le demandeur n’est pas responsable du retard dans la procédure de citoyenneté, et le défendeur, selon moi, n’a pas fourni de raison valable à ce délai. Voir la décision Conille, précitée, au paragraphe 23.
[76] Je n’ai aucun moyen de savoir, à ce stade, combien il faudra de temps à la SPR pour terminer la procédure de perte de statut ni si elle conclura à un abus de procédure compte tenu des actions de CIC ayant suivi la confirmation de la résidence permanente par l’ASFC ou parce que les actions de l’ASFC constituent une infraction aux obligations du Canada en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés et de la LIPR. Voir Re X, précitée, au paragraphe 35. Cependant, pour les besoins de la présente demande de mandamus et de la procédure d’octroi de la citoyenneté, je suis convaincu qu’il y a eu abus de procédure compte tenu des faits de l’espèce. Je ne dispose pas de preuve concluante que la demande du demandeur a effectivement été transmise à un juge de la citoyenneté avant la suspension d’office, ce qui permettrait d’invoquer le paragraphe 14(1) de la Loi sur la citoyenneté, mais je pense que les preuves attestent clairement que le dossier du demandeur était complet et prêt à être transmis et qu’il aurait dû être transmis à un juge de la citoyenneté le 14 février 2014 lorsque le fonctionnaire de CIC a rempli le formulaire d’examen de la demande de citoyenneté, laquelle indique que le demandeur remplissait toutes les conditions exigibles.
[77] Compte tenu des délais et de la résistance auxquels s’est heurté le demandeur, il risque effectivement de perdre son statut de résident permanent avant que sa demande de citoyenneté soit traitée. Cela rendrait l’ordonnance de mandamus nulle et non avenue et cela voudrait dire, nonobstant l’abus de procédure, que l’objectif du défendeur de priver le demandeur de son statut de résident permanent, et donc de toute chance d’obtenir sa citoyenneté, se concrétiserait. Si cela devait arriver, j’estime que le demandeur serait privé du droit au traitement de sa demande de citoyenneté conformément à la Loi sur la citoyenneté et plus précisément aux dispositions énoncées aux paragraphes 5(1) et 14(1) de ladite loi, puisque son dossier était complet le 14 février 2014, ainsi que l’atteste le formulaire d’examen de la demande de citoyenneté, et qu’il était prêt à être transmis à un juge de la citoyenneté. Cela signifierait également qu’un grave abus de procédure portant atteinte au droit canadien aurait pu porter fruit. Et cela voudrait dire enfin, compte tenu des faits de l’espèce, qu’on aurait traité de façon inhumaine un homme malade risquant l’expulsion loin de sa famille à un moment difficile de sa vie.
[78] Pour éviter ce risque inacceptable et garantir l’intégrité et la crédibilité de notre système d’immigration et de citoyenneté et pour en éviter également les conséquences inhumaines, l’ordonnance que je rendrai devra tenir compte de ces éventualités.
[79] En conclusion, je suis convaincu qu’il convient de rendre une ordonnance de mandamus. Le défendeur avait l’obligation légale à caractère public de transmettre la demande de citoyenneté du demandeur à un juge de la citoyenneté dès le 14 février 2014 et il n’avait aucun pouvoir légal l’autorisant à suspendre la demande. Selon la Loi sur la citoyenneté, le demandeur avait droit à l’exécution de cette obligation puisqu’il remplissait toutes les conditions y donnant lieu. Par ailleurs, le demandeur avait déjà demandé à ce que cette obligation soit exécutée, et le défendeur a eu suffisamment de temps pour le faire, mais a refusé pour des raisons qui ne sont pas conforme au droit canadien tel qu’il est énoncé dans la Loi sur la citoyenneté. Il n’existe pas d’autre recours possible. Le défendeur dit que le demandeur pourrait simplement passer par la procédure de perte de statut devant la SPR, mais cela ne reconnaîtra ni ne rétablira ses droits tels qu’ils existaient en février 2014 et ne fera que confirmer et prolonger l’abus de procédure dont il fait l’objet. L’ordonnance que je rends ici aura une valeur pratique dans le fait qu’elle reconnaîtra et confirmera les droits du demandeur en vertu de la Loi sur la citoyenneté. Je ne vois pas non plus d’empêchement équitable au recours. Le fait que le demandeur ait résisté à la procédure de perte de statut était simplement sa façon de dénoncer un abus de procédure et une suspension imposée en dépit du droit canadien. Compte tenu des facteurs ci-dessus et selon la prépondérance des inconvénients, je pense qu’il convient de rendre une ordonnance de mandamus. Si le défendeur veut qu’une procédure de perte de statut et la perte de la résidence permanente précèdent les décisions relatives à la citoyenneté, qu’il entame ce genre de procédure en temps et lieu et de façon non abusive ou qu’il cherche à obtenir l’aide du Parlement sous la forme de textes législatifs permettant d’agir comme le défendeur souhaite le faire. Le défendeur ne peut s’arroger de droits de suspension par le biais de directives administratives ou d’autres moyens sans égard aux droits garantis aux demandeurs par la Loi sur la citoyenneté.
[80] Par ailleurs, compte tenu des délais extraordinaires en l’espèce et des conséquences éventuelles qu’ils pourraient avoir sur les droits du demandeur en vertu de la Loi sur la citoyenneté, je crois que des échéances sont de mise pour exiger que ces droits soient préservés jusqu’à ce qu’un juge de la citoyenneté prenne une décision.
[81] Aucune des parties n’a demandé de dépens en l’espèce, et les deux ont décidé d’absorber leurs propres dépens quel que soit le résultat.
[82] Le défendeur a fait savoir à la Cour qu’il ne souhaite pas soulever de question à certifier, de sorte que je dois supposer qu’il est disposé à vivre avec mon interprétation de l’article 17 de l’ancienne Loi sur la citoyenneté et de l’article 13.1 de la nouvelle Loi sur la citoyenneté, qui est au cœur de la présente décision. Selon moi, aucune de ces dispositions ne permet de suspendre une demande de citoyenneté pour laisser à l’ASFC le temps de mener une procédure de perte de statut après qu’il a été déterminé que le demandeur remplit toutes les conditions énoncées à l’article 5(1) de la Loi sur la citoyenneté. Je ne vois donc pas l’utilité de certifier une question en cas d’appel.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. Une ordonnance de mandamus est accordée. La suspension de la demande de citoyenneté du demandeur est annulée. Le défendeur doit immédiatement informer le demandeur de toute lacune qui aurait pu grever son dossier de citoyenneté depuis qu’il a été évalué et jugé conforme aux exigences de la citoyenneté en février 2014 et il doit donner au demandeur suffisamment de temps pour y remédier, après quoi le dossier sera immédiatement transmis à un juge de la citoyenneté, qui rendra une décision dans les 30 jours suivant la réception du dossier. La décision du juge de la citoyenneté sera immédiatement communiquée au demandeur.
2. Aucuns dépens ne sont accordés.
3. Il n’y a pas de question à certifier.
4. Un exemplaire de l’ordonnance sera fournie à la SPR afin qu’elle puisse tenir compte de mes conclusions dans la mesure où elles seront utiles dans le cadre de la présente procédure de perte de statut, et la SPR pourra décider de la meilleure façon de coordonner sa procédure avec mes conclusions et mon jugement en l’espèce.