A-374-13
2014 CAF 187
Kristine Atkinson (demanderesse)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
Répertorié : Atkinson c. Canada (Procureur général)
Cour d’appel fédérale, juges Dawson, Gauthier et Trudel, J.C.A.—Vancouver, 6 mai; Ottawa, 30 juillet 2014.
Pensions — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse et confirmé qu’elle n’était désormais plus admissible aux prestations d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada (RPC) — La demanderesse s'est vu accorder des prestations d’invalidité conformément aux art. 44(1)b) et 42(2)a) du RPC — L’employeur de la demanderesse a pris des mesures d’adaptation pour répondre à ses besoins — Ressources humaines et Développement des compétences Canada a conclu que la demanderesse n’était plus admissible aux prestations d’invalidité en raison de son emploi— Le TSS a conclu, entre autres, que la demanderesse n’était pas une personne présentement atteinte d’une invalidité, que son employeur n’était pas un employeur bienveillant, et que son emploi était véritablement rémunérateur — Il s’agissait de déterminer quelle norme de contrôle il convenait d’appliquer à la décision du TSS et si le TSS a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était plus une personne frappée d’invalidité et, par conséquent, qu’elle n’était plus admissible aux prestations d’invalidité, respectivement en vertu de l’art. 42(2)a) et de l’art. 70(1)a) du RPC — La Cour a fait preuve auparavant de retenue à l’égard de la Commission d’appel des pensions (CAP) sur la question de savoir si une personne est invalide au sens de l’art. 42(2)a), mais l’interprétation par la CAP de l’art. 42(2)a) est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte — La jurisprudence n’a pas établi de façon adéquate la norme applicable au TSS — La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’a pas été réfutée en l’espèce — L’interprétation et l’application faites par le TSS de l’art. 42(2)a) du RPC sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable — Les différences de structure, de composition et de mission entre le TSS et la CAP ne réduisent en rien la nécessité d’appliquer une norme de contrôle caractérisée par la retenue — L’intention du législateur était que la Cour fasse preuve de retenue à l’égard du TSS — Il était loisible au TSS de conclure que la demanderesse était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice — Le TSS n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’art. 42(2)a) — Ce n’est pas à l’emploi que doit se rattacher la « régularité », mais plutôt à l’incapacité de travailler — Le TSS n’a pas commis d'erreur dans son analyse de la question de savoir en quoi consiste un employeur bienveillant — Aucune disposition du RPC n’exige que le défendeur établisse qu’un employeur n’est pas bienveillant pour cesser de verser les prestations — Que l’employeur d’une personne soit bienveillant n’est qu’un facteur parmi tant d’autres à prendre en considération — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse et confirmé qu’elle n’était désormais plus admissible aux prestations d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada (RPC).
L’alinéa 70(1)a) du RPC dispose qu’une pension d’invalidité cesse d’être payable avec le paiement « qui concerne […] le mois au cours duquel le bénéficiaire cesse d’être invalide ». Par ailleurs, il est précisé à l’alinéa 42(2)a) du RPC qu’une personne n’est considérée comme invalide « que si elle est déclarée [...] atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée » et qu’une « invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ».
La demanderesse s’est vu accorder une demande de prestations d’invalidité en application des alinéas 44(1)b) et 42(2)a) du RPC, et son employeur a pris un certain nombre de mesures d’adaptation pour répondre à ses besoins, dont un horaire variable. Ressources humaines et Développement des compétences Canada a réévalué l’admissibilité de la demanderesse et a conclu qu’elle n’était plus admissible aux prestations d’invalidité en raison de son emploi actuel. Le TSS, qui a remplacé la Commission d’appel des pensions (CAP), a conclu, entre autres, que la demanderesse n’était pas une personne présentement atteinte d’une invalidité au sens du RPC, que son employeur n’était pas un employeur bienveillant et que son emploi était véritablement rémunérateur, et qu’elle était capable d’exécuter les tâches essentielles de son emploi sans aide et qu’elle a été capable de se présenter au travail de façon régulière et prévisible.
Il s’agissait de déterminer quelle était la norme de contrôle qu’il convenait d’appliquer et si le TSS a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était plus une personne frappée d’invalidité au sens de l’alinéa 42(2)a) du RPC et, par conséquent, qu’elle n’était plus admissible aux prestations d’invalidité en vertu de l’alinéa 70(1)a).
Jugement : la demande doit être rejetée.
L’interprétation et l’application faites par le TSS de l’alinéa 42(2)a) du RPC sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Il ressort de la jurisprudence que la Cour a fait preuve de retenue à l’égard de la CAP lors de l’examen de ses décisions sur la question de savoir si une personne est invalide au sens de l’alinéa 42(2)a), mais que l’interprétation par la CAP de l’alinéa 42(2)a) était assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. La jurisprudence n’a pas établi de façon adéquate la norme applicable au nouveau TSS. Le TSS, en l’instance, interprète et applique sa loi habilitante et la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’a pas été réfutée. Les erreurs de droit alléguées ne faisaient pas partie des catégories exceptionnelles reconnues; il ne s’agit pas d’une instance où un tribunal administratif et une cour de justice peuvent être appelés à trancher la même question en première instance; et les facteurs consacrés par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, ensemble, ne militaient pas en faveur de la norme de la décision correcte. Les différences de structure, de composition et de mission entre le TSS et la CAP ne réduisent en rien la nécessité d’appliquer une norme de contrôle caractérisée par la retenue lors de l’examen des décisions du TSS. L’intention du législateur était que la Cour fasse preuve de retenue à l’égard du TSS étant donné que son champ d’expertise est plus étendu en matière d’interprétation et d’application du RPC.
Tel qu’il a ressorti des éléments de preuve versés aux débats, il était loisible au TSS de conclure que la demanderesse était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. La demanderesse n’a pas établi que le TSS a commis des erreurs susceptibles de contrôle en concluant qu’elle n’est plus admissible à des prestations d’invalidité. Le TSS n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de ce qu’il faut entendre pour être considéré comme « régulièrement » incapable de détenir une occupation. Concernant l’interprétation de l’alinéa 42(2)a), ce n’est pas à l’emploi que doit se rattacher la « régularité », mais plutôt à l’incapacité de travailler. Le TSS a aussi amplement justifié sa conclusion selon laquelle elle était capable de se présenter au travail de façon régulière. Le TSS n’a pas commis d’erreur dans son analyse de la question de savoir en quoi consiste un employeur bienveillant ou de celle de savoir à qui il incombe de démontrer qu’un employeur est bienveillant. Aucune disposition du RPC n’exige que le défendeur établisse qu’un employeur n’est pas bienveillant pour cesser de verser les prestations. Que l’employeur d’une personne soit bienveillant n’est qu’un facteur parmi tant d’autres que le TSS peut prendre en considération pour décider si une personne est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ».
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34, art. 44, 45(1),(2), 64(2), 68.
Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19, art. 229.
Régimes de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, art. 42(2), 44(1)b), 70(1)a), 82(3), 83(1),(5).
Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013-60.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559.
décisions examinées :
Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Scott, 2003 CAF 34; Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, [2002] 1 C.F. 130; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28, [2000] 1 R.C.S. 703; Gaudet c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 254.
décisions citées :
Farrell c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 181; Kaminski c. Canada (Développement social), 2008 CAF 225, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2009] 3 R.C.S. viii; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Kandola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 85, [2015] 1 R.C.F. 549; Takeda Canada Inc. c. Canada (Santé), 2013 CAF 13, [2014] 3 R.C.F. 70, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2013] 2 R.C.S. xiii.
DOCTRINE CITÉE
Emploi et Développement social Canada. Cadre d’évaluation de l’invalidité du Régime de pensions du Canada, en ligne : <http://www.edsc.gc.ca/fra/invalidite/prestations/evaluation. shtml>.
demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (2013 TSSDA 6 (CanLII)) a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse et confirmé qu’elle n’était désormais plus admissible aux prestations d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada. Demande rejetée.
ONT COMPARU
F. Kenneth Walton, c.r., pour la demanderesse.
Carole Vary pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
F. Kenneth Walton Law Corporation, Victoria, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
La juge Trudel, J.C.A. :
I. Introduction
[1] Notre Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, datée du 15 octobre 2013, par laquelle la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) [K. A. c. Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2013 TSSDA 6 (CanLII)] (CP 28929 (décision du TSS)), a rejeté l’appel interjeté par Mme Kristine Atkinson (la demanderesse) et confirmé qu’elle n’était désormais plus admissible aux prestations d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (RPC). L’alinéa 70(1)a) du RPC dispose qu’une pension d’invalidité cesse d’être payable avec le paiement « qui concerne […] le mois au cours duquel le bénéficiaire cesse d’être invalide ». Par ailleurs, il est précisé à l’alinéa 42(2)a) du RPC qu’une personne n’est considérée comme invalide « que si elle est déclarée […] atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée » et qu’une « invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Le TSS a jugé que le ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (le ministre) s’était acquitté du fardeau de prouver que Mme Atkinson avait recouvré sa capacité d’obtenir un emploi rémunérateur et qu’elle n’était donc plus invalide au sens de l’alinéa 42(2)a) depuis janvier 2011.
[2] Après un examen attentif des observations écrites et orales des parties, je propose de rejeter la demande de contrôle judiciaire. La demanderesse ne m’a pas convaincue que le TSS a commis une erreur susceptible de contrôle en appliquant les dispositions de l’alinéa 42(2)a) aux faits en l’espèce et en concluant que Mme Atkinson n’était désormais plus admissible aux prestations d’invalidité. Le TSS a interprété l’alinéa 42(2)a) de manière conforme à la jurisprudence et je ne crois pas que la décision du TSS n’appartienne pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 47).
[3] La définition de l’invalidité consacrée par le RPC est très restrictive; l’accent est mis sur les limites physiques et mentales qui altèrent la capacité de travail du prestataire. Ainsi, les personnes atteintes de problèmes de santé graves et prolongés peuvent être inadmissibles à des prestations d’invalidité si elles sont jugées capables de détenir une occupation régulière véritablement rémunératrice. Il ressort du dossier dont dispose notre Cour que Mme Atkinson est une personne remarquable qui a réussi à conserver une occupation véritablement rémunératrice depuis 2009 malgré ses graves incapacités physiques. En conséquence, bien que je ne sois pas indifférente à la situation de la demanderesse, je ne puis conclure que la décision du TSS lui refusant ses prestations d’invalidité était déraisonnable.
II. Faits et procédures
[4] Mme Atkinson est née en 1967. Vers l’âge de 12 ans, de façon progressive, elle a commencé à éprouver de la difficulté à utiliser ses bras et, dans une certaine mesure, ses jambes également. Elle a eu une perte de sensation dans ses deux bras, le côté droit présentant des symptômes plus graves. En 1993, elle a appris qu’elle avait une tumeur à la colonne vertébrale associée à un kyste important. Elle a subi une chirurgie à l’occasion de laquelle la tumeur a été partiellement retirée (dossier du défendeur, vol. 1, aux pages 209 et 210). L’intervention a causé une fuite du liquide céphalorachidien, ce qui a donné lieu à d’autres complications. Son bras droit et sa jambe droite sont maintenant atteints de paralysie légère et d’atrophie, et l’usage de sa main gauche est limité. Mme Atkinson a une démarche spasmodique et chancelante. Elle est également atteinte de la maladie de Crohn, mais ce problème de santé ne constitue pas le fondement de sa demande de prestations d’invalidité.
[5] En 1993, en application des alinéas 44(1)b) et 42(2)a) du RPC, Mme Atkinson a présenté une demande de prestations d’invalidité qui lui a été accordée. L’alinéa 44(1)b) dispose notamment qu’une personne, pour être admissible aux prestations d’invalidité, doit avoir moins de 65 ans, ne pas recevoir de pension de retraite du RPC, avoir versé des cotisations valides au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité et être invalide au sens du RPC. Par ailleurs, la définition d’invalidité est énoncée à l’alinéa 42(2)(a) du RPC.
[6] Cet alinéa est ainsi libellé :
42. […] |
|
(2) Pour l’application de la présente loi : a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa : (i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, (ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès. |
Personne déclarée invalide |
[7] Le site Web du gouvernement du Canada propose aussi un « Cadre d’évaluation de l’invalidité du Régime de pensions du Canada » pour venir en aide aux décisionnaires du RPC dans l’interprétation et l’application des dispositions du paragraphe 42(2) du RPC. Fait important en l’espèce, ce document explique que des personnes au service d’un « employeur bienveillant » pourraient encore être considérées comme étant atteintes d’une invalidité grave au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i), même si elles travaillent selon un horaire régulier et reçoivent des revenus considérés comme étant « véritablement rémunérateurs ». Voici la définition que ce document donne de l’expression « employeur bienveillant »
(http://www.edsc.gc.ca/fra/invalidite/prestations/evaluation.shtml) :
Un « employeur bienveillant » est quelqu’un qui variera les conditions de travail et modifiera ses attentes à l'égard de l’employé, en raison de ses limitations. Les exigences liées au travail peuvent varier, la principale différence étant que le rendement, le résultat ou le produit attendu du client, est considérablement moindre que le rendement usuel, le résultat ou le produit attendu des autres employés. Cette capacité réduite de s’acquitter de fonctions à un niveau concurrentiel est acceptée par l'employeur « bienveillant », et le client est régulièrement incapable d’occuper un emploi dans un marché de travail compétitif.
Le travail effectué pour un employeur bienveillant n’est pas considéré comme étant une « occupation » aux fins de l’admissibilité ou de l’admissibilité continue aux prestations d'invalidité du RPC.
[8] Entre 1993 et 2009, Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) a réévalué à cinq reprises l’admissibilité de Mme Atkinson à une pension d’invalidité. En 2001 et 2005, RHDCC lui avait initialement retiré ses prestations parce qu’il avait été jugé que son travail la rendait inadmissible (dossier de la demanderesse, aux pages 29 et 43). Dans chacun des cas, la demanderesse a toutefois interjeté appel de ces décisions auprès du Tribunal de révision et, avant que son appel ne soit entendu, le versement de ses prestations avait repris (dossier de la demanderesse, aux pages 37 et 45).
[9] En 2009, elle a commencé son service actuel en qualité de coordonnatrice de la justice réparatrice auprès du détachement de la Gendarmerie royale du Canada dans la ville de Campbell River, en Colombie-Britannique. Son poste consiste à examiner des courriels et des dossiers judiciaires pour décider si les contrevenants constituent des candidats aptes au processus de justice réparatrice, à interviewer des contrevenants et des victimes ainsi qu’à organiser et à animer des réunions où contrevenants et victimes conviennent de la façon dont il est possible de réparer les torts commis. Elle a gagné environ entre 43 000 $ et 45 000 $ par année, de 2009 à 2012, comparativement à des revenus se chiffrant entre 0 $ et 19 144 $, de 2000 à 2008.
[10] L’employeur actuel de Mme Atkinson a pris un certain nombre de mesures d’adaptation pour répondre à ses besoins. Par exemple, il lui est permis de stationner dans l’allée réservée aux services des incendies, à une distance d’une vingtaine de pieds de l’entrée de l’immeuble où son bureau est situé; ses réunions et séances ne sont tenues que dans l’édifice où elle est en fonction; elle utilise un casque d’écoute lorsqu’elle parle au téléphone; son mari et d’autres employés déplacent des meubles pour chacune des séances qu’elle anime, et son mari achète et offre des rafraîchissements lors de ces séances; ses collègues de travail l’aident à actionner ses fermetures éclair ainsi qu’à boutonner ses vêtements, et ils transportent des cartables et d’autres articles pour elle. De même, bien que son contrat d’emploi stipule qu’elle doit être présente au travail 6 heures par jour, soit 30 heures hebdomadairement, elle n’est pas tenue de consigner ses heures chaque semaine ni d’en rendre compte comme les autres employés. À l’exception de quelques mois seulement, elle a travaillé au-delà de 70 p. 100 des heures exigées d’elle.
[11] En décembre 2010, RHDCC a réévalué Mme Atkinson et a conclu qu’elle n’était plus admissible aux prestations d’invalidité en raison de son emploi actuel (dossier de la demanderesse, à la page 51). Mme Atkinson a demandé à ce que cette décision soit réexaminée; toutefois, en mars 2011, Service Canada a confirmé que le versement de ses prestations ne pouvait pas être rétabli. L’organisme a expliqué que le travail à temps partiel, même s’il est effectué selon un horaire variable, est considéré comme un travail régulier au regard des prestations d’invalidité versées au titre du RPC. On lui a aussi expliqué que, même si son employeur avait pris des mesures d’adaptation à son égard, il n’était pas un employeur bienveillant étant donné qu’elle recevait un salaire conséquent, et l’organisme n’a trouvé aucun élément de preuve dont il ressortait que son employeur avait diminué ses attentes sur le plan de la productivité ou de sa performance au travail. Service Canada a également relevé qu’elle avait été en mesure de conserver son emploi pendant plusieurs années et que le versement de ses prestations n’avait pas été interrompu en 2009 parce qu’on croyait qu’elle ne serait pas en mesure de poursuivre son travail étant donné qu’elle devait subir une intervention chirurgicale (dossier de la demanderesse, aux pages 54 et 55).
[12] Mme Atkinson a interjeté appel de cette décision devant le Tribunal de révision, lequel l’a déboutée. Le Tribunal a conclu que le ministre s’était [traduction] « acquitté du fardeau de prouver que l’appelante avait démontré sa capacité de régulièrement détenir un emploi véritablement rémunérateur qui tient compte de ses contraintes et que les mesures d’adaptation prises par son employeur sont des mesures qu’on peut raisonnablement s’attendre à obtenir dans un milieu de travail concurrentiel » (décision du tribunal de révision, au paragraphe 13).
[13] La demanderesse a alors présenté à la Commission d’appel des pensions (CAP) une demande de permission d’interjeter appel conformément au paragraphe 83(1) [maintenant l’article 83 (mod. par L.C. 2012, ch. 19, art. 229)] du RPC. Par une décision datée du 31octobre 2012, un membre de la CAP a accordé la permission d’interjeter appel après avoir estimé que Mme Atkinson avait établi l’existence d’une cause défendable.
[14] Le 1er avril 2013, le TSS a remplacé la CAP et l’appel de Mme Atkinson a été inscrit au rôle pour audition devant le nouveau TSS. Parce que la demanderesse s’attendait légitimement à ce que la CAP instruise à nouveau l’affaire depuis le début, le TSS a expliqué que « la décision relative à l’appel sera rendue sur la base d’un appel de novo en application du paragraphe 84(1) du [RPC] dans sa version antérieure au 1er avril 2013 » (décision du TSS, au paragraphe 6).
[15] Au final, jugeant que la demanderesse n’était pas une personne présentement atteinte d’une invalidité au sens du RPC, et qu’elle ne l’était pas depuis 2011, vu qu’elle « a obtenu un emploi véritablement rémunérateur qui tient compte de ses limitations, et elle a conservé cet emploi au moins depuis son embauche dans le poste actuel, en janvier 2009 », le TSS a rejeté l’appel (décision du TSS, au paragraphe 45). Le TSS a expliqué que le défendeur s’était acquitté du fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Atkinson avait cessé d’être une personne atteinte d’une invalidité au sens du RPC. Le TSS a conclu que bien que l’employeur de Mme Atkinson ait pris des mesures d’adaptation pour répondre à ses besoins, il n’était pas un employeur bienveillant, et que son emploi était véritablement rémunérateur étant donné qu’« [e]lle accomplit un travail valable pour lequel elle est bien rémunérée, et ce revenu n’est pas une compensation modique ou illusoire » (décision du TSS, au paragraphe 36). De plus, le TSS a expliqué qu’elle est capable d’exécuter les tâches essentielles de son emploi sans aide et qu’elle a été capable de se présenter au travail de façon régulière et prévisible.
[16] La demanderesse présente maintenant une demande de contrôle judiciaire à notre Cour.
III. Les thèses de la demanderesse
[17] La demanderesse soutient que le TSS a commis une erreur dans son interprétation et son application de l’alinéa 42(2)a) et elle avance trois thèses principales.
[18] Premièrement, Mme Atkinson affirme que le TSS a commis une erreur en jugeant qu’elle était capable d’occuper de façon régulière un emploi véritablement rémunérateur. Elle soutient qu’il ressort des mots « de façon régulière » qu’une personne doit être en mesure [traduction] « de se présenter à son lieu de travail au moment où cela est nécessaire, et aussi souvent que cela est nécessaire » et que la [traduction] « prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille régulièrement » (mémoire de la demanderesse, au paragraphe 69). Elle explique que, comme elle n’était pas en mesure de prédire quand elle pourrait se présenter au travail ni pour combien de temps, elle n’était pas capable d’occuper de façon régulière un emploi et qu’elle devrait, par conséquent, toujours être en droit de recevoir des prestations.
[19] Deuxièmement, elle soutient que le TSS a mal appliqué le concept d’« employeur bienveillant » et qu’il a commis une erreur en concluant que son employeur actuel n’est pas bienveillant. La demanderesse explique que ce concept fait « partie intégrante » de ce qu’il faut entendre par personne invalide au sens de l’alinéa 42(2)a). Elle affirme également que les éléments de preuve produits devant le TSS — en ce qui a trait aux mesures d’adaptation prises par son employeur, à l’assistance reçue de ses collègues et de son mari, et au fait qu’elle recevait un plein salaire pour un taux de présence de 70 p. 100 des heures requises — démontrent que son employeur était bienveillant et qu’elle demeurait une personne frappée d’invalidité au sens du RPC, malgré son emploi.
[20] Enfin, elle soutient que le TSS a commis une erreur en déplaçant vers elle le fardeau d’établir que son employeur était bienveillant. Au soutien de son argument, elle invoque un passage de la décision rendue par le TSS dans lequel il est déclaré que l’« appelante n’a fourni aucune preuve que ces mesures d’adaptation dépassent ce qui est attendu d’un employeur dans un milieu de travail concurrentiel » (décision du TSS, au paragraphe 35). Elle fait valoir qu’il incombait au ministre d’établir que l’emploi n’était pas bienveillant pour démontrer qu’elle n’était désormais plus admissible aux prestations d’invalidité.
IV. Analyse
[21] Dans la présente affaire, notre Cour doit trancher deux questions principales. Premièrement, quelle norme de contrôle convient-il d’appliquer à la décision du TSS? Deuxièmement, le TSS a-t-il commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était plus une personne frappée d’invalidité au sens de l’alinéa 42(2)a) du RPC et, par conséquent, qu’elle n’était plus admissible aux prestations d’invalidité en vertu de l’alinéa 70(1)a)?
A. La norme de contrôle
[22] Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, le juge doit d’abord vérifier si la jurisprudence a établi la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la question ou à la catégorie de questions en cause (Dunsmuir, au paragraphe 62). Si cette première démarche se révèle « infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire », le juge doit entreprendre une analyse contextuelle de la norme de contrôle pour déterminer la norme applicable (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira), au paragraphe 48). Cette seconde démarche contextuelle consiste à examiner les facteurs énoncés aux paragraphes 51 à 61 de l’arrêt Dunsmuir — soit, la présence ou non d’une clause privative; l’objectif du tribunal au regard de sa loi habilitante et l’expertise du tribunal; la nature de la question en cause — ainsi qu’à déterminer si ces facteurs militent, en l’espèce, en faveur de la norme de la décision raisonnable ou de la décision correcte. Je remarque que personne n’a soutenu que la reprise de l’examen depuis le début par le TSS de l’appel interjeté par Mme Atkinson a une incidence sur l’analyse de la norme de contrôle applicable.
[23] Il ressort de la jurisprudence que notre Cour a fait preuve de retenue à l’égard de la CAP lors de l’examen de ses décisions sur la question de savoir si une personne est invalide au sens de l’alinéa 42(2)a) (voir par exemple, Farrell c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 181, Kaminski c. Canada (Développement social), 2008 CAF 225, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2009] 3 R.C.S. viii (le 22 octobre 2009)), mais que l’interprétation par la CAP de l’alinéa 42(2)a) était assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Scott, 2003 CAF 34 (Scott); Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, [2002] 1 C.F. 130 (Villani)).
[24] Toutefois, notre Cour examine pour la première fois une décision du nouveau TSS, et non de la CAP. Par conséquent, j’estime que la jurisprudence n’a pas établi de façon adéquate la norme applicable à la question soulevée en l’espèce et que je dois entreprendre une analyse contextuelle pour déterminer à nouveau la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer. Par les motifs qui suivent, je conclus que l’interprétation et l’application faites par le TSS de l’alinéa 42(2)a) du RPC sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
[25] La Cour suprême du Canada a précisé qu’il existe une présomption selon laquelle il convient d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable lorsqu’un décideur administratif interprète sa « loi constitutive » (c.-à-d. sa loi habilitante) ou une loi « étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » (Dunsmuir, au paragraphe 54; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 (Alberta Teachers), aux paragraphes 30 et 34; Agraira, au paragraphe 50). Cette présomption n’est toutefois pas absolue. Elle est réfutable si, par exemple, « l’interprétation de la loi constitutive relève d’une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable » (Alberta Teachers, au paragraphe 30). On retrouve dans ces catégories exceptionnelles les « “questions constitutionnelles, [les] questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, [les] questions portant sur la ‘délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents’ [et] les questions touchant véritablement à la compétence” » (Alberta Teachers, au paragraph 30). Il est également possible de réfuter cette présomption au moyen d’une analyse contextuelle, et cela, plus particulièrement, dans les affaires où un tribunal administratif et une cour de justice peuvent être appelés à trancher la même question juridique en première instance (Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 238, au paragraphe 16; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, aux paragraphes 22 à 24). D’autre part, notre Cour a aussi conclu que la présomption pouvait être réfutée si les facteurs consacrés par la jurisprudence Dunsmuir militent en faveur de la norme de contrôle de la décision correcte (Kandola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 85, [2015] 1 R.C.F. 549, aux paragraphes 38 à 45; Takeda Canada Inc. c. Canada (Santé), 2013 CAF 13, [2014] 3 R.C.F. 70, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2013] 2 R.C.S. xiii (le 13 juin 2013), aux paragraphes 28 et 29).
[26] Le TSS, en l’instance, interprète et applique sa loi habilitante et j’estime que la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est pas réfutée. Les erreurs de droit alléguées ne font pas partie des catégories exceptionnelles reconnues, il ne s’agit pas d’une instance où un tribunal administratif et une cour de justice peuvent être appelés à trancher la même question en première instance et les facteurs consacrés par la jurisprudence Dunsmuir, ensemble, ne militent pas en faveur de la norme de la décision correcte.
[27] La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34, en vertu de laquelle le TSS a été constitué, contient une clause privative à l’article 68 qui est ainsi libellé : « La décision du Tribunal à l’égard d’une demande présentée sous le régime de la présente loi est définitive et sans appel; elle peut cependant faire l’objet d’un contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur les Cours fédérales. » De façon générale, une clause privative milite en faveur de la norme de la décision raisonnable; cette clause privative rend cependant de façon explicite notre Cour compétente en matière de contrôle des décisions du TSS. Par conséquent, l’existence de cette clause privative ne justifie pas l’application d’une norme de contrôle qui commande la déférence.
[28] En ce qui a trait à l’expertise et à la mission du TSS, on pourrait affirmer que la liste des membres, la composition et les pouvoirs législatifs du TSS indiquent qu’il dispose d’un degré moindre d’expertise que la CAP au regard de l’interprétation du RPC, et que, par conséquent, la Cour doit faire preuve d’encore moins de retenue à l’égard du TSS qu’à l’égard de la CAP. Le paragraphe 83(5) de l’ancienne version du RPC exigeait que la CAP soit composée en partie de juges de la Cour d’appel fédérale, de la Cour fédérale ou d’une cour supérieure d’une province. D’autre part, le paragraphe 82(3) exigeait également que la liste des membres du tribunal de révision comprenne 25 p. 100 d’avocats et 25 p. 100 de médecins. En revanche, la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social n’exige pas que l’un quelconque des membres du TSS soit juge, avocat ou médecin. Le paragraphe 45(1) de cette loi dispose plutôt que le TSS est composé d’au plus « soixante-quatorze membres à temps plein nommés par le gouverneur en conseil » [dans L.C. 2012, ch. 19, art. 224] alors que le paragraphe 45(2) dispose que le gouverneur en conseil désigne parmi les membres à temps plein le président, ainsi que trois vice-présidents.
[29] De plus, alors que la CAP était chargée d’instruire les appels concernant expressément l’interprétation ou l’application des dispositions du RPC, la mission actuelle de la Division d’appel du TSS est plus vaste. La Division générale du TSS (le premier palier d’appel) est composée de la section de l’assurance-emploi, laquelle instruit les appels interjetés à l’encontre de décisions de la Commission de l’assurance-emploi du Canada statuant en révision, et de la section de la sécurité du revenu, laquelle instruit les appels interjetés à l’encontre de décisions de réexamen concernant le RPC ou les prestations de la Sécurité de la vieillesse (Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, à l’article 44). D’autre part, la Division d’appel du TSS instruit les appels des décisions des deux sections de la Division générale. On pourrait donc affirmer que la Division d’appel du TSS dispose d’un degré moindre d’expertise que la CAP, vu qu’elle n’instruit pas d’appel concernant exclusivement le RPC.
[30] La création du TSS constitue une réforme en profondeur des mécanismes d’appel en matière de demandes de prestations d’assurance-emploi et de sécurité de la vieillesse. Elle vise à offrir des mécanismes d’appel plus efficaces, plus simples et plus rationnels pour les décisions du Régime de pensions du Canada, de la Sécurité de la vieillesse et de l’assurance-emploi en « offrant un guichet unique où l’on peut interjeter appel » (en ligne : <Tribunal de la sécurité sociale – Canada.ca, http://www.canada.ca/fr/tss/>). Les changements apportés ne touchent pas uniquement la composition et la structure du TSS, mais aussi ses règles de pratique (voir le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013-60).
[31] À mon avis, les différences de structure, de composition et de mission entre le TSS et la CAP ne réduisent en rien la nécessité d’appliquer une norme de contrôle caractérisée par la retenue lors de l’examen des décisions du TSS. L’une des missions du TSS consiste à interpréter le RPC et à le mettre en application, et, dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, le TSS est appelé de façon régulière à appliquer ce texte législatif. En outre, le paragraphe 64(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social restreint également le type de questions de droit ou de fait que le TSS peut trancher concernant le RPC, probablement pour assurer que ce tribunal n’examine que les questions qui relèvent de son champ d’expertise. Il ressort de ces facteurs que l’intention du législateur était que la Cour fasse preuve de retenue à l’égard du TSS étant donné que son champ d’expertise est plus étendu en matière d’interprétation et d’application du RPC.
[32] Enfin, en ce qui a trait à la nature des questions juridiques soulevées dans le cadre de la présente demande, il ne s’agit pas de questions qui revêtent une importance capitale pour le système juridique ni qui sont étrangères au domaine d’expertise du TSS. Elles ne sont pas non plus des questions constitutionnelles ni des questions de compétence. Quant aux erreurs de fait alléguées ou aux erreurs d’application des dispositions de la loi aux faits de l’espèce, ces erreurs sont également susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 53).
[33] Étant donné ma conclusion selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, je procéderai maintenant à l’analyse de la question de savoir si l’interprétation et l’application de l’alinéa 42(2)a) par le TSS étaient raisonnables.
B. L’alinéa 42(2)a)
[34] Le RPC a pour but d’assurer une aide aux Canadiens privés de gains en raison d’une retraite, d'une déficience ou du décès d’un membre de la famille salarié en leur offrant un régime d’assurance sociale. Toutefois, comme la Cour suprême du Canada l’a souligné au regard du RPC, « [i]l s’agit non pas d’un régime d’aide sociale, mais plutôt d’un régime contributif dans lequel le législateur a défini à la fois les avantages et les conditions d’admissibilité, y compris l’ampleur et la durée de la contribution financière d’un requérant » (Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28, [2000] 1 R.C.S. 703, au paragraphe 9).
[35] Comme je l’ai déjà souligné, l’alinéa 42(2)a) précise les conditions selon lesquelles une personne est admissible aux prestations d’invalidité et limite le versement de ces prestations aux personnes dont l’invalidité est « prolongée » et « grave ». Pour avoir droit à des prestations en vertu de cette disposition, une personne doit produire une preuve médicale démontrant que son « invalidité […] est déclarée […] devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès » (sous-alinéa 42(2)a)(ii)), ainsi qu’une preuve, en ce qui a trait aux efforts déployés pour se trouver un emploi et à l’existence des possibilités d’emploi, démontrant qu’elle est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice » (sous-alinéa 42(2)a)(i)). En l’espèce, seule la dernière exigence est en cause.
[36] Mme Atkinson ne m’a pas convaincue que le TSS a commis des erreurs susceptibles de contrôle en concluant qu’elle n’est plus admissible à des prestations d’invalidité.
[37] Le TSS n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de ce qu’il faut entendre pour être considéré comme « régulièrement » incapable de détenir une occupation. La Cour a jugé, concernant l’interprétation de l’alinéa 42(2)a), que ce n’est pas à l’emploi que doit se rattacher la « régularité », mais plutôt à l’incapacité de travailler. En d’autres termes, pour être atteinte d’une invalidité grave, une personne doit être régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice (Scott, au paragraphe 7). En revanche, à l’occasion de l’affaire Villani, la Cour a expliqué que les dispositions de l’alinéa 42(2)a) n’exigent pas du requérant « qu’il soit incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable » (souligné dans l’original) (Villani, au paragraphe 38). Une personne doit plutôt être « incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice » (Villani, au paragraphe 38).
[38] Le TSS a expliqué [au paragraphe 43] que « la prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille “régulièrement” au sens du [RPC] » et il a évalué si Mme Atkinson était capable de se présenter au travail de façon prévisible. Le TSS a aussi amplement justifié sa conclusion selon laquelle elle était capable de se présenter au travail de façon régulière. Il a souligné qu’elle était présente au travail 70 p. 100 du temps au minimum et qu’aucun élément de preuve n’a fait état de plaintes ou de mesures disciplinaires en raison d’absences du travail. Il a aussi souligné que bien qu’elle reçoive une certaine aide de ses collègues de travail et de son mari, elle est capable d’exécuter sans aide les tâches essentielles de son emploi.
[39] Je ne suis également pas convaincue que le TSS a commis une erreur dans son analyse de la question de savoir en quoi consiste un employeur bienveillant ou de celle de savoir à qui il incombe de démontrer qu’un employeur est bienveillant. Aucune disposition du RPC n’exige que le défendeur établisse qu’un employeur n’est pas bienveillant pour cesser de verser les prestations. Le TSS a plutôt expliqué correctement [au paragraphe 30] qu’il incombe au défendeur de « prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante a cessé d’être invalide », et que, par conséquent, les conditions de l’alinéa 42(2)a) n’étaient désormais plus réunies. Que l’employeur d’une personne soit bienveillant n’est qu’un facteur parmi tant d’autres que le TSS peut prendre en considération pour décider si une personne est « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ».
[40] Le TSS a également relevé que les mots « employeur bienveillant » ne sont ni utilisés ni définis dans le RPC, et il explique que l’avocat [de la demanderesse] a produit une définition de ce terme tirée de documents de politique de Service Canada (décision du TSS, au paragraphe 35). Bien que la Cour ne soit pas liée par cette définition, l’application qu’en a faite le TSS donne néanmoins un aperçu des facteurs qui ont été pris en compte dans la décision qu’il a rendue, et elle nous permet d’évaluer si son application de l’alinéa 42(2)a) était raisonnable. Le TSS a reconnu les mesures d’adaptation prises par son employeur et dont Mme Atkinson a bénéficié; il a cependant jugé que ces mesures d’adaptation ne « dépassent [pas] ce qui est attendu d’un employeur dans un milieu de travail concurrentiel » (décision du TSS, au paragraphe 35). Il a conclu que le travail de Mme Atkinson est productif et aucun élément de preuve ne donne à penser que son employeur n’est pas satisfait de son rendement ou que les mesures d’adaptation ont représenté pour lui une contrainte excessive. En résumé, il a donc conclu que son employeur n’était pas bienveillant étant donné que Mme Atkinson avait la capacité de travailler dans un milieu concurrentiel; de plus, le TSS n’a relevé aucun élément de preuve dont il ressortait que le travail attendu d’elle était nettement moindre que celui attendu des autres employés.
[41] La jurisprudence enseigne que dans les affaires où sont en jeu essentiellement des questions de faits, comme en l’espèce, « l’éventail des issues justifiables et acceptables […] est relativement large » (Gaudet c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 254, au paragraphe 9). Tel qu’il ressort des éléments de preuve versés aux débats, j’estime qu’il était loisible au TSS de conclure que Mme Atkinson est régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
V. Décision proposée
[42] Je propose de rejeter la demande de contrôle judiciaire avec dépens.
La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.
La juge Gauthier, J.C.A. : Je suis d’accord.