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IMM-5204-13

2014 CF 1077

Isree Singh (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeurs)

Répertorié : Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Brown—Toronto, 20 octobre; Ottawa, 13 novembre 2014.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — « Parrainage d’époux » — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel du demandeur à l’encontre du rejet de sa demande de parrainage — L’agent des visas a conclu que l’épouse du demandeur s’était mariée dans le but d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et que le mariage n’était pas authentique — Le demandeur, qui est né au Guyana, est maintenant citoyen canadien — Son cousin lui a présenté son épouse, une Guyanaise qui a un fils — Après avoir été présentés, ils ont commencé à se parler au téléphone au début de juin 2008 — Ils se sont rencontrés peu après, le 30 juillet 2008, et se sont mariés sept jours plus tard — Il s’agissait de savoir si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi ou n’était pas authentique en vertu de l’art. 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — L’art. 4(1) a été reformulé — Selon l’ancienne définition, un mariage qui, initialement, visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège pouvait, au fil du temps, devenir authentique et l’époux étranger pouvait rejoindre son partenaire au Canada — Selon le libellé actuel, dans la même situation, l’étranger est interdit de territoire au Canada — Il incombait au demandeur de prouver que son mariage était authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège — La SAI a conclu, selon la bonne norme juridique, que l’épouse s’est mariée principalement dans le but d’immigrer au Canada avec son fils — Cette conclusion suffisait pour statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire, vu l’état actuel du droit, mais en l’espèce, il fallait également se pencher sur la conclusion de la SAI au sujet de l’authenticité du mariage — Il convenait d’évaluer l’authenticité du mariage au présent (« n’est pas authentique », art. 4(1)b)) et l’objectif principal au passé, au moment du mariage («visait », art. 4(1)a)) — La conclusion de la SAI portant que le mariage n’était pas authentique n’était pas raisonnable — L’évaluation des facteurs était déraisonnable — La SAI a commis une erreur en évaluant l’authenticité du mariage non pas comme une question distincte qu’elle devait trancher, mais comme un facteur à soupeser en fonction de la conclusion qu’elle a tirée sur la question distincte de l’objectif principal — Les dispositions du Règlement sont désormais disjonctives et décrivent deux scénarios différents — L’art. 4(1) du Règlement n’est pas invalide parce qu’il contreviendrait à l’art. 3(1)d) de la Loi, selon lequel la Loi a pour objet, entre autres, de « veiller à la réunification des familles au Canada » — L’application de l’art. 4(1) a plutôt pour effet de soutenir l’objectif de réunification de la famille que celui d’y faire obstacle — Une question portant sur la validité de l’art. 4(1) du Règlement a été certifiée — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel du demandeur à l’encontre du rejet de la demande de parrainage par l’agent des visas qui a conclu que l’épouse du demandeur s’était mariée dans le but d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et que le mariage n’était pas authentique.

Le demandeur, qui est né au Guyana, est arrivé au Canada en 1998 et est maintenant un citoyen canadien. Son cousin lui a présenté son épouse, une Guyanaise qui a un fils. Après avoir été présentés l’un à l’autre, l’épouse et le demandeur ont commencé à se parler au téléphone au début de juin 2008. Ils se sont rencontrés pour la première fois au Guyana le 30 juillet 2008 et se sont mariés sept jours plus tard dans ce pays lors du même séjour, soit le 6 août 2008.

En janvier 2010, le demandeur a présenté une demande de parrainage, en vue de parrainer sa femme, accompagnée d’éléments de preuve. L’épouse a été interrogée au Guyana, mais l’agent des visas a rejeté la demande après avoir conclu que l’épouse s’était mariée dans le but d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi et que le mariage n’était pas authentique. Le demandeur a interjeté appel à la SAI qui a rejeté l’appel.

Le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés a été reformulé en septembre 2010. Plus particulièrement, la préposition « et » a été remplacée par l’expression « selon le cas » avant l’alinéa a). Ainsi, la définition conjonctive est devenue une définition disjonctive. La principale différence réside dans le fait que, selon l’ancienne définition, un mariage qui, initialement, visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège pouvait, au fil du temps, devenir authentique. Dans un tel cas, l’époux étranger pouvait rejoindre son partenaire au Canada. Selon le libellé actuel, un étranger dont le mariage visait principalement, au départ, l’acquisition d’un statut ou d’un privilège, mais qui, au fil du temps, est devenu authentique, est interdit de territoire au Canada pour vivre avec son conjoint ou sa conjointe légitime. Par conséquent, vu l’état actuel du droit, l’épouse avec qui le demandeur est marié depuis six ans ne peut venir habiter avec lui au Canada même si leur mariage est maintenant authentique.

Il s’agissait de savoir si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi (le « critère de l’objectif principal ») ou n’était pas authentique (le « critère de l’authenticité ») en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Il incombait au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage était authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi.

La décision de la SAI ne pouvait être annulée que si elle était déraisonnable, c’est-à-dire si une conclusion de fait erronée a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments présentés, ce que le demandeur n’a pas réussi à faire. À la lumière de la preuve dont elle disposait, la SAI a conclu, selon la bonne norme juridique, à savoir selon la prépondérance des probabilités, que l’épouse du demandeur s’est mariée principalement dans le but d’immigrer au Canada avec son fils.

La conclusion relative à l’objectif principal du mariage suffisait pour statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire, vu l’état actuel du droit, mais en l’espèce, il fallait également se pencher sur la conclusion de la SAI au sujet de l’authenticité du mariage.

Il convenait d’évaluer l’authenticité du mariage au présent et l’objectif principal du mariage au passé, c’est-à-dire au moment où ce dernier a eu lieu. Cette distinction ressort clairement de l’emploi du passé lorsqu’il est question de l’objectif principal, alinéa 4(1)a) du Règlement, et du présent lorsqu’il s’agit de l’authenticité, alinéa 4(1)b), et ce, tant dans la version anglaise que dans la version française du Règlement et tant sous l’ancien que le nouveau libellé.

La conclusion de la SAI selon laquelle le mariage n’était pas authentique n’était pas raisonnable. En ce qui concerne l’évaluation des facteurs pertinents, tous les facteurs évalués par la SAI corroboraient l’authenticité du mariage, sauf un, mais il était fondé sur un détail futile, à savoir la relation entre l’époux et le beau-fils.

La SAI a également commis une erreur en évaluant l’authenticité du mariage non pas comme une question distincte qu’elle devait trancher, mais comme un facteur à soupeser en fonction de la conclusion qu’elle a tirée sur la question distincte de l’objectif principal. Les dispositions du Règlement sont désormais disjonctives et décrivent deux scénarios différents. L’une ou l’autre des deux dispositions disjonctives ne doit pas perdre sa portée juridique à cause d’une conclusion relative à l’autre disposition. La façon dont la SAI a interprété et appliqué le paragraphe 4(1) du Règlement était déraisonnable du fait qu’elle ne pouvait se justifier.

Le paragraphe 4(1) du Règlement n’est pas invalide parce qu’il contreviendrait à l’alinéa 3(1)d) de la Loi, selon lequel la loi a pour objet, entre autres, de « veiller à la réunification des familles au Canada ». L’objectif visé par le Règlement et le législateur consistait à établir une relation disjonctive entre l’authenticité et l’objectif principal, c’est-à-dire les éléments dont il est question au paragraphe 4(1) du Règlement. L’application du paragraphe 4(1) du Règlement a plutôt pour effet de soutenir l’objectif de réunification de la famille de la Loi que celui d’y faire obstacle.

La question suivante a été certifiée : L’élément disjonctif du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, version modifiée DORS/2010-208, est-il invalide au regard de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés étant donné que le paragraphe 4(1) aurait pour effet d’empêcher le parrainage d’un époux lorsqu’il a été conclu que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut, nonobstant une conclusion selon laquelle le mariage a toujours été authentique ou l’est devenu, et irait ainsi à l’encontre des buts et objectifs de la Loi, en particulier l’alinéa 3(1)d) de la Loi, « de veiller à la réunification des familles au Canada »?

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)d), 72(1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 4, 117(9)d).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions examinées :

MacDonald c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 978; Kaur Barm c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 893; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Paulino c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 542; Khera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 632; Keo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1456; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290.

décisions citées :

Dalumay c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1179; Azizi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 406, [2006] 3 R.C.F. 118; dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 186, [2007] 1 R.C.F. 386; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, [2015] 1 R.C.F. 335.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (2013 CanLII 96685) par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel de la décision de l’agent des visas qui a refusé la demande de parrainage du demandeur. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Sarah L. Boyd pour le demandeur.

Meva Motwani pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jackman, Nazami & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

            Le juge Brown :

I.          Contexte

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Isree Singh (le demandeur), en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’égard d’une décision rendue le 11 juillet 2013 [2013 CanLII 96685] par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a déterminé que le mariage du demandeur correspondait à la définition de l’exclusion prévue au paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

[2]        Je suis d’avis que la présente demande devrait être rejetée vu l’état actuel du droit. Toutefois, je certifie une question auprès de la Cour d’appel fédérale pour déterminer si le Règlement applicable est valide au regard de la LIPR. J’ai conclu que le Règlement applicable est intra vires et que j’y suis lié.

II.         Faits

[3]        Le demandeur est né au Guyana en 1958. Il est arrivé au Canada en 1998 et est maintenant un citoyen canadien. Il a été marié deux fois avant le mariage en cause, mais malheureusement, les deux mariages en question n’ont pas eu une fin heureuse pour le demandeur. Son cousin lui a ensuite présenté Sabitree Singh (l’épouse ou la femme), une citoyenne du Guyana qui est la mère d’Antonio Subedar. Son mariage précédent, qui a débuté en 1984, a pris fin au moment du décès de son mari en 2006. Après avoir été présentés l’un à l’autre, l’épouse et le demandeur ont commencé à se parler au téléphone au début de juin 2008. Ils se sont rencontrés pour la première fois au Guyana le 30 juillet 2008 et se sont mariés sept jours plus tard dans ce pays lors du même séjour, soit le 6 août 2008.

[4]        Le demandeur avait déjà présenté une demande en vue de parrainer sa femme, mais cette demande a été rejetée le 20 mars 2009 en raison du manque de preuve documentaire démontrant l’existence d’une relation authentique et à long terme. Le demandeur n’a pas interjeté appel de cette décision. En janvier 2010, il a présenté une deuxième demande de parrainage. Cette fois, sa demande était accompagnée d’éléments de preuve supplémentaires et plus détaillés. L’épouse a été interrogée au Guyana, mais l’agent des visas a rejeté la demande après avoir conclu que l’épouse s’était mariée dans le but d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la LIPR et que le mariage n’était pas authentique. Le demandeur a interjeté appel, et la SAI a tenu une audience puis rejeté l’appel. C’est ce rejet qui a donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire.

III.        Analyse

[5]        La question que devait trancher la SAI était celle de déterminer si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR (le « critère de l’objectif principal ») ou n’était pas authentique (le « critère de l’authenticité ») en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement. L’épouse ne peut obtenir le visa nécessaire pour vivre avec son mari au Canada si, tel qu’il est énoncé dans la nouvelle version du Règlement, l’une ou l’une de ces conclusions est tirée : Dalumay c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1179 (Dalumay), au paragraphe 25. Le paragraphe 4(1) du Règlement se lit maintenant comme suit :

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :   

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;    

b) n’est pas authentique.

Mauvaise foi

[6]        Il est à noter que le paragraphe 4(1) a été reformulé en septembre 2010 [DORS/2010-208, art. 1]. Plus particulièrement, la préposition « et » a été remplacée par l’expression « selon le cas » avant l’alinéa a). Ainsi, la définition conjonctive est devenue une définition disjonctive. Voici l’ancienne version du paragraphe 4(1) :

4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.      

Mauvaise foi

[7]        La principale différence réside dans le fait que, selon l’ancienne définition, un mariage qui, initialement, visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège pouvait, au fil du temps, devenir authentique. Dans un tel cas, l’époux étranger pouvait rejoindre son partenaire au Canada. Selon le libellé actuel, un étranger dont le mariage visait principalement, au départ, l’acquisition d’un statut ou d’un privilège, mais qui, au fil du temps, est devenu authentique, est interdit de territoire au Canada pour vivre avec son conjoint ou sa conjointe légitime. Par conséquent, vu l’état actuel du droit, l’épouse avec qui le demandeur est marié depuis six ans ne peut venir habiter avec lui au Canada même si leur mariage est maintenant authentique.

[8]        Lors de l’audience devant l’agent des visas, il incombait au demandeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son mariage était authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. Compte tenu des conclusions défavorables pour les parties tirées par l’agent des visas à ces deux égards, l’appel interjeté à la SAI ne pouvait être accueilli que si le demandeur remplissait les deux exigences. De même, à moins que le Règlement soit invalide au regard de la LIPR ou qu’il comporte un quelconque autre vice, le demandeur ne peut voir sa présente demande de contrôle judiciaire accueillie que s’il établit que la conclusion relative à l’objectif principal et la conclusion relative à l’authenticité n’appartiennent ni l’une ni l’autre aux issues possibles et raisonnables.

A. Norme de contrôle

[9]        Le contrôle judiciaire ne constitue pas un appel, mais plutôt une évaluation du caractère raisonnable d’une décision. La Cour fédérale a statué que les décisions de la SAI, en tant que tribunal spécialisé, sont évaluées selon la norme de la raisonnabilité et commandent la retenue. Selon la Cour, ces décisions ne doivent être annulées qu’en présence d’une conclusion de fait erronée tirée « de manière abusive et arbitraire sans tenir compte de la preuve dont elle [la SAI] était saisie », en particulier lorsqu’il s’agit de questions mixtes de fait et de droit comme l’évaluation de la crédibilité et l’authenticité d’un mariage : MacDonald c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 978, au paragraphe 16; Dalumay, au paragraphe 19; Kaur Barm c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 893, aux paragraphes 11 et 12.

[10]      Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a expliqué ce qui était attendu d’une cour appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[11]      Je me pencherai sur les deux volets du paragraphe 4(1) du Règlement séparément.

B. 4(1)a) : Mariage qui visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège

[12]      Le demandeur, dans son argument relatif à l’alinéa 4(1)a) qui porte sur l’objectif principal, demande essentiellement à la Cour de soupeser de nouveau la preuve qui a été présentée à la SAI. Il croit fermement que la SAI n’a pas bien apprécié et évalué la preuve dont elle disposait. Toutefois, la décision de la SAI ne peut être annulée que si elle est déraisonnable, c’est-à-dire si une conclusion de fait erronée a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments présentés.

[13]      À mon avis, le demandeur n’a pas mis en évidence une conclusion de fait que la SAI aurait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition à cet égard. À la lumière de la preuve dont elle disposait, la SAI a conclu, selon la bonne norme juridique, à savoir selon la prépondérance des probabilités, que la femme (et non le demandeur), s’est mariée principalement dans le but d’immigrer au Canada avec son fils. Au nombre des principales constatations ayant mené à cette conclusion figurent les suivantes : le demandeur est le seul candidat au mariage qui a été présenté à l’épouse; l’épouse avait très peu de réserves quant à l’union proposée et a accepté d’épouser le demandeur sans d’abord lui parler ou le rencontrer; le statut de résident au Canada du demandeur a joué un rôle dans la décision de la femme d’épouser le demandeur; ils ont convenu de se marier à la suite d’une conversation téléphonique de 30 à 45 minutes; le demandeur n’avait pas parlé au fils de son épouse et ne l’avait pas rencontré avant d’accepter de se marier; la hâte avec laquelle le mariage a été célébré et l’absence de preuve témoignant d’un mariage indo-antillais semi-arrangé typique. À mon avis, il était loisible à la SAI de parvenir à toutes ces conclusions à la lumière du dossier.

[14]      Je dois souligner que la question du mariage arrangé a été abordée par les deux parties lors de l’audience. Il s’agissait, selon le formulaire de la demande, d’un mariage arrangé (la case indiquant que le mariage était arrangé avait été cochée) et, selon le demandeur, d’un mariage antillais [traduction] « semi-arrangé ». La SAI a toutefois conclu avec raison qu’il n’y avait aucune preuve du sens de cette expression particulière. Le demandeur a reproché à la SAI d’avoir fait des comparaisons avec les mariages arrangés en Inde, où le terme « arrangé » a, de ce que je comprends, un sens particulier. Le mariage en question n’a pas été arrangé : les parties ont seulement été présentées au cousin du demandeur, qui est également un ami du père de l’épouse du demandeur. À la lumière de la preuve, le mariage n’était pas arrangé dans aucun sens particulier du terme.

[15]      Par ailleurs, il était raisonnable que la SAI aborde la culture et les coutumes entourant les mariages indiens puisque la comparaison a été soulevée par l’épouse du demandeur. En effet, cette dernière a déclaré ce qui suit (au sujet de la taille du mariage) : [traduction] « comme le veut la coutume au sein des familles hindoues du Guyana, il n’y a pas de grosses cérémonies après la première cérémonie de mariage ». À mon avis, il convient de reconnaître que la SAI possède des connaissances spécialisées dans ce domaine. Cela dit, il est évident que cette comparaison n’est pas au cœur de la décision de la SAI.

[16]      Il était également loisible à la SAI de conclure (c’est-à-dire qu’il était raisonnable qu’elle conclue) que la résidence canadienne du demandeur a joué un rôle dans la décision de la femme de l’épouser et d’accorder peu d’importance à l’argument de l’épouse selon lequel elle s’est mariée pour donner la chance à son fils d’avoir un père. Je souligne qu’il était inexact pour la SAI de prétendre que la femme a décidé d’immigrer au Canada parce que ce pays offre un meilleur avenir à son fils. Cette réponse est fondée sur la réponse à une autre question, soit celle de connaître les projets qu’elle avait pour elle et son fils après leur arrivée au Canada et non celle de connaître l’objectif initial de son mariage avec le demandeur. Dans l’ensemble, et je ne suis peut-être pas d’accord avec la décision ci-après, il était raisonnable pour la SAI de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la femme du demandeur s’est mariée principalement dans le but d’immigrer au Canada avec son fils.

C. 4(1)b): Mariage authentique

[17]      La conclusion précédente relative à l’objectif principal du mariage suffit pour statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire, vu l’état actuel du droit, mais en l’espèce, il faut également se pencher sur la conclusion de la SAI au sujet de l’authenticité du mariage.

[18]      Le demandeur soutient que l’authenticité du mariage s’est développée au fil du temps et qu’un mariage de plusieurs années qui est authentique à l’heure actuelle doit être considéré comme une preuve solide de l’authenticité du mariage ab initio. Le demandeur cite la décision Paulino c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 542, au paragraphe 29, un cas qui précède les modifications apportées au libellé du paragraphe 4(1) du Règlement :

Une analyse effectuée au regard de l’article 4 du Règlement exige ce qui suit : premièrement, une évaluation de l’authenticité du mariage et deuxièmement, la détermination de la question de savoir si le mariage a été conclu principalement en vue d’acquérir un statut ou un privilège. Toutefois, le demandeur doit uniquement prouver que l’un de ces éléments ne s’applique pas à son cas.

[19]      L’extrait ci-dessus renvoie à la décision Khera c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 632 (Khera), au paragraphe 6, selon laquelle un mariage visant initialement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR peut devenir authentique au fil du temps :

Selon l’article 4 du [Règlement], « l’étranger n’est pas considéré comme l’époux […] si le mariage […] n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi ». Selon la jurisprudence de la Cour, ces deux conditions sont conjonctives. Une interprétation conjonctive n’écarte pas la possibilité qu’un mariage, qui initialement visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR, puisse devenir authentique et, par conséquent, ne plus être exclu par l’application du Règlement […] [Non souligné dans l’original.]

[20]      Ce qui n’a pas changé dans le nouveau libellé du Règlement par rapport à l’ancien, c’est l’emploi du passé lorsqu’il est question du critère de l’objectif principal (« visait ») et de l’emploi du présent (« n’est pas authentique ») pour ce qui est du critère de l’authenticité. Par conséquent, il convient d’évaluer l’authenticité du mariage au présent et l’objectif principal du mariage au passé, c’est-à-dire au moment où ce dernier a eu lieu. Cette distinction ressort clairement de l’emploi du passé lorsqu’il est question de l’objectif principal (alinéa 4(1)a)) et du présent lorsqu’il s’agit de l’authenticité (alinéa 4(1)b)), et ce, tant dans la version anglaise que dans la version française du Règlement.

[21]      La possibilité évoquée dans la décision Khera est écartée par le nouveau libellé du Règlement. C’est ce qu’a conclu la Cour dans la décision Keo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1456, au paragraphe 13 :

La modification apportée à l’article 4 du Règlement n’est pas de nature cosmétique, l’utilisation des termes « selon le cas » dans la version française et du terme « or » dans la version anglaise ne laisse place à aucun doute : il suffit que l’un ou l’autre des deux éléments (authenticité du mariage et intentions des parties) ne soit pas rencontré pour que l’exclusion du nouveau paragraphe 4(1) du Règlement s’applique.

[22]      Voici les éléments de preuve sur lesquels s’est fondée la SAI en ce qui concerne l’authenticité; mes commentaires figurent entre parenthèses :

i)          le fait que le demandeur possède une propriété au Guyana (il s’agit d’un facteur neutre compte tenu du fait que le demandeur y a habité avec sa femme lors de son séjour et que son frère s’est occupé de la propriété en son absence);

ii)         le soutien financier du demandeur (qui était stable et incontesté et qui, à mon avis, ne constitue pas un facteur négatif, mais plutôt positif en faveur du demandeur);

iii)        les visites du demandeur auprès de sa femme et les appels très fréquents à cette dernière ainsi que son intention affirmée de retourner au Guyana advenant le rejet de sa demande de contrôle judiciaire (qui sont tous, encore une fois, des facteurs positifs en faveur du demandeur).

[23]      Cela dit, la SAI avait des préoccupations quant à la relation qu’entretient le demandeur avec son beau-fils. Ces préoccupations semblent émaner du fait que la femme n’était pas au courant d’un surnom qu’avait donné le demandeur à son fils.

[24]      À mon avis, la conclusion de la SAI selon laquelle le mariage n’était pas authentique n’est pas raisonnable, et ce, pour deux raisons. Premièrement, l’évaluation des facteurs pertinents était déraisonnable. Deuxièmement, le mauvais critère a été appliqué, en ce sens que l’authenticité et l’objectif principal du mariage doivent être évalués de façon distincte. Je me penche sur chacun de ces éléments ci-après.

[25]      En ce qui concerne l’évaluation des facteurs pertinents, tous les facteurs évalués par la SAI corroborent l’authenticité du mariage (ou sont neutres à cet égard), hormis un seul, à savoir la relation entre l’époux et le beau-fils. Je crois qu’il était déraisonnable de conclure que le mariage n’est pas authentique en se fondant sur un détail aussi futile. Abstraction faite de cette conclusion relative au surnom, les liens du mariage semblent s’être renforcés au fil des ans à la hauteur des attentes compte tenu des difficultés liées à la distance qui sépare les parties et des problèmes posés par la capacité limitée du demandeur à être physiquement présent auprès de sa femme et de son beau-fils. Les époux habitent très loin l’un de l’autre, facteur qui ne semble pas avoir été pris en compte de façon notable par la SAI.

[26]      La SAI a également commis une erreur en évaluant l’authenticité du mariage non pas comme une question distincte qu’elle devait trancher, mais comme un facteur à soupeser en fonction de la conclusion qu’elle a tirée sur la question distincte de l’objectif principal. La SAI a déclaré ce qui suit [au paragraphe 30]:

[…] les témoignages et la preuve documentaire attestant de tout développement subséquent de la relation après le mariage ne suffisent pas pour faire contrepoids au but principal initial du mariage, à savoir permettre à la demandeure et à son enfant d’immigrer au Canada pour un meilleur avenir.

À mon avis, le fait de se demander si l’authenticité « fait contrepoids » à l’objectif principal constitue une erreur. Ce n’est pas conforme au libellé du Règlement. Ce dernier ne doit pas être interprété ou analysé ainsi. Comme je l’ai souligné, les dispositions du Règlement sont désormais disjonctives et décrivent deux scénarios différents. Selon moi, l’une ou l’autre des deux dispositions disjonctives ne doit pas être liée à l’autre ni déterminée par celle-ci. L’une ou l’autre des deux dispositions disjonctives ne doit pas perdre sa portée juridique à cause d’une conclusion relative à l’autre disposition. En droit, l’une ne peut « avoir plus de poids » que l’autre. Je comprends qu’il peut y avoir un certain recoupement de la preuve lorsqu’il est question de l’objectif principal et de l’authenticité, et ce, malgré les différences sur le plan des références temporelles, mais l’obligation de la SAI d’examiner les deux éléments de façon distincte n’est pas diminuée pour autant. La façon dont la SAI a interprété et appliqué le paragraphe 4(1) du Règlement est, à mon avis, déraisonnable du fait qu’elle ne peut se justifier.

D.        Question à certifier

[27]      Le demandeur soutient que le paragraphe 4(1) du Règlement est invalide au regard de sa loi habilitante parce qu’il contrevient à l’alinéa 3(1)d) de la LIPR, selon lequel la loi a pour objet, entre autres, de « veiller à la réunification des familles au Canada ». D’après le demandeur, en raison des motifs pour lesquels les époux se sont mariés en premier lieu, une famille ne peut, selon le critère disjonctif désormais applicable, être réunie, et ce, peu importe le degré d’authenticité qu’a atteint le mariage.

[28]      Je ne suis pas d’accord avec cet argument. L’objectif visé par le Règlement et le législateur consistait à établir une relation disjonctive entre l’authenticité et l’objectif principal, c’est-à-dire les éléments dont il est question au paragraphe 4(1) du Règlement. Par ailleurs, l’application du paragraphe 4(1) du Règlement a plutôt pour effet de soutenir l’objectif de réunification de la famille de la LIPR que celui d’y faire obstacle. Cette constatation a été faite dans le cadre d’autres exceptions analogues à cet objectif général. Par exemple, la Cour d’appel fédérale a conclu que le fait d’exclure un membre de la famille de la catégorie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement ne va pas à l’encontre de l’objectif de réunification de la famille de la LIPR et n’est pas incompatible avec celui-ci : Azizi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 406, [2006] 3 R.C.F. 118, aux paragraphes 27 à 32; dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 186, [2007] 1 R.C.F. 386, au paragraphe 48. À mon avis, la même logique s’applique en l’espèce. Le paragraphe 4(1) du Règlement n’est donc pas ultra vires.

[29]      Par conséquent, je ne peux accueillir la demande de contrôle judiciaire, car, comme il a été mentionné précédemment, il faut avoir conclu que la SAI a agi de façon déraisonnable tant en ce qui a trait au critère de l’objectif principal qu’à celui de l’authenticité pour que le demandeur obtienne gain de cause. Il est parvenu à démontrer une telle conclusion uniquement quant à la question de l’authenticité. J’estime tout de même que la SAI a été déraisonnable dans son évaluation de la preuve et qu’elle a appliqué le mauvais critère juridique.

[30]      Le demandeur propose que soit certifiée la question suivante :

[traduction] L’élément disjonctif du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (version modifiée DORS/2010-208) est-il invalide au regard de la loi habilitante (la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27) étant donné que le paragraphe 4(1) aurait pour effet d’empêcher le parrainage d’un époux lorsqu’il a été conclu que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut, nonobstant une conclusion selon laquelle le mariage a toujours été authentique ou l’est devenu, et irait ainsi à l’encontre des buts et objectifs de la Loi, en particulier l’alinéa 3(1)d), « de veiller à la réunification des familles au Canada »?

[31]      À mon avis, une réponse positive à la question proposée permettrait de déterminer l’issue de la demande. De plus, la question va au-delà des intérêts des parties et constitue une question « ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » : Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, au paragraphe 11; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290, au paragraphe 9; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, [2015] 1 R.C.F. 335). Je certifierai donc la question telle qu’elle est énoncée ci-dessus.

Conclusion

[32]      Je conclus donc que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée et qu’une question doit être certifiée. Les dépens suivront l’issue de la cause.

JUGEMENT

LA COUR STATUE ce qui suit :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         La question suivante est certifiée :

L’élément disjonctif du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (version modifiée DORS/2010-208) est-il invalide au regard de la loi habilitante (la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27) étant donné que le paragraphe 4(1) aurait pour effet d’empêcher le parrainage d’un époux lorsqu’il a été conclu que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut, nonobstant une conclusion selon laquelle le mariage a toujours été authentique ou l’est devenu, et irait ainsi à l’encontre des buts et objectifs de la Loi, en particulier l’alinéa 3(1)d), « de veiller à la réunification des familles au Canada »?

3.         Les dépens suivront l’issue de la cause.

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