IMM-5282-13
2014 CF 494
Oscar Iyamuremye, Jean De Dieu Ntibeshya, Jeanine Umuhire, Karabo Greta Ineza (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Iyamuremye c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Shore—Montréal, 13 mai; Ottawa, 26 mai 2014.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Pratique en matière d’immigration — Compétence de la Section d’appel des réfugiés — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant un appel interjeté par les demandeurs à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de refuser la demande de leur reconnaître la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger aux termes des art. 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) — Le demandeur principal et d’autres membres de sa famille sont Rwandais — Les demandeurs auraient été persécutés durant et après le génocide au Rwanda — Les demandeurs ont quitté le Rwanda vers le Canada où ils ont fait une demande d’asile — La SAR a adressé l’admissibilité de deux éléments de preuve présentés dans le cadre de l’appel par les demandeurs — En s’appuyant sur les critères d’admissibilité applicables dans le contexte d’une demande d’Examen des risques avant renvoi, la SAR a déterminé que les documents en cause constituaient, à première vue, une preuve crédible, pertinente et nouvelle, mais qu’ils n’étaient pas admissibles — La SAR a ensuite déterminé que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs — Il s’agissait de savoir si la SAR a mal interprété sa compétence et si la décision de la SAR était raisonnable — La SAR a erré en statuant que la réévaluation de la preuve ne faisait pas partie de sa compétence — En vertu de l’art. 111 de la Loi, la SAR était autorisée à rendre des décisions sur le fond même de l’appel et non qu’à décider si la conclusion de la SPR a été rendue de façon « raisonnable » — L’art. 111(1) définit la compétence de la SAR en des termes précis et sans équivoque — La SAR possède alors le pouvoir d’entreprendre sa propre analyse de la preuve et, de substituer la décision attaquée pour celle qui aurait dû être rendue — Bien que la Loi limite le pouvoir de la SAR de tenir compte de nouveaux éléments de preuve dans certains cas (art. 110(4) et 110(6)), cette limitation ne diminue aucunement la compétence conférée à la SAR de prendre connaissance de la preuve devant la SPR — En l’espèce, l’articulation de la décision de la SAR ne démontre pas qu’elle a pris connaissance de l’ensemble de la preuve présentée à la SPR ou que la SAR a fait sa propre analyse de celle-ci — Par conséquent, la SAR n’a pas pu conclure que la SPR n’a pas bien examiné la preuve — En évaluant la raisonnabilité de la décision de la SPR, la SAR devait prendre connaissance des éléments de preuve qui avaient été présentés à la SPR et effectuer une évaluation indépendante de l’ensemble de la preuve — En ce qui a trait à la conclusion de la SAR de refuser les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs, il n’était pas déraisonnable de la SAR de référer aux facteurs énoncés dans l’affaire Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration) pour analyser l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve — Même si la SPR avait eu connaissance des deux nouveaux éléments de preuve en question, la Cour doute fortement que ces deux éléments aient pu, en eux-mêmes, être déterminants dans la cause des demandeurs — Bien que la SAR ait probablement rempli son devoir sur le fond selon la conclusion à laquelle elle est arrivée, le cas a été renvoyé à la SAR uniquement à cause de l’articulation formulée dans sa décision — Demande accueillie.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant un appel interjeté par les demandeurs à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de refuser la demande de leur reconnaître la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Le demandeur principal, son épouse, sa fille mineure et son frère sont tous citoyens rwandais. Les demandeurs auraient été persécutés durant le génocide au Rwanda, et plusieurs membres de leur famille ont été tués. Le demandeur principal a déclaré que même après le génocide, on aurait continué à le persécuter et on l’aurait accusé de soutenir l’opposition. Les demandeurs ont quitté le Rwanda vers le Canada où ils ont fait une demande d’asile.
Dans sa décision, la SAR a débuté en adressant l’admissibilité de deux éléments de preuve présentés dans le cadre de l’appel interjeté par les demandeurs. En s’appuyant sur les critères d’admissibilité applicables dans le contexte d’une demande d’Examen des risques avant renvoi (ERAR), la SAR a déterminé que les documents constituaient, à première vue, une preuve crédible, pertinente et nouvelle, mais qu’ils n’étaient pas admissibles, car les demandeurs n’avaient pas présenté des observations complètes et détaillées sur le caractère essentiel des documents et que ces éléments de preuve n’auraient pu être déterminants quant à la demande d’asile des demandeurs. La SAR a ensuite déterminé que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs et qu’elle avait justifié les raisons pour lesquelles elle était arrivée à la conclusion quant à la crédibilité. Dernièrement, la SAR a déterminé que la SPR n’avait pas fait preuve d’apparence de partialité, tel qu’il avait été allégué par les demandeurs.
Il s’agissait de savoir si la SAR a mal interprété sa compétence et si la décision de la SAR était raisonnable.
Jugement : la demande doit être accueillie.
La SAR a erré en disant que la réévaluation de la preuve ne faisait pas partie de sa compétence. Il n’existait aucune jurisprudence relative à la compétence de la SAR et le présent cas faisait donc ressortir la nécessité de se pencher sur cette question. Il s’agissait plus particulièrement de déterminer le rôle de la SAR selon le paragraphe 111(1) de la Loi. Une interprétation simple de la Loi à l’égard de la disposition en question n’autorisait pas la formulation telle qu’articulée par la SAR. Il est clair, en vertu du paragraphe 111(1) de la Loi, que le législateur avait l’intention de permettre à la SAR de rendre des décisions sur le fond même de l’appel et non qu’à décider si la conclusion de la SPR a été rendue de façon « raisonnable » comme l’a constaté la SPR dans la présente affaire. Le paragraphe 111(1) définit la compétence de la SAR en des termes précis et sans équivoque. Plus particulièrement, le paragraphe 111(1) prévoit que la SAR casse la décision de la SPR et y substitue la décision qui aurait dû être rendue. La SAR possède alors le pouvoir d’entreprendre sa propre analyse de la preuve et, en effet, de substituer la décision attaquée pour celle qui aurait dû être rendue. Cette interprétation est appuyée par le libellé presque identique du paragraphe 67(2) de la Loi se rapportant à la Section d’appel de l’immigration (la SAI). Le paragraphe 67(2) donne à la SAI le pouvoir étendu de reprendre l’instance. Quant à la SAR, la Loi limite le pouvoir de celle-ci, contrairement à la SAI, de tenir compte de nouveaux éléments de preuve et de tenir une audience qu’aux cas exceptionnels (paragraphes 110(4) et 110(6)). Par conséquent, la nature de la procédure prévue au paragraphe 67(2) ne peut pas être considérée parfaitement analogue à celle du paragraphe 111(1) dans tous les cas. Toutefois, la Cour constate que cette limitation ne diminue aucunement la compétence conférée à la SAR de prendre connaissance de la preuve devant la SPR. Un droit restreint de considérer des preuves nouvelles n’a pas pour effet de limiter le pouvoir de l’instance d’appel de prendre connaissance de l’ensemble de la matière. Une telle interprétation du libellé du paragraphe 111(1) est conforme à l’esprit ainsi qu’à l’objet de la Loi.
Dans la présente affaire, l’articulation de la décision de la SAR n’a pas démontré qu’elle a pris connaissance de l’ensemble de la preuve présentée à la SPR ou qu’elle a fait sa propre analyse de celle-ci. La déclaration de la SAR voulant que sa tâche ne soit pas de réévaluer la preuve a démontré qu’elle a commis une erreur dans l’articulation de sa propre compétence. Sans avoir évalué la preuve, il était impossible de voir comment la SAR a pu conclure que la SPR avait bien examiné celle-ci. Il serait absurde, et contraire au paragraphe 110(3) de la Loi, de tenir la SAR d'examiner de nouveau, à chaque instance, si les demandeurs sont en fait des réfugiés ou personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi. Il ressort clairement de la jurisprudence qu’une instance d’appel ne peut pas substituer son raisonnement à celui du tribunal spécialisé de première instance, à moins que le juge de première instance n’ait commis une erreur manifeste et dominante ayant conduit à un résultat erroné. En évaluant la raisonnabilité de la décision en l’espèce, la SAR devait, à tout le moins, prendre connaissance des éléments de preuve qui avaient été présentés à la SPR et effectuer une évaluation indépendante de l’ensemble de la preuve afin de déterminer si la SPR, en fonction des faits et des conditions du pays en question, avait bien examiné la preuve et qu’elle avait justifié raisonnablement sa conclusion. La SAR ne peut pas éviter de prendre connaissance de la preuve dans son ensemble.
Bien que cela n’ait pas été nécessaire, la Cour s’est penchée sur la conclusion de la SAR de refuser les nouveaux éléments de preuve présentée par les demandeurs, étant donné qu’aucune jurisprudence n’existait sur ce point. Le libellé du paragraphe 110(4) de la Loi est très semblable à celui régissant l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve dans le contexte d’un ERAR à l’alinéa 113a). Il n’était pas déraisonnable de la SAR de référer aux facteurs énoncés dans l’affaire Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration) pour analyser l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve. Dans la présente cause, même si la SPR avait eu connaissance des deux nouveaux éléments de preuve en question, il aurait été fort douteux que ces deux éléments aient pu eux-mêmes être déterminants en l’espèce. Il existait, néanmoins, plusieurs failles à l’égard de la crédibilité des demandeurs qui sont demeurées toujours non résolues. Après réexamen, la conclusion finale de la SAR aurait été probablement pareille au résultat qui se retrouvait devant la Cour.
Bien que la SAR a probablement rempli son devoir sur le fond selon la conclusion à laquelle elle est arrivée, le cas a été renvoyé à la SAR uniquement à cause de l’articulation formulée dans sa décision.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(2)c), 67(2), 72(1), 96, 97, 110(3),(4),(6), 111, 113a).
Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdul, 2009 CF 967; Mendoza c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 934; Kumar c. Canada, 2004 CAF 399; Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240, [2008] 1 R.C.F. 365.
décisions examinées :
Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254; Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2; Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385.
décisions citées :
Canada (Procureur général) c. White, 2011 CAF 190; Budhai c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 298, [2003] 2 C.F. 57; Edmonton Police Service (Chief of Police) v. Furlong, 2013 ABCA 121, 78 Alta. L.R. (5th) 414; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Toney c. Canada, 2013 CAF 217, [2015] 1 R.C.F. 184; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.
DOCTRINE CITÉE
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.
DEMANDE de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (X (Re), 2013 CanLII 96008) rejetant un appel interjeté par les demandeurs à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de refuser la demande de leur reconnaître la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.
ONT COMPARU
Zofia Przybytkowski pour les demandeurs.
Gretchen Timmins pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Zofia Przybytkowski, Montréal, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par
Le juge Shore :
I. Au préalable
[1] La Cour reconnait qu’il serait absurde, et contraire au paragraphe 110(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), de tenir la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SAR) à examiner de nouveau, à chaque instance, si les demandeurs sont en fait des réfugiés ou personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. Il ressort clairement de la jurisprudence qu’une instance d’appel ne peut pas substituer son raisonnement à celui du tribunal spécialisé de première instance, le tribunal des faits, possédant l’avantage d’avoir entendu les témoignages à vive voix et avec son pouvoir émanant de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, à moins que le juge de première instance n'ait commis une erreur manifeste et dominante ayant conduit à un résultat erroné (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 10). Comme le juge Gérard Vincent La Forest de la Cour suprême du Canada, nous rappelle dans l’arrêt Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, au paragraphe 33, citant l’arrêt Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2, une cour d’appel :
[…] n’est fondée à modifier les conclusions de fait du juge de première instance que si elle est convaincue, en raison d’une erreur précise et discernable de la part de ce dernier, que la conclusion de fait tirée est déraisonnable et qu’il ne s’agit pas simplement d’une divergence d'opinions quant à l’appréciation de la prépondérance des probabilités. [La Cour souligne.]
[2] En l’espèce, la Cour est entièrement d’accord avec la SAR que la norme applicable aux conclusions de faits de la Section de la protection des réfugiés (SPR) est celle de la raisonnabilité. Il est bien établi qu’une instance d’appel doit contrôler les conclusions du tribunal de première instance en appliquant la norme de la décision correcte aux conclusions portant sur des questions de droit, et la norme de la décision raisonnable à celles relatives aux questions mixtes de fait et de droit (Canada (Procureur général) c. White, 2011 CAF 190, au paragraphe 2; également, Budhai c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 298, [2003] 2 C.F. 57; et Edmonton Police Service (Chief of Police) v. Furlong, 2013 ABCA 121, 78 Alta. L.R. (5th) 414).
[3] Cela dit, la Cour juge qu’en évaluant la raisonnabilité de la décision, la SAR devait, à tout le moins, prendre connaissance des éléments de preuves qui avaient été présentées à la SPR et effectuer une évaluation indépendante de l’ensemble de la preuve afin de déterminer si la SPR, en fonction des faits et des conditions du pays en question, avait bien examiné la preuve et qu’elle avait justifié raisonnablement sa conclusion (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 ; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654). Selon cette trilogie de jugements de la Cour suprême du Canada, la SAR ne peut pas éviter de prendre connaissance de la preuve dans son ensemble.
II. Introduction
[4] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR, d’une décision rendue le 25 juillet 2013 par la SAR [X (Re), 2013 CanLII 96008] rejetant l’appel interjeté par les demandeurs à l’encontre de la décision de la SPR de refuser la demande de leur reconnaitre la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.
III. Faits
[5] Le demandeur principal, M. Oscar Iyamuremye, son épouse, Mme Jeanine Umuhire, sa fille mineure, Karabo Greta Ineza, et son frère, M. Jean de Dieu Ntibeshya, sont tous citoyens rwandais. Le demandeur principal et son frère seraient d’origine ethnique mixte hutue tutsie.
[6] Les demandeurs auraient été persécutés durant le génocide au Rwanda en 1994, et plusieurs membres de leur famille ont été tués.
[7] Le demandeur principal déclare que son père, un Hutu, et d’autres membres de sa famille, aurait témoigné devant le Gacaca après le génocide. Il aurait ensuite été accusé, puis acquitté, mais on aurait continué à le persécuter par la suite.
[8] Le demandeur principal déclare également que son frère, Jean, aurait subi de mauvais traitements et aurait été menacé, étant accusé d’être opposant au gouvernement. Ce dernier a quitté le Rwanda pour les États-Unis en septembre 2010 et y est resté pendant deux ans. Quelque temps après le départ de son frère, le demandeur aurait été approché par son employeur, le ministère de la Fonction publique, concernant ses allégeances politiques.
[9] En juillet 2012, son employeur lui aurait ensuite reproché de ne pas avoir livré un projet à temps et d’avoir attribué un contrat de fourniture de matériaux à un opposant du gouvernement.
[10] En septembre 2012, il aurait été convoqué à un interrogatoire par la police militaire rwandaise où on l’aurait accusé de soutenir le Rwandan National Congress (RNC) et de promouvoir l’idéologie génocidaire. On l’aurait ainsi interrogé au sujet de son frère, Jean, et ses allégeances politiques. Par la suite, la police militaire aurait fait une perquisition illégale chez le demandeur.
[11] En novembre 2012, le demandeur déclare avoir été victime d’une tentative de kidnapping aux mains de la police militaire.
[12] Les demandeurs ont quitté le Rwanda vers le Canada le 15 décembre 2012. Ils sont arrivés au Canada le 21 décembre 2012 et ont fait une demande d’asile. Cette demande a été refusée par la SPR le 11 avril 2013.
[13] Le 8 mai 2013, les demandeurs ont interjeté un appel à la SAR. L’appel a été rejeté le 25 juillet 2013.
[14] Le 9 août 2013, les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision.
IV. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire
[15] Dans sa décision, la SAR a débuté en adressant l’admissibilité de deux éléments de preuve présentés dans le cadre de l’appel — une carte de réfugié du frère du demandeur principal, M. Richard Bwenge, et un document relatif à la demande d’asile de ses parents en Ouganda. En s’appuyant sur les critères d’admissibilité applicables dans le contexte d’une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) (Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385), la SAR a déterminé que les documents constituaient, à première vue, une preuve crédible, pertinente et nouvelle, mais qu’ils n’étaient pas admissibles, car les demandeurs n’auraient pas présenté des observations complètes et détaillées sur le caractère essentiel des documents. Elle a par ailleurs noté que ces documents ne comportaient pas d’éléments de preuve qui, en eux-mêmes, auraient pu être déterminants quant à la demande d’asile des demandeurs.
[16] La SAR a ensuite déterminé que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs. La SAR a constaté que la SPR avait justifié les raisons pour lesquelles elle était arrivée à sa conclusion que les demandeurs n’étaient pas crédibles, en tenant compte de l’ensemble de la preuve devant elle, incluant les explications offertes par les demandeurs.
[17] Dernièrement, la SAR a déterminé que la SPR n’avait pas fait preuve d’apparence de partialité, tel qu’allégué par les demandeurs. La SAR a noté qu’après avoir examiné attentivement la transcription d’extraits de l’audience, il n’y avait aucun comportement dérogatoire qui aurait pu être interprété par un observateur renseigné et raisonnable comme constituant une apparence de partialité.
V. Point en litige
[18] Est-ce que la décision de la SAR est raisonnable?
VI. Dispositions législatives pertinentes
[19] Les articles suivants de la LIPR s'appliquent en l'espèce :
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays; b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. |
Définition de « réfugié » |
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture; b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. |
Personne à protéger |
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection. […] |
Personne à protéger |
110. […] |
|
(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet. […] |
Éléments de preuve admissibles |
(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois : a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause; b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile; c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. |
Audience |
111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés. |
Décision |
(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois : a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait; b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés. |
Renvoi |
VII. Norme de contrôle
[20] La question principale devant la Cour, telle que soumise par les demandeurs, est celle de savoir si la SAR a mal interprété sa compétence. Comme la question soulevée est une question de droit, la décision de la SAR est assujettie à la norme de la décision correcte (Housen, ci-dessus; Toney c. Canada, 2013 CAF 217, [2015] 1 R.C.F. 184, au paragraphe 5).
VIII. Position des parties
[21] Les demandeurs font valoir que la SAR a erré en statuant que la réévaluation de la preuve devant la SPR ne faisait pas partie de sa compétence; omettant ainsi d’exercer sa compétence. Ils affirment que le rôle de la SAR en tant qu’instance d’appel diffère de celui de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire. La SAR ne pouvait pas s’arrêter à évaluer la « raisonnabilité » de la décision de la SPR, elle se devait à procéder à une analyse complète et détaillée de chaque élément de preuve et des arguments qui étaient devant la SPR (en vertu du paragraphe 110(3) et l’article 111 de la LIPR). Les demandeurs avancent que la SAR en l’espèce s’est limité à essentiellement répéter les conclusions de la SPR, sans se livrer à sa propre analyse des arguments et de la preuve au dossier.
[22] Les demandeurs allèguent également que la SAR a erré dans son analyse des critères concernant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR. Les demandeurs soutiennent que la SAR se devait d’évaluer la nouvelle preuve qu’ils ont soumise dans le cadre de l’appel car le dossier répondait à ces critères; notamment, elle soulevait une question importante sur la crédibilité des demandeurs qui était essentielle pour la prise de décision.
[23] Le défendeur affirme que l’analyse de la SAR était détaillée et claire, et que les éléments dont la SAR a traité dans ses motifs étaient suffisants pour démontrer que sa décision est raisonnable.
[24] Le défendeur soutient que la SAR n’a pas omis d’exercer sa compétence en limitant son analyse aux motifs de la SPR. Le défendeur déclare que ni le paragraphe 110(3) ni l’article 111 de la LIPR n’obligeaient la SAR à analyser chaque élément de preuve qui était devant la SPR. Ces dispositions encadrent plutôt le pouvoir de la SAR.
IX. Analyse
[25] Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions, et, même si la Cour n’est pas d’accord avec leur position sur l’ensemble de ces questions, elle convient avec les demandeurs que la SAR a erré en disant que la réévaluation de la preuve ne faisait pas partie de sa compétence (motifs et décision, au paragraphe 71).
[26] La Cour perçoit qu’il n’existe à ce jour aucune jurisprudence relative à la compétence de la SAR. Ce cas fait donc ressortir la nécessité de se pencher sur cette question.
[27] En l’espèce, il s’agit de l’interprétation de la LIPR, plus particulièrement, de déterminer le rôle de la SAR selon le paragraphe 111(1) de la LIPR. Les parties s’entendent que la disposition essentielle est le paragraphe 111(1).
[28] Pour les raisons qui suivent, la Cour est d’avis qu’une interprétation simple de la LIPR à l’égard de la disposition en question n’autorise pas la formulation telle qu’articulée par la SAR.
[29] Il est de jurisprudence constante qu’il faut lire les termes d’une loi selon leur contexte global en suivant le sens ordinaire et selon la grammaire qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet même de la loi, pour en sortir l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; également, E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. Toronto : Butterworths, 1983), à la page 87).
[30] En appliquant ces règles en matière d’interprétation des lois au paragraphe 111(1), il est clair que le législateur avait l’intention de permettre à la SAR de rendre des décisions sur le fond même de l’appel et non qu’à décider si la conclusion de la SPR a été rendue de façon « raisonnable » comme l’a constaté le commissaire dans la présente affaire. Le paragraphe 111(1) définit la compétence de la SAR en des termes précis et sans équivoque :
111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés. [La Cour souligne.] |
Décision |
[31] La SAR possède alors le pouvoir d’entreprendre sa propre analyse de la preuve et, en effet, de substituer la décision attaquée pour celle qui aurait dû être rendue.
[32] Cette interprétation du paragraphe 111(1) est appuyée par le libellé presque identique du paragraphe 67(2). Le libellé du paragraphe 67(2) se lit comme suit :
67. […] |
|
(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente. |
Effet |
[33] La jurisprudence relative à cette disposition est particulièrement importante en l'espèce, car elle a refusé d’accorder au paragraphe 67(2) le sens que la Section d’appel de l’immigration (SAI) a une compétence similaire à celle d’une autorité exerçant un contrôle judiciaire (voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Abdul, 2009 CF 967 aux paragraphes 28 à 31). Dans l’arrêt Abdul, le juge Michael Kelen a écrit [aux paragraphes 28 à 30] :
Suivant le demandeur, en cas de contestation de la validité juridique de la décision de l’agent des visas, le rôle de la SAI se borne à se prononcer sur le caractère raisonnable de la décision prise par l’agent au sujet du fardeau excessif au moment où cette décision est prise. La SAI a par conséquent outrepassé sa compétence en ne se contentant pas d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de l’agent au moment où cette décision a été prise. Le demandeur cite les arrêts Ahir c. Canada (MCI), [1984] 1 C.F. 1098 (C.A.), Canada (MEI) c. Jiwanpuri (1990), 10 Imm. L.R. (2d) 241 (C.A.F.) et Mohamed c. Canada (MEI), [1986] 3 C.F. 90 (C.A.) à l’appui de son argument.
À mon avis, le demandeur se méprend sur le rôle que joue la SAI lorsqu’elle est saisie d’un appel visé par le paragraphe 67(2) of LIPR.
Aucune des décisions susmentionnées n’appuie la thèse du demandeur. Nulle part dans ces décisions la Cour ne suit un raisonnement qui entraverait la compétence de la SAI de rendre des décisions sur le fond qui peuvent ou non l’amener à substituer sa propre appréciation à celle de l’agent des visas. [La Cour souligne.]
[34] Similairement, dans l’arrêt Mendoza c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 934, cette cour a affirmé que le paragraphe 67(2) de la LIPR donne à la SAI le pouvoir étendu de reprendre l’instance depuis le début en disant qu’elle peut substituer sa propre décision à celle qui aurait dû être rendue (au paragraphe 18).
[35] La Cour adopte le raisonnement dans les décisions Mendoza et Adbul, ci-dessus, dans la présente affaire. La Cour est sensible au fait que la LIPR limite le pouvoir de la SAR, contrairement à la SAI, de tenir compte de nouveaux éléments de preuve et de tenir une audience qu’aux cas exceptionnels (voir les paragraphes 110(4) et 110(6)). La nature de la procédure prévue au paragraphe 67(2) ne peut donc pas être considérée parfaitement analogue à celle du paragraphe 111(1) dans tous les cas. Cela dit, la Cour constate que cette limitation ne diminue aucunement la compétence conférée à la SAR de prendre connaissance de la preuve devant la SPR. Comme le juge Yves de Montigny l’a constaté dans la décision Mendoza, ci-dessus, un droit restreint de considérer des preuves nouvelles n’a pour effet de limiter le pouvoir de l’instance d’appel de prendre connaissance de l’ensemble de la matière.
[36] Une telle interprétation du libellé du paragraphe 111(1) est conforme à l’esprit ainsi qu’à l’objet de la LIPR, notamment l’objectif énoncé à l’alinéa 3(2)c), lequel vise « de faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d’une procédure équitable reflétant les idéaux humanitaires du Canada ».
[37] Dans la présente affaire, l’articulation de la décision de la SAR ne démontre pas qu’elle a pris connaissance de l’ensemble de la preuve présentée à la SPR ou qu’elle a fait sa propre analyse de celle-ci. En fait, reprenant ses propres paroles, la SAR a dit que « [s]a tâche n’est pas de réévaluer la preuve » (motifs et décision, au paragraphe 71). C’est uniquement l’articulation de sa compétence en soi même qui constitue l’erreur.
[38] Dans les mots de la juge Karen Sharlow, dans l’arrêt Kumar c. Canada, 2004 CAF 399, au paragraphe 17, le rôle d’une instance d’appel vise à « déterminer si le juge qui a rendu la décision frappée d’appel s’est conformé au droit et s’il a correctement examiné la preuve soumise ». Sans avoir évalué la preuve, la Cour voit mal comment la SAR a pu conclure que la SPR a bien examiné celle-ci.
[39] La Cour reconnait qu’il serait absurde, et contraire au paragraphe 110(3), de tenir la SAR à examiner de nouveau, à chaque instance, si les demandeurs sont en fait des réfugiés ou personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. Il ressort clairement de la jurisprudence qu’une instance d’appel ne peut pas substituer son raisonnement à celui du tribunal spécialisé de première instance, le tribunal des faits, possédant l’avantage d’avoir entendu les témoignages à vive voix et avec son pouvoir émanant de la Loi sur les enquêtes, à moins que le juge de première instance n'ait commis une erreur manifeste et dominante ayant conduit à un résultat erroné (Housen, ci-dessus, au paragraphe 10). Comme le juge La Forest nous rappelle dans l’arrêt Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, citant l’arrêt Beaudoin-Daigneault c. Richard, ci-dessus, au paragraphe 33, une cour d’appel :
[…] n’est fondée à modifier les conclusions de fait du juge de première instance que si elle est convaincue, en raison d’une erreur précise et discernable de la part de ce dernier, que la conclusion de fait tirée est déraisonnable et qu’il ne s’agit pas simplement d’une divergence d’opinions quant à l’appréciation de la prépondérance des probabilités. [La Cour souligne.]
[40] En l’espèce, la Cour est entièrement d’accord avec la SAR que la norme applicable aux conclusions de faits de la SPR est celle de la raisonnabilité. Il est bien établi qu’une instance d’appel doit contrôler les conclusions du tribunal de première instance en appliquant la norme de la décision correcte aux conclusions portant sur des questions de droit, et la norme de la décision raisonnable à celles relatives aux questions mixtes de fait et de droit (White, ci-dessus; également, Budhai, ci-dessus; et, Furlong, ci-dessus).
[41] Cela dit, la Cour juge qu’en évaluant la raisonnabilité de la décision, la SAR devait, à tout le moins, prendre connaissance des éléments de preuves qui avaient été présentées à la SPR et effectuer une évaluation indépendante de l’ensemble de la preuve afin de déterminer si la SPR, en fonction des faits et des conditions du pays en question, avait bien examiné la preuve et qu’elle avait justifié raisonnablement sa conclusion (Dunsmuir, ci-dessus; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, ci-dessus; Alberta Teachers’ Association, ci-dessus). Selon cette trilogie de jugements de la Cour suprême du Canada, la SAR ne peut pas éviter de prendre connaissance de la preuve dans son ensemble.
[42] Compte tenu de ce qui précède, il n'est pas nécessaire que la Cour aborde les autres motifs soulevés par les demandeurs. Toutefois, la Cour se penche brièvement sur la conclusion de la SAR de refuser les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs, étant donné qu’aucune jurisprudence n’existe sur ce point.
[43] Premièrement, comme dans le cas d’un ERAR, la Cour juge que la norme de contrôle applicable à l’égard de la conclusion de la SAR concernant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve est la norme de la décision raisonnable. Comme l’a noté le juge de Montigny dans l’affaire Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240, [2008] 1 R.C.F. 365, l’application d’une disposition à des circonstances particulières est une question mixte de droit et de fait, à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable (au paragraphe 20).
[44] En l’espèce, la Cour est d’accord avec la SAR que le libellé du paragraphe 110(4) est très semblable à celui régissant l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve dans le contexte d’un ERAR à l’alinéa 113a) :
110. […] |
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(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet. […] |
Éléments de preuve admissibles |
113. Il est disposé de la demande comme il suit : a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet ; |
Examen de la demande |
[45] Considérant la pénurie de jurisprudence interprétant le paragraphe 110(4) et vu la similitude essentielle des dispositions en question, la Cour ne considère pas qu’il était déraisonnable de la SAR de référer aux facteurs énoncés dans l’affaire Raza, ci-dessus, pour analyser l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve. Cette jurisprudence a établi un sens juridique d’application générale aux mots « preuve nouvelle », qui, à l’avis de la Cour, s’harmonise avec l’intention claire du législateur quant au paragraphe 110(4) d’obliger la SAR de réviser la décision de la SPR telle quelle, à moins que des preuves nouvelles, crédibles et pertinentes soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance.
[46] Le critère juridique applicable aux preuves nouvelles visées à l’alinéa 113a) est énoncé dans l’arrêt Raza, ci-dessus [au paragraphe 13] :
Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d'ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :
1. Crédibilité : Les preuves nouvelles sont-elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
2. Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent-elles la demande d’ERAR, c’est-à-dire sont-elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.
3. Nouveauté : Les preuves sont-elles nouvelles, c’est-à-dire sont-elles aptes :
a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?
b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?
c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?
Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les con[s]idérer.
4. Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont-elles substantielles, c’est-à-dire la demande d’asile aurait-elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les con[s]idérer.
5. Conditions légales explicites :
a) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a-t-il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les con[s]idérer.
b) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).
[47] Dans la présente affaire, la Cour considère que même si la SPR avait eu connaissance des deux nouveaux éléments de preuve en question, elle doute fortement que ces deux éléments aient pu, en eux-mêmes, être déterminants en l’espèce. Il existait, néanmoins, plusieurs failles à l’égard de la crédibilité des demandeurs qui demeurent toujours non résolues. C'est-à-dire, après réexamen, la conclusion finale de la SAR serait probablement pareille au résultat qui se retrouve actuellement devant cette Cour.
[48] Bien que la SAR a probablement rempli son devoir sur le fond selon la conclusion à laquelle elle est arrivée, le cas est renvoyé à la SAR uniquement à cause de l’articulation formulée dans sa décision.
X. Conclusion
[49] Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie et l’affaire est retournée pour examen à nouveau par un panel autrement constitué.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs soit accueillie et l’affaire soit retournée pour examen à nouveau par un panel autrement constitué avec aucune question d’importance générale à certifier.