T-92-13
2014 CF 205
La Commissaire à l’Information du Canada (demanderesse)
c.
Le ministre de la Défense nationale (défendeur)
Répertorié : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Défense nationale)
Cour fédérale, juge Kane—Ottawa, 8 octobre 2013 et 3 mars 2014.
Accès à l’information — Contrôle judiciaire visant l’obtention d’un jugement déclarant que le défaut de fournir les documents dans le délai prévu par la loi, et la prorogation de délai déraisonnable, vaut décision de refus de communication — La demanderesse sollicitait une ordonnance enjoignant au défendeur de fournir les documents demandés dans les 30 jours du jugement — Le défendeur a fourni les documents peu de temps avant la date d’audience, introduisant alors une requête en radiation de la demande au motif qu’elle était devenue théorique — La présente demande soulevait d’importantes questions au sujet du régime d’accès à l’information, notamment les contestations qui sont formulées au sujet du respect des droits des personnes qui ont droit à cet accès et des obligations des ministères fédéraux chargés de répondre à ces demandes — La demanderesse sollicitait une réparation que la Loi ne prévoiyait pas en ce moment, soulevant des questions de principe que le gouvernement devrait aborder après consultation des intervenants intéressés — Il s’agissait principalement de savoir si la demande était théorique et, dans l’affirmative, si la Cour devrait décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande; si la Cour avait compétence en vertu de l’art. 42 de la Loi sur l’accès à l’information pour instruire la demande; et si la prorogation du délai demandé était raisonnable — La Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire la demande lorsque les questions soulevées sont susceptibles de ne jamais être soumises aux tribunaux — Certaines questions restaient en litige, en particulier celle de savoir si la prorogation de délai imposée pouvait être considérée comme abusive et, par conséquent invalide, se soldant ainsi par une présomption de refus de communication — Le règlement de ces questions aura des conséquences pratiques sur d’autres demandeurs ainsi que sur le défendeur — L’intervention de la Cour était donc justifiée — La Cour n’a pas compétence en vertu de l’art. 42 de la Loi pour instruire la demande — Une prorogation de délai ne vaut pas décision de refus de communication, et ce, même si ce refus est jugé abusif — Il ne peut y avoir de présomption de refus en vertu de la Loi tant que le délai imparti n’a pas expiré — Il ressortait à l’évidence de ces décisions qu’il n’y a pas d’incertitude dans la jurisprudence — L’art. 41 permet d’exercer un recours en révision uniquement lorsque la personne s’est vu refuser communication d’un document demandé — Il n’y a aucune façon d’accorder une réparation à l’auteur de la demande d’accès lorsque celui‑ci ne reçoit pas les documents demandés dans un délai raisonnable — La Cour n’avait pas compétence pour examiner une demande en vertu des art. 41 ou 42 de la Loi et elle n’avait pas à se demander si la prorogation était raisonnable — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire concernant une demande de communication de documents conformément à la Loi sur l’accès à l’information (la Loi). La demanderesse, la commissaire à l’information du Canada, a demandé un jugement déclarant que le défendeur n’a pas donné accès aux documents demandés dans les délais de 30 jours prévus par la Loi et que, par conséquent, ce défaut de communication valait décision de refus de communication. Le défendeur avait informé l’auteur de la demande d’accès qu’un délai de trois ans et 15 jours était nécessaire pour répondre à la demande en raison du grand nombre de documents demandés et pour procéder aux consultations nécessaires. La demanderesse sollicitait également une ordonnance enjoignant au défendeur de répondre à la demande et de fournir les documents demandés dans les 30 jours du présent jugement. Le défendeur a fourni les documents peu de temps avant la date d’audience et il a alors introduit une requête en radiation de la demande au motif qu’elle était devenue théorique. La demanderesse a fait valoir que la prorogation de délai n’était pas raisonnable et, par conséquent invalide, se soldant ainsi par une présomption de refus de communication qui était ensuite susceptible de faire l’objet d’une révision judiciaire.
La demande soulevait d’importantes questions au sujet du régime d’accès à l'information, notamment les contestations qui sont formulées au sujet du respect des droits des personnes qui cherchent à obtenir l’accès à des renseignements et qui ont droit à cet accès, et des obligations, notamment sur le plan opérationnel, des ministères fédéraux chargés de recueillir, d’évaluer, de consulter, d’expurger et, enfin, de communiquer des documents. Qui plus est, il a été noté que la demanderesse sollicitait une réparation que la Loi ne prévoyait pas et qui soulevait des questions de principe que le gouvernement devrait aborder après consultation des intervenants intéressés.
Il s’agissait principalement de savoir 1) si la demande était théorique et, dans l’affirmative, si la Cour devait décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande; 2) si la Cour avait compétence en vertu de l’article 42 de la Loi; et 3) si la prorogation du délai demandée était raisonnable.
Jugement : la demande doit être rejetée.
La Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire la demande lorsque les questions soulevées sont susceptibles de ne jamais être soumises aux tribunaux. En l’espèce, elles étaient susceptibles de ne jamais être soumises aux tribunaux. Certaines questions restaient en litige, en particulier celle de savoir si la prorogation de délai imposée pouvait être considérée comme abusive et, par conséquent invalide, se soldant ainsi par une présomption de refus de communication qui est ensuite susceptible de faire l’objet d’une révision judiciaire. Bien que le règlement de ces questions puisse, dans cette mesure, être considéré comme théorique, ces questions auront des conséquences pratiques sur d’autres demandeurs ainsi que sur le défendeur et sur d’autres ministères et organismes à l’avenir. Le règlement de ces questions justifiait donc l’examen de la Cour. De plus, les questions en litige étaient susceptibles d’être soulevées à nouveau et il s’agissait de questions importantes qui permettaient de mieux connaître les moyens de donner effet à l’esprit du régime d’accès à l’information.
Le paragraphe 4(2.1) impose au responsable de l’institution fédérale l’obligation de prêter assistance à la personne qui fait une demande en s’assurant notamment que le document lui soit communiqué « en temps utile ». L’expression « en temps utile » n’est pas définie dans la Loi. Le Oxford English Dictionary définit le mot anglais « timely » (en temps utile) comme suit : [traduction] « Qui est accompli ou qui survient en temps opportun ou utile; opportun. » Ce qui amène la Cour à se demander du point de vue de qui doit être examinée la question de savoir si le document a été communiqué en temps utile. La disposition relative à la communication en temps utile est nuancée par la notion des « efforts raisonnables ». Autrement dit, la communication a lieu en temps utile en fonction de ce qui est raisonnable dans les circonstances. Le libellé de la loi est clair dans toute la Loi et ses diverses dispositions doivent être interprétées de manière à fonctionner comme un tout.
La Cour n’avait pas compétence en vertu de l’article 42 de la Loi pour instruire la demande de révision judiciaire. Une prorogation de délai ne vaut pas décision de refus de communication, et ce, même si la commissaire à l’information a en l’espèce jugé ce refus abusif. Le jugement Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général) était déterminant. Rien ne permettait d’affirmer que la jurisprudence est contradictoire et qu’il est toujours loisible de conclure qu’il y a « présomption de refus » lorsqu’il y a prorogation de délai abusive. Selon le libellé de la loi et la jurisprudence pertinente, il ne peut y avoir de présomption de refus tant que le délai prévu par la Loi n’a pas expiré. Il ressortait à l’évidence de ces décisions qu’il n’y a pas d’incertitude dans la jurisprudence et que l’interprétation de la Loi qu’on y trouve est claire. Le paragraphe 30(1) prévoit qu’une personne peut porter plainte lorsqu’elle considère la prorogation de délai fondée sur l’article 9 comme abusive, et que le commissaire à l’information doit recevoir la plainte et faire enquête sur celle‑ci. En revanche, l’article 41 permet d’exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour fédérale, mais uniquement lorsque la personne s’est vu refuser communication d’un document demandé en vertu de la présente loi.
La conclusion suivant laquelle la Cour n’avait pas compétence pour instruire la présente demande en vertu de l’article 42 de la Loi ne favorise malheureusement pas les intérêts que la commissaire à l’information cherche à défendre au nom des auteurs de demande d’accès. La seule mesure qu’elle peut prendre consiste à formuler des recommandations au responsable de l’institution fédérale et à citer les rapports annuels pour attirer l’attention sur la question et inciter à une meilleure conformité à l’avenir. Il n’y a aucune façon d’accorder une réparation à l’auteur de la demande d’accès lorsque celui‑ci ne reçoit pas les documents demandés dans un délai raisonnable. Bien qu’une prorogation de délai de trois ans puisse sembler abusive aux yeux de l’auteur de la demande d’accès, elle peut s’avérer raisonnable lorsqu’on tient compte de l’ensemble des circonstances. Toutefois, des prorogations de cinq ou de dix ans risquent de faire totalement échec aux objectifs de la Loi et sont de prime abord abusives. Pourtant il n’existe aucun recours pour sanctionner ce type d’abus.
Comme la Cour n’avait pas compétence pour examiner la demande en vertu des articles 41 ou 42 de la Loi, elle n’avait pas à se demander si la prorogation était raisonnable. Le pouvoir discrétionnaire de décider de proroger le délai doit être exercé en fonction des limites prévues par la loi. Dans le cas qui nous occupe, le défendeur a invoqué les motifs prévus aux alinéas 9a) et b). Il s’est guidé sur cette disposition législative pour estimer le délai nécessaire. La demanderesse a estimé que les explications ou les raisons fournies n’étaient pas raisonnables. Toutefois, cette question ne pouvait faire l’objet d’une révision.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C (1985), ch. A-1, art. 2, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 27(1), 30, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 41, 42.
Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public, L.C. 2009, ch. 2, art. 394.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.3.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Ficek c. Canada (Procureur général), 2013 CF 430; Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CF 649; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2002 CFPI 136, [2002] 4 C.F. 110.
décisions examinées :
Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306; Rubin c. Canada (Ministre des Transport), [1998] 2 C.F. 430 (C.A.); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1989] 1 C.F. 3 (1re inst.); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1990] 3 C.F. 514 (1re inst.); X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1990] A.C.F. no 540 (1re inst.) (QL); X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1991] 1 C.F. 670 (1re inst.); Attaran c. Canada (Affaires étrangères), 2011 CAF 182.
décisions citées :
Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers' Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2004 FC 431, [2004] 4 R.C.F. 181; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 3 C.F. 609 (1re inst.); Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773.
DOCTRINE CITÉE
Canada. Secrétariat du Conseil du Trésor. Directive concernant l’administration de la Loi sur l’accès à l’information, Annexe C – Principes relatifs à l’assistance aux auteurs de demandes, en ligne : http://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=18310§ion=text#appC.
Oxford English Dictionary, 2e éd. Oxford : Clarendon Press, 1989, « timely ».
demande de contrôle judiciaire déposée par la demanderesse, la Commissaire à l’information, visant l’obtention d’un jugement déclarant que le défendeur n’a pas donné accès aux documents demandés dans les délais prévus par la Loi et que, par conséquent, ce défaut de communication vaut décision de refus de communication et une ordonnance enjoignant au défendeur de fournir les documents demandés dans les 30 jours du présent jugement. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Jill Copeland, Michael DeSantis et Diane Therrien pour la demanderesse.
Alexander Gay pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sack Goldblatt Mitchell LLP, Ottawa, et Commissaire à l’information du Canada, Ottawa, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] La juge Kane : La présente demande de révision judiciaire concerne une demande de communication de documents présentée le 9 décembre 2010 en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1 (la Loi). L’auteur de la demande d’accès réclamait des renseignements au ministère de la Défense nationale (le ministère). Le ministère de la Défense nationale soutenait qu’une prorogation de délai de plus de trois ans était nécessaire pour pouvoir communiquer les documents en question.
[2] La demanderesse, la commissaire à l’information du Canada, demande maintenant un jugement déclarant que le défendeur, le ministre de la Défense nationale, n’a pas donné accès aux documents demandés en vertu de la Loi dans les délais prévus par la Loi et que, par conséquent, ce défaut de communication vaut décision de refus de communication. La demanderesse affirme que la prorogation de délai imposée par le défendeur n’était pas raisonnable et qu’elle est invalide et que, par conséquent, le défendeur ne s’est pas conformé à l’obligation qui lui était faite de communiquer les documents demandés dans le délai de 30 jours prévu par la Loi et que son défaut de fournir les documents en question vaut décision de refus de communication. La demanderesse sollicite par ailleurs une ordonnance enjoignant au défendeur de répondre à la demande et de fournir les documents demandés dans les 30 jours du présent jugement, sous réserve des exceptions prévues par la Loi.
[3] Le 11 septembre 2013, le défendeur a fourni à la demanderesse les documents demandés après en avoir expurgé certains passages. Le défendeur a alors introduit une requête en radiation de la demande au motif qu’elle était devenue théorique.
[4] La demanderesse affirme que la demande n’est pas théorique et, à titre subsidiaire, qu’en admettant qu’elle soit en principe théorique puisque les dossiers demandés ont récemment été fournis, la Cour devrait tout de même examiner la possibilité d’accorder la réparation sollicitée parce que le fait pour la Cour de se prononcer sur cette question permettrait au ministère de la Défense nationale et à d’autres institutions fédérales d’orienter à l’avenir leur conduite lorsqu’ils demandent des prorogations de délai.
[5] La présente demande soulève d’importantes questions au sujet du régime d’accès à l’information, notamment les contestations qui sont formulées au sujet du respect des droits des personnes qui cherchent à obtenir l’accès à des renseignements et qui ont droit à cet accès, sous réserve des exceptions prévues, et des obligations, notamment sur le plan opérationnel, des ministères fédéraux chargés de recueillir, d’évaluer, de consulter, d’expurger et, enfin, de communiquer des documents. Qui plus est, la demanderesse sollicite de notre Cour une réparation que la Loi ne prévoit pas en ce moment.
[6] Pour pondérer ces facteurs, la Loi permet aux ministères fédéraux de proroger le délai qui leur est imparti pour communiquer les documents demandés. La présente demande signale qu’il existe des situations dans lesquelles les ministères fédéraux peuvent imposer des prorogations de délai qui semblent tout à fait abusives et excessives, qui ne répondent pas aux besoins de l’auteur de la demande et qui font échec aux objectifs généraux de la Loi. Toutefois, les pouvoirs qui sont conférés au commissaire à l’information en vue d’encourager les intéressés à se conformer aux dispositions et aux objectifs généraux de la Loi se limitent à la formulation de recommandations et à la présentation de rapports aux responsables des ministères, ce qui contribue très peu à répondre aux préoccupations des auteurs de demande d’accès qui cherchent à obtenir rapidement accès à des renseignements.
[7] Les réparations demandées en l’espèce par la commissaire à l’information soulèvent des questions de principe que le gouvernement devrait aborder après consultation des intervenants intéressés. Toute décision que notre Cour rendra dans le contexte de la présente demande aura de vastes répercussions à l’échelle du gouvernement, et la Cour devrait se garder de trancher ces questions sans connaître l’avis des personnes susceptibles d’être visées.
[8] Pour les motifs qui suivent, la Cour a décidé, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande. Toutefois, la demanderesse ne peut obtenir la réparation qu’elle sollicite en l’espèce et elle doit être déboutée de sa demande. Malgré ce résultat, la demanderesse a effectivement signalé que les réparations prévues par la Loi en cas de non-conformité sont limitées et qu’une modification à la Loi serait la seule façon de prévoir plus d’options et de réparations.
Contexte
[9] Le 9 décembre 2010, une personne a demandé au ministère de lui communiquer des documents au sujet d’un contrat du ministère intéressant Smith Consulting Group (SCG), Billy P. Smith et la vente d’excédents de stock militaire à l’Uruguay.
[10] Le 3 février 2011, à la suite de lettres échangées avec le ministère, M. Smith et SCG ont donné leur consentement en vue de la communication de renseignements personnels et de renseignements concernant des tiers à l’auteur de la demande, qui était leur avocat.
[11] Le 4 mars 2011, le ministère a informé l’auteur de la demande d’accès que :
• des frais seraient facturés pour le traitement de la demande, laquelle ne serait traitée qu’après que l’auteur de la demande d’accès aurait confirmé être toujours intéressé à obtenir les documents et après avoir versé un dépôt correspondant à 50 p. 100 des frais estimés, c’est‑à‑dire environ 250 $;
• le ministère prorogerait de 1 110 jours — 3 ans et 15 jours — le délai initial prévu par la Loi pour répondre à la demande « en raison […] du grand nombre de documents demandés » (alinéa 9(1)a) de la Loi) et pour procéder aux « consultations nécessaires » pour donner suite à la demande (alinéa 9(1)b) de la Loi). Avec cette prorogation de délai, la date limite à laquelle le ministère devait répondre à la demande était le 19 mars 2014 ou vers cette date.
[12] Le 11 mars 2011, l’auteur de la demande d’accès a versé le dépôt réclamé et informé le ministère par lettre qu’il avait l’intention de porter plainte auprès de la commissaire à l’information au sujet de la prorogation de délai de 1 110 jours.
[13] Le 29 mars 2011, la commissaire à l’information a fait part de son intention d’ouvrir une enquête. Au cours de l’enquête, le ministère a fourni d’autres détails au sujet de la prorogation de délai : une prorogation de délai de 230 jours fondée sur l’alinéa 9(1)a) de la Loi était nécessaire en raison du grand nombre de documents demandés et, une prorogation de 880 jours fondée sur l’alinéa 9(1)b) de la Loi était nécessaire pour procéder aux consultations nécessaires.
[14] En date du 30 mars 2012, le ministère n’avait pas encore commencé à consulter les autres institutions fédérales.
[15] En mai 2012, la demanderesse a demandé et obtenu des observations écrites du ministère au sujet du délai prorogé par ce dernier. Le directeur de l’Accès à l’information et protection des renseignements personnels du ministère (le directeur de l’AIPRP) a répondu comme suit :
• à la suite d’un premier examen, 1 000 pages de répétitions ont été supprimées, de sorte qu’il restait 2 400 pages à examiner et à consulter;
• en ce qui concerne le paragraphe 4(2.1) de la Loi (c.‑à‑d. l’obligation de prêter assistance), la notion de communication en temps utile dépend de ce qui est raisonnable dans les circonstances. En l’espèce, le ministère avait le pouvoir discrétionnaire de fixer la durée de la prorogation (Canada, Secrétariat du Conseil du Trésor, Directive concernant l’administration de la Loi sur l’accès à l’information, Annexe C – Principes relatifs à l’assistance aux auteurs de demandes);
• pour estimer la durée de la prorogation, le ministère effectue un premier examen des documents et tient compte de plusieurs variables dont les expériences qu’il a déjà vécues en la matière, le caractère confidentiel des renseignements demandés et la charge de travail actuelle;
• il est nécessaire qu’une partie du dossier soit examinée par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada (le MAECI) et par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), et l’examen du MAECI pourrait éventuellement entraîner la consultation obligatoire de gouvernements étrangers;
• le ministère a consulté le ministère de la Justice, qui lui a dit qu’il fallait examiner l’ensemble du dossier pour vérifier les questions concernant le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige;
• le service de l’accès à l’information du ministère avait été victime d’un défaut de fonctionnement de logiciel majeur et sans précédent.
[16] Le ministère de la Défense nationale a envoyé les documents pertinents aux autres ministères pour consultation le 9 juillet 2012. Le ministère de la Justice et TPSGC ont répondu avant le 15 août 2012, c’est‑à‑dire plus tôt que ce que le ministère avait prévu. Le MAECI a répondu le 31 août 2012 en expliquant qu’il avait besoin d’un délai supplémentaire de 120 jours pour répondre, c’est‑à‑dire jusqu’en novembre 2012.
[17] Le 18 octobre 2012, la demanderesse a écrit au défendeur pour lui faire part des résultats de son enquête. Elle a informé le défendeur que le ministère n’avait pas respecté l’obligation de prêter assistance que le paragraphe 4(2.1) de la Loi mettait à sa charge et, en particulier, qu’il n’avait pas fait tous les efforts raisonnables pour donner suite à la demande en temps utile. La demanderesse a également conclu que le ministère n’avait pas justifié ses prorogations de délai. La demanderesse a par conséquent conclu que le second critère énoncé à l’alinéa 9(1)a) de la Loi n’était pas rempli. De plus, la demanderesse a conclu que le ministère n’avait pas fourni d’explications pour justifier l’écart entre sa première estimation (880 jours) et le temps qui avait effectivement été consacré (environ 160 jours) aux consultations.
[18] La demanderesse a informé le défendeur que les prorogations de délai n’étaient pas justifiées, que le délai imposé en vertu de l’alinéa 9(1)a) n’était pas justifié et que la prorogation de délai de 880 jours fondée sur l’alinéa 9(1)b) était abusive et que les deux délais en question étaient par conséquent invalides. La demanderesse a conclu que, comme les prorogations de délai n’étaient pas valides, la date de réponse demeurait le 4 mars 2011, c’est‑à‑dire le délai de réponse de 30 jours prévu par la Loi et que, comme aucune réponse n’avait été reçue à l’expiration de ce délai, le défaut de communication du ministère valait décision de refus de communication.
[19] La demanderesse a recommandé au défendeur de s’engager à répondre à la demande d’accès au plus tard le 28 février 2013, soit 90 jours après la date à laquelle le MAECI était censé répondre à la demande de consultation.
[20] Le 6 novembre 2012, le directeur de l’AIPRP a informé la demanderesse que le ministère ne pouvait s’engager à respecter les recommandations de la demanderesse, étant donné que les consultations requises devaient se faire à l’externe et qu’elles échappaient à sa volonté, tout en promettant de faire tous les efforts nécessaires pour fournir les documents demandés au plus tard à la date en question. Le directeur l’AIPRP a également fait observer que le ministère prenait très au sérieux les obligations que la Loi lui imposait.
[21] Le 18 décembre 2012, l’auteur de la demande d’accès a consenti à ce que la demanderesse exerce un recours en révision devant la Cour fédérale en vertu de l’alinéa 42(1)a) de la Loi.
Réparation sollicitée par la commissaire à l’information
[22] La demanderesse sollicite les réparations suivantes :
• un jugement déclarant que le défendeur a fait défaut de donner accès aux documents demandés dans le délai prévu par la Loi et que, par conséquent, son défaut de communication vaut décision de refus de communication;
• une ordonnance enjoignant au défendeur de répondre à la demande dans les 30 jours du jugement.
[23] La demanderesse est d’accord pour dire que, comme les documents ont effectivement été fournis le 11 septembre 2013, l’ordonnance enjoignant au défendeur de communiquer les documents est théorique, mais elle ajoute que la question du jugement déclaratoire est toujours valide.
Question préliminaire : La demande est‑elle théorique?
[24] Le 26 septembre 2013, le défendeur a déposé une requête en vue de faire rejeter la demande au motif qu’elle était théorique.
[25] Le défendeur affirme que, comme le ministère a fourni les documents demandés sous réserve de certaines exceptions, le fondement factuel du litige a disparu et qu’il n’y a plus de litige actuel entre les parties. Le défendeur ajoute qu’il n’y a aucune circonstance spéciale qui justifierait la Cour de décider, en vertu de pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande.
[26] Le défendeur affirme que le critère énoncé dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 (Borowski) n’a pas été respecté.
[27] Le défendeur signale qu’il n’y a plus de refus d’accès, étant donné que les documents demandés ont effectivement été fournis. Il affirme également qu’il n’y a plus de litige actuel entre les parties, étant donné que la seule plainte formulée par l’auteur de la demande d’accès au sujet de laquelle la commissaire à l’information a mené une enquête portait sur la décision de proroger le délai, laquelle n’est pas susceptible de révision dans le cadre de la Loi. La question du jugement déclaratoire qui, suivant le défendeur, ne constitue pas une question relevant de la compétence de la Cour, ne permet pas de faire renaître un litige actuel entre les parties. Le défendeur soutient que le jugement déclaratoire réclamé par la commissaire à l’information n’a aucun effet pratique pour l’auteur de la demande d’accès, étant donné que ce dernier a déjà reçu les documents.
[28] Par ailleurs, le défendeur affirme que, si la Cour prononçait un jugement déclaratoire, elle s’aventurerait dans des questions qui ne devraient être abordées que par le législateur et que la Cour devrait éviter pareille intrusion, en particulier lorsqu’il s’agit de questions théoriques.
[29] Le défendeur soutient que seuls les refus de communiquer des documents, et non les prorogations de délai, peuvent faire l’objet d’un examen par notre Cour. Les plaintes portant sur des délais prorogés peuvent donner lieu à des rapports aux ministres et à des recommandations concernant une réponse en temps utile, mais la loi ne va pas plus loin.
[30] Le défendeur soutient que l’intérêt qu’a la commissaire à l’information à faire instruire la présente demande a très peu à voir avec les intérêts de l’auteur de la demande : cet intérêt est davantage de nature institutionnelle. Le défendeur se demande s’il s’agit là d’une utilisation légitime du pouvoir de révision judiciaire en faisant observer que l’article 42 exige le consentement de l’auteur de la demande pour introduire une demande de révision judiciaire et que ce consentement n’autorise pas l’auteur de la demande à soulever des questions hypothétiques. Il affirme qu’il serait préférable d’aborder ces questions, qui concernent également les intérêts d’autres intervenants, dans le cadre d’un renvoi fait à la Cour en vertu de l’article 18.3 de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7]. Le défendeur affirme qu’il s’agit en l’espèce d’un renvoi déguisé par lequel la demanderesse cherche à inviter la Cour à récrire ou à réinterpréter les dispositions législatives et que la demanderesse aurait dû présenter un renvoi en vertu de l’article 18.3.
[31] En réponse à la requête en rejet pour caractère théorique, la demanderesse affirme que les questions qu’elle a soulevées dans la demande doivent être examinées à fond si l’on veut connaître le contexte et déterminer si les questions sont théoriques et, dans l’affirmative, pour savoir si la Cour devrait décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande.
[32] La demanderesse formule comme suit les questions en litige : Qu’est‑ce qui constitue une prorogation de délai abusive? Une prorogation de délai abusive peut‑elle valoir présomption de refus de communication? Y a‑t‑il ouverture au recours en révision prévu aux articles 41 et 42 de la Loi dans le cas d’une prorogation de délai abusive avant l’expiration du délai prorogé? Quelle est la portée de l’obligation du défendeur de prêter assistance en rapport avec le temps écoulé avant de répondre à une demande d’accès à l’information?
[33] La demanderesse affirme que la méthode en deux étapes et les facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski appuient l’examen de la demande : la Cour doit déterminer si un litige actuel a cessé d’exister et, dans l’affirmative, la Cour doit examiner la possibilité de décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande.
[34] La demanderesse est d’accord pour dire qu’une partie de la réparation demandée est devenue théorique puisque l’auteur de la demande a déjà reçu les documents demandés. Toutefois, un jugement déclarant si les documents ont été fournis conformément à la Loi et si la prorogation de délai imposée était abusive et, par conséquent, invalide et valait par conséquent décision de refus de communication aurait des conséquences pratiques sur la présente affaire et sur d’autres à venir.
[35] À titre subsidiaire, la demanderesse affirme que, même si la demande de jugement déclaratoire est théorique, la Cour devrait décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande. La demanderesse affirme qu’il existe un débat contradictoire suffisant : elle-même et le défendeur ont tous deux débattu à fond toutes les questions pertinentes et continueront d’avoir un intérêt à l’égard de ces questions, étant donné que des demandes d’accès à l’information continueront à être présentées au défendeur ainsi qu’à d’autres ministères et organismes. Comme ces questions vont nécessairement se poser de nouveau et que leur résolution aura des effets pratiques sur les droits des auteurs de demande, il s’agit de questions d’intérêt public. De plus, le règlement de ces questions est important pour assurer le fonctionnement efficace du système d’accès à l’information dans son ensemble.
[36] La demanderesse insiste pour dire que, si la Cour ne décide pas, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande, l’auteur de la demande d’accès et les autres auteurs de demande se trouvant dans une situation semblable à la sienne qui allèguent que leur droit à la communication en temps utile de documents garanti par la Loi a été violé, se verront privés d’un recours efficace. La demanderesse signale que la Loi permet à l’institution fédérale concernée de contrôler le délai dans lequel elle répond, en fixant la durée de la prorogation du délai. Bien que l’auteur de la demande d’accès ait, en l’espèce, déjà reçu les documents qu’il réclamait, il s’est vu refuser leur accès en temps utile.
[37] La demanderesse affirme en outre que ces questions sont susceptibles de ne jamais être soumises aux tribunaux. Lorsque le commissaire enquête sur une plainte portant sur une prorogation de délai abusive et sollicite ensuite une révision judiciaire, les documents peuvent être communiqués avant que la demande de révision judiciaire ne soit instruite. Bien que l’auteur de la demande d’accès puisse finalement recevoir les documents demandés, il ne les a pas reçus dans les délais voulus et il est sans recours. Si la Cour refuse d’examiner la présente demande, le ministère et d’autres ministères pourraient continuer à imposer de longues prorogations de délai contrairement à l’esprit de la Loi et en particulier à l’article 9 de la Loi sans que la Cour ait l’occasion de contrôler la validité de ces prorogations de délai.
[38] En ce qui concerne l’argument du défendeur suivant lequel la Cour n’a pas compétence pour examiner une prorogation de délai tant que le délai n’a pas expiré et ne s’est pas soldé par une présomption de refus de communication, la demanderesse signale qu’il s’agit là de la question centrale en l’espèce, ajoutant que la jurisprudence est flottante et qu’il convient de trancher la question.
[39] La demanderesse affirme également que la présente demande soulève des questions d’interprétation législative qu’il convient de faire examiner par la Cour.
La Cour décide, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande
[40] Comme nous l’avons relevé dans le récit chronologique, l’auteur de la demande a attendu longtemps avant de recevoir des documents.
[41] L’auteur de la demande d’accès a déposé sa demande en décembre 2010 et, après les communications échangées au sujet des frais exigés, le ministère a accusé réception de sa demande en février 2011. En mars 2011, le ministère a prorogé le délai de 3 ans et 15 jours avant de communiquer les documents. L’auteur de la demande d’accès a ensuite porté plainte à la demanderesse. La demanderesse a ouvert une enquête et soumis un rapport au défendeur en octobre 2012. Toutefois, le défendeur a refusé de s’engager à respecter les recommandations du rapport et à communiquer les documents demandés avant la date recommandée, le 28 février 2013. La demanderesse a, en conséquence, introduit une demande de révision judiciaire. Des exposés du droit ont été rédigés et déposés et la date d’audience pour la demande de révision judiciaire a été fixée. Moins d’un mois avant la date d’audience prévue, le défendeur a fourni les documents. Moins de 2 semaines avant la date d’audience prévue, le défendeur a présenté une requête en radiation de la demande. Le fait que le défendeur se soit conformé aussi tardivement devrait‑il rendre la demande théorique?
[42] En supposant que la Cour a compétence pour examiner une présomption de refus fondée sur une prorogation de délai abusive imposée par un ministère fédéral, il serait facile pour ce dernier de faire échec à cette réparation en produisant les documents demandés à tout moment jusqu’à la veille de la date d’audience pour ensuite affirmer que la demande de révision judiciaire est devenue théorique.
[43] Les deux parties s’entendent pour dire que le critère à appliquer pour déterminer si la question en litige est théorique a été posé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski, à la page 353 : « Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. » La Cour suprême a fait observer que si, après l’introduction de l’instance « surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique ».
[44] La Cour suprême a proposé une démarche en deux étapes pour déterminer si l’affaire est théorique. En premier lieu, la Cour doit déterminer si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement hypothétique ou théorique. Dans l’affirmative, la Cour doit ensuite décider si elle doit, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, entendre l’affaire malgré le fait que le différend a disparu ou qu’il n’existe plus de « litige actuel ». La Cour a également énuméré les facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer s’il y a lieu d’exercer un pouvoir discrétionnaire : l’existence d’un débat contradictoire, le souci d’économie des ressources judiciaires et la nécessité pour la Cour de respecter sa fonction juridictionnelle et de ne pas empiéter sur le rôle dévolu au pouvoir législatif.
[45] Dans le jugement Ficek c. Canada (Procureur général), 2013 CF 430 (Ficek), le juge Phelan a conclu que la Cour devait décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande lorsque les questions soulevées sont susceptibles de ne jamais être soumises aux tribunaux. Plusieurs des considérations dont la Cour a tenu compte dans le jugement Ficek, précité, aux paragraphes 13 à 16, 20, 21 et 29 sont pertinentes en l’espèce :
Cependant, la situation dans laquelle la demanderesse se trouve peut se produire souvent, et dans diverses circonstances. Un demandeur fait valoir que le gouvernement a contrevenu à la loi et que le manquement a eu des incidences sur lui. Avant que l’affaire soit examinée ou après examen, mais avant qu’une décision soit rendue, le gouvernement corrige la situation et soutient ensuite que le litige est théorique. Quels que soient les droits susceptibles d’avoir été violés, aucune mesure corrective ne s’offre alors.
La situation de la demanderesse est un peu plus complexe parce qu’il existe une possibilité réelle qu’elle subisse à l’avenir un préjudice étant donné que des cotisations seront dues relativement à d’autres années et que rien n’indique que la politique en litige a été ou sera modifiée. Bien que l’allégation de préjudice pour le passé ne tienne plus, un préjudice futur demeure possible.
Selon moi, ces circonstances ne rendent le litige ni plus théorique ni plus actuel. C’est dans le cadre du second volet du test de l’arrêt Borowski — relatif à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour — que ces considérations entrent en jeu.
Un point de vue similaire a été exposé dans Danada Enterprises Ltd c Canada (Procureur général), 2012 CF 403, 407 FTR 268, une affaire de nature fiscale dans laquelle au moment de l’audience la dette avait été payée et les privilèges levés.
La controverse concernant l’interprétation et l’exercice des pouvoirs relatifs à l’établissement de cotisations pour l’année d’imposition 2010, qui est au cœur du litige, est théorique, plus particulièrement du fait que la demande de jugement déclaratoire était accessoire à la demande principale de mandamus.
[…]
Comme il ressort de l’arrêt Borowski, en ce qui concerne le deuxième critère, l’économie des ressources judiciaires, trois facteurs entrent en jeu :
• s’agit‑il d’une question délicate, susceptible de ne jamais être soumise aux tribunaux?
• le « coût social » de laisser sans réponse une question d’importance publique ou nationale justifie‑t‑il l’intervention de la Cour?
• la décision aura‑t‑elle des effets concrets sur les droits des parties même si elle ne résout pas le litige, maintenant théorique, qui a donné naissance à l’action?
La question est certainement délicate et elle a d’importantes incidences. Elle pourrait ne jamais être soumise aux tribunaux. Comme il a déjà été souligné, il devient difficile de procéder à un contrôle judiciaire après que la conduite reprochée a cessé étant donné que la partie « fautive » peut corriger la situation et éviter l’examen judiciaire.
[…]
La Cour est sensible au dernier critère — le rôle de la Cour. La thèse du défendeur selon laquelle il ne revient pas à la Cour d’émettre des opinions juridiques fait abstraction du rôle de la Cour en l’espèce qui consiste à interpréter la loi au vu des faits. Il n’est pas question que la Cour empiète sur les fonctions exécutive ou législative. Toutefois, si la demanderesse a raison, une politique adoptée par un bureau local pourrait aller à l’encontre du devoir que la loi impose au ministre de fixer l’impôt payable « avec diligence ».
[46] Lorsqu’on les applique aux faits de la présente affaire, les facteurs énumérés dans l’arrêt Borowski militent en faveur de l’exercice, par la Cour, de son pouvoir discrétionnaire en vue d’instruire la demande.
[47] Une partie de la demande est de toute évidence théorique étant donné que les documents ont déjà été communiqués. Toutefois, d’autres questions restent en litige, en particulier celle de savoir si la prorogation de délai imposée peut être considérée comme abusive et, par conséquent invalide, se soldant ainsi par une présomption de refus de communication qui est ensuite susceptible de faire l’objet d’une révision judiciaire. Bien que le règlement de ces questions puisse n’avoir aucun effet pratique sur les parties à la présente demande, et que, dans cette mesure, elles puissent être considérées comme théoriques, ces questions auront des conséquences pratiques sur d’autres demandeurs ainsi que sur le défendeur et sur d’autres ministères et organismes à l’avenir. Quoi qu’il en soit, il existe des motifs justifiant la Cour de décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande.
[48] Tout comme dans l’affaire Ficek, si la Cour n’instruit pas la demande, les questions soulevées sont susceptibles de ne jamais être soumises aux tribunaux. Il se peut que le défendeur ait fait de son mieux pour produire les documents demandés dès que possible, comme il avait promis dans sa réponse à la demanderesse en novembre 2012. Il n’en demeure pas moins qu’en réalité, les documents ont été remis peu de temps avant la date d’audience et que la requête en radiation de la demande pour cause de caractère théorique a été présentée moins de deux semaines avant la date d’audience. De son point de vue, l’auteur de la demande d’accès n’a pas reçu les documents « en temps utile »; il ne les a pas reçus dans le délai qu’il souhaitait ou dont il avait besoin pour les fins pour lesquelles il avait demandé les documents en question.
[49] On ne peut examiner la requête en vase clos. La Cour a examiné les questions soulevées par les parties dans la demande. Les parties ont débattu à fond toutes les questions en litige tant dans la requête en radiation de la demande que dans la demande elle-même. Par conséquent, pour ce qui est de la question du souci d’économie des ressources judiciaires, elle est dans une certaine mesure théorique, étant donné que des ressources judiciaires ont déjà été consacrées à l’affaire. Il semblerait que le refus d’examiner la demande à cette étape‑ci se traduirait davantage par un gaspillage des ressources.
[50] Je suis également d’accord avec la demanderesse pour dire que les questions en litige sont susceptibles d’être soulevées à nouveau et qu’il s’agit de questions importantes qui permettent de mieux connaître les moyens de donner effet à l’esprit du régime d’accès à l’information. Certes, il ne s’agit pas de nouvelles questions et, bien que la demanderesse laisse entendre que le droit n’est pas encore bien établi à ce sujet, la Cour a constamment exercé sa compétence limitée en acceptant d’examiner les véritables refus.
[51] Le règlement de ces questions, dans la mesure où il permet d’enrichir la jurisprudence, aura certains effets pratiques et justifie l’examen de la Cour.
[52] Il n’y a aucun risque que la Cour s’aventure dans des domaines réservés au législateur. Les questions en litige portent principalement sur l’interprétation des lois. La demanderesse invite peut-être la Cour à interpréter les dispositions de façon large pour élargir les pouvoirs dévolus au commissaire à l’information, mais tout changement à la loi doit provenir du législateur. La Cour ne peut réécrire la loi.
[53] Enfin, je ne suis pas d’accord avec le défendeur lorsqu’il soutient que, pour déterminer si la demande est théorique, la Cour devrait se demander si la demanderesse aurait dû former un renvoi devant la Cour en vertu de l’article 18.3 de la Loi sur les Cours fédérales plutôt qu’une demande de révision judiciaire.
[54] L’article 18.3 dispose :
18.3 (1) Les offices fédéraux peuvent, à tout stade de leurs procédures, renvoyer devant la Cour fédérale pour audition et jugement toute question de droit, de compétence ou de pratique et procédure. |
Renvoi d’un office fédéral |
(2) Le procureur général du Canada peut, à tout stade des procédures d’un office fédéral, sauf s’il s’agit d’un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, renvoyer devant la Cour fédérale pour audition et jugement toute question portant sur la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une loi fédérale ou de ses textes d’application. |
Renvoi du procureur général |
[55] Le défendeur soutient que le renvoi prévu à l’article 18.3 constitue une meilleure méthode d’aborder les questions soulevées par la demanderesse dans sa demande, surtout dans le cas du jugement déclaratoire qui est sollicité. Toutefois, cet argument n’a pas été soulevé dans les observations écrites du défendeur et, comme on peut le comprendre, il défavorise la demanderesse pour ce qui est des possibilités de répondre qui lui sont offertes. Je constate également que le défendeur n’a cité aucune jurisprudence au sujet du pouvoir de former un renvoi.
[56] En ce qui concerne la procédure choisie par la demanderesse, il convient de se souvenir qu’elle a introduit la demande de nombreux mois avant que les documents demandés ne soient communiqués. Le défendeur n’a soulevé la question du renvoi qu’à l’audience.
[57] De plus, l’argument du défendeur suivant lequel la procédure prévue à l’article 18.3 constitue la meilleure méthode ne constitue pas une réponse, dans les circonstances de l’espèce, à la question de savoir si la Cour devrait décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’instruire la demande. Comme nous le verrons en détail plus loin, qu’il s’agisse d’un renvoi ou d’une demande, les questions soulevées par les parties sont des questions de principe qui peuvent exiger d’apporter des modifications à la loi, ce qui est l’apanage du législateur. De plus, le défendeur n’a donné aucune indication à la Cour sur la question de savoir si les questions en litige se prêteraient même à un renvoi ou si le défendeur appuierait cette démarche si elle devait être entreprise plus tard.
[58] La Cour a par conséquent décidé d’examiner la demande au fond.
Questions en litige
[59] La demanderesse sollicite un jugement déclarant que le défendeur n’a pas donné accès aux documents demandés dans les délais prévus par la Loi et que son défaut de communication vaut décision de refus de communication. La demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant au défendeur de répondre à la demande et de fournir des documents dans les 30 jours du jugement est maintenant théorique.
[60] Les principales questions en litige sont les suivantes :
1. La Cour a‑t‑elle compétence en vertu de l’article 42 pour instruire la présente demande?
2. Dans l’affirmative, la prorogation du délai était‑elle abusive?
[61] La demanderesse formule comme suit les questions en litige : qu’est‑ce qui constitue une prorogation de délai abusive? Une prorogation de délai abusive peut‑elle valoir décision de refus? Y a‑t‑il ouverture au recours en révision prévu aux articles 41 et 42 de la Loi dans le cas d’une prorogation de délai abusive avant l’expiration de la prorogation du délai prorogé? Quelle est la portée de l’obligation du défendeur de prêter assistance en rapport avec le temps écoulé avant de répondre à une demande d’accès à l’information?
Le régime d’accès à l’information
[62] Les dispositions applicables de la Loi sont reproduites en annexe, mais je les résume ici pour les situer dans leur contexte.
[63] L’objet de la Loi est énoncé à l’article 2. L’article 6 précise la procédure à suivre pour présenter une demande de communication de documents.
[64] Aux termes de l’article 7 de la Loi, le responsable de l’institution fédérale à qui est faite une demande de communication a l’obligation, dans les 30 jours suivant sa réception et sous réserve des articles 8 à 10, d’aviser par écrit la personne qui a fait la demande de ce qu’il sera donné ou non communication totale ou partielle du document et, le cas échéant, de donner communication totale ou partielle du document.
[65] L’article 9 de la Loi permet au responsable d’une institution fédérale de proroger le délai imparti à l’article 7 « d’une période que justifient les circonstances » soit en raison du grand nombre de documents demandés, soit si l’observation du délai entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution ou si les consultations nécessaires pour donner suite à la demande rendraient pratiquement impossible l’observation du délai ou, enfin, si l’avis de la demande a été donné en vertu du paragraphe 27(1).
[66] L’article 10 régit les refus de communication d’un document et le paragraphe 10(3) prévoit que le défaut de communication totale ou partielle de documents dans les délais prévus par la Loi vaut décision de refus de communication. En d’autres termes, lorsqu’il n’y a pas eu avis de refus catégorique de communication, le défaut de communication des documents demandés dans le délai de 30 jours ou avant l’expiration du délai prorogé en vertu de l’article 9, vaut décision de refus de communication.
[67] L’article 30 régit les plaintes, en précisant qui peut présenter une plainte et pour quels motifs.
[68] Les articles 32 à 36 portent sur les enquêtes menées par le commissaire à l’information, et notamment sur son obligation d’aviser le responsable de l’institution fédérale concernée, la procédure qu’il doit suivre dans l’exercice de ses pouvoirs et fonctions, le secret des enquêtes et le droit des personnes visées de présenter leurs observations.
[69] L’article 37 énumère les pouvoirs dont dispose le commissaire à l’information au sujet des résultats ou des conclusions de son enquête. Le commissaire à l’information peut présenter les conclusions de son enquête au responsable de l’institution fédérale, formuler des recommandations et demander une réponse. Il doit également rendre compte des conclusions de son enquête au plaignant et lui fournir la réponse de l’institution fédérale concernée.
[70] L’article 38 oblige le commissaire à l’information à présenter un rapport annuel au Parlement. Le commissaire à l’information doit également soumettre des rapports spéciaux conformément à l’article 39 sur toute question relevant de ses pouvoirs et fonctions et dont l’urgence ou l’importance sont telles qu’il serait contre‑indiqué d’en différer le compte rendu jusqu’à l’époque du rapport annuel suivant.
[71] Les articles 41 et 42 prévoient que la personne qui s’est vue refuser communication ou le commissaire à l’information peuvent, à la suite d’une enquête, exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour.
[72] En 2006, la Loi a été modifiée par adjonction du paragraphe 4(2.1), qui impose au responsable de l’institution fédérale l’obligation de prêter assistance à la personne qui fait une demande en s’assurant notamment que le document lui soit communiqué « en temps utile ».
[73] Le commissaire à l’information n’a pas compétence pour rendre des ordonnances.
[74] Par exemple, la commissaire à l’information n’a pas le pouvoir de « remédier » à un refus présumé de communication en prorogeant le délai imparti à une institution fédérale pour répondre à une demande de communication. Ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421, au paragraphe 49 :
Pour conclure sur ce point, je signale que la Loi ne confère au commissaire aucun pouvoir de « remédier » à un refus présumé de communication en prorogeant le délai imparti à une institution fédérale pour répondre à une demande de communication.
[75] La révision judiciaire est la seule façon dont dispose le commissaire à l’information pour inciter à la conformité, et la révision judiciaire se limite au refus de communication ou d’accès aux documents demandés.
Interprétation de la Loi
[76] La demanderesse affirme que l’accès en temps utile aux documents constitue un principe primordial de la Loi qui est susceptible d’être ignoré ou contrecarré si le responsable de l’institution fédérale peut proroger le délai pour une durée indéterminée, à moins que notre Cour ait compétence pour vérifier si la prorogation est raisonnable ou pour conclure qu’elle était invalide et qu’elle vaut ainsi décision de refus de communication.
[77] La demanderesse affirme que la Loi doit recevoir une interprétation libérale et téléologique. Elle cite des décisions qui ont reconnu le caractère quasi constitutionnel du droit d’accès à l’information compte tenu du fait que ce droit permet aux citoyens d’avoir accès aux renseignements dont ils ont besoin pour participer réellement au processus démocratique (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306 (MDN), au paragraphe 40; Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815, au paragraphe 30; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2004 CF 431, [2004] 4 R.C.F. 181, au paragraphe 19).
[78] La demanderesse affirme par conséquent que lorsqu’une disposition se prête à deux interprétations, le tribunal doit interpréter la disposition de la manière qui porte le moins atteinte au droit d’accès du public (Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430 (C.A.) (Rubin), au paragraphe 23; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 3 C.F. 609 (1re inst.), au paragraphe 47).
[79] Le défendeur reconnaît que le caractère quasi constitutionnel de la Loi, mais soutient qu’elle doit être interprétée conformément aux principes habituels d’interprétation des lois (MDN, précité, au paragraphe 40; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773, au paragraphe 25).
Le libellé de la loi est clair
[80] Je suis d’accord pour dire que la Loi doit être interprétée conformément au principe général d’interprétation des lois. Dans l’arrêt MDN, précité, au paragraphe 40, la Cour suprême déclare :
Bien que je sois d’accord avec l’appelante pour dire que la Loi sur l’accès à l’information peut être considérée comme une loi de nature quasi constitutionnelle — ce qui fait ressortir l’importance de son objet —, j’estime que cette qualification ne change en rien les principes généraux d’interprétation des lois. Le problème fondamental que comporte la méthode d’interprétation de l’expression « institution fédérale » que préconise la Commissaire réside dans le fait qu’elle évite de citer directement la disposition législative en cause. La Cour ne peut faire fi des termes que le législateur a effectivement employés et récrire le texte de loi en fonction de sa propre opinion sur la façon dont l’objet de la loi pourrait être mieux favorisé.
[81] Si le libellé de la loi se prête à plusieurs interprétations, le tribunal choisira l’interprétation qui porte le moins atteinte au droit d’accès à l’information (Rubin, précité, au paragraphe 23). Toutefois, le tribunal doit respecter le libellé de la Loi et il ne peut réécrire la Loi ou en réinterpréter les dispositions pour imposer sa conception de la façon dont l’objet de la Loi pourrait être mieux servi.
[82] Dans l’arrêt Rubin, précité, au paragraphe 24, la Cour s’est penchée sur la nature des exceptions prévues par la Loi et a fait observer ce qui suit :
Il importe de souligner que cela ne signifie pas que la Cour doit remanier les exceptions prévues par la Loi afin de créer des exceptions plus limitées. Un tribunal doit toujours travailler avec le libellé qui lui a été soumis. Si le sens est manifeste, il n’appartient pas à la Cour ou à un autre tribunal de le modifier. Toutefois, si une disposition renferme une ambiguïté, c’est-à-dire qu’elle peut être interprétée de deux façons (comme l’alinéa 16(1)c) en l’espèce), alors la Cour doit, vu la présence de l’article 2, choisir l’interprétation qui porte le moins atteinte au droit du public à l’accès à des documents qui est prévu à l’article 4 de la Loi.
[83] Ces propos nous rappellent le principe souvent cité suivant lequel « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21). Le paragraphe 2(1) précise que la Loi a pour objet « d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication ».
[84] L’article 4 porte sur le droit d’accès et comprend maintenant une disposition précise qui impose au responsable de l’institution fédérale l’obligation de faire « tous les efforts raisonnables […] pour […] prêter toute l’assistance indiquée [à la personne qui fait une demande d’accès] […] et, sous réserve des règlements, [pour] lui communiquer le document en temps utile sur le support demandé ».
[85] L’expression « en temps utile » n’est pas définie dans la Loi. Le dictionnaire Oxford English Dictionary définit le mot anglais « timely » (en temps utile) comme suit : [traduction] « Qui est accompli ou qui survient en temps opportun ou utile; opportun ». Ce qui nous amène à nous demander du point de vue de qui doit être examinée la question de savoir si le document a été communiqué en temps utile.
[86] La mention de la communication en temps utile ne crée aucune ambiguïté avec d’autres dispositions de la Loi qui nous obligerait à interpréter ces dispositions d’une manière susceptible de porter le moins atteinte au droit d’accès. La disposition relative à la communication en temps utile est nuancée par la notion des « efforts raisonnables ». Autrement dit, la communication a lieu en temps utile en fonction de ce qui est raisonnable dans les circonstances. Le libellé de la loi est clair dans toute la Loi et ses diverses dispositions doivent être interprétées de manière à fonctionner comme un tout.
La Cour a-t-elle compétence en vertu de l’article 42 de la Loi pour instruire la demande de révision judiciaire?
[87] Selon la demanderesse, la Cour a compétence parce qu’il existe une présomption de refus de communiquer les documents au sens du paragraphe 10(3) de la Loi. La demanderesse affirme que la jurisprudence est flottante, mais qu’elle n’exclut pas la possibilité de conclure qu’une prorogation de délai abusive peut être invalide et valoir décision de refus de communication.
[88] La demanderesse a cité des décisions dans lesquelles les tribunaux ont conclu ou, suivant la demanderesse, étaient disposés à conclure à l’existence d’une présomption de refus. La demanderesse cite le jugement Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Procureur général), 2011 CF 649 (AFPC), au paragraphe 23, à titre d’exemple de la volonté de la Cour de conclure qu’une prorogation de délai pourrait valoir décision de refus de communication, sauf que, dans cette affaire, Sa Majesté n’avait pas admis qu’il y avait eu une prorogation de délai abusive qui pouvait valoir décision de refus de communication et le commissaire à l’information avait conclu que la prorogation de délai en cause était raisonnable. La demanderesse affirme qu’il y a lieu d’établir une distinction entre cette affaire et la présente espèce parce que dans le cas qui nous occupe, la commissaire à l’information a conclu que la prorogation de délai était abusive.
[89] La demanderesse cite également le jugement Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1989] 1 C.F. 3 (1re inst.) et le jugement Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre des Affaires extérieures), [1990] 3 C.F. 514 (1re inst.) (les jugements Affaires extérieures). Dans la première affaire, qui portait sur une requête interlocutoire visant à faire rejeter la demande, le juge en chef adjoint Jerome a fait observer, à la page 13, que « [l]orsque la demande vise une prorogation de délai supposément non autorisée par l’article 9 […] la Cour doit nécessairement pouvoir examiner la prorogation elle-même, ainsi que les raisons invoqués à son appui ». Dans la seconde affaire, qui était la demande elle‑même, le juge Muldoon a conclu que la prorogation de délai invoquée n’était pas justifiée en application de l’article 9 de la Loi et qu’elle valait par conséquent décision de refus de communication.
[90] La demanderesse soutient qu’il y a lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et les affaires X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1990] A.C.F. no 540 (1re inst.) (QL) (X1), et X c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1991] 1 C.F. 670 (1re inst.) (X2), dans lesquelles la Cour a conclu qu’elle ne pouvait connaître des demandes présentées en vertu de la Loi alors qu’il n’y avait pas eu refus de communiquer au moment de la présentation des demandes. Dans l’affaire X1, l’institution fédérale concernée avait prorogé le délai, mais n’avait pas communiqué les documents demandés avant l’expiration du délai prorogé. Son défaut de communication valait par conséquent décision de refus de communication. Elle avait par la suite fourni les documents demandés, mais l’auteur de la demande d’accès avait poursuivi l’affaire en portant d’abord plainte auprès du commissaire à l’information au sujet du refus présumé et en saisissant ensuite la Cour fédérale d’une demande. Dans l’affaire X2, les faits étaient semblables sauf que l’institution fédérale avait communiqué les documents demandés longtemps avant l’expiration du délai prorogé. La demanderesse affirme que les affaires X1 et X2 ne s’appliquent que lorsque l’accès aux documents demandés a été accordé avant l’introduction des demandes. La demanderesse soutient également que, dans l’affaire X2, la Cour n’a pas examiné la question de savoir si une prorogation de délai invalide était raisonnable ou si elle valait décision de refus de communication.
[91] La demanderesse soutient également qu’il existe un facteur important permettant d’établir une distinction avec la jurisprudence antérieure à 2006 et la présente affaire, en l’occurrence le fait que le paragraphe 4(2.1) oblige le responsable de l’institution fédérale à prêter assistance à l’auteur de la décision et à faire tous les efforts raisonnables pour que le document lui soit communiqué en temps utile.
[92] Le défendeur affirme que la prorogation de délai que la commissaire à l’information a qualifiée d’abusive ne saurait être assimilée à un refus de communication. Le défendeur cite des décisions dans lesquelles la Cour a précisé qu’il ne lui incombait pas « de se substituer au responsable de l’institution pour décider » si la prorogation de délai fondée sur le paragraphe 9(1) était raisonnable (AFPC, précité, aux paragraphes 21 et 22; X2, précité, à la page 676).
[93] Selon le défendeur, il ne peut y avoir de présomption de refus ni de révision judiciaire tant que le délai imparti pour fournir les documents demandés n’a pas expiré.
[94] Le défendeur cite également le jugement Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2002 CFPI 136, [2002] 4 C.F. 110 (Procureur général), et fait observer que, dans cette affaire, l’institution fédérale avait prorogé le délai de trois ans parce que 270 000 pages de document étaient demandées. Le juge Kelen a annulé l’assignation à comparaître délivrée par la commissaire à l’information et a fait sienne l’analyse que l’on trouvait dans les jugements X1 et X2 en concluant qu’il ne pouvait y avoir présomption de refus tant que le délai prorogé n’a pas expiré.
[95] Le défendeur affirme qu’il y a lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et les jugements Affaires extérieures : les demandes avaient été présentées après l’expiration des délais prorogés en vertu de l’article 9; Sa Majesté avait admis qu’une prorogation non autorisée effectuée en vertu du paragraphe 9(1) pouvait valoir décision de refus de communication, ce qui est la question précise en litige dans le cas qui nous occupe et, le raisonnement suivi dans les jugements Affaires extérieures n’avait pas été repris dans les décisions subséquentes.
[96] Le défendeur signale également le libellé nettement différent entre, d’une part, l’article 30 qui porte sur les plaintes, et, d’autre part, celui des articles 41 et 42 qui portent sur la révision judiciaire. Aux termes de l’article 30, la Loi habilite expressément le commissaire à l’information à recevoir des plaintes et à faire enquête sur les plaintes déposées par des personnes « qui considèrent la prorogation [fondée sur l’article 9] comme abusive », tandis que les articles 41 et 42 ne mentionnent pas les prorogations de délai. Le défendeur soutient que si le législateur avait voulu que les prorogations de délai soient révisées, il l’aurait indiqué explicitement au lieu de ne prévoir ce droit que dans le cas des plaintes qui peuvent être présentées et faire l’objet d’une enquête.
Une prorogation de délai ne vaut pas décision de refus de communication
[97] Une prorogation de délai ne vaut pas décision de refus de communication, et ce, même si la commissaire à l’information a en l’espèce jugé ce refus abusif.
[98] Le jugement AFPC est déterminant. Des arguments fort semblables avaient été présentés dans l’affaire AFPC et la même jurisprudence avait été citée. L’AFPC avait présenté une demande de communication en vue d’obtenir des renseignements au sujet de l’élaboration de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public [L.C. 2009, ch. 2, art. 394]. La demande originale aurait nécessité une prorogation de délai de 5 ans pour satisfaire à la demande et l’une des demandes ultérieures moins ambitieuses avait conduit à une prorogation de 760 jours (25 mois).
[99] Dans le jugement AFPC, précité, aux paragraphes 21 à 24, le juge Beaudry a examiné et rejeté les arguments de la demanderesse en concluant ce qui suit :
À mon sens, il ne peut y avoir de refus, ni, par conséquent, de révision au titre de l’article 41 de la Loi avant que n’expire le délai de traitement de la demande de communication. Le libellé de la Loi limite clairement la compétence de révision de la Cour aux refus, réels ou présumés, et n’admet pas la révision des prorogations. Ainsi que l’a conclu la Cour, au paragraphe 25 de la décision Procureur général :
[25] Le législateur a clairement prévu les « présomptions de refus » au paragraphe 10(3), mais il ne l’a pas fait dans les autres dispositions de la Loi. Il y a « présomption de refus » lorsque le ministère fait défaut de communiquer le document dans le délai fixé par la Loi, c.‑à‑d. le délai de 30 jours prévu à l’article 7 ou un délai prorogé en application de l’article 9. Je suis d’avis qu’en l’espèce, le délai prorogé n’était pas écoulé, de sorte qu’il ne peut y avoir aucune « présomption de refus » de communication.
De plus, j’adhère pleinement au raisonnement exposé dans la décision X, où la Cour a conclu, au paragraphe 13, que, sauf en cas de refus persistant de permettre l’accès à l’information, « il n’incombe pas à la Cour de se pencher sur la question du caractère raisonnable des activités internes d’un ministère ».
Je reconnais que les décisions Affaires extérieures étayent les arguments de la défenderesse, mais elles ne me convainquent pas. Dans ces affaires, le ministère public avait reconnu qu’une prorogation abusive valait refus. Aucune concession du genre n’a été faite en l’espèce, et du reste, le Commissaire a conclu que la prorogation dont il est question ici était raisonnable. Par conséquent, je ne puis conclure que cette prorogation est assimilable à un refus qui me donnerait compétence pour connaître de la demande.
Si, comme le prétend la demanderesse, aucune réponse n’est reçue avant l’expiration du nouveau délai, elle pourra se plaindre au Commissaire. Toutefois, aucun refus n’a encore été opposé et donc, pour le moment, la Cour n’a pas compétence pour statuer sur le bien-fondé de la présente demande.
[100] Comme nous l’avons déjà vu, la demanderesse interprète différemment le jugement AFPC et cherche à établir une distinction entre la présente espèce et cette affaire au motif que, dans le cas qui nous occupe, la commissaire à l’information a jugé abusive la prorogation de délai tandis que, dans l’affaire AFPC, la commissaire à l’information n’avait pas tiré de telle conclusion. La demanderesse souligne également qu’au paragraphe 23, le juge Beaudry a pris acte des décisions Affaires extérieures contraires.
[101] Je ne suis pas d’accord pour dire qu’il s’agit d’un motif qui permet d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire AFPC. Rien ne permet d’affirmer que la jurisprudence est contradictoire et qu’il est toujours loisible de conclure qu’il y a « présomption de refus » lorsqu’il y a prorogation de délai abusive. Le juge Beaudry a déclaré dans les termes les plus nets que, selon le libellé de la loi et la jurisprudence pertinente, il ne peut y avoir de présomption de refus tant que le délai prévu par la Loi n’a pas expiré, ce qui constitue une réponse au même argument avancé par la demanderesse en l’espèce.
[102] La Cour a abordé, dans l’affaire Procureur général, la même question que celle qui est soumise à la Cour en l’espèce. Dans cette affaire, le juge Kelen a conclu qu’il n’y a présomption de refus de communication au sens du paragraphe 10(3) que lorsqu’une institution fédérale n’a pas donné communication des documents demandés dans le délai prévu par la Loi. La Cour a affirmé ce qui suit, aux paragraphes 26 et 27 :
En l’espèce, le délai de communication a été prorogé à trois ans et ce délai n’est pas encore écoulé. Il n’y a donc aucune « présomption de refus de communication » puisque l’institution fédérale n’a pas refusé de communiquer les documents dans le délai prorogé.
[…]
Dans X c. Canada, précité, le délai avait été prorogé à 270 jours et la Cour a conclu qu’il n’y avait aucune « présomption de refus » avant l’expiration du délai prorogé. Le juge Strayer a conclu qu’il n’appartenait pas à la Cour fédérale de remettre en question le caractère raisonnable de la prorogation. Le défendeur a le pouvoir de recevoir une plainte alléguant le caractère abusif d’une prorogation et de mener une enquête sur cette plainte, mais son pouvoir se limite à faire rapport de ses conclusions et de ses recommandations relatives au caractère raisonnable de la prorogation.
[103] Contrairement à l’argument de la demanderesse suivant lequel la décision Procureur général ne s’applique pas en l’espèce parce qu’elle portait sur une demande qui n’avait pas été présentée en vertu de la Loi, mais bien en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour a considéré qu’une interprétation du paragraphe 10(3) de la Loi constituait une question de droit.
[104] Il ressort à l’évidence de ces décisions qu’il n’y a pas d’incertitude dans la jurisprudence et que l’interprétation de la Loi qu’on y trouve est claire.
[105] Je suis par ailleurs d’accord avec le défendeur pour dire qu’en raison des principes fondamentaux d’interprétation législative, la différence qui existe entre l’article 30 et les articles 41 et 42 témoigne d’une intention manifeste du législateur de permettre aux auteurs de demande d’accès de porter plainte au sujet des prorogations de délai et que la commissaire à l’information peut faire enquête sur la plainte, mais que ce recours ne va pas plus loin.
[106] Le paragraphe 30(1) prévoit qu’une personne peut porter plainte lorsqu’elle considère la prorogation de délai fondée sur l’article 9 comme abusive, et que le commissaire à l’information doit recevoir la plainte et faire enquête sur celle‑ci. En revanche, l’article 41 permet d’exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour fédérale, mais uniquement lorsque « la personne s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi » (non souligné dans l’original).
[107] La conclusion suivant laquelle notre Cour n’a pas compétence pour instruire la présente demande en vertu de l’article 42 de la Loi parce que, bien qu’elle ait été jugée abusive par la commissaire à l’information après enquête, la prorogation de délai ne vaut pas décision de refus de communication au sens du paragraphe 10(3) de la Loi, ne favorise malheureusement pas les intérêts que la commissaire à l’information cherche à défendre au nom des auteurs de demande d’accès.
[108] La commissaire à l’information a fort efficacement fait ressortir les limites qui sont imposées à sa capacité d’assurer le respect de la Loi au nom des personnes qui demandent des renseignements et qui ont le droit d’obtenir ces renseignements, sous réserve de certaines exceptions.
[109] Lorsque la commissaire à l’information fait enquête sur une plainte portant sur une prorogation de délai, la seule mesure qu’elle peut prendre si elle considère comme abusive la prorogation consiste à formuler des recommandations au responsable de l’institution fédérale et à citer les rapports annuels ou, le cas échéant, un rapport spécial pour attirer l’attention sur la question et inciter à une meilleure conformité à l’avenir. Il n’y a aucune façon d’accorder une réparation à l’auteur de la demande d’accès lorsque celui‑ci ne reçoit pas les documents demandés dans un délai raisonnable, ou pour répondre aux besoins précis de l’auteur de la demande qui a, selon toute vraisemblance, demandé les documents à une fin particulière que l’écoulement d’un délai prolongé peut contrecarrer.
[110] La question connexe à laquelle il faut répondre est celle de savoir dans quel cas une prorogation de délai est raisonnable et qui peut se prononcer sur cette question. Le ministère qui répond à une demande semble avoir beau jeu pour fixer la prorogation de délai dont il a besoin. Le fait que le non‑respect du délai prorogé vaut décision de refus de communication risque d’inciter les ministères à pêcher par excès de prudence dans l’espoir de pouvoir fournir les documents demandés plus tôt. La question de savoir si les ministères devraient avoir la possibilité d’effectuer d’autres prorogations au besoin risque de plonger l’auteur de la demande d’accès dans encore plus d’incertitude en plus de ne pas répondre au problème de l’absence de recours pour contester la prorogation de délai.
[111] Bien qu’une prorogation de délai de trois ans puisse sembler abusive aux yeux de l’auteur de la demande d’accès, elle peut s’avérer raisonnable lorsqu’on tient compte de l’ensemble des circonstances. Toutefois, des prorogations de cinq ou de dix ans risquent de faire totalement échec aux objectifs de la Loi et sont de prime abord abusives. Pourtant il n’existe aucun recours pour sanctionner ce type d’abus.
[112] La thèse de la demanderesse suivant laquelle une prorogation de délai abusive est invalide signifie qu’en l’espèce le défaut de fournir les documents dans le délai de 30 jours prévu vaut décision de refus de communication, et ce, même si le défendeur a prorogé de 3 ans le délai, permettant ainsi la révision judiciaire du refus de donner communication. La communication des documents à l’auteur de la demande d’accès ne s’en trouverait pas nécessairement accélérée et la Cour n’est pas l’organe le mieux placé pour se prononcer sur ce qui constitue un délai approprié. Qui plus est, le défendeur serait contraint de répondre à une demande de révision judiciaire tout en devant donner suite en même temps à une demande de communication, ce qui l’obligerait à dédoubler ses efforts et à répartir encore plus parcimonieusement les ressources judiciaires.
La prorogation était‑elle raisonnable (et, sinon, était‑elle invalide)?
[113] La thèse de la demanderesse est que la prorogation du délai n’était pas conforme à l’article 9 et que, par conséquent, elle était invalide.
[114] La demanderesse cite l’arrêt Attaran c. Canada (Affaires étrangères), 2011 CAF 182, pour affirmer que le défendeur doit décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de proroger le délai en conformité avec les dispositions lui conférant ce pouvoir, ce qu’il n’a pas fait (au paragraphe 17) :
Pour reprendre les termes de la Cour suprême dans l’arrêt Criminal Lawyers’ Association, au paragraphe 46, un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi doit être exercé en conformité avec les objectifs sous‑jacents à son octroi. Cette affirmation est compatible avec l’arrêt Telezone dans lequel notre Cour a déclaré, au paragraphe 47, « lorsque la Loi confère au responsable d’une institution fédérale le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer un document visé par une exception, la légalité de l’exercice de ce pouvoir doit faire l’objet d’un examen s’appuyant sur les motifs qui permettent normalement, en droit administratif, de revoir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire administratif, notamment le caractère déraisonnable ». Un des motifs de révision d’une décision administrative vise le pouvoir discrétionnaire, qui doit être exercé conformément aux limites imposées dans la loi (voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 56). Ainsi, les parties ne contestent pas que notre Cour peut intervenir si l’intimé n’a pas pris en compte l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’instruire la demande.
[115] La demanderesse affirme qu’on ne peut permettre aux institutions fédérales de proroger sans fin des délais excessivement longs tout en demeurant à l’abri de tout examen.
[116] La demanderesse soutient que le ministère n’a pas démontré que la prorogation de délai satisfaisait aux critères prévus à l’alinéa 9(1)a) de la Loi pour être considérée comme raisonnable; bien que le nombre de documents demandés soit élevé, le ministère n’a pas expliqué en quoi le traitement de la demande entraverait le fonctionnement de son institution. De plus, le ministère n’a pas démontré que la prorogation de délai était raisonnable au sens de l’alinéa 9(1)b) de la Loi. De plus, le ministère n’a pas expliqué en quoi un délai de 880 jours pourrait être considéré comme raisonnable. La demanderesse signale par ailleurs que le ministère a considérablement surestimé le délai dont il avait besoin.
[117] La demanderesse affirme également que le ministère n’a pas tenu compte des facteurs pertinents, et notamment de l’objet de la Loi, et qu’il a tenu compte de facteurs non pertinents notamment en considérant que toute prorogation de délai ne pourrait être modifiée une fois établie.
[118] Le défendeur répète que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande tout en soutenant que les prorogations de délai fondées sur les alinéas 9(1)a) et b) de la Loi étaient raisonnables.
[119] Le défendeur affirme que le ministère a clairement informé la demanderesse de toutes les circonstances justifiant la nécessité de proroger le délai, notamment le nombre de documents demandés, la nécessité pour le ministère de procéder à un premier examen et de dresser la liste des documents qui pouvaient être envoyés à d’autres ministères pour consultation, en lui expliquant que le délai de 880 jours était conforme aux usages et qu’il était fondé sur le nombre de pages que contenait la demande actuelle, et qu’il serait nécessaire de consulter d’autres ministères et d’autres pays compte tenu de la nature des renseignements.
[120] Le défendeur signale que, dans ses observations, le directeur de l’AIPRP a expliqué plus en détail qu’il avait tenu compte de nombreuses variables, dont l’expérience déjà vécue avec des demandes semblables, la charge de travail d’un analyste responsable, la nécessité d’examiner les documents pour savoir si le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige s’appliquaient et, encore une fois, la nécessité de procéder à des consultations, peut‑être à plusieurs reprises.
[121] Le défendeur a également fait observer que l’institution ne dispose que de 30 jours pour évaluer le temps dont elle prévoit avoir besoin pour répondre à la demande et pour déterminer si des consultations externes sont nécessaires et pour estimer le temps que ces consultations externes peuvent prendre. Une fois que l’institution s’engage à respecter un délai, elle ne peut changer la date sous peine d’être présumée avoir refusé de communiquer les documents demandés. Il est donc raisonnable de la part d’une institution d’envisager les éventuelles causes de retard dès le début.
Il n’est pas nécessaire de déterminer si la prorogation est raisonnable
[122] Comme la Cour n’a pas compétence pour examiner la demande en vertu des articles 41 ou 42 de la Loi, elle n’a pas à se demander si la prorogation est raisonnable.
[123] Comme la demanderesse l’a fait observer, le pouvoir discrétionnaire de décider de proroger le délai doit être exercé en fonction des limites prévues par la loi. Dans le cas qui nous occupe, le défendeur a invoqué les motifs prévus aux alinéas 9(1)a) et b). Il s’est guidé sur cette disposition législative pour estimer le délai nécessaire. La demanderesse estime que les explications ou les raisons fournies ne sont pas raisonnables. Toutefois, cette question ne peut faire l’objet d’une révision.
[124] Comme nous l’avons déjà signalé, pour déterminer si un délai est raisonnable, il faut de façon générale tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce. Un délai de trois ans peut être raisonnable dans le cas de certaines demandes aux yeux de certaines institutions fédérales, mais non pour d’autres. Le commissaire à l’information n’est pas toujours bien placé pour déterminer si une prorogation est raisonnable et il doit bien comprendre la situation du défendeur.
[125] Ainsi que la Cour l’a fait observer dans l’arrêt AFPC, précité, au paragraphe 21 et dans les autres décisions mentionnées, il n’appartient pas à la Cour de se substituer à l’institution fédérale pour décider si la prorogation est raisonnable.
[126] Les ministères qui répondent à des demandes de communication de renseignements ne peuvent renoncer à leur obligation fondamentale de consacrer leurs ressources au traitement de demandes de communication de milliers de pages afin de respecter des délais brefs, voire irréalistes et impossibles à respecter. Il faut du temps pour recueillir des documents, les faire examiner par les fonctionnaires compétents, consulter d’autres ministères, déceler les cas d’exception, réexaminer le tout et procéder éventuellement à d’autres consultations.
[127] Les ministères doivent se conformer à la Loi et, pour ce faire, ils prorogent les délais. Si le respect du délai de 30 jours doit être prioritaire et l’emporter sur le respect du délai prorogé, il faut alors mettre à la disposition du ministère des ressources suffisantes. D’autres considérations de principe font ressortir la nécessité d’examiner la Loi après avoir consulté tous les intervenants.
Dépens
[128] Le défendeur réclame des dépens tant en ce qui concerne la requête en radiation de la demande que la demande.
[129] Compte tenu du fait que le défendeur n’a pas obtenu gain de cause sur la requête en radiation, il s’ensuit qu’il ne pourra obtenir les dépens de la requête.
[130] En ce qui concerne la demande, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que les enjeux qu’elle a soulevés sont importants et qu’ils concernent l’intérêt du public. Bien que la demanderesse n’ait pas obtenu gain de cause dans sa demande, il ne convient pas de la condamner aux dépens.
JUGEMENT
LA COUR :
1. Rejette la demande de contrôle judiciaire.
2. N’adjuge aucuns dépens.
ANNEXE
Dispositions applicables de la Loi sur l’accès à l’information
L’objet de la Loi est précisé au paragraphe 2(1) :
2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif. […] 4. […] |
Objet |
(2.1) Le responsable de l’institution fédérale fait tous les efforts raisonnables, sans égard à l’identité de la personne qui fait ou s’apprête à faire une demande, pour lui prêter toute l’assistance indiquée, donner suite à sa demande de façon précise et complète et, sous réserve des règlements, lui communiquer le document en temps utile sur le support demandé. […] |
Responsable de l’institution fédérale |
7. Le responsable de l’institution fédérale à qui est faite une demande de communication de document est tenu, dans les trente jours suivant sa réception, sous réserve des articles 8, 9 et 11 : a) d’aviser par écrit la personne qui a fait la demande de ce qu’il sera donné ou non communication totale ou partielle du document; b) le cas échéant, de donner communication totale ou partielle du document. […] |
Notification |
9. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut proroger le délai mentionné à l’article 7 ou au paragraphe 8(1) d’une période que justifient les circonstances dans les cas où : a) l’observation du délai entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution en raison soit du grand nombre de documents demandés, soit de l’ampleur des recherches à effectuer pour donner suite à la demande; b) les consultations nécessaires pour donner suite à la demande rendraient pratiquement impossible l’observation du délai; c) avis de la demande a été donné en vertu du paragraphe 27(1). Dans l’un ou l’autre des cas prévus aux alinéas a), b) et c), le responsable de l’institution fédérale envoie à la personne qui a fait la demande, dans les trente jours suivant sa réception, un avis de prorogation de délai, en lui faisant part de son droit de déposer une plainte à ce propos auprès du Commissaire à l’information; dans les cas prévus aux alinéas a) et b), il lui fait aussi part du nouveau délai. |
Prorogation du délai |
(2) Dans les cas où la prorogation de délai visée au paragraphe (1) dépasse trente jours, le responsable de l’institution fédérale en avise en même temps le Commissaire à l’information et la personne qui a fait la demande. |
Avis au Commissaire à l’information |
Il y a « présomption » de refus par application du paragraphe 10(3). Il ressort du libellé clair de la Loi qu’il y a « présomption de refus » lorsque le responsable de l’institution fédérale fait défaut de communiquer les documents demandés dans le délai prévu par la Loi — soit le délai de 30 jours prévu à l’article 7 soit le délai prorogé prévu à l’article 9 (Statham c. Société Radio‑Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421 (Statham) [précité], aux paragraphes 58 à 60). 10. […] |
|
(3) Le défaut de communication totale ou partielle d’un document dans les délais prévus par la présente loi vaut décision de refus de communication. […] |
Présomption de refus |
30. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Commissaire à l’information reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes : a) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la communication totale ou partielle d’un document qu’elles ont demandé en vertu de la présente loi; b) déposées par des personnes qui considèrent comme excessif le montant réclamé en vertu de l’article 11; c) déposées par des personnes qui ont demandé des documents dont les délais de communication ont été prorogés en vertu de l’article 9 et qui considèrent la prorogation comme abusive; d) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la traduction visée au paragraphe 12(2) ou qui considèrent comme contre-indiqué le délai de communication relatif à la traduction; d.1) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la communication des documents ou des parties en cause sur un support de substitution au titre du paragraphe 12(3) ou qui considèrent comme contre-indiqué le délai de communication relatif au transfert; e) portant sur le répertoire ou le bulletin visés à l’article 5; f) portant sur toute autre question relative à la demande ou à l’obtention de documents en vertu de la présente loi. |
Réception des plaintes et enquêtes |
(2) Le Commissaire à l’information peut recevoir les plaintes visées au paragraphe (1) par l’intermédiaire d’un représentant du plaignant. Dans les autres articles de la présente loi, les dispositions qui concernent le plaignant concernent également son représentant. |
Entremise de représentants |
(3) Le Commissaire à l’information peut lui-même prendre l’initiative d’une plainte s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une enquête devrait être menée sur une question relative à la demande ou à l’obtention de documents en vertu de la présente loi. […] |
Plaintes émanant du Commissaire à l’information |
41. La personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation. |
Révision par la Cour fédérale |
42. (1) Le Commissaire à l’information a qualité pour : a) exercer lui-même, à l’issue de son enquête et dans les délais prévus à l’article 41, le recours en révision pour refus de communication totale ou partielle d’un document, avec le consentement de la personne qui avait demandé le document; b) comparaître devant la Cour au nom de la personne qui a exercé un recours devant la Cour en vertu de l’article 41; c) comparaître, avec l’autorisation de la Cour, comme partie à une instance engagée en vertu des articles 41 ou 44. |
Exercice du recours par le Commissaire, etc. |
(2) Dans le cas prévu à l’alinéa (1)a), la personne qui a demandé communication du document en cause peut comparaître comme partie à l’instance. |
Comparution de la personne qui a fait la demande |