IMM-2621-13
2014 CF 596
Baoxian Jia (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Jia c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Gleason — Toronto, 4 juin; Ottawa, 23 juin 2014.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôles judiciaires regroupées sollicitant une ordonnance de mandamus pour obliger le défendeur à traiter leurs demandes au titre du Programme d’immigration des investisseurs (PII) du gouvernement fédéral, une catégorie de la composante « immigration économique » prévue à l’art. 90 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — La demande du demandeur principal (M. Jia), présentée en décembre 2009, n’a pas été traitée en raison du grand nombre de demandes semblables et de certains changements dans la façon dont Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) traitait les demandes — M. Jia faisait valoir que si le ministre n’avait pas changé les priorités de traitement, sa demande aurait été acceptée — La demande de visa de M. Jia, ainsi que celle de milliers d’autres personnes qui avaient présenté une demande au titre du PII, a été abolie par l’art. 87.5 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi ou la LIPR), entré en vigueur le 19 juin 2014 — Il s’agissait principalement de savoir s’il y avait lieu d’accorder une ordonnance de mandamus — La LIPR confère au ministre le droit et l’obligation d’évaluer les besoins d’immigration du Canada et de fixer le nombre d’immigrants à accueillir — Les éventuels immigrants n’ont pas le droit d’obliger le ministre à fixer un quota particulier pour une catégorie économique quelconque — La portée de l’obligation dont le ministre devait s’acquitter en l’espèce était de traiter les demandes dans un délai raisonnable — Les délais auxquels les demandeurs ont été confronté étaient raisonnables — Les déclarations qui ont été faites aux demandeurs par CIC étaient loin d’être assez claires pour fonder un droit contractuel et, en conséquence, elles ne donnaient pas lieu à une allégation de manquement à des attentes légitimes — Les demandeurs n’ont pas établi la présence des critères qui lui donneraient droit à une ordonnance de mandamus — Même si ces critères avaient été établis, un mandamus est une mesure de redressement en equity — Il n’aurait pas été équitable d’accorder la mesure, car elle aurait permis aux demandeurs de devancer d’autres demandeurs — Deux questions ont été certifiées — Demandes rejetées.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Les demandeurs sollicitaient une ordonnance de mandamus pour obliger le défendeur à traiter leurs demandes au titre du Programme d’immigration des investisseurs (PII) du gouvernement fédéral, une catégorie de la composante « immigration économique » prévue à l’art. 90 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — Dans le cadre de ces demandes, les demandeurs ont fait valoir que le prétendu retard du ministre à traiter leurs demandes violait le droit que leur confère l’art. 7 de la Charte — Aucune attente légitime relative à l’équité procédurale fondée sur l’art. 7 de la Charte n’a été violée — Aucun droit de l’art. 7 n’était en jeu — La décision de chercher à immigrer était volontaire — Il ne s’agissait pas d’un cas où la détresse psychologique donnant lieu à un droit protégé en vertu de l’art. 7 de la Charte était accompagnée et causée par des conséquences physiques imposées par la loi — La possibilité d’immigrer, en particulier à titre de personne appartenant à une catégorie d’immigrants économiques, ne compte pas parmi les choix reliés à l’autonomie personnelle qui font intervenir l’art. 7.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Les demandeurs sollicitaient une ordonnance de mandamus pour obliger le défendeur à traiter leurs demandes au titre du Programme d’immigration des investisseurs (PII) du gouvernement fédéral, une catégorie de la composante « immigration économique » prévue à l’art. 90 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — Dans le cadre de ces demandes, les demandeurs ont fait valoir que le prétendu retard du ministre à traiter leurs demandes violait le droit que leur confère l’art. 15 de la Charte — Le fait que les demandeurs auraient subi un traitement différent et préjudiciable qui serait fondé sur leurs destinations prévues au Canada, parce qu’ils ont été soumis à des files d’attente plus longues et à un traitement moins favorable que dans le cas d’immigrants investisseurs ayant décidé de s’établir au Québec, ne constituait pas une violation de l’art. 15 parce que cette différence de traitement n’était pas fondée sur un motif que l’art. 15 protège.
Il s’agissait de demandes regroupées de contrôle judiciaire sollicitant une ordonnance de mandamus pour obliger le défendeur à traiter leurs demandes au titre du Programme d’immigration des investisseurs (PII) du gouvernement fédéral, une catégorie de la composante « immigration économique » prévue à l’article 90 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement).
Le demandeur dans la demande principale (M. Jia) est originaire de la Chine. En décembre 2009, il a présenté une demande au bureau des visas du Canada à Hong Kong, souhaitant être admis au Canada à titre de membre de la catégorie des investisseurs, une catégorie de la composante « immigration économique » prévue à l’article 90 du Règlement. Sa demande n’a pas été traitée en raison du grand nombre de demandes semblables d’autres éventuels immigrants et aussi, peut-être, de certains changements dans la façon dont Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) traitait les demandes présentées au titre du PII. À cause de ces changements, les demandes comme celle du demandeur ont été ralenties dans la file de traitement parce que le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre ou le défendeur), a adopté des critères de traitement modifiés, qui ont fait en sorte que l’on traite en parallèle des demandes plus anciennes — comme celle du demandeur — en même temps que des demandes plus récentes, déposées en vertu de critères modifiés et plus stricts.
M. Jia faisait valoir que si le ministre n’avait pas changé les priorités de traitement ou fixé le quota des demandes à des niveaux artificiellement bas, sa demande aurait été acceptée à l’heure actuelle et il se serait vu accorder le droit d’établissement à titre de membre de la catégorie des investisseurs.
La demande de visa de M. Jia, ainsi que celle de milliers d’autres personnes qui ont présenté une demande au titre du PII, a été abolie par l’article 87.5 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (la Loi ou la LIPR), entré en vigueur le 19 juin 2014 et qui a pour effet d’annuler toutes les demandes de visa d’étrangers dans la catégorie des investisseurs qui ne répondaient pas à certaines exigences en date du 11 février 2014. M. Jia sollicitait au départ une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de traiter dans les 12 mois suivants sa demande au titre du PII. Il a maintenu sa demande de mandamus mais, au vu de l’article 87.5 de la LIPR, il sollicitait maintenant une ordonnance de mandamus en vue d’exiger que le ministre traite sa demande de visa, indépendamment de l’adoption de cet article.
Les demandeurs faisaient aussi valoir que le prétendu retard du ministre à traiter leurs demandes violait les droits que leur conféraient les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) (ou d’autres prétentions à l’égalité formulées en termes plus larges) et que le prétendu favoritisme disproportionné en faveur des demandes du Québec violait ce que les demandeurs appellent le « principe du fédéralisme ».
Il s’agissait principalement de savoir s’il y avait lieu d’accorder une ordonnance de mandamus, s’il y avait eu un manquement aux droits que la Charte confère aux demandeurs et si le défendeur avait par ailleurs violé la Constitution dans la manière dont il avait traité la demande.
Jugement : les demandes doivent être rejetées.
En matière d’immigration, la LIPR confère au ministre le droit — et l’obligation — d’évaluer les besoins d’immigration du Canada et de fixer le nombre d’immigrants à accueillir chaque année en tant que membres des diverses catégories économiques. Cela ressort clairement de l’économie tout entière de la Loi et, en particulier, des articles 11, 12 et 87.3 ainsi que du paragraphe 94(2). À cet égard, il convient de noter que les articles 11 et 12 de la LIPR, soit les dispositions qui établissent la possibilité d’immigrer en tant que membre d’une catégorie économique, sont libellés en termes permissifs, de sorte que le simple fait d’avoir présenté une demande ne procure pas un droit absolu à la délivrance d’un visa. Les éventuels immigrants n’ont pas le droit d’obliger le ministre à fixer un quota particulier pour une catégorie économique quelconque. Cette conclusion est conforme aux principes de longue date selon lesquels nul ne possède le droit d’immigrer. Le ministre a le droit de fixer des quotas par catégorie d’immigrants et de changer les priorités en matière de traitement qui s’appliquent aux demandes d’immigration en instance. Par conséquent, la portée de l’obligation dont le ministre devait s’acquitter en l’espèce était de traiter les demandes au titre du PII des demandeurs dans un délai raisonnable.
Pour évaluer si un délai dans le traitement d’une demande de visa a été déraisonnable, il faut prendre en compte la totalité des circonstances pertinentes. Celles-ci comportent le nombre des demandes reçues ainsi que les priorités et les objectifs que fixe le ministre sous le régime de la LIPR. Il est nécessaire, pour déterminer le caractère raisonnable du délai, de bien saisir où se situent les demandes des demandeurs au sein du régime de l'immigration, ce qui peut justifier de façon légitime le traitement plus long de certains types de demandes. Les délais auxquels ont été confrontés les demandeurs en l’espèce n’étaient pas déraisonnables. Il n’y avait aucune preuve que l’une de leurs demandes avait été retirée de la place appropriée qu’elle occupait dans la file ou que le défendeur en avait par ailleurs fait abstraction. Le délai de traitement a plutôt été tout simplement fonction du nombre très considérable de demandes reçues ainsi que des quotas et des priorités en matière de traitement que le ministre avait légitimement fixés en vertu du pouvoir que lui conféraient la Loi et le Règlement.
Les déclarations qui ont été faites aux demandeurs dans des lettres types, des manuels ou des sites Internet ne donnent tout simplement pas lieu à une affirmation quelconque qui lierait le défendeur au sujet du temps pendant lequel les demandes au titre du PII seraient en voie de traitement ou du degré de priorité que l’on accorderait à leur examen. En premier lieu, rien n’aurait permis à un demandeur de visa de présumer que les quotas ou les priorités de traitement ne changeraient pas. Il est bien établi qu’une loi peut avoir un effet rétroactif si elle le prévoit et qu’elle peut supprimer ou changer des expectatives bien établies. En second lieu, rien ne permet de conclure que l’on a fait aux demandeurs des observations qu’il faudrait considérer comme contraignantes. Les lettres d’accusé de réception indiquaient que les estimations relatives au traitement pouvaient changer. Quant aux instructions opérationnelles de 2006, elles ne promettaient aucun délai de traitement que ce soit. Aucune observation n’a été faite aux demandeurs sur laquelle ils auraient eu le droit de se fonder quant au moment où leur demande serait traitée ou que leur demande serait traitée plus vite qu’elle ne l’a été ou dans un ordre de priorité particulier. Il n’y a pas eu de délai déraisonnable dans le traitement des demandes des demandeurs.
Bien qu’il y ait dans la jurisprudence un certain appui en faveur de l’idée qu’une instance administrative peut être tenue de se conformer à une procédure qu’elle a promis de suivre, la partie qui cherche à faire respecter une promesse doit montrer que celle-ci a été clairement faite. En général, on juge suffisamment précise pour les besoins de la théorie de l’attente légitime l’affirmation gouvernementale qui, si elle avait été faite dans le contexte du droit contractuel privé, serait suffisamment claire pour être susceptible d’exécution. Les déclarations que CIC a faites en l’espèce étaient loin d’être assez claires pour fonder un droit contractuel et, en conséquence, elles ne donnaient pas lieu à une allégation de manquement à des attentes légitimes.
Les demandeurs n’ont donc pas établi la présence des critères qui leur donneraient droit à une ordonnance de mandamus. Même si la présence de ces critères avait été établie, un mandamus est une mesure de redressement en equity. Ici, il n’aurait pas été équitable d’accorder la mesure de redressement souhaitée — même s’il y avait un fondement pour le faire —, car cette mesure aurait permis aux demandeurs de devancer d’autres demandeurs au titre du PII, qui n’ont pas présenté une demande à la Cour.
Quant aux motifs fondés sur la Charte, il existe une importante jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale selon laquelle les étrangers situés à l’extérieur du Canada n’ont aucun droit en vertu de la Charte à l’égard des activités qui ont lieu à l’étranger. Il n’était pas nécessaire de décider en l’espèce si la Charte étendait effectivement des droits aux demandeurs, car, même s’ils en détenaient, aucun d’entre eux n’a été violé dans le cadre du traitement de leurs demandes de visa.
Pour ce qui est de l’argument fondé sur l’article 7 de la Charte selon lequel cet article leur garantirait l’équité procédurale, ce qui consisterait, notamment, à exiger que le ministre s’en tienne à leurs attentes légitimes, aucune attente de cette nature n’a été violée. Dans le cas présent, aucun droit cité à l’article 7 n’était en jeu. La décision des demandeurs de chercher à immigrer au Canada était volontaire. Il ne s’agissait pas d’un cas où la détresse psychologique donnant lieu à un droit protégé en vertu de l’article 7 de la Charte était accompagnée et causée par des conséquences physiques imposées par la loi. La possibilité d’immigrer, en particulier à titre de personne appartenant à une catégorie d’immigrants économiques, ne compte pas parmi les choix reliés à l’autonomie personnelle qui font intervenir l’article 7. La possibilité d’immigrer au Canada suite à l’acceptation d’une demande peut changer le cours d’une vie, mais elle ne met en cause aucun droit à la vie ou à la liberté.
L’argument invoqué en vertu de l’article 15 de la Charte voulant que les demandeurs ont subi un traitement différent — et préjudiciable — qui est fondé sur leurs destinations prévues au Canada, parce qu’ils ont été soumis à des files d’attente plus longues et à un traitement moins favorable que dans le cas d’immigrants investisseurs ayant décidé de s’établir au Québec, n’a pas été retenu. Même si l’on présumait que c’était bel et bien le cas, cette différence de traitement ne constitue pas une violation de l’article 15 de la Charte parce qu’elle n’est pas fondée sur un motif que cet article protège.
Les questions suivantes ont été certifiées, à savoir 1) si les personnes qui ont été soumises à un long délai d’attente avant l’évaluation de leurs demandes d’immigration dans la catégorie « investisseurs », en raison des objectifs annuels et des instructions ministérielles établis en vertu de l’article 87.3 de la LIPR, ont droit à une ordonnance de mandamus en vue d’obliger à traiter leurs demandes, et 2) si un tel délai viole les droits que confèrent aux demandeurs les articles 7 ou 15 de la Charte ou le principe de la primauté du droit.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, nº 44], art. 6, 7, 15.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 36(2).
Loi d’exécution du budget de 2008, L.C. 2008, ch. 28, art. 118, 120.
Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19, art. 706, 709.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3, 11, 12, 74, 87.3, 87.5, 94(2).
Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers, R.R.Q. 1981, ch. I-0.2, règle 4.
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 88(1), 90, 102 à 104, 107 à 109.
JURISPRUDENCE CITÉE
décision appliquée :
Tabingo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 377, [2014] 4 R.C.F. 150.
décisions différenciées :
Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, [2003] 4 C.F. 189; Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 758, [2014] 1 R.C.F. 352; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791; Wilson v. British Columbia (Medical Services Commission) (1988), 53 D.L.R. (4th) 171, [1989] 2 W.W.R. 1 (C.A.C.-B.).
décisions examinées :
Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.); Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.); Vaziri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159; He c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 92; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 93; Fang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 94; Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 95; Kearney c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 96; Wurm c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 97; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 R.C.S. 125; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296.
décisions citées :
Agama c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 135; Mazarei c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 322; Mobasher c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 399; Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Zeng c. Canada (Procureur général), 2013 CF 104; Kinsel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1515, [2014] 2 R.C.F. 421; Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 957, [2012] 1 R.C.F. 413; Slahi c. Canada (Justice), 2009 CF 160; Amnistie internationale Canada c. Canada (Chef d’état-major de la Défense), 2008 CF 336, [2008] 4 R.C.F. 546; Winner v. S.M.T., [1951] R.C.S. 887; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Conseil canadien des églises c. Canada, [1990] 2 C.F. 534 (C.A.); Ruparel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 615 (1re inst.); Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 4837 (C.F. 1re inst.); Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 694; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, [2002] 4 R.C.S. 429; R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567; Bande et nation indiennes d’Ermineskin c. Canada, 2009 CSC 9, [2009] 1 R.C.S. 222; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, [2015] 1 R.C.F. 335; Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89; Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL); Di Bianca c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 935.
DOCTRINE CITÉE
Citoyenneté et Immigration Canada. Bulletin opérationnel 252 – le 2 décembre 2010. « Modifications réglementaires et administratives au Programme d’immigration des investisseurs fédéral », en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/
2010/bo252.asp>.
Citoyenneté et Immigration Canada. Bulletin opérationnel 566 – le 12 février 2014. « Demandes présentées au titre du Programme d’immigration des investisseurs (fédéral) et du Programme des entrepreneurs : budget de 2014 », en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/
guides/bulletins/2014/bo566.asp>.
DEMANDES regroupées de contrôle judiciaire sollicitant une ordonnance de mandamus pour obliger le défendeur à traiter leurs demandes au titre du Programme d’immigration du gouvernement fédéral, une catégorie de la composante « immigration économique » prévue à l’art. 90 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demandes rejetées.
ONT COMPARU
Rocco Galati et Timothy Leahy pour les demandeurs.
Lorne McClenaghan et Daniel Engel pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Rocco Galati, Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] La juge Gleason : M. Jia est originaire de la Chine. En décembre 2009, il a présenté une demande au bureau des visas du Canada à Hong Kong, souhaitant être admis au Canada à titre de membre de la catégorie des investisseurs, une catégorie de la composante « immigration économique » prévue à l’article 90 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Sa demande n’a pas été traitée en raison du grand nombre de demandes semblables d’autres éventuels immigrants de la catégorie des investisseurs et aussi, peut-être, de certains changements dans la façon dont Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) traitait les demandes présentées au titre du Programme d’immigration des investisseurs (PII) du gouvernement fédéral. À cause de ces changements, les demandes comme celle de M. Jia ont été ralenties dans la file de traitement parce que le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre ou le défendeur), a adopté des critères de traitement modifiés, qui ont fait en sorte que l’on traite en parallèle des demandes plus anciennes — comme celle de M. Jia — en même temps que des demandes plus récentes, déposées en vertu de critères modifiés et plus stricts.
[2] M. Jia fait valoir que si le ministre n’avait pas changé les priorités de traitement ou fixé le quota des demandes à des niveaux artificiellement bas, sa demande aurait été acceptée à l’heure actuelle et il se serait vu accorder le droit d’établissement à tire de membre de la catégorie des investisseurs. C’est la raison pour laquelle il a déposé la présente demande de contrôle judiciaire, sollicitant une ordonnance de mandamus pour obliger le défendeur à traiter sa demande au titre du PII.
[3] La demande de visa de M. Jia, ainsi que celle de milliers d’autres personnes qui ont présenté une demande au titre du PII, vient tout juste d’être abolie par une disposition récemment adoptée, l’article 87.5 [édicté par L.C. 2014, ch. 20, art. 303 (entré en vigueur le 19 juin 2014)] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi ou la LIPR), qui est entrée en vigueur à la fin de la semaine dernière et qui a pour effet d’annuler toutes les demandes de visa d’étrangers dans la catégorie des investisseurs ou celle des entrepreneurs qui ne répondaient pas à certaines exigences en date du 11 février 2014.
[4] Dans la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, M. Jia sollicitait au départ une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de traiter dans les 12 mois suivants sa demande au titre du PII. Il maintient sa demande de mandamus mais, maintenant, au vu de l’article 87.5 de la LIPR, il sollicite une ordonnance de mandamus en vue d’exiger que le ministre traite sa demande de visa, indépendamment de l’adoption de cet article.
[5] À l’époque où M. Jia a obtenu l’autorisation d’introduire la présente demande de contrôle judiciaire, il y en avait 94 autres, quasi identiques, que Me Leahy avait déposées pour le compte d’autres demandeurs se trouvant dans la même situation et qui avaient présenté une demande au titre du PII. Dans leurs demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire déposées auprès de la Cour, ces 94 autres demandeurs sollicitaient eux aussi des ordonnances de mandamus visant à obliger à traiter leurs demandes de visa. Par l’ordonnance datée du 7 mars 2014, ma collègue, la juge Mactavish, a accordé l’autorisation requise dans le cas des 95 demandes et les a regroupées afin qu’elles soient instruites avec celle de M. Jia. Une liste des 94 autres dossiers regroupés, et auxquels s’appliquent les présents motifs, est jointe ci-après en tant qu’annexe « A ».
[6] La grande majorité des 95 demandeurs, à l’instar de M. Jia, ont présenté leurs demandes au titre du PII au bureau des visas de Hong Kong, et ce, à diverses dates entre le 27 août 2008 et le 28 juin 2010, et leurs demandes n’ont pas été traitées pour les mêmes raisons que celles qui s’appliquent à M. Jia.
[7] Outre les demandeurs de Hong Kong, les demandes regroupées en comptent aussi sept qui émanent de personnes dont les demandes au titre du PII ont été envoyées depuis Damas au bureau des visas d’Ankara pour traitement, une demande unique présentée au bureau des visas de New Delhi (Inde), une autre présentée à Pretoria (Afrique du Sud) et une dernière venant d’Islamabad, qui a été envoyée au bureau des visas de Londres (R.-U.) pour traitement. Ces demandes ont été présentées entre le 29 octobre 2007 et le 27 juin 2010 et elles non plus n’ont pas été l’objet d’une décision finale.
[8] En plus de ces 95 dossiers, la Cour a maintenant entre les mains plus d’un millier d’autres demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire que Me Leahy a déposées pour le compte d’autres demandeurs au titre du PII, des demandes dans lesquelles ces derniers sollicitent également des ordonnances de mandamus en vue d’obliger le ministre à traiter leurs demandes de visa en dépit de l’article 87.5 de la LIPR. Par une ordonnance datée du 30 avril 2014 de la juge Mactavish, les présents motifs s’appliquent mutatis mutandis (c’est-à-dire, avec les modifications qui s’imposent) à chacune de ces autres demandes.
[9] Lors de procédures préalables à l’audience, les parties ont convenu que ces 95 dossiers regroupés seraient tranchés en fonction des éléments de preuve produits dans cinq dossiers principaux, soit un venant de chacun des bureaux des visas en cause, car il n’y a aucune différence notable entre les dossiers des différents bureaux. Les dossiers retenus sont :
1. Jia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-2621-13, pour Hong Kong;
2. Bansal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-2503-13, pour New Delhi;
3. Gholampour c. Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-2508-13, pour Londres;
4. Nasseri Karimi Vand c. Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-2510-13, pour Ankara;
5. Stopforth c. Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-3892-13, pour Pretoria.
[10] Après le dépôt de tous les éléments de preuve, et deux semaines seulement avant la date d’audience prévue, les demandeurs ont signifié un avis de question constitutionnelle dans lequel ils ont donné avis qu’ils entendaient faire valoir que le prétendu retard du ministre à traiter leurs demandes violait les droits que leur conféraient les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte) (ou d’autres prétentions à l’égalité formulées en termes plus larges) et que le prétendu [traduction] « favoritisme disproportionné en faveur des demandes du Québec » violait ce que les demandeurs appellent le [traduction] « principe du fédéralisme ».
[11] Le défendeur s’est opposé à la signification tardive de l’avis, mais il a fait des observations relativement détaillées sur les questions de nature constitutionnelle, tant dans son mémoire des arguments supplémentaires qu’au cours de sa plaidoirie. J’ai décidé qu’il y avait lieu de se prononcer sur les questions de nature constitutionnelle, malgré la signification tardive de l’avis, afin de mettre un terme à ces affaires. Les questions sur lesquelles il est nécessaire de se prononcer sont donc les suivantes :
1. Y a-t-il lieu d’accorder une ordonnance de mandamus dans l’un quelconque des dossiers?
2. Y a-t-il eu manquement aux droits que la Charte confère aux demandeurs?
3. Le défendeur a-t-il par ailleurs violé la Constitution dans la manière dont il a traité ces demandes?
4. Y a-t-il une question à certifier en vertu de l’article 74 de la LIPR en vue de prévoir la possibilité de porter en appel les dossiers dont il est question en l’espèce devant la Cour d’appel?
[12] Pour les motifs qui suivent, j’ai décidé que les demandeurs n’ont pas droit à une ordonnance de mandamus car ils n’ont pas établi que le ministre a manqué à une obligation quelconque envers eux parce qu’il n’y a pas eu, dans les circonstances, de délai déraisonnable dans le traitement de leurs demandes. Par ailleurs, même si ce n’était pas le cas, il serait néanmoins peu approprié de leur accorder le redressement qu’ils sollicitent car il serait inéquitable de le faire. Le défendeur n’a pas non plus manqué aux attentes légitimes que les demandeurs auraient pu avoir quant à la façon dont leurs demandes de visa seraient traitées ou du moment où cela aurait lieu. Les demandeurs n’ont donc pas droit à un redressement de la nature d’une ordonnance de mandamus.
[13] J’ai également conclu que même si les demandeurs possèdent des droits en vertu de la Charte (ce qui n’est peut-être pas le cas), le défendeur, dans ces affaires, n’a violé aucun droit que prévoient soit l’article 7 soit l’article 15 de la Charte. J’ai par ailleurs décidé que les prétentions trop vagues qui ont été formulées dans le cadre des prétendues exigences du fédéralisme ou du principe de la primauté du droit sont sans fondement. Ces demandes seront donc rejetées.
[14] Enfin, vu le degré élevé d’entente entre les parties à propos de la question de la certification, et compte tenu du fait que des questions comparables à celles que les parties proposent ont récemment été certifiées par deux de mes collègues dans des affaires très semblables, j’ai jugé bon de certifier deux questions en vertu de l’article 74 de la LIPR.
[15] Avant d’analyser ces questions, il est nécessaire de passer en revue le contexte factuel dans lequel s’inscrivent ces demandes, ainsi que d’examiner les dispositions législatives applicables car elles sont différentes de celles qui étaient en vigueur à l’époque où ont été tranchées les décisions clés que les demandeurs invoquent.
I. Le contexte
[16] La preuve qui m’est soumise révèle que le Programme fédéral des investisseurs existe depuis plusieurs années. À l’époque où chacun des demandeurs visés par les 95 dossiers regroupés a présenté une demande au titre du PII, une personne devait avoir de l’expérience dans le domaine des affaires, une valeur nette de 800 000 $ et la capacité d’investir la somme de 400 000 $ en vue d’être admissible à titre d’investisseur. Pour ceux qui présentaient une demande au titre du PII avant le 1er décembre 2010 (ce qui a été le cas de tous ces demandeurs), et à condition que leurs demandes soient acceptées, il était obligatoire de consentir pour cinq ans, et sans intérêt, un prêt de 400 000 $ au gouvernement du Canada, qui distribuerait ensuite ces fonds aux provinces et aux territoires participants dans le but de financer le développement et la croissance économiques. Aucun des demandeurs n’a été appelé à avancer des fonds à titre d’investisseur parce qu’aucun de leurs dossiers n’a franchi le stade où un investissement était requis.
[17] Il ressort également de la preuve que, chaque année, en vertu des pouvoirs que la LIPR lui déléguait, le ministre a fixé un quota ou un objectif concernant le nombre d’immigrants inscrits au PII que le Canada accueillerait. Ce quota était établi à l’échelle mondiale, et le nombre total ainsi fixé était ensuite réparti entre divers bureaux des visas, en prenant pour base des facteurs tels que le nombre des demandes en instance dans les bureaux.
[18] En 2006, pour le PII, l’objectif mondial a été fixé à 1 015 investisseurs. Entre 2007 et 2010, cet objectif a varié entre 2 000 et 3 015, et en 2011 et en 2012, il a été fixé à 1 500 investisseurs. Il ressort de plus de la preuve qu’en ce qui concerne les années 2006 à 2012 (sauf 2007), le défendeur a atteint ou dépassé son objectif mondial et a traité le nombre prévu (ou plus) de demandes présentées au titre du PII.
[19] Les immigrants inscrits au PII ont été acceptés en vue de leur établissement à l’extérieur du Québec. Un programme distinct — règlementant une catégorie distincte d’immigrants — vise les investisseurs qui souhaitent s’établir au Québec : le Programme investisseurs du Québec (PIQ) (voir le Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers, R.R.Q. 1981, ch. I-0.2, règle 4, par contraste avec les articles 102 à 104 et 107 à 109 du Règlement). La province de Québec fixe pour le PIQ des objectifs distincts (en consultation avec les représentants fédéraux), qui, de façon générale, semblent avoir été supérieurs à 23 p. 100 des objectifs du PII (ou le pourcentage approximatif de la population canadienne résidant au Québec).
[20] Le Programme des investisseurs a eu de plus en plus de succès et, en 2010 (sinon avant), CIC a reçu des milliers de demandes au titre du PII, créant ainsi d’importants arriérés de demandes non traitées dans de nombreux bureaux des visas. En raison de cela, depuis 2008, un certain nombre de modifications législatives ont été apportées et un certain nombre de mesures administratives ont été prises en vue de réduire et d’éliminer cet arriéré.
II. Les dispositions législatives applicables
[21] Pour ce qui est tout d’abord des dispositions législatives pertinentes, une copie de ces dernières est annexée au complet à l’annexe « B » des présents motifs. Je ne passerai donc en revue ci-après que les dispositions les plus importantes.
[22] La première d’entre elles est l’article 3 de la LIPR, qui énonce les objectifs de la Loi. Pendant toute la période visée par les demandes dont il est question en l’espèce, ces objectifs consistaient à « permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages sociaux, culturels et économiques » (alinéa 3(1)a)), à enrichir et à renforcer « le tissu social et culturel du Canada dans le respect de son caractère fédéral, bilingue et multiculturel » (alinéa 3(1)b)), à favoriser « le développement économique et la prospérité du Canada et [à] faire en sorte que toutes les régions puissent bénéficier des avantages économiques découlant de l’immigration » (alinéa 3(1)c)) et à atteindre « par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral après consultation des provinces » (alinéa 3(1)f)).
[23] Le paragraphe 11(1) de la LIPR, qui n’a pas changé depuis le jour où les 95 demandeurs ont présenté une demande au titre du PII, confère le pouvoir légal de délivrer des visas. Ce paragraphe dispose qu’un étranger doit, avant d’entrer au Canada, « demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement ». Il mentionne ensuite qu’un visa peut être délivré si un agent des visas est convaincu que l’étranger n’est pas interdit de territoire et répond aux exigences de la Loi.
[24] L’article 12 de la LIPR, qui lui non plus n’a pas changé depuis le jour où les 95 demandeurs ont présenté une demande au titre du PII, fait état des catégories d’immigrants qui peuvent être sélectionnés à titre de résidents permanents, en établissant les catégories du regroupement familial, de l’immigration économique et des réfugiés. Pour ce qui est de la catégorie « immigration économique » (dont la catégorie des investisseurs est une sous-catégorie), le paragraphe 12(2) de la LIPR indique que « [l]a sélection des étrangers de la catégorie “immigration économique” se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada. »
[25] Le paragraphe 94(2) de la LIPR confère au ministre le pouvoir — et la responsabilité —de déclarer le nombre d’étrangers qui sont devenus résidents permanents au cours de l’année précédente, ainsi que le nombre de ceux dont il est prévu qu’ils le deviendront l’année suivante.
[26] Le 18 juin 2008, le Parlement a adopté la Loi d’exécution du budget de 2008, L.C. 2008, ch. 28 (la LEB), qui a ajouté [à l’article 118] l’article 87.3 à la LIPR. Ce nouvel article 87.3, qui s’appliquait à de nombreux types de demandes de visa, y compris celles qui concernaient les diverses catégories dites économiques, prévoyait en partie ce qui suit :
87.3 […] |
|
(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral. |
Atteinte des objectifs d’immigration |
(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment en précisant l’un ou l’autre des points suivants : a) les catégories de demandes à l’égard desquelles s’appliquent les instructions; b) l’ordre de traitement des demandes, notamment par catégorie; c) le nombre de demandes à traiter par an, notamment par catégorie; d) la disposition des demandes. dont celles faites de nouveau. |
Instructions |
(4) L’agent — ou la personne habilitée à exercer les pouvoirs du ministre prévus à l’article 25 — est tenu de se conformer aux instructions avant et pendant le traitement de la demande; s’il ne procède pas au traitement de la demande, il peut, conformément aux instructions du ministre, la retenir, la retourner ou en disposer. […] |
Respect des instructions |
(7) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir du ministre de déterminer de toute autre façon la manière la plus efficace d’assurer l’application de la loi. |
Précision |
[27] Il est important de signaler que l’article 120 de la LEB précisait :
120. L’article 87.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne s’applique qu’à l’égard des demandes faites à compter du 27 février 2008. [En caractère gras dans l'original.] |
Demandes |
[28] C’est donc dire qu’avant d’être modifié de nouveau de la manière décrite ci-après, l’article 87.3 de la LIPR ne s’appliquait pas aux demandes de visa déposées avant le 27 février 2008.
[29] Le 29 juin 2012, la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19 a obtenu la sanction royale. Ce projet de loi omnibus a modifié l’article 87.3 de la LIPR en vue de conférer expressément au ministre le pouvoir de donner des instructions ministérielles sur le traitement des demandes, et ce, en « prévoyant des conditions, notamment par groupe, à remplir en vue du traitement des demandes ou lors de celui-ci » (alinéa 87.3(3)a.1)) et en prévoyant que les instructions ministérielles pouvaient, « lorsqu’elles le prévoient, s’appliquer à l’égard des demandes pendantes faites avant la date où elles prennent effet » (paragraphe 87.3(3.1)). Ces dispositions sont entrées en vigueur au moment de la sanction royale, soit le 29 juin 2012. En conséquence, contrairement à la première version de l’article 87.3 en vigueur avant le 29 juin 2012, la version modifiée prévoyait expressément que des instructions ministérielles pouvaient s’appliquer rétroactivement à des demandes en instance.
[30] De plus, ce texte de loi a ajouté le paragraphe (3.2) à l’article 87.3 de la LIPR. Ce paragraphe dispose que les instructions données en vertu de l’alinéa 87.3(3)c) « peuvent préciser que le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe, est de zéro. » Enfin, l’article 709 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable a abrogé l’article 120 de la LEB, effaçant ainsi tout doute quant à la possibilité que des instructions ministérielles s’appliquent à des demandes de visa déposées avant le 27 février 2008.
[31] L’article 87.3 a été modifié à quelques autres reprises par des lois budgétaires ultérieures, mais ces changements étaient mineurs et sont sans importance en l’espèce. Vu l’importance cruciale de l’article 87.3 de la LIPR pour les demandes dont il est ici question, il est reproduit dans son intégralité. En voici le texte actuellement en vigueur :
87.3 (1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visés aux paragraphes 11(1) et (1.01) — sauf à celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2) —, aux demandes de parrainage faites au titre du paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada, aux demandes de permis de travail ou d’études ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada. |
Application |
(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral. |
Atteinte des objectifs d’immigration |
(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions : a) prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions; a.1) prévoyant des conditions, notamment par groupe, à remplir en vue du traitement des demandes ou lors de celui-ci; b) prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe; c) précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe; d) régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau. |
Instructions |
(3.1) Les instructions peuvent, lorsqu’elles le prévoient, s’appliquer à l’égard des demandes pendantes faites avant la date où elles prennent effet. |
Application |
(3.2) Il est entendu que les instructions données en vertu de l’alinéa (3)c) peuvent préciser que le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe, est de zéro. |
Précision |
(4) L’agent — ou la personne habilitée à exercer les pouvoirs du ministre prévus à l’article 25 — est tenu de se conformer aux instructions avant et pendant le traitement de la demande; s’il ne procède pas au traitement de la demande, il peut, conformément aux instructions du ministre, la retenir, la retourner ou en disposer. |
Respect des instructions |
(5) Le fait de retenir ou de retourner une demande ou d’en disposer ne constitue pas un refus de délivrer les visas ou autres documents, d’octroyer le statut ou de lever tout ou partie des critères et obligations applicables. |
Précision |
(6) Les instructions sont publiées dans la Gazette du Canada. |
Publication |
(7) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir du ministre de déterminer de toute autre façon la manière la plus efficace d’assurer l’application de la loi. |
Précision |
III. Les dispositions règlementaires et les instructions ministérielles pertinentes
[32] Comme il a été mentionné plus tôt, avant le 1er décembre 2010 le paragraphe 88(1) du Règlement exigeait que les demandeurs de la catégorie des investisseurs prouvent qu’ils avaient une expérience des affaires, qu’ils possédaient une valeur nette de 800 000 $ et qu’ils accorderaient au gouvernement un prêt sans intérêt, sur cinq ans, d’un montant de 400 000 $. À compter du 1er décembre 2010, l’exigence de la valeur nette a été haussée à 1,6 million de dollars et le montant du prêt sans intérêt à 800 000 $. Les exigences financières accrues qui étaient énoncées au paragraphe 88(1) du Règlement s’appliquaient uniquement aux demandes présentées au titre du PII après le 1er décembre 2010 inclusivement et elles n’ont donc pas d’incidence sur les demandeurs visés par les demandes dont il est ici question, qui ont tous présenté leurs demandes avant cette date-là.
[33] Les instructions ministérielles [IM] données en vertu de l’article 87.3 de la LIPR s’appliquaient toutefois aux demandes de visa des demandeurs. Les premières (IM1), en vigueur du 29 novembre 2008 au 25 juin 2010, concernaient essentiellement les demandes relatives à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Pour ce qui était des demandes relatives à la catégorie des investisseurs, les IM1 prévoyaient simplement qu’elles seraient traitées « en fonction des priorités actuelles ».
[34] Les IM1 ont été remplacées par une deuxième série d’instructions ministérielles (IM2) le 26 juin 2010. Ces dernières prévoyaient une pause administrative dans l’acceptation de nouvelles demandes au titre du PII, une pause (appelée aussi « suspension ») qui s’étendrait jusqu’à l’entrée en vigueur des modifications règlementaires apportées à la définition d’un « investisseur » et d’un « investissement », lesquelles ont été promulguées le 1er décembre 2010. Les IM2 prévoyaient également qu’une fois que la pause administrative serait levée, les demandes à traiter au titre du PII qui avaient été déposées en vertu des exigences règlementaires « anciennes » et « nouvelles » seraient traitées simultanément. Les IM2 précisaient à cet égard que « [l]es demandes présentées dans le cadre du Programme d’immigration des investisseurs (fédéral) reçues à partir de la date d’entrée en vigueur des modifications règlementaires proposées […] devront, en tant que catégorie, être traitées en parallèle avec les demandes fédérales reçues avant la pause administrative, selon un ratio conforme aux exigences opérationnelles ».
[35] La série suivante d’instructions ministérielles, en vigueur à compter du 1er juillet 2011, a plafonné à 700 les nouvelles demandes au titre du Programme fédéral d’immigration des investisseurs qui seraient traitées chaque année. Pour le calcul du plafond, les instructions prévoyaient que l’« année » s’étendait du 1er juillet au 30 juin.
[36] La série suivante d’instructions ministérielles pertinentes, que le défendeur a appelée IM3 dans ses documents, est entrée en vigueur le 1er juillet 2012 et a établi une seconde pause administrative concernant l’acceptation des demandes à traiter au titre du PII : aucune ne serait acceptée à partir du 1er juillet 2012 inclusivement. Cette pause n’a pas été levée et, en fait, elle a été confirmée dans les instructions ministérielles suivantes, délivrées en janvier 2013; elles prévoient que la pause (appelée maintenant « moratoire temporaire ») concernant l’acceptation de nouvelles demandes au titre du PII demeurera en vigueur « jusqu’à nouvel ordre ».
[37] L’effet de ces diverses instructions est le suivant.
[38] Premièrement, aucune nouvelle demande de la catégorie des investisseurs n’est acceptée depuis juillet 2012. Ce fait n’a pas eu d’incidence sur les demandeurs en l'espèce, car la pause administrative a simplement empêché de nouveaux immigrants éventuels de présenter une demande au titre du PII à compter de juillet 2012.
[39] Deuxièmement, à partir de décembre 2010, les demandes déposées avant cette date ont été traitées en parallèle avec les nouvelles demandes déposées entre décembre 2010 et juillet 2012 en vertu des critères règlementaires rehaussés. Ce changement dans les priorités de traitement s’est répercuté sur les demandeurs, car le défendeur a mis fin à son ancien système de traitement des demandes au titre du PII (« premier entré, premier sorti ») en faveur du traitement parallèle d’« anciennes » demandes (comme celles des demandeurs) et de « nouvelles » demandes déposées entre décembre 2010 et juillet 2012.
IV. Les instructions et les bulletins opérationnels
[40] CIC a publié au fil des ans diverses instructions ou divers bulletins opérationnels, donnant d’autres conseils quant à la manière dont il faut traiter les demandes de la catégorie des investisseurs. Les parties reconnaissent que ces instructions et ces bulletins opérationnels sont disponibles par voie électronique et que des demandeurs, des consultants en immigration et des avocats les consultent souvent.
[41] La première instruction opérationnelle pertinente, datée du 8 juin 2006, a été rédigée avant l’important afflux de demandes au titre du PII. Ce document a instauré le processus de demande simplifié pour les demandes au titre du PII et a prévu ce qui suit au sujet de leur traitement :
L’étape du traitement : les bureaux des visas doivent mettre en place un système de rappel de façon à signaler les cas des catégories fédérales de l’immigration économique de quatre à six mois avant qu’ils ne procèdent à leur évaluation. On enverra alors au demandeur une lettre standard dans laquelle on lui demandera de fournir tous les documents à l’appui, c’est-à-dire une liste analogue à celle envoyée avec la lettre d’accusé de réception pour la demande simplifiée, à laquelle sera joint, au besoin, un formulaire IMM8 mis à jour et toute annexe nécessaire. Le demandeur devrait se voir accorder un délai de quatre mois pour présenter les documents à l’appui, et le dossier, être marqué « à rappeler » dans quatre ou cinq mois. Parce que les bureaux des visas pourront donc gérer le volume de demandes reçues « complétées », il sera raisonnable pour les demandeurs de s’attendre à ce que l’évaluation de leur demande commence sans tarder. Les bureaux des visas devraient normalement approuver la demande (dans l’attente des vérifications nécessaires), la refuser ou convoquer le demandeur à une entrevue dans les quelques semaines suivant la fin du délai de quatre mois accordé pour fournir les documents et/ou suivant la date à laquelle ils auront reçu les documents à l’appui. Si le bureau constate qu’il n’est pas en mesure de le faire, il devrait réduire le volume de cas pour lesquels il demande de fournir les documents à l’appui, jusqu’à ce que le bon rythme de traitement soit établi.
[42] Le 2 décembre 2010, un autre bulletin opérationnel a été diffusé : le Bulletin opérationnel no 252 [« Modifications réglementaires et administratives au Programme d’immigration des investisseurs fédéral »]. Après avoir exposé en détail l’obligation de traiter les demandes au titre du PII déposées avant décembre 2010 en parallèle avec celles déposées après cette date, ce bulletin indiquait :
Règle générale, les bureaux des visas doivent traiter les demandes au titre du PII fédéral selon le ratio suivant : deux anciennes demandes non traitées pour une nouvelle demande reçue à compter du 1er décembre 2010. Le ratio de traitement simultané des demandes de deux anciennes demandes pour une nouvelle demande est fourni à titre indicatif seulement; le ratio peut changer au fil du temps en fonction des exigences opérationnelles et ne peut être appliqué également à tous les bureaux des visas étant donné qu’il dépend du nombre de demandes au titre de la catégorie des investisseurs que doit traiter un bureau des visas donné.
[43] Enfin, en février 2014, CIC a publié le Bulletin opérationnel no 566 [« Demandes présentées au titre du Programme d’immigration des investisseurs (fédéral) et du Programme des entrepreneurs : budget de 2014 »], qui a indiqué que le traitement des demandes présentées au titre du PII « devrait être effectué conformément aux procédures administratives habituelles » jusqu’à l’entrée en vigueur de l’article 87.5 de la LIPR.
V. Les faits relatifs à chacun des cinq dossiers principaux
A. Hong Kong
[44] Voyons maintenant les faits qui se rapportent à chacun des cinq dossiers principaux. Comme il a été mentionné plus tôt, M. Jia a présenté sa demande en décembre 2009 au bureau des visas de Hong Kong. Sa demande, comme celles des 94 autres demandeurs dont il est ici question, a été présentée à titre sommaire et n’exigeait pas que l’on fournisse des renseignements détaillés (les demandes déposées après décembre 2010 devaient être accompagnées de renseignements plus complets).
[45] Après avoir reçu la demande, CIC a envoyé à M. Jia une lettre d’accusé de réception et a placé sa demande dans la file des demandes en attente de traitement. Cette lettre type indiquait que le bureau des visas de Hong Kong était [traduction] « en voie de traiter les demandes reçues au cours des 18 à 24 mois précédents; toutefois, la situation peut changer. Veuillez consulter le site Web de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour obtenir des renseignements à jour sur les délais de traitement à notre bureau ». La lettre indiquait ensuite l’adresse URL de la page du site Web de CIC où l’on pouvait prendre connaissance des délais de traitement mis à jour.
[46] CIC a mis à jour ces délais à intervalles périodiques sur son site Web, et à Hong Kong les délais de traitement moyen des demandes au titre du PII se sont allongés. Plus précisément, une attente de 37 mois a été annoncée comme délai de traitement en octobre 2010. En avril 2012, ce délai était passé à 44 mois et, en octobre de cette année, à 47 mois. En 2013, le délai de traitement des demandes présentées au titre du PII à Hong Kong avait augmenté à 51 mois en avril et, ensuite, à 56 mois en octobre. Au mois de mars 2014, ce délai de traitement, dans le cas de Hong Kong, était de 57 mois. Ces délais de traitement sont résumés dans le tableau suivant :
Bureau des visas de Hong Kong
Date |
Délai de traitement (en mois) |
22 octobre 2010 |
37 |
23 avril 2012 |
44 |
24 octobre 2012 |
47 |
24 avril 2013 |
51 |
30 octobre 2013 |
56 |
10 mars 2014 |
57 |
[47] À l’exception de l’année 2007, le bureau des visas de Hong Kong a atteint ou dépassé le quota de demandes au titre du PII qu’il était censé traiter chaque année. Les délais d’attente croissants étaient donc générés par le pourcentage de différence entre le nombre des demandes et le quota ou l’objectif attribué au bureau. À Hong Kong, le nombre des demandes au titre du PII non traitées s’établissait comme suit, entre 2006 et 2013 :
Bureau des visas de Hong Kong
Année |
Nombre de dossiers |
2006 |
1 645 |
2007 |
2 181 |
2008 |
2 368 |
2009 |
8 322 |
2010 |
15 875 |
2011 |
17 283 |
2012 |
16 340 |
2013 |
15 388 |
[48] Au mois de juin 2013, il y avait 5 500 dossiers qui précédaient la demande de M. Jia dans la file de traitement au bureau des visas de Hong Kong. À la date d’entrée en vigueur de l’article 87.5 de la LIPR, des milliers de dossiers avaient encore priorité sur le sien.
[49] L’avocat de M. Jia fait valoir que si le ministre avait fait deux choses différemment, la demande de son client serait traitée à présent. Plus précisément, il allègue que si le ministre n’avait pas instauré un système de traitement parallèle pour les « anciennes » et les « nouvelles » demandes au titre du PII, ou s’il avait fixé un quota supérieur, proportionnellement équivalent à celui fixé dans le cadre du PIQ, M. Jia se trouverait aujourd’hui au Canada. Par « proportionnellement équivalent », il veut dire : si le ministre avait fixé pour le PII des quotas fondés sur ceux du PIQ, majorés par la proportion dans laquelle la population du Canada, hors Québec, excède la population de cette province. Autrement dit, le demandeur fait valoir qu’il (ainsi que les autres demandeurs) aurait dû voir les demandes au titre du PII traitées sur la base du principe « premier entré, premier sorti » et qu’il aurait fallu nettement augmenter le nombre de ces demandes que le Canada acceptait chaque année.
[50] Je suis loin d’être convaincue que l’avocat des demandeurs a établi que si l’une ou l’autre de ces deux mesures avaient été adoptées, la demande de M. Jia (ou celle de n’importe lequel des autres demandeurs) aurait déjà été traitée. Quoi qu’il en soit, je suis disposée à admettre que le remaniement que fait l’avocat des chiffres relatifs au PII et au PIQ fait effectivement une telle démonstration en vue du règlement des présentes demandes, mais je préfère trancher ces dernières en me fondant sur des questions de principe plutôt que sur les éléments de preuve présentés.
B. New Delhi
[51] Les faits dont il est question dans les quatre autres dossiers principaux ne sont pas très différents de ceux que l’on relève dans celui de M. Jia. M. Bansal a présenté sa demande au Haut-commissariat du Canada à New Delhi (Inde) en novembre 2008. La lettre type d’accusé de réception qui lui a été envoyé indiquait :
[traduction] Vous aurez des nouvelles de notre part sur les résultats de l’évaluation de votre demande dans 12 mois. Veuillez ne pas communiquer avec nous avant les 12 mois suivant la réception de la présente lettre. Vu le nombre élevé de demandes de renseignements que nous recevons à notre bureau, il nous sera impossible d’y répondre dans un délai de moins de 12 mois.
[52] Les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), qui ont été déposées dans le cadre du dossier certifié du tribunal en l’espèce, indiquent que M. Bansal ou son fils ont fait un suivi de la demande auprès du Haut-commissariat à New Delhi et qu’ils ont été orientés vers le site Web de CIC pour prendre connaissance des délais de traitement mis à jour. Ces délais, comme ceux affichés pour Hong Kong, étaient longs et ils se sont allongés au fil du temps. Plus précisément, le site Web a fait état des estimations suivantes au sujet du délai de traitement moyen des demandes au titre du PII à New Delhi :
Bureau des visas de New Delhi
Date |
Délai de traitement (en mois) |
22 octobre 2010 |
28 |
27 avril 2011 |
34 |
27 octobre 2011 |
38 |
23 avril 2012 |
40 |
24 octobre 2012 |
47 |
24 avril 2013 |
49 |
30 octobre 2013 |
55 |
10 mars 2014 |
60 |
[53] La file de traitement des demandes au titre du PII à New Delhi était plus courte qu’à Hong Kong. Les nombres suivants de demandes se trouvaient dans la file de traitement à la fin de chacune des années situées entre 2006 et 2013 :
Bureau des visas de New Delhi
Année |
Nombre de dossiers |
2006 |
11 |
2007 |
32 |
2008 |
369 |
2009 |
877 |
2010 |
1 065 |
2011 |
1 016 |
2012 |
949 |
2013 |
845 |
[54] La demande de M. Bansal a avancé dans la file et, au milieu de l’année 2013, on lui a demandé de fournir d’autres documents à l’appui de sa demande. La première secrétaire de l’immigration en poste au Haut-commissariat du Canada à New Delhi a déclaré dans son affidavit, signé le 30 mai 2013, qu’elle prévoyait qu’une décision finale serait peut-être rendue sur la demande de M. Bansal vers le milieu de l’année 2014. À la date à laquelle les présentes demandes ont été instruites, aucune décision de cette nature n’avait encore été rendue.
C. Londres
[55] Au moment de sa demande, M. Gholampour vivait au Pakistan. Sa demande au titre du PII a été envoyée au bureau du Haut-commissariat du Canada à Londres (R.-U.) au début de 2010 pour traitement. La lettre type d’accusé de réception qu’employait le bureau de Londres indiquait ce qui suit :
[traduction] À l’heure actuelle, notre délai de traitement estimatif est de 12 à 18 mois. Veuillez noter que ce délai est fondé sur le nombre actuel des demandes et que les délais de traitement peuvent varier en fonction du changement de ce nombre.
[56] Comme dans le cas des autres bureaux des visas, Londres annonçait ses délais d’attente moyens concernant le traitement des demandes de visa sur le site Web de CIC. Dans le cas des demandes au titre du PII, ces délais étaient les suivants :
Bureau des visas de Londres
Date |
Délai de traitement (en mois) |
22 octobre 2010 |
25 |
27 avril 2011 |
26 |
27 octobre 2011 |
32 |
23 avril 2012 |
46 |
24 octobre 2012 |
55 |
24 avril 2013 |
55 |
30 octobre 2013 |
57 |
10 mars 2014 |
65 |
[57] Là aussi, la file d’attente était plus courte qu’à Hong Kong. À la fin de chaque année située entre 2006 et 2013, le nombre suivant de demandes au titre du PII attendait d’être traité à Londres (ou Islamabad) :
Bureaux des visas de Londres et d’Islamabad
Année |
Nombre de dossiers (Londres) |
Nombre de dossiers (Islamabad) |
2006 |
137 |
99 |
2007 |
293 |
121 |
2008 |
555 |
211 |
2009 |
735 |
250 |
2010 |
972 |
224 |
2011 |
1 082 |
12 |
2012 |
939 |
9 |
2013 |
779 |
10 |
[58] CIC a traité à Londres le nombre suivant de demandes « anciennes » et « nouvelles » venant d’Islamabad entre 2010 et 2013 :
Dossiers d’Islamabad traités à Londres
Année |
Nombre total de dossiers (« anciens » et « nouveaux » combinés) |
2010 |
S.O. |
2011 |
5 |
2012 |
29 |
2013 |
64 |
[59] Il semble, lorsqu’on considère toutes les années ensemble, que CIC a dépassé son objectif, tant pour Islamabad que pour Londres, au cours de la période de 2006 à 2012 mais que, dans certaines années, le nombre de demandes qu’il a traitées a été légèrement inférieur à l’objectif fixé.
[60] CIC a demandé que M. Gholampour fournisse d’autres documents à l’appui de sa demande mais, à la date de l’audience, aucune décision n’avait encore été rendue. La première secrétaire de la Section d’immigration du Haut-commissariat du Canada à Londres a déclaré dans son affidavit, signé le 7 juin 2013, qu’il allait falloir attendre au moins 18 mois à compter de cette date pour régler le dossier de M. Gholampour.
D. Ankara
[61] M. Nasseri Karimi Vand a présenté sa demande à l’ambassade du Canada à Ankara (Turquie) en octobre 2007. Il n’a pas reçu de lettre faisant état d’un délai de traitement estimatif mais, plutôt, un simple formulaire accusant réception de sa demande. Toutefois, comme dans d’autres dossiers, les délais estimatifs de traitement des demandes au titre du PII étaient annoncés sur le site Web de CIC. Ce dernier indiquait ce qui suit au sujet des délais estimatifs moyens du traitement des demandes au titre du PII qui se trouvaient au bureau des visas d’Ankara :
Bureau des visas d’Ankara
Date |
Délai de traitement (en mois) |
22 octobre 2010 |
34 |
27 avril 2011 |
33 |
27 octobre 2011 |
32 |
23 avril 2012 |
33 |
24 octobre 2012 |
54 |
24 avril 2013 |
63 |
30 octobre 2013 |
74 |
10 mars 2014 |
78 |
[62] À l’exception de 2009, CIC a atteint ses objectifs concernant le traitement des demandes au titre du PII à Ankara, de 2006 à 2011. Cependant, en 2012 le bureau des visas a été inondé de demandes de la Syrie, car le gouvernement canadien avait fermé son ambassade à Damas et des milliers de dossiers avaient été transférés depuis cette ville à Ankara. Le bureau des visas d’Ankara faisait également face à un vaste afflux de demandeurs de Téhéran. Cela a ralenti le travail de traitement, même si, d’après l’affidavit du premier secrétaire de l’ambassade du Canada à Ankara, signé le 19 juillet 2013, le bureau réussissait encore à atteindre 95 p. 100 de son objectif général concernant toutes les demandes du secteur « affaires » en 2012.
[63] Les nombres suivants de demandes en instance se trouvaient dans la file des demandeurs au titre du PII qui attendaient que l’on traite leurs dossiers à Ankara à la fin de chacune des années situées dans la période de 2006 à 2013 :
Bureau des visas d’Ankara
Année |
Nombre de dossiers |
2006 |
9 |
2007 |
12 |
2008 |
32 |
2009 |
81 |
2010 |
102 |
2011 |
72 |
2012 |
1 634 |
2013 |
1 553 |
E. Pretoria
[64] M. Stopforth a présenté sa demande au titre du PII au Haut-commissariat du Canada à Pretoria (Afrique du Sud) en 2010. La lettre type d’accusé de réception qui lui a été envoyée le 5 août 2010 indiquait : [traduction] « demandeurs du secteur “affaires” — nous évaluons présentement les dossiers reçus en avril 2005 ». Pour Pretoria, les délais de traitement estimatifs, entre 2006 et 2012, n’ont pas été annoncés sur le site Web de CIC, car ce bureau n’a pas réglé au moins 10 dossiers dans l’une quelconque de ces années.
[65] Il ressort de la preuve qu’aucun objectif n’a été attribué au bureau des visas de Pretoria pour l’une quelconque des années situées entre 2007 et 2012. Cependant, le nombre total de demandes en instance qui s’y trouvait était restreint. À la fin de chacune des années situées entre 2006 et 2013, le nombre total de demandes au titre du PII qui étaient en instance à Pretoria était le suivant :
Bureau des visas de Pretoria
Année |
Nombre de dossiers |
2006 |
6 |
2007 |
8 |
2008 |
23 |
2009 |
32 |
2010 |
36 |
2011 |
38 |
2012 |
36 |
2013 |
32 |
[66] De plus, malgré l’absence d’un quota, le bureau des visas de Pretoria a traité un petit nombre de demandes dans chacune des années situées entre 2006 et 2010, en 2012 ainsi qu’au cours de 2013. Le conseiller (immigration) en poste au Haut-commissariat du Canada à Pretoria a déclaré dans son affidavit, signé le 23 septembre 2013, que la demande de M. Stopforth était l’une des suivantes dans la file d’attente et qu’il prévoyait que le dossier serait traité au cours de 2014. À la date d’audition de la présente affaire, ce dossier n’avait pas encore été traité.
VI. Les demandeurs ont-ils droit à une ordonnance de mandamus?
[67] Examinons maintenant la requête des demandeurs en vue d’obtenir un redressement de la nature d’un mandamus, qui peut être accordé à l’encontre d’une instance administrative afin d’obliger qu’elle exécute une obligation légale d’agir à caractère public dont elle ne s’est pas acquittée. Le critère à appliquer pour déterminer à quel moment il convient d’accorder une ordonnance de mandamus est bien établi et il comporte les facteurs suivants, que la Cour d’appel fédérale a énoncés dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (Apotex) :
1. il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;
2. l’obligation doit exister envers le requérant;
3. il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation,
4. le requérant n’a aucun autre recours;
5. l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;
6. dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;
7. compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.
[68] Quand l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, d’autres considérations s’appliquent :
1. le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’injuste, d’oppressive ou qui dénote une irrégularité flagrante ou la mauvaise foi;
2. un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est illimité, absolu ou facultatif;
3. le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire limité doit agir en se fondant sur des considérations pertinentes par opposition à des considérations non pertinentes;
4. un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire limité dans un sens donné;
5. un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est épuisé, c’est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l’exécution de l’obligation.
[69] Ce critère a été appliqué dans des affaires d’immigration semblables à la présente (voir, p. ex., Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.) (Conille); Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, [2003] 4 C.F. 189 (Dragan); Vaziri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159 (Vaziri); Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 758, [2014] 1 R.C.F. 352 (Liang); Agama c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 135 (Agama); He c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 92 (He); Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 93 (Zhang); Fang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 94 (Fang); Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 95 (Jiang); Kearney c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 96 (Kearney); Wurm c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 97 (Wurm); Mazarei c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 322 (Mazarei); Mobasher c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 399 (Mobasher)).
[70] Si l’on applique ce critère à la présente affaire, le ministre concède qu’il avait, envers les personnes ayant présenté une demande au titre du PII, et tant que ce programme continuait d’exister, l’obligation de traiter leurs demandes d’une manière conforme aux exigences de la LIPR, du Règlement et des instructions ministérielles. La teneur de cette obligation est toutefois contestée.
[71] D’une part, les demandeurs laissent entendre que le ministre était tenu de traiter leurs demandes en fonction des critères de traitement qui étaient en vigueur au moment du dépôt des demandes et, par ailleurs, de fixer des quotas pour le PII à l’égard de régions du Canada autres que le Québec, et ce, dans une proportion (basée sur la population) qui équivalait à celle établie pour cette province dans le cadre du PIQ. D’autre part, le ministre conteste qu’il existait de telles obligations, faisant valoir à cet égard que la LIPR lui accordait le pouvoir discrétionnaire large, sinon absolu, de fixer le quota ou l’objectif auquel serait soumis le nombre de demandes au titre du PII à accepter chaque année et que les instructions ministérielles envisageaient expressément le changement des priorités de traitement de manière à établir le système de traitement en parallèle que les demandeurs contestent. Le ministre affirme donc que sa seule obligation à l’égard de ces demandes était de les traiter dans un délai raisonnable. Le défendeur ajoute que cela a été fait et que les délais que les demandeurs ont subis ne sont pas déraisonnables au regard de la totalité des faits et des dispositions applicables de la LIPR, du Règlement et des instructions.
[72] À mon avis, le défendeur a raison sur tous les points.
[73] À ce sujet, la LIPR et le Règlement n’obligeaient nullement le ministre à fixer un quota ou un objectif particulier quant au nombre des demandes au titre du PII qui pouvaient être acceptées dans une année, ni à se conformer à une priorité particulière en matière de traitement. Dans le même ordre d’idées, il n’était pas obligatoire de lier le quota établi pour le PII au nombre de demandes qui pouvait être fixé dans le cadre du PIQ, qui est un programme d’immigration tout à fait distinct. On ne peut pas non plus inférer ce genre d’obligations des clauses d’objet générales qui figurent à l’article 3 de la LIPR, comme le voudraient les demandeurs. Il faudrait un libellé nettement plus clair que celui que comporte l’article 3 pour limiter le pouvoir discrétionnaire que le législateur a conféré au ministre en vertu de la LIPR dans le but de déterminer le nombre et le type d’immigrants que le Canada accueillera. En bref, en matière d’immigration, la LIPR confère au ministre le droit — et l’obligation — d’évaluer les besoins d’immigration du Canada et de fixer le nombre d’immigrants à accueillir chaque année en tant que membres des diverses catégories économiques. C’est ce qui ressort clairement de l’économie tout entière de la Loi et, en particulier, des articles 11, 12 et 87.3 ainsi que du paragraphe 94(2).
[74] À cet égard, il convient de noter que les articles 11 et 12 de la LIPR, soit les dispositions qui établissent la possibilité d’immigrer en tant que membre d’une catégorie économique, sont libellés en termes permissifs, de sorte que le simple fait d’avoir présenté une demande ne procure pas un droit absolu à la délivrance d’un visa. Le fait qu’il ne soit pas nécessaire que le ministre accorde un visa à tous les demandeurs de visa est confirmé au paragraphe 94(2), aux termes duquel le ministre doit déclarer le nombre d’immigrants accueillis, et à l’article 87.3, qui permet au ministre de promulguer le genre d’instructions qui ont été données en l’espèce.
[75] C’est donc dire que d’éventuels immigrants n’ont pas le droit d’obliger le ministre à fixer un quota particulier pour une catégorie économique quelconque.
[76] Cette conclusion est conforme aux principes de longue date selon lesquels nul ne possède le droit d’immigrer. En fait, la Cour suprême du Canada a conclu que « [l]e principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non-citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada » (Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539 (Medovarski), au paragraphe 46; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711 (Chiarelli), à la page 733).
[77] La Cour a reconnu que le ministre a le droit de fixer des quotas par catégorie d’immigrants et de changer les priorités en matière de traitement qui s’appliquent aux demandes d’immigration en instance. Dans l’affaire Vaziri, qui a été tranchée avant l’ajout de l’article 87.3 à la LIPR, la juge Snider a confirmé au paragraphe 36 que même sans une telle disposition dans la loi le ministre avait le droit de fixer le nombre et le type d’immigrants à accueillir et qu’il pouvait prévoir le traitement parallèle de demandes déposées en fonction de critères différents, comme cela s’est passé en l’espèce. Dans l’affaire Liang, au paragraphe 53, une conclusion identique quant à la capacité du ministre de fixer des quotas, de changer les priorités en matière de traitement et de s’écarter du principe du « premier entré, premier sorti » a été elle aussi confirmée.
[78] C’est donc dire que la portée de l’obligation dont le ministre devait s’acquitter en l’espèce était de traiter les demandes au titre du PII des demandeurs dans un délai raisonnable.
[79] Pour évaluer si le ministre l’a fait, ma collègue, la juge Tremblay-Lamer, a énoncé le critère applicable dans la décision Conille, au paragraphe 23, en décrétant qu’un délai, pour être considéré comme déraisonnable, doit répondre à trois exigences :
1. le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;
2. le demandeur n'en est pas responsable;
3. l'autorité responsable du délai ne l'a pas justifié de façon satisfaisante.
[80] Ce critère a été appliqué dans la jurisprudence ultérieure (voir, p. ex., Vaziri, au paragraphe 51; Dragan, au paragraphe 54; Mobasher, au paragraphe 18; Liang, au paragraphe 26).
[81] Selon les demandeurs, le délai subi dans leur cas est déraisonnable, car il est long ou plus long que ceux que l’on a jugés déraisonnables dans d’autres affaires, dont Dragan et Liang, qui, soutiennent-ils, correspondent en tous points à la présente espèce. Je ne suis pas d’accord et je crois que ces deux affaires mettent en cause des situations qui étaient nettement différentes de celle dont il est question ici, et ce, pour plusieurs raisons.
[82] Tout d’abord, les dispositions législatives applicables examinées dans ces deux affaires étaient fondamentalement différentes.
[83] Dans la décision Dragan, le législateur avait retardé l’entrée en vigueur de nouvelles exigences visant les immigrants présentant une demande à titre de membres de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF) de façon à donner à ceux dont la demande était en instance le temps de la faire examiner en fonction des anciens critères. Le Comité parlementaire qui s’était penché sur la question avait recommandé de repousser la date d’entrée en vigueur des nouvelles exigences afin que l’on puisse traiter les demandes en instance en fonction des anciens critères. Ces recommandations avaient été établies par une loi. En même temps qu’il étudiait la question de la date d’entrée en vigueur des nouveaux critères, le Comité avait également fait plusieurs suggestions concernant des mesures que le ministère pouvait adopter pour veiller à ce que les demandes en instance soient traitées en temps opportun. Le ministre n’avait retenu aucune de ces suggestions, avec le résultat qu’un grand nombre de demandes en instance n’avaient pas été traitées avant la date limite. C’est à la lumière de ces faits que, dans la décision Dragan, le juge Kelen a conclu qu’il était approprié d’accorder un redressement de la nature d’un mandamus. Aucune recommandation de cette nature n’a été faite et écartée en l’espèce.
[84] Dans la décision Liang, les dispositions législatives étaient également différentes de celles qui étaient en vigueur à l’époque en cause dans le cas présent. Quand mon collègue, le juge Rennie, a tranché l’affaire Liang, l’article 120 de la LEB empêchait expressément d’appliquer de manière rétroactive des instructions ministérielles données en vertu de l’article 87.3 de la LIPR à une partie des demandes relevant de la catégorie des TQF dont il était saisi, c’est-à-dire celles déposées avant le 27 juin 2008. Comme il a été mentionné plus tôt, l’article 120 de la LEB a été abrogé, avec effet quelques semaines après la date de la décision rendue dans Liang. Ainsi, depuis le 29 juin 2012, le paragraphe 87.3(3.1) de la LIPR envisage expressément que les instructions ministérielles peuvent avoir un effet rétroactif sur les demandes en instance. Il s’agit là d’un effet qu’anticipaient par ailleurs les IM2, qui autorisaient le traitement parallèle de demandes au titre du PII anciennes et nouvelles. Ces faits établissent donc une distinction entre la situation des demandeurs en l’espèce et celle dont il était question dans la décision Liang (comme le juge Boivin l’a fait remarquer dans les décisions He, au paragraphe 28; Zhang, au paragraphe 28; Fang, au paragraphe 28; Jiang, au paragraphe 28; Kearney, au paragraphe 27; Wurm, au paragraphe 26).
[85] Deuxièmement, dans la décision Liang, le ministre, dans son rapport au Parlement, avait fait des observations au sujet des délais de traitement des demandes relevant de la catégorie des TQF qui n’ont pas été faites dans le cas qui nous occupe. Dans la décision Liang, le ministre avait indiqué qu’à compter de 2010 les délais de traitement des demandes relevant de la catégorie des TQF varieraient de 6 à 12 mois, car l’on imposait des plafonds au nombre des demandes que CIC allait accepter. En fin de compte, ces prévisions se sont révélées inexactes et les délais de traitement ont été nettement plus longs. Le juge Rennie a jugé que les prévisions faites par le ministre dans son rapport au Parlement (ainsi que dans un communiqué de presse) à propos des délais de traitement étaient concluantes pour le groupe des demandes auxquelles les estimations s’appliquaient, et il a déclaré ceci aux paragraphes 40 et 41 de la décision Liang :
La jurisprudence canadienne a reconnu, depuis longtemps, que les ministres ont le devoir d’exercer leurs obligations juridiques dans un délai raisonnable. Cette obligation juridique a longtemps coexisté avec l’idée que les ministres sont responsables de la gestion, et de la direction de leurs ministères, et qu’ils ont le pouvoir de faire des choix politiques et d’établir des priorités. Ces deux propositions, en apparence contradictoires, ont été conciliées par l’octroi au ministre d’une grande latitude lorsqu’il décide combien de temps il faut pour le traitement de tout type de demande, en fonction de ses choix politiques. Ainsi, si le ministre a décidé que les objectifs du Canada en matière d’immigration seraient mieux atteints par le traitement des demandes de parrainage de conjoints dans un délai moyen de quatre (4) ans, il n’appartient pas à la Cour de dire qu’elle croit que le ministre pourrait ou devrait traiter de telles demandes en deux (2) ans. Il revient au ministre, et non pas à la Cour, de gérer le ministère.
C’est la raison pour laquelle le temps de traitement prévu par le ministre, et le ministère se voit accorder tant de poids. Non seulement le ministre est le mieux placé pour savoir combien de temps le traitement d’une demande pourrait prendre, mais il s’est aussi vu accorder, par le législateur, le pouvoir d’établir ce temps de traitement d’une façon qui fait l’équilibre entre les divers objectifs de la LIPR. Toutefois, lorsqu’une demande a été retardée au-delà de ce temps de traitement, sans explication satisfaisante, la Cour a le droit d’intervenir, et d’obliger le ministre à remplir son obligation. Cette approche est compatible avec le principe selon lequel le ministre est responsable, devant le Parlement, de ses choix politiques et les tribunaux ne sauraient nier de tels choix [référence omise]. Ainsi, la retenue est accordée à la décision du ministre, lorsqu’il adopte des politiques, mais cette retenue a une limite : l’obligation juridique du ministre, en vertu de la LIPR.
[86] De plus, dans la décision Liang, le défendeur semblait avoir quasi concédé que les délais subis par les demandeurs de la catégorie des TQF ayant des demandes en instance plus anciennes étaient déraisonnables. À cet égard, le juge Rennie a noté, au paragraphe 28 de sa décision :
Les demandes antérieures au C-50 ont toutes été présentées avant le 27 février 2008. Les demandes les plus récentes dans ce groupe sont en cours depuis au moins quatre ans et demi (4 ans et ½), et certaines d’entre elles sont en attente de traitement depuis neuf (9) ans. Le ministre n’a pas vigoureusement soutenu qu’un tel délai n’équivaut pas, prima facie, à un délai plus long que ce que la nature du processus exige.
[87] Aucune concession semblable n’a été faite en l’espèce.
[88] Les décisions Liang et Dragan comportaient donc toutes deux des situations très différentes de la présente. En revanche, les 95 affaires dont il est question ici sont très semblables aux situations dont il était question dans les affaires He, Zhang, Fang, Jiang, Kearney, Wurm et Mobasher, et elles se comparent aussi à la situation dont il était question dans la décision Mazarei, des affaires dans toutes lesquelles les demandes de mandamus ont été refusées.
[89] Comme il a été expressément signalé ou comme il était implicite dans les affaires He, Zhang, Fang, Jiang, Kearney, Wurm, Mobasher et Mazarei, la Cour, pour évaluer si un délai dans le traitement d’une demande de visa a été déraisonnable, doit prendre en compte la totalité des circonstances pertinentes. Celles-ci comportent le nombre des demandes reçues ainsi que les priorités et les objectifs que fixe le ministre sous le régime de la LIPR. Comme l’a fait remarquer la juge Snider, au paragraphe 55 de la décision Vaziri, on ne peut pas appliquer machinalement des affaires antérieures pour régler la question de la durée acceptable du temps que prend CIC pour traiter des demandes de visa. Il est plutôt nécessaire, pour déterminer le caractère raisonnable du délai « de bien saisir où se situent les demandes des demandeurs au sein du régime de l'immigration », ce qui peut justifier de façon légitime le traitement plus long de certains types de demandes.
[90] Dans cette optique, les délais auxquels ont été confrontés les demandeurs en l’espèce ne sont pas déraisonnables. Pour dire les choses simplement, il n’y a aucune preuve que l’une de leurs demandes a été retirée de la place appropriée qu’elle occupait dans la file ou que le défendeur en a par ailleurs fait abstraction. Comme dans les affaires He, Zhang, Fang, Jiang, Kearney, Wurm et Mobasher, le délai de traitement a plutôt été tout simplement fonction du nombre très considérable de demandes reçues ainsi que des quotas et des priorités en matière de traitement que le ministre avait légitimement fixés en vertu du pouvoir que lui conféraient la Loi et le Règlement. Le fait que CIC ait été légèrement en déficit par rapport à ses objectifs pendant quelques années, dans quelques bureaux des visas, ne change pas cette conclusion, car ce fait n’a pas contribué de façon importante à la longueur des files d’attente. De plus, la situation à Ankara, causée par l’agitation au Moyen-Orient, explique tout à fait pourquoi ce bureau n’a pas atteint ses objectifs pour 2012.
[91] Les demandeurs soutiennent qu’il y a eu un délai déraisonnable dans le traitement de leurs dossiers car, prétendent-ils, CIC leur a fait savoir que leurs demandes seraient traitées nettement plus vite qu’elles ne l’ont été, et la Cour devrait considérer cela comme un aspect ayant force obligatoire. Aucun des demandeurs visés par les cinq affaires principales n’a produit une preuve quelconque qui corrobore cette prétention, mais je suis disposée à admettre qu’un grand nombre d’entre eux, au départ, croyaient et avaient confiance que l’on étudierait bien plus vite leurs demandes. Je suis également disposée à reconnaître qu’un grand nombre des demandeurs ont peut-être bien fait des choix en se basant sur ce qu’ils croyaient, comme tenir les fonds d’investissement requis dans des investissements liquides (ce qui les a peut-être amenés à vendre des biens de valeur) et décider d’envoyer leurs enfants dans des écoles ou des universités canadiennes. En fait, l’avocat des demandeurs a fait référence à l’affidavit de Jun Du, l’un des demandeurs dans l’une des demandes de mandamus déposées par la suite et auxquelles s’appliqueront les présents motifs. Selon cet affidavit, ce demandeur avait précisément fait ces genres de choix. Je reconnais donc qu’un grand nombre des demandeurs sont déçus par le temps qu’il a fallu pour traiter leurs demandes et qu’ils peuvent fort bien avoir subi des difficultés en raison du temps depuis lequel leurs demandes sont en instance. Toutefois, ces préoccupations bien réelles ne se traduisent pas en un droit à une ordonnance de mandamus.
[92] Outre le fait que les demandeurs n’aient pas droit à ce que leurs demandes soient traitées de la manière dont ils le souhaitent à cause des critères législatifs applicables, dont il a été question plus tôt, les déclarations qui leur ont été faites dans des lettres types, des manuels ou des sites Internet ne donnent tout simplement pas lieu à une affirmation quelconque qui lierait le défendeur au sujet du temps pendant lequel les demandes au titre du PII seraient en voie de traitement ou du degré de priorité que l’on accorderait à leur examen, et ce, pour plusieurs raisons.
[93] En premier lieu, rien n’aurait permis à un demandeur de visa de présumer que les quotas ou les priorités de traitement ne changeraient pas. Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada au paragraphe 47 de l’arrêt Medovarski, une autre affaire d’immigration : « [i]l faut s’attendre à ce que la loi change à l’occasion » En fait, il est bien établi qu’une loi peut avoir un effet rétroactif si elle le prévoit et qu’elle peut supprimer ou changer des expectatives bien établies (voir, p. ex., Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473, aux paragraphes 69 à 72).
[94] En second lieu, rien ne permet de conclure que l’on a fait aux demandeurs des observations qu’il faudrait considérer comme contraignantes. Ces derniers soutiennent qu’il faudrait considérer que les instructions opérationnelles du 8 juin 2006 et les lettres types créent de telles observations et qu’il faudrait leur accorder le même effet exécutoire qu’aux déclarations du ministre faites dans la décision Liang.
[95] Je ne suis pas d’accord parce qu’il y a plusieurs différences importantes entre les déclarations qui, d’après le juge Rennie, étaient exécutoires dans la décision Liang et les documents sur lesquels se fondent les demandeurs en l’espèce.
[96] Le plus important est que les déclarations dont il était question dans la décision Liang avaient été faites par le ministre lui-même, dans un rapport qu’il avait déposé au Parlement dans le cadre de l’exécution de ses obligations sous le régime de la LIPR. Un tel engagement ne peut pas être assimilé à des déclarations générales faites dans des lettres types du ministère ou des commentaires généraux sur le processus de traitement faits dans des instructions opérationnelles qui ont été supplantées par des modifications législatives et d’autres bulletins.
[97] Par ailleurs, les déclarations faites dans les lettres types ainsi que dans les instructions opérationnelles de 2006 sont nettement plus équivoques que celles dont il était question dans la décision Liang. Ici, dans la plupart des cas, les lettres d’accusé de réception indiquaient que les estimations relatives au traitement pouvaient changer. De plus, les demandeurs étaient orientés vers le site Web de CIC, et ils y auraient vu que les délais de traitement augmentaient progressivement, ce qui, auraient-ils dû comprendre, voulait dire que leurs demandes allaient être traitées beaucoup plus lentement à mesure que le temps avançait. Quant aux instructions opérationnelles de 2006, elles ne promettent aucun délai de traitement que ce soit; elles indiquent simplement, plutôt, qu’en 2006 il fallait habituellement un délai de quatre à six mois pour régler une demande après que CIC avait demandé au demandeur de fournir des documents supplémentaires. On ne peut pas considérer que ces déclarations créent des promesses quelconques quant au temps que pourrait durer le traitement à ce stade en 2013 après qu’une telle demande était faite, vu le nombre de changements qui sont survenus dans les années écoulées entre-temps, y compris le flot de demandes et les nombreux changements apportés à la loi, aux instructions et aux bulletins qui ont été promulgués depuis 2008. Je ne conclus donc pas que l’on a fait aux demandeurs des observations sur lesquelles ils ont le droit de se fonder quant au moment où leurs demandes seraient traitées et certes aucune observation portant que leurs demandes seraient traitées plus vite qu’elles ne l’ont été ou dans un ordre de priorité particulier.
[98] Les demandeurs laissent entendre que, à tout le moins, il faudrait considérer comme déraisonnable la manière dont le défendeur a traité la demande de M. Stopforth car, pendant plusieurs années, l’objectif attribué au bureau de Pretoria était de zéro, ce qui, soutiennent-ils, ne peut pas être raisonnable. Je ne suis pas d’accord car rien dans la Loi, dans le Règlement ou dans les instructions n’exige que l’on attribue chaque année un objectif à chacun des bureaux des visas. La preuve établit plutôt que les quotas sont fixés à une échelle mondiale par le ministre et que le nombre total des demandes à accepter par année est ensuite réparti entre les bureaux en fonction, dans une large mesure, du nombre des demandes qui y sont en instance. Si l’on considère les choses sous cet angle, l’attribution d’un objectif de zéro pour Pretoria pendant plusieurs années était une décision raisonnable, compte tenu du très faible arriéré de demandes dans ce bureau par rapport au nombre de demandes en instance dans d’autres bureaux. Par ailleurs, même si on ne lui a pas officiellement délégué un objectif, le bureau de Pretoria a néanmoins traité dans chaque année des demandes au titre du PII, mais une après la date à laquelle M. Stopforth a déposé sa demande. C’est donc dire que, même à Pretoria, il n’y avait pas de moratoire sur le traitement.
[99] Au vu de ce qui précède, je conclus qu’il n’y a pas eu de délai déraisonnable dans le traitement des demandes au titre du PII des demandeurs.
[100] Les demandeurs invoquent un argument subsidiaire à l’appui de leurs demandes de mandamus et affirment que le redressement devrait être accordé selon la théorie de l’attente légitime. Bien qu’il y ait dans la jurisprudence un certain appui en faveur de l’idée qu’une instance administrative peut être tenue de se conformer à une procédure qu’elle a promis de suivre (voir, p. ex., Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504, au paragraphe 42; et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 26 et 27), la partie qui cherche à faire respecter une promesse doit montrer que celle-ci a été clairement faite. Ainsi que l’a déclaré le juge Binnie, dans l’arrêt Mavi, au paragraphe 69 :
En général, on juge suffisamment précise pour les besoins de la théorie de l’attente légitime l’affirmation gouvernementale qui, si elle avait été faite dans le contexte du droit contractuel privé, serait suffisamment claire pour être susceptible d’exécution.
[101] Pour les raisons indiquées plus tôt, les déclarations que CIC a faites en l’espèce sont loin d’être assez claires pour fonder un droit contractuel et, en conséquence, elles ne donnent lieu à aucune allégation de manquement à des attentes légitimes.
[102] Les demandeurs n’ont donc pas établi la présence des critères qui leur donneraient droit à une ordonnance de mandamus.
[103] Enfin, je signale que même si la présence de ces critères avait été établie, un mandamus est une mesure de redressement en equity; la Cour doit donc être convaincue qu’il est équitable dans les circonstances de rendre l’ordonnance demandée, comme la Cour d’appel l’a conclu dans l’arrêt Apotex. Ici, il ne serait pas équitable d’accorder la mesure de redressement souhaitée — même s’il y avait un fondement pour le faire — car cette mesure permettrait aux demandeurs de devancer d’autres demandeurs au titre du PII, qui n’ont pas présenté une demande à la Cour. Comme l’ont conclu mes collègues, les juges Phelan, Tremblay-Lamer et Annis, dans les décisions Agama, aux paragraphes 20 et 21; Mobasher, au paragraphe 23; ainsi que Mazarei, au paragraphe 33, je crois également que ce point est une autre raison pour laquelle il ne convient pas en l’espèce d’accorder un mandamus.
[104] Il n’existe donc aucun fondement en droit administratif pour accorder la mesure de redressement que l’on sollicite en l’espèce.
VII. Les demandeurs ont-ils droit à un redressement en vertu de la Charte?
[105] Examinons maintenant les autres arguments, de nature constitutionnelle, que les demandeurs ont invoqués, en commençant par leurs prétentions fondées sur la Charte. La première question qui se pose à l’égard de ces prétentions a trait au fait de savoir si les demandeurs bénéficient ou non de droits garantis par la Charte.
A. Le droit d’invoquer la Charte
[106] Le défendeur soutient que les demandeurs, en tant que non-citoyens situés à l’étranger, ne possèdent aucun droit en vertu de la Charte et qu’il convient pour cette raison de rejeter leurs demandes de façon préliminaire. À l’appui de cette position, le défendeur invoque les affaires suivantes : R c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292 (Hape); Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, [2008] 2 S.C.R. 125 (Khadr); Tabingo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 377, [2014] 4 F.C.R. 150 (Tabingo); Zeng c. Canada (Procureur général), 2013 CF 104; Kinsel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1515 (Kinsel); Toronto Coalition to Stop the War c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 957, [2012] R.C.F. 413; Slahi c. Canada (Justice), 2009 CF 160; Amnistie internationale Canada c. Canada (Chef d’état-major de la Défense), 2008 CF 336, [2008] 4 R.C.F. 546.
[107] En revanche, les demandeurs font valoir qu’il y a lieu de rejeter cette objection car ils ont qualité pour invoquer les arguments fondés sur la Charte dans le contexte des demandes dont il est ici question, invoquant principalement les arrêts Winner v. S.M.T., [1951] R.C.S. 887, et Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177 (Singh). Les demandeurs font valoir, subsidiairement, que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada n’étaye pas la conclusion selon laquelle ils ne possèdent aucun droit garanti par la Charte car leur situation peut être distinguée de celles dans lesquelles la Cour suprême a conclu que les droits garantis par la Charte ne s’étendaient pas aux non-citoyens situés à l’étranger. À cet égard, ils ajoutent que les décisions que la Cour suprême a rendues dans les affaires Hape et Khadr mettaient en cause des sujets de préoccupation qui n’existent pas en l’espèce, à savoir les principes de la courtoisie judiciaire en droit international, parce que ces affaires visaient à faire appliquer la Charte à des mesures prises par des instances canadiennes en sol étranger. Les demandeurs font valoir, par contre, que dans le cas présent ils tentent simplement de faire en sorte que la Charte lie le ministre et ses délégués en rapport avec les mesures qu’ils ont prises sous le régime de la LIPR dans des circonstances où ces mesures ont été prises dans diverses ambassades et divers bureaux des visas du Canada situés aux quatre coins du globe. Ils affirment donc que les conclusions tirées dans les arrêts Hape et Khadr ne s’appliquent pas. Ils signalent aussi que, dans l’arrêt Singh, la Cour suprême n’a pas répondu à la question de savoir si les droits que confère l’article 7 de la Charte peuvent être invoqués par un éventuel immigrant ou demandeur d’asile situé à l’étranger.
[108] Les demandeurs offrent peut-être bien un fondement défendable qui permet d’établir une distinction d’avec ces décisions, mais ils omettent de traiter de l’importante jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale selon laquelle les étrangers situés à l’extérieur du Canada n’ont aucun droit en vertu de la Charte à l’égard des activités qui ont lieu à l’étranger. Plusieurs de ces affaires mettent en cause des situations qui sont analogues à celles auxquelles nous avons affaire ici (voir, p. ex., Conseil canadien des églises c. Canada, [1990] 2 C.F. 534 (C.A.); Ruparel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’immigration), [1990] 3 C.F. 615 (1re inst.); Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), CanLII 4837 (C.F. 1re inst.); Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 694; Kinsel).
[109] De plus, comme l’a signalé le juge Rennie dans la décision Tabingo, au paragraphe 62, les demandeurs confondent leur droit d’invoquer un argument avec une décision relative à la portée de leurs droits. Il leur est peut-être bien loisible de déposer une demande et de soulever une question relative à la Charte, mais cela ne veut pas dire que cette dernière leur confère des droits.
[110] Il n’est nul besoin de décider en l’espèce si la Charte étend effectivement des droits aux demandeurs car, même s’ils en détiennent, aucun d’entre eux n’a été violé dans le cadre du traitement de leurs demandes de visa.
B. L’article 7
[111] Pour ce qui, tout d’abord, de l’évaluation de leurs prétentions au regard de l’article 7 de la Charte, leur argument est axé sur la prétention suivante : ils affirment que l’article 7 leur garantit l’équité procédurale, ce qui consisterait, notamment, à exiger que le ministre s’en tienne à leurs attentes légitimes. Comme j’ai conclu qu’aucune attente de cette nature n’a été violée, il s’ensuit que cet argument doit être rejeté.
[112] Il y a toutefois une raison additionnelle pour laquelle leur argument fondé sur l’article 7 est rejeté : les demandeurs n’ont dans ces dossiers aucun droit qui tombe sous le coup de la protection qu’accorde l’article 7 de la Charte, qui est ainsi libellé :
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. |
Vie, liberté et sécurité |
[113] Pour évaluer s’il y a eu violation des droits d’une personne au sens de l’article 7, il est loisible à la Cour d’examiner en premier la question préliminaire de savoir si le droit en question est un « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de [la] personne », que protège la Charte. Cette question a été examinée dès le départ dans d’autres affaires (voir, p. ex., Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, au paragraphe 58; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 47).
[114] Dans le cas présent, pour les mêmes raisons que celles que le juge Rennie a énoncées dans la décision Tabingo, je conclus qu’aucun droit cité à l’article 7 n’est en jeu. La décision des demandeurs de chercher à immigrer au Canada était volontaire. Leur situation peut donc être distinguée de celle dont il était question dans l’arrêt R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; et Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791 (Chaoulli), les principaux arrêts de la Cour suprême que les demandeurs invoquent à l’appui de cette partie-là de leur argument. Dans ces affaires, la détresse psychologique qui, a-t-il été conclu, donnait lieu à un droit protégé en vertu de l’article 7 de la Charte, était accompagnée et causée par des conséquences physiques imposées par la loi. De plus, les droits en jeu dans ces affaires étaient nettement plus importants. À cet égard, je souscris sans réserve à la conclusion que le juge Rennie a tirée sur ce point, au paragraphe 99 de la décision Tabingo, et je la fais mienne :
J’admets que les demandeurs [ont peut-être bien] éprouvé du stress et des difficultés […] [et] que la situation de certains des demandeurs suscite beaucoup de sympathie. Cependant, l’immigration n’a pas un caractère intime, profond et fondamental qui la rende comparable au droit d’une femme au choix de procréer ou à la liberté des parents de prendre soin de leurs enfants. La possibilité d’immigrer, en particulier à titre de personne appartenant à une catégorie d’immigrants économiques, ne compte pas parmi les choix reliés à l’autonomie personnelle qui font intervenir l’article 7. La possibilité d’immigrer au Canada suite à l’acceptation d’une demande TQF peut changer le cours d’une vie, mais elle ne met en cause aucun droit à la vie ou à la liberté.
[115] Je ne suis pas d’avis que la décision rendue dans Wilson v. British Columbia (Medical Services Commission) (1988), 53 D.L.R. (4th) 171 (C.A.C.-B.) (Wilson), que les demandeurs invoquent, exige un résultat différent, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la Cour suprême du Canada ne l’a pas suivie dans sa jurisprudence, qui définit l’étendue des droits que protège l’article 7 de la Charte, et, en fait, elle est décalée par rapport à cette jurisprudence. Le fait que la Cour suprême ait refusé de donner son autorisation dans l’arrêt Wilson (même avec une formation de cinq juges) n’élève pas cette affaire au niveau d’un arrêt de la Cour suprême, car on ne peut pas considérer qu’un refus d’autorisation entérine le raisonnement formulé dans la décision de la cour d’instance inférieure.
[116] Deuxièmement, la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Wilson s’articulait à la fois autour des articles 6 et 7 de la Charte. L’article 6 — qui porte sur la liberté de circulation et d’établissement — s’appliquait car les appelants avaient la citoyenneté canadienne et étaient donc admissibles au droit à la circulation et à l’établissement ainsi qu’au droit de gagner leur vie dans une province. Ce fait a fortement influencé la manière dont la Cour a interprété l’article 7. Dans le cas présent, par contre, les demandeurs sont des non-citoyens et des non-résidents permanents, et ils ne détiennent aucun droit en vertu de l’article 6 de la Charte. En fait, comme il a été mentionné plus tôt, la Cour suprême a expressément reconnu dans les arrêts Medovarski et Chiarelli, en tant que principe de base du droit de l’immigration, que les non-citoyens et les non-résidents permanents n’ont aucun droit d’entrer au Canada. L’extension alléguée de l’article 7 de la Charte à la situation des demandeurs irait à l’encontre des décisions rendues dans ces affaires.
[117] Enfin, je ne suis pas liée par la décision Wilson. Comme je ne la trouve pas convaincante, je renonce à la suivre et j’adopte plutôt le raisonnement qu’a formulé le juge Rennie sur la question dans la décision Tabingo, un raisonnement qui, je crois, est exact.
[118] Il n’y a donc pas eu de violation de l’article 7 de la Charte dans le cas présent.
C. L’article 15
[119] Pour ce qui est des prétentions fondées sur l’article 15 de la Charte, l’avocat des demandeurs a concédé lors des plaidoiries qu’un argument fondé sur l’article 15, qui repose sur le pays de résidence des demandeurs, n’avait aucun fondement probant. Je conviens que dans le dossier qui m’a été soumis ce fondement est absent car aucune preuve ne corrobore l’existence d’une différence de traitement fondée sur les pays d’origine des demandeurs ou sur le lieu où ils ont présenté leurs demandes au titre du PII.
[120] En conséquence, l’unique argument invoqué en vertu de l’article 15 de la Charte est que les demandeurs ont subi un traitement différent — et préjudiciable — qui est fondé sur leurs destinations prévues au Canada parce qu’ils ont été soumis à des files d’attente plus longues et à un traitement moins favorable que dans le cas d’immigrants investisseurs ayant décidé de s’établir au Québec. Même si l’on présume que c’est bel et bien le cas, cette différence de traitement ne constitue pas une violation de l’article 15 de la Charte parce qu’elle n’est pas fondée sur un motif que cet article protège.
[121] À cet égard, l’article 15 ne s’applique pas à toutes les distinctions qu’une loi impose. Ce ne sont plutôt que les distinctions fondées sur des motifs qui sont soit énumérés à l’article 15 soit analogues à ces derniers qui donnent droit à la protection de la Charte. De plus, pour constituer une violation de l’article 15, il faut que la distinction contestée soit discriminatoire, ce qui est habituellement le cas si un traitement préjudiciable perpétue un stéréotype négatif ou poursuit le désavantage que subissent les personnes auxquelles s’applique le traitement préjudiciable (voir, p. ex., Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, aux pages 174, 175 et 182; Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, au paragraphe 23; Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, [2002] 4 R.C.S. 429, aux paragraphes 17 et 18; R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, aux paragraphes 17 et 18; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, au paragraphe 106; Bande et nation indiennes d’Ermineskin c. Canada, 2009 CSC 9, [2009] 1 R.C.S. 222, au paragraphe 188; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396, aux paragraphes 29 et 30).
[122] Les demandeurs ne peuvent faire ressortir aucune affaire antérieure dans laquelle il a été conclu que l’endroit où un immigrant souhaite s’établir constitue un motif analogue au sens de l’article 15 de la Charte. Il n’a pas été conclu non plus que le lieu de résidence d’une personne constitue, en soi, un motif analogue au sens de l’article 15 de la Charte.
[123] Pour déterminer ce qui constitue un motif analogue, il faut prendre en compte les motifs énoncés à l’article 15, soit la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. Dans l’arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203 (Corbiere), la Cour suprême a donné des précisions au sujet des caractéristiques d’un motif de distinction qui peuvent constituer un motif analogue au sens de l’article 15 de la Charte. Au paragraphe 60 de cet arrêt, les juges McLachlin (aujourd’hui juge en chef) et Bastarache, s’exprimant au nom de la majorité, ont déclaré :
L’existence d’un motif analogue peut ressortir de la nature fondamentale de la caractéristique en cause, en d’autres mots: Est-ce que, considérée du point de vue d’une personne raisonnable dans la situation du demandeur, cette caractéristique est importante pour leur identité, leur personnalité ou leur sentiment d’appartenance. Le fait qu’une caractéristique soit immuable, difficile à changer ou modifiable uniquement à un prix personnel inacceptable peut également entraîner sa reconnaissance comme motif analogue [références omises]. Un autre élément central de l’analyse est la question de savoir si les personnes définies par la caractéristique sont dépourvues de pouvoir politique, défavorisées ou susceptibles de le devenir ou de voir leurs intérêts négligés [références omises]. Un indice supplémentaire est le fait que le motif soit inclus ou non dans les lois fédérales et provinciales sur les droits et libertés de la personne […]
[124] Dans l’arrêt Corbiere, la Cour suprême a conclu que le statut hors réserve de membres d’une bande indienne constituait un motif analogue au sens de l’article 15, d’après le critère énoncé ci-dessus. Cependant, en arrivant à cette conclusion, la Cour a pris soin de signaler que la résidence des Indiens est sui generis et que, de ce fait, la conclusion tirée dans cette affaire n’établit pas que la résidence, réelle ou potentielle, est une caractéristique qui mérite d’être protégée en vertu de l’article 15 en d’autres circonstances. La majorité a déclaré à cet égard, au paragraphe 15 : « [l]es décisions que sont appelés à prendre les Canadiens en général relativement à leur “lieu de résidence” ne sauraient être comparées aux décisions lourdes de conséquences que prennent les membres des bandes autochtones lorsqu’ils choisissent de vivre dans les réserves ou à l’extérieur de celles-ci, à supposer que ce choix soit possible. La réalité de ces personnes est unique et complexe. »
[125] Par ailleurs, contrairement à ce qu’allèguent les demandeurs, dans l’arrêt R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, la Cour suprême n’a pas établi que le lieu de résidence constitue un motif analogue au sens de l’article 15 de la Charte. La juge Wilson n’a tout simplement pas écarté la possibilité que « la province de résidence d'une personne ou le lieu du procès ne pourraient pas, dans des circonstances particulières, être une caractéristique personnelle d'un individu ou d'un groupe d'individus susceptible de constituer un motif de discrimination » (à la page 1333). Dans cette affaire elle a conclu que ce n’était pas le cas.
[126] Une fois encore, la question a été directement analysée à l’encontre des demandeurs par le juge Rennie, dans la décision Tabingo, où il a conclu que même pour le motif mieux fondé du pays de résidence (qui pourrait se rapprocher davantage d’un motif énuméré que la destination qu’un immigrant souhaite atteindre), l’article 15 n’entrait pas en jeu. Comme il l’a déclaré, au paragraphe 114 :
Il est discutable que le pays de résidence soit un motif analogue. Le pays de résidence n’est pas une caractéristique immuable, non plus qu’une composante essentielle de l’identité, étant donné le désir des demandeurs d’immigrer. Ces demandeurs ne constituent pas non plus une minorité discrète et isolée, et certainement pas un tel groupe au sein de la société canadienne. Le pays de résidence, par contraste avec la race et la religion, n’est pas historiquement un motif de discrimination, et il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que la résidence est un ersatz illégitime et avilissant de décisions fondées sur le mérite des individus. En conséquence, je conclus que le pays de résidence n’est pas un motif analogue de discrimination visé à l’article 15 de la Charte […]
[127] Ce raisonnement s’applique dans toute sa vigueur en l’espèce. C’est donc dire que dans le cas présent aucun droit prévu à l’article 15 de la Charte n’a été violé. Les allégations fondées sur la Charte seront donc rejetées.
D. D’autres allégations de nature constitutionnelle
[128] Les demandeurs affirment finalement, et de manière vague, que le traitement qu’ils ont subi viole leur droit à l’égalité selon le principe de la primauté du droit et que la préférence accordée aux personnes ayant présenté une demande dans le cadre du PIQ viole les principes du fédéralisme. Ni l’une ni l’autre de ces allégations n’est fondée.
[129] Pour ce qui est de la première de ces deux allégations, dans la décision Tabingo le juge Rennie a fait peu de cas d’un argument fondé sur la primauté du droit semblable, signalant que le seul fondement d’une prétention d’égalité qui vise à écarter une loi réside à l’article 15 de la Charte. Son raisonnement s’applique également aux tentatives visant à écarter des décisions ministérielles prises en vertu d’un pouvoir législatif, comme celles qui l’ont été en l’espèce. Il a déclaré, aux paragraphes 52 et 53 :
[…] les demandeurs ont plaidé en faveur d’une conception des principes constitutionnels non écrits qui étendraient les droits prévus expressément dans la Constitution écrite. En particulier, les demandeurs ont soutenu que la primauté du droit embrassait un droit à l’égalité plus large que celui prévu à l’article 15 de la Charte. Admettre cette prétention rendrait les droits constitutionnels écrits redondants. La reconnaissance de principes constitutionnels non écrits n’est pas une invitation à négliger le texte écrit de la Constitution [référence omise] et, bien que les paramètres des principes non écrits de la Constitution restent à définir, ils doivent être pondérés avec le concept de la souveraineté parlementaire, qui est également une composante de la primauté du droit [référence omise].
L’argument fondé sur la primauté du droit et les principes non écrits de la Constitution est donc rejeté.
[130] J’appuie et je partage ces commentaires et, de ce fait, pour les mêmes raisons, je rejette cet argument.
[131] Quant à l’argument du fédéralisme, les demandeurs ont fait valoir que la Constitution empêche que le Québec bénéficie d’avantages différents de ceux du reste du pays. Ils allèguent que c’est ce qui s’est produit dans le cadre du PIQ, car le Québec a reçu une part plus importante des fonds d’investisseurs que d’autres provinces. Cet argument est lui aussi dénué de fondement et, en fait, les demandeurs n’ont cité aucune source à l’appui. Cet argument n’est pas fondé car il va de soi que des avantages différents peuvent fort bien être accordés en vertu d’une loi fédérale à des régions différentes du pays. En fait, bien des lois fédérales sont conçues expressément pour mener à un tel résultat, comme les paiements de péréquation, expressément autorisés au paragraphe 36(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Il n’y a donc pas eu en l’espèce de violation, par le défendeur, du soi-disant « principe du fédéralisme ».
[132] En conséquence, les demandeurs ne sont pas parvenus à démontrer qu’il y avait eu en l’espèce un quelque autre manquement à la Constitution.
[133] Leurs demandes seront donc rejetées.
VIII. Les questions certifiées
[134] Examinons, en terminant, les demandes des deux parties en vue de la certification de questions aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR.
[135] Les parties proposent que les questions suivantes soient certifiées :
1. Un étranger, ayant le droit législatif de demander un visa en vertu de l’article 12 de la LIPR et des articles 88 et 89 du Règlement de la LIPR, ainsi qu’ayant droit à un contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la LIPR et des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, a-t-il qualité pour débattre de questions relatives à la Charte ou d’autres questions de nature constitutionnelle, en vertu de, selon le cas :
a) l’alinéa 3(3)d) de la LIPR;
b) le paragraphe 24(1) et l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982?
2. Le fait que le ministre ait décidé et/ou omis de traiter les demandes dans la catégorie « immigration économique » des demandeurs est-il assimilable à une violation de leurs droits suivants :
a) les droits que confère la LIPR;
b) leur droit à des « attentes légitimes »
i. selon la common law;
ii. selon l’article 7 de la Charte?
3. Le fait que le ministre ait décidé et/ou omis de traiter les demandes dans la catégorie « immigration économique » des demandeurs est-il assimilable à une violation de leurs droits suivants, selon le cas :
a) le droit à une égalité de traitement selon les impératifs constitutionnels non écrits;
b) en vertu de l’article 15 de la Charte?
4. Les demandeurs ont-ils droit à un redressement par voie de :
a) mandamus, nunc pro tunc;
b) jugement déclaratoire et mandamus;
pour que leurs demandes soient traitées d’une manière conforme au Règlement et aux critères en vigueur à l’époque de la présentation de leurs demandes, indépendamment de l’éventuelle proclamation de l’article 87.5 de la LIPR?
[136] Le défendeur ne s’oppose pas aux questions 1 à 3 que proposent les demandeurs, mais il s’objecte à la question 4, qu’il juge purement hypothétique car, au moment où l’affaire a été débattue, l’article 87.5 n’avait pas encore été adopté. Il propose sa propre question à certifier :
1. Les personnes qui seront soumises à un long délai d’attente, avant l’évaluation de leurs demandes d’immigration dans la catégorie « investisseurs », en raison de l’effet d’objectifs annuels et d’instructions ministérielles établis en vertu de l’article 87.3 de la LIPR, ont-elles droit à une ordonnance de mandamus en vue d’obliger à traiter immédiatement leurs demandes?
[137] Les demandeurs souscrivent à la question que pose le défendeur, à la condition que le mot « immédiatement » en soit retiré.
[138] L’alinéa 74d) de la LIPR dispose que « le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci ». La jurisprudence établit deux critères qui s’appliquent à une telle question : celle-ci doit traiter de questions importantes ou d’application générale (c’est-à-dire qu’elle doit transcender les intérêts des parties) et elle doit être déterminante quant à l’issue de l’appel après l’avoir été pour le juge du procès (Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, [2015] 1 R.C.F. 335, au paragraphe 23; Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CAF 68, au paragraphe 10; Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, au paragraphe 11; Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL), au paragraphe 4; Di Bianca c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 935, au paragraphe 22).
[139] Le juge Boivin a certifié la question posée par le défendeur dans les affaires He, Zhang, Fang, Jiang, Kearney et Wurm, et le juge Rennie a certifié les questions suivantes dans la décision Tabingo [au paragraphe 148] :
a. Le paragraphe 87.4(1) de la LIPR met-il fin, au moment de son entrée en vigueur et par effet de la loi, aux demandes décrites à ce paragraphe, et, dans la négative, les demandeurs ont-ils droit à un mandamus?
b. La Déclaration canadienne des droits exige-t-elle que soient donnés un avis et la possibilité de présenter des observations avant qu’il soit mis fin à une demande en application du paragraphe 87.4(1) de la LIPR?
c. Le paragraphe 87.4 de la LIPR est-il inconstitutionnel au motif qu’il contrevient au principe de la primauté du droit ou aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?
[140] Par souci de courtoisie et compte tenu du nombre de demandeurs directement visés par la présente décision, j’ai décidé qu’il y avait lieu de certifier les questions suivantes :
1. Les personnes qui ont été soumises à un long délai d’attente avant l’évaluation de leurs demandes d’immigration dans la catégorie « investisseurs », en raison des objectifs annuels et des instructions ministérielles établis en vertu de l’article 87.3 de la LIPR, ont-elles droit à une ordonnance de mandamus en vue d’obliger à traiter leurs demandes?
2. Un tel délai viole-t-il les droits que confèrent aux demandeurs les articles 7 ou 15 de la Charte ou le principe de la primauté du droit?
[141] Je crois que ces questions découlent de mes motifs et reflètent les aspects que je considère comme déterminants. Je refuse de certifier la quatrième question des demandeurs car elle est hypothétique compte tenu du rejet de leurs demandes de contrôle judiciaire.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La présente demande et toutes celles qui sont énumérées à l’annexe « A » jointe aux présents motifs sont rejetées;
2. Les questions suivantes, de portée générale, sont certifiées en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR :
a. Les personnes qui ont été soumises à un long délai d’attente avant l’évaluation de leurs demandes d’immigration dans la catégorie « investisseurs », en raison des objectifs annuels et des instructions ministérielles établis en vertu de l’article 87.3 de la LIPR, ont-elles droit à une ordonnance de mandamus en vue d’obliger à traiter leurs demandes?
b. Un tel délai viole-t-il les droits que confèrent aux demandeurs les articles 7 ou 15 de la Charte ou le principe de la primauté du droit?
3. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.
Annexe A
1 |
IMM-2501-13 |
MOHSEN ESMAEILI c MCI |
2 |
IMM-2503-13 |
KRISHNAN KUMAR BANSAL c MCI |
3 |
IMM-2508-13 |
HASSAN GHOLAMPOUR c MCI |
4 |
IMM-2509-13 |
ALIREZA NIKOONASIRI c MCI |
5 |
IMM-2510-13 |
AHMAD NASSERI KARUMU VAND c MCI |
6 |
IMM-2511-13 |
NASER JAFARPOUR c MCI |
7 |
IMM-2512-13 |
HASSAN HOOSHYAR c MCI |
8 |
IMM-2517-13 |
NOSRATOLLAH HOMAYOON c MCI |
9 |
IMM-2518-13 |
MOHAMMED GHANAVIZI c MCI |
10 |
IMM-2617-13 |
YAN LIN DU c MCI |
11 |
IMM-2618-13 |
JUN HU c MCI |
12 |
IMM-2619-13 |
JUN HUANG c MCI |
13 |
IMM-2620-13 |
XINGPING HUA c MCI |
14 |
IMM-2622-13 |
HUI JIANG c MCI |
15 |
IMM-2623-13 |
ZHONGCUN JIANG c MCI |
16 |
IMM-2625-13 |
ZHONGLIN JIANG c MCI |
17 |
IMM-2630-13 |
JIANSHENG LI c MCI |
18 |
IMM-2631-13 |
LUMIN LI c MCI |
19 |
IMM-2635-13 |
JIANG LONG c MCI |
20 |
IMM-2637-13 |
SHUNYOU MA c MCI |
21 |
IMM-2638-13 |
YING TAO MA c MCI |
22 |
IMM-2642-13 |
WENYAN QIN c MCI |
23 |
IMM-2646-13 |
JINSHENG XU c MCI |
24 |
IMM-2647-13 |
TING LI c MCI |
25 |
IMM-2651-13 |
CHENGRUI LIM c MCI |
26 |
IMM-2653-13 |
YANGYONG LIN c MCI |
27 |
IMM-2654-13 |
LIN LIU c MCI |
28 |
IMM-2656-13 |
JIYUN LIU c MCI |
29 |
IMM-2657-13 |
LIKUN Shi c MCI |
30 |
IMM-2658-13 |
SWENZENG YANG c MCI |
31 |
IMM-2659-13 |
SHENGLI SHI c MCI |
32 |
IMM-2660-13 |
MEILING YUAN c MCI |
33 |
IMM-2663-13 |
HUI ZHANG c MCI |
34 |
IMM-2665-13 |
LEI ZHANG c MCI |
35 |
IMM-2666-13 |
XIAOJING WANG c MCI |
36 |
IMM-2667-13 |
YAN ZHANG c MCI |
37 |
IMM-2668-13 |
YUN ZHANG c MCI |
38 |
IMM-2669-13 |
YUN WANG c MCI |
39 |
IMM-2670-13 |
CUNXIONG ZHENG c MCI |
40 |
IMM-2671-13 |
HUI ZHU c MCI |
41 |
IMM-2672-13 |
SHUHE ZHU c MCI |
42 |
IMM-2674-13 |
SHUNYUN ZHU c MCI |
43 |
IMM-2676-13 |
CHANGFENG WU c MCI |
44 |
IMM-2678-13 |
JING XIONG c MCI |
45 |
IMM-2679-13 |
DUOYU XU c MCI |
46 |
IMM-3892-13 |
IAN FREDERICK STOPFORTH c MCI |
47 |
IMM-3894-13 |
ZIXIANG ZHANG c MCI |
48 |
IMM-4985-13 |
ZHEWEI LIU c MCI |
49 |
IMM-4986-13 |
HAILONG YU c MCI |
50 |
IMM-4988-13 |
LIN YU c MCI |
51 |
IMM-4990-13 |
JUHAI SHAN c MCI |
52 |
IMM-4992-13 |
SONGQIAO YANG c MCI |
53 |
IMM-5221-13 |
TIANHUA LIU c MCI |
54 |
IMM-5222-13 |
LIZHU WANG c MCI |
55 |
IMM-5223-13 |
XIUZHI CHEN c MCI |
56 |
IMM-5224-13 |
HONGXIA GONG c MCI |
57 |
IMM-5363-13 |
JIAHONG HU c MCI |
58 |
IMM-5365-13 |
HONGFEI LI c MCI |
59 |
IMM-5366-13 |
WENJI LI c MCI |
60 |
IMM-5542-13 |
GUI c MCI |
61 |
IMM-5543-13 |
GUO c MCI |
62 |
IMM-7084-13 |
ZUQIANG PAN c MCI |
63 |
IMM-7085-13 |
GUIYUN PAN c MCI |
64 |
IMM-7086-13 |
YING CHEN c MCI |
65 |
IMM-7724-13 |
LI JIN c MCI |
66 |
IMM-7727-13 |
YONGPENG WANG c MCI |
67 |
IMM-8102-13 |
XIAOAN ZHENG c MCI |
68 |
IMM-8104-13 |
YIWEN ZHANG c MCI |
69 |
IMM-8107-13 |
WENSHEN XIAO c MCI |
70 |
IMM-8108-13 |
CHUNFENG SHEN c MCI |
71 |
IMM-8110-13 |
WEI QU c MCI |
72 |
IMM-8111-13 |
ZHUOBIN LIU c MCI |
73 |
IMM-8112-13 |
DEWEN GONG c MCI |
74 |
IMM-8113-13 |
CHUANLI GAO c MCI |
75 |
IMM-8114-13 |
YI CAI c MCI |
76 |
IMM-8350-13 |
YONG SUN c MCI |
77 |
IMM-8354-13 |
YUWEI CHEN c MCI |
78 |
IMM-8355-13 |
MING CONG c MCI |
79 |
IMM-8357-13 |
JISEN DENG c MCI |
80 |
IMM-8382-13 |
BOXIANG MA c MCI |
81 |
IMM-8383-13 |
DANNA WU c MCI |
82 |
IMM-8384-13 |
ZHIJUN WU v MCI |
83 |
IMM-8385-13 |
CHUNLIN YE c MCI |
84 |
IMM-8389-13 |
LIYI ZHONG c MCI |
85 |
IMM-8391-13 |
WEIBIN LIAO c MCI |
86 |
IMM-8394-13 |
YIXIANG LI c MCI |
87 |
IMM-8395-13 |
MINREN LIANG c MCI |
88 |
IMM-8396-13 |
HUIFANG LIANG c MCI |
89 |
IMM-8397-13 |
MEIRONG LI c MCI |
90 |
IMM-8404-13 |
GUORU LI c MCI |
91 |
IMM-8405-13 |
ZHITONG HAN c MCI |
92 |
IMM-8407-13 |
HANG FENG c MCI |
93 |
IMM-8408-13 |
YONGXIA DENG c MCI |
94 |
IMM-204-14 |
LINFENG JIN c MCI |
Annexe B
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet : a) de permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages sociaux, culturels et économiques; b) d’enrichir et de renforcer le tissu social et culturel du Canada dans le respect de son caractère fédéral, bilingue et multiculturel; b.1) de favoriser le développement des collectivités de langues officielles minoritaires au Canada; c) de favoriser le développement économique et la prospérité du Canada et de faire en sorte que toutes les régions puissent bénéficier des avantages économiques découlant de l’immigration; d) de veiller à la réunification des familles au Canada; e) de promouvoir l’intégration des résidents permanents au Canada, compte tenu du fait que cette intégration suppose des obligations pour les nouveaux arrivants et pour la société canadienne; f) d’atteindre, par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral après consultation des provinces; g) de faciliter l’entrée des visiteurs, étudiants et travailleurs temporaires qui viennent au Canada dans le cadre d’activités commerciales, touristiques, culturelles, éducatives, scientifiques ou autres, ou pour favoriser la bonne entente à l’échelle internationale; h) de protéger la santé et la sécurité publiques et de garantir la sécurité de la société canadienne; i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité; j) de veiller, de concert avec les provinces, à aider les résidents permanents à mieux faire reconnaître leurs titres de compétence et à s’intégrer plus rapidement à la société. […] |
Objet en matière d’immigration |
11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi. […] |
Visa et documents |
12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement. |
Regroupement familial |
(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada. |
Immigration économique |
(3) La sélection de l’étranger, qu’il soit au Canada ou non, s’effectue, conformément à la tradition humanitaire du Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées, selon qu’il a la qualité, au titre de la présente loi, de réfugié ou de personne en situation semblable […] |
Réfugiés |
87.3 (1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visées aux paragraphes 11(1) et (1.01) — sauf à celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2) —, aux demandes de parrainage faites au titre du paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada, aux demandes de permis de travail ou d’études ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada. |
Application |
(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral. |
Atteinte des objectifs d’immigration |
(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions : a) prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions; a.1) prévoyant des conditions, notamment par groupe, à remplir en vue du traitement des demandes ou lors de celui-ci; b) prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe; c) précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe; d) régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau. |
Instructions |
(3.1) Les instructions peuvent, lorsqu’elles le prévoient, s’appliquer à l’égard des demandes pendantes faites avant la date où elles prennent effet. |
Application |
(3.2) Il est entendu que les instructions données en vertu de l’alinéa (3)c) peuvent préciser que le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe, est de zéro. |
Précision |
(4) L’agent — ou la personne habilitée à exercer les pouvoirs du ministre prévus à l’article 25 — est tenu de se conformer aux instructions avant et pendant le traitement de la demande; s’il ne procède pas au traitement de la demande, il peut, conformément aux instructions du ministre, la retenir, la retourner ou en disposer. |
Respect des instructions |
(5) Le fait de retenir ou de retourner une demande ou d’en disposer ne constitue pas un refus de délivrer les visa ou autres documents, d’octroyer le statut ou de lever tout ou partie des critères et obligations applicables. |
Précision |
(6) Les instructions sont publiées dans la Gazette du Canada. |
Publication |
(7) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir du ministre de déterminer de toute autre façon la manière la plus efficace d’assurer l’application de la loi. […] |
Précision |
87.5 (1) Il est mis fin à toute demande de visa de résident permanent faite au titre de la catégorie réglementaire des investisseurs ou de celle des entrepreneurs si, au 11 février 2014, un agent n’a pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables à la catégorie en cause. |
Demandes pendantes |
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux demandes suivantes : a) celle à l’égard de laquelle une cour supérieure a rendu une décision finale, sauf dans les cas où celle-ci a été rendue le 11 février 2014 ou après cette date; b) celle faite par un investisseur ou un entrepreneur sélectionné à ce titre par une province ayant conclu un accord visé au paragraphe 9(1). |
Application |
(3) Le fait qu’il a été mis fin à une demande de visa de résident permanent par application du paragraphe (1) ne constitue pas un refus de délivrer le visa. |
Effet |
(4) Les frais versés au ministre à l’égard de la demande visée au paragraphe (1), notamment pour l’acquisition du statut de résident permanent, sont remboursés, sans intérêts, à la personne qui les a acquittés; ils peuvent être payés sur le Trésor. |
Remboursement de frais |
(5) Une somme égale au placement fait par une personne à l’égard de sa demande de visa de résident permanent faite au titre de la catégorie réglementaire des investisseurs et à laquelle il est mis fin par application du paragraphe (1) lui est remboursée, sans intérêts; elle peut être payée sur le Trésor. |
Remboursement du placement |
(6) Si, à l’égard d’une demande de visa de résident permanent faite au titre de la catégorie réglementaire des investisseurs et à laquelle il est mis fin par application du paragraphe (1), une quote-part provinciale a été transférée à un fonds agréé, au sens du paragraphe 88(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, la province dont le gouvernement contrôle le fonds retourne sans délai au ministre une somme équivalant à la quote-part provinciale, entraînant ainsi l’extinction du titre de créance à l’égard de celle-ci. |
Quote-part provinciale |
(7) Nul n’a de recours contre Sa Majesté du chef du Canada ni droit à une indemnité de sa part relativement à une demande à laquelle il est mis fin par application du paragraphe (1), notamment à l’égard de tout contrat ou autre forme d’entente qui a trait à la demande. […] |
Absence de recours ou d’indemnité |
94. (1) Au plus tard le 1er novembre ou dans les trente premiers jours de séance suivant cette date, le ministre dépose devant chaque chambre du Parlement un rapport sur l’application de la présente loi portant sur l’année civile précédente. |
Rapport annuel |
(2) Le rapport précise notamment : a) les instructions données au titre de l’article 87.3 ainsi que les activités et les initiatives en matière de sélection des étrangers, notamment les mesures prises en coopération avec les provinces; b) pour le Canada, le nombre d’étrangers devenus résidents permanents et dont il est prévu qu’ils le deviendront pour l’année suivante; b.1) pour le Canada, le profil linguistique des étrangers devenus résidents permanents; c) pour chaque province partie à un accord visé au paragraphe 9(1), les nombres, par catégorie, de ces étrangers devenus résidents permanents, d’une part, et, d’autre part, qu’elle prévoit qu’ils y deviendront résidents permanents l’année suivante; d) le nombre de permis de séjour temporaire délivrés au titre de l’article 24 et, le cas échéant, les faits emportant interdiction de territoire; e) le nombre d’étrangers à qui le statut de résident permanent a été octroyé au titre de chacun des paragraphes 25(1), 25.1(1) et 25.2(1); e.1) les instructions données au titre des paragraphes 30(1.2), (1.41) ou (1.43) au cours de l’année en cause ainsi que la date de leur publication; f) une analyse comparative entre les sexes des répercussions de la présente loi. |
Contenu du rapport |
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227
88. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section. […] |
Définitions |
« investisseur » Étranger qui, à la fois : a) a de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise; b) a un avoir net d’au moins 1 600 000 $, qu’il a obtenu licitement; c) a indiqué par écrit à l’agent qu’il a l’intention de faire ou a fait un placement. […] |
« investisseur » “investor” |
« placement » Somme de 800 000 $ : a) qu’un investisseur autre qu’un investisseur sélectionné par une province verse au mandataire pour répartition entre les fonds agréés existant au début de la période de placement et qui n’est pas remboursable pendant la période commençant le jour où un visa de résident permanent est délivré à l’investisseur et se terminant à la fin de la période de placement; b) qu’un investisseur sélectionné par une province investit aux termes d’un projet de placement au sens du droit provincial et qui n’est pas remboursable pendant une période minimale de cinq ans calculée en conformité avec ce droit provincial. […] |
« placement » “investment” |
Catégorie
90. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des investisseurs est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des investisseurs au sens du paragraphe 88(1). |
Qualité |
(2) Si le demandeur au titre de la catégorie des investisseurs n’est pas un investisseur au sens du paragraphe 88(1), l’agent met fin à l’examen de la demande et la rejette. |
Exigences minimales |
Loi d’exécution du budget de 2008, L.C. 2008, ch. 28
120. L’article 87.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne s’applique qu’à l’égard des demandes faites à compter du 27 février 2008. [En caractère gras dans l'original.] |
Demandes |
Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19
Modification de la Loi d’exécution du budget de 2008
709. L’article 120 de la Loi d’exécution du budget de 2008 est abrogé. [En caractère gras dans l'original.]