T-1567-12
2014 CF 299
L’honorable Lori Douglas (demanderesse)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
et
Le Conseil canadien de la magistrature et l’avocat indépendant représentant le Conseil canadien de la magistrature et l’Association canadienne des juges des cours supérieures (intervenants)
Répertorié : Douglas c. Canada (Procureur général)
Cour fédérale, juge Mosley—Ottawa, 27, 28 et 29 novembre 2013 et 28 mars 2014.
Juges et Tribunaux — Contrôle judiciaire de l’affirmation du Conseil canadien de la magistrature (le Conseil) selon laquelle il existait une relation avocat-client avec l’avocat indépendant désigné pour présenter le dossier au comité d’enquête; requête en vue d’obtenir des directives, conformément à l’art. 318 des Règles des Cours fédérales, par rapport à la demande faite par la demanderesse de transmission d’une certaine correspondance — Un comité d’enquête a été constitué en vertu de l’art. 63(3) de la Loi sur les juges et de l’art. 1.1(3) du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (le Règlement) afin d’enquêter sur la conduite de la demanderesse, une juge nommée par le gouvernement fédéral — Il y a eu controverse quant à la manière selon laquelle l’avocat du comité a contre-interrogé les témoins — La demanderesse a demandé la divulgation de communications entre l’avocat indépendant et le Conseil — Cette requête a été refusée par le Conseil — Il s’agissait de savoir si le comité d’enquête était assujetti au contrôle judiciaire — Il s’agissait de savoir si la demande était prématurée — Il s’agissait de savoir si l’affirmation du Conseil quant à l’existence d’une relation avocat-client avec l’avocat indépendant soulevait une crainte raisonnable de partialité institutionnelle — La définition du terme « office fédéral » à l’art. 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales est au cœur de l’exercice de la compétence de la Cour — Les membres du Conseil et du comité d’enquête ne siègent pas en tant que juges nommés en vertu de l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 lorsqu’ils exercent les pouvoirs dévolus au Conseil par la Loi sur les juges — Ils agissent plutôt en tant que membres d’un tribunal administratif assujettis au contrôle judiciaire — L’art. 63(4) de la Loi sur les juges n’écarte pas la compétence de la Cour — Les tribunaux créés par la loi ne peuvent pas être à l’abri du contrôle — La possibilité de recourir à un contrôle judiciaire est compatible avec l’objectif qu’avait le législateur en créant le Conseil et le processus d’enquête sur la conduite des juges — La demande n’était pas prématurée — La préoccupation concernant le rôle de l’avocat indépendant était importante — La demanderesse avait épuisé toutes les voies de recours administratives qui lui étaient ouvertes avant de saisir la Cour de la question de la crainte de partialité institutionnelle — Des circonstances exceptionnelles justifiaient qu’une décision soit rendue à l’égard de la demande avant la conclusion de l’enquête — Une relation avocat-client n’a pas été établie entre le Conseil et l’avocat indépendant — Le rôle de l’avocat indépendant reflètait l’intention d’établir un poste n’ayant pas de lien de dépendance avec le Conseil et avec le comité d’enquête, et ce rôle était incompatible avec la création d’une telle relation — Il a été ordonné que la correspondance en litige soit transmise aux parties et versée au dossier public — L’obligation de se conformer aux règles de justice naturelle et à celles de l’équité procédurale s’étend à tous les organismes administratifs qui agissent en vertu de la loi — Même si les allégations de tentative d’empêcher l’avocat indépendant de présenter une demande de contrôle judiciaire étaient véridiques et pouvaient être étayées, elles ne pourraient établir une crainte raisonnable de partialité à moins qu’il y ait la preuve d’une tentative de s’immiscer dans la présentation de la preuve — La demanderesse n’a pas établi de preuve de partialité institutionnelle — La requête a été accordée et il a été ordonné que la correspondance en litige soit transmise aux parties — Demande rejetée.
Compétence de la Cour fédérale — Le Conseil canadien de la magistrature (le Conseil) a affirmé qu’il existait une relation avocat-client avec l’avocat indépendant désigné pour présenter le dossier au comité d’enquête — Un comité d’enquête a été constitué en vertu de l’art. 63(3) de la Loi sur les juges et de l’art. 1.1(3) du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (le Règlement) afin d’enquêter sur la conduite de la demanderesse, une juge nommée par le gouvernement fédéral — Il y a eu controverse quant à la manière selon laquelle l’avocat du comité a contre-interrogé les témoins — La demanderesse a demandé la divulgation de communications entre l’avocat indépendant et le Conseil — Cette requête a été refusée par le Conseil — Il s’agissait de savoir si le comité d’enquête était assujetti au contrôle judiciaire — La définition du terme « office fédéral » à l’art. 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales est au cœur de l’exercice de la compétence de la Cour — Les membres du Conseil et du comité d’enquête ne siègent pas en tant que juges nommés en vertu de l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 lorsqu’ils exercent les pouvoirs dévolus au Conseil par la Loi sur les juges — Ils agissent plutôt en tant que membres d’un tribunal administratif assujettis au contrôle judiciaire — L’art. 63(4) de la Loi sur les juges n’écarte pas la compétence de la Cour — Les tribunaux créés par la loi ne peuvent pas être à l’abri du contrôle — La possibilité de recourir à un contrôle judiciaire est compatible avec l’objectif qu’avait le législateur en créant le Conseil et le processus d’enquête sur la conduite des juges.
Pratique — Communications privilégiées — Le Conseil canadien de la magistrature (le Conseil) a affirmé qu’il existait une relation avocat-client avec l’avocat indépendant désigné pour présenter le dossier au comité d’enquête — Un comité d’enquête a été constitué en vertu de l’art. 63(3) de la Loi sur les juges et de l’art. 1.1(3) du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (le Règlement) afin d’enquêter sur la conduite de la demanderesse, une juge nommée par le gouvernement fédéral — Il y a eu controverse quant à la manière selon laquelle l’avocat du comité a contre-interrogé les témoins — La demanderesse a demandé la divulgation de communications entre l’avocat indépendant et le Conseil — Cette requête a été refusée par le Conseil — Il s’agissait de savoir si l’affirmation du Conseil quant à l’existence d’une relation avocat-client avec l’avocat indépendant soulevait une crainte raisonnable de partialité institutionnelle — Une relation avocat-client n’a pas été établie entre le Conseil et l’avocat indépendant — Le rôle de l’avocat indépendant reflète l’intention d’établir un poste n’ayant pas de lien de dépendance avec le Conseil et avec le comité d’enquête, et ce rôle est incompatible avec la création d’une telle relation — Il a été ordonné que la correspondance en litige soit transmise aux parties et versée au dossier public — L’obligation de se conformer aux règles de justice naturelle et à celles de l’équité procédurale s’étend à tous les organismes administratifs qui agissent en vertu de la loi — Même si les allégations de tentative d’empêcher l’avocat indépendant de présenter une demande de contrôle judiciaire étaient véridiques et pouvaient être étayées, elles ne pourraient établir une crainte raisonnable de partialité à moins qu’il y ait la preuve d’une tentative de s’immiscer dans la présentation de la preuve — La demanderesse n’a pas établi de preuve de partialité institutionnelle.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de l’affirmation du Conseil canadien de la magistrature (le Conseil) selon laquelle il existait une relation avocat-client avec l’avocat indépendant désigné pour présenter le dossier au comité d’enquête constitué en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi sur les juges et du paragraphe 1.1(3) du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (le Règlement) afin d’enquêter sur la conduite de la demanderesse, une juge nommée par le gouvernement fédéral.
La demanderesse a présenté une requête en vue d’obtenir des directives, conformément à la règle 318 des Règles des Cours fédérales, par rapport à sa demande de transmission d’une certaine correspondance.
Le législateur a créé le Conseil par des modifications à la Loi sur les juges. Le Conseil est habilité à enquêter sur les plaintes déposées contre les juges nommés par le gouvernement fédéral. Le Conseil peut, par règlement administratif, régir la procédure relative aux enquêtes visées à l’article 63 de la Loi sur les juges. C’est ce qu’il a fait en adoptant le Règlement. De plus, le Conseil a édicté des politiques et des procédures concernant la conduite des enquêtes. Ensemble, la Loi sur les juges, le Règlement, et les politiques et les procédures connexes établissent un processus d’enquête à plusieurs étapes pour les affaires déclenchées par une plainte concernant la conduite d’un juge. Si le comité d’examen estime que l’affaire est suffisamment grave, celle-ci est déférée à un comité d’enquête composé de deux ou trois membres du Conseil nommés par le président ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges et d’un ou deux membres du barreau d’une province nommés par le ministre.
Le Comité sur la conduite des juges est un comité constitué par le Conseil et il est chargé de s’occuper de toutes les affaires ayant trait à la conduite des juges qui sont portées à l’attention du Conseil, et de superviser le processus d’enquête. Au besoin, le président ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges nomme les membres du comité d’enquête et, au besoin, un avocat indépendant pour présenter l’affaire au comité d’enquête. La Politique sur l’avocat indépendant mentionne que la « raison d’être » de la création du poste d’avocat indépendant est de lui permettre d’agir sans lien de dépendance avec le Conseil canadien de la magistrature et le comité d’enquête. La Politique mentionne que le rôle de l’avocat indépendant est exceptionnel, car une fois qu’il est nommé, l’avocat indépendant « n’agit pas selon les directives d’un client quelconque », mais « en conformité avec le droit et d’après son avis professionnel de ce qu’exige l’intérêt public ».
En 2005, la demanderesse a été nommée juge à la division de la famille de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. En 2009, la demanderesse a été nommée juge en chef adjointe de la division de la famille. En 2010, un ancien client de l’époux de la demanderesse a déposé une plainte au Conseil dans laquelle il prétendait avoir été victime de harcèlement sexuel et de discrimination de la part de la demanderesse et de son époux. On a conclu qu’un comité d’enquête devait être constitué en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi sur les juges et du paragraphe 1.1(3) du Règlement afin d’enquêter sur la conduite de la demanderesse.
L’avocat indépendant et les membres du comité d’enquête ont été nommés par le juge en chef Wittmann. Le comité d’enquête a nommé son propre avocat pour l’aider dans le déroulement de l’enquête. Selon la Politique sur les comités d’enquête, l’avocat du comité ne devait pas participer activement aux audiences. Selon la politique, son rôle consistait à aider le comité d’enquête à rédiger les décisions et le rapport final.
Le comité d’enquête a demandé et a reçu des observations de la part de l’avocat indépendant et de l’avocat de la demanderesse quant à la manière de procéder avec la divulgation des allégations et quant au rôle joué par l’avocat indépendant dans le cadre du processus d’enquête. Le comité a rendu une décision détaillée, concluant que le processus était de nature inquisitoire et que l’avocat indépendant [traduction] « n’agit pas à la manière d’un avocat qui reçoit des directives de la part d’un client » et que son rôle se limitait à présenter la preuve contre la juge et à soumettre des observations connexes relativement au droit et à la procédure. Le comité a conclu, après le début de l’audition de la preuve, qu’il serait plus opportun que son avocat pose des questions complémentaires aux témoins plutôt que ce soit les membres du comité qui le fassent.
Il y a eu controverse quant à la manière selon laquelle le comité d’enquête a contre-interrogé les témoins. Selon l’avocat indépendant et la demanderesse, le contre-interrogatoire était trop agressif, débordait du cadre du rôle de l’avocat du comité et était potentiellement injuste envers la demanderesse. La demanderesse a présenté une requête en récusation du comité d’enquête, prétendant que le fait que l’avocat du comité lui ait posé des questions et la manière selon laquelle il les avaient posées avait suscité une crainte raisonnable de partialité à son encontre. De plus, l’avocat indépendant s’est formellement opposé à ce que l’avocat du comité interroge les témoins parce que cela contrevenait au Règlement et aux politiques du Conseil et que cela créait un risque qu’il y ait apparence de conflit.
Le comité d’enquête a rejeté la requête en récusation et peu de temps après, l’avocat indépendant a remis sa démission au Conseil. Cela faisait suite à une correspondance entre l’avocat indépendant et Me Normand Sabourin, le directeur exécutif et l’avocat général principal du Conseil. L’avocate de la demanderesse a demandé une copie de la lettre de démission et toutes communications connexes conformément à l’article 317 des Règles des Cours fédérales. Après que la demande eut été refusée, la demanderesse a présenté une requête en vue d’obtenir des directives, conformément à l’article 318 des Règles des Cours fédérales, par rapport à sa demande de transmission de la correspondance.
Me Sabourin a répondu que toutes les communications dont la transmission était demandée avaient eu lieu entre lui-même, pour le compte du vice-président, et l’avocat indépendant, et qu’étant donné qu’elles n’étaient pas en possession du tribunal, dont l’ordonnance faisait l’objet d’un contrôle judiciaire, et qu’elles n’avaient aucune pertinence relativement aux décisions du comité d’enquête, les règles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales ne s’appliquaient pas. En outre, Me Sabourin a écrit que les communications étaient visées par le privilège avocat-client, comme l’a prétendu le vice-président du Comité sur la conduite des juges pour le compte du Conseil. En conséquence, Me Sabourin a refusé de divulguer les communications demandées.
Le juge en chef Wittmann a désigné une nouvelle avocate indépendante au comité d’enquête, qui n’a rien fait afin d’appuyer la demande de contrôle judiciaire présentée par l’avocat indépendant et, comme il n’était plus en mesure de la maintenir, la demande a en fin de compte été rejetée pour cause de retard. La requête présentée par la demanderesse en vue de surseoir à l’instance devant le comité d’enquête en attendant que sa demande de contrôle soit tranchée a été accueillie.
La demanderesse a présenté une requête en vue d’obtenir des directives, conformément à la règle 318 des Règles des Cours fédérales, par rapport à sa demande de transmission de la correspondance entre Sabourin et l’avocat indépendant. La protonotaire a rejeté les objections soulevées par le Conseil relativement à la requête en divulgation de la demanderesse. Elle a aussi conclu que l’affirmation du Conseil selon laquelle il existe une relation avocat-client avec l’avocat indépendant constituait une décision au sens de la règle 317 des Règles des Cours fédérales, que les communications se rapportant à cette décision constituaient le dossier de la décision et qu’elles étaient par conséquent susceptibles de divulgation, sous réserve de la question du privilège.
Le comité d’enquête a démissionné la semaine précédant l’audition de la présente demande. Les questions relatives au comité d’enquête étaient donc devenues théoriques et il restait à trancher la demande présentée par la demanderesse visant à obtenir un jugement déclaratoire relativement à l’affirmation du Conseil selon laquelle il existait une relation avocat-client avec l’avocat indépendant. Le Conseil a soulevé des questions préjudicielles se rapportant à la compétence de la Cour pour examiner la demande et, s’il était établi qu’elle a ce pouvoir, au caractère prématuré de la demande.
Il s’agissait principalement de savoir 1) si le comité d’enquête et le Conseil, lorsqu’ils effectuent des enquêtes conformément à la Loi sur les juges, sont assujettis au contrôle judiciaire à titre de tribunaux administratifs fédéraux; 2) si la demande de contrôle judiciaire était prématurée; et 3) si l’affirmation du Conseil quant à l’existence d’une relation avocat-client avec l’avocat indépendant soulevait une crainte raisonnable de partialité institutionnelle.
Jugement : la requête visant l’obtention de directives fondée sur l’article 318 des Règles des Cours fédérales est accueillie et la correspondance en litige divulguée aux parties; la demande doit être rejetée.
1) Le comité d’enquête et le Conseil, lorsqu’ils effectuent des enquêtes conformément à la Loi sur les juges, sont-ils assujettis au contrôle judiciaire à titre de tribunaux administratifs fédéraux?
La définition du terme « office fédéral » au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales est au cœur de l’exercice de la compétence de la Cour. La Cour suprême du Canada a dit, au sujet de cette définition prévue à l’article 2, qu’elle est « très large » et qu’elle dépassait « largement l’idée qu’on se fait généralement de ce concept ». Pour être visé par la définition, un organisme n’a qu’à exercer ou à être censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale.
Il ne fait aucun doute que le Conseil et ses comités d’enquête sont la création d’une loi fédérale, la Loi sur les juges, et que c’est de cette loi fédérale qu’ils tirent leur compétence. Les membres du Conseil et du comité ne remplissent pas les fonctions qui leur ont été dévolues à titre de juges nommés en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 (les juges nommés en vertu de l’article 96) et ils ne sont donc pas visés par l’exclusion expresse des juges nommés en vertu de l’article 96 qui est prévue dans la définition. Le fait que les organismes du Conseil soient composés de personnes qui, pour la plupart, sont des juges nommés en vertu de l’article 96 ne change rien au statut de ces organismes. Les organismes du Conseil existent en tant qu’organismes d’origine législative uniquement parce qu’ils ont été créés par la Loi sur les juges, et non pas en raison de quelque compétence inhérente liée au statut judiciaire de ses membres.
Dans la même veine, les membres du Conseil et de ses comités d’enquête ne siégeaient pas en tant que juges lorsqu’ils exercent les pouvoirs dévolus au Conseil par la Loi sur les juges. Ils agissaient en tant que membres d’un tribunal administratif effectuant une « enquête » et exerçaient une compétence exceptionnelle qui n’est pas reliée à leurs fonctions ordinaires.
Puisque l’élément clé pour déterminer si un organisme exerçant un pouvoir est un « office fédéral » est la source de la compétence qu’il détient, et non la nature de l’organisme en question, le fait que celui-ci soit visé par la définition ne fait pas en sorte que celui-ci fasse partie de la branche exécutive du gouvernement. Le fait que le Conseil soit inclus dans la définition d’« office fédéral » ne signifiait pas que l’organisme fait partie du pouvoir exécutif; il s’ensuit que son rôle dans les affaires relatives à la conduite des juges n’était pas incompatible avec le fait d’être un « office fédéral » assujetti à la compétence des Cours fédérales en matière de contrôle judiciaire. Il n’y avait pas d’ambiguïté en ce qui concerne la question de savoir si le Conseil ou le comité d’enquête sont des « office[s] fédér[aux] » pour les besoins de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales lorsque la disposition 63(4) de la Loi sur les juges est interprétée dans le contexte législatif élargi. Celle‑ci prévoit que ces organismes sont « réputés » constituer une juridiction supérieure lorsqu’ils font une enquête, mais elle ne les constitue pas en cour supérieure au titre de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Elle n’écarte pas expressément non plus la compétence de la Cour.
Le fait d’inclure un ou deux membres du barreau, en plus des membres de la magistrature, contrecarrait aussi la position du Conseil selon laquelle l’intention du législateur était de faire en sorte que les comités fassent partie de l’appareil judiciaire. Le fait d’inclure des représentants du barreau permettait au public, bien qu’il s’agisse d’un public spécialisé, de participer au processus disciplinaire, mais il était difficile de voir en quoi ce fait corrobore l’opinion selon laquelle il s’agit d’une fonction judiciaire. Cela ne veut pas dire que, dans le passé, des comités d’enquête composés de juges et de non-juges n’étaient indépendants ni du pouvoir exécutif ni du pouvoir législatif dans l’exercice de leurs fonctions. Ils se sont plutôt acquittés de leurs fonctions de manière indépendante à titre de tribunaux administratifs, non à titre de juridictions supérieures.
Il s’agissait d’un raisonnement qui n’est pas logiquement fondé que d’affirmer que la [traduction] « conséquence nécessaire » de la disposition déterminative est que la juridiction de surveillance de la Cour est écartée. Le fait d’assurer l’indépendance n’emporte pas que les décisions du comité et du Conseil échappent au contrôle judiciaire. Le législateur a choisi de « conférer » au Conseil les pouvoirs d’une juridiction supérieure sans le transformer en un tribunal.
Mettre à l’abri de tout contrôle les décisions du Conseil enfreint le principe selon lequel tous les titulaires de pouvoirs publics doivent rendre compte de la façon dont ils exercent ces pouvoirs. Lorsque la question découlant d’une décision contestée a trait à un manquement à l’équité procédurale, l’instance décisionnelle peut être dépouillée de sa compétence. Les tribunaux créés par la loi ne peuvent pas être à l’abri du contrôle pour de telles erreurs. L’intention manifeste du législateur, telle qu’elle ressort de la Loi sur les Cours fédérales, est que toutes les personnes et tous les organismes qui détiennent des pouvoirs en vertu de lois fédérales sont susceptibles de contrôle judiciaire par un tribunal qui a une connaissance approfondie du contexte juridique fédéral, à moins qu’ils ne soient expressément exemptés par la loi.
Avant qu’un juge ne puisse être révoqué, il a droit à une instance équitable. Cette instance équitable est essentielle non seulement parce qu’elle relève du droit administratif, mais parce qu’elle est une composante de l’exigence constitutionnelle relative à l’inamovibilité des juges. Le pouvoir de surveillance que la Cour exerce sur le Conseil et sur ses comités d’enquête joue un rôle important dans l’intérêt du public, à savoir celui de voir à ce que la procédure relative à la conduite des juges soit équitable et conforme au droit. Ce rôle est entièrement compatible avec l’intention du législateur telle qu’elle ressort de la loi.
On ne peut pas considérer que l’intention du législateur était de priver de tout recours judiciaire la personne la plus directement touchée par une disposition « déterminative » telle que le paragraphe 63(4). Une dérogation aussi fondamentale au principe selon lequel les organismes qui exercent des pouvoirs qui leur sont conférés par la loi sont susceptibles de contrôle judiciaire devrait avoir lieu de façon délibérée et au moyen d’un énoncé législatif explicite. La possibilité de recourir à un contrôle judiciaire est compatible avec l’objectif qu’avait le législateur en créant le Conseil et le processus d’enquête sur la conduite des juges, à savoir que la conduite du processus d’enquête et de contrôle soit dévolue au pouvoir judiciaire sans retirer au Parlement son pouvoir ultime de révoquer un juge.
2) La demande de contrôle judiciaire était-elle prématurée?
Selon la règle générale, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux pour demander un contrôle judiciaire d’une décision qu’après avoir épuisé toutes les autres voies de recours appropriés qui leur sont ouvertes en vertu du processus administratif. Il doit y avoir des circonstances exceptionnelles qui justifient l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’autoriser le recours au contrôle judiciaire. Le principe susmentionné s’applique aux préoccupations relatives à l’équité procédurale ou à la partialité. L’existence ou non d’une crainte de partialité fait courir un risque de prolifération indue des litiges.
En l’espèce, la demande n’était pas prématurée. Étant donné la démission de Me Pratte peu après qu’il eut déposé une demande distincte de contrôle judiciaire, la demanderesse avait raison de poursuivre ses démarches afin de déterminer ce qui c’était produit. Ce faisant, la demanderesse avait épuisé toutes les voies de recours administratives qui lui étaient ouvertes avant de saisir la Cour de la question de la crainte de partialité institutionnelle. Le Conseil, dans la réponse qu’il a produite, a affirmé qu’il existait une relation avocat‑client et n’a pas divulgué les communications qui ont eu lieu avec l’avocat indépendant. Il est difficile de comprendre comment la demanderesse aurait alors pu obtenir une décision du juge en chef Wittmann sur la question. Il n’aurait pas non plus été approprié que la demanderesse cherche à obtenir une décision sur la question auprès du comité d’enquête, étant donné que cet organisme n’avait aucune compétence pour statuer à l’égard de décisions rendues par le vice-président, et qu’il était un délégué du Conseil ayant un but restreint et précis.
Il existait d’autres circonstances exceptionnelles qui justifiaient qu’une décision soit rendue à l’égard de la demande avant la conclusion de l’enquête. La procédure devant le comité d’enquête et devant la Cour a pris un temps considérable durant lequel la demanderesse a été suspendue de ses fonctions de juge d’une juridiction supérieure et elle courait le risque de perdre ce statut garanti par la Constitution. Les ressources judiciaires considérables qui ont été consacrées au traitement de la demande et des requêtes connexes auraient été gaspillées si l’affaire n’était pas allée jusqu’à son terme.
3) L’affirmation du Conseil quant à l’existence d’une relation avocat-client avec l’avocat indépendant soulevait-elle une crainte raisonnable de partialité institutionnelle?
Il ressortait clairement du dossier que l’avocat indépendant a accepté d’agir à ce titre devant le comité d’enquête non pas en tant qu’avocat du vice-président du Comité sur la conduite des juges, mais selon les conditions de sa nomination énoncées dans le Règlement et dans la politique du Conseil. Le contenu du Règlement et des énoncés de politique du Conseil ayant trait au rôle de l’avocat indépendant reflétait l’intention d’établir un poste n’ayant pas de lien de dépendance avec le Conseil et avec le comité d’enquête, en vue d’assurer l’équité du processus de présentation de la preuve au comité. L’avocat indépendant n’avait pas de client. Son rôle était incompatible avec la création d’une relation avocat-client, sinon, les dispositions du Règlement et des Politiques, tant dans leur lettre que dans leur esprit, n’auraient eu aucune signification.
L’existence d’une relation avocat-client n’a pas été établie entre le Conseil et l’avocat indépendant lors de la nomination de ce dernier. Cependant, même si une telle relation avait été créée, les communications se rapportant à la nomination et à la démission de l’avocat indépendant n’étaient pas visées par le privilège. Le privilège de la consultation juridique touche les communications entre l’avocat et son client aux fins de l’obtention ou de la prestation de conseils juridiques. La lettre de Me Sabourin à l’attention de l’avocat indépendant constituait la meilleure preuve de la nature de la relation qu’entretenaient le Conseil et ce dernier. Rien dans la lettre ne donne à penser que l’avocat indépendant devait fournir des conseils juridiques au Conseil, au vice-président du Comité sur la conduite des juges ou à Me Sabourin. Le rôle a été présenté à l’avocat indépendant comme un devoir assumé dans l’intérêt public. La Cour devait examiner avec prudence tout élément de preuve qui visait à « jeter un nouvel éclairage sur [les conditions de la nomination de l’avocat indépendant] à [les] modifier et à [les] remplacer ». Le simple fait qu’un avocat est désigné pour accomplir une fonction juridique n’est pas suffisant pour satisfaire à l’une ou l’autre de ces exigences. Les communications entre Mes Sabourin et Pratte portant sur la nomination et la démission de ce dernier n’étaient pas assujetties au privilège avocat-client. En conséquence, il a été ordonné, en vertu de la règle 318 des Règles des Cours fédérales, que la correspondance entre Me Sabourin et Me Pratte actuellement détenue sous scellé par la Cour soit transmise aux parties et qu’elle soit versée au dossier public.
Personne ne conteste qu’une instance relative à la conduite d’un juge nécessite un degré élevé d’équité. L’obligation de se conformer aux règles de justice naturelle et à celles de l’équité procédurale s’étend à tous les organismes administratifs qui agissent en vertu de la loi. Si les allégations de la demanderesse sont interprétées de la façon la plus large possible, ce qui, selon la demanderesse, s’est produit en l’espèce était une tentative d’empêcher l’avocat indépendant de présenter une demande de contrôle judiciaire des décisions rendues par le comité d’enquête relativement à des questions de procédure et de preuve. Même si cette allégation était véridique, elle n’aurait pas pu établir une crainte raisonnable de partialité en lien avec le décideur à moins qu’il y ait eu de la preuve d’une tentative de s’immiscer de quelque manière que ce soit dans la présentation de la preuve faite devant le comité d’enquête.
Dans les cas où l’avocat indépendant croit que le comité a commis une erreur en ce qui a trait aux procédures qu’il a adoptées ou aux décisions qu’il a prises quant à des questions relatives à la preuve, il doit faire part de ces préoccupations dans le dossier de l’enquête. Le juge visé par l’enquête, ou toute autre personne concernée, pourrait alors présenter une demande de contrôle judiciaire s’il estime qu’il est nécessaire que ces préoccupations fassent l’objet d’un examen. Rien ne donnait à penser dans la présente affaire que le vice-président du Comité sur la conduite des juges ou n’importe quelle autre personne au sein du Conseil se soit immiscée dans la présentation de la preuve faite par Me Pratte devant le comité d’enquête et dans les observations qu’il a formulées à ce comité. La demanderesse n’a pas établi qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, puisse conclure que le vice-président du Comité sur la conduite des juges a fait preuve de partialité en affirmant qu’il existait une relation avocat-client ou qu’elle tirerait une telle conclusion dans un nombre important de cas.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 58.
Code des professions, L.R.Q., ch. C-26.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 96, 99, 101.
Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 « office fédéral » (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 18, 28.
Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26.
Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1.
Loi sur le Service administratif des tribunaux judiciaires, L.C. 2002, ch. 8.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 « office fédéral », 3, 4, 18, 18.1, 28.
Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1, art. 60, 61(1), 62, 63, 65.
Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes, DORS/2002-371, art. 1 « comité sur la conduite des juges », 1.1, 2(1),(1.1),(2), 3, 8, 10.1, 13.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 303(2),(3), 317, 318.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52; Slansky c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1467, [2013] 3 R.C.F. 558, conf. par 2013 CAF 199, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2014] 1 R.C.S. xii; Air Canada c. Lorenz, [2000] 1 C.F. 494 (1re inst.); Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369.
décision différenciée :
Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518.
décisions examinées :
Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2005 CF 1454, [2006] 1 R.C.F. 327, infirmant 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2007] 3 R.C.S. x; Douglas c. Canada (Procureur général), 2013 CF 451, [2014] 4 R.C.F. 494; Douglas c. Canada (Procureur général), 2013 CF 776; Douglas c. Canada (Procureur général) (13 septembre 2013), T-1567-12 (C.F.); Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249; Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang), [1997] 2 C.F. 36 (C.A.); Taylor c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1247, [2002] 3 C.F. 91, conf. par 2003 CAF 55, [2003] 3 C.F. 3, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2003] 2 R.C.S. xi; Mackeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796; R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Sztern c. Deslongchamps, 2008 CF 285; R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484; Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 S.C.R. 623; 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565.
décisions citées :
Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Black v. Advisory Council for the Order of Canada, 2012 FC 1234, 46 Admin. L.R. (5th) 1; conf. par 2013 CAF 267; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 981; Canadian College of Business and Computers Inc. v. Ontario (Private Career Colleges Act), 2010 ONCA 856, 17 Admin. L.R. (5th) 245; Première Nation d’Ermineskin c. Minde, 2008 CAF 52; Jock c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1991] 2 C.F. 355 (1re inst.); Onuschak c. Société canadienne de consultants en immigration, 2009 CF 1135; Gratton c. Conseil canadien de la magistrature, [1994] 2 C.F. 769 (1re inst.); Cosgrove c. Canada (Procureur général), 2008 CF 941; Akladyous c. Conseil canadien de la magistrature, 2008 CF 50; Conacher c. Canada (Premier ministre), 2010 CAF 131, [2011] 4 R.C.F. 22; A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42, [2007] 3 R.C.S. 217; Corbett c. Canada, [1997] 1 C.F. 386 (C.A.); Re Diamond and The Ontario Municipal Board, [1962] O.R. 328 (C.A.); Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198 (1re inst.); Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; Belize Bank Ltd. v. Attorney General, [2011] UKPC 36; Zündel c. Citron, [2000] 4 C.F. 225 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2000] 2 R.C.S. xv; Société d’énergie Foster Wheeler Ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) Inc., 2004 CSC 18, [2004] 1 R.C.S. 456; Maranda c. Richer, 2003 CSC 67, [2003] 3 R.C.S. 193; Lim et al. v. P.E.O., 2011 ONSC 106, (2011), 23 Admin. L.R. (5th) 77 (C. div.); Van Rassel c. Canada (Surintendant de la Gendarmerie royale), [1987] 1 C.F. 473 (1re inst.); M. v. H., 1996 CanLII 8119, 27 R.J.O. (3e) 593 (Div. gén.); Lavigne and Ontario Public Service Employees Union et al (No. 2), Re (1987), 60 O.R. (2d) 486, 41 D.L.R. (4th) 86 (H.C.J.), inf. par sub nom. Lavigne v. O.P.S.E.U., 1989 CanLII 4087, 67 O.R. (2d) 536 (C.A.), conf. par [1991] 2 R.C.S. 211.
DOCTRINE CITÉE
Canada. Chambre des Communes. Comité permanent de la justice et des questions juridiques. Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 27 (16 juin 1971).
Conseil canadien de la magistrature. Décisions du Comité d’enquête au sujet de l’hon. Lori Douglas concernant certaines questions préliminaires (15 mai 2012).
Conseil canadien de la magistrature. Décision du Comité d’enquête au sujet de l’hon. Lori Douglas concernant la demande en récusation de tous les membres du Comité d’enquête en raison d’une allégation de crainte raisonnable de partialité (20 août 2012).
Conseil canadien de la magistrature. Décision du comité d'enquête sur les questions préliminaires concernant le juge Robert Flahiff de la Cour supérieure du Québec (avril 1999).
Conseil canadien de la magistrature. Politiques du CCM à l’égard des enquêtes, en ligne : https://www.cjc-ccm.gc.ca/cmslib/general/CCM-Politiques-conduite-2010.pdf.
Conseil canadien de la magistrature. Rapport du comité d’enquête sur sa compétence de mener une enquête concernant le juge Gratton de la Cour de justice de l’Ontario (février 1994).
Procédures relatives à l'examen des plaintes déposées au Conseil canadien de la magistrature au sujet de juges de nomination fédérale : « Procédures relatives aux plaintes ». Approuvées par le Conseil canadien de la magistrature en vigueur le 14 octobre 2010.
Ruth Sullivan. Statutory Interpretation, 2e éd., Toronto : Irwin Law, 2007.
DEMANDE de contrôle judiciaire de l’affirmation du Conseil canadien de la magistrature selon laquelle il existait une relation avocat-client avec l’avocat indépendant désigné pour présenter le dossier au comité d’enquête constitué afin d’enquêter sur la conduite de la demanderesse, une juge nommée par le gouvernement fédéral. Demande rejetée.
REQUÊTE en vue d’obtenir des directives, conformément à la règle 318 des Règles des Cours fédérales, par rapport à la demande de transmission d’une certaine correspondance faite par la demanderesse. Requête accueillie; correspondance en litige ayant fait l’objet d’une ordonnance de divulgation aux parties.
ONT COMPARU
Sheila Block et Molly Reynolds pour la demanderesse.
Catherine A. Lawrence et Zoe Oxaal pour le défendeur le procureur général du Canada.
Suzanne Côté et Alexandre Fallon pour l’intervenant l’avocat indépendant du Conseil canadien de la magistrature.
Paul J.J. Cavalluzzo, Freya Krisjanson et Adrienne Telford pour l’intervenant le Conseil canadien de la magistrature.
Chris Paliare et Richard P. Stephenson pour l’intervenante l’Association canadienne des juges des cours supérieures.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Sheila Block, Ottawa et Molly Reynolds, Ottawa, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur le procureur général du Canada.
Suzanne Côté, Montréal et Alexandre Fallon, Montréal, pour l’intervenant l’avocat indépendant du Conseil canadien de la magistrature.
Paul J.J. Cavalluzzo, Ottawa, Freya Kristjanson, Ottawa et Adrienne Telford, Ottawa, pour l’intervenant le Conseil canadien de la magistrature.
Chris Paliare, Toronto et Richard P. Stephenson, Toronto, pour l’intervenante l’Association canadienne des juges des cours supérieures.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Mosley :
INTRODUCTION
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi sur les Cours fédérales). Telle que présentée au départ, la demande visait à obtenir le contrôle d’une décision rendue le 27 juillet 2012 par un comité d’enquête du Conseil canadien de la magistrature (le Conseil) constitué pour faire enquête sur la conduite de l’honorable Lori Douglas, juge en chef adjointe de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba (la juge Douglas). L’avis de demande a par la suite été modifié afin de demander également le contrôle judiciaire de l’affirmation du Conseil selon laquelle il existait une relation avocat-client avec l’avocat indépendant désigné pour présenter le dossier au comité d’enquête parce que l’affirmation suscitait une crainte raisonnable de partialité institutionnelle.
[2] Le comité d’enquête a démissionné la semaine précédant l’audition de la présente demande. Les questions relatives au comité d’enquête son donc devenues théoriques. Les parties n’ont pas demandé à la Cour de se pencher sur ces questions, même si elles étaient devenues théoriques, en vertu de son pouvoir discrétionnaire selon les principes consacrés par l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342. Il reste à trancher la demande présentée par la demanderesse visant à obtenir un jugement déclaratoire relativement à l’affirmation du Conseil selon laquelle il existait une relation avocat-client avec l’avocat indépendant et une ordonnance interdisant au Conseil de poursuivre les procédures dans leur forme actuelle. Le Conseil a soulevé des questions préjudicielles se rapportant à la compétence de la Cour pour examiner la demande et, s’il est établi qu’elle a ce pouvoir, au caractère prématuré de la demande.
[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour a compétence pour examiner la demande et que celle-ci n’est pas prématurée. Toutefois, la demande de contrôle judiciaire est rejetée parce que l’allégation de crainte raisonnable de partialité institutionnelle est, à mon avis, dénuée de fondement.
Table des matières
Paragraphe |
|
Historique |
|
Les questions en litige |
64 |
Les dispositions juridiques applicables |
68 |
La norme de Contrôle applicable |
69 |
Arguments et analyse |
72 |
1) Le comité d’enquête et le Conseil, lorsqu’ils effectuent des enquêtes conformément à la Loi sur les juges, sont-ils assujettis au contrôle judiciaire à titre de tribunaux administratifs fédéraux? |
72 |
2) La demande de contrôle judiciaire est‑elle prématurée? |
127 |
3) L’affirmation du Conseil quant à l’existence d’une relation avocat-client avec l’avocat indépendant soulève-t-elle une crainte raisonnable de partialité institutionnelle? |
148 |
Jugement |
205 |
Annexe |
206 |
Le cadre législatif régissant la révocation d’un juge
[4] Le paragraphe 99(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict, ch. 3 (R.-U.) [mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1], réimprimée dans L.R.C. (1985), appendice II, no 5 (la Loi constitutionnelle de 1867), prévoit que les juges nommés par le gouvernement fédéral pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.
[5] En 1971, le législateur a créé le Conseil par des modifications à la Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1 (la Loi sur les juges). Entre autres choses, les modifications ont habilité le Conseil à enquêter sur les plaintes déposées contre les juges nommés par le gouvernement fédéral. Avant les mesures législatives de 1971, le Sénat et la Chambre des Communes étaient directement chargés de s’occuper des audiences disciplinaires, mais nombre étaient ceux qui estimaient que ces organes parlementaires n’étaient pas en mesure de mener les enquêtes. Il était particulièrement difficile de s’assurer du respect du principe de l’équité procédurale. Comme il a été expliqué dans l’arrêt Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714 (Cosgrove C.A.F.), aux paragraphes 44, 45 et 48, la création par la loi d’un organisme fédéral (le Conseil) visait à régler le problème :
La Loi constitutionnelle de 1867 ne prévoit aucune ligne directrice quant à la procédure à suivre, ou quant aux principes à appliquer, lorsque le Sénat et la Chambre des communes sont invités à examiner si la conduite d’un juge justifie sa destitution. Il est généralement admis que c’est au ministre qu’il revient de présenter la question au Sénat et à la Chambre des communes mais il semble que, dans les rares cas où la conduite d’un juge a été mise en cause, les détails de la procédure ont été conçus en fonction des nécessités du moment.
(ii) Le contexte historique de la partie II de la Loi sur les juges
L’absence de directives quant à la forme et quant au fond a créé de réelles difficultés à la fin des années 60 dans une affaire qui concernait le juge Léo Landreville : voir Landreville c. La Reine, [1973] C.F. 1223 (1re inst.) (la décision Landreville n° 1); Landreville c. La Reine, [1977] 2 C.F. 726 (1re inst.) (la décision Landreville n°2); Landreville c. R., [1981] 1 C.F. 15 (1re inst.) (la décision Landreville n°3); Martin L. Friedland, Une place à part : l’indépendance et la responsabilité de la magistrature au Canada (Ottawa : Conseil canadien de la magistrature, 1995), à la page 88; et William Kaplan, Bad Judgment: The Case of Mr. Justice Leo A. Landreville (Toronto : University of Toronto Press, 1996). Ce précédent a conduit le ministre, en 1971, à proposer l’adoption de ce qui est aujourd’hui la partie II de la Loi sur les juges […]
[…]
La procédure suivie dans l’affaire Landreville pourrait faire l’objet de nombreuses critiques, mais il me semble que la racine du problème était l’absence d’une procédure équitable et détaillée applicable aux enquêtes sur les plaintes concernant la conduite des juges des juridictions supérieures. La solution retenue fut l’adoption, en 1971, de la partie II de la Loi sur les juges. Comme je l’ai dit plus haut, ces dispositions créaient le Conseil et habilitaient celui‑ci à mener des enquêtes sur la conduite des juges et à présenter ses recommandations au Parlement.
[6] Les modifications à la Loi sur les juges ont été adoptées au cours de l’année qui a suivi l’adoption de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10 (la Loi sur la Cour fédérale), maintenant la Loi sur les Cours fédérales. La Loi sur la Cour fédérale, entre autres choses, a transféré la responsabilité d’exercer le contrôle judiciaire des tribunaux administratifs fédéraux des cours supérieures provinciales à la Cour fédérale du Canada, comme elle s’appelait alors. La Loi sur la Cour fédérale et la Loi sur les juges, modifiée, sont toutes les deux entrées en vigueur le 1er août 1972. Trente ans plus tard, la Cour fédérale, comme entité distincte de la Cour d’appel fédérale, fut maintenue à titre de cour supérieure d’archives ayant compétence en matières civile et pénale par la Loi sur le Service administratif des tribunaux judiciaires, L.C. 2002, ch. 8.
[7] La mission du Conseil est énoncée au paragraphe 60(1) de la Loi sur les juges. Celle-ci consiste à améliorer le fonctionnement des juridictions supérieures, ainsi que la qualité de leurs services judiciaires, et de favoriser l’uniformité dans l’administration de la justice devant ces tribunaux. Le paragraphe 60(2) de la Loi sur les juges mentionne que, dans le cadre de sa mission, le Conseil a notamment le pouvoir de procéder aux enquêtes sur les plaintes ou les accusations relatives aux juges mentionnés à l’article 63 de la Loi sur les juges.
[8] L’article 63 de la Loi sur les juges prévoit deux circonstances dans lesquelles le Conseil peut faire enquête sur la conduite d’un juge nommé par le gouvernement fédéral. Premièrement, selon le paragraphe 63(1), le ministre de la Justice (le ministre) ou le procureur général d’une province peut ouvrir une enquête pour savoir si un juge d’une cour supérieure devrait être destitué pour les motifs énoncés aux alinéas 65(2)a) à 65(2)d). Ces motifs comprennent notamment, comme le prévoit l’alinéa 65(2)d), un juge qui s’est placé dans une situation d’incompatibilité, qu’elle lui soit imputable ou qu’elle soit imputable à toute autre cause. Deuxièmement, selon le paragraphe 63(2), le Conseil peut en outre enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge d’une juridiction supérieure. L’enquête menée en vertu du paragraphe 63(2) ne se limite pas à la question de savoir si le juge doit être destitué. Toutefois, cette question peut être examinée s’il est conclu que, comme le permet le paragraphe 63(3) de la Loi sur les juges, un comité d’enquête devrait être constitué.
L’enquête menée par le Conseil et le processus d’enquête
[9] Selon le paragraphe 61(1) de la Loi sur les juges, le Conseil peut, par règlement administratif, régir la procédure relative aux enquêtes visées à l’article 63. C’est ce qu’il a fait en adoptant le Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes, DORS/2002-371 (le Règlement). Il s’agit d’un texte législatif et, par conséquent, il a force de loi.
[10] De plus, le Conseil a édicté des politiques et des procédures concernant la conduite des enquêtes. Il s’agit des Procédures relatives à l’examen des plaintes déposées au Conseil canadien de la magistrature au sujet de juges de nomination fédérale (les Procédures relatives aux plaintes) [14 octobre 2010], et des Politiques du CCM à l’égard des enquêtes, qui comprennent la Politique sur les comités d’enquête, la Politique sur l’avocat indépendant et la Politique sur l’examen du rapport du comité d’enquête par le Conseil. Les procédures et les politiques ne sont pas des textes législatifs et, par conséquent, n’ont pas force obligatoire, mais on s’attend à ce qu’elles soient observées, sauf s’il existe une raison valable de déroger à celles-ci. Une dérogation injustifiable à une politique ou une procédure qui porte atteinte aux intérêts d’une partie pourrait équivaloir à une violation du principe juridique de l’équité : Black c. Conseil consultatif de l’ordre du Canada, 2012 CF 1234; conf. par 2013 CAF 267.
[11] Les dispositions pertinentes de la Loi sur les juges, le Règlement, les procédures et les politiques sont reproduites dans l’annexe des présents motifs du jugement.
[12] Ensemble, la Loi sur les juges, le Règlement, et les politiques et les procédures connexes établissent un processus d’enquête à plusieurs étapes pour les affaires déclenchées par une plainte concernant la conduite d’un juge. Ce processus comporte au moins cinq étapes d’examen distinctes.
[13] Premièrement, tel qu’indiqué à l’article 2.2 des Procédures relatives aux plaintes, le directeur exécutif du Conseil examine d’abord toutes les plaintes et décide si l’une ou l’autre plainte justifie l’ouverture d’un dossier. Si aucun dossier n’est ouvert, le plaignant en est avisé et l’affaire ne va pas plus loin. Cet examen préliminaire sert à éviter que le Conseil consacre du temps à des plaintes non justifiées.
[14] Deuxièmement, si un dossier est ouvert, le président ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges examine la plainte et peut fermer le dossier, demander des renseignements supplémentaires au plaignant, ou demander des commentaires au juge et à son juge en chef, comme le prévoient les articles 3 à 8 des Procédures relatives aux plaintes.
[15] Troisièmement, si le dossier n’est pas fermé par le président ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges, un comité d’examen officiel, constitué de trois à cinq juges d’une juridiction supérieure, examine la plainte et les observations écrites du juge en question et décide si la plainte peut être réglée à cette étape ou si elle est suffisamment grave pour justifier la révocation et devrait ainsi être déférée à un comité d’enquête, comme il est prévu à l’article 9 des Procédures relatives aux plaintes et à l’article 1.1 du Règlement. Le président ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges nomme les membres du comité d’examen conformément au paragraphe 1.1(2) du Règlement.
[16] Quatrièmement, si le comité d’examen estime que l’affaire est suffisamment grave pour être déférée, une audience en règle est tenue devant un comité d’enquête composé de deux ou trois membres du Conseil nommés par le président ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges et d’un ou deux membres du barreau d’une province nommés par le ministre, conformément aux paragraphes 2(1) et 2(1.1) du Règlement ainsi qu’au paragraphe 63(3) de la Loi sur les juges. Les membres du comité d’examen ne jouent plus aucun rôle dans la procédure concernant la plainte contre le juge. Selon le paragraphe 2(2) du Règlement, le président ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges désigne le président du comité d’enquête parmi les membres de celui-ci. Le paragraphe 63(4) de la Loi sur les juges énonce les pouvoirs du comité d’enquête. Le comité d’enquête entend la preuve concernant les plaintes ou les allégations et, selon l’article 8 du Règlement, il remet au Conseil un rapport dans lequel il consigne les résultats de l’enquête. Ce rapport comprend les conclusions de fait et les conclusions du comité quant à savoir si la révocation du juge devrait être recommandée.
[17] À la cinquième étape du processus, le Conseil examine la plainte ou les allégations et se prononce sur leur bien-fondé. Afin de s’acquitter de cette tâche, l’article 10.1 du Règlement prévoit qu’une formation du Conseil est constituée d’au moins 17 membres du Conseil qui n’ont pas participé au processus d’enquête. Il appartient au Conseil de déterminer si le juge en cause est inapte à remplir utilement ses fonctions.
[18] L’article 65 de la Loi sur les juges et les articles 10.1 et 13 du Règlement prévoient que, à l’issue de l’enquête, le Conseil présente au ministre un rapport sur ses conclusions et lui communique le dossier. Le Conseil peut, dans son rapport d’enquête, recommander la révocation du juge. Pour des motifs qui seront analysés plus loin, on peut estimer qu’il s’agit là de la sixième étape du processus, laquelle est distincte du reste du processus.
[19] Je souligne que la présidente du Conseil, la juge en chef du Canada, ne participe pas aux procédures de délibération dans les affaires de conduite des juges. Il en est ainsi parce que, vraisemblablement, toute décision rendue dans le cadre d’un contrôle judiciaire quant au processus peut au bout du compte faire l’objet d’un pourvoi à la Cour suprême du Canada.
Le rôle du Comité sur la conduite des juges
[20] Le Comité sur la conduite des juges est un comité constitué par le Conseil et il est défini à l’article 1 du Règlement. Le Comité sur la conduite des juges est composé de cinq membres du Conseil : un président et quatre vice-présidents.
[21] Selon le témoignage de Me Norman Sabourin, le directeur exécutif et l’avocat général principal du Conseil, le Comité sur la conduite des juges est chargé de s’occuper de toutes les affaires ayant trait à la conduite des juges qui sont portées à l’attention du Conseil, et de superviser le processus d’enquête conformément aux Procédures relatives aux plaintes. Lorsque le directeur exécutif du Conseil ouvre un dossier relativement à une plainte, le président ou un vice-président du Comité sur la conduite des juges examine l’affaire conformément à l’alinéa 3.4b) des Procédures relatives aux plaintes et peut renvoyer l’affaire à un comité d’examen.
[22] Selon l’article 9.2 des Procédures relatives aux plaintes, après avoir renvoyé un dossier à un comité d’examen, le président ou le vice-président ne peut participer à aucun autre examen du bien-fondé de la plainte par le Conseil. Selon le témoignage de Me Sabourin, le rôle du président ou du vice-président se limite ensuite à des tâches générales de supervision du processus d’enquête prévu dans les Procédures relatives aux plaintes et le Règlement; la désignation des membres du comité d’examen en vertu du paragraphe 1.1(1) du Règlement; au besoin, la nomination des membres du comité d’enquête conformément au paragraphe 2(1) du Règlement et du paragraphe 63(3) de la Loi sur les juges; une fois de plus, au besoin, la nomination d’un avocat indépendant pour présenter l’affaire au comité d’enquête. Selon le témoignage de Me Sabourin, le rôle du président ou du vice-président consiste notamment à informer l’avocat indépendant quant à sa mission, bien que ce rôle ne soit pas expressément énoncé dans le Règlement.
Le rôle de l’avocat indépendant
[23] Lorsqu’un comité d’enquête est constitué, l’avocat indépendant est nommé par le président ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges en conformité avec le paragraphe 3(1) du Règlement et de l’article 62 de la Loi sur les juges. Le paragraphe 3(1) du Règlement prévoit que l’avocat indépendant doit être « membre du barreau d’une province depuis au moins dix ans et dont la compétence et l’expérience sont reconnues au sein de la communauté juridique ».
[24] La Politique sur l’avocat indépendant mentionne que la « raison d’être » de la création du poste d’avocat indépendant est de lui permettre d’agir sans lien de dépendance avec le Conseil canadien de la magistrature et le comité d’enquête, ce qui permet à l’avocat indépendant de présenter et de tester les éléments de preuve avec vigueur, abstraction faite des vues préalables du comité d’enquête ou du Conseil.
[25] La Politique mentionne que le rôle de l’avocat indépendant est exceptionnel, car une fois qu’il est nommé, l’avocat indépendant « n’agit pas selon les directives d’un client quelconque », mais « en conformité avec le droit et d’après son avis professionnel de ce qu’exige l’intérêt public ». La Politique souligne que l’avocat indépendant « est impartial en ce sens qu’il ne représente aucun client ». Selon Me Sabourin, cette politique est censée se limiter à la présentation de l’affaire au comité d’enquête.
[26] L’avocat indépendant « présente l’affaire au comité d’enquête, notamment en présentant des observations sur les questions de procédure ou de droit qui sont soulevées lors de l’audience » et « agit avec impartialité et conformément à l’intérêt public » en conformité avec les paragraphes 3(2) et 3(3), respectivement, du Règlement. Dans la preuve qu’il a présentée, Me Sabourin a souligné que bien que l’avis de l’avocat indépendant quant à ce qu’exige l’intérêt public sera dûment pris en compte par le comité d’enquête et le Conseil, c’est à ces deux instances qu’il revient en fin de compte de déterminer ce qu’exige l’intérêt public.
[27] La Politique sur l’avocat indépendant prévoit également que l’avocat indépendant n’a aucun pouvoir de négocier le « règlement » des questions devant le comité d’enquête. Cet élément a été ajouté à la Politique à la suite d’une enquête antérieure dans le cadre de laquelle l’avocat indépendant a cherché à exercer ce rôle. Rien dans la Politique n’indique que l’avocat indépendant peut ou ne peut pas demander le contrôle judiciaire d’une décision du comité d’enquête. Selon Me Sabourin, une telle action déborde du cadre de la mission de l’avocat indépendant.
La relation entre le président ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges et l’avocat indépendant
[28] Selon Me Sabourin, l’avocat indépendant reçoit des directives quant à sa mission de la part du président ou du vice-président du Comité sur la conduite des juges qui l’a nommé. Ces directives, selon lui, ne sont pas spécifiques à la présentation de l’affaire. Elles ont plutôt trait à des questions que l’avocat indépendant peut avoir concernant son rôle ou la nature et la portée de sa mission. Me Sabourin prétend que c’est au président ou au vice-président du Comité sur la conduite des juges que revient cette tâche étant donné que l’avocat indépendant est tenu de présenter l’affaire de manière indépendante et impartiale au comité d’enquête et au Conseil et étant donné que, selon l’article 9.2 des Procédures relatives aux plaintes, le président ou le vice‑président ne peut pas participer aux délibérations du comité d’enquête ou du Conseil sur le bien-fondé de l’affaire.
[29] Selon Me Sabourin, le président ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges n’agit pas dans son intérêt personnel en donnant des directives à l’avocat indépendant, mais plutôt dans l’intérêt du Conseil à titre d’institution.
[30] Me Sabourin a affirmé dans son témoignage que l’intérêt public comprend la tâche de voir à ce que le juge bénéficie d’un processus équitable, ainsi que de maintenir la confiance dans la magistrature à titre d’institution. Le président ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges donne des directives à l’avocat indépendant dans l’intérêt de cette optique d’intérêt public institutionnel.
Historique du processus d’enquête du Conseil
[31] Avant qu’elle soit nommée juge, la demanderesse, la juge Douglas, et son époux, M. Jack King, pratiquaient le droit chez Thompson, Dorfman, Sweatman LLP (TDS) à Winnipeg. Au cours d’activités sexuelles privées, licites et consensuelles, la demanderesse a autorisé M. King à prendre des photos pour son usage personnel. En 2002 et 2003, M. King a affiché certaines de ces photos sur Internet. En avril 2003, M. King a invité un client, M. Alexander Chapman, à aller voir des photos qu’il avait affichées en ligne, il a présenté M. Chapman à la demanderesse et a plus tard envoyé par courriel des photos de la demanderesse à M. Chapman.
[32] En juin 2003, M. Chapman a menacé M. King et TDS de poursuites judiciaires pour harcèlement sexuel. Aucune plainte n’a été déposée contre la demanderesse. En juillet 2003, M. King a réglé l’affaire par le versement d’une somme d’argent à M. Chapman. Selon les modalités du règlement, M. Chapman devait rendre ou supprimer de son ordinateur tout le matériel fourni par M. King, et signer une renonciation à toute réclamation ainsi qu’une clause de confidentialité.
[33] En mai 2005, la demanderesse a été nommée juge à la division de la famille de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. En 2009, la demanderesse a été nommée juge en chef adjointe de la division de la famille.
[34] En août 2010, M. Chapman a déposé une plainte au Conseil dans laquelle il prétendait avoir été, en 2003, victime de harcèlement sexuel et de discrimination de la part de la demanderesse et de M. King (la plainte Chapman). Lorsque, en 2010, M. Chapman, a rendu publique la plainte qu’il avait déposée au Conseil, des photos de la demanderesse ont été affichées sur Internet.
L’examen initial effectué par le vice-président du Comité sur la conduite des juges
[35] Conformément aux Procédures relatives aux plaintes et au Règlement, et avec l’aide de Me Sabourin, l’honorable Neil Wittmann, juge en chef de la Cour du Banc de la reine de l’Alberta et un des vice-présidents du Comité sur la conduite des juges, a examiné la plainte initiale qui a été déposée contre la demanderesse. Le vice-président a conclu que la plainte Chapman devait faire l’objet d’un examen plus poussé et il l’a renvoyée à un comité d’examen composé de cinq juges qu’il a nommés au comité.
[36] À la suite de la plainte déposée par M. Chapman, le Conseil a reçu deux cédéroms contenant des vidéos et des photos qui ont été traités comme deuxième plainte par le directeur exécutif agissant selon les directives du vice-président.
Le comité d’examen
[37] En juillet 2011, après avoir examiné la plainte Chapman et les renseignements additionnels recueillis par un avocat externe dont les services ont été retenus à titre d’arbitre des faits, le comité d’examen a conclu que la plainte Chapman était peut-être suffisamment grave pour justifier la révocation de la demanderesse. Il a conclu qu’un comité d’enquête devrait être constitué en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi sur les juges et du paragraphe 1.1(3) du Règlement afin d’enquêter sur la conduite de la demanderesse. Le comité d’examen a renvoyé les deux questions suivantes au comité d’enquête afin que celui-ci les examine : si la possibilité par le public d’avoir accès aux photos a placé la demanderesse dans une situation incompatible avec l’exécution de ses fonctions; et d’établir si l’affaire King-Chapman avait fait l’objet d’une divulgation appropriée dans le cadre de la demande de nomination comme juge présentée par la demanderesse.
La nomination d’un avocat indépendant
[38] En août 2011, le juge en chef Wittmann, en vertu de l’article 62 de la Loi sur les juges et du paragraphe 3(1) du Règlement, a nommé Me Guy Pratte avocat indépendant du comité d’enquête. La nomination de Me Pratte, qui a eu lieu à la suite de conversations téléphoniques entre Me Sabourin et Me Pratte, a été confirmée par une lettre datée du 29 août 2011 de Me Sabourin.
Le déroulement de l’enquête
[39] Les membres du comité d’enquête ont été nommés à l’automne 2011 par le juge en chef Wittmann. Le comité d’enquête a nommé son propre avocat, Me George McIntosh, pour l’aider dans le déroulement de l’enquête. Selon la Politique sur les comités d’enquête, l’avocat du comité ne devait pas participer activement aux audiences. Selon la politique, son rôle consistait à aider le comité d’enquête à rédiger les décisions et le rapport final.
[40] Le comité a demandé et a reçu des observations de la part de l’avocat indépendant et de l’avocat de la juge Douglas quant à la manière de procéder avec la divulgation des allégations et quant au rôle joué par l’avocat indépendant dans le cadre du processus d’enquête. Le 15 mai 2012, le comité a rendu une décision détaillée [Décisions du Comité d’enquête au sujet de l’hon. Lori Douglas concernant certaines questions préliminaires] énonçant son interprétation des dispositions pertinentes de la Loi sur les juges et du Règlement, des politiques et des procédures du Conseil. Le comité, dans sa décision [au paragraphe 42] du 15 mai 2012, a notamment souligné que le processus était de nature inquisitoire et que le comité était « ultimement responsable de la collecte et de la présentation de la preuve à l’intention du Conseil et du public, tout en donnant aux parties visées la possibilité de participer », contrairement à ce qui se passe dans une procédure contradictoire comme un litige civil.
[41] Dans la décision [au paragraphe 57] du 15 mai 2012, le comité s’est dit d’avis que l’avocat indépendant « n’agit pas de la manière habituelle d’un procureur qui recevrait des instructions de son client » et que son rôle se limite à présenter la preuve contre la juge et à soumettre des observations connexes relativement au droit et à la procédure. Le comité a conclu qu’il avait l’entière responsabilité de son processus et du contrôle de ce processus sous réserve des lois, des politiques du Conseil et du principe de l’équité. En conséquence, le comité a conclu, après le début de l’audition de la preuve, qu’il serait plus opportun que son avocat, Me McIntosh, pose des questions complémentaires aux témoins plutôt que ce soit les membres du comité qui le fassent.
[42] Il y a eu controverse quant à la manière selon laquelle Me McIntosh a contre-interrogé M. King et l’associé directeur général de TDS à l’époque pertinente, M. Sinclair. Selon l’avocat indépendant et la demanderesse, le contre-interrogatoire était trop agressif, débordait du cadre du rôle de l’avocat du comité et était potentiellement injuste envers la demanderesse.
[43] Le 26 juillet 2012, la demanderesse a présenté une requête en récusation du comité d’enquête. La demanderesse a prétendu que le fait que l’avocat du comité lui ait posé des questions et la manière selon laquelle il les avaient posées avait suscité une crainte raisonnable de partialité à son encontre. De plus, l’avocat indépendant s’est formellement opposé à ce que l’avocat du comité interroge les témoins parce que, notamment, cela contrevenait au Règlement et aux politiques du Conseil et que cela créait un risque qu’il y ait apparence de conflit. Le 27 juillet 2012, le comité d’enquête a rejeté la requête en récusation en formulant de vive voix des remarques préliminaires. Le comité d’enquête a motivé par écrit sa décision le 20 août 2012 [Décision du Comité d’enquête au sujet de l’hon. Lori Douglas concernant la demande en récusation de tous les membres du Comité d’enquête en raison d’une allégation de crainte raisonnable de partialité].
L’instance devant la Cour fédérale
[44] Le 20 août 2012, la demanderesse a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision du comité d’enquête rejetant sa requête en récusation. Ce même jour, l’avocat indépendant a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision du comité d’enquête qu’il était habilité à enjoindre à l’avocat du comité de contre-interroger les témoins.
[45] Le 26 août 2012, Me Pratte a remis sa démission à titre d’avocat indépendant au Conseil, à compter de ce jour. Cela faisait suite à un échange de correspondance entre Me Pratte et Me Sabourin.
[46] Le 27 août 2012, l’avocate de la demanderesse a communiqué par courriel avec Me Sabourin et Me Pratte, pour demander une copie de la lettre de démission et de toutes communications connexes. Elle soulignait qu’étant donné que la Politique sur l’avocat indépendant du Conseil mentionne que l’avocat indépendant n’a aucun client, la question du privilège ne devrait pas entrer en ligne de compte. Dans un deuxième courriel, daté du 27 août 2012, l’avocate de la demanderesse a à nouveau demandé qu’on lui remette la lettre de démission de Me Pratte ainsi que toutes communications connexes. Elle a également demandé que Me Sabourin dise qui lui donnait des directives afin qu’elle puisse communiquer directement avec cette personne au cas où Me Sabourin ne répondrait pas. Ce même jour, Me Sabourin a répondu en disant qu’il ne pouvait pas acquiescer à la demande, que l’affirmation selon laquelle les communications qu’il avait eues avec Me Pratte n’étaient pas visées par le privilège était erronée et que toute préoccupation quant au processus devrait être soulevée devant le comité d’enquête.
[47] Dans une lettre datée du 28 août 2012 adressée à Me Sabourin, l’avocate de la demanderesse a formellement demandé, conformément à la règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles des Cours fédérales), la transmission de la lettre de démission de Me Pratte ainsi que de toutes communications connexes qui se trouvaient en possession du Conseil.
[48] Le 17 septembre 2012, Me Sabourin a répondu que toutes les communications dont la transmission était demandée avaient eu lieu entre lui-même, pour le compte du vice-président, et Me Pratte, et qu’étant donné qu’elles n’étaient pas en possession du tribunal, dont l’ordonnance faisait l’objet d’un contrôle judiciaire, et qu’elles n’avaient aucune pertinence relativement aux décisions du comité d’enquête, les règles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales ne s’appliquaient pas. En outre, Me Sabourin a écrit que les communications étaient visées par le privilège avocat-client, comme l’a prétendu le vice-président du Comité sur la conduite des juges pour le compte du Conseil. En conséquence, Me Sabourin a refusé de divulguer les communications demandées.
[49] Le 27 septembre 2012, le juge en chef Wittmann a désigné Me Suzanne Côté avocate indépendante au comité d’enquête, en remplacement de Me Pratte. Me Côté n’a rien fait afin d’appuyer la demande de contrôle judiciaire présentée par Me Pratte et, comme il n’était plus en mesure de la maintenir, la demande a en fin de compte été rejetée pour cause de retard.
[50] Le procureur général du Canada a été désigné comme défendeur dans les deux demandes de contrôle judiciaire. Le paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales prévoit que le procureur général est désigné comme défendeur lorsque personne n’est directement touché par l’ordonnance sollicitée dans la demande ou ne doit être désigné comme défendeur. Par voie de requête déposée en vertu du paragraphe 303(3), le procureur général a demandé à ne plus agir comme défendeur dans chacune des demandes parce qu’il craignait que sa participation soit incompatible avec son rôle de ministre de la Justice si la révocation était recommandée à la suite de l’enquête Dans des motifs rendus le 30 avril 2013, la protonotaire Tabib a conclu que le rôle joué par le ministre de la Justice dans le processus disciplinaire relatif aux juges n’était pas incompatible avec son rôle de défendeur au titre du paragraphe 303(2) parce qu’il jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer comment il va participer à une instance de contrôle judiciaire. Il n’était pas tenu de s’opposer à la demande et pouvait limiter sa participation à la formulation d’observations afin d’aider la Cour : Douglas c. Canada (Procureur général), 2013 CF 451, [2014] 4 R.C.F. 494.
[51] Dans la même décision, la requête de M. Chapman visant à être constitué défendeur nécessaire a été rejetée. M. Chapman avait déjà déposé une demande de contrôle judiciaire au sujet de la légalité de la démission de l’avocat indépendant et de la décision du Conseil de l’accepter. Il s’est par la suite désisté de cette demande.
[52] Le 21 mai 2013, la juge Douglas a déposé une requête en autorisation de modifier sa demande pour ajouter un nouveau motif, à savoir que la prétention du Conseil selon laquelle il existe une relation avocat-client entre l’avocat indépendant et le juge en chef Wittmann a suscité une crainte raisonnable de partialité institutionnelle. La requête a été accueillie le 29 mai 2013. L’avis de modification de la demande de la juge Douglas a été déposé le 10 juin 2013. Le Conseil a reçu, en octobre 2012, l’avis concernant l’intention de la demanderesse de présenter une telle requête.
[53] La requête en autorisation d’intervenir dans la présente instance déposée par le Conseil a été accueillie le 11 juin 2013. L’intervention a été limitée à la question de la nature et de la qualification de la relation entre l’avocat indépendant et le Conseil et/ou le vice-président du Comité sur la conduite des juges et sur la question de savoir si cette relation et/ou la prétention de l’existence d’une relation avocat-client entre eux suscite une crainte raisonnable de partialité institutionnelle défavorable à la demanderesse.
[54] La requête en autorisation d’intervenir déposée par le comité d’enquête et celle déposée par l’Association canadienne des juges des cours supérieures (l’ACJCS) ont été refusées. En ce qui concerne l’ACJCS, la protonotaire Tabib n’a pas été convaincue qu’elle pouvait apporter quelque chose de différent de ce qui avait déjà été avancé par la demanderesse. Elle a conclu que les observations du comité d’enquête pouvaient seulement toucher à l’intérêt public de permettre au comité de terminer son travail, un point de vue qui pouvait être avancé par le procureur général. En outre, le comité était le « tribunal » dont les décisions et le processus faisaient l’objet d’un contrôle. Son impartialité était directement en cause et son intervention pouvait être perçue comme étant une prise de position défavorable à la demanderesse.
[55] La nouvelle avocate indépendante, Me Côté, a demandé et a obtenu l’autorisation de n’intervenir que relativement à la nature du rôle de l’avocat indépendant et de sa relation avec l’avocat du comité, le Conseil et le vice-président du Comité sur la conduite des juges. L’appel qu’elle a interjeté à l’encontre de cette ordonnance a été rejeté.
[56] Le 12 juillet 2013 [Douglas c. Canada (Procureur général), 2013 CF 776], la juge Snider a accueilli la requête présentée par la demanderesse en vue de surseoir à l’instance devant le comité d’enquête en attendant que sa demande de contrôle soit tranchée. La juge Snider a fait remarquer que, bien qu’il puisse y avoir défense de prématurité (au paragraphe 15) :
[traduction] […] les politiques du Conseil contenaient des énoncés clairs concernant l’impartialité de l’avocat indépendant et le fait que ce dernier « ne représente aucun client ». Ces énoncés, après examen sommaire, peuvent aussi soulever de sérieuses questions en ce qui a trait au fait que le Conseil affirme qu’il existe un privilège avocat‑client.
[57] La demanderesse a présenté une requête en vue d’obtenir des directives, conformément à la règle 318 des Règles des Cours fédérales, par rapport à sa demande de transmission de la correspondance Sabourin-Pratte. Le 13 septembre 2013, la protonotaire Tabib [T-1567-12] a rejeté les objections soulevées par le Conseil relativement à cette requête en divulgation, parce qu’elles n’étaient pas suffisamment pertinentes. Elle a aussi conclu que l’affirmation du Conseil selon laquelle il existe une relation avocat‑client avec l’avocat indépendant constituait une décision au sens de la règle 317 des Règles des Cours fédérales, que les communications se rapportant à cette décision constituent le dossier de la décision et qu’elles sont par conséquent susceptibles de divulgation, sous réserve de la question du privilège. La protonotaire Tabib a de plus conclu que même si elle faisait fausse route, les communications étaient pertinentes quant aux questions soulevées par le contrôle judiciaire et que l’intérêt de la justice requerrait que les documents fassent partie du dossier de la Cour lorsque celle‑ci se pencherait sur le fond de la demande, mais qu’ils resteraient sous scellé et qu’ils seraient traités de manière confidentielle jusqu’à ce que la Cour en ordonne autrement. Le Conseil a présenté une requête en appel visant l’annulation de cette décision. Le 5 novembre 2013, le Conseil s’est désisté de son appel.
[58] Le 11 octobre 2013, la juge Douglas a déposé un nouvel avis de demande modifié, conformément à l’autorisation accordée par la protonotaire Tabib dans une ordonnance datée du 10 octobre 2013.
[59] À la suite de la démission du comité d’enquête le 20 novembre 2013, l’avocate indépendante a demandé l’autorisation d’intervenir, laquelle lui a été accordée, pour qu’elle puisse présenter des observations concernant la question du caractère prématuré de la mesure sollicitée par la demanderesse en lien avec son allégation de partialité institutionnelle. L’ACJCS a renouvelé sa requête en autorisation d’intervenir, compte tenu de la thèse adoptée par le Conseil dans son mémoire des arguments selon laquelle la Cour n’avait pas compétence pour instruire la demande. L’ACJCS a obtenu l’autorisation de présenter des observations écrites et des plaidoiries, mais uniquement sur cette question.
Les décisions faisant l’objet du contrôle judiciaire
[60] Comme il a été mentionné ci-dessus, les décisions rendues par le comité d’enquête ne sont plus en cause dans la présente instance. La protonotaire Tabib a conclu, dans le contexte d’une requête préliminaire, que l’affirmation selon laquelle il existe une relation avocat-client entre l’avocat indépendant et le Conseil constitue en soi une décision pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire. De plus, elle a conclu qu’il s’agit d’un élément pertinent quant à la question de la partialité institutionnelle. Le courriel daté du 28 août 2012 et la lettre datée du 17 septembre 2012, que Me Sabourin a envoyés à l’avocate de la demanderesse, démontrent que, selon lui, il existe une relation avocat-client.
[61] Selon Me Sabourin dans sa lettre datée du 17 septembre 2012, la nomination de Me Pratte faisait partie du rôle joué par le vice‑président dans le processus. Dans le cadre de ce rôle, le vice-président [traduction] « donnait des instructions [à Me Pratte] au sujet de son mandat ». À ce stade-là, Me Sabourin affirme qu’il a écrit [traduction] « que la relation avocat-client a pris naissance, et s’est poursuivie tout au long du mandat de Me Pratte ». Bien que l’avocat indépendant agisse sans lien de dépendance avec les entités délibérantes du Conseil, « cela n’empêche pas l’existence d’une relation avocat-client entre le Conseil — par l’entremise du vice-président du Comité sur la conduite des juges — et l’avocat indépendant ». Le vice-président fait part de ses instructions à chaque avocat indépendant au sujet de leur mandat, mais il ne donne aucune instruction quant à l’affaire visée par l’enquête, et ce, tout au long de l’enquête.
[62] D’après Me Sabourin, toutes les communications entre « le Conseil » et Me Pratte étaient en fait des communications entre Me Sabourin, pour le compte du vice-président du Comité sur la conduite des juges, et Me Pratte.
[63] Selon l’état actuel de la demande, c’est la décision du juge en chef Wittmann, à titre de vice‑président du Comité sur la conduite des juges, d’invoquer le privilège à l’égard des communications entre Me Sabourin et Me Pratte en raison de la relation avocat-client entre le Conseil et Me Pratte qui constitue la décision visée par le contrôle judiciaire ainsi que le fondement sur lequel repose l’allégation de partialité institutionnelle.
[64] Avant la tenue de l’audience, et malgré la démission du comité d’enquête, la Cour a été avisée que la question de sa compétence pour procéder au contrôle judiciaire des mesures et des décisions prises par le Conseil ou par un comité d’enquête dans le cadre d’une « enquête » menée au titre de l’article 63 de la Loi sur les juges était toujours une question en litige entre les parties et serait susceptible de se poser de nouveau lors de la nomination d’un nouveau comité d’enquête et de la reprise des instances. Pour ce motif, les parties ont consenti à ce que je me penche sur cette question.
[65] Lors de l’audience, la demanderesse a prétendu que la Cour conserverait compétence pour procéder à l’examen de la décision du juge en chef Wittmann, et ce, même si la question de la compétence au sens plus large pouvait être considérée comme étant théorique, puisqu’il ne s’agissait pas d’une décision prise par le Conseil ou par le comité d’enquête. Me Sabourin avait admis ce fait lors de son contre‑interrogatoire. Malgré cette admission, le Conseil a fait valoir que je devrais répondre à la question générale de compétence, et ce, même si je devais conclure qu’une telle chose ne serait pas nécessaire pour examiner l’allégation de partialité institutionnelle. Étant donné que les parties et les intervenants étaient prêts à débattre de la question générale et qu’il s’agit d’une question qui sera sans aucun doute soulevée ultérieurement, j’ai conclu qu’il serait approprié d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’entendre les plaidoiries quant à la question de la compétence et de me prononcer sur celles‑ci.
[66] Après avoir examiné les observations des parties et des intervenants, je formulerais ainsi les questions en litige :
1. Le comité d’enquête et le Conseil, lorsqu’ils effectuent des enquêtes conformément à la Loi sur les juges, sont-ils assujettis au contrôle judiciaire à titre de tribunaux administratifs fédéraux?
2. La présente demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée?
3. L’affirmation du Conseil quant à l’existence d’une relation avocat-client avec l’avocat indépendant soulève-t-elle une crainte raisonnable de partialité institutionnelle?
[67] Au cours de la présente instance, le procureur général s’en est tenu à aider la Cour à parvenir à une décision qui est compatible avec le droit applicable. Il n’a pas pris position quant au fond de la question de la partialité institutionnelle. L’avocat du procureur général a avisé la Cour lors des séances de gestion de l’instance que le procureur général n’avait pas l’intention de plaider que la demande était prématurée. Lors de l’audience, le procureur général a fait valoir la thèse selon laquelle il serait dans l’intérêt public que la Cour tranche complètement les questions en litige exposées ci-dessus, y compris celle portant sur la partialité institutionnelle.
LES DISPOSITIONS JURIDIQUES APPLICABLES
[68] Les dispositions applicables de la Loi sur les juges, la Loi sur les Cours fédérales et de la Loi constitutionnelle de 1867, ainsi que du Règlement, de la Procédure de règlement des plaintes du Conseil et de ses politiques sont reproduites à l’annexe. Au besoin et par souci de commodité, la Cour renverra de manière explicite à ces textes, dans les présents motifs.
LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE
[69] Dans la mesure où il est nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle applicable à la première question préliminaire, la norme de contrôle applicable est la décision correcte, puisque cette question a trait à une véritable question de compétence ou de limite de pouvoirs : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, au paragraphe 62. Il ne s’agit pas d’un cas où le tribunal interprète uniquement sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à sa mission et dont il a une connaissance approfondie : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 30. Dans la présente affaire, le Conseil vise à écarter la compétence de surveillance d’une cour supérieure créée sous le régime d’une autre loi, la Loi sur les Cours fédérales, loi que le Conseil n’applique pas et qui n’est pas étroitement liée à son rôle et dont il n’a pas une connaissance approfondie.
[70] La question du caractère prématuré de la demande est une question mixte de faits et de droit. La question consiste essentiellement à savoir si l’intérêt public commande que le comité d’enquête et le Conseil soient autorisés à s’acquitter au complet de leur tâche avant d’être assujettis au contrôle judiciaire. La manière dont le Conseil interprète ses propres politiques et procédures, y compris celles concernant le rôle des comités d’enquête et celui de l’avocat indépendant, appelle un degré de déférence important. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249 (Moreau-Bérubé), au paragraphe 62, les cours de révision ne devraient pas intervenir à moins que le Conseil n’ait adopté une interprétation qui ne peut pas raisonnablement être soutenue.
[71] En ce qui a trait à la troisième question en litige, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Lorsqu’un demandeur allègue l’existence d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale (y compris la crainte de partialité) par un tribunal administratif, la seule question que la Cour doit trancher est celle de savoir si la conduite du tribunal constitue un tel manquement. Un tribunal qui siège en dépit d’un manquement à son obligation d’agir équitablement perd compétence : Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 981, au paragraphe 51; Canadian College of Business and Computers Inc. v. Ontario (Private Career Colleges Act), 2010 ONCA 856, 17 Admin. L.R. (5th) 245, au paragraphe 22.
[72] Le Conseil fait valoir, dans le cadre de la présente instance, que la Cour fédérale ne peut procéder au contrôle judiciaire de mesures ou de décisions prises par les comités d’enquête et par le Conseil lui-même, puisque ces derniers sont réputés constituer des juridictions supérieures lorsqu’ils se penchent sur des questions liées à la conduite des juges. La juge Douglas, le procureur général du Canada et l’ACJCS ne souscrivent pas à cette thèse et prétendent que le législateur n’avait pas l’intention de mettre le Conseil et les comités d’enquête à l’abri du contrôle judiciaire lorsqu’il a mis sur pied le régime dans la Loi sur les juges.
[73] La thèse du Conseil repose presque exclusivement sur la disposition déterminative prévue au paragraphe 63(4) de la Loi sur les juges. Le Conseil prétend que cette disposition, lorsque correctement interprétée, traduit l’intention du législateur selon laquelle les comités d’enquête et le Conseil ne doivent pas être considérés comme étant des tribunaux administratifs pour les besoins du contrôle judiciaire.
[74] Le point de vue du procureur général, auquel souscrivent la demanderesse et l’ACJCS, est que la Cour devrait tout d’abord examiner la loi qui lui confère ses pouvoirs. En l’espèce, cette loi est la Loi sur les Cours fédérales. Ce n’est que lorsque la Cour a établi qu’elle a compétence en vertu de la Loi sur les Cours fédérales qu’elle devrait porter son attention sur la Loi sur les juges. Le procureur général prétend que la Loi sur les Cours fédérales confère clairement compétence à la Cour fédérale. La question secondaire est de savoir ensuite si la Loi sur les juges lui retire cette compétence. Je conviens qu’il s’agit de la démarche appropriée pour statuer sur la question.
La Loi sur les Cours fédérales
[75] La Loi sur la Cour fédérale, qui a créé la Cour fédérale du Canada, a reçu la sanction royale le 3 décembre 1970 et est entrée en vigueur le 1er août 1972. La Cour a été créée par le parlement du Canada en vertu de son pouvoir d’établir « des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada », pouvoir conféré par l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. À ce moment-là, par l’entremise des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale, la compétence en matière de surveillance et de contrôle judiciaire à l’égard des organismes fédéraux passa des cours supérieures provinciales à la Cour fédérale. La Cour était initialement composée d’une Section de première instance et d’une Section d’appel.
[76] La Loi sur les Cours fédérales est entrée en vigueur en 2002. Elle maintenait l’ancienne Section de première instance de la Cour fédérale en tant que cour supérieure d’archives. L’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales maintenait la disposition de la loi précédente et accordait à la Cour fédérale la compétence exclusive en matière de contrôle judiciaire sur les offices fédéraux, hormis les offices fédéraux à l’égard desquels la Cour fédérale d’appel a expressément compétence au titre de l’article 28. L’article 18.1 expose la portée des recours disponibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le procureur général ou par quiconque qui est directement touché par l’objet de la demande à l’égard d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral.
« office fédéral »
[77] Le libellé actuel de la définition du terme « office fédéral » au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales est au cœur de l’exercice de la compétence de la Cour :
2. (1) […] |
Définitions |
« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. |
« office federal » “federal board, commission or other tribunal” |
[78] Le législateur a modifié à plusieurs reprises la définition d’« office fédéral » dans le but d’y exclure expressément des organismes qui seraient sinon visés par la définition. À titre d’exemple, un sous‑alinéa fut ajouté en 1990 afin d’exclure expressément le Sénat, la Chambre des communes, ou tout comité ou membre de l’une ou l’autre chambre : Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée par L.C. 1990, ch. 8, art. 1. Dans la version la plus récente de la loi, l’exception a été élargie pour inclure les commissaires à l’éthique de la Chambre des communes et du Sénat à l’égard de l’exercice de leurs attributions visées à la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1.
[79] Le procureur général prétend que ces modifications démontrent que, lorsque le législateur a voulu restreindre la portée de la définition d’« office fédéral » et exclure des organismes de celle-ci, il a choisi de le faire au moyen de dispositions expresses dans la Loi sur les Cours fédérales. Prenons, par exemple, le renvoi à la Cour canadienne de l’impôt et à ses juges : le législateur a ajouté la Cour canadienne de l’impôt et ses juges à la liste d’exclusions comprises dans la définition, et ce, malgré le fait que cette cour fut expressément maintenue en cour supérieure d’archives dans la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2.
[80] La Cour suprême du Canada a dit, au sujet de cette définition prévue à l’article 2, qu’elle est « très large » et qu’elle dépassait « largement l’idée qu’on se fait généralement de ce concept » : Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, aux paragraphes 3 et 50. Pour être visé par la définition, un organisme n’a qu’à exercer ou à être censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale.
[81] Dans l’arrêt Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52 (Anisman), aux paragraphes 29 et 30, la Cour d’appel fédérale a élaboré un examen à deux volets pour établir si un organisme ou une personne est un « office fédéral » pour les besoins de l’article 2 :
Les mots clés de la définition d’« office fédéral » que donne l’art. 2 précise que l’organisme ou la personne a exercé, exerce ou est censé exercer une compétence ou des pouvoirs « prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale [...] ». On doit donc procéder à une analyse en deux étapes pour déterminer si un organisme ou une personne constitue un « office fédéral ». Il est ainsi nécessaire en premier lieu de déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer. Deuxièmement, il y lieu de déterminer la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer.
Au paragraphe 2:4310 de leur ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol. 1, édition sur feuilles mobiles (Toronto, Canvasback Publishing, 1998), les éminents auteurs, D.J.M. Brown et J.M. Evans, ont écrit que lorsqu’il s’agit de déterminer si un organisme ou une personne est un « office fédéral », il convient d’examiner [traduction] « la source de la compétence du tribunal ». Voici ce qu’ils écrivent à ce sujet :
[traduction]
En fin de compte, la source de la compétence d’un tribunal--et non pas la nature du pouvoir exercé ou de l’office l’exerçant--est le premier facteur déterminant quant à savoir si elle fait partie de la définition. Le test consiste à chercher à savoir si l’office détient les pouvoirs en vertu d’une loi fédérale ou d’une ordonnance prise en vertu d’une prérogative de la Couronne fédérale. […]
Est-ce que le Conseil et les comités d’enquête sont exclus de la définition d’« office fédéral »?
[82] Il ne fait aucun doute que le Conseil et ses comités d’enquête sont la création d’une loi fédérale, la Loi sur les juges, et que c’est de cette loi fédérale qu’ils tirent leur compétence. Ni le Conseil ni ses comités d’enquête ne font partie des personnes ou des organismes expressément exclus de la portée de la définition qui figure à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Les membres du Conseil et du comité ne remplissent pas les fonctions qui leur ont été dévolues à titre de juges nommés en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 (les juges nommés en vertu de l’article 96) et ils ne sont donc pas visés par l’exclusion expresse des juges nommés en vertu de l’article 96 qui est prévue dans la définition. Le fait que les organismes du Conseil soient composés de personnes qui, pour la plupart, sont des juges nommés en vertu de l’article 96 ne change rien au statut de ces organismes. Les organismes du Conseil existent en tant qu’organismes d’origine législative uniquement parce qu’ils ont été créés par la Loi sur les juges, et non pas en raison de quelque compétence inhérente liée au statut judiciaire de ses membres.
[83] Certains membres du Conseil qui pourraient être appelés à participer au présent processus sont des juges nommés à des cours créées en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 (les cours créées en vertu de l’article 101). Les avocats nommés par le ministre de la Justice sur les comités d’enquête ne sont pas des juges nommés en vertu de l’article 96 et ils ne sont pas des juges nommés à des cours créées en vertu de l’article 101. Le pouvoir découlant de la disposition déterminative qui figure au paragraphe 63(4) de la Loi sur les juges est exercé par le comité d’enquête auquel ces personnes sont affectées, et non par les membres, qu’ils soient juges ou non, de cet organisme.
[84] Pour ce motif, je conviens avec le procureur général que la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518 (Ranville) n’apporte rien en ce qui a trait à la thèse du Conseil. Cet arrêt portait sur le pouvoir d’origine législative expressément conféré à un juge nommé en vertu de l’article 96 en sa qualité de juge nommé en vertu de l’article 96. Comme je l’ai relevé ci-dessus, dans le cas du Conseil et des comités d’enquête, le pouvoir d’enquête sur des juges nommés par le fédéral n’est pas accordé qu’à des juges qui siègent en tant que juges nommés en vertu de l’article 96. Le pouvoir est accordé au Conseil et aux comités d’enquête. Les juges membres de ces organismes qui sont des juges nommés en vertu de l’article 96 n’exercent pas leurs fonctions en leur qualité de juge au titre de l’article 96; ils exercent plutôt des fonctions d’origine législative ayant été attribuées au Conseil et à ses comités.
[85] À cet égard, il est utile de se référer à l’arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang), [1997] 2 C.F. 36 (C.A.) (Commission Krever C.A.F.), aux paragraphes 16 et 17 :
Il y a lieu, enfin, avant d’entrer dans le vif du sujet, de disposer d’un argument soulevé en désespoir de cause par l’un des intervenants: la Cour fédérale n’aurait pas compétence pour disposer d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision du commissaire, du fait que ce dernier soit un juge nommé par le gouvernement fédéral en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 et échappe ainsi à la définition d’«office fédéral» contenue au paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Cet argument ne résiste pas à l’analyse. Ce n’est pas en sa qualité de juge que le commissaire Krever est nommé; les mots «un juge», dans le décret, sont là pour l’identifier, et non pour le qualifier. L’argument aurait eu plus de poids si le décret avait utilisé les mots «en tant que juge» ou «en sa qualité de juge» («as a judge», par exemple, dans le texte anglais). Cette question a d’ailleurs été tranchée par la Cour suprême du Canada dans Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, lorsque le juge Dickson, qui n’était pas encore juge en chef, a conclu qu’un juge ne siège pas comme juge lorsqu’il exerce «une compétence exceptionnelle n’ayant aucun rapport avec ses fonctions ordinaires». Il est certain que les fonctions de monsieur Krever en tant que commissaire n’ont aucun rapport avec ses fonctions en tant que juge. [Renvois omis.]
[86] Dans la même veine, les membres du Conseil et de ses comités d’enquête ne siègent pas en tant que juges lorsqu’ils exercent les pouvoirs dévolus au Conseil par la partie II [articles 58 à 71] de la Loi sur les juges. Ils agissent en tant que membres d’un tribunal administratif effectuant une « enquête » et exercent une compétence exceptionnelle qui n’est pas reliée à leurs fonctions ordinaires.
Le fait que le Conseil et ses comités d’enquête soient un « office fédéral » ne signifie pas qu’ils font partie de la branche exécutive de l’État
[87] Le Conseil soutient que le rôle qu’il occupe dans les affaires relatives à la conduite des juges n’est pas compatible avec le fait d’être un « office fédéral » visé par la compétence en matière de contrôle judiciaire des Cours fédérales, puisque cela présupposerait nécessairement qu’il fait partie de l’exécutif, ce qui constituerait une relation incompatible avec l’indépendance judiciaire et la séparation entre les branches du gouvernement.
[88] Puisque, selon l’arrêt Anisman, précité, l’élément clé pour déterminer si un organisme exerçant un pouvoir est un « office fédéral » est la source de la compétence qu’il détient, et non la nature de l’organisme en question, le fait que celui-ci soit visé par la définition ne fait pas en sorte que celui-ci fait partie de la branche exécutive du gouvernement.
[89] Il a été conclu, à la suite de l’application du critère en deux volets, que la Cour fédérale a compétence pour contrôler judiciairement les décisions et les mesures prises par les organismes ne faisant pas partie de la branche exécutive de l’État, par exemple, les conseils de bande indienne et les organismes non gouvernementaux : Première nation d’Ermineskin c. Minde, 2008 CAF 52, au paragraphe 33; Jock c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1991] 2 C.F. 355 (1re inst.), aux pages 361 et 362; Onuschak c. Société canadienne de consultants en immigration, 2009 CF 1135, aux paragraphes 8, 23 et 29.
[90] Le processus relatif à la conduite des juges administré par le Conseil conformément au pouvoir qui lui est conféré par la Loi sur les juges a fait l’objet de plusieurs instances de contrôle judiciaire devant les Cours fédérales : Gratton c. Conseil canadien de la magistrature, [1994] 2 C.F. 769 (1re inst.); Taylor c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1247, [2002] 3 C.F. 91, conf. par 2003 CAF 55, [2003] 3 C.F. 3, autorisation de pourvoi refusée [2003] 2 R.C.S. xi; Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2005 CF 1454, [2006] 1 R.C.F. 327, infirmant par 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714, autorisation de pourvoi refusée [2007] 3 R.C.S. x; Cosgrove c. Canada (Procureur général), 2008 CF 941; Akladyous c. Conseil canadien de la magistrature, 2008 CF 50; Slansky c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1467, [2013] 3 R.C.F. 558, conf. par 2013 CAF 199 (Slansky C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée, [2014] 1 R.C.S. xii. Le Conseil n’avait, dans aucune de ces affaires, adopté la thèse selon laquelle le contrôle judiciaire était incompatible avec le principe de l’indépendance des juges et avec le statut du Conseil et de ses comités d’enquête dans le cadre du processus d’examen de la conduite des juges.
[91] Dans la présente affaire, le Conseil participe aux instances relatives à la demande de la demanderesse depuis son introduction. Le Conseil était partie à la requête présentée par le procureur général en novembre 2012 en vue de clarifier son statut en tant que défendeur, ainsi qu’aux conférences de gestion de l’instance qui ont précédé le dépôt de cette requête. En mai 2013, le Conseil a demandé l’autorisation d’intervenir relativement à la demande dans le but de pleinement y participer, notamment pour répondre à l’allégation de partialité institutionnelle découlant de sa décision. Le Conseil a choisi de ne pas demander l’autorisation d’intervenir à l’égard de la requête en sursis, ni d’interjeter appel de l’ordonnance rendue par la Cour quant à cette requête. Le Conseil a répondu à la requête présentée par la demanderesse au titre de la règle 318 des Règles en vue d’obtenir la production de la correspondance entre le Conseil et Me Pratte, et elle a prié la Cour de reporter son audition et de l’instruire en même temps que la demande.
[92] Le fait que le Conseil soit inclus dans la définition d’« office fédéral » ne signifie pas que l’organisme fait partie du pouvoir exécutif; il s’ensuit que son rôle dans les affaires relatives à la conduite des juges n’est pas incompatible avec le fait d’être un « office fédéral » assujetti à la compétence des Cours fédérales en matière de contrôle judiciaire.
La disposition déterminative prévue au paragraphe 63(4) de la Loi sur les juges
[93] Le paragraphe 63(4) de la Loi sur les juges est ainsi libellé :
63. […] |
|
(4) Le Conseil ou le comité formé pour l’enquête est réputé constituer une juridiction supérieure; il a le pouvoir de : a) citer devant lui des témoins, les obliger à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment — ou de l’affirmation solennelle dans les cas où elle est autorisée en matière civile — et à produire les documents et éléments de preuve qu’il estime nécessaires à une enquête approfondie; b) contraindre les témoins à comparaître et à déposer, étant investi à cet égard des pouvoirs d’une juridiction supérieure de la province où l’enquête se déroule. |
Pouvoirs d’enquête |
La thèse du Conseil quant à l’interprétation de la disposition déterminative
[94] Le Conseil prétend que le législateur a employé l’expression « réputé constituer une juridiction supérieure » au paragraphe 63(4) dans le but de préserver le principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire et de protéger ce principe contre une entrave du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif. Le Conseil soutient qu’en l’absence de la disposition déterminative, le comité d’enquête et le Conseil n’auraient pas les pouvoirs nécessaires pour se pencher sur la conduite d’un juge de juridiction supérieure sans porter atteinte au principe de l’indépendance judiciaire. La disposition déterminative a pour effet de garantir que le comité d’enquête et le Conseil exercent leur fonction dans le cadre du pouvoir judiciaire, en les considérant comme des juridictions supérieures faisant partie du pouvoir judiciaire et n’étant pas, par conséquent, assujetties au contrôle judiciaire. Selon la thèse du Conseil, le pouvoir de contrôle des Cours fédérales ne s’étend pas à un organisme fédéral « réputé constituer une juridiction supérieure ».
[95] Le Conseil prétend que sa thèse est compatible avec l’intention du législateur de mettre sur pied un processus d’enquête sur la conduite des juges qui respecte les principes constitutionnels de l’indépendance judiciaire et de la séparation des pouvoirs, et de garantir que seuls le ministre de la Justice ou le législateur puissent accorder un redressement à un juge dans l’éventualité où le Conseil formule une recommandation défavorable à son égard.
[96] Le Conseil invoque à l’appui de sa thèse l’arrêt Mackeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796 (Mackeigan). Aux pages 830 et 831, la juge McLachlin, alors juge puînée, a formulé le commentaire suivant au sujet de l’importance de l’indépendance judiciaire et de la séparation du pouvoir judiciaire des autres branches de l’État :
Le droit du juge de refuser de répondre aux organes exécutif ou législatif du gouvernement ou à leurs représentants quant à savoir comment et pourquoi il est arrivé à une conclusion judiciaire donnée, est essentiel à l’indépendance personnelle de ce juge, qui constitue l’un des deux aspects principaux de l’indépendance judiciaire: Valente c. La Reine et Beauregard c. Canada, précités. Le juge ne doit pas craindre qu’après avoir rendu sa décision, il puisse être appelé à la justifier devant un autre organe du gouvernement. L’analyse faite dans l’arrêt Beauregard c. Canada appuie la conclusion que l’immunité judiciaire est au cœur du concept de l’indépendance judiciaire. Comme l’a affirmé le juge en chef Dickson dans l’arrêt Beauregard c. Canada, pour jouer le bon rôle constitutionnel, le pouvoir judiciaire doit être complètement séparé, sur le plan des pouvoirs et des fonctions, des autres organes du gouvernement. Cette séparation signifie implicitement que les organes exécutif ou législatif du gouvernement ne peuvent pas exiger d’un juge qu’il explique son jugement et en rende compte. Donner suite à l’exigence qu’un juge témoigne devant un organisme civil, émanant du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif, quant à savoir comment et pourquoi il a rendu sa décision, serait attaquer l’élément le plus sacro‑saint de l’indépendance judiciaire.
[97] Ce passage souligne l’importance de l’indépendance judiciaire. Cependant, il n’appuie pas la très large interprétation que le Conseil donne à ce principe. Selon l’arrêt susmentionné, un juge de cour supérieure ne peut être convoqué par les organes législatifs ou exécutifs de l’État pour rendre des comptes à l’égard de son jugement. Il n’énonce toutefois pas que le contrôle judiciaire d’une enquête sur la conduite d’un juge d’une juridiction supérieure est incompatible avec l’indépendence judiciaire.
[98] Le Conseil renvoie aussi aux commentaires formulés par le juge La Forest au paragraphe 20 des motifs concourants qu’il a rédigés dans l’arrêt Mackeigan. Il a exprimé, dans des remarques incidentes, son opinion selon laquelle le législateur avait créé une cour supplémentaire lorsqu’il a créé le Conseil en 1971. Ces remarques incidentes avaient été expliquées par les éminents membres du comité d’enquête dans l’affaire Flahiff [Décision du comité d’enquête sur les questions préliminaires concernant le juge Robert Flahiff de la Cour supérieure du Québec (avril 1999)]. Le comité avait conclu :
[traduction] […] on ne peut aucunement inférer de cet extrait que le Conseil canadien de la magistrature serait une cour supérieure. Les propos du juge La Forest avaient pour unique objet de rappeler que seule une instance constituée par le Parlement peut avoir pour fonction d’enquêter sur des plaintes et des allégations visant des juges nommés par le fédéral.
[99] Il aurait été loisible au législateur de créer une autre cour en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, comme il l’a fait en ce qui concerne la Cour d’appel de la Cour martiale du Canada. Cette cour est composée de juges membres de cours dont les membres sont nommés en vertu de l’article 96 ou de cours créées en vertu de l’article 101. Le législateur n’a pas choisi une telle voie en l’espèce. Il n’a pas utilisé les mots [traduction] « le Conseil canadien de la magistrature et les comités d’enquête de celui‑ci sont établis pour la meilleure administration des lois du Canada ».
La preuve tirée des dossiers parlementaires
[100] Le Conseil se fonde sur une poignée d’extraits des débats parlementaires qui ont eu lieu au cours de l’adoption de la loi de 1971 pour étayer son argument concernant l’objectif visé par le paragraphe 63(4). Il est bien établi que la Cour peut avoir recours à l’historique parlementaire afin d’interpréter une loi, mais elle doit faire preuve de prudence et s’appuyer sur de telles sources uniquement lorsque le sens d’une disposition est ambigu : Conacher c. Canada (Premier Ministre), 2010 CAF 131, [2011] 4 R.C.F. 22, au paragraphe 8. Les remarques isolées formulées par les ministres et par les députés à la Chambre des communes, ou lors des délibérations des comités, comme c’est le cas en l’espèce, ne rendent pas toujours compte de l’intention du législateur telle qu’elle doit être dégagée du texte de la loi : A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42, [2007] 3 R.C.S. 217, au paragraphe 12.
[101] Les extraits en question n’ont pas été particulièrement utiles dans le cas qui nous occupe. Ils n’appuient pas l’interprétation du paragraphe 63(4) invoquée par le Conseil, pas plus qu’ils ne traitent de l’incidence de la disposition déterminative sur la compétence de la Cour fédérale. Les mentions concernant l’absence d’appel à l’égard des décisions du Conseil n’appuient pas l’inférence portant que le législateur avait l’intention de soustraire ces décisions au contrôle judiciaire. Il n’est nulle part expressément mentionné que l’objet de la disposition était d’écarter la compétence de la Cour fédérale que le législateur venait tout juste de créer quelques mois auparavant.
[102] Selon moi, et comme il a déjà été dit, il n’y a pas d’ambiguïté en ce qui concerne la question de savoir si le Conseil ou le comité d’enquête sont des « office[s] fédér[aux] » pour les besoins de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales lorsque la disposition 63(4) est interprétée dans le contexte législatif élargi. Celle-ci prévoit que ces organismes sont « réputés » constituer une juridiction supérieure lorsqu’ils font une enquête, mais elle ne les constitue pas en cour supérieure au titre de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, comme le font les articles 3 et 4 de la Loi sur les Cours fédérales à l’égard de la Cour et de la Cour d’appel fédérale. Elle n’écarte pas expressément non plus la compétence de la Cour.
[103] La disposition déterminative fut introduite au moyen d’une modification au cours des audiences du Comité permanent de la justice et des questions juridiques en 1971 pour « accorder aux juges lors d’une audience concernant une enquête ou effectuant une investigation, la protection judiciaire normale dont ils auraient besoin » (Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des questions juridiques. Procès-verbaux et témoiganges, fascicule no 27 (16 juin 1971), à la page 27 : 27). Selon mon interprétation, cette explication d’un fonctionnaire a trait à la question de l’immunité pour les décisions rendues ou les déclarations formulées dans le cadre d’instances relatives à la conduite des juges. Il s’agissait du genre de petits ajustements qui se produisent fréquemment au cours du processus législatif. De plus, contrairement à ce qu’affirme le Conseil dans ses observations, la présomption selon laquelle les modifications visent l’atteinte d’un but ne survient pas en l’espèce. Il ne s’agissait pas d’une modification, présentée au Parlement pour modifier une loi qui était en vigueur, en raison de la nécessité d’en clarifier le sens, de corriger une erreur dans une loi ou de modifier une loi adoptée antérieurement.
La thèse de la demanderesse, du défendeur et de l’ACJCS quant à la disposition déterminative
[104] La demanderesse, le défendeur et l’ACJCS prétendent que la portée de la disposition déterminative est extrêmement étroite et qu’elle se limite à un objet spécifique : l’enquête concernant la conduite d’un juge. À cette fin, la loi accorde au comité d’enquête et au Conseil les pouvoirs d’une juridiction supérieure : Slansky C.A.F., au paragaphe 139. Ils soutiennent de plus que l’immunité à l’égard du contrôle judiciaire n’est pas nécessaire pour la réalisation des objectifs du Conseil et des comités d’enquête qui sont énoncés dans la disposition déterminative. Rien dans la disposition ne prévoit que les pouvoirs conférés par la disposition déterminative peuvent s’étendre aux objets visés par d’autres lois. Il n’y a pas non plus de clause privative empêchant le recours au contrôle judiciaire, comme celle qui figure à l’article 58 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2. Cette disposition interdit le contrôle judiciaire ainsi que le recours aux brefs de prérogative et exclut expressément de la définition d’« office fédéral » les arbitres et les Conseils d’arbitrage exerçant leurs fonctions au titre de la loi.
[105] La demanderesse relève que la décision clé qui est en litige en l’espèce, soit celle du juge en chef Wittmann d’affirmer l’existence du privilège, reste du ressort de la Cour fédérale, peu importe que la disposition déterminative ait pour effet ou non d’exclure de la compétence de la Cour les décisions et les mesures prises par le comité d’enquête et par le Conseil siégeant en tant que comité d’examen. Comme il a été mentionné précédemment, cela a été confirmé par Me Sabourin lors de son contre-interrogatoire ainsi que par l’avocat du Conseil lors de l’audience.
Conclusions sur la portée du paragraphe 63(4) et de l’effet de cette disposition sur l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales
[106] Je souscris aux observations de la demanderesse, du défendeur et de l’ACJCS. La portée du paragraphe 63(4) et l’effet de cette disposition, le cas échéant, sur l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales doivent être établis en fonction de l’intention du législateur dans la Loi sur les juges et dans la Loi sur les Cours fédérales. Pour déterminer l’intention du législateur, la Cour doit examiner le libellé de la disposition dans le contexte législatif dans lequel il s’inscrit. J’ai inclu les notes marginales du paragraphe 63(4), « Pouvoirs d’enquête / Powers of Council or Inquiry Committee » lorsque j’ai reproduit la disposition, puisque j’estime qu’elles sont pertinentes quant à l’examen du contexte de la loi dans son ensemble : Corbett c. Canada, [1997] 1 C.F. 386 (C.A.), au paragraphe 13. Ces notes n’appuie pas l’interprétation large mise de l’avant par le Conseil.
[107] L’emplacement de la disposition déterminative vient aussi appuyer la position selon laquelle la disposition était censée avoir une portée limitée. La disposition ne semble pas être une déclaration indépendante générale concernant le Conseil ou ses comités, mais elle figure au paragraphe quatre de l’article qui traite expressément des enquêtes sur la conduite des juges. Elle constitue le « chapeau » d’un article qui énumère les pouvoirs et les fonctions précis qui ont été conférés au Conseil et aux comités pour faciliter les enquêtes qu’ils mènent.
[108] À première vue, le paragraphe 63(4) ne s’applique pas à l’étape finale de la procédure relative à la conduite des juges où le Conseil exerce ses pouvoirs d’établir un rapport et de formuler des recommandations à l’intention du ministre de la Justice en application de l’article 65 de la Loi sur les juges. L’article 65 s’applique « [à] l’issue de l’enquête » (“[a]fter an inquiry or investigation under section 63 has been completed”).
[109] Si l’on s’en tient au sens ordinaire de la loi, il découle de l’interprétation du Conseil que son rapport et ses recommandations demeureraient assujettis à un contrôle, mais non le processus ayant donné lieu à leur adoption. Dans la même veine, les étapes de l’examen préalable de la procédure ne sont pas menées par des organes qui sont réputés être des juridictions supérieures au sens du paragraphe 63(4). Si l’interprétation du paragraphe 63(4) par le Conseil est correcte, nous nous retrouverions devant la situation anormale où ni le début ni la fin de la procédure ne seraient exclus d’un contrôle, mais seulement les parties à l’égard desquelles l’équité procédurale suscite la plus grande préoccupation.
[110] Le fait d’inclure un ou deux membres du barreau, en plus des membres de la magistrature, semble aussi contrecarrer la position du Conseil selon laquelle l’intention du législateur était de faire en sorte que les comités fassent partie de l’appareil judiciaire. Les membres qui ne sont pas des juges doivent être des avocats membres du barreau d’une province pendant au moins dix ans, soit les mêmes qualifications minimales exigées pour une nomination à la magistrature fédérale, et ils sont inamovibles pour la durée de l’enquête. Toutefois, les membres en question sont nommés pour chaque enquête par le ministre de la Justice. Comme cela a été énoncé dans l’arrêt Mackeigan, précité, aux paragraphes 71 et 91, accorder au pouvoir exécutif le rôle de choisir des juges qui entendent une cause particulière constituerait une atteinte inacceptable à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Le fait d’inclure des représentants du barreau permet au public, bien qu’il s’agisse d’un public spécialisé, de participer au processus disciplinaire, mais il est difficile de voir en quoi ce fait corrobore l’opinion selon laquelle il s’agit d’une fonction judiciaire. Comme le laisse entendre le procureur général, moins le comité d’enquête ressemble à une véritable juridiction supérieure, moins l’argument selon lequel la disposition déterminative devrait être interprétée de manière large est convaincant.
[111] Cela ne veut pas dire que, dans le passé, des comités d’enquête composés de juges et de non-juges n’étaient indépendants ni du pouvoir exécutif ni du pouvoir législatif dans l’exercice de leurs fonctions. Ils se sont plutôt acquittés de leurs fonctions de manière indépendante à titre de tribunaux administratifs, non à titre de juridictions supérieures. À cet égard, je ne vois aucun problème à ce que des membres du barreau siègent aux comités pour s’assurer que chaque affaire bénéficie, dans l’intérêt du public, d’un autre point de vue que celui des juges.
[112] Le recours à une disposition déterminative dans la législation a été décrit de la manière suivante par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838, à la page 845 :
Une disposition déterminative est une fiction légale; elle reconnaît implicitement qu’une chose n’est pas ce qu’elle est censée être, mais décrète qu’à des fins particulières, elle sera considérée comme étant ce qu’elle n’est pas ou ne semble pas être. Par cet artifice, une disposition déterminative donne à un mot ou à une expression un sens autre que celui qu’on leur reconnaît habituellement et qu’il conserve là où on l’utilise; elle étend la portée de ce mot ou de cette expression comme le mot «comprend» dans certaines définitions; cependant, en toute logique, le verbe «comprend» n’est pas adéquat et sonne faux parce que la disposition crée une fiction. [Non souligné dans l’original.]
[113] La question clé qu’il faut se poser pour examiner une disposition déterminative, comme l’explique la professeure Sullivan dans l’ouvrage, Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 2e éd. (Toronto : Irwin Law, 2007), est la suivante : quelle est la portée de la fiction? La présomption est que l’intention du législateur était de donner le pouvoir nécessaire pour réaliser l’objet de la loi et non de donner quelque pouvoir non nécessaire que ce soit : Re Diamond and The Ontario Municipal Board, [1962] O.R. 328 (C.A.).
[114] Si l’on suppose que le fait de considérer le comité d’enquête et le Conseil comme des juridictions supérieures est utile au but limité d’empêcher l’ingérence du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif dans la procédure relative à la conduite des juges, il s’agit d’un raisonnement qui n’est pas logiquement fondé, comme le soutient la demanderesse, que d’affirmer que la [traduction] « conséquence nécessaire » de la disposition déterminative est que la juridiction de surveillance de la Cour est écartée. Le fait d’assurer l’indépendance n’emporte pas que les décisions du comité et du Conseil échappent au contrôle judiciaire.
[115] Si le législateur avait eu l’intention de faire du comité d’enquête et du Conseil une juridiction supérieure, il l’aurait dit directement, sans utiliser le terme « réputé ». Le législateur n’aurait pas statué que le Conseil était « réputé » constituer une juridiction supérieure aux fins de la conduite des enquêtes si celui‑ci avait eu l’intention de la créer ou de la maintenir « en cour supérieure d’archives » en vertu de l’article 101, comme il l’a fait pour créer la Cour canadienne de l’impôt. Il a plutôt choisi de « conférer » au Conseil les pouvoirs d’une juridiction supérieure sans le transformer en un tribunal : arrêt Slansky, C.A.F., précité, au paragraphe 139.
[116] Depuis la création de la procédure relative aux plaintes sur la conduite des juges du Conseil, les comités d’enquête ont rejeté à deux reprises l’argument selon lequel ils fonctionnent comme des juridictions supérieures. La décision Gratton [Rapport du comité d’enquête sur sa compétence de mener une enquête concernant le juge Gratton de la Cour de justice de l’Ontario] (février 1994) portait sur une contestation constitutionnelle du paragraphe 63(4) fondée sur l’argument selon lequel le législateur n’avait pas respecté les exigences constitutionnelles relativement à la nomination d’un juge d’une juridiction supérieure au comité d’enquête. Selon le comité, le Parlement n’a pas affirmé qu’un comité d’enquête est un tribunal ni que la disposition déterminative avait pour effet de « transformer le comité en une juridiction supérieure ». Bien qu’il pût être réputé constituer une juridiction supérieure à certaines fins, le comité d’enquête n’avait pas les caractéristiques essentielles d’une juridiction supérieure. En outre, le comité a conclu [à la page 23] que, si le Parlement avait eu l’intention d’accorder au comité d’enquête le statut de juridiction supérieure, il n’en aurait pas énuméré les pouvoirs du comité de citer des témoins et les obliger à témoigner, car « une juridiction supérieure les possède tous ». Le comité dans l’affaire Flahiff (avril 1999) a adopté les motifs rendus par le comité d’enquête dans la décision Gratton, et a conclu que le but clairement exprimé au paragraphe 63(4) est d’accorder au comité d’enquête ou au Conseil, uniquement lorsque ceux‑ci mènent une enquête, les pouvoirs exercés par des juridictions supérieures.
[117] En l’espèce, le comité d’enquête a souligné dans sa décision du 15 mai 2012 que son but et sa fonction étaient fondamentalement différents de ceux d’un tribunal de première instance, et qu’un juge faisant l’objet d’une enquête relativement à sa conduite n’a pas droit aux mêmes garanties procédurales qu’un justiciable qui comparaît devant un tribunal de première instance et ne peut s’attendre à en bénéficier. Le comité a conclu que le processus n’est pas une procédure judiciaire accusatoire, mais est une procédure de nature inquisitoire. Cette démarche semble avoir régulièrement été adoptée par chacun des comités d’enquête depuis la création du Conseil. Elle est aussi conforme avec l’interprétation de la nature du processus énoncée par la Cour dans la décision Taylor c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1247, [2002] 3 C.F. 91, au paragraphe 49 : « Les articles 63 et 65 de la Loi sur les juges ne confèrent aucune fonction décisionnelle au Conseil ou à ses comités. »
[118] Le but et le fonctionnement d’une juridiction supérieure, y compris celles créées en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, sont distincts de ceux d’un organisme d’enquête. Si le Conseil a raison, comme le soutient l’ACJCS, le législateur aurait créé une juridiction supérieure qui ne fonctionne comme aucune autre. Son but et son fonctionnement seraient ceux d’une juridiction supérieure, alors que sa procédure serait de nature inquisitoire. Le législateur ne peut avoir eu l’intention d’exonérer le comité d’enquête de son obligation de respecter le principe de l’équité procédurale, comme ce serait le cas pour un tribunal, au motif qu’il n’est pas un tribunal, et de chercher simultanément à le soustraire au contrôle judiciaire en se fondant sur le fait qu’il est réputé être une juridiction supérieure.
[119] Selon le juge Stratas dans l’arrêt Slansky C.A.F., précité, aux paragraphes 313 et 314, mettre les décisions du Conseil à l’abri de tout contrôle enfreint le principe selon lequel tous les titulaires d’un pouvoir public doivent rendre compte de la façon dont ils exercent ce pouvoir. Comme je l’ai déjà souligné, lorsque la question découlant d’une décision contestée a trait à un manquement à l’équité procédurale, l’instance décisionnelle peut être dépouillée de sa compétence. Les tribunaux crées par la loi ne peuvent pas être à l’abri du contrôle pour de telles erreurs : Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220 (Crevier), aux pages 236 et 237; Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198 (1re inst.), au paragraphe 40.
[120] L’intention manifeste du législateur, telle qu’elle ressort de la Loi sur les Cours fédérales, est que toutes les personnes et tous les organismes qui détiennent des pouvoirs en vertu de lois fédérales sont susceptibles de contrôle judiciaire par un tribunal qui a une connaissance approfondie du contexte juridique fédéral, à moins qu’ils ne soient expressément exemptés par la loi. L’objet et le rôle du contrôle judiciaire ont été décrits de la manière suivante par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 28 :
La primauté du droit veut que tout exercice de l’autorité publique procède de la loi. Tout pouvoir décisionnel est légalement circonscrit par la loi habilitante, la common law, le droit civil ou la Constitution. Le contrôle judiciaire permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur. Il vise à assurer la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue.
[121] Avant qu’un juge ne puisse être révoqué, il a droit à une instance équitable : arrêt Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673, à la page 696. Cette instance équitable est essentielle non seulement parce qu’elle relève du droit administratif, mais parce qu’elle est une composante de l’exigence constitutionnelle relative à l’inamovibilité des juges. Le pouvoir de surveillance que la Cour exerce sur le Conseil et sur ses comités d’enquête joue un rôle important dans l’intérêt du public, à savoir celui de voir à ce que la procédure relative à la conduite des juges soit équitable et conforme au droit. Ce rôle est entièrement compatible avec l’intention du législateur telle qu’elle ressort de la loi.
[122] Comme l’a fait observer le procureur général, l’efficacité du régime conçu par le législateur en 1971 serait compromise si le contrôle judiciaire n’existait pas. Le résultat du travail effectué par le Conseil et par le comité d’enquête est un rapport qui formule des recommandations au ministre de la Justice. En l’absence de contrôle judiciaire, le ministre, et finalement le législateur, serait tenu d’examiner si le processus ayant conduit à l’élaboration du rapport avait été mené dans le cadre du pouvoir légal du Conseil, s’il était équitable sur le plan procédural et s’il n’était pas entaché d’erreurs de droit. Il s’agit de questions qui sont distinctes du bien‑fondé de toute recommandation visant à démettre un juge de ses fonctions, car ce rôle est réservé au gouverneur général et au Parlement par l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 en ce qui a trait aux juges nommés en vertu de l’article 96, et par la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26, la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 et la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, en ce qui a trait aux juges nommés en vertu de l’article 101.
[123] La position du Conseil est que, si le contrôle judiciaire ne peut pas être sollicité, le juge pourra en appeler au ministre ou au Parlement. Bien que cette position vaille pour ce qui est du bien-fondé de toute recommandation visant à révoquer le juge de ses fonctions, le ministre et le Parlement ne sont pas du tout bien outillés pour statuer sur la gamme possiblement large d’arguments juridiques qui peuvent être soulevés en ce qui a trait à la procédure relative à la conduite des juges. Un juge qui fait l’objet d’une enquête par le Conseil ou par le comité d’enquête serait privé de la possibilité de vérifier le caractère équitable et légal de la procédure devant une cour de justice. Le fait que le juge pourrait « en appeler » de la décision auprès du ministre de la Justice et, en fin de compte, auprès du Parlement n’est pas une réponse, si ces institutions n’ont pas la capacité d’examiner les questions qui se posent.
[124] Je souscris à l’opinion des parties qui s’opposent à la position du Conseil selon laquelle on ne peut pas considérer que l’intention du législateur était de priver de tout recours judiciaire la personne la plus directement touchée par une disposition « déterminative » telle que le paragraphe 63(4). Une dérogation aussi fondamentale au principe selon lequel les organismes qui exercent des pouvoirs qui leur sont conférés par la loi sont susceptibles de contrôle judiciaire devrait avoir lieu de façon délibérée et au moyen d’un énoncé législatif explicite. La possibilité de recourir à un contrôle judiciaire est compatible avec l’objectif qu’avait le législateur en créant le Conseil et le processus d’enquête sur la conduite des juges, à savoir que la conduite du processus d’enquête et de contrôle soit dévolue au pouvoir judiciaire sans retirer au Parlement son pouvoir ultime de révoquer un juge.
[125] Pour les motifs exposés ci‑dessus, je ne puis conclure que la Cour n’a pas compétence en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales pour examiner la demande.
[126] Pour conclure sur la question, je tiens à souligner que j’ai gardé à l’esprit le point soulevé par les avocats du Conseil à la fin de leurs observations écrites. Ils ont fait remarquer qu’il serait anormal qu’un seul juge de la Cour fédérale examine les décisions du comité d’enquête, qui est composé de trois juges en chef et de deux membres expérimentés du barreau d’une province, et du Conseil, qui compte au moins dix-sept juges en chef, comme si elles étaient des décisions d’un tribunal administratif inférieur. Je reconnais que les connaissances et l’expérience que le Conseil met à profit dans les enquêtes sur la conduite des juges sont impressionnantes et dépassent largement celles de n’importe quel juge de la Cour. Toutefois, la Cour a été créée par le législateur pour examiner les actes et les décisions de tout « office fédéral ». La compétence dont dispose la Cour s’exerce sur les plus hautes charges publiques, à l’exception de celles qui ont été expressément exclues. La Cour ne peut pas renoncer à la compétence imposée par le législateur. Si la Cour commet une erreur, celle-ci pourra être corrigée et sera corrigée par la Cour d’appel fédérale et par la Cour suprême du Canada en dernier ressort si l’autorisation d’interjeter appel est accordée.
2) La demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée?
Principes généraux
[127] La question en litige, selon l’état actuel de la demande, porte seulement sur l’affirmation contestée de l’existence d’une relation avocat‑client entre le Conseil et l’avocat indépendant.
[128] Selon la règle générale, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux pour demander un contrôle judiciaire d’une décision qu’après avoir épuisé toutes les autres voies de recours appropriés qui leur sont ouvertes en vertu du processus administratif. La règle générale s’applique en dépit du fait qu’il y a peut être des questions juridiques ou constitutionnelles urgentes et importantes qui sont toujours en litige entre les parties dans les instances principales : C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332 (Powell), aux paragraphes 30 et 31. Il doit y avoir des circonstances exceptionnelles qui justifient l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’autoriser le recours au contrôle judiciaire : Powell, au paragraphe 33. Le principe susmentionné s’applique aux préoccupations relatives à l’équité procédurale ou à la partialité. Comme cela est énoncé dans la décision Sztern c. Deslongchamps, 2008 CF 285, au paragraphe 20, « l’existence ou non d’une crainte de partialité fait courir un risque de prolifération indue des litiges ».
[129] Dans la décision Air Canada c. Lorenz, [2000] 1 C.F. 494 (1re inst.) (Lorenz), aux paragraphes 18 à 35, le juge Evans a relevé six facteurs qui doivent être examinés pour décider si un tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire de procéder au contrôle judiciaire d’une question interlocutoire : a) le préjudice subi par la demanderesse, b) le gaspillage, c) le retard, d) la division des questions en litige, e) le bien-fondé des prétentions et f) le contexte législatif. Le juge Evans a formulé les observations suivantes, au paragraphe 50 :
Une allégation non frivole de partialité qui n’est pas appuyée par une preuve blindée ne constitue pas en soi des « circonstances exceptionnelles », même lorsque la fin de l’instruction devant le tribunal n’est pas proche et qu’il n’y a aucun droit d’appel de portée générale contre les décisions du tribunal.
Les positions des parties
[130] Il n’y a rien qui indique, dans la procédure en question, que l’allégation selon laquelle il y a crainte de partialité institutionnelle est frivole, même si elle n’est pas appuyée par une preuve blindée. La question est de savoir si la Cour devrait se pencher sur l’allégation avant la fin de la procédure d’enquête, laquelle pourrait se conclure en faveur de la demanderesse. Le Conseil et l’avocate indépendante estiment que la question est prématurée et qu’elle devrait être d’abord soulevée devant le vice-président du Comité sur la conduite des juges ou le comité d’enquête qui doit être constitué. La demanderesse soutient que la question est prête à être examinée maintenant. L’ACJCS n’a pas obtenu l’autorisation d’intervenir sur la question. Le procureur général est d’avis que la question n’est pas prématurée, mais il n’a formulé aucune autre observation sur la question.
[131] La question concernant le caractère prématuré de la demande a été initialement soulevée par le Conseil pour trois motifs : 1) le fait que la demanderesse n’a pas épuisé les autres voies de recours ouvertes dans le cadre du processus mené par le Conseil, 2) les contestations de la demanderesse portant sur les décisions interlocutoires du comité d’enquête ont été présentées avant la conclusion de la procédure, et 3) la demanderesse a soulevé pour la première fois des questions dans le cadre du contrôle judiciaire avant de les présenter d’abord au décideur et d’obtenir des motifs à cet égard. L’un ou l’autre de ces motifs aurait été suffisant pour que la Cour refuse d’exercer sa compétence de trancher l’affaire. Le comité d’enquête ayant démissionné, le Conseil continue de faire valoir le troisième motif : le défaut de la demanderesse de soulever la question relative à la crainte de partialité institutionnelle auprès du décideur, en l’espèce, le juge en chef Wittmann.
[132] Le Conseil soutient que la question d’ingérence relativement à l’avocat indépendant n’a jamais été adéquatement présentée au juge en chef Wittmann. La correspondance entre les avocates de la demanderesse et Me Sabourin, y compris les échanges de courriels et les lettres du 28 août 2012, ne constituent pas, selon le Conseil, une présentation de la question relative à la crainte de partialité institutionnelle auprès du décideur administratif pour décision. Le Conseil soutient que l’allégation de crainte de partialité institutionnelle découlant d’une relation avocat‑client qui existerait avec l’avocat indépendant n’a été portée à son attention qu’en octobre 2012, après la réponse de Me Sabourin du 17 septembre. La demande n’aurait pas dû être présentée pour la première fois à la Cour, mais au tribunal, c’est-à-dire, au juge en chef Wittmann, de telle sorte qu’une décision, motifs à l’appui, aurait pu être rendue et qu’un dossier pertinent pour le contrôle judiciaire aurait pu être constitué.
[133] Le Conseil soutient que, désormais, les questions concernant la relation avocat-client et le rôle de l’avocat indépendant peuvent être traitées par le nouveau comité d’enquête. En outre, le Conseil affirme qu’il existe aussi l’équivalent d’un appel, à savoir la révision à une deuxième étape devant le Conseil, au cours de laquelle la juge peut soulever toute question relative à l’équité procédurale qu’elle estime justifiée. Ainsi, le Conseil est d’avis que d’autres voies de recours appropriées sont ouvertes à la demanderesse qui doit les épuiser avant de tenter de chercher un redressement auprès de la Cour.
[134] L’avocate indépendante, Me Côté, soutient que la démission du comité d’enquête mine tout argument selon lequel il existe des circonstances exceptionnelles qui justifient la non-application, en l’espèce, du principe de la question prématurée à l’examen de la question relative à la crainte de partialité institutionnelle. L’argument était fondé sur la possibilité qu’un préjudice irréparable soit causé à la juge Douglas par le fait qu’un comité d’enquête jugé partial examine les questions délicates soulevées en l’espèce. Me Côté affirme que la juge Snider s’était fondée sur cet argument pour accorder le sursis.
[135] Au paragraphe 18 des motifs de l’ordonnance qu’elle a rendue en juillet 2013, la juge Snider a formulé les observations suivantes dans son analyse concernant le moment de présentation de la demande :
[traduction] Toutefois, il peut être approprié de demander le contrôle judiciaire à l’égard de certaines allégations de partialité à l’étape interlocutoire si la poursuite de la procédure administrative cause un préjudice qui « ne peut pas être réparé » […], ou lorsqu’une preuve de l’existence d’un préjudice est favorable à l’audition de la cause à ce stade […]
[136] Au paragraphe 20 des motifs qu’elle a rendus, la juge Snider a précisé qu’elle ne refuserait pas de conclure à l’existence d’une question sérieuse compte tenu du fait que la demande pourrait finalement se révéler prématurée. L’avocate indépendante soutient que le sursis n’avait pas, par conséquent, été accordé en raison de l’allégation de crainte de partialité institutionnelle. Les motifs rendus par la juge Snider pour accorder le sursis étaient axés sur le préjudice éventuel lié au maintien du comité d’enquête. La question n’est plus à prendre en considération.
[137] La demanderesse soutient que les principes du droit administratif autorisent la Cour à statuer sur l’allégation de crainte de partialité institutionnelle avant la conclusion de l’enquête de manière à éviter une aggravation du préjudice qui lui est causé et qui est causé à l’administration de la justice. Elle nie avoir disposé d’un autre recours approprié pour soulever ses préoccupations relatives à l’ingérence de l’avocat indépendant auprès du comité d’enquête ou auprès du juge en chef Wittmann. À son avis, le comité d’enquête avait fait preuve de partialité dans ses décisions procédurales quant à la preuve, et elle n’avait aucune possibilité de demander au vice-président du Comité sur la conduite des juges de rendre une décision sur la question de la présumée ingérence de l’avocat indépendant.
[138] La demanderesse soutient que le Conseil, par la voie de Me Sabourin, lui avait fait [traduction] « obstruction » dans ses efforts visant à déterminer la personne qui lui donnait des directives et pour savoir la raison pour laquelle Me Pratte avait démissionné. Elle affirme qu’à aucun moment on ne lui a demandé de faire part de ses préoccupations au juge en chef Wittmann. Elle n’a appris que Me Sabourin rédigeait les motifs pour le compte du juge en chef Wittmann que lors du contre‑interrogatoire de Me Sabourin en octobre 2013. Tout au long de la procédure, on lui avait demandé de ne communiquer avec le Conseil que par l’entremise de Me Sabourin.
[139] Il semble illogique à la demanderesse qu’on se soit attendu à ce qu’elle demande au nouveau comité d’enquête, un délégué du Conseil, de statuer sur la nature de la relation existant entre le Comité sur la conduite des juges du Conseil et l’avocat indépendant. À son avis, le problème qui se pose est systémique et la situation est inéquitable si n’importe quel membre du Conseil peut empêcher l’avocat indépendant de faire son travail.
[140] La demanderesse soutient que trois des facteurs énoncés dans la décision Lorenz, à savoir le gaspillage, le retard et la division, étayent son argument selon lequel la demande n’est pas prématurée. Ce serait du gaspillage d’aller de l’avant avec un processus vicié. Cette situation mènerait inévitablement à d’autres retards. À son avis, s’il est possible de porter atteinte à la garantie fondamentale constituée par l’avocat indépendant et s’il est nécessaire de rectifier les choses, c’est maintenant qu’il faudrait le faire. La demanderesse prétend que la décision de la juge Snider à l’égard de la requête en sursis constitue une déclaration affirmative de la Cour selon laquelle la demande n’est pas prématurée et fait l’objet du principe de la chose jugée.
Conclusion sur la question du caractère prématuré de la demande
[141] Je suis convaincu que la demande n’est pas prématurée, mais cette conclusion n’est pas fondée sur le motif avancé par la demanderesse selon lequel le principe de la chose jugée est applicable à la question en litige en raison du fait que la juge Snider a accordé le sursis. Comme l’avocate indépendante actuelle l’a soutenu, la juge Snider était saisie de trois allégations de partialité distinctes présentées par la demanderesse, dont deux portaient uniquement sur les actions du comité d’enquête. Elle n’a formulé aucune conclusion explicite selon laquelle la revendication du privilège avocat-client faite par le Conseil causerait, en soi, un préjudice irréparable à la demanderesse, ni n’a précisé que la question devait être entendue sur le fond avant la conclusion de la procédure administrative.
[142] Si la controverse au sujet de la démission de Me Pratte n’avait pas éclatée, j’aurais conclu, suite à l’application des critères Lorenz, précité, que la demande telle que présentée au départ était prématurée. Il me semble que le préjudice supposément causé à la demanderesse en raison des instructions données à l’avocat du comité ainsi que son contre-interrogatoire vigoureux des deux témoins clés n’auraient pas justifié l’ingérence de la Cour avant que le comité d’enquête ne s’acquitte au complet de sa tâche. Si le comité d’enquête avait ultérieurement rendu une décision favorable à la demanderesse, aucun contrôle judiciaire n’aurait été nécessaire. Je ne suis pas convaincu que le risque d’une aggravation du préjudice aux intérêts de la demanderesse causé par la poursuite de l’enquête aurait été irréparable, ou que les actions du comité jusqu’au moment de la requête en récusation constituaient un manquement à son obligation d’agir équitablement et donc viciait la compétence du comité.
[143] Cependant, étant donné la démission de Me Pratte peu après qu’il eut déposé une demande distincte de contrôle judiciaire, la demanderesse avait raison de poursuivre ses démarches afin de déterminer ce qui c’était produit. Ce faisant, je suis convaincu que la demanderesse avait épuisé toutes les voies de recours administratives qui lui étaient ouvertes avant de saisir la Cour de la question de la crainte de partialité institutionnelle.
[144] Je tiens à souligner que, dans sa correspondance du 28 août 2012 adressée à Me Sabourin, l’avocate de la demanderesse a exprimé sa préoccupation selon laquelle [traduction] « le rôle de l’avocat indépendant était extrêmement important afin de garantir l’équité envers le juge » et que, puisque l’avocat indépendant n’a pas de client, la demanderesse avait le droit d’être pleinement tenue au courant de la raison de la démission de Me Pratte. L’avocate a demandé que Me Sabourin l’informe de la personne qui lui donnait des directives. Dans la correspondance ultérieure qu’elle a envoyée la même journée, l’avocate a dit que la participation du Conseil dans les communications ayant entraîné la démission de Me Pratte [traduction] « constituait une atteinte grave au travail d’un fonctionnaire public obligé d’agir dans l’intérêt public ». Le Conseil a ainsi été avisé du fait que sa participation dans le dossier de Me Pratte qui avait mis fin à son rôle auprès du Comité d’enquête avait intensifié les préoccupations de la demanderesse concernant le caractère équitable de la procédure au point où il a été accusé d’ingérence.
[145] Le Conseil, dans la réponse qu’il a produite par l’entremise de Me Sabourin, a affirmé qu’il existait une relation avocat-client, il a invoqué le privilège et n’a pas divulgué les communications qui ont eu lieu avec Me Pratte. Il est difficile de comprendre comment la demanderesse aurait alors pu obtenir une décision du juge en chef Wittmann sur la question, en particulier lorsque ce n’est que le 11 octobre 2013 qu’elle a su que celui-ci avait donné des directives suivant lesquelles Me Sabourin devait traiter avec Me Pratte. Il n’aurait pas non plus été approprié que la demanderesse cherche à obtenir une décision sur la question auprès du comité d’enquête, étant donné que cet organisme n’avait aucune compétence pour statuer à l’égard de décisions rendues par le vice-président, et qu’il était un délégué du Conseil ayant un but restreint et précis. Le Conseil lui-même, ou plutôt cette partie du Conseil qui doit finalement examiner le rapport du comité d’enquête, ne joue aucun rôle dans le processus avant la production du rapport.
[146] Il existe d’autres circonstances exceptionnelles qui justifient qu’une décision soit rendue à l’égard de la demande avant la conclusion de l’enquête. La procédure devant le comité d’enquête et devant la Cour a pris un temps considérable durant lequel la demanderesse a été suspendue de ses fonctions de juge d’une juridiction supérieure et elle court le risque de perdre ce statut garanti par la Constitution. Les ressources judiciaires considérables qui ont été consacrées au traitement de la demande et des requêtes connexes auront été gaspillées si l’affaire ne va pas jusqu’à son terme. En outre, bien qu’il ne s’agisse pas d’un facteur important, lorsque les parties se sont présentées à l’audience, elles étaient prêtes à débattre le bien-fondé de l’allégation de partialité institutionnelle. Je reconnais également que les parties sont déterminées à résoudre la controverse ayant découlé de l’allégation selon laquelle il existait une relation avocat-client avec l’avocat indépendant avant que l’enquête ne se poursuive.
[147] Pour les motifs exposés ci‑dessus, je me pencherai sur la troisième question en litige.
[148] Après la démission de Me Pratte, tel que déjà précisé, la demanderesse a présenté une requête en vertu de la règle 317 des Règles des Cours fédérales en vue d’obtenir une transmission de toutes les communications qui ont eu lieu entre Me Pratte et le Conseil concernant la démission de Me Pratte. Elle a ensuite demandé des directives à la Cour en vertu de la règle 318 des Règles des Cours fédérales, lorsque Me Sabourin, agissant pour le compte du Conseil, avait invoqué le privilège avocat-client et avait refusé de produire les communications. La protonotaire Tabib a conclu que l’allégation de l’existence d’une relation avocat-client était une décision susceptible de contrôle judiciaire et que les communications entre Me Sabourin et Me Pratte constituaient le dossier de cette décision. En conséquence, les communications ont été produites par le Conseil et elles ont été déposées sous scellé, en attendant qu’une décision soit rendue dans la présente procédure quant à la question de savoir s’il existait une relation avocat-client et, dans l’affirmative, si les communications étaient des renseignements protégés. Pour rendre cette décision, j’ai estimé qu’il fallait ouvrir le paquet scellé et lire les communications.
Le critère de la crainte raisonnable de partialité institutionnelle
[149] Dans l’arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 105, le juge Cory a précisé que la « partialité » dénote « un état d’esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions ». Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, à la page 636, il peut être difficile de déterminer l’état d’esprit d’un décideur administratif. Afin d’assurer l’équité, la conduite faisant l’objet d’une plainte est appréciée en fonction du critère de la crainte raisonnable de partialité.
[150] Le critère de la crainte raisonnable de partialité, et la manière dont il convient de l’appliquer, est celui qui a été énoncé dans les motifs dissidents du juge de Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, et adoptés plus tard par la Cour suprême du Canada dans son ensemble dans l’arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484 [précité] :
[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste ? »
[151] Ce critère consiste à se demander si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur. Il s’agit d’un critère objectif qui relève des faits de l’affaire. L’observateur en question est présumée avoir deux caractéristiques — avoir une pleine connaissance des faits importants et le sens de l’équité. Ultimement, la question de savoir si le critère est satisfait relève de l’impression et de l’appréciation au regard des faits de l’affaire : Belize Bank Ltd. v. Attorney General, [2011] UKPC 36, au paragraphe 72.
[152] Il existe une présomption selon laquelle un décideur agira de manière impartiale : Zündel c. Citron, [2000] 4 C.F. 225 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2000] 2 R.C.S. xv. C’est à la personne qui allègue l’existence d’une crainte raisonnable de partialité qu’il appartient d’en faire la preuve. Il y a un seuil élevé pour conclure à une crainte raisonnable de partialité; une allégation ne suffit pas : Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 981, au paragraphe 66.
[153] Lorsque la partialité institutionnelle est alléguée, les mêmes facteurs s’appliquent, mais le critère exige qu’une personne bien renseignée, ayant étudié la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, éprouve une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas. La Cour doit aussi accorder une attention particulière aux garanties prévues dans la loi pour contrer les effets préjudiciables de certaines caractéristiques institutionnelles : 2747‑3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919 (Régie), au paragraphe 44.
[154] La charge de la preuve et la charge de persuasion incombent toutes les deux à la demanderesse : elle doit démontrer qu’une crainte de partialité raisonnable donnerait lieu à un nombre considérable de causes découlant de l’allégation du Conseil selon laquelle il existait une relation avocat-client avec l’avocat indépendant.
Les positions des parties
[155] La demanderesse conteste la déclaration du Conseil selon laquelle il existait une relation avocat-client avec l’ancien avocat indépendant et conteste la revendication du privilège à l’égard des communications ayant eu lieu entre Me Pratte et Me Sabourin concernant toute directive donnée à Me Pratte qui aurait été à l’origine de la démission de celui-ci. Elle soutient que l’allégation de l’existence d’une relation avocat-client entre le Conseil et l’avocat indépendant vicie l’obligation d’équité que le Conseil doit aux juges visés par la procédure disciplinaire.
[156] La demanderesse soutient notamment que, compte tenu du cadre législatif et politique du Conseil et du degré élevé d’équité procédurale due aux juges visés par des plaintes, la simple affirmation de l’existence d’une relation avocat‑client donne lieu à une crainte raisonnable de partialité institutionnelle, étant donné qu’elle mine l’objectif visé par la loi quant au rôle de l’avocat indépendant, et prive le juge défendeur d’une garantie essentielle quant à l’équité procédurale. Cela s’applique indépendamment d’une conclusion selon laquelle il existe une relation avocat-client. L’allégation de l’existence d’une telle relation à elle seule, même si elle est erronée, contredit directement le libellé de la politique concernant l’avocat indépendant, qui prévoit que « [l]’avocat indépendant est impartial en ce sens qu’il ne représente aucun client ». Une personne raisonnable éprouverait une crainte de partialité de la part du Conseil en tant qu’institution, parce que l’existence d’une relation avocat-client a été alléguée par le vice-président du Comité sur la conduite des juges pour le compte du Conseil.
[157] Selon la position du Conseil, le vice‑président du Comité sur la conduite des juges invoque le privilège avocat-client à l’égard de l’avocat indépendant relativement à une portée limitée de services professionnels qui comprennent la formation et la cessation du mandat, les attentes en matière de facturation et la portée du mandat de l’avocat indépendant. Le Conseil estime qu’il s’agit d’une caractéristique nécessaire et pratique du rôle particulier de l’avocat indépendant, et qu’il ne porte pas atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale devant le comité d’enquête ou le Conseil d’une manière qui constituerait une crainte de partialité institutionnelle. Le Conseil affirme qu’il ne donne pas de directives à l’avocat indépendant sur la présentation de la preuve au comité d’enquête, mais refuse de révéler quelles directives il a données à l’avocat indépendant. Il soutient que la possibilité hypothétique que des directives incompatibles avec la fonction d’ordre public de l’avocat indépendant aient été données à ce dernier n’entraîne pas de violation réelle de l’équité procédurale.
[158] L’avocate indépendante soutient que le fait pour le Conseil d’émettre ce qu’elle a appelé des directives uniformes et publiques quant à la manière dont elle doit accomplir ses fonctions permet de voir à ce qu’elle agisse avec impartialité et conformément à l’intérêt public. Les éléments clés de la Politique sur l’avocat indépendant sont la relation sans lien de dépendance avec le Conseil et le comité d’enquête ainsi que la restriction imposée au Conseil quant aux directives qu’il donne sur la manière dont l’avocat indépendant doit s’acquitter de son mandat. Elle avance que, s’il existe une relation avocat-client, elle est d’une portée très limitée et n’appuierait pas une conclusion d’existence d’une partialité institutionnelle, parce que les obligations de l’avocat indépendant visées par le cadre établi par les règlements administratifs et les politiques ne changeraient pas. L’existence d’une telle relation ne modifierait pas l’obligation de l’avocat indépendant d’agir avec impartialité. Elle estime que pour cette raison, il s’agit d’un faux débat.
[159] Le procureur général du Canada ne s’est pas prononcé sur le bien-fondé de l’allégation de partialité institutionnelle. La raison en est que, selon l’avis donné à la Cour, le procureur général n’est pas au courant du contenu des communications à l’égard desquelles le Conseil a invoqué le privilège avocat-client, il n’a aucune connaissance indépendante des motifs qui constituent le fondement de l’allégation ni de la relation entre l’avocat indépendant et le Conseil, y compris le vice-président du Comité sur la conduite des juges.
Existait-il une relation avocat-client entre le vice-président du Comité sur la conduite des juges et Me Pratte?
[160] L’avocat indépendant est nommé en vertu du pouvoir que l’article 62 de la Loi sur les juges confère au Conseil :
62. Le Conseil peut employer le personnel nécessaire à l’exécution de sa mission et engager des conseillers juridiques pour l’assister dans la tenue des enquêtes visées à l’article 63. |
Nomination du personnel |
[161] Tel qu’il est énoncé à l’article 60 de la Loi sur les juges, le Conseil a pour mission d’améliorer le fonctionnement des juridictions supérieures, ainsi que la qualité de leurs services judiciaires, et de favoriser l’uniformité dans l’administration de la justice devant ces tribunaux. Dans le cadre de sa mission, en vertu du paragraphe 60(2), le Conseil a notamment le pouvoir de procéder aux enquêtes visées à l’article 63.
[162] Les premiers mots de l’article 62 donnent au Conseil le pouvoir d’employer toute personne nécessaire à l’exécution de sa mission. Il s’agirait notamment de personnes comme Me Sabourin qui, bien qu’elles exercent la profession d’avocat, occupent un poste de nature principalement administrative. La mention expresse de « conseillers juridiques — pour […] assister [le Conseil] dans la tenue des enquêtes visées à l’article 63 » — autorise l’embauche d’avocats à cette fin précise. Il pourrait s’agir d’un avocat indépendant, comme Me Pratte, et d’un avocat du comité, comme Me McIntosh.
[163] Lorsqu’il a établi la Politique sur l’avocat indépendant, le Conseil a décrit la « raison d’être de la création du poste » [Politiques du CCM à l’égard des enquêtes, à la page 3] :
La raison d’être de la création du poste d’avocat indépendant est de permettre à cet avocat d’agir sans lien de dépendance avec le Conseil canadien de la magistrature et le comité d’enquête. Cela permet à l’avocat indépendant de présenter et de tester les éléments de preuve avec vigueur, abstraction faite des vues préalables du comité d’enquête ou du Conseil. Le comité d’enquête compte sur l’avocat indépendant pour qu’il présente de façon complète et impartiale les éléments de preuve pertinents concernant les allégations faites contre le juge.
[164] Le rôle de l’avocat indépendant a été qualifié d’exceptionnel [à la page 3] :
Une fois qu’il est nommé, l’avocat indépendant n’agit pas selon les instructions d’un client quelconque, mais en conformité avec le droit et d’après son avis professionnel de ce qu’exige l’intérêt public. Il s’agit d’une importante responsabilité publique qui nécessite les services d’un avocat dont la compétence et l’expérience sont reconnues dans le monde juridique. [Non souligné dans l’original.]
[165] Dans la politique, il est décrit que l’avocat indépendant doit présenter la preuve au comité d’enquête avec impartialité et objectivité et de façon complète, comme l’intérêt public l’exige. Il est souligné que « l’avocat indépendant est impartial en ce sens qu’il ne représente aucun client » (non souligné dans l’original).
[166] Il ressort clairement du dossier que Me Pratte a accepté d’agir en tant qu’avocat indépendant devant le comité d’enquête non pas en tant qu’avocat du vice-président du Comité sur la conduite des juges, mais selon les conditions de sa nomination énoncées dans le Règlement et dans la politique du Conseil.
[167] Le contenu du Règlement et des énoncés de politique du Conseil ayant trait au rôle de l’avocat indépendant reflète l’intention d’établir un poste n’ayant pas de lien de dépendance avec le Conseil et avec le comité d’enquête, en vue d’assurer l’équité du processus de présentation de la preuve au comité. L’avocat indépendant n’a pas de client. Son rôle est incompatible avec la création d’une relation avocat-client, sinon, les dispositions du Règlement et des Politiques, tant dans leur lettre que dans leur esprit, n’auraient aucune signification.
[168] Comme il a été mentionné ci-dessus, j’ai lu les communications entre Me Sabourin et Me Pratte pour lesquelles le privilège est revendiqué. Je suis d’avis que la lettre datée du 29 août 2011 que Me Sabourin a envoyée à Me Pratte pour confirmer sa nomination ne permet pas de tirer la conclusion que cette lettre établissait une relation avocat-client. Hormis le fait que Me Sabourin se soit engagé à ce que le montant des honoraires à verser à Me Pratte et à son associé ne soit pas divulgué, il n’y a rien dans la lettre qui indique que Me Pratte avait été engagé en tant qu’avocat pour fournir des conseils juridiques au Conseil. La lettre souligne plutôt la nature indépendente du rôle que Me Pratte avait convenu d’assumer.
[169] L’engagement de ne pas divulguer de renseignements concernant les honoraires qui seraient versées était conforme aux exigences en matière de confidentialité des renseignements reçus par les membres du Barreau du Québec, tels Me Pratte et Me Sabourin, qui découlent du Code des professions, L.R.Q., ch. C-26. Le concept de la confidentialité issu du droit civil québécois ne correspond pas tout à fait au concept de « solicitor-client privilege » [privilège avocat-client], issu de la common law. Voir, à titre d’exemple, Société d’énergie Foster Wheeler Ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) Inc., 2004 CSC 18, [2004] 1 R.C.S. 456, au paragraphe 28.
[170] L’enveloppe scellé contient aussi plusieurs factures produites périodiquement par le cabinet d’avocat de Me Pratte. Bien que des documents de cette nature peuvent être invoqués comme preuve de l’existence d’une relation avocat-client, dans le contexte en l’espèce, ils ne font que refléter la réalité concrète que Me Pratte et son équipe devaient être rémunérés pour le temps qu’ils consacraient à l’affaire et être remboursés quant aux dépenses qu’ils encourraient. Un dossier complet devait être soumis, puisqu’il y avait dépense de fonds publics. Si une relation avocat-client existait pour les besoins de la prestation ou de l’obtention d’un avis juridique, les factures seraient considérées comme étant des communications visées par le privilège : Maranda c. Richer, 2003 CSC 67, [2003] 3 R.C.S. 193, aux paragraphes 22 et 23.
[171] Parmi les documents contenus dans l’enveloppe scellé, c’est dans une lettre datée du 24 août 2012 rédigée par Me Sabourin que l’on retrouve le premier indice que le Conseil fait valoir le privilège avocat-client à l’égard des communications avec Me Pratte. La date de cette lettre était notamment quelques jours après que Me Pratte eut déposé sa demande de contrôle judiciaire. Dans sa lettre de démission datée du 26 août 2012, Me Pratte fait part de son interprétation de la nature du rôle de l’avocat indépendant et de la relation entre cette fonction et le Conseil. À mon avis, les communications lues dans leur ensemble n’étayent pas la thèse du Conseil selon laquelle une relation avocat-client était établie du moment de sa nomination ou à tout moment ultérieur.
[172] Dans sa correspondance avec la Cour d’appel fédérale relativement à l’affaire Cosgrove en 2005, l’avocat du Conseil a mis l’accent sur le fait que [traduction] « l’avocat indépendant est une entité distincte du Conseil et indépendante de celui-ci ». La lettre datée du 19 décembre 2005 contenait ensuite les passages suivants :
[traduction] L’unique fonction du Conseil à l’égard de la fonction d’avocat indépendant est de nommer le titulaire de cette fonction, conformément aux critères exposés à l’article 3 du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes. L’avocat indépendant exerce ses fonctions de manière indépendante, impartiale, et dans l’intérêt public.
Par conséquent, le Conseil ne donne pas de directives à l’avocat indépendant et ne reçoit pas d’avis de ce dernier; de plus, l’avocat indépendant ne relève pas du Conseil […]
Dans ses observations écrites, l’avocat de l’appelant a mentionné que la mention du Conseil dans l’intitulé de la présente instance inclut l’avocat indépendant. Compte tenu de la thèse du Conseil quant au fait que l’avocat indépendant est une fonction distincte qui est indépendante du Conseil, le Conseil ne qualifierait pas ainsi le statut de l’avocat indépendant.
[173] Me Earl Cherniak, c.r., a agi à titre d’avocat indépendant dans l’affaire Cosgrove. Dans son affidavit souscrit le 5 juillet 2013, Me Cherniak a joint des extraits des observations qu’il avait formulées au comité d’enquête, au Conseil et à la Cour fédérale, lesquelles décrivaient l’indépendance dont il jouissait dans sa fonction d’avocat indépendant. Me Cherniak déclare qu’il n’a, en aucun temps, demandé ou reçu des directives du Conseil, et que le Conseil ne l’a jamais corrigé quant à son interprétation selon laquelle il n’avait pas de client. Me Cherniak est l’un des éminents avocats ayant exercé cette fonction par le passé qui ont été consultés par Me Pratte lorsque ce dernier a accepté le mandat, et ce, dans le but de confirmer la manière dont il concevait sa fonction. Le fait que l’actuelle avocate indépendante affirme l’existence d’une relation avocat-client avec le Conseil n’est pas pertinent quant aux paramètres de sa nomination, lesquels n’ont pas été divulgués à la Cour, mais qui peuvent être substantiellement différents de ceux de la nomination de Me Pratte.
[174] Je remarque que le Conseil a refusé d’accorder à Me Pratte l’accès aux renseignements recueillis par un enquêteur du comité d’examen, au motif qu’il s’agissait de renseignements visés par le privilège. Cela n’est pas compatible avec la thèse qu’adopte le Conseil à ce stade-ci, selon laquelle une relation avocat-client était née entre lui et Me Pratte dès le début, puisqu’on présume que ces renseignements auraient été visés par le privilège des communications découlant de la relation et que la question de la renonciation au privilège ne se serait pas posée à l’égard de la divulgation à Me Pratte.
[175] Je suis d’avis que l’existence d’une relation avocat-client n’a pas été établie entre le Conseil et Me Pratte lors de la nomination de ce dernier à titre d’avocat indépendant. Cependant, même si une telle relation avait été créée uniquement pour les fins limitées décrites par Me Sabourin, je ne suis pas convaincu que les communications se rapportant à la nomination et à la démission de Me Pratte sont visées par le privilège.
S’il existait une relation avocat-client, les communications entre Me Sabourin et Me Pratte étaient-elles assujetties au privilège?
[176] Le privilège avocat-client comporte deux volets : le privilège de la consultation juridique et le privilège relatif au litige. Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319, le privilège relatif au litige vise les documents créés principalement en vue du litige et constitue une exception limitée au principe de la communication complète qui est liée à la durée du litige. Ce n’est pas ce que le Conseil prétend en l’espèce.
[177] Le privilège de la consultation juridique touche les communications entre l’avocat et son client aux fins de l’obtention ou de la prestation de conseils juridiques. Le privilège de la consultation juridique est fondé sur le fait que les personnes qui ont besoin de l’aide d’un avocat doivent être en mesure de divulguer en toute franchise tous les renseignements dont l’avocat a besoin pour leur donner de bons conseils dans un contexte juridique : arrêt Slansky C.A.F., précité, au paragraphe 66.
[178] Dans l’arrêt Slansky C.A.F., le juge Evans a retenu l’argument du Conseil selon lequel des parties d’un rapport d’enquête rédigé par un avocat étaient visées par le privilège de la consultation juridique, qui relève du privilège avocat-client. Le juge Mainville a souscrit à cette conclusion, mais a aussi fait droit à la demande de non-divulgation pour le motif que le rapport faisait l’objet d’un privilège d’intérêt public de common law en ce qui concerne l’indépendance judiciaire : arrêt Slansky C.A.F., précité, au paragraphe 131. Je note que l’intérêt public en question avait trait à la non-divulgation de renseignements obtenus à titre confidentiel par l’avocat enquêteur du Conseil. Un privilège d’intérêt public d’une nature semblable n’est pas invoqué en l’espèce.
[179] Jusqu’à tout récemment, les quatre volets du critère servant à décider si une communication faisait l’objet du privilège de la consultation juridique étaient bien établis. Comme l’a dit le juge Evans dans l’arrêt Slansky C.A.F., au paragraphe 74, il devait s’agir : 1) d’une communication entre un avocat et son client; 2) qui comportait une consultation ou un avis juridiques; 3) que les parties considèrent de nature confidentielle; et 4) qui n’avait pas pour objectif de permettre la perpétration d’un acte illégal.
[180] Cette interprétation de longue date quant à la nature du privilège rattaché à l’avis juridique a été remise en question par les commentaires introductifs formulés par le juge Binnie dans l’arrêt Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574 (Blood Tribe), où il a mentionné, au paragraphe 10, que le privilège avocat-client est :
[…] applicable à toutes les communications entre un client et son avocat lorsque ce dernier donne des conseils juridiques ou agit, d’une autre manière, en qualité d’avocat et non en qualité de conseiller d’entreprise ou à un autre titre que celui de spécialiste du droit : […] [Souligné par le juge Evans.]
[181] Dans Slansky C.A.F., la lettre d’embauche ne parlait pas expressément de la prestation de conseils juridiques. En fait, l’avocat (le professeur émérite Martin Friedland) avait plutôt reçu pour instruction précise de ne pas donner d’avis juridiques à l’égard de la décision qui devait être rendue quant à la plainte en question. Il a toutefois décidé d’inclure certaines recommandations dans son rapport. Dans son examen de la question de savoir si ces renseignements étaient visés par le privilège, le juge Evans a déclaré ce qui suit au sujet de l’incidence de l’arrêt Blood Tribe (au paragraphe 89) :
L’arrêt Blood Tribe est toutefois venu modifier dans une certaine mesure la jurisprudence formulée dans le cadre de ces décisions en précisant qu’une relation entre un avocat et son client est établie si l’avocat est chargé de fournir des services dans un contexte juridique exigeant les compétences et les connaissances d’un avocat, même si ces services peuvent ne pas être perçus comme étant des services juridiques au sens courant du terme, par exemple parce que l’avocat n’informe pas le client de ses droits et de ses devoirs ni ne le conseille expressément sur les mesures qu’il devrait prendre vu la situation dans laquelle il se trouve sur le plan juridique.
[182] Par conséquent, les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale ont conclu que les parties du rapport Friedland qui contenaient des avis juridiques étaient visées par le privilège. La vision élargie du privilège découlant de l’arrêt Blood Tribe n’était pas selon moi déterminante quant à cette issue.
[183] Dans ses motifs dissidents, le juge Stratas a rejeté l’allégation de privilège visant les passages contestés du rapport Friedland. Il a examiné en profondeur les principes généraux énoncés dans la jurisprudence. Entre autres, le juge Stratas a exprimé, aux paragraphes 191 à 194, que le contenu d’une lettre de mandat, s’il y en a une, revêt une importance capitale lorsqu’il s’agit d’examiner une allégation de privilège. La lettre de mandat précise la nature de la relation, l’objectif du mandat, le fait que l’on demande à l’avocat de fournir des conseils ou non, et, le cas échéant, la nature de ces conseils. Il s’agit du meilleur élément de preuve en ce qui concerne ces questions, qui doivent être examinées selon les indications données dans l’arrêt R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565 (Campbell). La lettre de mandat est rédigée et fait l’objet d’un accord au début de la relation, avant que ne naisse toute controverse au sujet du privilège avocat-client. « [I]l faut habituellement envisager avec prudence, voire même méfiance, les [preuves par affidavit] visant à jeter un nouvel éclairage sur les questions abordées dans la lettre de mandat, à la modifier et à la remplacer » : Slansky C.A.F., précité, au paragraphe 193.
[184] Je souligne que, au paragraphe 50 de l’arrêt Campbell, le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a fait observer que le privilège ne s’applique pas à tous les gestes posés par un avocat dans le contexte d’une relation avocat-client :
Le secret professionnel de l’avocat s’appliquera ou non à ces situations selon la nature de la relation, l’objet de l’avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni.
[185] Dans son analyse du principe selon lequel le privilège vise surtout la consultation juridique, le juge Stratas a souligné qu’il faut se concentrer sur la nature du travail (au paragraphe 223) :
En fait, pour être considérés comme étant protégés, les documents ou les renseignements doivent avoir pour objectif principal l’obtention ou la prestation de conseils juridiques ou encore être liés étroitement et directement à l’obtention, à la formulation ou la prestation de conseils juridiques : arrêt Pritchard, précité, au paragraphe 15; R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445, au paragraphe 36; arrêt Campbell, précité, au paragraphe 49; Descôteaux et autre, précité, aux pages 872 et 873; arrêt Solosky, précité, à la page 835; Thompson c. Canada (Ministre du Revenu national), 2013 CAF 197, au paragraphe 40.
[186] Lorsqu’il discutait de la question de savoir si « “toutes les communications entre un client et son avocat lorsque ce dernier […] agit, d’une autre manière, en qualité d’avocat” » (souligné dans l’original) [au paragraphe 241] sont dorénavant visées par le privilège, le juge Stratas conclut que la Cour suprême du Canada n’aurait pas pu avoir l’intention d’étendre la portée du privilège en faisant au passage un commentaire d’introduction dans une affaire dans laquelle la relation avocat-client n’était pas en cause (aux paragraphes 242 à 245) :
La question précise que devait trancher la Cour suprême dans l’arrêt Blood Tribe était celle de savoir si le Commissaire à la protection de la vie privée pouvait obtenir l’accès à des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat. La confidentialité des documents n’était pas contestée. Le commentaire d’introduction était donc superflu.
Par ailleurs, je me demande si la Cour suprême, lorsqu’elle a ajouté « ou agit, d’une autre manière, en qualité d’avocat » ne faisait pas plutôt maladroitement allusion à un autre privilège, celui de la poursuite. Ce privilège offre aux avocats ayant un mandat de poursuite une certaine marge de confidentialité. Fait à noter, certaines des décisions citées dans le même paragraphe portent principalement sur le privilège de la poursuite ou, en fait, sur une notion différente, celle de secret professionnel aux termes du droit civil québécois. Aucune des décisions citées n’appuie l’idée que le privilège du secret professionnel s’applique notamment dans les situations où un avocat « agit, d’une autre manière, en qualité d’avocat ».
Mis à part l’introduction maladroitement formulée dans l’arrêt Blood Tribe, la Cour suprême n’a jamais envisagé que le fait d’agir d’une autre manière en qualité d’avocat soit suffisant pour que le secret professionnel de l’avocat s’applique. En effet, cela serait contraire à ses propres décisions selon lesquelles le privilège n’existe pas du seul fait qu’un avocat participe au processus, ainsi qu’à de nombreux autres éléments de jurisprudence selon lesquels les activités d’avocat faisant des choses que font habituellement les avocats ne sont pas nécessairement confidentielles : arrêt Pritchard, précité, aux paragraphes 19 et 20; arrêt Campbell, précité, au paragraphe 50; jurisprudence citée ci-dessus, aux paragraphes 224 à 232.
Est‑ce que des décennies de jurisprudence bien admise concernant les règles de droit applicables au secret professionnel de l’avocat ont soudainement été balayées par un vent latéral – un commentaire d’introduction fait au passage dans l’arrêt Blood Tribe? Je ne crois pas.
[187] J’ai longuement cité les motifs du juge Stratas dans l’arrêt Slansky C.A.F., car je suis d’avis qu’ils sont pertinents quant à la question dont je suis saisi et qu’ils constituent un énoncé exact du droit applicable. Dans la présente affaire, le Conseil allègue que les communications entre le vice-président du Comité sur la conduite des juges, par l’entremise de Me Sabourin, et Me Pratte qui n’ont aucun rapport avec la prestation de conseils juridiques au Conseil et qui portent uniquement sur les modalités de la nomination de Me Pratte en tant qu’avocat indépendant du comité d’enquête et sur sa démission de ce poste sont assujetties au privilège.
[188] Comme il a été abordé ci-dessus, la lettre de Me Sabourin à l’attention de Me Pratte datée du 29 août 2011 constitue la meilleure preuve de la nature de la relation qu’entretenaient le Conseil et Me Pratte. Rien dans la lettre ne donne à penser que Me Pratte doit fournir des conseils juridiques au Conseil, au vice-président du Comité sur la conduite des juges ou à Me Sabourin. La lettre définit uniquement l’objectif de la nomination et le rôle de l’avocat indépendant par rapport à la présentation de la preuve et d’observations au comité d’enquête. Le rôle est présenté à Me Pratte comme un devoir assumé dans l’intérêt public.
[189] Il ressort de la preuve produite par Me Sabourin qu’il existait une relation avocat-client avec Me Pratte dès le début en ce qui concerne la formation et la fin du mandat, les attentes en matière de facturation et la portée du mandat de l’avocat indépendant. Comme il a été mentionné ci-dessus, la Cour doit examiner avec prudence tout élément de preuve qui vise à « jeter un nouvel éclairage sur [les conditions de la nomination de Me Pratte] à [les] modifier et à [les] remplacer ». En l’espèce, la question de l’importance accordée à la nature de la relation n’a été soulevée que lorsque Me Pratte a revendiqué le droit, à titre d’avocat indépendant, de demander le contrôle judiciaire des décisions du comité d’enquête.
[190] Comme le juge Evans l’a dit aux paragraphes 65 et 66 de l’arrêt Slansky C.A.F., précité, de même que le juge Stratas, aux paragraphes 247 à 252, le privilège avocat-client sert à permettre l’obtention de conseils juridiques et la divulgation franche de tous les renseignements nécessaires pour la prestation de ces conseils juridiques. Il exige le respect de la confidentialité de toutes les communications faites dans le but d’obtenir un avis juridique et il est tributaire de l’existence d’une relation avocat-client établie dans le but d’obtenir un avis juridique. Le simple fait qu’un avocat est désigné pour accomplir une fonction juridique n’est pas suffisant pour satisfaire à l’une ou l’autre de ces exigences. Par conséquent, je conclus que les communications entre Mes Sabourin et Pratte portant sur la nomination et la démission de ce dernier ne sont pas assujetties au privilège avocat-client.
[191] En conséquence, j’ordonne, en vertu de la règle 318 des Règles des Cours fédérales, que la correspondance entre Me Sabourin et Me Pratte actuellement détenue sous scellé par la Cour soit transmise aux parties et qu’elle soit versée au dossier public. Étant donné l’engagement de Me Sabourin à ce que les dispositions financières auxquelles Me Pratte a convenu ne soient pas divulgué, cette partie de la lettre de nomination ainsi que les états de compte ne seront pas divulgués.
Les conclusions quant à la question de la partialité institutionnelle
[192] Personne ne conteste qu’une instance relative à la conduite d’un juge nécessite un degré élevé d’équité. Comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moreau-Bérubé, précité, au paragraphe 75, l’obligation de se conformer aux règles de justice naturelle et à celles de l’équité procédurale s’étend à tous les organismes administratifs qui agissent en vertu de la loi. La nature et l’étendue de cette obligation sont tributaires du contexte particulier de chaque cas. Dans l’arrêt Moreau-Bérubé, les répercussions de l’audience pour l’intimée, l’absence d’appel et le fait que cette instance était similaire au processus judiciaire régulier nécessitaient une interprétation large de la portée du droit d’être entendu. La Cour d’appel fédérale a reconnu dans l’arrêt Taylor, précité, aux paragraphes 92 et 93, que l’obligation d’équité exige que le Conseil évite de créer une crainte raisonnable de partialité contre le juge intimé.
[193] Les arrêts Moreau-Bérubé et Taylor traitaient de la question de l’équité dans le contexte de décisions ayant une incidence directe sur les intérêts des personnes visées : une juge nommée par un gouvernement provincial (Moreau-Bérubé) et un plaignant (Taylor). Dans ces deux affaires, l’allégation de partialité visait l’organisme qui avait rendu la décision faisant l’objet de la plainte. Dans la présente affaire, l’allégation vise l’institution dans son ensemble, mais surtout une personne qui participe au processus, mais qui ne prendra pas part au véritable processus décisionnel : le vice-président du Comité sur la conduite des juges.
[194] Dans l’arrêt Régie, précité, qui constitue l’arrêt de principe en ce qui a trait à la partialité institutionnelle, la participation des avocats de l’organisme à toutes les étapes du processus de révocation des permis, de l’enquête à la décision, donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité de nature systémique. De plus, la Loi et le règlement régissant l’organisme en cause autorisaient le président à lancer une enquête, à décider de tenir une audience, à constituer le tribunal qui instruirait l’affaire et, s’il le voulait, à se joindre à ce tribunal. Dans la même veine, d’autres directeurs pouvaient lancer une enquête et participer au processus de règlement de la plainte.
[195] Par opposition, la structure du processus du Conseil fut soigneusement conçue pour éviter les conflits comme ceux relevés dans l’arrêt Régie. Le processus prévoit notamment que les décideurs à chaque stade de la procédure ne jouent aucun rôle dans la décision sur le fond. Plus précisément, les membres du Comité sur la conduite des juges ne participent pas aux délibérations du comité d’enquête ou du Conseil qui conduisent à la recommandation formulée au ministre de la Justice. Comme il a été discuté dans l’arrêt Régie, les doutes concernant la partialité institutionnelle ont trait à la possible influence que celle‑ci peut avoir sur les décideurs : voir aussi Lim et al. v. P.E.O., 2011 ONSC 106, (2011), 23 Admin. L.R. (5th) 77 (C. div.), au paragraphe 108.
[196] En l’espèce, même si c’est à tort qu’il a été affirmé qu’une relation avocat-client existait entre l’avocat indépendant et le vice-président du Comité sur la conduite des juges, ce n’est pas ce dernier, mais bien le comité d’enquête, qui agit à titre de décideur quant au bien‑fondé des plaintes déposées contre la demanderesse. Le fait que c’est le vice‑président du Comité sur la conduite des juges qui ait nommé les membres du comité ne permet pas raisonnablement de conclure que les décideurs seraient ainsi influencés par le fait que l’existence d’une relation avocat-client a été invoquée par le vice‑président à l’égard de l’avocat indépendant : Van Rassel c. Canada (Surintendant de la Gendarmerie royale), [1987] 1 C.F. 473 (1re inst.).
[197] Si j’interprète les allégations de la demanderesse de la façon la plus large possible, ce qui s’est produit en l’espèce était une tentative d’empêcher l’avocat indépendant de présenter une demande de contrôle judiciaire des décisions rendues par le comité d’enquête relativement à des questions de procédure et de preuve. Même si cette allégation était véridique et pouvait être étayée par la correspondance entre Me Sabourin et Me Pratte, elle ne pourrait établir une crainte raisonnable de partialité en lien avec le décideur à moins qu’il y ait de la preuve d’une tentative de s’immiscer de quelque manière que ce soit dans la présentation de la preuve faite par Me Pratte devant le comité d’enquête.
[198] Je suis d’avis qu’il est nécessaire de formuler certaines observations quant à la portée du rôle de l’avocat indépendant, puisque la position de la demanderesse repose largement sur la présomption que l’équité du processes d’enquête dépend de la capacité du titulaire du rôle de l’avocat indépendant de contester de son propre chef les décisions interlocutoires du comité d’enquête. La portée de la nomination de l’avocat indépendant n’est pas sans limites. Cette nomination a un objectif bien précis, soit « [d]’assister dans la tenue des enquêtes ». La responsabilité de mener une enquête équitable appartient au Conseil et au comité d’enquête, pas à l’avocat indépendant; l’avocat indépendant appuie le comité d’enquête à l’égard de cette responsabilité. L’avocat indépendant n’occupe pas une charge publique autonome; cette charge est liée aux instances du comité d’enquête, et la seule fonction de l’avocat indépendant est d’apporter son aide dans le cadre de ces instances en présentant des éléments de preuve et des observations. En fait, la politique mentionne expressément que l’avocat indépendant doit se conformer aux décisions du comité d’enquête.
[199] Dans les cas où l’avocat indépendant croit que le comité a commis une erreur en ce qui a trait aux procédures qu’il a adoptées ou aux décisions qu’il a prises quant à des questions relatives à la preuve, il doit faire part de ces préoccupations dans le dossier de l’enquête. Le juge visé par l’enquête, ou toute autre personne concernée, pourrait alors présenter une demande de contrôle judiciaire s’il estime qu’il est nécessaire que ces préoccupations fassent l’objet d’un examen. Ces préoccupations pourraient aussi être examinées par le Conseil lorsqu’il reçoit le rapport du comité d’enquête. L’obligation d’équité en l’espèce ne requiert pas que l’on reconnaisse que l’avocat indépendant lui‑même ait qualité pour contester de son propre chef les décisions interlocutoires du comité d’enquête, tant et aussi longtemps que le juge ou toute autre personne concernée peuvent présenter une telle contestation dans les situations appropriées. Une décision rendue ou une mesure prise par le comité qui est jugée comme outrepassant la compétence du comité pourrait être l’une de ces situations.
[200] Rien ne donne à penser dans la présente affaire que le vice-président du Comité sur la conduite des juges ou n’importe quelle autre personne au sein du Conseil se soit immiscée dans la présentation de la preuve faite par Me Pratte devant le comité d’enquête et dans les observations qu’il a formulées à ce comité. Dans le meilleur des cas, il n’y a que la conjecture, vague et non étayée, selon laquelle l’existence d’une relation avocat-client peut conduire à des « directives secrètes » incompatibles avec l’obligation d’agir de manière impartiale et dans l’intérêt public à laquelle est tenue l’avocat indépendant. Cette conjecture ne peut pas appuyer une conclusion d’existence d’une crainte raisonnable de partialité institutionnelle.
CONCLUSION
[201] Par conséquent, je conclus que l’opposition du Conseil à la compétence de la Cour pour statuer sur des demandes de contrôle judiciaire relatives aux enquêtes effectuées par le Conseil au titre de l’article 63 de la Loi sur les juges n’est pas fondée et que la demande en l’espèce n’est pas prématurée. Par contre, je conclus aussi que le fait que le vice-président du Comité sur la conduite des juges ait erronément, à mon avis, affirmé, pour le compte du Conseil, qu’il existait une relation avocat-client entre le Conseil et l’avocat indépendant ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité institutionnelle.
[202] La demanderesse n’a pas établi qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, puisse conclure que le vice président du Comité sur la conduite des juges a fait preuve de partialité en affirmant qu’il existait une relation avocat-client ou qu’elle tirerait une telle conclusion dans un nombre important de cas.
[203] La demanderesse aura donc gain de cause en ce qui a trait aux questions relatives à la compétence et à la prématurité, mais non à l’égard de la troisième question en litige, soit celle se rapportant à la partialité institutionnelle. La demanderesse a réclamé que des dépens lui soient adjugés sur la base d’une indemnité substantielle. Compte tenu de cette demande, je tiens pour acquis que les frais qu’elle a engagés relativement à la présente demande ne sont pas assumés par le Commissaire à la magistrature fédérale, comme c’est le cas pour les procédures d’enquêtes. Les intervenants et le défendeur n’ont pas réclamé de dépens. Il semblerait que les frais du Conseil et de l’actuelle avocate indépendante soient couverts par le budget du Conseil. Les avocats peuvent en aviser la Cour si ces présomptions sont erronées.
[204] La Cour a le pouvoir discrétionnaire, dans les cas appropriés, d’adjuger des dépens à une partie n’ayant pas gain de cause : M. v. H., 1996 CanLII 8119, 27 R.J.O. (3e) 593 (Div. gén.), aux paragraphes 17 et 30; Lavigne and Ontario Public Service Employees Union et al (No. 2), Re (1987), 60 O.R. (2d) 486 (H.C.J.) (Lavigne), à la page 523, inf., mais conf. quant aux dépens [sub nom. Lavigne v. O.P.S.E.U.] par (1989), 67 O.R. (2d) 536 (C.A.), aux pages 575 et 576, jugement en appel conf. par [sub nom. Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario], [1991] 2 R.C.S. 211.
[205] Bien que la demanderesse n’ait pas eu gain de cause quant à la question de la partialité institutionnelle, je suis convaincu, compte tenu des circonstances dans lesquelles la demande a été présentée, que la demanderesse a droit au paiement de ses dépens par le Conseil, et ce, selon le barème normal.
LA COUR STATUE que :
1. La requête visant l’obtention de directives fondée sur la règle 318 des Règles des Cours fédérales est accueillie et le contenu de l’enveloppe scellée produit par le Conseil canadien de la magistrature sera divulgué aux parties et versé au dossier public, sous réserve des directives délivrées par le greffe concernant les renseignements devant rester confidentiels;
2. L’application de la directive visée au paragraphe 1 sera suspendue pendant 30 jours, dans l’attente de la présentation d’un avis d’appel ou d’une requête en sursis relativement au présent jugement;
3. La demande visant l’obtention d’une ordonnance déclarant que le fait que le Conseil canadien de la magistrature affirme qu’il existait une relation avocat-client avec l’avocat indépendant suscite une crainte raisonnable de partialité institutionnelle est rejetée;
4. La demande en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au Conseil canadien de la magistrature de poursuivre l’instance contre la demanderesse est rejetée;
5. Le Conseil canadien de la magistrature versera à la demanderesse ses dépens, lesquels sont fixés selon le tarif ordinaire.
[206] Les dispositions pertinentes de la Loi sur les juges, de la Loi sur les Cours fédérales et de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1], reproduite dans L.R.C. (1985), appendice II, no 5 (la Loi constitutionnelle de 1867) sont reproduites en annexe. Le Règlement, les Procédures relatives aux plaintes et les politiques du Conseil canadien de la magistrature sont aussi reproduits en annexe.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1], reproduit dans L.R.C. (1985), appendice II, n° 5, article 99.
VII. JUDICATURE
[…]
99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes. |
Durée des fonctions des juges |
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, articles 2 et 18.1.
DÉFINITIONS
[…]
2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi. […] |
Définitions |
« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. […] |
« office fédéral » “federal board, commission or other tribunal” |
(2) Il est entendu que sont également exclus de la définition de « office fédéral » le Sénat, la Chambre des communes, tout comité ou membre de l’une ou l’autre chambre, le conseiller sénatorial en éthique et le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique à l’égard de l’exercice de sa compétence et de ses attributions visées aux articles 41.1 à 41.5 et 86 de la Loi sur le Parlement du Canada. […] |
Sénat et Chambre des communes |
18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour : a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral; b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral. |
Recours extraordinaires : offices fédéraux |
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 317 et 318.
Obtention de documents en la possession d’un office fédéral
317. (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés. […] |
Matériel en la possession de l’office fédéral |
318. (1) Dans les 20 jours suivant la signification de la demande de transmission visée à la règle 317, l’office fédéral transmet : a) au greffe et à la partie qui en a fait la demande une copie certifiée conforme des documents en cause; b) au greffe les documents qui ne se prêtent pas à la reproduction et les éléments matériels en cause. |
Documents à transmettre |
(2) Si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l’administrateur des motifs de leur opposition. |
Opposition de l’office fédéral |
(3) La Cour peut donner aux parties et à l’office fédéral des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet d’une opposition à la demande de transmission. |
Directives de la Cour |
(4) La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l’opposition, ordonner qu’une copie certifiée conforme ou l’original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe. |
Ordonnance |
Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1.
PARTIE II
CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE
Définition
58. Dans la présente partie, « ministre » s’entend du ministre de la Justice du Canada. |
Définition de « ministre » |
Constitution et fonctionnement du Conseil
[…]
60. (1) Le Conseil a pour mission d’améliorer le fonctionnement des juridictions supérieures, ainsi que la qualité de leurs services judiciaires, et de favoriser l’uniformité dans l’administration de la justice devant ces tribunaux. |
Mission du Conseil |
(2) Dans le cadre de sa mission, le Conseil a le pouvoir : a) d’organiser des conférences des juges en chef et juges en chef adjoints b) d’organiser des colloques en vue du perfectionnement des juges; c) de procéder aux enquêtes visées à l’article 63; d) de tenir les enquêtes visées à l’article 69. |
Pouvoirs |
61. […] |
|
(3) Le Conseil peut, par règlement administratif, régir : […] c) la procédure relative aux enquêtes visées à l’article 63. |
Règlements administratifs |
62. Le Conseil peut employer le personnel nécessaire à l’exécution de sa mission et engager des conseillers juridiques pour l’assister dans la tenue des enquêtes visées à l’article 63. |
Nomination du personnel |
Enquêtes sur les juges
63. (1) Le Conseil mène les enquêtes que lui confie le ministre ou le procureur général d’une province sur les cas de révocation au sein d’une juridiction supérieure pour tout motif énoncé aux alinéas 65(2)a) à d). |
Enquêtes obligatoires |
(2) Le Conseil peut en outre enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge d’une juridiction supérieure. |
Enquêtes facultatives |
(3) Le Conseil peut constituer un comité d’enquête formé d’un ou plusieurs de ses membres, auxquels le ministre peut adjoindre des avocats ayant été membres du barreau d’une province pendant au moins dix ans. |
Constitution d’un comité d’enquête |
(4) Le Conseil ou le comité formé pour l’enquête est réputé constituer une juridiction supérieure; il a le pouvoir de : a) citer devant lui des témoins, les obliger à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment — ou de l’affirmation solennelle dans les cas où elle est autorisée en matière civile — et à produire les documents et éléments de preuve qu’il estime nécessaires à une enquête approfondie; b) contraindre les témoins à comparaître et à déposer, étant investi à cet égard des pouvoirs d’une juridiction supérieure de la province où l’enquête se déroule. […] |
Pouvoirs d’enquête |
64. Le juge en cause doit être informé, suffisamment à l’avance, de l’objet de l’enquête, ainsi que des date, heure et lieu de l’audition, et avoir la possibilité de se faire entendre, de contre-interroger les témoins et de présenter tous éléments de preuve utiles à sa décharge, personnellement ou par procureur. |
Avis de l’audition |
Rapports et recommandations
65. (1) À l’issue de l’enquête, le Conseil présente au ministre un rapport sur ses conclusions et lui communique le dossier. |
Rapport du Conseil |
(2) Le Conseil peut, dans son rapport, recommander la révocation s’il est d’avis que le juge en cause est inapte à remplir utilement ses fonctions pour l’un ou l’autre des motifs suivants : a) âge ou invalidité; b) manquement à l’honneur et à la dignité; c) manquement aux devoirs de sa charge; d) situation d’incompatibilité, qu’elle soit imputable au juge ou à toute autre cause. […] |
Recommandation au ministre |
Rapport au Parlement
70. Les décrets de révocation pris en application du paragraphe 69(3), accompagnés des rapports et éléments de preuve à l’appui, sont déposés devant le Parlement dans les quinze jours qui suivent leur prise ou, si le Parlement ne siège pas, dans les quinze premiers jours de séance ultérieurs de l’une ou l’autre chambre. |
Dépôt des décrets |
Révocation par le Parlement ou le gouverneur en conseil
71. Les articles 63 à 70 n’ont pas pour effet de porter atteinte aux attributions de la Chambre des communes, du Sénat ou du gouverneur en conseil en matière de révocation des juges ou des autres titulaires de poste susceptibles de faire l’objet des enquêtes qui y sont prévues. |
Maintien du pouvoir de révocation |
Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes, DORS/2002-371.
DÉFINITIONS
1. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement administratif.
« comité sur la conduite des juges » Comité du Conseil constitué par celui-ci et désigné comme tel. (Judicial Conduct Committee)
« Loi » La Loi sur les juges. (Act)
CONSTITUTION ET POUVOIRS DU COMITÉ D’EXAMEN
1.1 (1) Le président ou le vice-président du comité sur la conduite des juges qui examine une plainte ou une accusation relative à un juge d’une juridiction supérieure peut, s’il décide que l’affaire nécessite un examen plus poussé, constituer un comité d’examen chargé de décider s’il y a lieu de constituer un comité d’enquête en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi.
(2) Le comité d’examen se compose de trois ou cinq juges, dont la majorité sont des membres du Conseil, nommés par le président ou le vice-président du comité sur la conduite des juges.
(3) Le comité d’examen ne peut décider qu’un comité d’enquête doit être constitué que si l’affaire en cause pourrait s’avérer suffisamment grave pour justifier la révocation d’un juge.
(4) Le cas échéant, il envoie sans délai au ministre une copie de sa décision de constituer le comité d’enquête, accompagnée d’un avis l’invitant à adjoindre, en application du paragraphe 63(3) de la Loi, des avocats au comité.
CONSTITUTION DU COMITÉ D’ENQUÊTE
2. (1) Le comité d’enquête constitué aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi se compose d’un nombre impair de membres dont la majorité sont des membres du Conseil nommés par le président ou le vice-président du comité sur la conduite des juges.
(1.1) Si, dans les soixante jours suivant la réception de l’avis visé au paragraphe 1.1(4), le ministre n’adjoint aucun avocat au comité d’enquête, le président ou le vice-président du comité sur la conduite des juges peut nommer d’autres membres du Conseil pour compléter la composition du comité.
(2) Le président ou le vice-président du comité sur la conduite des juges désigne le président du comité d’enquête parmi les membres de celui-ci.
(3) Ne peuvent être membres du comité d’enquête :
a) ceux qui sont membres de la cour dont le juge en cause fait partie;
b) ceux qui ont participé aux délibérations du comité d’examen sur la nécessité de constituer un comité d’enquête.
AVOCAT INDÉPENDANT
3. (1) Le président ou le vice-président du comité sur la conduite des juges nomme à titre d’avocat indépendant un avocat qui est membre du barreau d’une province depuis au moins dix ans et dont la compétence et l’expérience sont reconnues au sein de la communauté juridique.
(2) L’avocat indépendant présente l’affaire au comité d’enquête, notamment en présentant des observations sur les questions de procédure ou de droit qui sont soulevées lors de l’audience.
(3) L’avocat indépendant agit avec impartialité et conformément à l’intérêt public.
[…]
DÉROULEMENT DE L’ENQUÊTE
5. (1) Le comité d’enquête peut examiner toute plainte ou accusation pertinente formulée contre le juge qui est portée à son attention.
(2) L’avocat indépendant donne au juge, à l’égard des plaintes ou accusations que le comité d’enquête entend examiner, un préavis suffisamment long pour lui permettre d’offrir une réponse complète.
[…]
7. Le comité d’enquête mène l’enquête conformément au principe de l’équité.
RAPPORT DU COMITÉ D’ENQUÊTE
8. (1) Le comité d’enquête remet au Conseil un rapport dans lequel il consigne les résultats de l’enquête et ses conclusions quant à savoir si la révocation du juge devrait être recommandée.
(2) Une fois le rapport remis au Conseil, le directeur exécutif du Conseil en remet une copie au juge, à l’avocat indépendant et à toute autre personne ou entité ayant obtenu qualité pour agir à l’audience.
[…]
RÉPONSE DU JUGE AU RAPPORT
9. (1) Le juge peut, dans les trente jours suivant la réception du rapport, présenter des observations écrites au Conseil au sujet de celui-ci.
[…]
10. (1) Si le juge présente des observations écrites au sujet du rapport d’enquête, le directeur exécutif du Conseil en remet une copie à l’avocat indépendant. Celui-ci peut, dans les quinze jours suivant la réception de la copie, envoyer au Conseil une réponse écrite.
[…]
RÉUNIONS DU CONSEIL CONCERNANT LA RÉVOCATION DES JUGES
10.1 (1) Le plus ancien membre du comité sur la conduite des juges qui est admis à participer aux délibérations concernant la révocation d’un juge d’une juridiction supérieure et est disponible à cette fin préside les réunions du Conseil portant sur ces délibérations.
[…]
(3) Le quorum pour toute réunion délibératoire du Conseil concernant la révocation d’un juge d’une juridiction supérieure est de dix-sept membres.
[…]
EXAMEN DU RAPPORT DU COMITÉ D’ENQUÊTE PAR LE CONSEIL
11. (1) Le Conseil examine le rapport du comité d’enquête et toute observation écrite du juge ou de l’avocat indépendant.
(2) Les personnes visées à l’alinéa 2(3)b) et les membres du comité d’enquête ne peuvent participer à l’examen du rapport par le Conseil ou à toute autre délibération du Conseil portant sur l’affaire.
12. Si le Conseil estime que le rapport d’enquête n’est pas clair ou est incomplet et que des éclaircissements ou qu’un complément d’enquête sont nécessaires, il renvoie tout ou partie de l’affaire au comité d’enquête en lui communiquant ses directives.
RAPPORT DU CONSEIL
<13. Le directeur exécutif du Conseil remet au juge une copie du rapport des conclusions du Conseil présenté au ministre.
Procédures à l’examen des plaintes déposées au Conseil canadien de la magistrature au sujet de juges de nomination fédérale, « Procédures relatives aux plaintes »
[…]
3. Examen de la plainte par le président ou par un vice-président du comité sur la conduite des juges
3.1 Le président du Conseil ne peut participer à l’examen d’une plainte par le Conseil.
3.2 Le directeur exécutif transmet un dossier au président ou à un vice-président
du comité sur la conduite des juges conformément aux directives du président du comité. Ni le président non plus que les vice-présidents ne doivent examiner un dossier mettant en cause un juge qui est membre de la même cour qu’eux.
3.3 Pour l’application des dispositions qui suivent, le terme « président » désigne le président ou l’un des vice-présidents du comité sur la conduite des juges constitué par le Conseil.
[…]
3.5 Le président examine le dossier et peut, selon le cas :
a) fermer le dossier s’il estime:
(i) que la plainte est frivole ou vexatoire, qu’elle est formulée dans un but injustifié, qu’elle est manifestement dénuée de fondement ou qu’elle ne nécessite pas un examen plus
poussé,
(ii) que la plainte n’est pas du ressort du Conseil, parce qu’elle ne met pas en cause la conduite d’un juge;
b) demander des renseignements supplémentaires au plaignant;
c) demander des commentaires au juge et à son juge en chef.
[…]
9. Comité d’examen
9.1 Lorsqu’il défère un dossier à un comité d’examen, le président peut lui fournir tout renseignement qui, à son avis, peut être utile à l’examen du dossier.
9.2 Après avoir renvoyé un dossier à un comité d’examen, le président ne peut participer à aucun autre examen du bien-fondé de la plainte par le Conseil.
[…]
9.6 Après avoir examiné le dossier et les observations écrites du juge, le comité d’examen peut :
[…]
d) décider qu’un comité d’enquête doit être constitué en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, au motif que l’affaire peut être suffisamment grave pour justifier la révocation.
Politiques du CCM à l’égard des enquêtes
Conseil canadien de la magistrature
Politique sur les comités d’enquête
Un comité d’enquête a la responsabilité entière et le contrôle du champ et de la portée de son enquête sur la conduite d’un juge. Dès le début et tout au long des audiences, le comité d’enquête compte grandement sur l’avocat indépendant pour s’assurer que tous les éléments de preuve pertinents soient recueillis, organisés, présentés et testés lors des audiences. Cependant, le comité d’enquête ne cède pas sa propre responsabilité à l’avocat indépendant, puisque le Conseil canadien de la magistrature compte sur le comité d’enquête pour obtenir un rapport complet. L’une des principales fonctions du comité d’enquête est de tirer des conclusions de fait.
[…]
Conseil canadien de la magistrature
Politique sur l’avocat indépendant
La raison d’être de la création du poste d’avocat indépendant est de permettre à cet avocat d’agir sans lien de dépendance avec le Conseil canadien de la magistrature et le comité d’enquête. Cela permet à l’avocat indépendant de présenter et de tester les éléments de preuve avec vigueur, abstraction faite des vues préalables du comité d’enquête ou du Conseil. Le comité d’enquête compte sur l’avocat indépendant pour qu’il présente de façon complète et impartiale les éléments de preuve pertinents concernant les allégations faites contre le juge.
Le rôle de l’avocat indépendant est exceptionnel. Une fois qu’il est nommé, l’avocat indépendant n’agit pas selon les instructions d’un client quelconque, mais en conformité avec le droit et d’après son avis professionnel de ce qu’exige l’intérêt public. Il s’agit d’une importante responsabilité publique qui nécessite les services d’un avocat dont la compétence et l’expérience sont reconnues dans le monde juridique.
Bien entendu, l’avocat indépendant doit se conformer aux décisions du comité d’enquête, mais il est censé prendre l’initiative de recueillir, d’organiser et de présenter les éléments de preuve au comité d’enquête. Au préalable, il faut considérer la pertinence de toute autre plainte ou allégation faite contre le juge, au-delà de la portée de la plainte initiale ou de la requête en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur les juges. Il peut être nécessaire d’interroger d’autres témoins et d’obtenir des documents additionnels.
L’intérêt public exige que toute la preuve soit présentée, qu’elle soit favorable ou défavorable au juge. L’intérêt public peut aussi exiger que la preuve, y compris celle du juge, soit testée au moyen d’un contre-interrogatoire, d’un témoignage contradictoire, ou les deux. Cela doit se faire avec impartialité et objectivité et de façon complète.
L’avocat indépendant est impartial en ce sens qu’il ne représente aucun client, mais il doit être rigoureux, si nécessaire, et examiner pleinement toutes les questions, y compris tout point litigieux qui peut survenir. Lorsque c’est nécessaire, l’avocat indépendant peut devoir adopter une position ferme à l’égard des questions en cause. Il faut cependant se rappeler qu’il se peut que le juge continue d’exercer ses fonctions judiciaires dans l’avenir, de telle sorte que toute observation concernant la crédibilité ou les motifs du juge doit être soigneusement considérée.
À la différence d’autres instances, comme un procès civil, l’avocat indépendant n’a aucun pouvoir de négocier le « règlement » des questions devant le comité d’enquête. Cependant, les observations de l’avocat indépendant seront considérées par le comité d’enquête.
Conseil canadien de la magistrature
Politique sur l’examen du rapport du comité d’enquête par le Conseil
À l’étape du comité d’enquête, le juge a pleinement l’occasion de participer aux audiences, de présenter sa preuve et de faire des observations. Les questions en cause font l’objet d’un examen complet. En conséquence, le Conseil donne beaucoup de poids au rapport du comité d’enquête, en particulier à ses conclusions de fait et surtout à son évaluation de la crédibilité. Le Conseil donne également du poids aux conclusions du comité d’enquête, mais, en définitive, il doit présenter au ministre un rapport sur ses propres conclusions en vertu du paragraphe 65(1) de la Loi sur les juges.
L’examen du Conseil est fondé sur le dossier et le rapport du comité d’enquête. Aucunes soumissions orales sont entendues. Les observations écrites du juge et de l’avocat indépendant ne doivent pas avoir plus de trente pages.
Aucun motif n’est spécifié en ce qui concerne l’examen du rapport du comité d’enquête par le Conseil. Le juge est libre de faire toute observation qu’il estime utile à savoir pourquoi le Conseil ne devrait pas tenir compte du rapport du comité d’enquête. Dans ses observations, le juge peut notamment indiquer pourquoi le Conseil ne devrait pas recommander sa révocation, même selon les faits constatés par le comité d’enquête.
Sous réserve des dispositions de la Loi sur les juges et de celles de son règlement administratif, le Conseil demeure maître de sa procédure et peut écarter la présente politique s’il estime que cela lui permettra de remplir ses obligations. Par exemple, le Conseil peut inviter le juge à se présenter devant lui pour faire une brève déclaration personnelle concernant les conséquences de la conduite du juge à l’égard de la confiance du public.