[2016] 2 R.C.F. 1073
IMM-12508-12
2014 CF 1073
Emilian Peter (demandeur)
c.
Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeur)
et
Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (intervenant)
Répertorié : Peter c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)
Cour fédérale, juge Annis—Toronto, 3 décembre 2013 et 2 juin 2014; Ottawa, 13 novembre 2014.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de réfugiés — Processus de renvoi — Contrôle judiciaire d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de refuser de reporter l’exécution de la mesure de renvoi qui visait le demandeur — Le demandeur, un Tamoul de nationalité sri lankaise, cherchait à obtenir une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à effectuer un examen du risque auquel il serait exposé à son retour au Sri Lanka, ou, subsidiairement, l’annulation de la décision de l’ASFC — Le demandeur a présenté une demande d’asile, mais elle a été rejetée — Dans sa demande de report du renvoi, le demandeur a modifié les faits sur lesquels il s’était fondé dans sa demande d’asile — Il a allégué qu’il serait exposé à de graves risques de préjudice à son retour au Sri Lanka — L’agent des renvois a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le demandeur serait exposé à des risques et que l’information fournie datait d’avant l’audience concernant le statut de réfugié — L’art. 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés interdit de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) dans les 12 mois suivant le dernier rejet de la demande d’asile (interdiction relative à l’ERAR) — Le demandeur a soutenu que l’interdiction relative à l’ERAR était illégale et que le processus de renvoi était inconstitutionnel — Il s’agissait de déterminer si l’art. 112(2)b.1) de la Loi est inconstitutionnel parce qu’il porte atteinte au droit du demandeur garanti par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés; si le processus de renvoi employé par l’agent des renvois pour établir s’il convenait de reporter le renvoi du demandeur du Canada au titre de l’art. 48 de la Loi était inconstitutionnel parce qu’il va à l’encontre des principes de la justice fondamentale prévus à l’art. 7 de la Charte; et si la décision de l’agent des renvois de l’ASFC de ne pas reporter le renvoi du demandeur était raisonnable — L’interdiction relative à l’ERAR prévue à l’art. 112 de la Loi est constitutionnelle — L’interdiction de présenter une demande d’ERAR avant 12 mois n’était pas arbitraire ni totalement disproportionnée ni d’une portée trop grande — Le délai de prescription de 12 mois était raisonnable dans les circonstances et approprié vu ses objectifs d’assurer le renvoi expéditif des demandeurs d’asile déboutés dans un délai raisonnable — Le processus de renvoi ne viole pas l’art. 7 de la Charte — Aucune des allégations liées à la norme juridique ou à la compétence de l’agent des renvois n’a soulevé un principe de justice fondamentale en vertu de l’art. 7 de la Charte — En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision de l’agent des renvois, sa décision était justifiée, transparente et intelligible, et appartenait aux issues possibles raisonnables à l’égard des questions abordées — Des questions ont été certifiées concernant la conformité à la Charte de l’interdiction relative à l’ERAR et à la constitutionnalité du processus de renvoi — Demande rejetée.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — Dans le cadre d’un contrôle judiciaire de la décision de l’agent des renvois de refuser de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi qui visait le demandeur, celui-ci a contesté la constitutionnalité de l’art. 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et du processus de renvoi au motif qu’il porterait atteinte au droit qui lui est garanti par l’art. 7 de la Charte — Le principe à l’encontre du renvoi d’un demandeur d’asile débouté au vu des risques non protégés allégués, selon le processus de renvoi prévu par la Loi actuellement en vigueur, n’est pas un principe essentiel ou fondamental à nos notions sociétales de justice, de sorte qu’il empêche le demandeur d’exercer les droits qui lui sont garantis par la Charte — L’interdiction de présenter une demande d’ERAR avant 12 mois prévue à l’art. 112(2)b.1) de la Loi et le processus de renvoi actuel ne sont pas inconstitutionnels et ne violent pas l’art. 7 de la Charte.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de refuser de reporter l’exécution de la mesure de renvoi qui visait le demandeur, un Tamoul de nationalité sri lankaise. Le demandeur cherchait à obtenir une ordonnance de mandamus obligeant le défendeur à effectuer un examen du risque auquel il serait exposé à son retour au Sri Lanka, ou, subsidiairement, l’annulation de la décision de l’ASFC et le renvoi de celle-ci pour nouvel examen.
Le demandeur est arrivé au Canada sans sa famille et a présenté une demande d’asile à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Son premier récit décrivait des antécédents d’arrestation et de torture au Sri Lanka. Le demandeur a déclaré qu’il craignait d’être incarcéré et de subir des traitements inhumains en raison du lien qui l’unissait à un individu avec lequel il aurait eu des démêlés au Sri Lanka. Sa demande d’asile a été rejetée pour manque de crédibilité et parce qu’il n’a pas réussi à établir que ses craintes prospectives de subir un préjudice étaient fondées. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue relativement à sa demande d’asile a été rejetée. Il avait également présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vue d’obtenir son statut de résident permanent. Dans sa demande de report du renvoi qu’il a présentée à l'agent d'exécution de la Loi dans les bureaux intérieurs (agent des renvois), le demandeur a modifié les faits sur lesquels il s'était fondé dans sa demande d'asile. Il a allégué qu’il serait exposé à de graves risques de préjudice à son retour au Sri Lanka en raison du travail qu’il avait accompli comme chauffeur pour une organisation non gouvernementale, expliquant qu’il n’avait pas inclus cette information aux premières étapes de sa demande d’asile sur les conseils de son interprète. Le demandeur a également allégué qu’il ferait face à des risques pour d’autres raisons familiales et a demandé que son renvoi soit reporté jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
Dans le cadre de son examen des observations du demandeur, l’agent des renvois a indiqué qu’il devait déterminer si le renvoi aurait pour effet d’exposer le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le demandeur serait exposé à des risques en raison du profil de sa famille et que, de toute façon, l’information fournie datait d’avant l’audience devant la SPR. Il a ajouté qu’il avait un pouvoir discrétionnaire très limité et qu’il ne pouvait pas reporter le renvoi du demandeur au Sri Lanka sur le fondement de la preuve fournie. De plus, il a indiqué qu’il n’avait pas le pouvoir d’évaluer les motifs d’ordre humanitaire. L’agent a rejeté la demande de report du renvoi du demandeur.
Le demandeur a fait valoir, entre autres, qu’un agent des renvois était tenu d’examiner les risques, que cette obligation découlait de l’obligation constitutionnelle de protéger les droits de la personne et qu’elle pouvait être exécutée en effectuant une nouvelle évaluation des risques sur le fondement des éléments de preuve qui n’avaient pas été précédemment examinés. Il a soutenu que l’application de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés est déclenchée lorsqu’une personne affirme qu’elle court un risque de préjudice si elle est renvoyée dans un autre État, ce qui entraîne une obligation d’établir l’existence d’un risque avant de renvoyer la personne dans le pays où elle pourrait être exposée à un risque. Sous réserve d’exemptions ministérielles fondées sur des catégories de ressortissants ou des pays, l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés interdit de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) dans les 12 mois suivant le rejet de la demande d’asile. Le demandeur a fait valoir que l’objectif de l'interdiction relative à l'ERAR est d'économiser des ressources. Il a soutenu que la modification qui a créé cette interdiction était illégale, car divers demandeurs d’asile déboutés seront expulsés avant de pouvoir demander la protection que le mécanisme d’ERAR visait à offrir et que cela les empêche de bénéficier d’une nouvelle évaluation des risques fondée sur des éléments de preuve qui n’ont pas été précédemment examinés. Il a proposé son propre critère de rechange, qui permettrait de corriger les lacunes alléguées et rendrait le critère de l’article 112 constitutionnel. Son argument portait principalement sur la question de savoir si le critère applicable en matière de renvoi est conforme à la Charte.
Il s’agissait principalement de déterminer si l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi est inconstitutionnel parce qu’il viole l’article 7 de la Charte; si le processus de renvoi employé par l’agent des renvois pour établir s’il convenait de reporter le renvoi du demandeur du Canada au titre de l’article 48 de la Loi était inconstitutionnel parce qu’il va à l’encontre des principes de la justice fondamentale prévus à l’article 7 de la Charte; et si la décision de l’agent des renvois de l’ASFC de ne pas reporter le renvoi du demandeur était raisonnable.
Jugement : la demande doit être rejetée.
L’interdiction relative à l’ERAR prévue à l’article 112 de la Loi est constitutionnelle dans la mesure où le processus de renvoi est exécuté conformément à la Charte. Le faible taux de réussite des demandes d’ERAR est un indicateur du caractère raisonnable des décisions de la SPR. La faible probabilité de réussite d’une demande d’ERAR appuyait l’argument relatif à un mécanisme de contrôle qui visait à intercepter seulement les cas où des éléments de preuve clairs et persuasifs démontraient qu’il existait une nouvelle situation de risque. La modification créant l’interdiction de présenter une demande d’ERAR avant 12 mois n’était pas arbitraire ni totalement disproportionnée ni d’une portée trop grande. Durant cette période, il y a peu de chances que la situation du pays change, car elle correspond habituellement au délai écoulé depuis le rejet des demandes d’asile par la SPR. L’interdiction de 12 mois permet également d’éviter des procédures juridictionnelles inutiles qui retardent le renvoi des demandeurs d’asile déboutés. Il s’agissait donc de considérations appropriées pour appuyer une interdiction de 12 mois. Le délai de prescription de 12 mois était raisonnable dans les circonstances et approprié vu ses objectifs d’assurer le renvoi expéditif des demandeurs d’asile déboutés dans un délai raisonnable de manière à prévenir un recours inutile aux régimes d’immigration et d’octroi d’asile et de conclure le processus.
En l’espèce, le processus de renvoi dans son ensemble était en cause, notamment le critère et les procédures. Il fallait déterminer si le processus de renvoi portait atteinte au droit de protection suivant le renvoi garanti au demandeur par l’article 7 d’une manière qui n’est pas conforme aux principes de la justice fondamentale. Les allégations de craintes fondées du demandeur à son retour au Sri Lanka seraient directement liées à de la détention et à de la violence physique qui atteignent un seuil à évaluer à l’aide du critère applicable en matière de renvoi. La question fondamentale est celle de savoir si les personnes qui sont renvoyées auraient eu gain de cause dans leur demande d’ERAR si elles étaient restées. Les cas de persécution qui ne sont pas visés par le critère applicable en matière de renvoi et dans lesquels la demande d’ERAR du demandeur pourrait être accueillie sont minimes, voire inexistants. Le taux de réussite de toutes les demandes d’ERAR au titre des articles 96 et 97 de la Loi est extrêmement faible, ce qui prouve que la SPR évalue efficacement les risques et que le risque rattaché à un ERAR est d’une importance mineure. Par conséquent, vu ce faible taux de réussite, seules les situations de risque sérieux de préjudice découlant de la persécution (c.-à-d. les risques visés à l’article 97 de la Loi) seraient acceptées si elles faisaient l’objet d’un ERAR. L’agent des renvois ne doit pas évaluer les risques en se fondant sur les normes juridiques utilisées dans un ERAR, mais plutôt le caractère suffisant de la nouvelle preuve qui, selon les allégations du demandeur, établit l’existence d’un risque. Dans la présente affaire, pour établir la conformité à l’article 7 de la Charte, il fallait mettre en équilibre tous les facteurs qui s’appliquent pour délimiter les qualités fondamentales du droit d’un demandeur d’asile débouté de présenter une demande d’ERAR avant d’être renvoyé. Aucune des allégations liées à la norme juridique ou à la compétence de l’agent des renvois n’a soulevé un principe de justice fondamentale en vertu de l’article 7 de la Charte. De plus, la fonction de supervision de la Cour fédérale confère un niveau élevé de fiabilité aux décisions de l’agent des renvois, ce qui atténue dans une grande mesure toutes les préoccupations concernant la compétence ou les normes juridiques.
Le critère applicable en matière de renvoi proposé par le demandeur était faible et visait à déterminer si des éléments de preuve n’ayant pas été examinés précédemment et n’ayant rien d’incroyable en soi sont suffisants pour soulever la possibilité qu’un agent d’ERAR puisse conclure que le demandeur ne devrait pas être renvoyé parce qu’il craint avec raison d’être persécuté ou qu’il est une personne à protéger. Le critère proposé n’était toutefois pas pratique et, s’il était appliqué, il entraînerait une situation se rapprochant de la reconstitution de l’ERAR automatique dans les quelques renvois qui seraient reportés et minerait l’efficacité du processus de renvoi dans son ensemble en l’assujettissant à une série continue de reports de renvois fondés sur de « nouveaux » éléments de preuve incontestables appuyant les nouvelles demandes d’ERAR. Par conséquent, l’observation implicite du demandeur, fondée sur le critère d’admissibilité qu’il propose, voulant que le critère actuel applicable en matière de renvoi ne constitue pas une atteinte minime à son droit de faire évaluer ses risques de persécution en vue d’un report de son renvoi afin de présenter une demande d’ERAR a été rejetée.
Les droits garantis par la Charte peuvent être limités lorsque leur exercice nuit aux fins auxquelles ils sont censés servir. Le critère applicable en matière de renvoi semblait établir un seuil de risque de préjudice qui permet de veiller à ce que les reports de renvoi englobent les cas qui devraient être examinés dans le cadre d’un ERAR. Le processus de renvoi fait partie intégrante du processus d’octroi de l’asile, sans lequel il ne servirait à rien. L’objectif essentiel du processus d’octroi de l’asile est de déterminer qui peut demeurer au Canada et qui doit quitter le pays. Si la partie relative aux renvois du processus est compromise par un droit trop élargi, l’efficacité des décisions et le système en soi sont compromis de telle manière que le droit ne peut incontestablement pas être fondamental. Il convenait de trouver un équilibre entre deux intérêts de la société relativement réfractaires et importants : ceux du demandeur de ne pas être soumis à une situation de risque et ceux de la société de respecter les principes fondamentaux du processus d’octroi d’asile. Cela inclut l’attente de la société à l’égard du maintien de la justification du renvoi expéditif des demandeurs d’asile déboutés, sous réserve de quelques exceptions. Pour ces raisons, entre autres, le critère applicable en matière de renvoi a été jugé conforme à la Charte. Étant donné les facteurs qui ont été évalués et la question de l’équilibre entre les intérêts en cause dans la présente affaire, il a été conclu que le principe à l’encontre du renvoi d’un demandeur d’asile débouté au vu des risques non protégés allégués, selon le processus de renvoi prévu par la Loi actuellement en vigueur où le critère applicable en matière de renvoi ne vise qu’à évaluer l’exposition à un risque de mort, de sanction extrême ou de traitement inhumain, n’est pas un principe essentiel ou fondamental à nos notions sociétales de justice, de sorte qu’il empêche le demandeur d’exercer les droits qui lui sont garantis par la Charte.
Quant au caractère raisonnable de la décision de l’agent des renvois, ce dernier a examiné avec soin les observations du demandeur concernant la documentation relative au pays. Il a fourni des motifs pour justifier sa décision de conclure que les allégations du demandeur selon lesquelles il serait exposé à des risques étaient spéculatives et non corroborées. En outre, rien dans la documentation n’indiquait que le demandeur en particulier avait eu des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ou décrivait une conduite de sa part, alors qu’il était au Canada, qui attirerait l’attention des autorités sri lankaises. Le rejet par l’agent des arguments du demandeur selon lesquels la situation du pays avait changé était fondé sur des motifs justifiés, transparents et intelligibles, de sorte que l’on peut conclure que la décision appartenait aux issues possibles (raisonnables) à cet égard.
La question de savoir si l’interdiction figurant à l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi de présenter une demande d’ERAR lorsque moins de 12 mois se sont écoulés depuis le dernier rejet de la demande d’asile contrevient à l’article 7 de la Charte et, si ce n’est pas le cas, celle de savoir si le processus de renvoi actuel, utilisé dans les 12 mois suivant le dernier rejet de la demande d’asile, lorsqu’il est question de décider s’il faut reporter le renvoi à la demande d’un demandeur d’asile débouté afin de lui permettre de présenter une demande d’ERAR, contrevient à l’article 7 de la Charte ont été certifiées.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 12.
Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49, art. 35, 37, 41.
Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14, 16, 18, 19.
Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8, art. 4, 5, 15(3).
Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, S.C. 1966-67, ch. 90, art. 15(1).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1, 52.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 20(2)b).
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 53(1)b).
Loi sur l’immigration, S.R.C. 1952, ch. 325.
Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 2 « réfugié au sens de la convention », 3g), 45(1),(2),(3),(4),(5), 46, 55, 70, 71(1), 72(1),(2), 84.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3)f), 48, 72(1), 95, 96, 97, 112, 113.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (telle que sanctionnée le 1er novembre 2001), art. 48, 96, 98, 112, 113, 114.
Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17, art. 20.
Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/97-182, art. 5.
Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1).
Règlement sur l’immigration de 1978—Modification, DORS/93-44, art. 1, « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada », 10.
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 230, 231, 232, 233, 234.
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36.
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1, 33.
Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. AG 217 A (III), Doc. NU A/810, à la p. 71 (1948), art. 27.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, art. 7.
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 46, art. 15.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133, infirmant 2010 CF 1046, [2012] 2 R.C.F. 108; Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] A.C.F. no 601 (C.A.) (QL); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.
DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :
Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682; Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311, confirmant 2008 CF 341; Toth c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1051; Sinnappu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 791(1re inst.), conf. par 1999 CanLII 9261 (C.A.F.); Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés c. Canada (Procureur général), 2014 CF 651, [2015] 2 R.C.F. 267.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281; Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.); Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, motifs modifiés, [1998] 1 R.C.S. 1222; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 C.F. 314 (C.A.); Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; R. v. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668; R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571; Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 796 (C.A.) (QL); Kadhm c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), 1998 CanLII 7257 (C.F. 1re inst.) [1998] A.C.F. no 12 (1re inst.) (QL); Retnem c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’ Immigration), [1991] A.C.F. no 428 (C.A.) (QL); Amayo c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1982] 1 C.F. 520, [1981] A.C.F. no 136 (C.A.) (QL); Mirzabeglui c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 50 (C.A.) (QL); Madelat c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 49 (C.A.) (QL); He c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1243 (C.A.) (QL); Xie c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 75 F.T.R. 125, [1994] A.C.F. no 286 (1re inst.) (QL); Fathi-Rad c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 506 (1re inst.) (QL); Namitabar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 42, 1993 CanLII 3019 (C.A.); Lerer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 31 (1re inst.) (QL); Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1392 (1re inst.) (QL); Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 16201 (C.F. 1re inst.); Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, [2015] 1 R.C.F. 335; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 R.C.F. 239; Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Maldonado c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302; Selvarathinam c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), IMM-11837-12, juge Gleason, ordonnance en date du 10 décembre 2012.
DÉCISIONS CITÉES :
Orelien c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 592 (C.A.); Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Farhadi, 2000 CanLII 15491 (C.A.F.); Ragupathy c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1370; Saini v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 C.F. 325 (1re inst.); Jayasundararajah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1169; Arunachalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8220 (C.F.); R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655; Yaliniz c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 7 Imm. L.R. (2d) 163, [1988] A.C.F. no 248 (QL) (C.A.); Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.); Dhurmu c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 511; Lin c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 771; Kumuravel c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), IMM-458-12, juge de Montigny, jugement en date du 11 décembre 2012; Hussain c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1544; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; Say c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 739, [2006] 1 R.C.F. 532, conf. par 2005 CAF 422, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2006] 1 R.C.S. xiv; Idahosa c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 418, [2009] 4 R.C.F. 293; Daniel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 392; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1988 CanLII 1420 (C.A.F.); Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395; E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388.
DOCTRINE CITÉE
Bureau du vérificateur général du Canada, Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la Chambre des communes, chapitres 1 à 8 (Ottawa : Bureau du vérificateur général du Canada, 2008, en ligne : <http://www.oag-bvg.gc.ca/internet/docs/parl_oag_200812_01_f.pdf>.
Hathaway, James C. The Law of Refugee Status, Butterworths: Toronto, 1991.
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 2, Toronto: Thomson/Carswell, 2007.
Hogg, Peter W. “The Brilliant Career of Section 7 of the Charter” (2012), 58 S.C.L.R. (2d) 195, en ligne : <http://sclr.journals.yorku.ca/index.php/sclr/article/view/36530/33195>.
Oxford Dictionaries, « inhumane », en ligne : <http://www.oxforddictionaries.com/search/?multi=1&dictCode=english&q=inhumane>.
Oxford Dictionaries, « risk », en ligne : <http://www.oxforddictionaries.com/us/definition/american_english/risk>.
Stewart, Hamish. Fundamental Justice : Section 7 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, Toronto : Irwin Law, 2012.
DEMANDE de contrôle judiciaire (jointe à la demande dans 2014 CF 1074) d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada de refuser de reporter l’exécution de la mesure de renvoi qui visait le demandeur, un Tamoul de nationalité sri lankaise. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Barbara Jackman et Caitlin Maxwell pour le demandeur.
Kristina Dragaitis et Amy King pour le défendeur.
Andrew Brouwer et Richard Wazana pour l’intervenante.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Jackman, Nazami & Associates, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, Toronto, pour l’intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Annis :
TABLE DES MATIÈRES
|
Paragraphe |
I. Introduction |
1–7 |
II. Faits et Procédures |
8–13 |
III. Décision Attaquée |
14–24 |
IV. Observations des Parties |
25–80 |
A. Le demandeur |
25–46 |
1) Les obligations du ministre au titre de l’article 7 de la Charte |
26–28 |
2) La portée du risque |
29–33 |
3) Le caractère illégal de l’interdiction de présenter une demande d’ERAR |
|
4) Le critère subsidiaire |
36–39 |
5) Le décideur compétent |
40–44 |
6) Le caractère arbitraire |
45–46 |
B. Le défendeur |
47–80 |
1) Le droit de recourir automatiquement au processus d’ERAR n’est pas une norme fondamentale |
|
2) Le risque de persécution n’est pas pris en compte dans le critère applicable en matière de renvoi |
|
3) La compétence et la partialité des agents de renvoi |
73–80 |
V. Questions en Litige |
81 |
VI. Norme de Contrôle |
82–83 |
VII. Dispositions Législatives |
84 |
VIII. Analyse |
85–322 |
A. Analyse de l’article 7 de la Charte |
85–315 |
1) Introduction |
85–94 |
2) L’interdiction de présenter une demande d’ERAR dans les 12 mois est-elle inconstitutionnelle? |
|
a) L’interdiction de présenter une demande d’ERAR dans les 12 mois constitue-t-elle une limite arbitraire? |
|
3) Le processus de renvoi est-il anticonstitutionnel? |
128–309 |
a) Observations générales |
128–131 |
b) Les principes de l’article 7 de la Charte applicables au processus de renvoi |
|
i) Les principes de justice fondamentale |
132–148 |
a. Le caractère primordial ou fondamental |
132–136 |
b. La mise en balance des droits fondamentaux de la personne et des intérêts de la société |
|
c) La jurisprudence ayant établi le critère applicable en matière de renvoi |
|
i) Le critère applicable en matière de renvoi – Wang |
151–160 |
ii) La jurisprudence Baron |
161–163 |
iii) La jurisprudence Shpati |
164–175 |
d) L’étroitesse alléguée du critère applicable en matière de renvoi, du fait qu’il ne tient pas compte des risques de persécution |
|
i) Les thèses des parties |
176–184 |
ii) L’étendue des risques « résiduels » découlant de la persécution qui ne sont pas pris en compte par le critère applicable en matière de renvoi |
|
a. La discrimination constituant de la persécution par opposition à celle consistant en des difficultés |
|
b. La nécessité de définir le seuil de la discrimination constituant de la persécution : Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) |
|
c. Les facteurs de risque de persécution « résiduels » ou « non-évalués » |
|
iii) La nature et la portée du risque relatif au renvoi des demandeurs Peter et Savunthararasa |
|
a. Les exposés circonstanciés |
204–206 |
b. La situation dans le pays en cause |
207–213 |
iv) Les exemples de précédents quant au risque de persécution résiduel |
|
v) Conclusions sur l’étendue du risque non-protégé |
221–226 |
e) La portée non-vérifiée des traitements cruels et inusités ou inhumains |
|
f) Lorsque le renvoi peut avoir comme résultat que la mesure prise par l’agent de renvoi devient nulle |
|
g) Aucun antécédent de persécution soulevé dans le cadre du renvoi |
|
h) Norme d’appréciation, contrôle selon un seuil moins élevé, examen de la question de savoir s’il faut renvoyer à un agent d’ERAR ou à un agent CH |
|
i) Le critère ne permet pas de faire une appréciation en ce qui concerne la norme qui consiste à démontrer l’existence d’une crainte fondée; |
|
ii) Le critère appliqué quant au renvoi est plus rigoureux que celui qui est appliqué par le véritable décideur. |
|
iii) Il n’existe pas de critère juridique uniforme sur lequel l’agent peut se fonder pour apprécier la preuve |
|
iv) L’agent de renvoi n’est pas autorisé à apprécier les éléments de preuve |
|
v) Compétence de l’agent de renvoi |
265–271 |
vi) La fonction de contrôle de la Cour fédérale |
272–274 |
i) La possibilité d’invoquer devant la Cour fédérale le droit garanti par l’article 7 de la Charte |
|
j) Le critère applicable en matière de renvoi proposé par le demandeur |
|
k) Pourquoi pas ne pas utiliser, en matière de renvoi, un critère qui comprend la persécution? |
|
l) Concilier les droits du demandeur d’asile débouté en ce qui concerne le renvoi et l’intérêt qu’a la société à sauvegarder le processus de protection des réfugiés. |
|
m) Conclusion sur la constitutionnalité du processus de renvoi |
314–315 |
B. Le caractère raisonnable de la décision de l’agent de renvoi |
316–322 |
IX. Conclusion |
323 |
X. Questions Certifiées |
324–328 |
A. Questions proposées par le demandeur |
325 |
B. Questions proposées par le défendeur |
326–327 |
C. Les questions certifiées |
328 |
I. INTRODUCTION
[1] Notre Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi), visant la décision datée du 5 décembre 2012, par laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a refusé de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise à l’encontre d’Emilian Peter (le demandeur), un Tamoul sri-lankais. Le demandeur sollicite une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) de procéder à l’évaluation du risque auquel il serait exposé s’il retournait au Sri Lanka, ou, à titre subsidiaire, ordonnant que la décision de l’ASFC soit infirmée et que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen. La demande a été entendue le 3 décembre 2013, les observations verbales supplémentaires des parties, à la suite de deux directives de la Cour, ont été entendues le 2 juin 2014 et les observations concernant des questions à certifier ont été présentées le 30 août 2014. Après avoir examiné les observations non-contestées du demandeur concernant l’applicabilité de l’alinéa 20(2)b) de la Loi sur les langues officielles [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31], je souscris à l’avis selon lequel le prononcé du présent jugement (et des motifs) dans les deux langues officielles donnerait lieu à un retard considérable préjudiciable à l’intérêt public et, par conséquent, le jugement est rendu immédiatement en anglais et il le sera en français le plus tôt possible.
[2] La présente demande et la demande de Savunthararasa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1074 (Savunthararasa), ont été entendues conjointement par la Cour. M. Peter et M. Savunthararasa (ensemble, les « demandeurs ») ont tous les deux été représentés par le même avocat. En outre, le protonotaire Aalto a accordé à l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (l’ACAADR) l’autorisation d’intervenir et de déposer un mémoire. J’ai autorisé l’ACAADR à présenter des observations dans les deux affaires sur les questions soulevées par les parties.
[3] Deux questions en litige communes sont au coeur des deux affaires. La première est de savoir si l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR, ajouté par le paragraphe 15(3) de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8, est inconstitutionnel, en ce sens qu’il est contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte). Sous réserve d’exemptions ministérielles fondées sur la catégorie ou le pays, le passage pertinent de l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR interdit la présentation d’une demande de protection en matière d’examen des risques avant renvoi (ERAR) dans les 12 mois suivant le dernier rejet de la demande d’asile. L’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est désigné dans les présents motifs comme étant « l’interdiction de présenter une demande d’ERAR ».
[4] La deuxième question est de savoir si le « processus de renvoi » suivi par l’agent d’exécution de la loi au Canada (l’agent de renvoi ou l’agent) pour décider si le report de renvoi du demandeur du Canada en application de l’article 48 de la Loi est inconstitutionnel en raison de la violation des principes de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte. Cet aspect de la contestation constitutionnelle du demandeur comprend le critère applicable en matière de renvoi, tel qu’il a été construit par les cours fédérales et appliqué par l’agent, la compétence et le pouvoir de l’agent d’évaluer le risque ainsi que d’autres aspects connexes du processus de renvoi, y compris le rôle de la Cour fédérale lorsqu’elle est saisie de requêtes en sursis d’exécution de la mesure de renvoi à l’égard d’un demandeur après le rejet de la demande de report de renvoi par l’agent.
[5] Les présents motifs tranchent les questions communes et concernent les deux demandes. Par conséquent, j’ordonne qu’une copie des présents motifs soit versée au dossier Savunthararasa.
[6] La demande de M. Peter est rejetée. Je conclus que l’interdiction de présenter une demande d’ERAR et le critère applicable en matière de renvoi sont tous les deux conformes à l’article 7 de la Charte. Les moyens du demandeur tirés de la compétence de l’agent et des questions connexes sont également rejetés. En outre, je conclus que la décision de l’agent de renvoi était raisonnable. J’expose ci-dessous les motifs à l’appui de ces conclusions.
[7] Pour des raisons de simplification de la terminologie, lorsqu’il est question du « processus d’octroi de l’asile » ou d’autres énoncés où le terme « réfugié » ne porte pas la majuscule, je renvoie simultanément aux deux articles 96 et 97 de la LIPR, dans le même sens où la protection est conférée à une personne par l’article 95 de la LIPR. Cela se rapporte habituellement à une certaine forme de « risque de préjudice » partagé qui est nécessaire pour qu’une demande d’asile soit acceptée, dont la nature et la gravité sont souvent communes, émanant du pays d’origine du demandeur. Il convient d’opérer une distinction entre l’utilisation du mot « réfugié » de celle des mots « Réfugié au sens de la Convention » ou du mot « Réfugié » portant la majuscule, qui indiquent l’existence d’un lien précis avec l’article 96 de la LIPR.
II. FAITS ET PROCÉDURES
[8] Le demandeur est un Tamoul chrétien de 41 ans originaire de Mannar, dans le Nord du Sri Lanka. Il est marié et père de cinq enfants. En novembre 2010, il a fui aux États-Unis en laissant sa femme et ses enfants au Sri Lanka. Il est arrivé au Canada le 4 avril 2011, à la frontière entre le Québec et les États-Unis et, le 13 avril 2011, il a présenté une demande d’asile depuis le Canada aux bureaux de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à Etobicoke, en Ontario.
[9] Dans son premier exposé circonstancié, le demandeur a expliqué qu’il avait été antérieurement arrêté et torturé en 2005 et en 2006. Il aurait été initialement mêlé, sans le vouloir et sans justification, aux affaires d’une personne appelée Ruban qui, selon lui, aurait été arrêtée par les autorités. Le demandeur soutient qu’il craignait d’être incarcéré et d’être traité d’une manière inhumaine en raison de ses liens avec Ruban, parce qu’il a été allégué qu’on avait trouvé la carte du demandeur sur Ruban.
[10] Le 29 mars 2012, la demande d’asile du demandeur a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR), au motif que son témoignage n’était pas crédible et qu’il n’avait pas établi que sa crainte pour l’avenir était fondée.
[11] Le 20 avril 2012, M. Peter a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable de la SPR.
[12] Dans l’attente de l’issue de la demande d’autorisation, le demandeur a déposé, le 21 juin 2012, une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire (CH). Il a continué à se fonder sur des faits semblables à ceux dont avait fait état devant la SPR, lesquels faits ont plus tard été considérablement modifiés devant l’agent de renvoi.
[13] Le 14 août 2012, le juge Near, tel était alors son titre, a refusé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR.
III. DÉCISION attaquée
[14] Par sa demande de report de l’exécution de la mesure de renvoi, M. Peter a affirmé qu’il serait exposé à un risque sérieux de préjudice s’il retournait au Sri Lanka, en raison du travail qu’il avait exercé auprès de l’organisation non-gouvernementale appelée CARE en tant que chauffeur. Il a expliqué qu’il n’avait pas inclus dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) des renseignements concernant ses antécédents professionnels auprès de CARE et les problèmes qu’il avait eus à cause de cet emploi ou qu’il n’en avait pas parlé lors de son audition à la SPR, parce que son interprète avait insisté sur le fait qu’il ne devait pas mentionner ces renseignements. Il a également soutenu qu’il serait exposé à un risque à cause de ses liens familiaux avec ses neveux, qui avaient été détenus par le gouvernement du Sri Lanka pour leur participation alléguée aux activités des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). En outre, il soutient qu’il serait exposé à un risque compte tenu du fait que son épouse et ses enfants avaient été obligés de déménager souvent afin d’éviter des problèmes avec le gouvernement du Sri Lanka. Il a aussi demandé que son renvoi soit reporté jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande CH.
[15] À l’appui de la demande, il a été produit un dossier volumineux sur les renseignements contextuels quant à la situation dans le pays et une déclaration solennelle de Patricia Watts, une parajuriste chez l’avocat du demandeur. Celle-ci a déclaré notamment que plusieurs clients de l’avocat de M. Peter présentant un profil de risque semblable avaient été détenus, enlevés et battus après leur arrivée au Sri Lanka.
[16] Lorsqu’il a examiné les observations du demandeur, l’agent a souligné qu’il était chargé de rechercher si le renvoi exposerait M. Peter à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain.
[17] L’agent a signalé qu’il avait minutieusement examiné les articles de journaux et les rapports sur la situation dans le pays figurant dans le dossier volumineux que le demandeur avait présenté concernant la situation dans le pays. L’agent a relevé que la plupart des documents étaient postérieurs à la date de la décision de la SPR et que l’accent était mis sur les risques allégués auxquels étaient exposés des Sri-Lankais de retour de l’étranger et des demandeurs d’asile déboutés. L’agent a conclu qu’ils exposaient globalement la situation générale au Sri Lanka et qu’ils ne faisaient pas précisément mention du demandeur. L’agent a également précisé que bon nombre des documents présentés ne provenaient pas de sources généralement connues ou impartiales. Plus précisément, en ce qui concerne les risques allégués auxquels les demandeurs d’asile déboutés étaient exposés, l’agent a conclu qu’un grand nombre des situations présentées était très différentes de la situation du demandeur, étant donné que, dans ces situations-là, la discussion portait en réalité sur le renvoi de Tamouls sri lankais d’Europe plutôt que du Canada. Il a fait observer que M. Peter ne disposait d’aucun élément tendant à établir qu’il avait critiqué le gouvernement sri-lankais ou qu’il avait protesté contre lui au Canada ou à l’étranger. L’agent a conclu que les éléments de preuve produits par le demandeur étaient insuffisants pour démontrer qu’à son retour au Sri Lanka, il serait exposé à une menace pour sa vie qui était suffisamment personnelle et que, dans l’ensemble, les déclarations de l’avocat du demandeur étaient conjecturales et n’étaient pas clairement établies par l’un ou l’autre élément de preuve présenté dans la demande de report de renvoi.
[18] En ce qui concerne précisément l’allégation de torture subie par un demandeur d’asile débouté qui est renvoyé au Sri Lanka du Canada, l’agent a relevé qu’aucun renseignement précis n’avait été produit, tel que l’identité de la victime présumée; ces renseignements étaient donc trop vagues et n’étaient pas suffisamment corroborés pour que l’on puisse se fonder sur eux.
[19] L’agent a relevé que le demandeur avait été interrogé, mais qu’il n’avait pas été détenu en raison de son emploi auprès de CARE. Il a aussi conclu que la preuve concernant la relation entre le demandeur et le cerveau derrière la tentative d’assassinat n’était pas corroborée. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve documentaires suffisants, non fondés sur des conjectures, tendant à établir que le demandeur serait exposé à un risque au Sri Lanka en raison de son ancien emploi en tant que chauffeur auprès de CARE. Malgré le fait que ce risque précis n’ait pas été soulevé devant la SPR, le demandeur affirme maintenant que c’est en raison de conseils qu’il avait reçus de son interprète, l’agent a précisé que le formulaire d’admission à titre de réfugié et le FRP que le demandeur avait signés comportaient tous les deux une déclaration selon laquelle les renseignements fournis étaient « complets, vrais et exacts ». En outre, l’agent a conclu que le demandeur n’était pas crédible lorsqu’il avait déclaré avoir suivi les conseils de son interprète, au lieu de suivre les conseils de son avocat, de ne pas mentionner à la SPR qu’il avait été au service de CARE. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas produit d’explication suffisamment crédible quant à la raison pour laquelle les risques en question n’avaient pas été exposés à la SPR pour examen. Par ailleurs, l’agent n’a pu conclure que les nouveaux éléments de preuve produits pouvaient même faire l’objet d’un examen, compte tenu de l’alinéa 113a) de la Loi, qui limite l’examen de l’agent aux éléments de preuve postérieurs au rejet ou qui n’étaient pas alors normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce que le demandeur les ait présentés au moment du rejet.
[20] L’agent a ensuite conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve tendant à établir que le demandeur serait exposé à un risque en raison du profil de sa famille, et qu’en tout état de cause, les renseignements produits étaient antérieurs à l’audience de la SPR.
[21] L’agent a examiné l’affidavit produit par une travailleuse sociale et parajuriste au cabinet d’avocat du demandeur. L’affidavit comportait des témoignages personnels quant aux dangers que couraient les Tamouls à leur retour au Sri Lanka. L’agent a conclu que les renseignements énoncés dans l’affidavit n’étaient pas corroborés, qu’ils étaient fragmentaires et qu’ils n’étaient pas assez précis en ce qui concerne le profil de risque des personnes qui seraient exposées au risque à leur retour au Sri Lanka pour qu’il puisse leur accorder une valeur probante.
[22] L’agent a conclu que le pouvoir discrétionnaire dont il disposait en tant qu’agent d’exécution de la loi au Canada était très limité et qu’il ne lui permettait pas de reporter le renvoi du demandeur au Sri Lanka en fonction des éléments de preuve produits.
[23] En ce qui concerne la demande du demandeur de reporter son renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de sa demande CH, l’agent a signalé que le « Guide pour le traitement des demandes au Canada IP 5 » et le « Guide d’instruction IMM 5291 – Demande de résidence permanente présentée au Canada : Considérations d’ordre humanitaire » précisent tous les deux clairement que la présentation d’une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire n’exclut pas le renvoi du demandeur du Canada. L’agent n’a pas retenu le témoignage figurant dans l’affidavit de la parajuriste au cabinet d’avocats du demandeur, à savoir Mme Watts, selon lequel le taux d’acceptation de demandes CH pour des demandeurs qui se trouvent à l’étranger est pratiquement nul. L’agent a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve documentaire ni aucun autre élément de preuve à l’appui de ces affirmations. En outre, il a signalé qu’il n’avait pas compétence pour effectuer une analyse des considérations d’ordre humanitaire. Selon l’agent, le témoignage de l’affiante, Mme Watts, était en grande partie fragmentaire et n’avait été corroboré par aucun élément de preuve objectif.
[24] En conséquence, l’agent a rejeté la demande de report du renvoi du demandeur.
IV. OBSERVATIONS DES PARTIES
A. Le demandeur
[25] Le demandeur soutient que l’agent de renvoi est tenu d’examiner le risque, vu l’obligation constitutionnelle de protéger les droits de la personne, et qu’il est possible de satisfaire à cette obligation en effectuant une nouvelle évaluation du risque en fonction d’éléments de preuve qui n’ont pas été antérieurement examinés.
1) Les obligations du ministre au titre de l’article 7 de la Charte
[26] Le demandeur soutient que l’article 7 de la Charte joue lorsque l’intéressé affirme être exposé à un risque de préjudice en cas de renvoi dans un autre pays. Il en résulte l’obligation de rechercher s’il existe un risque avant le renvoi de l’intéressé dans le pays où il pourrait être exposé à un risque. À l’occasion de l’affaire Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177 (Singh), la Cour suprême du Canada a reconnu que l’article 7 de la Charte jouait lorsqu’un non-citoyen craignait avec raison d’être persécuté dans le pays dont il avait la nationalité ou hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle et où il affirmait qu’il serait exposé à un risque important d’être torturé ou de subir des traitements semblables.
[27] À l’occasion de l’affaire Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281 (Németh), la Cour suprême du Canada a aussi relevé l’obligation imposée par le droit international au Canada de respecter le principe du non-refoulement, bien que ce principe n’assujettisse pas les autorités canadiennes à un régime procédural particulier en matière d’extradition. La Cour fédérale a maintes fois reconnu que le Canada contreviendrait à ses obligations internationales et à l’article 7 de la Charte, s’il devait exécuter des mesures de renvoi dans des circonstances pouvant mettre la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne en péril (voir Orelien c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 592 (C.A.) (Orelien); Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 696 (C.A.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Farhadi, 2000 CanLII 15491 (C.A.F.), au paragraphe 3).
[28] La Cour fédérale a reconnu que l’examen des risques effectué en temps utile est la mesure adoptée par le Canada afin d’éviter que des personnes soient expulsées vers un pays où elles seraient torturées ou maltraitées (voir la décision Ragupathy c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1370 (Ragupathy), au paragraphe 27) et que le fait qu’il n’y ait pas de décision ou qu’une décision antérieure, favorable ou non, ait été rendue quant à la question de savoir si une personne serait exposée à un risque si elle retournait dans un pays donné n’est pas un obstacle à la prise d’une décision en temps utile (voir Saini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 C.F. 325 (1re inst.), au paragraphe 25; Jayasundararajah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 1169 (Jayasundararaja), aux paragraphes 25 et 26; Arunachalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8220 (C.F. 1re inst.).
2) La portée du risque
[29] En outre, le demandeur affirme que la notion de « risque » a une portée plus large que celle où « la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain », qui est le critère appliqué par les agents de renvoi, tel qu’il a été formulé pour la première fois par le juge Pelletier à l’occasion de l’affaire Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682 (Wang) [au paragraphe 48].
[30] Ce critère tenait compte du libellé du paragraphe 2(1) du Règlement sur l’immigration de 1978 [SOR/78-172] [Règlement sur l’immigration], dans sa version modifiée par DORS/93-44, article 1, antérieur à la LIPR. Le libellé tiré du Règlement sur l’immigration a été utilisé dans le but d’effectuer une forme d’examen des risques avant renvoi pour des demandeurs d’asile déboutés qui faisaient partie de la catégorie des demandeurs non-reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Les facteurs énoncés dans le Règlement sur l’immigration ont été subséquemment reformulés à l’alinéa 97(1)b) de la LIPR, qui qualifie maintenant la personne à protéger comme étant la personne qui, à son renvoi, serait exposée à « une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ».
[31] Par ailleurs, l’affaire Wang portait sur un renvoi où la procédure en cause consistait en une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, plutôt qu’en un examen des risques. Le critère consacré par la jurisprudence Wang a par la suite été retenu par la Cour d’appel fédérale à l’occasion des affaires Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311 (Baron); et Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133 (Shpati). Toutefois, le demandeur soutient que le critère de la jurisprudence Wang n’a été retenu que par des observations incidentes et qu’il en va de même pour la Cour d’appel fédérale.
[32] Le demandeur soutient que le risque qui doit être évalué au moment du renvoi n’est pas limité aux facteurs énoncés à l’article 97 de la LIPR, et que cette conception plus large du risque s’appuie sur la doctrine de la Cour suprême du Canada et des Cours fédérales. Il avance que la notion de risque doit, à tout le moins, correspondre au risque qui a déjà été reconnu par la jurisprudence canadienne, y compris la persécution du Réfugié au sens de la Convention (article 96 de la LIPR), la torture (article 97 de la LIPR), la notion de traitements cruels et inhumains énoncée à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, et la notion de traitements ou peines cruels et inusités consacrée par l’article 12 de la Charte. Le demandeur n’est pas allé plus loin en ce qui concerne le moyen tiré de l’article 12 de la Charte. Il avance que la réduction des paramètres visant à exclure des risques réels, comme l’agent l’a fait dans les cas des deux demandeurs, est incompatible avec les principes de justice fondamentale.
[33] Le demandeur soutient que l’objet de la modification ayant donné lieu à l’interdiction de présenter une demande d’ERAR est d’assurer une [traduction] « efficacité des ressources », étant donné que l’importance de l’ERAR dans le processus de demande d’asile est toujours reconnue. L’ERAR doit être fondé sur la reconnaissance et l’engagement en faveur du principe selon lequel une personne ne doit pas être renvoyée du Canada vers un pays où elle risquerait d’être exposée à un risque de persécution, de torture, à une menace pour sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités. Un tel engagement exige que le risque soit examiné avant le renvoi.
3) Le caractère illégal de l’interdiction de présenter une demande d’ERAR
[34] Le demandeur soutient que le non-refoulement est un principe du droit international coutumier en raison de son caractère normatif et des pratiques étatiques constantes et que le Canada est lié par les principes du droit international coutumier en l’absence d’une disposition contraire du droit interne (voir R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292). En outre, les principes constitutionnels au Canada sont compatibles avec les obligations internationales du Canada en matière des droits de la personne. Le demandeur signale aussi que l’alinéa 3(3)f) de la LIPR dispose que l’interprétation et la mise en œuvre de la Loi doivent se faire de manière conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de la personne dont le Canada est signataire. Le demandeur soutient que les règles du droit international en matière de droits de la personne ne doivent pas avoir été explicitement incorporées dans le droit canadien pour être applicables dans l’interprétation de la LIPR (voir l’arrêt de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655, aux paragraphes 82 à 107).
[35] Selon le demandeur, l’interdiction de présenter une demande d’ERAR est illégale, en ce sens que divers demandeurs d’asile déboutés seront renvoyés avant qu’ils ne puissent demander la protection que le mécanisme de l’ERAR était censé leur offrir, et qu’ils seront renvoyés dans des lieux où leur vie et leur liberté pourraient être menacées, ce qui est contraire au principe du non-refoulement. Le demandeur soutient que l’existence de cette possibilité signifie que l’article 112 de la LIPR est une disposition illégale.
4) Le critère subsidiaire
[36] Le demandeur soutient que le rôle de l’agent de renvoi n’est pas défini dans la loi et qu’il doit être limité à celui d’un [traduction] « gardien », de telle sorte qu’il ne puisse pas se prononcer sur le fond de l’affaire, mais seulement sur la question de savoir s’il est saisi d’éléments de preuve qui, s’ils sont acceptés comme étant crédibles, pourraient amener un décideur compétent à établir que la personne a une crainte fondée d’être persécutée ou de subir d’autres formes de traitements cruels et inhumains en cas de retour dans un pays donné.
[37] Selon le demandeur, l’agent de renvoi ne saurait appliquer une notion du risque plus étroite que celle qui serait appliquée si la personne passait à l’étape suivante de l’appréciation et si elle pouvait faire l’objet d’un examen des risques dans le contexte où les droits garantis par l’article 7 de la Charte joueraient.
[38] Le demandeur soutient aussi qu’il ne semble pas y avoir de norme uniforme formulée pour l’appréciation de la preuve par l’agent. Par la décision Wang, la Cour a fait observer que l’agent pouvait juger de la bonne foi à l’égard de la demande, alors que, à l’occasion de l’affaire Toth c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1051, le juge Zinn a appliqué le critère de la preuve « claire et convaincante ». Le demandeur cite la jurisprudence Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.), à l’appui de la thèse selon laquelle les critères susmentionnés ne doivent pas être utilisés pour apprécier la nécessité de protection contre la persécution, qui devrait consister à savoir s’il existe une crainte justifiée (c’est à dire, un risque grave ou raisonnable) fondée sur des éléments de preuve acceptés, selon la prépondérence des probabilités.
[39] Le demandeur avance en outre que le risque n’a pas besoin d’être personnel (voir Orelien; Yaliniz c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. no 248 (C.A.) (QL); Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.) (Salibian), aux paragraphes 17 et 18).
5) Le décideur compétent
[40] Le demandeur soutient que, lorsqu’un non-citoyen demande la protection du Canada à l’égard d’un risque auquel il serait exposé dans un autre pays, une audience doit être tenue, au cours de laquelle la crédibilité est examinée devant un décideur compétent, indépendant et impartial afin qu’il recherche s’il existe un risque et qu’il tranche la question de savoir si la protection doit être accordée. Le demandeur renvoie à la jurisprudence Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84 (Chieu), et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 (Pushpanathan), au paragraphe 70, à l’appui de la thèse selon laquelle les exigences de justice naturelle sont respectées lors du renvoi d’individus du Canada si l’on prévoit une audience, la production d’éléments de preuve, le prononcé de motifs, etc.
[41] Le demandeur soutient en outre que la mission consistant à rechercher s’il existe un risque, en raison de son importance vitale compte tenu de l’article 7 de la Charte et des obligations internationales du Canada, ne saurait être exercée par des agents de renvoi. Ceux-ci outrepassent leur compétence, dans de tels cas, lorsqu’ils assument le rôle de décideur ultime lors de leur appréciation de la preuve et lorsqu’ils tirent des conclusions sur la conception étroite du risque qu’ils appliquent aux faits (risque de mort, sanctions extrêmes ou traitements inhumains).
[42] De plus, le demandeur soutient qu’étant donné que la mission des agents de renvoi est de renvoyer les demandeurs, ils ne peuvent pas être considérés comme indépendants et impartiaux dans la mesure nécessaire au respect des exigences de justice fondamentale. Leur [traduction] « préoccupation principale » consistant à exécuter les mesures de renvoi ne répond pas aux exigences d’équité, compte tenu des conséquences graves possibles d’une décision erronée en ce qui concerne l’évaluation du risque et le renvoi.
[43] Le demandeur invoque la jurisprudence de notre Cour à l’appui de cette thèse concernant le rôle des agents de renvoi, notamment Dhurmu c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 511, au paragraphe 38; Lin c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 771, au paragraphe 12; Jayasundararajah, au paragraphe 15.
[44] Selon le demandeur, l’analyse de la Cour dans la décision Wang était fondée sur la reconnaissance que l’agent de renvoi n’était pas le décideur, mais qu’il tranchait plutôt la question de savoir s’il fallait reporter le renvoi pour qu’un autre décideur puisse traiter une demande en instance. De l’avis du demandeur, pour rechercher s’il existe un risque, les décideurs compétents comprennent les agents d’immigration désignés de CIC et les commissaires de la SPR.
6) Le caractère arbitraire
[45] Les modifications apportées à la LIPR signifient que le demandeur d’asile ne peut désormais demander une évaluation du risque sous la forme d’un ERAR qu’un an après le rejet de sa demande d’asile. Le demandeur soutient que, malgré l’interdiction de présenter une demande d’ERAR dans les 12 mois, lorsqu’une allégation crédible de risque est présentée, une évaluation doit être effectuée à cet égard par un agent compétent. Le délai d’interdiction de 12 mois est, dans certains cas, contraire à l’article 7 de la Charte, étant donné qu’il est arbitraire et qu’il n’est pas fondé sur la réalité de l’évolution de la situation dans le pays en cause.
[46] Selon le demandeur, l’interdiction de présenter une demande d’ERAR est effectivement, dans certains cas, contraire à l’article 7 de la Charte, en ce sens qu’elle exclut l’examen d’une [traduction] « nouvelle » preuve de risque pertinente. Au soutien de cet argument, le demandeur a déposé un affidavit d’un témoin expert, à savoir le professeur Okafor, qui a exprimé l’avis selon lequel, compte tenu des difficultés découlant de l’obtention de renseignements fiables et accessibles sur la situation du pays en cause, il faut parfois plus de 12 mois avant que des rapports exacts sur les droits de la personne soient publiés.
B. Le défendeur
1) Le droit de recourir automatiquement au processus d’ERAR n’est pas une norme fondamentale
[47] Le défendeur soutient qu’un deuxième ERAR n’est pas une [traduction] « condition essentielle à l’exercice de la justice » lorsque le demandeur est un demandeur d’asile qui a été débouté selon un [traduction] « processus d’octroi de l’asile » rigoureux et équitable devant la SPR, lorsque son renvoi a lieu dans l’année suivant la décision de la SPR, lorsque le demandeur peut présenter une demande de report de renvoi en fonction d’une nouvelle preuve de risque (et d’autres facteurs) et lorsqu’il peut demander le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi auprès de la Cour.
[48] Selon le défendeur, le demandeur n’a pas respecté le deuxième critère consistant à établir l’existence d’un principe de justice fondamentale, qui a été qualifié de principe pour lequel il existe un consensus suffisant quant à son caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76 (Canadian Foundation), au paragraphe 8).
[49] Le défendeur soutient que le demandeur confond la conformité du processus d’octroi de l’asile à la Charte, qu’il reconnaît être une partie inviolable de notre régime législatif, avec la constitutionnalité du processus de renvoi applicable au demandeur d’asile débouté. L’ensemble du régime concernant le renvoi doit être examiné lorsqu’il faut rechercher si la Charte a été respectée lors du renvoi d’une personne qui allègue l’existence d’un risque.
[50] La jurisprudence invoquée par le demandeur n’est pas très utile, sinon qu’elle enseigne qu’une certaine forme d’évaluation du risque est nécessaire au moment du renvoi. En effet, la jurisprudence Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh), appuie la thèse selon laquelle aucune forme particulière d’évaluation n’est nécessaire. De même, la jurisprudence Singh, qui porte sur le processus d’octroi de l’asile, enseigne que les demandeurs d’asile ont droit à l’application des principes de justice fondamentale lorsqu’il s’agit de rechercher s’ils sont réfugiés au sens de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés], 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention). Le défendeur se fonde sur la jurisprudence Singh pour avancer la thèse selon laquelle les exigences de l’équité procédurale peuvent varier en fonction des circonstances.
[51] Le défendeur soutient qu’il est possible d’établir une distinction entre les faits de l’espèce et les faits des affaires Suresh, Ragupathy, Farhadi et Németh. Dans ces affaires, les demandeurs avaient la qualité de réfugié au sens de la Convention, mais faisaient l’objet d’un renvoi fondé sur un constat de criminalité. En conséquence, l’exigence d’évaluation du risque comportait un exercice de pondération du pouvoir discrétionnaire, une mise en balance entre la criminalité des demandeurs et les risques auxquels ils seraient exposés en cas de renvoi, un critère qui a été confirmé par la Cour suprême du Canada.
[52] Le défendeur rejette la simple affirmation du demandeur selon laquelle l’objet de l’interdiction de présenter une demande d’ERAR est d’assurer l‘ [traduction] « efficacité des ressources ». Il avance que l’interdiction en question (et d’autres modifications) vise à contrecarrer les nombreux abus propres au système antérieur d’octroi de l’asile et à imprimer un caractère définitif au processus d’octroi de l’asile.
[53] Selon le défendeur, il ressort de nombreux éléments de preuve extrinsèques qui démontrent que le législateur réagissait aux critiques formulées relativement aux retards excessifs mis pour renvoyer des demandeurs d’asile déboutés. Le processus d’ERAR était un des facteurs importants qui contribuaient à retarder ces renvois, comme en témoignent les délais de renvoi des demandeurs d’asile déboutés (Bureau du vérificateur général du Canada, Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la Chambre des communes, chapitre 1 à 8 (Ottawa : Bureau du vérificateur général du Canada, 2008)). Ces délais ont été qualifés de manière d’abuser du système d’octroi de l’asile du Canada et de facteur ayant sapé l’intégrité du système canadien de l’immigration et du statut de réfugié. Ces éléments ont été repris dans le discours d’ouverture du ministre au moment de la présentation des dispositions législatives prévoyant les modifications de la Loi, y compris l’interdiction de présenter une demande d’ERAR.
[54] Il ressort des témoignages rendus lors des réunions du comité parlementaire que l’existence de l’ERAR n’était pas considérée comme essentielle par de nombreux intervenants, à condition qu’il y ait des mécanismes permettant la prise en compte de situations exceptionnelles et l’examen de nouvelles preuves de risque, des conditions qui sont amplement respectées, selon le défendeur, en raison de la possibilité de demander un report de renvoi et de présenter une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi devant la Cour.
[55] Le défendeur a invoqué le témoignage rendu par le représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCNUR), qui avait précisé que les procédures dilatoires en ce qui concerne le renvoi constituaient un abus qui inquiétait particulièrement le HCNUR. Il avait exprimé des préoccupations qui militaient en faveur de l’interdiction de présenter une demande d’ERAR, y compris : « le fait se voir reconnaître ou non le statut de réfugié n’entraîne pas un résultat différent », que « le processus doit avoir une fin », que « le vrai problème » est « le temps que cela prend pour renvoyer des personnes » parce que « [l]orsque le renvoi est effectué rapidement, il est peu probable qu’un examen supplémentaire soit nécessaire, parce que la situation du pays ne change pas aussi rapidement que ça » et que « [s’il y a des changements fondamentaux pendant cette période], il est important que la personne ait accès à un genre de protection en raison des risques possibles ».
[56] La représentante du Conseil canadien pour les réfugiés a fait la déclaration suivante :
On comprend que l’actuel système d’ERAR ne fonctionne pas. On ne peut pas traiter de nouveau des demandes de révision, ce n’est pas faisable. En même temps, il faut qu’il y ait une possibilité […] que soit entendue cette nouvelle preuve.
[57] Le représentant de l’Association du Barreau canadien a formulé les observations suivantes en ce qui concerne le processus d’ERAR : « [il] n’est ni rapide ni équitable. Dans sa structure actuelle, il suspend les renvois durant une longue période, et presque personne n’est accepté. Nous proposons un système beaucoup plus efficace qui permettrait de corriger les erreurs », qui ne permettrait la réouverture d’un dossier que « s’il y a un changement de circonstances ». D’autres représentants ont exprimé les mêmes points de vue selon lesquels, lorsque des circonstances exceptionnelles se produisent, comme dans le cas où il y a une nouvelle preuve, il doit y avoir un mécanisme qui ne doit pas être un « mécanisme [d’appel] officiel et lourd » pour examiner la nouvelle preuve avant que la personne ne soit renvoyée.
[58] En outre, il ressort des données statistiques que, de 2005 à septembre 2012, le pourcentage de décisions d’ERAR favorables rendues après une décision défavorable de la SPR était extrêmement faible, à savoir 1,6 p. 100 seulement. Cela signifie que 98,4 p. 100 des demandes d’ERAR ont été rejetées durant la période en question. Entre 2005 et septembre 2012, il y a eu 65 219 demandes d’ERAR qui ont été présentées et seules 1013 ont été accueillies. Au cours de la période considérée, aucun délai de prescription n’était en vigueur, et il n’y avait donc aucune limite de temps entre la décision défavorable de la SPR et la décision d’ERAR. On peut déduire que le taux de réussite pour les demandes d’ERAR dans les mois suivant la décision de la SPR, lorsque la demande est fondée sur le taux de « changement » de situation dans le pays en cause, était sans doute encore plus faible.
[59] Le défendeur soutient que le faible taux de décisions favorables témoigne à la fois du fait que la SPR évalue correctement le risque et que la situation dans le pays en cause ne change pas rapidement, ou pas beaucoup, d’une manière qui influe sur les évaluations de risque, et certainement pas dans les 12 mois où une demande d’ERAR ne peut pas être présentée. Par conséquent, un large accès au processus d’ERAR ne fait simplement que retarder encore plus le renvoi sans qu’il y ait un avantage considérable.
[60] Selon le défendeur, le faible taux de demandes d’ERAR qui sont accueillies contredit objectivement les thèses de l’expert du demandeur portant que la situation dans le pays en cause change rapidement et que les rapports sur la situation dans le pays en cause ne sont pas fiables. Ces thèses s’ajoutent à celles du défendeur qui souligne que l’avis de l’expert ne s’appuie sur aucun exemple précis de document qui n’était pas à jour concernant le Sri Lanka en général ou figurant dans le dossier volumineux déposé par le demandeur en l’espèce. Si cet avis était accepté, toutes les décisions relatives au risque rendues dans le cadre du processus d’octroi de l’asile ne seraient pas fiables en raison de l’absence de données à jour et feraient l’objet d’examens futurs continus sans aboutissement.
[61] Le défendeur soutient en outre qu’il ressort du faible taux de décisions favorables que les modifications ne sont pas arbitraires en ce sens qu’il existe un lien clair entre les objectifs de la loi et la violation alléguée de droits.
[62] En outre, le défendeur soutient que si les autres thèses du demandeur étaient retenues, nul renvoi ne pourrait jamais avoir lieu. Sauf si l’intéressé se conforme volontairement à l’obligation de quitter le Canada, l’ASFC est tenue de prendre un certain nombre de mesures avant que le renvoi ne soit effectué : localiser l’intéressé, le convoquer à une entrevue avant renvoi, obtenir les documents de voyage nécessaires et, dans certains cas, reporter le renvoi pour une courte période afin de permettre aux demandeurs d’asile déboutés d’organiser leurs affaires. Tels sont les aspects incontournables du processus de renvoi. De plus, il pourrait toujours y avoir des documents à jour qui mériteraient un autre examen des allégations de risque et une autre décision d’ERAR, qui pourrait par la suite faire l’objet de demandes de contrôle judiciaire. Cet état de fait ne pourrait certainement pas être considéré comme nécessaire pour satisfaire aux principes de justice fondamentale. Au contraire, le renvoi en temps utile de demandeurs d’asile déboutés est plus conforme aux principes de justice fondamentale, à condition qu’il y ait une possibilité de présenter une nouvelle preuve convaincante de l’existence d’un risque personnel dans les cas exceptionnels où de nouveaux risques surviennent.
2) Le risque de persécution n’est pas pris en compte dans le critère applicable en matière de renvoi
[63] Le défendeur reconnaît qu’en présence d’une preuve de l’existence de nouveaux risques, le libellé du critère applicable en matière de renvoi, qui est fondé sur la preuve rapportée par le demandeur qu’il serait exposé à une menace pour sa vie, à des traitements inhumains ou à des sanctions extrêmes s’il retournait dans son pays, peut être assimilé au libellé de l’article 97 de la LIPR et ne comprend pas les risques de persécution qui sont prévus à l’article 96 de la LIPR.
[64] Le défendeur soutient que le demandeur n’est pas capable de démontrer de quelle manière la jurisprudence Shpati, de la Cour d’appel fédérale, qui concernait la portée du pouvoir discrétionnaire de l’agent de renvoi de reporter une mesure de renvoi dans une situation où le risque était soulevé et où une décision d’ERAR défavorable avait été rendue, se distingue d’un cas où l’évaluation d’un nouveau risque est faite après la décision de la SPR, comme en l’espèce. Le défendeur conteste la thèse selon laquelle les observations formulées dans l’arrêt Shpati ne sont qu’incidentes et avance que l’arrêt Shpati enseigne que si un risque auquel une personne est exposée a été entièrement examiné et rejeté, une mesure de renvoi peut être légalement exécutée, à moins qu’il y ait une preuve convaincante de l’existence d’un nouveau risque de nature à priver la personne d’un élément fondamental des droits de la personne (c’est-à-dire, une menace pour sa vie, des sanctions extrêmes ou des traitements inhumains).
[65] Le demandeur d’asile bénéficie d’une protection plus étendue aux termes de l’article 97 de la LIPR qu’au titre de l’article 96 de la LIPR, qui ne joue que lorsqu’une personne établit l’élément subjectif et l’élément objectif d’une crainte de persécution fondée en raison d’un ou plusieurs motifs énumérés, connus également sous le nom de « liens ». En conséquence, la portée du risque apprécié selon le critère applicable en matière de renvoi vise presque tous les risques découlant d’allégations de persécution.
[66] Le défendeur reconnaît que la norme de preuve applicable au risque au titre de l’article 97 de la LIPR est la prépondérance des probabilités, ce qui est susceptible d’imposer un fardeau plus lourd que l’article 96 de la LIPR, qui exige comme norme de preuve la possibilité sérieuse de persécution. Le défendeur répond que l’agent de renvoi n’est pas concerné par des questions liées à la norme de la preuve applicable relativement au risque, étant donné qu’aucune décision définitive n’est rendue. L’appréciation de l’agent est limitée au caractère suffisant de la preuve pour rechercher si la preuve est « nouvelle » et convaincante quant à la probabilité que le demandeur soit privé d’un élément fondamental des droits de la personne s’il retournait dans son pays, auquel cas le renvoi sera reporté pour les besoins d’une demande d’ERAR.
[67] De même, le défendeur reconnaît que, vu la définition du mot « persécution » fondée sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] A.C.F. no 601 (QL) (Rajudeen), l’on pourrait inférer que le niveau de préjudice requis est peu élevé par rapport à celui exigé dans l’énoncé du critère en matière de renvoi. Le défendeur avance que la définition même du mot « persécution » qu’il a citée (« mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; préjudice ou ennuis constants quelle qu’en soit l’origine ») implique des antécédents de préjudice infligé au demandeur. Selon la définition, la SPR aura déjà examiné ce genre de preuve dans la demande d’asile rejetée avant le renvoi et cette preuve ne sera pas nouvelle relativement à l’application du critère en matière de renvoi.
[68] Bien que le défendeur admette qu’il n’est pas nécessaire de rapporter des antécédents personnels de persécution pour établir l’existence d’un lien avec les motifs prévus par la Convention relative au statut de réfugié (Salibian), il soutient que la preuve doit se rattacher à des actes de persécution réels concernant des personnes se trouvant dans des situations semblables. Selon le défendeur, il est difficile de concevoir une situation nette dans laquelle une telle demande pourrait être présentée peu de temps après la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, mais ne répondrait pas au critère applicable en matière de renvoi.
[69] Le défendeur signale que les demandeurs n’ont présenté aucune thèse expliquant de quelle manière l’application du critère de renvoi leur portait préjudice. Le critère de renvoi est plus large que le critère énoncé à l’article 96 de la LIPR et, à l’étape de la présentation de leur demande de report de renvoi, l’agent de renvoi ne fait qu’apprécier le caractère suffisant de la nouvelle preuve.
[70] Le défendeur soutient aussi que, si la demande de report de renvoi est rejetée, le demandeur dispose toujours d’un recours devant la Cour fédérale pour demander le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi au motif que le renvoi constituerait une violation des droits de la personne garantis par l’article 7 de la Charte. À l’occasion de l’affaire Németh, la Cour suprême du Canada a jugé qu’aucune procédure précise n’est exigée pour satisfaire aux principes de justice fondamentale. En outre, par l’arrêt Shpati, le juge Evans a fait observer qu’« [i]l n’est pas rare que la Cour fédérale puisse procéder à un examen plus approfondi dans le cadre d’une demande de sursis que ne peut le faire un agent d’immigration dans le cadre d’une demande de report » (Shpati, au paragraphe 51).
[71] Le défendeur affirme que la plainte du demandeur dépend du temps écoulé entre le moment du rejet de la demande d’autorisation de contrôle judiciaire concernant la décision de la SPR et le moment fixé pour le renvoi. Par conséquent, la thèse du demandeur portant qu’il a droit à une autre évaluation complète du risque après une décision défavorable rendue par un tribunal spécialisé constitue une tentative à peine voilée de proroger le séjour illégal de l’intéressé au Canada en lui accordant une nouvelle occasion de présenter des éléments de preuve qui n’avaient pas été produits à la SPR, sans aucune raison particulièrement convaincante.
[72] Le critère défendu par le demandeur, à savoir la [traduction] « preuve qui n’est pas intrinsèquement non crédible et qui n’a pas été antérieurement examinée », est beaucoup plus large que les pouvoirs plus limités des agents de renvoi et nourrissait les abus mêmes que les modifications apportées à la Loi visent à éliminer. La Cour d’appel fédérale a déjà rejeté le principe portant que les agents de renvoi doivent reporter le renvoi lorsque les demandeurs ont présenté de bonne foi une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’ERAR défavorable, parce qu’il s’agissait d’une condition peu exigeante (voir Shpati, aux paragraphes 46 à 48).
3) La compétence et la partialité des agents de renvoi
[73] Le défendeur soutient que les agents de renvoi n’effectuent pas d’évaluation de risque en tant que telle, mais qu’ils apprécient plutôt la preuve afin de trancher la question de savoir si le risque allégué est évident, grave et a été invoqué postérieurement à la décision de la SPR (voir Ragupathy, au paragraphe 35; Kumuravel c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) IMM-348-12 (11 décembre 2012, juge de Montigny); Hussain c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1544).
[74] En outre, le défendeur soutient que les thèses de M. Peter constituent, en substance, des allégations de partialité institutionnelle. La norme concernant la partialité institutionnelle est une crainte raisonnable de partialité dans l’esprit d’une personne parfaitement informée dans un grand nombre de cas (R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, à la page 144). Ce critère a été appliqué par la Cour et confirmé en appel dans une trilogie de décisions portant sur l’indépendance institutionnelle des agents d’ERAR (voir Say c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 739, [2006] 1 R.C.F. 532, aux paragraphes 39 à 43, conf. par 2005 CAF 422, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2006] 1 R.C.S. xiv).
[75] Selon le défendeur, cette application du critère de partialité institutionnelle vaut pour les agents de renvoi de l’AFSC qui statuent sur les demandes de report de renvoi. Ils disposent d’une indépendance institutionnelle suffisante pour exercer leur compétence aux termes du paragraphe 48(2) de la LIPR, surtout que les agents de renvoi n’effectuent pas réellement l’analyse du risque, mais examinent plutôt la preuve du risque afin de rechercher s’il est suffisamment grave.
[76] De plus, le défendeur soutient que la position de l’agent de renvoi n’a pas à comporter le degré d’équité procédurale attaché aux processus de la CISR, qui sont semblables à la procédure judiciaire. Le contexte au regard duquel l’agent de renvoi prend sa décision doit être analysé afin de rechercher le degré d’équité procédurale requis. Premièrement, l’intervention des agents de renvoi se produit à la fin du processus de renvoi, lorsque la majorité des demandeurs concernés ont déjà fait l’objet d’une conclusion selon laquelle ils ne sont pas exposés à un risque. Par conséquent, les agents ont seulement besoin de traiter les rares situations où un nouveau risque est soulevé après l’audience de la SPR. Deuxièmement, le défendeur soutient qu’il existe une distinction importante entre les agents de renvoi qui statuent sur les demandes de report et les agents de renvoi qui fixent les dates de renvoi et décident à l’égard de ceux-ci. Il n’existe pas de preuve que les agents qui rendent des décisions relatives au report de renvoi se [traduction] « concentrent particulièrement à l’exécution de la mesure de renvoi », comme l’allègue le demandeur. Enfin, la décision portant sur les demandes de report de renvoi est un processus d’une nature très administrative.
[77] Par ailleurs, le pouvoir discrétionnaire de l’agent de renvoi de reporter le renvoi lorsque l’intéressé démontre effectivement l’existence d’un nouveau risque est suffisant pour remédier au danger découlant du renvoi du demandeur d’asile débouté qui est exposé à un risque. Bien que le demandeur d’asile ne puisse se prévaloir du sursis d’exécution de la mesure de renvoi ou interjeter appel, il peut présenter à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de l’examen des risques effectué par l’agent de renvoi dans le cadre de la demande de report de renvoi.
[78] En outre, le fait qu’il n’y ait pas de sursis légal ou qu’un appel ne puisse pas être interjeté est approprié à l’étape du report, étant donné que le processus d’évaluation du risque doit avoir un certain caractère définitif pour veiller à ce que les allégations de risque ne deviennent un moyen d’éviter le renvoi. La jurisprudence a rejeté le recours à l’évaluation du risque comme méthode permettant d’éviter le renvoi (voir Sinnappu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 791 (1re inst.), au paragraphe 71, conf. par 1999 CanLII 9261 (C.A.F.) (Sinnappu); voir aussi Ragupathy). De plus, le défendeur soutient que la décision Sinnappu enseigne que le, critère applicable en matière de renvoi sous le régime de la LIPR antérieur à 2002 était inconstitutionnel.
[79] Enfin, l’agent de renvoi qui rend une décision sur le report ne détermine aucun droit, étant donné qu’il n’y a pas de droit de demeurer au Canada qui est abrogé dans ces circonstances. Le renvoi de la personne interdite de territoire n’est pas incompatible avec l’article 7 ou l’article 12 de la Charte (Idahosa c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 418, [2009] 4 R.C.F. 293, au paragraphe 48; Daniel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 392, au paragraphe 21; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733).
[80] Compte tenu de ce qui précède, le défendeur soutient qu’une décision sur les demandes de report de renvoi n’appelle pas un degré élevé d’équité procédurale.
V. QUESTIONS EN LITIGE
[81] En l’espèce, les questions en litige sont les suivantes :
1. L’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est-il contraire à l’article 7 de la Charte?
2. Le processus de renvoi est-il contraire à l’article 7 de la Charte?
3. La décision de l’agent de l’ASFC de ne pas reporter le renvoi du demandeur était-elle raisonnable?
VI. NORME DE CONTRÔLE
[82] Dans l’arrêt Shpati, la Cour d’appel fédérale a signalé, au paragraphe 27, que la norme de contrôle applicable à la décision que l’agent rend de reporter le renvoi est la décision raisonnable, à moins qu’elle ne soulève une question de droit :
Selon moi, la décision que l’agent rend en vertu de l’article 48 est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable parce qu’elle comporte l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, ou l’application aux faits de l’expression « dès que les circonstances le permettent » que l’on trouve à l’article 48. Toutefois, toute question de droit sur laquelle l’agent a fondé sa décision (comme celle de l’étendue du pouvoir que la loi lui confère de reporter l’exécution de la mesure de renvoi) est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 187, aux paragraphes 26 et 27). La loi ne prévoit pas de délégation de pouvoirs permettant aux agents d’exécution de statuer sur des questions de droit.
[83] La première et la deuxième question, susmentionnées, portent sur la constitutionnalité de l’interdiction de présenter une demande d’ERAR et le processus de renvoi, ce qui appelle l’application de la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 58). La troisième question concerne l’exercice du pouvoir discrétionnaire par l’agent de renvoi, ce qui exige l’application de la norme de la décision raisonnable.
VII. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[84] Les dispositions suivantes de la Charte, de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR) jouent en l’espèce :
Article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. |
Vie, liberté et sécurité |
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis. |
Mesure de renvoi |
(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent. […] |
Conséquence |
112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1). |
Demande de protection |
(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants : a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition; b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e); b.1) sous réserve du paragraphe (2.1), moins de douze mois se sont écoulés depuis le dernier rejet de sa demande d’asile — sauf s’il s’agit d’un rejet prévu au paragraphe 109(3) ou d’un rejet pour un motif prévu à la section E ou F de l’article premier de la Convention — ou le dernier prononcé du désistement ou du retrait de la demande par la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés; c) sous réserve du paragraphe (2.1), moins de douze mois ou, dans le cas d’un ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1), moins de 36 mois se sont écoulés depuis le rejet de sa dernière demande de protection ou le prononcé du retrait ou du désistement de cette demande par la Section de la protection des réfugiés ou le ministre. d) [Abrogé, 2012, ch. 17, art. 38] |
Exception |
(2.1) Le ministre peut exempter de l’application des alinéas (2)b.1) ou c) : a) les ressortissants d’un pays ou, dans le cas de personnes qui n’ont pas de nationalité, celles qui y avaient leur résidence habituelle; b) ceux de tels ressortissants ou personnes qui, avant leur départ du pays, en habitaient une partie donnée; c) toute catégorie de ressortissants ou de personnes visés à l’alinéa a). |
Exemption |
(2.2) Toutefois, l’exemption ne s’applique pas aux personnes dont la demande d’asile a fait l’objet d’une décision par la Section de la protection des réfugiées ou, en cas d’appel, par la Section d’appel des réfugiés après l’entrée en vigueur de l’exemption. |
Application |
(2.3) Les règlements régissent l’application des paragraphes (2.1) et (2.2) et prévoient notamment les critères à prendre en compte en vue de l’exemption. |
Règlements |
(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants : a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée; b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans; c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés; d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1). |
Restriction |
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227
230. (1) Le ministre peut imposer un sursis aux mesures de renvoi vers un pays ou un lieu donné si la situation dans ce pays ou ce lieu expose l’ensemble de la population civile à un risque généralisé qui découle : a) soit de l’existence d’un conflit armé dans le pays ou le lieu; b) soit d’un désastre environnemental qui entraîne la perturbation importante et momentanée des conditions de vie; c) soit d’une circonstance temporaire et généralisée. |
Sursis : pays ou lieu en cause |
(2) Le ministre peut révoquer le sursis si la situation n’expose plus l’ensemble de la population civile à un risque généralisé. |
Révocation |
(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas dans les cas suivants : a) l’intéressé est interdit de territoire pour raison de sécurité au titre du paragraphe 34(1) de la Loi; b) il est interdit de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux au titre du paragraphe 35(1) de la Loi; c) il est interdit de territoire pour grande criminalité ou criminalité au titre des paragraphes 36(1) ou (2) de la Loi; d) il est interdit de territoire pour criminalité organisée au titre du paragraphe 37(1) de la Loi; e) il est visé à la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés; f) il avise par écrit le ministre qu’il accepte d’être renvoyé vers un pays ou un lieu à l’égard duquel le ministre a imposé un sursis. |
Exception |
231. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (4), la demande d’autorisation de contrôle judiciaire faite conformément à l’article 72 de la Loi à l’égard d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés rejetant une demande d’asile ou en confirmant le rejet emporte sursis de la mesure de renvoi jusqu’au premier en date des événements suivants : a) la demande d’autorisation est rejetée; b) la demande d’autorisation est accueillie et la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans qu’une question soit certifiée pour la Cour fédérale d’appel; c) si la Cour fédérale certifie une question : (i) soit l’expiration du délai d’appel sans qu’un appel ne soit interjeté, (ii) soit le rejet de la demande par la Cour d’appel fédérale et l’expiration du délai de dépôt d’une demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada sans qu’une demande ne soit déposée; d) si l’intéressé dépose une demande d’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada du jugement de la Cour d’appel fédérale visé à l’alinéa c), la demande est rejetée; e) si la demande d’autorisation visée à l’alinéa d) est accueillie, l’expiration du délai d’appel sans qu’un appel ne soit interjeté ou le jugement de la Cour suprême du Canada rejetant l’appel. |
Sursis : contrôle judiciaire |
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si, au moment de la demande d’autorisation de contrôle judiciaire, l’intéressé est un étranger désigné ou un ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1) de la Loi. |
Exception |
(3) Il n’est pas sursis à la mesure de renvoi si l’intéressé fait l’objet : a) soit d’une mesure de renvoi du fait qu’il est interdit de territoire pour grande criminalité; b) soit, s’il réside ou séjourne aux États-Unis ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, du rapport prévu au paragraphe 44(1) de la Loi à son entrée au Canada. |
Autres exceptions |
(4) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si la personne demande une prolongation du délai pour déposer l’une des demandes visées à ce paragraphe. |
Non-application |
232. Il est sursis à la mesure de renvoi dès le moment où le ministère avise l’intéressé aux termes du paragraphe 160(3) qu’il peut faire une demande de protection au titre du paragraphe 112(1) de la Loi. Le sursis s’applique jusqu’au premier en date des événements suivants : a) le ministère reçoit de l’intéressé confirmation écrite qu’il n’a pas l’intention de se prévaloir de son droit; b) le délai prévu à l’article 162 expire sans que l’intéressé fasse la demande qui y est prévue; c) la demande de protection est rejetée; d) [Abrogé, DORS/2012-154, art. 12] e) s’agissant d’une personne à qui l’asile a été conféré aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi, la décision quant à sa demande de séjour au Canada à titre de résident permanent; f) s’agissant d’une personne visée au paragraphe 112(3) de la Loi, la révocation du sursis prévue au paragraphe 114(2) de la Loi. |
Sursis : examen des risques avant renvoi |
233. Si le ministre estime, aux termes des paragraphes 25(1) ou 25.1(1) de la Loi, que des considérations d’ordre humanitaire le justifient ou, aux termes du paragraphe 25.2(1) de la Loi, que l’intérêt public le justifie, il est sursis à la mesure de renvoi visant l’étranger et les membres de sa famille jusqu’à ce qu’il soit statué sur sa demande de résidence permanente. |
Sursis : ordre humanitaire ou intérêt public |
234. Il est entendu que, pour l’application de l’alinéa 50a) de la Loi, une décision judiciaire n’a pas pour effet direct d’empêcher l’exécution de la mesure de renvoi s’il existe un accord entre le procureur général du Canada ou d’une province et le ministère prévoyant : a) soit le retrait ou la suspension des accusations au pénal contre l’étranger au moment du renvoi; b) soit le retrait de toute assignation à comparaître ou sommation à l’égard de l’étranger au moment de son renvoi. |
Application de l'alinéa 50a) de la Loi |
A. Analyse de l’article 7 de la Charte
1) Introduction
[85] La présente affaire soulève un certain nombre de questions relatives à l’article 7 de la Charte qui sont difficiles à trancher. Comme cela a été souligné, il faut statuer sur la question de savoir si l’interdiction de présenter une demande d’ERAR énoncée à l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est contraire à la Charte et, subsidiairement, si le processus de renvoi contrevient à la Charte. Chaque question appelle une procédure d’examen distincte propre fondée sur la Charte, mais la deuxième question est beaucoup plus complexe que la première.
[86] Bien que je procède à une analyse fondée sur la Charte des dispositions concernant l’interdiction de présenter une demande d’ERAR, je conclus que le processus de renvoi auquel on peut recourir fournit, de manière générale, une réponse complète à la contestation constitutionnelle de l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR. Cette conclusion tient compte de l’argument convaincant du demandeur qui présente un processus de renvoi subsidiaire, l’article 112 de la LIPR contesté demeurant en place.
[87] L’analyse du processus de renvoi fondée sur la Charte présente un ensemble de facteurs totalement différents. D’abord, il y a le processus de renvoi lui-même. À la première étape, il fait intervenir un agent de renvoi qui exerce un pouvoir discrétionnaire que le ministre lui a délégué. Selon la jurisprudence des cours fédérales, ce pouvoir discrétionnaire existe en vertu de l’article 48 de la Loi. L’agent de renvoi doit examiner la question de savoir s’il y a une nouvelle preuve suffisante de l’existence d’un risque de préjudice grave si un demandeur d’asile débouté était renvoyé, de telle sorte qu’il faudrait reporter le renvoi afin de lui permettre d’obtenir une évaluation du risque par un agent d’ERAR. Ensuite, si la demande de report de renvoi est rejetée, il existe une deuxième étape où la Cour fédérale peut surseoir à l’exécution de la mesure visée par le report en vertu de l’article 52 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, si elle conclut que le critère à trois volets pour l’obtention d’un sursis est rempli afin de permettre au demandeur de présenter une demande d’autorisation de contrôle judiciaire visant à annuler la décision rendue par l’agent de renvoi (Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1988 CanLII 1420 (C.A.F.)).
[88] Le processus de renvoi soulève un certain nombre de questions qui sont au cœur de la contestation du demandeur fondée sur la Charte. Premièrement, l’on doit examiner la question de savoir si la Charte entre en jeu. Cela consiste à déterminer de quelle manière et dans quelle mesure survient la privation d’un droit allégué de ne pas être renvoyé. Le défendeur reconnaît que le critère applicable en matière de renvoi comporte les facteurs concernant la « nécessité de protection » énoncés à l’article 97 de la LIPR, mais ne comporte pas ceux concernant la persécution, prévus à l’article 96 de la LIPR. Toutefois, le défendeur soutient que le critère applicable en matière de renvoi permet néanmoins d’évaluer la plupart des risques de persécution, à l’exception des risques moins sérieux de préjudice (le risque résiduel ou non-évalué) à l’article 96 de la LIPR. Dans mon analyse, je suis d’avis que la définition du mot « persécution » comprenne une définition du seuil de préjudice grave nécessaire pour constituer la persécution, tel que cette notion a été retenue par la Cour d’appel fédérale à l’occasion de l’affaire Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 C.F. 314 (C.A.) (Cheung).
[89] J’examine également les thèses du demandeur selon lesquelles le critère applicable en matière de renvoi comporte des lacunes, parce que l’agent de renvoi applique une norme juridique moins onéreuse en raison de son manque de compétence pour apprécier la preuve. Je ne souscris pas, dans une certaine mesure, à l’observation du défendeur selon laquelle la norme juridique pour ce qui est du critère applicable en matière de renvoi est la même que celle prévue à l’article 97 de la LIPR, c’est-à-dire qu’il faut établir la probabilité d’un risque de préjudice en cas de renvoi, contrairement à l’existence d’un risque sérieux ou raisonnable. Je formulerai des observations aussi sur la nature du seuil de preuve intrinsèquement élevé opposé à un demandeur qui présente une nouvelle preuve d’un changement de risque concernant la situation dans le pays en cause ou le demandeur personnellement.
[90] Après avoir relevé et examiné les lacunes alléguées dans l’évaluation du risque relativement au processus de renvoi (critère trop strict, norme juridique trop onéreuse, évaluation du risque faite par des personnes qui n’ont pas compétence pour le faire) qui mettent en jeu la Charte, il s’avère que la question la plus difficile est de savoir quelle forme d’analyse il faut appliquer pour décider si toutes les lacunes relevées dans le processus de renvoi ou l’une ou l’autre d’entre elles constituent un manquement aux droits du demandeur qu’il tire de l’article 7 de la Charte.
[91] Pour effectuer cette analyse, j’examine d’autres thèses avancées par les parties : les facteurs à pondérer (y compris la fonction de surveillance de la Cour fédérale), la mesure qui serait fondée sur l’article 7 de la Charte et offerte par la Cour fédérale, l’absence d’une jurisprudence portant sur la persécution comme facteur ayant été soulevé dans le critère applicable en matière de renvoi, la question de savoir si le demandeur peut être réadmis si aucun préjudice grave n’est subi et le critère de sélection défendu par le demandeur (y compris la question de savoir si le critère applicable en matière de renvoi doit inclure la persécution comme facteur).
[92] Étant donné que je fais face à un processus comportant de multiples facettes et diverses questions connexes, je conclus que l’analyse appropriée consiste à trancher la question de savoir si les lacunes alléguées relevées dans le critère applicable en matière de renvoi peuvent être considérées comme des conditions essentielles à l’administration de la justice.
[93] Toutefois, la présente analyse est complétée par une démarche qui met en balance les intérêts individuels et sociaux dans le but de déterminer si les lacunes en cause constituent une privation des droits visés par la protection offerte par l’article 7 de la Charte. Pour effectuer cette analyse, je suis conscient de l’exigence qui veut que l’on n’assimile pas la mise en balance d’intérêts individuels et sociaux dans le but de clarifier les droits visés à l’article 7 de la Charte et la mise en balance qui est adéquatement effectuée au titre de l’article 1 de la Charte.
[94] Après avoir examiné les facteurs à soupeser qui délimitent la portée du droit de ne pas être renvoyé et les conditions essentielles d’un tel principe dans le contexte du processus d’examen des demandes d’asile, je conclus que le processus de renvoi n’est pas contraire à l’article 7 de la Charte.
2) L’interdiction de présenter une demande d’ERAR dans les 12 mois est-elle inconstitutionnelle?
[95] Le demandeur soutient que le législateur a adopté une disposition illégale en instaurant l’interdiction de présenter une demande d’ERAR à l’article 112 de la LIPR. Il affirme qu’il est maintenant possible, et en réalité probable, que de nombreux demandeurs d’asile déboutés qui sont exposés à un risque en cas de retour dans leur pays d’origine puissent être expulsés avant d’obtenir la permission de demander la protection que le mécanisme d’ERAR était censé leur offrir.
[96] Le défendeur ne soutient pas sérieusement que les dispositions législatives ne font pas jouer l’article 7 de la Charte. En ce qui concerne les questions découlant du risque lors du renvoi et du refoulement, la Cour suprême du Canada a conclu, par les arrêts Suresh et Németh, que l’article 7 de la Charte jouait, même s’il est possible d’opérer une distinction entre les faits de ces affaires et les faits de l’espèce. Comme le juge Sopinka l’a fait observer dans l’arrêt Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519 (Rodriguez), à la page 584, la première étape de l’analyse de l’article 7 de la Charte se rapporte aux « valeurs en jeu en ce qui concerne l’individu ». Il a été conclu que cela comportait des risques sérieux pour des demandeurs d’asile en cas de renvoi. Je conclus que cela vaut pour les demandeurs d’asile déboutés qui allèguent un changement de situation concernant le risque après une décision de la SPR.
[97] Toutefois, le demandeur reconnaît aussi que l’interdiction de présenter une demande d’ERAR dans les 12 mois n’est contraire à l’article 7 de la Charte que dans la mesure où elle ne prévoit pas de nouvelle évaluation du risque en fonction d’éléments de preuve qui n’avaient pas été antérieurement examinés. Pour corriger cette prétendue lacune, le demandeur propose son propre critère subsidiaire qui rendrait constitutionnel l’article 112 de la LIPR. En conséquence, l’argument du demandeur vise principalement à savoir si le critère applicable en matière de renvoi est conforme à la Charte.
[98] À mon avis, les thèses du demandeur sont semblables à celles avancées à l’occasion de l’affaire Suresh; il fut soutenu que l’alinéa 53(1)b) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, qui autorisait l’expulsion de demandeurs d’asile, était inconstitutionnel dans la mesure où il permettait que l’intéressé soit renvoyé vers un pays où il risquait la torture. La Cour suprême du Canada a conclu que la disposition était valide sur le plan constitutionnel, parce que la ministre était tenue d’exercer son pouvoir discrétionnaire conformément à la Charte. En l’espèce, je tire une conclusion semblable, à savoir que l’interdiction de présenter une demande d’ERAR est constitutionnellement valide dans la mesure où le processus de renvoi est mené conformément à la Charte. Pour autant que le contenu et l’application du critère applicable en matière de renvoi découle de la jurisprudence, le critère peut aussi être modifié par les juges sans qu’il soit nécessaire de recourir à une modification législative et, si besoin est, les juges peuvent assurer sa conformité à l’égard de la Charte.
[99] Je crois néanmoins qu’il importe d’examiner les principes sur lesquels est fondé l’article 112 de la LIPR, concernant leur caractère arbitraire, leur portée excessive ou leur disproportion totale, de telle sorte que la disposition pourrait correspondre à ce qui est qualifié de [traduction] « manque de logique fonctionnelle » (Hamish Stewart, Fundamental Justice : Section 7 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms (Toronto: Irwin Law, 2012) (Stewart), à la page 151. La Cour suprême du Canada a fait sienne l’expression de l’auteur Hamish Stewart, à l’occasion de la récente affaire Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101 (Bedford), au paragraphe 107. Elle décrit généralement les critères appliqués par les juges pour trancher la question de savoir si une loi qui est par ailleurs bonne « “n’est pas suffisamment liée à son objectif ou, dans un certain sens, qu’elle va trop loin pour l’atteindre” », parce que le moyen choisi pour l’atteindre était inadéquat.
[100] J’estime qu’il est utile d’effectuer la démarche, parce que la validité constitutionnelle du processus de renvoi ne peut pas être disjointe de l’objet de l’interdiction de présenter une demande d’ERAR dans les 12 mois édictée par l’article 112 de la LIPR. Cela est particulièrement vrai parce que le demandeur soutient que la disposition vise à assurer l’affectation efficace des ressources.
[101] On parle d’arbitraire dans le cas où il n’existe pas de lien direct entre l’effet découlant de l’objet de la loi et la limite apportée au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne (arrêt Bedford, au paragraphe 111). Il y a portée excessive lorsqu’une « disposition s’applique si largement qu’elle vise certains actes qui n’ont aucun lien avec son objet » [italique dans l’original], et la notion de portée excessive permet de reconnaître qu’une disposition peut être « rationnelle sous certains rapports, mais que sa portée est trop grande sous d’autres » (arrêt Bedford, au paragraphes 113). La disproportion totale joue dans des cas extrêmes où la gravité de l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne touchée est si totalement disproportionnée et sans rapport aucun avec les objectifs de la disposition qu’ils ne peuvent avoir d’assise rationnelle (arrêt Bedford, au paragraphe 120).
[102] Selon le défendeur, l’interdiction de présenter une demande d’ERAR dans les 12 mois vise à faire en sorte que les demandeurs d’asile déboutés soient renvoyés dans les plus brefs délais et dans la période d’interdiction de 12 mois afin d’éviter que les demandeurs d’asile n’abusent du processus décisionnel relatif à la demande d’asile et de programmes d’immigration en restant au Canada, ainsi qu’à imprimer un caractère définitif au processus.
[103] Avant que les modifications susmentionnées ne soient apportées à la LIPR, les demandeurs d’asile déboutés qui avaient accès à l’ERAR et à d’autres mécanismes décisionnels demeuraient au Canada pour des périodes de plus de six ans en moyenne (une moyenne de 1,9 mois pour la décision de la SPR et une autre période de 4,5 ans après le processus de la SPR) (voir les observations du défendeur en réponse, annexe 1).
[104] Le retard dans le renvoi de demandeurs d’asile déboutés dépend largement de demandes d’ERAR non-nécessaires. En particulier, la demande d’ERAR donne au demandeur le droit de prolonger son séjour au Canada en raison du temps nécessaire à l’instruction de la demande, ce qui comprend, pour le premier ERAR (d’autres suivent la plupart du temps), un sursis légal de la mesure de renvoi jusqu’à ce que la demande soit tranchée (article 232 du RIPR). Cela signifie que le demandeur reste au Canada pendant plus d’un an en attendant que la demande soit traitée.
[105] Le fait que la plupart des demandes d’ERAR ne soient pas nécessaires est démontré par des statistiques objectives selon lesquelles 98,4 p. 100 des demandes d’ERAR sont rejetées. En outre, le défendeur soutient raisonnablement que le taux de réussite des demandes d’ERAR présentées dans un an suivant la décision de la SPR est probablement inférieur à 1,6 p. 100. L’existence d’une nouvelle preuve de risque depuis la décision de la SPR est une condition préalable à la demande d’ERAR. On pourrait s’attendre à ce que le taux de succès des demandes d’ERAR présentées immédiatement après la décision de la SPR soit moins élevé que celui des demandes présentées par les demandeurs d’asile après une plus longue période de séjour à l’extérieur de leur pays d’origine.
[106] Bien que le taux élevé de demandes d’ERAR rejetées puisse être revu à la baisse au moyen de la preuve du taux de succès des demandes de contrôle judiciaire présentées à la Cour à l’encontre de ces décisions, les parties n’ont pas présenté d’éléments de preuve de cette nature. Il peut aussi être difficile de faire le suivi des cas ayant une issue favorable, parce que l’annulation d’une décision donne habituellement lieu au renvoi de l’affaire pour nouvel examen par un autre agent d’ERAR. Les décisions rendues après nouvel examen peuvent, par conséquent, être incluses dans les 98,4 p. 100 de décisions d’ERAR défavorables. Même en l’absence de cette preuve, il ne me semble pas que la conclusion selon laquelle des résultats favorables de l’ERAR sont exceptionnellement faibles soit modifiée.
[107] Les demandes d’ERAR non-nécessaires produisent un effet d’enchaînement en raison du temps nécessaire à la finalisation de ces processus décisionnels. Il en résulte un cercle vicieux en ce qui concerne l’accroissement du retard à cause de l’arriéré et d’une perte de temps additionnel consacré à la signification de demandes d’ERAR rejetées. Pendant la période supplémentaire au cours de laquelle ils résident au Canada, les demandeurs d’asile déboutés peuvent soutenir qu’il y a encore eu des modifications dans les circonstances concernant le risque, comme celles qui sont invoquées immédiatement après la décision de la SPR, pour justifier une autre demande d’ERAR.
[108] En prolongeant leur résidence au Canada, les demandeurs d’asile déboutés peuvent aussi invoquer des thèses fondées sur le « degré d’établissement » dans une demande CH. Dans les arguments fondés sur des considérations d’ordre humanitaire, on invoque le fait que le demandeur s’est marié et qu’il a eu des enfants, l’intérêt supérieur des enfants touchés, le caractère inadéquat des soins médicaux offerts dans le pays d’origine, le fait d’être membre exemplaire de la société canadienne ou d’être généralement intégré à la société canadienne de telle sorte qu’un renvoi dans le pays d’origine entraînerait pour la personne des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Ces thèses sont le plus souvent présentées par les personnes qui entrent au Canada en tant que demandeurs d’asile sans motif valide et qui y demeurent pendant une période prolongée en raison de l’incapacité de renvoyer rapidement la personne après la décision défavorable à l’égard de la demande d’asile devant la SPR. Chacune de ces demandes dont un agent d’ERAR ou un agent CH est saisi constitue une occasion de présenter à la Cour une autre demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, ce qui requiert un temps additionnel de résidence au Canada en attendant que ces demandes soient tranchées.
[109] De plus, l’agent de renvoi peut ne pas être en mesure de remplir son obligation voulant qu’il exécute la mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent, selon l’article 48 de la LIPR (maintenant, dès que possible), à l’égard des demandeurs qui présentent une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dans une requête présentée à la Cour fédérale en se fondant sur une demande d’ERAR ou CH sous-jacente en cours (ou, dans certains cas, la décision défavorable de l’agent). La requête en sursis fondée sur une demande d’ERAR ou CH en cours n’est pas présentée à l’encontre du ministre défendeur (qui est chargé du renvoi aux termes de l’article 48 de la Loi), mais à l’encontre du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, et c’est l’expression « frivole et vexatoire » du critère de la « question sérieuse » qui est utilisée, au lieu du critère plus strict de la question sérieuse consacré par les jurisprudences Wang et Baron en ce qui concerne les sursis (qui est analysé plus loin).
[110] La plupart de ces demandes, qui s’avèrent souvent infructueuses, sont évitées au moyen d’un processus de renvoi rapide qui est appliqué immédiatement après la décision de la SPR. Les effets positifs d’un processus de renvoi rapide ont été exposés par le représentant du HCNUR lors de l’examen des modifications par le Sénat en ces termes :
Le vrai problème [de l’existence d’un examen des risques avant renvoi], ce n’est pas de déterminer si une personne doit avoir accès ou non au processus; le problème, c’est le temps que cela prend pour renvoyer des personnes. Lorsque le renvoi est effectué rapidement, il est peu probable qu’un examen supplémentaire soit nécessaire, parce que la situation d’un pays ne change pas aussi rapidement que ça.
[…] [S’il y a des changements fondamentaux durant cette période] il est important que la personne ait accès à un genre de protection en raison des risques possibles.
[111] Je suis également d’avis que le renvoi rapide de demandeurs d’asile déboutés ne sert pas uniquement l’intérêt supérieur du processus d’octroi de l’asile. Il est essentiel à l’intégrité des programmes d’immigration du Canada dans leur ensemble, qui, dans un sens, rivalisent avec les faux demandeurs dans le cadre du système d’octroi de l’asile.
[112] Le fait de ne pas renvoyer rapidement les demandeurs d’asile déboutés peut saper les autres processus d’immigration offerts fondés sur les demandes présentées à partir de l’étranger. Il existe une énorme demande de résidence permanente canadienne, qui ne peut pas être comblée par les possibilités relativement limitées, bien qu’environ un quart de million de personnes obtiennent ce statut chaque année. Cette demande insatisfaite, à laquelle s’ajoute le retard inhérent au régime de traitement des questions d’immigration en raison du grand nombre de demandes, pourrait amener les ressortissants étrangers contrariés, qui constatent que des personnes réussissent à s’installer au Canada grâce à une résidence prolongée obtenue au moyen de demandes abusives présentées dans le cadre du système d’octroi de l’asile du Canada, à envisager de demander l’asile en présentant de faux récits afin d’obtenir la résidence et la citoyenneté canadienne. Il est fréquent aussi que les demandeurs d’asile passent par les États-Unis ou soient refusés en tant que demandeurs d’asile dans ce pays avant d’arriver à nos portes et de demander l’asile, comme c’est le cas des deux demandeurs.
[113] Le retard est aussi préjudiciable aux demandeurs d’asile eux-mêmes. Ils doivent planifier leur vie, et vivent souvent dans l’angoisse, sans savoir s’ils resteront au Canada ou non.
[114] Dans l’ensemble, je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles le faible taux de succès des demandes d’ERAR témoigne du caractère raisonnable des décisions de la SPR, en gardant à l’esprit que les décisions attaquées sont assujetties au contrôle de la Cour.
[115] Je souscris également à la thèse du défendeur portant que le faible taux de succès en matière d’ERAR est un indicateur objectif d’une certaine utilisation abusive du processus d’ERAR. Qu’il soit de 2 ou de 5 p. 100, le taux de succès est faible par rapport à toute mesure acceptable d’un processus décisionnel qui est censé avoir une utilité pratique. Pour la très grande majorité de demandeurs d’asile déboutés, il faut être réaliste, ils présentent une demande d’ERAR sans grand espoir de succès. Malgré cela, les demandes d’ERAR sont presque automatiques pour des demandeurs d’asile déboutés : entre 2005 et 2012, plus de 65 000 demandes d’ERAR ont été présentées. En agissant ainsi, les demandeurs d’asile retardent et entravent grandement leur renvoi définitif, ce qui est contraire au résultat visé par le rejet de leur demande d’asile.
[116] Si l’on se tourne vers l’avenir, la faible probabilité de décisions d’ERAR favorables appuie l’argument en faveur de l’adoption d’un mécanisme de sélection, qui est conçu pour qu’il soit tenu compte uniquement des cas dans lesquels il y a une preuve claire et convaincante qu’une nouvelle situation de risque existe.
a) L’interdiction de présenter une demande d’ERAR dans les 12 mois constitue-t-elle une limite arbitraire?
[117] Le demandeur a présenté un affidavit du professeur Okafor, qui est d’avis que les documents concernant la situation dans le pays en cause peuvent ne pas être fiables dans les 12 mois suivant le rejet d’une demande d’asile, parce qu’il existe un décalage inhérent à la collecte des éléments de preuve et à l’établissement de rapports concernant la situation dans le pays en cause. L’affiant n’a pas exprimé son avis quant au délai qui était nécessaire pour que les documents sur la situation du pays en cause deviennent fiables. En outre, les éléments de preuve que l’affiant a produits n’étaient pas propres au Sri Lanka, et il n’a fourni aucun exemple de preuve non-fiable périmée figurant dans les documents présentés à l’agent. Les changements de situation relevés étaient généralement évidents et la situation était bien connue et largement diffusée dans les médias. L’avis de l’affiant est contredit par les milliers de décisions d’ERAR défavorables qui ont été rendues pendant un certain nombre d’années, à partir desquelles je conclus que la situation dans le pays en cause est appréciée correctement par la SPR et que, généralement, elle ne change pas rapidement après l’audience de la SPR. Par ailleurs, une réponse concernant la situation peut être apportée par le RIPR ou le ministre peut ne pas contester la preuve s’il est convaincu que la situation a changé.
[118] En outre, si l’on ne peut pas se fonder sur la preuve présentée dans des affaires où la question du risque doit être tranchée (SPR et ERAR), même si cette question est prospective, comment peut-on statuer effectivement sur les affaires? La preuve est toujours périmée au moment où elle est présentée au décideur après un délai supérieur à 12 mois, ou selon le délai qui aura finalement été proposé comme étant approprié. Elle est perpétuellement non-fiable, parce que la situation peut avoir empiré ou s’être améliorée et les documents n’en rendent pas compte. Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles la preuve par affidavit présentée relativement à cette question n’est pas corroborée et n’est donc pas utile.
[119] Revenons à la question du caractère arbitraire. Le fait que je conclue que le processus de renvoi est conforme à la Charte donne à penser, à première vue, que les délais de 12 ou de 36 mois prévus à l’article 112 de la Loi ne sont pas pertinents. Si le processus de renvoi aboutit adéquatement à un ERAR, il en est ainsi chaque fois que la nouvelle preuve est présentée quant à l’existence d’un risque sérieux pour des personnes frappées par une mesure de renvoi. Un nouveau risque sérieux peut surgir aussi bien au cours de la période d’interdiction de 12 mois qu’après cette période. Il n’existe qu’un seul critère en matière de renvoi, et le processus de renvoi doit céder le pas à un ERAR lorsque les circonstances le justifient, sans égard au délai écoulé depuis la décision de la SPR.
[120] En effet, compte tenu d’un processus de renvoi conforme à la Charte, la question se pose de savoir si le législateur devait vraiment imposer un délai de prescription relativement à l’ERAR. Les renvois pourraient à tout moment être effectués d’une manière sécuritaire par la simple élimination du sursis légal que comporte le premier ERAR prévu à l’article 232 du RIPR. Chaque fois qu’un changement de risque surviendrait effectivement, le processus de renvoi imposerait un sursis de nature administrative, par l’agent de renvoi ou par la Cour, afin de reporter le renvoi de façon à permettre qu’un ERAR soit effectué, étant entendu que le sursis resterait en vigueur jusqu’à ce qu’une décision soit rendue.
[121] Le législateur a opté pour l’interdiction de la présentation de demandes d’ERAR dans les 12 ou 36 mois après le rejet d’une demande d’asile, ce qui a donc pour effet d’exclure la prise d’effet de l’interdiction prévue par la loi en ce qui concerne l’ERAR, de sorte que les renvois puissent être exécutés au cours de ces périodes. Le législateur a néanmoins permis que cette interdiction prévue par la loi reste en vigueur après l’expiration des périodes de 12 et de 36 mois en ce qui concerne le premier ERAR, mais non à l’égard des demandes d’ERAR subséquentes. La question est de savoir pourquoi le législateur a accordé de l’importance à ces délais en ce qui concerne l’ERAR et pourquoi il a permis que l’interdiction prévue par la loi soit maintenue après ces périodes. Je suis d’avis qu’il ressort de ce régime d’interdiction et de sursis prévu par la loi que le législateur, malgré sa confiance envers le processus de renvoi, voulait avoir plus de garanties que les situations de risque fassent l’objet d’une vérification lorsque les délais s’accroissent depuis le dernier examen exhaustif quant au risque, en raison des probabilités accrues que de nouveaux risques ne surgissent.
[122] Cependant, je ne suis pas d’avis que cette politique d’obtention de garanties supplémentaires à l’égard du risque constitue l’affirmation que le processus de renvoi est conforme à la Charte uniquement lorsque celui-ci se déroule dans les 12 mois suivant le rejet d’une demande d’asile. Le régime de sursis prévu par la loi reconnaît que la situation dans le pays en cause est plus susceptible de changer au fur et à mesure que le temps s’écoule après l’examen des risques. Il semble que le même raisonnement vaut en ce qui a trait à l’interdiction de 36 mois relativement à la présentation d’une demande d’ERAR à l’égard des pays désignés, en raison de l’hypothèse selon laquelle les démocraties efficaces sont le théâtre d’un moins grand nombre d’incidents perturbateurs donnant lieu à des modifications dans les circonstances de risque qui font en sorte qu’un plus grand nombre de demandeurs d’asile sont exposés à un risque suivant leur renvoi.
[123] Selon moi, adopter une attitude proactive à l’égard d’une possible augmentation des demandes d’asile en raison de l’évolution des conditions dans le pays en cause est une bonne politique et relève du bon sens. Cela démontre l’intention de prévoir une mesure de précaution supplémentaire à l’encontre de possibles renvois de demandeurs d’asile déboutés vers des lieux où ils sont exposés à des risques, dans un cas où le nombre de demandeurs d’asile dont la demande est par ailleurs valide commence à s’accroître. Il est évident, d’un point de vue statistique, que plus les cas où des personnes sont exposées à un risque accru augmentent, plus il est probable qu’un renvoi isolé vers un endroit dangereux peut se produire, et ce, malgré le bon fonctionnement du processus de renvoi.
[124] Je conclus, en gardant à l’esprit le contexte, que la modification ayant créé l’interdiction de présenter une demande d’ERAR pendant une période de 12 mois n’est ni arbitraire, ni de portée excessive, ni totalement disproportionnée. Au cours de cette période, il y aura moins de possibilités que la situation dans le pays en cause change, car il y a, en général, une corrélation entre ces changements dans la situation dans le pays en cause et le temps qui s’est écoulé depuis que la SPR a rejeté la demande d’asile. L’interdiction de 12 mois prévient aussi les processus décisionnels superflus qui retardent le renvoi des demandeurs d’asile déboutés. Ces éléments pertinents vont dans le sens d’une période d’interdiction de 12 mois.
[125] Une période de 12 mois semble aussi être raisonnable pour que les dispositions nécessaires en vue du renvoi du demandeur soient prises, avec une certaine latitude à l’égard des situations d’urgence, tout en permettant le traitement adéquat de la demande de report du renvoi et de la requête en sursis, ainsi qu’une certaine marge de manœuvre.
[126] Je conclus que la période d’interdiction de 12 mois est raisonnable dans les circonstances et, de plus, qu’elle est entièrement appropriée, compte tenu des objectifs de veiller au renvoi rapide des demandeurs d’asile déboutés dans un délai raisonnable, de manière à prévenir le recours injustifié aux régimes d’immigration et d’octroi de l’asile et à mener à terme le processus.
[127] Cette conclusion est assujettie à l’existence d’un processus de renvoi adéquat qui assure l’examen des nouveaux changements substantiels dans les circonstances et qu’il soit permis de reporter le renvoi d’un demandeur d’ERAR, lorsque les circonstances le justifient.
3) Le processus de renvoi est-il anticonstitutionnel?
a) Observations générales
[128] Je ne crois pas que les juges se soient penchés par le passé sur la question de savoir si un processus comportant une série de questions connexes ayant trait à la portée du critère employé, à la nature de l’examen et à la compétence du décideur, présentées d’une manière telle que les différents éléments du processus sont interreliés, prive une personne de ses droits fondamentaux garantis par la Charte. Bien qu’une grande partie de la discussion mette l’accent sur le critère applicable en matière de renvoi, ce critère doit aussi être examiné au regard du processus de renvoi, au sujet duquel le critère est l’élément principal, sans toutefois en être le seul élément.
[129] Je conclus que les principes reposant sur le manque de logique fonctionnelle ne peuvent pas s’appliquer à l’analyse relative à la constitutionnalité du processus de renvoi. Il existe peut-être un problème de portée excessive lorsque le droit applicable dépend d’une détermination annexe du risque, comme c’est le cas lorsque la question de la constitutionnalité de l’alinéa 112(2)b.1) a une incidence sur le processus de renvoi. Néanmoins, il est impératif de mettre l’accent sur le processus lui-même, et non simplement sur le critère applicable en matière de renvoi.
[130] Je retiens la thèse du défendeur portant que c’est le processus de renvoi dans son intégralité qui est en cause. Cela comprend à la fois le critère applicable et la procédure; selon moi, il s’agit donc d’une nouvelle question en ce qui concerne l’article 7 de la Charte. D’un côté, il est demandé à la Cour de se pencher sur les questions de fond et de norme de preuve se rapportant au critère applicable en matière de renvoi. La Cour doit aussi examiner les attaques relatives à l’équité procédurale, lesquelles ont trait au pouvoir, à la compétence et à la partialité institutionnelle du décideur, ainsi qu’au rôle de surveillance de la Cour fédérale. Tous les facteurs doivent être examinés de concert pour rechercher si le processus de renvoi prive le demandeur du droit à une protection lors de son renvoi, protection garantie par l’article 7, d’une manière qui n’est pas compatible avec les principes de justice fondamentale.
[131] Je conclus aussi que c’est à bon droit que le défendeur définit la question en litige comme étant de savoir si le processus de renvoi a un « caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société », comme l’a défini la Cour suprême du Canada par l’arrêt Rodriguez (Rodriguez, aux pages 590 et 591). Cependant, vu le besoin de protéger le demandeur d’asile débouté lors de son renvoi et celui d’assurer qu’il soit expulsé du Canada — ce qui appelle la mise en balance d’intérêts opposés — , je conclus aussi que la Cour est appelée à mettre en balance ces intérêts en vue de déterminer la portée du droit du demandeur à être protégé en cas de renvoi. Ce faisant, je conclus que le processus de renvoi actuel n’est pas contraire à ses droits fondamentaux.
b) Les principes de l’article 7 de la Charte applicables au processus de renvoi
i) Les principes de justice fondamentale
a. Le caractère primordial ou fondamental
[132] Le défendeur se fonde sur l’arrêt Canadian Foundation de la Cour suprême du Canada, où cette dernière a décrit, au paragraphe 8, les trois critères qui doivent être réunis pour établir l’existence d’un principe de justice fondamentale. Je cite les observations formulées par le défendeur dans son mémoire supplémentaire des arguments, aux paragraphes 28 et 29, en omettant les références et en soulignant quelques passages :
[traduction] Les trois critères pour établir l’existence d’un principe fondamental ont été énoncés par la Cour suprême du Canada de la manière suivante à l’occasion de l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law :
La jurisprudence relative à l’art. 7 enseigne qu’un « principe de justice fondamentale » doit remplir trois conditions : R. c. Malmo-Levine. Premièrement, il doit s’agir d’un principe de droit. Cette condition vise deux objectifs. D’une part, elle « donne de la substance au droit garanti par l’art. 7 »; d’autre part, elle évite « de trancher des questions de politique générale » : Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B. Deuxièmement, le principe allégué doit être le fruit d’un consensus suffisant quant à son « caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société » : Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général). Les principes de justice fondamentale sont les postulats communs sur lesquels repose notre système judiciaire. Ils trouvent leur sens dans la jurisprudence et les traditions qui, depuis longtemps, enseignent en détail les normes fondamentales applicables au traitement des citoyens par l’État. La société les juge essentiels à l’administration de la justice. Troisièmement, un principe allégué doit pouvoir être identifié avec précision et être appliqué aux situations de manière à produire des résultats prévisibles. Parmi les principes de justice fondamentale qui remplissent les trois conditions, il y a notamment la nécessité d’une intention coupable et de règles de droit raisonnablement claires.
Cette jurisprudence [Canadian Foundation], enseigne que le principe juridique de « l’intérêt supérieur de l’enfant » ne constituait pas un principe de justice fondamentale, étant donné que, aussi important le principe est-il, il ne constituait pas une exigence allant au cœur de l’exercice de la justice – ce principe n’a pas un caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société (au paragraphe 9). Dans le cas du renvoi qui a lieu sans la tenue d’un ERAR, et dans le cadre duquel le demandeur a pu bénéficier d’une audition complète quant à sa demande d’asile devant un tribunal quasi-judiciaire indépendant, et où il doit être renvoyé dans les mois suivants la décision de ce tribunal, il n’y a aucune autorité ni aucune justification permettant de conclure qu’un deuxième processus est une condition essentielle à l’exercice de la justice, surtout dans le cas où le demandeur dans cette situation peut présenter une demande de report du renvoi en se fondant sur une nouvelle preuve quant au risque (ainsi que sur d’autres facteurs), et qu’il peut demander à la Cour de surseoir au renvoi. De plus, le régime législatif actuel prévoit une exception relativement à l’interdiction de présenter une demande d’ERAR (paragraphe 112(2.1)). [Non-souligné dans l’original.]
[133] La première chose que je vais affirmer au sujet des observations du défendeur est que le principe juridique clé en ce qui concerne la thèse du demandeur n’est pas formulé de manière aussi étendue au point qu’elle soit qualifiée de [traduction] « deuxième processus », soit un deuxième examen quant au risque. Il s’agit plutôt de la question de savoir si le demandeur d’asile débouté a droit à un deuxième examen du risque avant son renvoi lorsque de nouveaux éléments de preuve sont présentés sans contrôle préalable, et que l’examen ne porte pas sur le risque de persécution, mais uniquement sur le risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. En toute justesse, avant la première directive de la Cour, le défendeur n’avait pas présenté de réponse complète quant à la question de savoir si le processus de renvoi était conforme ou non à la Charte.
[134] Je conclus que les thèses du demandeur définissent suffisamment un principe juridique lorsqu’elles sont exprimées sur le plan des exigences relativement au critère applicable en matière de renvoi. De plus, même si le demandeur a raison lorsqu’il affirme que le critère ne tient pas suffisamment compte des nouvelles situations de risque découlant de la persécution, ou que celui-ci comporte par ailleurs d’autres importantes lacunes, le principe peut être déterminé de manière précise et appliqué à des cas d’une manière aboutissant à des résultats prévisibles. La véritable question est donc de savoir ce qu’est une condition essentielle à l’exercice de la justice.
[135] Le professeur Hogg, dans son récent article intitulé « The Brilliant Career of Section 7 of the Charter », met [traduction] « un important bémol » en ce qui concerne la condition essentielle. Ce bémol se rapporte à l’élément du critère concernant le « consensus social », au sujet duquel il a laissé entendre que celui-ci [traduction] « ne [devait] pas être pris sérieusement, et que les juges décider[aient] pour eux-mêmes (et ser[aient] sans doute souvent en désaccord) quant à la question de savoir si un consensus social existe relativement à un principe allégué de justice fondamentale » (Peter W. Hogg, « The Brilliant Career of Section 7 of the Charter » (2012), 58 S.C.L.R. (2d) 195 [aux pages 200 et 201]).
[136] Selon moi, le professeur Stewart a apporté davantage de substance au critère aux fins de la présente affaire, de sorte que ce critère ne peut être assimilé à une lecture subjective de la part de la jurisprudence. Le professeur Stewart cite la jurisprudence qui délimite le critère en question et il conclut que [traduction] « [les principes de justice fondamentale] ne relèvent pas des politiques publiques générales au sujet desquelles le consensus de la société, au sens empirique, puisse effectivement être pertinent, mais ils reposent sur “le pouvoir inhérent de l’appareil judiciaire en tant que gardien du système judiciaire” » (Stewart, à la page 108, renvoyant à Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, à la page 503). Il ajoute que les principes de justice fondamentale sont des normes régissant la substance du droit dans le processus de l’administration de la justice au sein d’un ordre juridique qui s’est engagé à respecter la dignité humaine et la primauté du droit. Ces valeurs, en elles-mêmes, constituent le consensus social qui est nécessaire à la reconnaissance d’un principe de justice fondamentale. Il a ensuite conclu que [traduction] « la question décisive est de savoir quel rôle le principe joue dans un ordre juridique qui a consacré les valeurs exprimées dans la Charte » (Stewart, à la page 109).
b. La mise en balance des droits fondamentaux de la personne et des intérêts de la société
[137] Il est aussi affirmé au sujet des principes de justice fondamentale qu’ils appellent la mise en balance des intérêts de la personne qui allègue une violation de ses droits et des intérêts de la société que soulève l’exercice de ces droits. Je citerai une fois de plus l’ouvrage du professeur Stewart : il donne un exemple d’un cas où une réponse donnée à une question posée lors d’un contre-interrogatoire peut empiéter de manière indue sur le droit, garanti par la Charte, à un procès équitable. Ce cas appellerait la mise en balance du droit de contre-interroger un témoin par rapport à l’intérêt de la société à ce que les parties opposées parviennent à une solution juste. En ce sens, la mise en balance est utile pour déterminer l’étendue du droit qui découle des valeurs, consacrées par la Charte, à un procès équitable.
[138] La Cour suprême du Canada a insisté sur le fait qu’il ne faut pas confondre la mise en balance des intérêts à titre d’aspect de la justice fondamentale avec la mise en balance des intérêts effectuée au titre de l’article premier de la Charte. La Cour suprême du Canada, à l’occasion de l’affaire R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668 (Mills), a mis l’accent sur le fait que la question précise qui se pose au titre de l’article 7 de la Charte est la délimitation du droit en question. Je cite les paragraphes 65 et 66 de cet arrêt ci-dessous :
Il est également important d’établir une distinction entre l’évaluation des principes de justice fondamentale au sens de l’art. 7 et l’évaluation d’intérêts fondée sur l’article premier de la Charte. La jurisprudence de notre Cour relative à l’article premier est, à maints égards, fort semblable au processus d’évaluation prescrit par l’art. 7. Comme le juge McLachlin l’a dit au nom de notre Cour dans l’arrêt Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143, à la p. 152, relativement à ce processus : « La […] question est de savoir si, du point de vue du fond, la modification de la loi établit un juste équilibre entre les droits de l’accusé et les intérêts de la société. » On pourrait en dire presque autant de la question principale soulevée par l’article premier.
Il y a cependant plusieurs différences importantes entre l’évaluation fondée sur l’article premier et celle qui est fondée sur l’art. 7. La différence la plus importante réside dans le fait que la question qui se pose en vertu de l’art. 7 est celle de la délimitation des droits en question tandis que la question qui se pose en vertu de l’article premier est de savoir si le non-respect de ces limites peut être justifié. Le rôle différent que joue l’article premier et l’art. 7 a également des répercussions importantes sur l’identité de la partie à qui incombe le fardeau de la preuve. Si les intérêts sont évalués en vertu de l’art. 7, c’est la personne qui revendique les droits qui a le fardeau de prouver que l’équilibre établi par la mesure législative contestée viole l’art. 7. Si les intérêts sont évalués en vertu de l’article premier, il incombe alors à l’État de justifier l’atteinte aux droits garantis par la Charte. [Non-souligné dans l’original.]
[139] Dans l’extrait de l’arrêt Mills cité ci-dessus, la Cour a mis l’accent sur le fait que la mise en balance au regard des principes de justice fondamentale n’est pas une étape distincte de l’analyse relative à l’article 7, ni un principe dominant de justice fondamentale en soi. En fait, la Cour suprême a souligné une fois de plus, aux paragraphes 95, 96 et 98 [de l'arrêt R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571], que la fonction principale de la mise en balance des intérêts est de délimiter le droit :
Le juge Braidwood de la Cour d’appel a estimé que, en l’espèce, le [traduction] « principe de justice fondamentale applicable » était le principe du préjudice (voir le par. 159). Cependant, après avoir conclu que l’interdiction de la simple possession était conforme au principe du préjudice, il s’est penché sur une deuxième question, celle de savoir [traduction] « si la Loi sur les stupéfiants établit un “juste équilibre” entre les droits de l’individu et les intérêts de l’État » (par. 160). Les arrêts suivants ont été mentionnés au soutien de cette approche : Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, p. 539, le juge La Forest; Rodriguez, précité, p. 592-593, le juge Sopinka. La juge Prowse a procédé à une pondération similaire dans ses motifs de dissidence.
Nous ne croyons pas que ces arrêts indiquent que les tribunaux doivent, en vertu de l’art. 7, se livrer à un examen distinct pour décider si une mesure législative donnée établit un « juste équilibre » entre les droits de l’individu et les intérêts de la société en général, ou que l’établissement d’un juste équilibre constitue en soi un principe de justice fondamentale dominant. Une telle démarche générale de mise en balance des droits individuels et des intérêts sociétaux, sans égard à un principe de justice fondamentale déterminé, intègre entièrement l’examen que commande l’article premier à l’analyse fondée sur l’art. 7. Les conséquences procédurales d’une telle « fusion » sont considérables. Par exemple, selon l’avocat de l’appelant Caine, comme les appelants ont établi l’existence d’une menace à leur liberté ou à la sécurité de leur personne, la charge de la preuve est immédiatement inversée et il incombe alors au ministère public, dans l’analyse fondée sur l’art. 7, [traduction] « de faire la preuve du préjudice important qu’il invoque pour justifier le recours à des sanctions pénales » (mémoire de Caine, par. 24).
[…]
La pondération des droits individuels et des intérêts sociétaux dans l’analyse fondée sur l’art. 7 n’est pertinente que pour préciser un principe de justice fondamentale en particulier. Comme l’a expliqué le juge Sopinka dans l’arrêt Rodriguez, précité, « pour établir ces principes [de justice fondamentale], il est nécessaire de pondérer les intérêts de l’État et ceux de l’individu » (p. 592-593 (nous soulignons [soulignement ajouté par les juges Gonthier et Binnie])). Cependant, une fois précisé le principe de justice fondamentale en cause, la prise en compte d’« intérêts sociétaux » tels les coûts des soins de santé ne fait plus partie de l’analyse fondée sur l’art. 7. Ces considérations seront examinées, si tant est qu’elles le sont, dans l’application de l’article premier. […] [Les caractères en italique figurent dans le document original; le soulignement est ajouté.]
[140] Dans ma première directive à l’avocate du défendeur, je lui ai demandé si, en renvoyant la preuve concernant le retard des renvois, les abus et les faibles taux de réussite au stade de l’ERAR, elle soulevait un moyen de défense tiré de l’article premier de la Charte. J’ai posé une telle question, en partie parce que la preuve empirique au sujet des conséquences sur le processus d’octroi de l’asile de l’arrêt Singh, par lequel l’applicabilité de cette défense a été rejetée à l’égard d’une allégation quant au fait que le manque d’équité du processus contrevenait à l’article 7, pouvait avoir donné lieu à une reconsidération de l’interdiction du moyen de défense fondé sur l’article premier à l’égard des violations à l’article 7, tel qu’il ressort du traité de M. Hogg [Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd. vol. 2, Toronto : Thomson/Carswell, 2007], à l’article 47.4b) :
[traduction] La thèse selon lequel une telle procédure rendrait impossible le traitement rapide des plusieurs milliers de dossiers de demandeurs d’asile qui arrivent au Canada chaque année a été rejetée, à titre de préoccupation « utilitaire » ou « administrative » inadmissible qui ne doit pas permettre la violation de droits individuels. En fait, environ 36 000 demandeurs d’asile par année se présentent au Canada depuis la jurisprudence Singh, et le gouvernement fédéral n’a pas été capable de se conformer à cette jurisprudence en temps utile. Il s’ensuivit un énorme arriéré en ce qui a trait aux demandes d’asile, et les demandeurs ont dû composer avec des délais de deux ans ou plus dans l’attente d’une décision quant à leur demande. [Notes de bas de page omises.]
[141] L’avocate du défendeur a confirmé, dans sa réponse, que le défendeur ne souhaitait pas présenter un argument subsidiaire fondé sur l’article premier de la Charte. Les statistiques réfutaient tout argument quant au caractère arbitraire des mesures législatives et il en ressortait que la vérification effectuée par la SPR était adéquate pour presque tous les cas de risques. Le défendeur a mis l’accent sur le fait que les retards dont la preuve documentaire faisait mention concernaient uniquement le renvoi des individus, et non le processus global d’octroi d’asile en soi. Cet élément de preuve visait aussi à démontrer l’existence de cas d’abus du processus d’ERAR.
[142] Le défendeur a fait référence à un moyen tiré de la « mise en balance », lorsqu’il a déclaré que, [traduction] « d’un autre côté, les mesures législatives qui prévoient que tout demandeur d’asile débouté peut présenter une [demande d’ERAR] officielle ne font qu’augmenter les retards en matière de renvoi, sans qu’il n’y ait d’avantages importants ». Je comprends que la mention [traduction] « sans qu’il n’y ait d’avantages importants » fait référence au fait que les ERAR favorables sont rares et à son argument selon lequel l’article 97 est déjà employé pour apprécier le risque à l’égard de toute forme de préjudice qui peut être invoqué dans les cas de persécution.
[143] Les droits garantis par la Charte peuvent être limités lorsque l’exercice de ceux-ci sape l’objectif qu’ils sont censés atteindre. J’ai évoqué un exemple au sujet d’un contre-interrogatoire, lequel est essentiel relativement au droit à un procès équitable prévu par la Charte. Néanmoins, dans certains contextes, le droit peut être restreint lorsque le recours à celui-ci cause préjudice au processus de détermination des faits. Il en est ainsi parce que les conclusions de fait fondées sur des bases solides sont l’essence ou la fondation du processus judiciaire lui-même.
[144] Selon ma perspective, les observations du défendeur sont un argument de contrepoids, selon lequel les reports considérables de l’exécution des mesures de renvoi en raison des ERAR sapent le processus de renvoi, lequel constitue un élément intégrant du processus d’octroi de l’asile.
[145] L’objectif de la mise en balance est d’établir l’élément qui délimite la portée du droit, c’est-à-dire, le moment auquel le contre-interrogatoire n’est plus utile pour tirer des conclusions de fait fiables. En l’espèce, ce moment est celui auquel le droit de ne pas être renvoyé est limité par son manque d’utilité ou son effet négatif sur le processus d’octroi de l’asile, du fait qu’il exclut les renvois.
[146] Dans la présente affaire, la matrice factuelle est considérablement plus complexe qu’elle ne le serait, par exemple, dans une affaire portant sur le droit au contre-interrogatoire. Déterminer le point d’équilibre qui délimite le droit de ne pas être renvoyé appelle le rassemblement et l’examen des facteurs pertinents qui ont pour effet de déplacer le point de délimitation dans une direction ou une autre en ce qui a trait au droit d’être protégé contre un risque de préjudice lors du renvoi.
[147] Cependant, le processus de mise en balance a en grande partie été reconnu et le débat quant à la délimitation de la conformité du processus de renvoi avec la Charte est en cours. Il en est ainsi parce que la nécessité de délimiter, d’une façon ou d’une autre, le droit à un ERAR est reconnue lorsque les parties présentent différentes versions du critère applicable en matière de renvoi afin de définir le bon point d’équilibre, de manière à isoler les cas où les reports ne sont pas nécessaires de ceux qui devraient faire l’objet d’un ERAR. La tâche suivante consiste à rassembler les facteurs pertinents afin de compléter l’analyse.
[148] À cet égard, le débat constitutionnel est aussi quelque peu calqué sur l’approche plus souple du droit administratif pour mettre en balance les valeurs consacrées par la Charte, laquelle serait plus compatible avec la nature de la prise de décision qui découle d’un pouvoir discrétionnaire (Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395, aux paragraphes 5, 6, 36 et 37). Cette approche est difficile à appliquer en l’espèce, parce que l’on porte surtout attention à l’application du critère par le décideur administratif, plutôt qu’au pouvoir discrétionnaire de ce dernier, à l’égard duquel la Cour fait preuve de peu de retenue en matière constitutionnelle.
c) La jurisprudence ayant établi le critère applicable en matière de renvoi
[149] Il est utile d’examiner l’évolution de la jurisprudence au fil du temps en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de l’agent de renvoi et les origines du critère applicable en matière de renvoi. Cette approche confirme non seulement que le pouvoir discrétionnaire des agents de reporter le renvoi est limité, mais il permet aussi de saisir le contexte nécessaire pour répondre à un certain nombre de questions en litige soulevées par le demandeur, comme celle concernant la compétence de l’agent, celle de savoir si le critère applicable en matière de renvoi découle uniquement d’une observation incidente ainsi que celle portant sur le rôle de l’agent relativement à celui du juge des requêtes lors d’une instance de la Cour fédérale en matière de sursis au renvoi.
[150] Pour aider à comprendre l’évolution de la législation dans ce domaine, j’ai joint, à l’annexe A des présents motifs, l’historique pertinent de la législation canadienne en matière de détermination des risques ainsi que les dates auxquelles le Canada a adhéré aux traités applicables. L’annexe B des présents motifs contient le libellé des dispositions législatives auxquelles j’ai expressément renvoyé à l’annexe A. Ces éléments ont été fournis par le défendeur, à la demande de la Cour. J’ai fait, à la demande du demandeur, quelques petits ajouts en ce qui a trait à l’interdiction de 12 mois relativement aux demandes CH et j’ai aussi inclus la version française officielle des dispositions législatives reproduites à l’annexe B.
i) Le critère applicable en matière de renvoi — Wang
[151] Le critère applicable en matière de renvoi est souvent désigné sous le nom de critère de la jurisprudence Baron/Shpati ou de critère de la jurisprudence Wang/Baron/Shpati, en référence aux affaires principales dans lesquelles il a été construit. Le juge Pelletier a formulé, pour la première fois, le critère à l’occasion de l’affaire Wang, laquelle était antérieure à la mise en œuvre de la LIPR en 2002. L’octroi de la qualité de réfugié était limité aux cas de persécution pour des motifs énoncés à la Convention (motifs repris par la suite à l’article 96 de la LIPR). Les demandeurs d’asile déboutés étaient ainsi rattachés à la « catégorie des demandeurs non-reconnus du statut de réfugié au Canada » (les DNRSRC) et ils avaient droit, de ce fait, à une forme d’analyse du risque au titre du Règlement sur l’immigration; cette analyse était similaire à un ERAR.
[152] Dans l’affaire Wang, le juge Pelletier était saisi d’une demande de sursis présentée à l’encontre de la décision d’un agent de renvoi par laquelle il refusait de reporter le renvoi en attendant que la demande CH soit tranchée. La demande d’examen des risques présentée par le demandeur, qui était fondée sur le Règlement sur l’immigration, avait antérieurement été rejetée. Dans sa décision, le juge s’est penché à la fois sur le critère devant être appliqué par les agents de renvoi et sur le pouvoir discrétionnaire y afférent d’apprécier le risque. Comme je l’expliquerai plus en détail ci-dessous, la jurisprudence Wang a aussi modifié le facteur de la « question sérieuse » qui est pris en considération lors de la demande de sursis présentée en attendant que l’autorisation d’appel soit accordée ou non à l’égard de la décision de l’agent de renvoi, en ce sens que le facteur exige que les juges effectuent une recherche approfondie et qu’ils examinent minutieusement le bien-fondé de la demande sous-jacente.
[153] Dans la décision Wang, la Cour a renvoyé à la jurisprudence de la Cour fédérale qui reconnaissait que l’agent de renvoi intervenant au nom du ministre disposait d’un pouvoir discrétionnaire limité. Selon le juge Pelletier, ce pouvoir discrétionnaire découlait de l’article 48 de la Loi [auparavant la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2], qui, à ce moment-là et pour les besoins de l’affaire dont il était saisi, exigeait que la mesure de renvoi soit exécutée « dès que les circonstances le permett[aient] ». La mesure de renvoi doit maintenant être exécutée « dès que possible », à la suite de récentes modifications (Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17 [article 20]).
[154] Aux paragraphes 30 à 33 de la décision Wang, le juge Pelletier a résumé la jurisprudence de cette époque concernant la nature des décisions qui relevaient du pouvoir discrétionnaire des agents de renvoi :
Ces affaires illustrent bien la portée du pouvoir discrétionnaire qu’on a attribué aux agents chargés du renvoi, mais ils ne font ressortir aucun principe qui pourrait guider [la] Cour dans son examen de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
Comme point de départ pour établir un tel principe, on peut examiner les frontières logiques de la notion de report. Différer veut dire « remettre à plus tard ». Mais on ne diffère pas quelque chose simplement pour en retarder l’exécution. Afin d’être justifié en droit, le report doit être fait parce que, ce faisant, on pourrait trouver un motif légitime de ne pas exécuter la mesure de renvoi.
À part de questions comme les arrangements de voyage et l’état de santé permettant de voyager, l’exécution d’une mesure de renvoi ne peut être mise en cause que par un autre processus prévu par la Loi, étant donné que le ministre n’a pas l’autorité de refuser d’exécuter une telle mesure. Par conséquent, une demande de report ne peut être présentée que dans le contexte d’une procédure connexe qui pourrait avoir un impact sur le caractère exécutoire de la mesure de renvoi. En d’autres mots, si la mesure doit être exécutée quel que soit le résultat de la procédure connexe, sur quoi pourrait-on fonder le report? Par conséquent, il me semble que la question que l’on doit se poser est la suivante : la procédure en cause peut[-]elle créer une situation où l’exécution de la mesure de renvoi ne s’imposerait plus?
Par conséquent, l’expression defer [reporter, surseoir, différer] recouvre deux concepts différents. On l’utilise dans un sens temporel : l’exécution de la mesure de renvoi est reportée à demain (soit dans le sens de différer). Mais on peut aussi l’utiliser dans le sens d’accorder la priorité à une autre procédure (à savoir, dans le sens de déférer). Ces deux sens sont liés, tout en étant distincts. [Non-souligné dans l’original.]
[155] Au paragraphe 41 de la décision Wang, la Cour a opéré la distinction suivante entre le processus de demande CH et le processus de demande d’ERAR prévus dans le Règlement sur l’immigration :
Le résultat de la procédure prévue aux paragraphes 6(5) et 6(8) de la Loi est semblable à celui d’une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire qui est accueillie. La personne acquiert le droit de demander le droit d’établissement, sous réserve du respect des exigences en matière d’admissibilité. Il y a toutefois une différence. Lorsqu’il s’agit d’une demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire, la personne qui la présente ne fait pas nécessairement face à un risque pour sa sécurité personnelle si elle retourne dans son pays d’origine alors que, par définition, les membres de la catégorie des DNRSRC courent un risque pour leur vie ou d’être exposés à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain. Le Règlement définit les DNRSRC comme suit [paragraphe 2(1) (mod. par DORS/93-44, art. 1)] :
2. (1) […]
« demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » Immigrant au Canada :
a) à l’égard duquel la section du statut a décidé, le 1er février 1993 ou après cette date, de ne pas reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, […]
[…]
c) dont le renvoi vers un pays dans lequel il peut être renvoyé l’expose personnellement, en tout lieu de ce pays, à l’un des risques suivants, objectivement identifiable, auxquels ne sont pas généralement exposés d’autres individus provenant de ce pays ou s’y trouvant :
(i) sa vie est menacée pour des raisons autres que l’incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats,
(ii) des sanctions excessives peuvent être exercées contre lui,
(iii) un traitement inhumain peut lui être infligé. [Non-souligné dans l’original.]
[156] La Cour a résumé de la manière suivante, au paragraphe 48 de la décision Wang, le critère devant être appliqué sous le régime de l’article 48 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 :
Il est admis qu’il existe un pouvoir discrétionnaire de différer l’exécution du renvoi, bien que les limites de ce pouvoir discrétionnaire ne soient pas définies. L’octroi de ce pouvoir discrétionnaire se trouve dans le même article qui impose l’obligation d’exécuter les mesures de renvoi, une juxtaposition à laquelle il faut accorder tout son sens. Dans son sens le plus large, le pouvoir discrétionnaire de différer ne devrait en toute logique être exercé que dans des circonstances où la procédure à laquelle on diffère peut avoir comme résultat que la mesure de renvoi devienne nulle ou de nul effet. Le report dont le seul objectif est de retarder l’échéance ne respecte pas les impératifs de la Loi. Un exemple de politique qui respecte le pouvoir discrétionnaire de différer tout en limitant son application aux cas qui respectent l’économie de la Loi est de réserver l’exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu’un report pourrait faire que la mesure devienne de nul effet. Dans de telles circonstances, on ne pourrait annuler les conséquences d’un renvoi en réadmettant la personne au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était pendante. Les affaires comme celles-ci, qui causent des difficultés à la famille, sont malheureuses, mais on peut y remédier par une réadmission. [Non-souligné dans l’original.]
[157] Le juge Pelletier a défini de la manière suivante, au paragraphe 50, la portée du pouvoir discrétionnaire des agents de renvoi en ce qui a trait à l’appréciation des risques :
Le pouvoir discrétionnaire à exercer ne correspond pas à une évaluation du risque. Le pouvoir discrétionnaire à exercer consiste à savoir s’il faut déférer à une autre procédure qui peut rendre la mesure de renvoi nulle ou de nul effet, l’objectif de cette procédure étant de déterminer si le renvoi de la personne en cause l’exposerait à un risque de mort ou de sanction extrême. Lorsque la procédure en cause n’a pas déjà été introduite au moment de la demande de report, ou qu’elle n’a été introduite que par suite de la mesure de renvoi, la personne qui exerce le pouvoir discrétionnaire pourrait conclure que la conduite du demandeur n’est pas cohérente avec une allégation de crainte d’être tué ou d’être traité de façon inhumaine. Il ne s’agit pas ici d’une évaluation du risque, mais plutôt de l’évaluation de la bonne foi d’une demande. [Non-souligné dans l’original.]
[158] En résumé, le demandeur affirme correctement que le critère consacré par la jurisprudence Wang résulte d’une observation incidente aux fins de la présente affaire, parce que les faits de l’affaire Wang concernaient l’examen d’une demande de report, qui a été effectué par l’agent de renvoi, en attendant l’obtention ou non de l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision CH, plutôt que la décision de reporter le renvoi en vue de permettre au demandeur de présenter une demande d’ERAR après (ou avant, comme c’est la pratique) l’expiration du délai de 12 mois. Néanmoins, il ne fait aucun doute que le critère a été construit aux fins de l’examen relatif au risque de préjudice qui pourrait se présenter à la suite du renvoi. Ce critère reprend la terminologie employée dans le cadre du processus qui était équivalent à l’ERAR sous le régime du Règlement sur l’immigration, lequel constitue le fondement du critère. Le défendeur reconnaît que les facteurs tirés du Règlement sur l’immigration correspondent à ceux que l’on trouve à l’article 97 de la LIPR : les « sanctions excessives » correspondent aux « peines cruel[le]s et inusité[e]s », alors que le terme « traitement inhumain » peut être considéré comme étant l’équivalent du terme « traitements cruels et inusités ».
[159] Il est aussi vrai que la persécution au sens de l’article 96 n’a pas été prise en compte aux fins du critère. Manifestement, il n’avait pas été jugé nécessaire de procéder au réexamen d’une allégation de persécution dans le cadre du processus de renvoi dans un cas où la demande d’asile fondée sur la persécution venait tout juste d’être rejetée. Je reconnais que, vu l’argument du demandeur fondé sur l’ajout de l’article 97 au processus d’octroi de l’asile et l’intégration de l’article 96 aux nouvelles dispositions relativement à l’ERAR qui ont été mises en œuvre dans la LIPR de 2002, il est certes logique que la persécution doive être prise en considération dans le critère applicable en matière de renvoi. Cependant, à l’inverse, il est tout aussi important de signaler que la question n’a jamais été soulevée avant la présente affaire, malgré qu’elle aurait pu l’être à l’égard de chaque décision portant sur un renvoi où le fondement de la demande de report était une deuxième demande d’ERAR.
[160] La jurisprudence Wang a aussi modifié le critère de la « question sérieuse » qui était utilisé dans la requête en sursis visant à reporter le renvoi en vue de solliciter le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent de renvoi. Le juge Pelletier a déclaré que, puisque la mesure en matière de sursis est la même que celle sollicitée par le recours en contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent de renvoi refuse de reporter le renvoi, le juge qui entend la requête ne doit pas uniquement appliquer le critère de la « question sérieuse », mais il doit aussi se livrer à un examen plus approfondi et se pencher attentivement sur le bien-fondé de la demande au fond.
ii) La jurisprudence Baron
[161] La jurisprudence Wang a par la suite été examinée et appliquée par la Cour d’appel fédérale à l’occasion de l’affaire Baron : un appel avait alors été interjeté d’une décision par laquelle la Cour fédérale [2008 CF 34] avait rejeté une demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent de renvoi de refuser de reporter le renvoi des demandeurs du Canada jusqu’à ce qu’une décision eut été rendue à l’égard de leur demande CH. Ils avaient obtenu le sursis et, lorsque la demande avait subséquemment été instruite par la Cour fédérale, elle avait été rejetée en raison de son caractère théorique. La Cour d’appel fédérale a conclu que la demande n’était pas théorique, mais elle a tout de même rejeté l’appel et, ce faisant, elle a retenu, au stade de l’appel, le critère applicable en matière de renvoi consacré par la jurisprudence Wang. Le demandeur a soutenu que, tout comme la décision Wang, l’enseignement de l’arrêt Baron résultait d’une observation incidente, parce qu’il portait sur une demande CH, et non une demande d’ERAR. Compte tenu des faits, cela est probablement exact, en ce sens qu’en l’espèce, le report est demandé en vue de la présentation d’une demande d’ERAR, plutôt que d’une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire visant la décision défavorable rendue par l’agent d’ERAR, comme c’était le cas dans l’affaire Baron. Cependant, les principes juridiques énoncés par les cours d’appel peuvent avoir, et ont souvent, valeur de précédent, et ce, même si les assises factuelles sont différentes.
[162] Le juge Nadon, qui s’exprimait pour les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baron, a retenu l’exigence, consacrée par la jurisprudence Wang, portant que le juge des requêtes doit se pencher minutieusement sur le bien-fondé de la demande au fond, parce que la mesure accordée dans le cadre d’un sursis est la même que celle sollicitée par le recours en contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent de renvoi a refusé de reporter le renvoi. Cependant, il a aussi signalé que, puisque la norme de contrôle applicable à l’égard de la décision de l’agent de renvoi est la raisonnabilité, « pour obtenir gain de cause dans la demande de contrôle judiciaire par laquelle il conteste cette décision, le demandeur doit être en mesure de faire valoir des arguments assez solides » (Baron, au paragraphe 67).
[163] La raisonnabilité renvoie au critère dégagé dans l’arrêt Dunsmuir, lequel confère une latitude considérable aux décideurs administratifs à l’égard desquels il convient de faire preuve de déférence. Leurs décisions sont jugées raisonnables et ne sont pas annulées dans la mesure où elles appartiennent aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir, aux paragraphes 47 et 53). La faible portée du pouvoir discrétionnaire des agents de renvoi donne à penser que le critère plus strict consacré par les jurisprudences Wang et Baron (« faire valoir des arguments assez solides ») est, en réalité, comparable au critère de la « question sérieuse » requise pour annuler les décisions rendues par les agents d’ERAR ou des agents CH, parce que le pouvoir discrétionnaire dont ils disposent est considérablement plus large avec plus de facteurs à examiner et que, par conséquent, les issues possibles acceptables le sont tout autant.
iii) La jurisprudence Shpati
[164] La Cour d’appel fédérale a eu une occasion supplémentaire de se pencher sur la jurisprudence Wang à l’occasion de l’affaire Shpati, laquelle est un exemple de multiplicité des procédures d’immigration : le demandeur avait sollicité le contrôle judiciaire de trois décisions devant la Cour fédérale [2010 CF 1046, [2012] 2 R.C.F. 108], une décision défavorable quant à l’ERAR, une décision défavorable quant à sa demande CH ainsi que la décision de l’agent de renvoi de refuser de reporter le renvoi. Le jugement de la Cour fédérale sur les trois décisions faisait l’objet d’un examen par la Cour d’appel fédérale.
[165] Le juge Evans a retenu la thèse du ministre selon laquelle, en l’absence d’un sursis prévu par la loi, la Cour fédérale est en temps normal le for compétent pour les demandes provenant de personnes qui cherchent à obtenir le sursis à l’égard de leur renvoi en démontrant qu’elles répondent au critère tripartite d’octroi d’une injonction interlocutoire (Shpati, aux paragraphes 3 et 38 à 40). En retenant cette thèse, il a rejeté l’observation du demandeur selon laquelle le renvoi devrait automatiquement être reporté lorsque la personne visée par celui-ci a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision d’ERAR défavorable.
[166] Le demandeur soutient que l’enseignement professé par la Cour d’appel fédérale à l’occasion de l’affaire Shpati résulte d’une observation incidente et ne s’impose pas en l’espèce, parce qu’il porte sur une décision prise par un agent de renvoi en attendant que l’autorisation de contrôle judiciaire soit accordée ou non à l’égard d’une demande d’ERAR rejetée. En l’espèce, l’agent est tenu d’examiner la question de savoir si une demande d’ERAR aurait dû être présentée. L’agent ne commence pas son examen à partir d’une demande d’ERAR déjà rejetée, comme c’était le cas dans l’affaire Shpati.
[167] Néanmoins, je ne puis retenir la thèse selon laquelle les deux cas sont, en substance, différents. Le demandeur dans la présente affaire vient tout juste d’être débouté par la SPR; un examen exhaustif quant au risque avait été effectué lors de ce processus, de sorte que le demandeur se trouve dans un cas similaire à celui du demandeur dans l’affaire Shpati après le rejet de la demande d’ERAR de ce dernier. Effectivement, compte tenu du fait qu’en l’espèce, la décision de la SPR a déjà été confirmée par le rejet de la demande d’autorisation par la Cour fédérale, alors que, dans l’affaire Shpati, la demande d’autorisation de contrôle judiciaire avait été produite devant l’agent de renvoi; il s’ensuit que le report était davantage probable dans l’affaire Shpati, en raison de la décision visée. Selon moi, l’arrêt Shpati enseigne que l’agent de renvoi a le droit de refuser de reporter le renvoi pour les besoins d’une décision d’ERAR, que ce soit dans l’attente de l’obtention de l’autorisation de procéder au contrôle judiciaire de la décision d’ERAR, ou dans l’exercice du droit de présenter une toute nouvelle demande d’ERAR à la suite de la décision de la SPR.
[168] La Cour d’appel fédérale a retenu à la définition donnée par le juge Nadon à l’occasion de l’affaire Baron à propos du type de nouveau risque que l’agent de renvoi peut examiner, en paraphrasant le critère dégagé par le juge Pelletier à l’occasion de l’affaire Wang, selon lequel « l’exercice […] de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain ». Bien que les observations faites au paragraphe 43 de l’arrêt [Shpati] avaient trait à une demande CH pendante, elles valaient de la même manière pour la décision de l’agent de renvoi quant à la demande d’ERAR en instance, au fond.
[169] Le juge Evans a ajouté que les termes choisis par le législateur pour définir l’obligation principale imposée par la loi, soit de renvoyer les demandeurs d’asile déboutés, circonscrivaient le pouvoir discrétionnaire des agents de renvoi à une liste relativement courte d’éléments pouvant faire en sorte que le renvoi n’ait pas lieu « “dès que les circonstances le permettent ”», conformément à l’article 48. Il a observé que « [l]es agents d’exécution disposent de peu de latitude et les reports sont sensés être temporaires. Les agents d’exécution ne sont pas sensés se prononcer sur les demandes d’ERAR ou de CH ou de rendre de nouvelles décisions à ce sujet » (Shpati, au paragraphe 45).
[170] Il convient de relever que, en ce qui concerne l’affaire Shpati, la Cour d’appel fédérale examinait le refus d’un agent de renvoi de reporter le renvoi en raison de la présentation d’une demande d’autorisation de contrôle judiciaire à l’encontre d’un ERAR défavorable, dans un cas où la période de sursis prévue par la loi quant au renvoi était terminée. Cela aurait été une excellente occasion pour le demandeur de plaider que le critère applicable en matière de renvoi était trop strict parce qu’il ne tenait pas compte des risques de persécution.
[171] Le juge Evans a aussi discuté d’autres questions sur lesquelles il convient de se pencher en l’espèce. Tout d’abord, il a rejeté la thèse portant que le report du renvoi devait être fondé sur la bonne foi du demandeur, contrairement aux observations de la décision Wang. En ce qui concerne l’article 48 de la LIPR, il a observé au paragraphe 48 de l’arrêt :
Je ne souscris pas à cet argument. Tout d’abord, comme la bonne foi constitue, dans ce contexte, une condition très peu exigeante, le report serait accordé presque systématiquement chaque fois qu’un demandeur a introduit une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’ERAR négative. Retenir l’argument de M. Shpati reviendrait presque à reconnaître que la loi permet de surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi dans un cas qui n’est pas expressément prévu par la LIPR, ce qui irait à l’encontre du régime instauré par le législateur, notamment à l’article 48. [Non-souligné dans l’original.]
[172] L’enseignement du juge Evans portant que la condition de la « bonne foi » n’est pas assez strict et qu’il aurait une incidence défavorable sur les reports de renvoi, en ce sens qu’il « reviendrait presque à reconnaître que la Loi permet de surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi » s’applique tout autant au critère de contrôle proposé par le demandeur, comme je l’explique plus loin.
[173] Dans un deuxième temps, le juge Evans restreint la portée de l’enseigmement du juge saisi du recours en contrôle en ce qui a trait à la question du caractère théorique. Ce dernier a observé que le législateur ne pouvait avoir « entendu que “dès que les circonstances le permettent”, un agent d’exécution, qui n’a pas acquis une formation en la matière, puisse priver un demandeur du recours même qu’il lui avait accordé », ce qu’aurait entraîné le caractère théorique de la décision dans cette affaire (Shpati, aux paragraphes 47 et 48).
[174] Le juge Evans a conclu que c’est dans le régime législatif autorisant la présentation d’une requête en sursis du renvoi à la Cour fédérale que l’on trouve la réponse quant à la limite imposée à l’égard du pouvoir discrétionnaire de l’agent en ce qui concerne le possible caractère théorique de l’affaire ou toute difficulté similaire. Le juge s’est exprimé ainsi au paragraphe 51 :
Il n’est pas rare que la Cour fédérale puisse procéder à un examen plus approfondi dans le cadre d’une demande de sursis que ne peut le faire un agent d’immigration dans le cadre d’une demande de report. Cette situation peut se traduire par un certain fractionnement entre la Cour fédérale et les agents d’exécution. J’estime toutefois que c’est bel et bien le mécanisme décisionnel que le législateur a choisi. [Non-souligné dans l’original.]
[175] Ces conclusions sont pertinentes à l’égard des arguments du demandeur concernant les pouvoirs et la compétence des agents de renvoi pour rendre des décisions abordant des questions plus corsées dans le cadre du report du renvoi. La mission de la Cour fédérale consiste non seulement en l’examen des questions juridiques, comme le caractère théorique d’une décision ou les questions fondées sur la Charte, mais surtout, évidemment, en l’appréciation de la raisonnabilité de la décision de l’agent quant au risque.
d) L’étroitesse alléguée du critère applicable en matière de renvoi, du fait qu’il ne tient pas compte des risques de persécution
i) Les thèses des parties
[176] Les parties, avant qu’elles n’obtiennent des directives de la Cour, avaient formulé leurs thèses initiales quant à l’étroitesse du critère applicable en matière de renvoi de manière plutôt simple. Compte tenu des obligations internationales du Canada et de l’article 7 de la Charte, le demandeur a soutenu que la Cour suprême du Canada avait décidé qu’il était nécessaire de procéder à une analyse appropriée quant au risque avant le renvoi ou le refoulement. Par conséquent, le fait que les facteurs de persécution n’étaient pas pris en considération dans le critère applicable en matière de risque constituait une lacune importante qui violait par conséquent les droits fondamentaux du demandeur.
[177] Je retiens la thèse du défendeur portant que la jurisprudence citée par le demandeur n’est pas applicable en l’espèce, parce qu’elle ne se rapporte pas à un processus de renvoi amorcé après une décision défavorable au stade de l’octroi de l’asile, dans le cadre de laquelle le risque auquel le demandeur serait exposé à la suite de son renvoi avait fait l’objet d’un examen complet. La situation appelle un bon nombre de nuances, par rapport aux premières thèses avancées par le demandeur.
[178] À l’inverse, le défendeur a fait valoir que le critère utilisé par l’agent de renvoi avait été jugé constitutionnel, en renvoyant à la jurisprudence Sinnappu. Je conclus, comme c’était le cas à l’égard de la jurisprudence citée par le demandeur en ce qui concerne le risque relativement au refoulement, que l’on peut opérer une distinction entre les faits de l’affaire Sinnappu et les faits en l’espèce, si tant est qu’elle est pertinente. Non seulement cette décision a été rendue avant que le critère ne soit élaboré dans la décision Wang, mais dans cette affaire, la Cour n’était pas exposée au casse-tête que le demandeur soulevait dans ses arguments fondés sur la LIPR : si la décision de la SPR est fondée sur les articles 96 et 97, tout comme l’est la demande d’ERAR suivant la décision de l’agent de renvoi de reporter le renvoi, pourquoi l’étape de contrôle survenue dans l’intervalle ne comprenait-elle pas aussi les facteurs exposés à l’article 96?
[179] Selon le principal argument du défendeur soulevé en réponse à cette question, lequel les protections accordées sous le régime du critère applicable en matière de renvoi au titre de l’article 97 étaient plus étendues que celles prévues à l’article 96, du fait qu’elles n’étaient pas limitées à des catégories de personnes en particulier.
[180] Dans la même veine, le défendeur a fait valoir que le critère relatif à l’article 97 tenait compte du risque dans pratiquement tous les cas où il pourrait s’ensuivre un préjudice attribuable à la persécution au sens de l’article 96, notamment en ce qui concerne la demande du demandeur ainsi que dans la demande connexe dans l’affaire Savunthararasa.
[181] Le défendeur soutient aussi que les actes de persécution se rattachent généralement à des antécédents historiques, lesquels ne sont pas susceptibles de changer à court terme. Il a fait valoir, relativement aux rares risques de persécution qui ne sont pas visés par le critère applicable en matière de renvoi fondé sur l’article 97, que le demandeur pourrait toujours présenter une requête en sursis à la Cour fédérale en invoquant la violation d’un droit garanti à l’article 7 de la Charte.
[182] En ce qui concerne la preuve extrinsèque quant à la faible proportion de décisions favorables au stade de l’ERAR, le défendeur a soutenu qu’il ressort des statistiques que la SPR effectuait un bon examen des risques et que la situation dans les pays en cause n’évolue pas rapidement.
[183] En réplique, le demandeur a contesté l’affirmation du défendeur selon laquelle le critère applicable en matière de renvoi avait une portée plus large que la norme de persécution, en soutenant que le critère devait tenir compte du harcèlement systémique, de la discrimination équivalant à de la persécution et des actes isolés. Il a aussi mis l’accent sur le fait que le risque de persécution suivant le renvoi était prospectif et qu’il n’avait pas à être personnel, en ce sens que le risque pouvait être fondé sur les actes de persécution commis à l’encontre de personnes ayant le même profil ou un profil similaire, surtout en ce qui concerne les personnes déjà victimes de persécution aux mains de l’État.
[184] Étant donné qu’il y avait controverse entre les parties sur la nature et la portée de la jurisprudence où les risques de persécution n’étaient pas visés par le critère applicable en matière de renvoi, je leur ai donné une deuxième directive, par laquelle je leur demandais d’orienter la Cour au moyen d’une certaine forme de preuve empirique concernant des affaires de persécution qui ne concernaient pas des issues préjudiciables pouvant être englobées dans un examen quant au risque de mort, de sanctions extrêmes ou de traitement inhumain. Le demandeur a répondu en produisant des observations ainsi qu’un cahier de jurisprudence qui, selon lui, constituaient des exemples de persécution qui ne seraient pas visés par le critère applicable en matière de renvoi. J’examinerai et je commenterai ces précédents plus loin. Dans l’analyse qui suit, la Cour a tenté de saisir la portée des risques allégués de persécution qui n’étaient pas pris en compte par le critère applicable en matière de renvoi.
ii) L’étendue des risques « résiduels » découlant de la persécution qui ne sont pas pris en compte par le critère applicable en matière de renvoi
a. La discrimination constituant de la persécution par opposition à celle consistant en des difficultés
[185] Je crois comprendre que la persécution visée à l’article 96 de la LIPR constitue une forme de discrimination (différence de traitement liée à l’appartenance à des catégories ou groupes définis de personnes). Cependant, la persécution nécessite que la personne en question subisse un certain préjudice; en deçà de ce seuil, la discrimination est habituellement qualifiée de difficulté ou de harcèlement. Cela est manifeste à la lecture des documents produits par l’avocat du demandeur en réponse à ma deuxième directive. Ces documents comprennent des commentaires tirés du chapitre 3 du mémoire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, chapitre intitulé « La jurisprudence sur la définition de réfugié au sens de la Convention » :
[traduction]
3.1.1.1. Préjudice grave
[…]
L’obligation que le préjudice soit grave a amené la jurisprudence à opérer une distinction entre, d’une part, la persécution et, d’autre part la discrimination ou le harcèlement, la persécution étant caractérisée par la gravité supérieure des mauvais traitements qu’elle comporte.
Saddouh c MCI, [1994] ACF no 129
Sagharichi c MEI, [1993] FCJ No. 796 (CAF)
Naikar c MEI Canada, [1993] FCJ No. 592
Moudrak c MCI, [1998] ACF no 419
On considère parfois que la discrimination et le harcèlement se distinguent de la persécution. Subsidiairement, certaines évocations de la persécution et de la discrimination impliquent que la persécution constitue un élément de la discrimination. Cependant, dans chaque cas, ce qui distingue la persécution d’une discrimination ou d’une discrimination qui ne constitue pas de la persécution, c’est la gravité du préjudice. La Cour d’appel a fait remarquer que « la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer ».
Sagharichi c MEI, [1993] FCJ No. 796 (CAF)
[…]
3.1.2. Actes cumulatifs de discrimination ou de harcèlement
Un épisode unique de mauvais traitement peut être constitutif de discrimination ou de harcèlement, sans pour autant être assez grave pour être vu comme étant de la persécution.
Moudrak c MCI, [1998] ACF no 419
[…]
Malgré cela, des actes de harcèlement qui, individuellement, ne sont pas assimilables à la persécution peuvent cumulativement en être l’équivalent.
Madelat c MEI, [1991] ACF no 49 (CAF)
Retnem c MEI, [1991] ACF no 428 (CAF)
Lossifov c MEI, [1993] ACF no 1318
Mirzabeglui c MEI, [1991] ACF no 50
[186] En ce qui a trait à la distinction entre le harcèlement constituant de la persécution et celui qui ne s’élève pas à ce niveau et qu’il serait davantage approprié d’examiner sous le régime prévu à l’article 25 en ce qui a trait aux difficultés, le juge Muldoon a observé ce qui suit dans la décision Kadhm [Kadhm c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1998 CanLII 7257, [1998] A.C.F. no 12 (1re inst.) (QL), au paragraphe 12] :
Il convient de rappeler que les tribunaux ont généralement reconnu, notamment dans les affaires Rajudeen c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.), 133; Retnam c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) A-470-89, 6 mai 1991 (C.A.); Ovakimoglu c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1983), 52 N.R. 67 (C.A.F.) à la p. 69 et Hassan c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992), 141 N.R. 381 (C.A.F.) que, dans certains cas, le harcèlement peut équivaloir à de la persécution s’il revêt un caractère suffisamment grave et s’il dure, au point où l’on puisse dire qu’il porte atteinte à l’intégrité physique ou morale du demandeur. Les incidents décrits par la requérante dans son témoignage constituaient à n’en pas douter des prémices fâcheuses. Ils nous apprennent que la requérante a été à de multiples reprises harcelée pour lui faire dire où se trouvait son mari. Les membres de la Section du statut ont néanmoins expliqué qu’à leurs yeux ces actes n’étaient ni suffisamment graves ni suffisamment systématiques pour qu’on puisse y voir de la persécution. Or, il existait une réelle possibilité de persécution à l’avenir. Compte tenu du témoignage de la requérante, là où elle affirme avoir été interrogée huit ou dix fois au cours d’une période de six mois du fait qu’elle est l’épouse d’un opposant chi’ite au régime, la conclusion de la Section du statut est déraisonnable. [Non souligné dans l’original.]
De plus, dans l’affaire ci-dessus, la Cour a reconnu la nécessité de rechercher si des incidents multiples de harcèlement dans le passé peuvent donner lieu à une réelle possibilité de persécution dans l’avenir.
b. La nécessité de définir le seuil de la discrimination constituant de la persécution : Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)
[187] Malgré le fait que la jurisprudence citée ci-dessus enseigne que la discrimination par harcèlement doit atteindre un certain degré de gravité pour constituer de la persécution, et malgré le fait que l’on reconnaisse qu’il existe, quelque part, une délimitation entre la discrimination constituant de la persécution et celle consistant en des difficultés, ce seuil n’est pas défini.
[188] Les seuils de risque de préjudice requis pour répondre au critère applicable en matière de renvoi ainsi qu’à l’article 97 peuvent être définis, surtout parce que la protection visée dans ces deux cas est définie en fonction du caractère sérieux du risque de préjudice : la menace à la vie, les peines et traitements cruels et inusités, les sanctions extrêmes et le traitement inhumain. Par contraste, la définition de persécution, qui a été tirée directement du dictionnaire, met l’accent sur le caractère persistent ou systématique des mauvais traitements pour que ceux-ci constituent une forme de harcèlement, mais ne fixe pas le seuil de gravité nécessaire du préjudice pour que celui-ci soit constitutif de persécution. Par l’arrêt de principe Rajudeen (cité plus de 1 000 fois, selon LexisNexis), la Cour d’appel fédérale a ainsi défini la persécution : « “Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d’opinions particulières ou de la pratique d’une croyance ou d’un culte particulier” » (Rajudeen, au paragraphe 14). Vu l’absence de seuil, ou de formulation générale, quant au degré de risque de préjudice nécessaire pour que celui-ci soit constitutif de persécution, il est difficile de comparer la portée de la protection définie avec celle prévue à l’article 97, et cette protection est aussi difficile à déterminer au regard du critère applicable en matière de renvoi. Cela deviendra encore plus évident dans l’analyse de la jurisprudence citée par le demandeur, laquelle, selon lui, expose des risques de préjudice constitutif de persécution qui ne sont pas visés par le critère applicable en matière de renvoi.
[189] La Cour d’appel fédérale a fait remarquer, à l’occasion de l’arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 796 (C.A.) (QL), que [traduction] « la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer ». Cependant, je ne crois pas qu’un juge a entrepris de définir cette ligne de démarcation, et ce, même si celle-ci pourrait être un outil utile, autant pour les affaires ayant trait à la persécution que pour celles concernant les difficultés.
[190] J’ai remarqué, lors de mon examen de la jurisprudence aux fins de comparaison entre le degré de préjudice nécessaire en ce qui a trait à la persécution et celui relatif au critère applicable en matière de renvoi, que la jurisprudence Cheung de la Cour d’appel fédérale semble être pertinente quant à cette question. Elle définissait la persécution ainsi relativement au degré de risque de préjudice : [traduction] « une menace grave ou sérieuse envers l’intégrité physique ou mentale d’une personne ».
[191] La jurisprudence Cheung n’a pas été discutée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans le mémoire cité ci-dessus dans les observations du demandeur, quoique ce mémoire renvoyait à la décision rendue par le juge Muldoon de la Cour fédérale à l’occasion de l’affaire Kadhm c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7257, [1998] A.C.F. no 12 (1re inst.) (QL) (Kadhm). Le juge Muldoon y avait défini un seuil quelque peu similaire pour le préjudice : ce seuil était atteint lorsque le préjudice [au paragraphe 12] « porte atteinte à l’intégrité physique ou morale du demandeur ». Malheureusement, la décision Kadhm ne renvoie pas à la jurisprudence Cheung de la Cour d’appel fédérale, alors que les quatre décisions rendues par la Section de première instance ne définissent pas le concept de persécution comme se rapportant à un risque d’atteinte à l’intégrité physique ou morale de la personne.
[192] Dans l’affaire Cheung, le juge Linden (qui s’exprimait pour la Cour) était appelé à définir le seuil du préjudice nécessaire pour que la menace de la commission d’un acte isolé, soit la stérilisation forcée, soit constitutive de persécution. La cour réformatrice a conclu que cet acte n’était pas constitutif de persécution, dans le cas où il découlait de l’application d’une mesure ayant des objectifs économiques et sociaux généralement acceptables afin de contrôler les effets préjudiciables de la croissance exponentielle de la population en Chine, le pays le plus peuplé. Pour résoudre la question, la Cour d’appel fédérale, par l’arrêt Cheung, a mis l’accent sur la gravité de l’atteinte de la conduite sur l’intégrité physique et mentale de la personne.
[193] Le juge Linden a retenu le seuil de préjudice de la [traduction] « grave atteinte à l’intégrité physique et mentale de la personne » (Cheung, à la page 319), en se fondant sur la doctrine (James Hathaway, The Law of Refugee Status [Toronto : Butterworths, 1991], à la page 125) et la jurisprudence E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388, de la Cour suprême du Canada. En ce qui concerne celle-ci, le juge Linden a observé [à la page 324] : « la Cour suprême du Canada a récemment interdit la stérilisation non-thérapeutique parce qu’elle constitue “atteinte … grave des droits fondamentaux d’une personne”, “dans chaque cas, une grave atteinte à l’intégrité physique et mentale de la personne”, et une “grave atteinte aux droits d’une personne [conduisant au] préjudice physique certain” ».
[194] Je conclus que le risque « d’atteinte sévère ou grave à l’intégrité physique et mentale de la personne » représente judicieusement le seuil insaisissable et absent de risque de préjudice qui constitue une « crainte fondée » aux fins de la définition de la persécution.
[195] De plus, il est raisonnable d’inférer que la définition de réfugié au sens de la Convention contient une certaine notion du seuil de préjudice nécessaire pour que l’intéressé soit considéré comme réfugié au sens de la Convention. L’article 33 de la Convention limite le refoulement d’un réfugié au sens de la Convention qui avait été victime de persécution aux circonstances où « sa vie ou sa liberté serait menacée », ce qui définit le degré de préjudice en termes de résultat de la persécution. Logiquement, le seuil de risque de préjudice employé pour définir le réfugié au titre de la Convention devrait être le même que celui qui permet le refoulement au sens de l’article 33. La nécessité d’assurer une protection à l’égard du risque découlant du refoulement est la même pour la personne à qui l’on accorde qualité de réfugiée que pour celle qui soutient être une réfugiée. Il n’y a aucune raison pour laquelle la définition de réfugié au sens de la Convention ne devrait pas contenir la même expression, dans sa version modernisée, quant au niveau de préjudice nécessaire pour permettre le refoulement, lequel est, selon moi, défini par la jurisprudence Cheung.
[196] Le seuil de préjudice consacré par la jurisprudence Cheung met l’accent sur la nature grave de l’atteinte, c’est-à-dire, son grave effet préjudiciable, qui est le résultat de tout acte répété ou persistant lié à une peine, ou de toute autre mesure qui occasionne un préjudice à un degré qui contraint raisonnablement l’intéressé à fuir son pays et à craindre d’y retourner. L’atteinte à l’intégrité d’une personne peut se rapporter à un risque ou à une crainte d’un incident préjudiciable isolé ou à une série de gestes d’oppression.
[197] Cette formulation, lorsqu’elle porte sur la question de l’intégrité de la personne, aide à dépeindre un portrait de ce que cela signifie d’être réfugié au sens de la Convention, en définissant le risque sérieux de préjudice qui aura une incidence sur le bien-être physique et mental de l’intéressé, au point de détruire ou grandement diminuer l’intégrité physique et mentale du demandeur d’asile, dans l’éventualité où celui-ci retournera dans son pays d’origine.
[198] Je reviendrai à la définition consacrée par la jurisprudence Cheung lorsque j’examinerai le sens devant être donné aux mots « traitement inhumain » dans le critère applicable en matière de renvoi ou à l’expression « traitement cruel et inusité » à l’article 97. Il semblerait que la définition consacrée par la jurisprudence Cheung pourrait tout aussi être utile pour définir le seuil de préjudice aux fins de l’article 97, comme c’est le cas pour l’article 96. S’il était conclu que le degré de risque de préjudice était le même pour les deux dispositions, cela démentirait une grande partie de l’argument du demandeur selon lequel le critère applicable en matière de renvoi est trop strict en raison du fait qu’il fait abstraction des risques de persécution.
[199] Je serais tenté de prime abord, sur le fondement de la jurisprudence Cheung, d’introduire une certaine clarification quant à la définition du seuil de risque de préjudice pour que celui-ci constitue de la persécution; cependant, je reconnais qu’il m’est difficile de tenter d’intégrer une jurisprudence de la Cour d’appel fédérale dans la définition de persécution, compte tenu de la définition de persécution qui a été consacrée depuis longtemps par la jurisprudence Rajudeen, il y a de cela plus de 30 ans. Je procéderai autrement ci-dessous, lorsque je me pencherai de nouveau sur la question dans le contexte de la définition de traitement inhumain, au motif que l’arrêt Rajudeen définit la persécution aux fins de l’article 96, et ce, pour le reste de mon analyse.
c. Les facteurs de risque de persécution « résiduels » ou « non-évalués »
[200] Qu’il existe ou non une définition juridique du seuil de préjudice nécessaire pour qu’il y ait persécution, le fait qu’un tel seuil factuel existe aux fins de la définition de la persécution signifie qu’elle n’est pas simplement une forme de conduite adoptée par un agent (harcèlement persistant ou systématique, entre autres). Elle doit aussi atteindre un seuil de préjudice (nécessairement grave), lequel a été déterminé de manière empirique au fil des années, malgré le fait qu’il n’a pas été défini ailleurs que par la jurisprudence Cheung, et ce, au moyen de milliers de précédents dans lesquels il a été statué quant à la question de savoir si la discrimination alléguée était suffisante pour constituer de la persécution. Par conséquent, il est possible de tirer certaines conclusions d’ordre général, et ce, même s’il n’existe aucune définition pour nous assister dans une analyse comparative quant au risque de préjudice visé par l’article 96, par opposition à celui visé par l’article 97, lors de l’examen de la nature du risque de préjudice constituant de la persécution dans la jurisprudence.
[201] Mon analyse me conduit à la conclusion selon laquelle le défendeur a raison d’affirmer que la plupart de la jurisprudence en matière de persécution est fondée sur des risques de préjudice qui sont appréciés de la même manière qu’ils le sont dans le critère applicable en matière de renvoi (risques de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain). Les limites des risques de persécution à l’égard desquels une protection doit être offerte, car il s’agit d’un droit fondamental visé par l’article 7, pourraient être les cas de risques de préjudice constitutifs de persécution qui ne sont pas pris en compte par le critère applicable en matière de renvoi. Je qualifierai ces facteurs de risque de persécution de « résiduels » ou « non-évalués ».
[202] Le défendeur soutient que ces facteurs de risque de persécution non-appréciés et résiduels sont rares. De plus, ils constituent nécessairement les cas de persécution les moins graves qui ne sont pas pris en compte par le critère applicable en matière de renvoi, lequel tient compte de tous les risques les plus sérieux de préjudice découlant de la persécution. Le défendeur soutient donc que l’on ne peut affirmer qu’un critère plus souple en ce qui a trait aux risques de persécution résiduels lors du renvoi constitue une norme fondamentale qui est essentielle à l’exercice de la justice au Canada.
iii) La nature et la portée du risque relatif au renvoi des demandeurs Peter et Savunthararasa
[203] Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel le risque de préjudice découlant de la persécution, en l’espèce et dans le cas de M. Savunthararasa (dont les affirmations sont les mêmes que celles du demandeur ou y sont similaires), serait visé par le critère applicable en matière de renvoi. Cela peut être constaté autant à partir de la preuve tirée des exposés circonstanciés de chaque demandeur que de celle tirée des documents sur la situation dans le pays en cause qu’ils ont présentés.
a. Les exposés circonstanciés
[204] Dans son exposé circonstancié, le demandeur connexe, M. Peter, a tout d’abord déclaré qu’il avait été arrêté et torturé en 2010. Il avait initialement allégué avoir été mêlé, sans le vouloir et sans motif pour ce faire, aux activités d’un dénommé Ruban qui avait prétendument été arrêté par les autorités. Le demandeur craignait d’être détenu, enlevé et battu s’il devait retourner au Sri Lanka, en raison de ses liens avec Ruban, parce qu’il a été allégué que la carte du demandeur avait été retrouvée sur Ruban.
[205] La version modifiée de l’exposé circonstancié que M. Peter a présentée à l’agent de renvoi est considérablement différente de celle qu’il avait relatée devant la SPR. M. Peter a renoncé à invoquer ses liens avec Ruban, ou il a à tout le moins renoncé à en faire sa principale motivation pour quitter le Sri Lanka. Il allègue qu’il n’a pas dit la vérité devant la SPR, en suivant le conseil d’un traducteur, conseil qu’il aurait apparemment préféré à celui de son avocat. Les incidents concernant Ruban qu’il expose maintenant se seraient produits en 2006. Par une déclaration produite à l’agent de renvoi, il a allégué qu’entre 2006 et 2010, il était chauffeur pour l’organisme CARE, un organisme d’aide internationale. Un employé de CARE a tenté d’assassiner le secrétaire de la Défense, et des accusations ont donc été portées à l’encontre de l’organisme. Des agents de renseignement auraient régulièrement fait arrêter le véhicule du demandeur et fouillé ce véhicule, et ils se seraient rendus à son domicile au moins une fois par mois, et parfois aussi souvent que cinq fois par mois. Le demandeur a affirmé, dans sa déclaration à l’agent de renvoi, qu’il craignait d’être arrêté, torturé ou tué chaque fois que les agents du renseignement se rendaient chez lui. Après avoir discuté avec d’autres chauffeurs de CARE qui vivaient les mêmes problèmes que lui, et après s’être caché des agents du renseignement, parce qu’il craignait pour sa sécurité, il a quitté le Sri Lanka et il est venu au Canada, où il a demandé l’asile.
[206] Le demandeur Savunthararasa allègue qu’il a été blessé au cours d’un bombardement à Puthumathalan, au Sri Lanka, en février 2009. En mai 2009, il a été détenu par un groupe d’hommes cinghalais et tamouls qui s’était présenté dans un véhicule militaire. Ils l’ont interrogé à propos de ses liens avec les TLET, ont examiné ses blessures et l’ont averti de ne pas rester à Vavuniya. Ils l’ont aussi averti de ne pas porter plainte auprès de la police, en affirmant qu’ils seraient mis au courant s’il devait le faire. Ce que je retiens de cet élément de preuve est que des représentants de l’État ont menacé de lui causer un préjudice personnel s’il ne déménageait pas à un autre endroit au Sri Lanka ou s’il relatait les menaces que la police lui avait proférées à d’autres autorités.
b. La situation dans le pays en cause
[207] Les arguments des demandeurs étaient étayés par une abondante preuve documentaire dans laquelle les limites et les lacunes du cadre juridique, politique et militaire du Sri Lanka étaient énumérées. On y renvoyait à l’absence de droit à l’autodétermination, au refus d’accepter les normes internationales et de coopérer avec les mécanismes et institutions de défense des droits de la personne, ainsi qu’aux lacunes des infrastructures juridiques, institutionnelles et politiques.
[208] En ce qui a trait à la persécution, la preuve faisait état des différentes formes de lacunes de l’examen pour assurer l’équité, l’absence de discrimination ainsi que le respect des divers droits inscrits dans les conventions internationales mentionnées. Une répartition des groupes ethniques et des minorités au Sri Lanka a aussi été produite.
[209] Cependant, l’aspect le plus important sous la rubrique des droits en matière d’équité et d’absence de discrimination était la mention du profil personnel des demandeurs d’asile, lequel, selon eux, donnait lieu à un risque de persécution ou de torture au Sri Lanka en raison de leur origine ethnique tamoule. Les éléments suivants étaient notamment signalés :
• leur résidence dans un pays « occidental »;
• leur statut de demandeur d’asile débouté dans un pays « occidental »;
• des antécédents en matière de critique et de protestation contre le gouvernement sri lankais;
• le fait d’avoir quelque lien, réel ou imaginaire, avec les TLET, sans égard à la durée de ce lien, à l’importance objective de celui-ci, ou même à sa rationalité;
• le fait de faire partie du cercle d’amis ou de la famille d’une personne prise pour cible;
• le fait de faire partie d’un groupe d’âge visé — cela semble surtout mettre l’accent sur les jeunes adultes et les adultes d’âge moyen (ou, comme il a habituellement été mentionné dans la plupart des autres causes devant la Cour, les hommes).
[210] De toute évidence, ces critères engloberaient un pourcentage important de la population tamoule qui présente une demande d’asile au Canada. Non seulement ces critères découlent du simple fait de vivre dans un pays occidental et de demander l’asile, mais il n’est même pas nécessaire que la menace alléguée repose sur quelque fondement raisonnablement fondé. On dit aussi de la menace qu’elle découle de relations ou de liens avec des membres de la famille, des amis, des organisations d’aide humanitaire ou des personnes non-identifiées qui auraient été prises pour cible ou victimes de mauvais traitements, comme c’était le cas pour Ruban dans l’exposé circonstancié de M. Peter.
[211] En l’espèce, la preuve à l’appui de ces allégations a été présentée sous plusieurs titres et sous-titres désignés ainsi [traduction] : Le droit à l’intégrité physique et morale (Les meurtres et morts en détention au Sri Lanka, L’interdiction de la torture et la pratique de la torture au Sri Lanka, La torture des demandeurs d’asile déboutés à leur retour au pays, Les conditions de détention); Le droit à la liberté et à la sécurité (Enlèvements, Disparitions forcées, Arrestations arbitraires, Arrestations et détentions arbitraires, Détention et habeas corpus); Le droit à une mesure appropriée; L’impunité des mesures étatiques. Dans tous les cas, l’accent était mis sur les menaces qu’un grave préjudice personnel soit infligé à des Tamouls, menaces appuyées par des références, notamment des centaines de notes de bas de page ainsi qu’une quantité impressionnante de pages de rapports, d’articles de journaux, etc.
[212] Les observations dont disposait l’agent de renvoi contenaient, en comparaison, peu de références à l’égard des menaces envers la sécurité économique des Tamouls et des restrictions quant à leurs droits en matière culturelle. On renvoyait aux éléments de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme [Rés. AG 217 A (III), Doc. NU A/810, à la p. 71 (1948)] (la DUDH) et à l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 46] (le PIRDESC). Les observations faisaient aussi état des restrictions quant à la vie culturelle de la communauté tamoule, comme celle concernant son droit d’apprécier les arts et de participer au partage des progrès scientifiques et de leurs avantages, entre autres. On y renvoyait aussi au fait que les Tamouls étaient menacés par le processus de cinghalisation, au moyen de diverses formes d’assimilation culturelle. Ces issues préjudiciables de la persécution font partie de la catégorie de celles que je considérerais comme étant à l’extérieur du cadre du risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain selon le critère applicable en matière de renvoi, quoique j’affirme cela en ne sachant pas quelles mesures d’exécution accompagnaient ces politiques; ce type de politique emporte parfois des menaces de préjudice personnel.
[213] Malgré le fait que la preuve des demandeurs fait peu mention des violations des droits en matière économique et culturelle, je conclus que les allégations des demandeurs selon lesquelles ils auraient une crainte fondée à leur retour au Sri Lanka seraient directement rattachées à la détention et au préjudice physique qui atteint un seuil qui doit être apprécié selon le critère applicable en matière de renvoi.
iv) Les exemples de précédents quant au risque de persécution résiduel
[214] Le demandeur a fourni, lorsque je lui ai demandé de me citer de la jurisprudence où le risque de préjudice découlant de la persécution n’était pas visé par le critère applicable en matière de renvoi, une description de la jurisprudence accompagnée d’un cahier de la jurisprudence qui contenait 30 décisions dans lesquels la Cour fédérale a conclu à de la persécution qui, selon le demandeur, ne répondait pas aux exigences relatives au risque du critère applicable en matière de renvoi.
[215] Je conclus, en me fondant sur mon examen des faits de cette jurisprudence, que 20 des 30 décisions citées par le demandeur ont trait à des circonstances où le risque de préjudice serait visé par le critère applicable en matière de renvoi. Cela comprend les menaces de mort, l’incarcération illégale sans motif pour une période importante ou le fait d’être battu lors d’un interrogatoire.
[216] Dans certaines de ces 20 décisions, les incidents graves de préjudice personnel avaient eu lieu dans le passé, mais ils avaient été suivis par un harcèlement continu, au point de donner lieu à une crainte fondée que ceux-ci se produisent à nouveau. Cela comprend notamment la décision Retnem c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 428 (C.A.) (QL) (Retnem), qui a été qualifiée dans le mémoire de la CISR de cas où les actes de harcèlement, examinés de manière isolée, n’étaient pas assimilables à la persécution. Cependant, dans cette affaire, la Cour devait se pencher, entre autres, sur un acte grave de persécution, qui consistait en une période de détention et de torture de deux semaines en 1984, et elle a conclu que cet acte était encore pertinent pour constituer le fondement d’une crainte, lorsque conjugué avec tous les actes de harcèlement antérieurs et subséquents d’une gravité moindre dont le demandeur avait été victime. Je conclus que, dans l’affaire Retnem, les incidents graves ayant eu lieu antérieurement constituaient toujours le fondement d’une crainte fondée. J’ai aussi inclus dans la catégorie des affaires comportant des mauvais traitements graves les cas de menace de stérilisation ou d’avortement forcés, lesquels constituent, selon moi, des formes de traitements inhumains selon le critère applicable en matière de renvoi. J’ai néanmoins mis l’accent, dans les passages ci-dessous, sur les cas où la conduite était bel et bien visée par le critère applicable en matière de renvoi.
[217] J’ai énuméré les dix autres décisions par ordre chronologique et j’ai brièvement défini la nature du risque de préjudice qui était allégué. J’ai souligné certaines des circonstances qui se rapprochaient de risques sérieux de préjudice.
1. Amayo c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1982] 1 C.F. 520 (C.A.)
• Très peu de faits sont exposés.
• La C.A.F. a conclu que le demandeur a fait l’objet de persécution aux mains de divers agents sur son lieu de travail ainsi qu’après son congédiement, pendant sa période de chômage avant de venir au Canada, et que tous ces actes étaient attribuables à ses anciennes activités et opinions politiques.
2. Mirzabeglui c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 50 (C.A.) (QL); Madelat c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 49 (C.A.) (QL)
• Le fils et la fille de la demanderesse ont tous les deux été expulsés de l’école musulmane.
• La fille de la demanderesse a par la suite été expulsée d’une école juive en raison des antécédents de l’époux de la demanderesse : il était un sympathisant antigouvernemental, il avait été arrêté et il avait été détenu pendant trois semaines.
3. He c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1243 (C.A.) (QL)
• La demanderesse a été arrêtée et elle a été détenue pendant plus d’un mois en raison de sa participation à des manifestations en faveur de la démocratie, jusqu’à ce qu’elle signe un aveu sous la contrainte.
• La demanderesse a perdu son poste d’enseignante par la suite, et on a refusé de lui accorder une carte de travail qui lui aurait permis d’occuper un autre emploi.
• La demanderesse a été contrainte de vivre au sein d’une communauté agricole en région rurale et de se tourner vers l’agriculture pour subvenir à ses besoins.
4. Xie c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 75 F.T.R. 125 (C.F. 1re inst.)
• Le demandeur a été arrêté et détenu au poste de police municipal pendant deux jours, et ensuite détenu pendant environ deux mois en raison de sa participation à un soulèvement étudiant.
• Le demandeur a été mis en liberté, mais il devait se rapporter à la police sur une base régulière; il a par la suite été rapatrié dans sa ville natale.
• Le nom du demandeur a été placé sur une « liste noire », ce qui l’empêchait d’obtenir un emploi ou de retourner à l’école afin d’accroître ses compétences.
5. Fathi-Rad c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 506 (1re inst.) (QL)
• La demanderesse a été congédiée de manière injustifiée, du fait de ses activités et opinions politiques.
• La demanderesse a commencé à recevoir des menaces par téléphone; les auteurs de ces menaces étaient des personnes qui alléguaient être des gardiens de la révolution.
• La demanderesse a été arrêtée et détenue et était interrogée environ une fois aux deux mois en raison de son défaut de se conformer au code vestimentaire islamique.
6. Namitabar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 42 (C.A.)
• La demanderesse a été menacée de se faire expulser de son école et elle a été renvoyée à la maison pour une journée en raison de ses déclarations allant à l’encontre du code vestimentaire islamique.
• La demanderesse a été amenée devant le komiteh à deux reprises pour avoir désobéi au code vestimentaire islamique et elle a été interrogée, puis réprimandée de vive voix, en raison du fait qu’elle portait le tchador d’une manière inadéquate.
• La demanderesse a été accusée de conduite antiislamique et elle a été condamnée à une peine de dix coups de fouet ou à une amende de 10 000 tomans.
7. Lerer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 31 (1re inst.) (QL)
• Les demandeurs ont été expulsés de leur domicile familial par un groupe politique qui avait été autorisé à les exproprier en raison de leur origine ethnique juive.
• Les demandeurs ont été visés par des slogans antisémites.
• Les demandeurs n’ont pas eu droit aux coupons alimentaires, ont vu leurs comptes bancaires bloqués et leurs prestations de retraite retenues.
• Des policiers se sont présentés à leur domicile, ils leur ont demandé de l’argent et les ont menacés de leur causer du tort.
• Les demandeurs ont été convoqués au ministère de la Sécurité nationale et on leur a demandé des renseignements à propos d’étrangers.
• Des personnes inconnues ont fracassé une vitrine de leur domicile et ont lancé un chiffon imbibé d’essence à travers la fenêtre cassée.
8. Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1392 (1re inst.) (QL)
• La demanderesse mineure ne pouvait fréquenter l’école parce qu’elle était une fille en Afghanistan sous le régime taliban, et elle aurait fait l’objet d’actes de violence si elle avait tenté d’obtenir de l’instruction.
9. Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 16201 (C.F. 1re inst.)
• Le demandeur accueillait des groupes de prière et il affirmait que le Bureau de la sécurité publique avait effectué une descente dans ses locaux et avait arrêté un adepte âgé.
• Le demandeur était exposé à une courte période de détention, à une amende ou à un programme de rééducation.
10. Kadhm
• La demanderesse était régulièrement interrogée par le gouvernement au sujet des allées et venues de son époux; on l’a menacée d’emprisonnement et on lui a dit que si elle ne donnait pas de renseignements, elle serait punie, parce qu’elle avait déserté les forces armées.
• La demanderesse craignait d’être enlevée et gardée en détention pour contraindre son époux à sortir de sa cachette, ce qui est une technique bien connue.
[218] Mes observations fondées sur cet échantillon plutôt limité de jurisprudence comportent deux volets. Premièrement, la jurisprudence citée par le demandeur a confirmé de façon générale la thèse du défendeur selon laquelle il semble rare que des affaires de persécution comportant des risques de préjudice dans lesquelles on a eu gain de cause ne soient pas visées par le critère applicable en matière de renvoi. Cela confirme mon examen de la nature des demandes d’asile déboutées soumises à la Cour, qui sont généralement semblables aux deux affaires faisant l’objet du présent contrôle et qui comportent des allégations de risque sérieux de préjudice mises en jeu par le critère applicable en matière de renvoi.
[219] Deuxièmement, il semble que les affaires de risque de persécution moins sérieux soient plus rares ces derniers temps. Je n’ai été saisi d’aucune affaire de persécution ayant trait à des préjudices moins graves datant de moins de 15 ans. Bien que je ne donne pas à penser qu’un certain nombre d’autres affaires de persécution moins grave, dans lesquelles on a eu gain de cause, n’ont pas été soumises au cours de cette période de temps ou avant celle-ci, la jurisprudence citée par le demandeur semble marginale et non-représentative de la majorité des affaires de persécution, lesquelles comportent normalement les risques énoncés à l’article 97 de la LIPR.
[220] On pourrait prétendre que certaines des affaires exposées ci-dessus dans lesquelles il est question de restrictions en matière d’emploi, d’études et d’autres situations semblables et qui ne comportent aucun préjudice personnel pourraient être considérées, en ce qui concerne les demandes CH, comme étant des exemples probants de difficultés occasionnées par la discrimination. Cela correspond à ce qui, selon moi, constitue une tendance à opérer une distinction plus claire entre les affaires de risques sérieux et les affaires de difficultés. Par exemple, par l’arrêt qu’elle a récemment rendu à l’occasion de l’affaire Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, [2015] 1 R.C.F. 335, la Cour d’appel fédérale a exposé de manière générale, au chapitre des risques, aux paragraphes 68 et 69, les facteurs énoncés aux articles 96 et 97 de la LIPR :
Les personnes qui présentent une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) ne répondent pas aux exigences minimales permettant de se prévaloir des dispositions des articles 96 et 97 de la Loi. Ils n’ont pas satisfait aux facteurs de risque faisant jouer ces articles, plus précisément le risque de persécution, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités, en conformité avec les conventions internationales.
Le paragraphe 25(1.3) prévoit en fait que le processus de demande de dispense pour considérations humanitaires ne doit pas faire double emploi avec les processus fondés sur les articles 96 et 97 de la Loi, qui concernent l’évaluation des facteurs de risque aux fins de ces articles. [Non-souligné dans l’original.]
v) Conclusions sur l’étendue du risque non-protégé
[221] Au final, la question fondamentale soulevée dans la présente section est celle qui consiste à savoir s’il y a des personnes qui ont été renvoyées et qui, si elles étaient restées, auraient obtenu une décision favorable à la suite d’un ERAR. Je conclus, en réponse à cette question, après avoir analysé un certain nombre de facteurs, qu’il y a très peu d’affaires de persécution qui ne sont pas visées par le critère applicable en matière de renvoi et à l’égard desquelles une décision favorable pourrait être rendue à la suite d’un ERAR.
[222] Premièrement, comme je l’ai déjà souligné, les chances de réussite pour l’ensemble des demandes d’ERAR présentées au titre de l’article 96 et au titre de l’article 97 de la LIPR sont extrêmement faibles. Il en ressort que la SPR s’acquitte fort bien de sa mission en matière d’évaluation des risques. Cela prouve également que les risques dont il est question dans un ERAR sont minimes. Il est donc raisonnable de conclure que, étant donné les faibles chances de succès, seules les demandes d’ERAR fondées sur des risques sérieux de préjudice occasionnés par la persécution, c’est-à-dire les risques visés par l’article 97 de la LIPR, seraient accueillies.
[223] Deuxièmement, vu la jurisprudence plutôt fragmentaire portant sur la persécution citée par le demandeur à la demande de la Cour, il semble également y avoir peu d’affaires comportant des risques non-visés par l’article 97 de la LIPR, surtout depuis quelque temps. Cette conclusion s’appuie sur les faits de l’espèce qui exposent des risques de l’ordre des sanctions excessives ou des traitements inhumains, risques qui sont visés par l’article 97 de la LIPR. On aurait pu penser que, dans une cause type, les faits démontrant que l’on a omis de vérifier si les facteurs énoncés à l’article 96 de la LIPR sont visés auraient sauté aux yeux de la Cour.
[224] Troisièmement, la définition de la persécution comme constituant une forme de mauvais traitements systématiques ou constants suppose que, dans la plupart des cas, les mauvais traitements auront été infligés à plusieurs reprises au demandeur ou, à tout le moins, à des personnes se trouvant dans la même situation que lui. Cela est particulièrement vrai s’il est question de harcèlement qui dure depuis tellement longtemps qu’il équivaut à de la persécution. Cet élément de preuve aura déjà fait l’objet d’un examen de nature prospective de la part de la SPR. Je retiens également la thèse du défendeur portant que si l’on ne disposait d’aucun élément de preuve de persécution continue ou systématique lors de l’audience de la SPR, il est peu probable que l’on dispose dans les 12 mois suivants de nouveaux éléments de preuve convaincants permettant de conclure à l’existence d’une persécution continue ou systématique. Cette éventualité est encore moins probable lorsque la personne a déjà quitté le pays. Par ailleurs, si de nouveaux risques se manifestent, ils devront nécessairement être différents sur le plan de la nature ou de l’importance, de sorte qu’ils seront probablement visés par les facteurs de risque énoncés à l’article 97 de la LIPR et que l’issue s’en trouvera modifiée.
[225] Quatrièmement, étant donné que l’évolution de la situation dans le pays en cause doit avoir une certaine importance pour être pris en compte dans le cadre d’une demande d’ERAR, il se pourrait très bien qu’ils obligent le ministre à dispenser les ressortissants de pays ou de régions de pays où la situation s’est détériorée. Une telle mesure pourrait être prise par règlement grâce à l’application de l’alinéa 112(2)b.1) (LIPR, paragraphe 112(2.1)). On a déjà adopté une mesure semblable afin de dispenser des ressortissants d’un certain nombre de pays, notamment le Mali et la Syrie. Je relève toutefois que les réfugiés provenant de ces pays faisant l’objet d’une dispense seront de toute façon probablement protégés au titre du risque de préjudice visé par l’article 97 de la LIPR et au titre du critère applicable en matière de renvoi. Néanmoins, le recours au RIPR afin de dispenser des ressortissants de pays désignés réduit davantage le nombre de demandes pouvant comporter un risque de préjudice rattaché à la persécution qui n’est pas visé par le critère applicable en matière de renvoi.
[226] Ma conclusion selon laquelle le droit allégué ayant trait aux risques de persécution qui ne sont pas appréciés dans le cadre de l’application du critère applicable en matière de renvoi est presque négligeable soulève la question de savoir s’il est possible de délimiter le risque allégué de préjudice occasionné par le renvoi de manière à engager la protection de la Charte.
e) La portée non-vérifiée des traitements cruels et inusités ou inhumains
[227] Selon moi, la question de la portée relative de la protection accordée par les articles 96 et 97 de la LIPR n’a jamais été soulevée avant la présente affaire. Plus précisément, on ne s’est jamais penché sur la question de savoir si la persécution constitue une forme de traitement inhumain ou cruel et inusité au sens de l’article 97 et du critère applicable en matière de renvoi.
[228] Le mot « traitements » qui figure à l’alinéa 97(1)b) de la LIPR et dans le critère applicable en matière de renvoi a une portée très large. Il vise toutes les formes possibles de comportement, d’acte, d’activité, et de coutume. Les mauvais traitements, comme la persécution, constitueraient une forme de traitement. Le mot « traitements » viserait également le harcèlement ou des comportements ou des actes répétés qui visent à infliger ou qui ont pour effet que soient infligés des peines cruelles et inusitées ou des traitements inhumains.
[229] Certes, les traitements inhumains ne comprennent pas le harcèlement exercé au moyen de « traitements vexatoires » qui figurent dans la définition de persécution consacrée par l’arrêt de principe Rajudeen. Comme je l’ai déjà souligné, la Cour d’appel [fédérale], à l’occasion de l’affaire Rajudeen, a ainsi défini la persécution : « [h]arceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d’opinions particulières ou de la pratique d’une croyance ou d’un culte particulier » (Rajudeen, au paragraphe 14).
[230] Il est difficile de comprendre comment des « traitements vexatoires » peuvent donner naissance à une crainte fondée. Je ne connais aucune affaire de persécution où sont évoqués les traitements vexatoires. Il est également difficile de concevoir de quelle manière les traitements vexatoires pourraient constituer un élément qui engagerait la protection de l’article 7 de la Charte. Mis à part les mots « traitements vexatoires », la définition de persécution consacrée par la jurisprudence Rajudeen, par des mots comme « harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels », « tourmenter sans répit » et « tourmenter ou punir », correspond très bien aux mots utilisés à l’article 97 de la LIPR. À l’inverse, le mot « inhumains » qui est utilisé pour qualifier la gravité du traitement examiné dans le cadre de l’application du critère applicable en matière de renvoi, est également large. Le dictionnaire en ligne Oxford définit le mot « inhumain » comme signifiant [traduction] « [s]ans compassion à l’égard de la misère ou de la souffrance; cruel ».
[231] En outre, la philosophie de l’alinéa 97(1)b) ne constituait pas à exclure la protection contre les risques de préjudice dont la gravité est la même que celle des préjudices découlant de la persécution au titre de l’article 96. Les protections offertes par l’article 96 étaient manifestement trop strictes parce qu’elles ne protégeaient que les membres de certains groupes ou certaines catégories de personnes. D’autres personnes qui n’appartenaient pas à l’une des catégories de personnes énumérées à l’article 96, mais qui étaient victimes de persécution, comme les personnes ciblées par des organisations criminelles ou les personnes victimes de vendetta, avaient besoin d’une protection semblable à celle offerte par l’article 96.
[232] À première vue, la persécution semble être une forme particulière de traitements inhumains ou de traitements cruels et inusités. Si les traitements inhumains comprennent la persécution, la jurisprudence Cheung pourrait sembler donner une définition uniforme pour déterminer le seuil du risque de préjudice exigé au titre de l’article 96 et de l’article 97. Si le critère servant à déterminer le seuil du préjudice qui joue en ce qui concerne la persécution est défini comme étant « une grave atteinte à l’intégrité physique et mentale de la personne », il pourrait également sembler définir le seuil du préjudice en ce qui concerne les traitements inhumains.
[233] Mise à part la question des normes juridiques différentes applicables à l’article 96 et à l’article 97 et certaines des restrictions imposées quant à l’article 97, la situation se traduirait par un certain degré de symétrie au droit d’asile prévu dans la LIPR. En plus d’éliminer une partie de la complexité du droit d’asile, il limiterait ce qui est probablement le traitement différent injuste qui opère une distinction entre les demandeurs d’asile et qui marque actuellement profondément le processus d’asile. Nous disposerions également, dans le cadre des demandes CH, de certains moyens permettant d’opérer une distinction entre la discrimination fondée sur la persécution et celle fondée sur les difficultés.
[234] Si les articles 96 et 97 définissaient de la même façon le degré de risque de préjudice requis, une grande partie de la plainte du demandeur selon laquelle le critère applicable en matière de renvoi est trop strict serait réglée.
[235] Par ailleurs, la détermination de la portée du préjudice contre lequel on veut assurer une protection par les mots « traitement inhumain » illustre le problème que pose la thèse du demandeur. Celui-ci avance un nouvel argument à propos d’un critère qui est utilisé depuis plus de dix ans, et il ne fait état d’aucun fait permettant à la Cour de rechercher si un quelconque risque de persécution qui n’aurait prétendument pas été évalué se rattacherait néanmoins à la catégorie des traitements inhumains.
f) Lorsque le renvoi peut avoir comme résultat que la mesure prise par l’agent de renvoi devient nulle
[236] Le juge Pelletier, à l’occasion de l’affaire Wang, a ajouté cette réserve que le renvoi ne doit être reporté que « dans des circonstances où la procédure à laquelle on défère peut avoir comme résultat que la mesure de renvoi devienne nulle ou de nul effet » (Wang, au paragraphe 48). Il a relevé que, dans les cas de menace à la vie, de risque de sanctions excessives ou de traitement inhumain, la mesure de renvoi peut devenir de nul effet malgré qu’elle ait été annulée en contrôle judiciaire, ce qui distingue la situation du risque évalué dans le cadre de l’ERAR d’avec la situation dans laquelle il est question d’un renvoi comportant des questions d’ordre humanitaire. Il observe au paragraphe 48 :
[…] Dans de telles circonstances, on ne pourrait annuler les conséquences d’un renvoi en réadmettant la personne au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était pendante. Les affaires comme celle-ci, qui causent des difficultés à la famille, sont malheureuses, mais on peut y remédier par une réadmission.
[237] À l’occasion de l’affaire Shpati, le juge Evans a souligné, dans un cas à peu près semblable, que le renvoi de l’intéressé ne portait pas nécessairement atteinte au droit que possédait celui-ci en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales de présenter une demande de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue à la suite d’un ERAR. La Cour a proposé que le défendeur permette au demandeur, s’il avait gain de cause, de revenir au Canada en attendant qu’une nouvelle décision soit rendue au sujet de sa demande d’ERAR.
[238] Dans les cas où la persécution se situe à l’extrémité inférieure de l’échelle de gravité du préjudice (c.-à-d. aucun risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain), la situation causée par le renvoi ne serait pas grave (p. ex., être victime de harcèlement constant) au point que, si le demandeur avait gain de cause dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent de renvoi, il ne pourrait pas être réadmis au Canada afin de présenter une demande d’ERAR. Les conséquences du renvoi ne seraient donc pas définitives en ce qui concerne la possibilité de présenter une demande d’ERAR.
g) Aucun antécédent de persécution soulevé dans le cadre du renvoi
[239] Avant l’introduction de la LIPR en 2002, la persécution n’était pas un des éléments qui, selon le Règlement sur l’immigration, devaient être pris en compte dans le cadre d’un ERAR. Autrefois, dans le cadre de l’équivalent de ce qui est aujourd’hui la décision de la SPR, on faisait un examen limité des allégations de persécution au sens de l’article 96. Si la SPR n’accueillait pas la demande du demandeur, celui-ci avait droit, en vertu du Règlement sur l’immigration, à une forme d’ERAR dans le cadre duquel on évaluait, à titre de norme, le risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain que comportait le renvoi.
[240] La LIPR a donné naissance à l’article 97 et à l’ERAR, tout en prévoyant que les demandes adressées à la SPR et les demandes d’ERAR seraient présentées sur le fondement des facteurs énoncés aux articles 96 et 97. Néanmoins, le critère applicable en matière de renvoi consacré par la jurisprudence Wang, lequel critère n’est fondé que sur les facteurs énoncés à l’article 97, a été suivi pendant plus de dix ans sans être contesté au motif qu’il était trop strict parce qu’il ne prenait pas en compte la persécution visée à l’article 96. Cet élément aurait pu, par exemple, être soulevé à l’occasion de l’affaire Shpati. Par conséquent, avant l’entrée en vigueur, en 2002, de la LIPR, et au cours de la décennie qui a suivi, l’examen relatif au renvoi n’était fondé que sur les facteurs énoncés à l’article 97.
[241] Je souscris à la thèse du demandeur portant que le fait que le critère applicable en matière de renvoi n’a jamais fait l’objet d’une contestation jusqu’à l’heure actuelle ne le rend pas conforme à la Charte. Les facteurs historiques ne sont pas déterminants quant à la question de savoir si une règle particulière doit être considérée comme étant un principe de justice fondamentale (voir l’arrêt Rodriguez, aux pages 591 et 592). Néanmoins, vu que nul n’a reconnu, ou soulevé le problème posé par la portée étroite de la protection en raison du défaut allégué, pendant plus d’une décennie, de vérification de la possibilité de persécution après le renvoi, l’on peut en inférer que les contestations du critère applicable en matière de renvoi sont liées aux facteurs connexes, et non pas au critère proprement dit. On peut inférer du défaut d’invoquer le droit allégué prévu par la loi pendant aussi longtemps qu’il n’existe pas de consensus quant à savoir si, selon notre conception de la justice, il a un caractère primordial ou fondamental.
h) Norme d’appréciation, contrôle selon un seuil moins élevé, examen de la question de savoir s’il faut renvoyer à un agent d’ERAR ou à un agent CH
[242] Aux paragraphes 54 à 57 et au paragraphe 59 de son mémoire additionnel des faits et du droit, le demandeur invoque un certain nombre d’arguments visant à démontrer que le critère applicable en matière de renvoi comporte des lacunes. Il soutient que, pour corriger ces lacunes, il faut retenir un autre critère que doit suivre l’agent de renvoi. Le demandeur soutient que le pouvoir de l’agent doit se limiter à rechercher si la preuve (qui n’a pas déjà été examinée et qui ne se révèle pas en soi impossible à être crue) est suffisante pour soulever la possibilité qu’un agent d’ERAR puisse conclure que le demandeur ne devrait pas être renvoyé parce qu’il « craint avec raison d’être persécuté » ou parce qu’il a « qualité de personne à protéger ».
[243] Voici les lacunes que comporterait le critère actuel :
1. Le critère n’est pas fondé sur la norme juridique qui consiste à démontrer une crainte fondée (c.-à-d. une possibilité sérieuse ou raisonnable basée sur une preuve acceptée selon la prépondérance des probabilités);
2. Il est absurde qu’un « contrôleur » applique un critère plus rigoureux que celui qui est appliqué par le véritable décideur;
3. Il n’existe pas de norme juridique uniforme sur lequel l’agent peut se fonder pour apprécier la preuve;
4. L’agent de renvoi n’est pas autorisé à apprécier la preuve;
5. Le critère devrait être fondé sur l’appréciation préliminaire de la preuve semblable à celle dont on se sert pour rechercher a) si, dans le cadre d’une demande de sursis, une question sérieuse est soulevée, b) s’il existe des éléments de preuve crédibles (Orelien), ou c) si les demandes ont un certain fondement, après quoi le fonctionnaire spécialisé dans les questions d’ERAR ou de demande CH tranche l’affaire (Jayasundararajah, au paragraphe 15).
[244] J’examine ces éléments, mais je tiens également compte de la mission de contrôle incombant à la Cour fédérale dans le cadre de la demande de sursis à une mesure de renvoi, car il s’agit d’un facteur de validation important permettant de garantir que la décision de l’agent de renvoi est raisonnable.
i) Le critère ne permet pas de faire une appréciation en ce qui concerne la norme qui consiste à démontrer l’existence d’une crainte fondée;
ii) Le critère appliqué quant au renvoi est plus rigoureux que celui qui est appliqué par le véritable décideur.
[245] Les deux premières observations du demandeur portent sur le fond, et on peut dire qu’elles vont dans le sens de sa thèse portant que le critère applicable en matière de renvoi n’est pas conforme à la Charte. Selon moi, mes motifs concernant l’étroitesse de la portée de la question du préjudice répondent au grief du demandeur selon laquelle on n’apprécie pas l’existence d’une crainte fondée. L’argument du demandeur selon lequel le critère applicable en matière de renvoi donnera lieu à des rejets de demandes de sursis valides parce que la norme juridique du critère est plus rigoureuse que celle qui est exigée pour établir, dans le cadre d’un ERAR, qu’il y a persécution, est davantage pertinent quant aux discussions figurant dans la présente partie. Le critère applicable en matière de renvoi joue un rôle d’examen préalable en ce qui concerne l’ERAR. Dans le cadre de cet examen préalable, on ne doit pas appliquer une norme juridique plus rigoureuse que celle qui est utilisée par la personne qui rend la décision définitive dans le cadre de l’ERAR, car le renvoi à un ERAR constitue le motif pour lequel il est sursis au renvoi.
[246] Le défendeur reconnaît que le risque au sens de l’article 97, auquel s’applique la norme de preuve de la prépondérance des probabilités, « pourrait imposer un fardeau plus lourd que pour l’article 96 », qui est fondé sur la norme juridique de la possibilité sérieuse ou raisonnable de persécution, plutôt que sur la « simple possibilité » (Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (Adjei), à la page 683). Toutefois, le défendeur soutient que la norme juridique ne joue aucun rôle parce que l’agent de renvoi ne rend pas une décision définitive — il ne fait qu’apprécier le caractère suffisant de la preuve pour décider s’il existe une preuve nouvelle et probante qui permet de conclure que le demandeur serait exposé à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain.
[247] Je retiens la thèse du défendeur portant que le rôle de l’agent de renvoi ne consiste pas à évaluer les risques en fonction des normes juridiques utilisées dans le cadre d’un ERAR. La compétence de l’agent se limite plutôt à l’appréciation du caractère suffisant des nouveaux éléments de preuve qui sont censés démontrer qu’il existe un risque. Cette appréciation repose fortement sur une analyse comparative dans le cadre de laquelle on se sert de la preuve examinée par la SPR (ou un agent d’ERAR) et des conclusions de la SPR (ou de l’ERAR) comme critère. Par conséquent, pour apprécier le caractère suffisant d’une preuve, il se peut que l’on doive vérifier s’il existe une différence suffisante d’avec la décision antérieure quant aux questions de preuve et de conclusions de fait (p. ex., les conclusions relatives aux profils des personnes exposées à des risques). La différence en ce qui concerne l’appréciation du caractère suffisant sur le plan de sa nouveauté, par opposition à sa valeur probante, est parfois difficile à faire. La différence est que la preuve qui manque fondamentalement de valeur probante (p. ex., preuve inadmissible ou non-fiable) n’exige aucun renvoi à la décision antérieure pour être rejetée.
[248] Les fonctions de l’agent de renvoi portent sur les faits — l’objet de l’appréciation est de décider si, vu les faits, compte tenu de la nouveauté et du caractère probant de la preuve du demandeur, l’existence d’un risque de préjudice est établie. Il incombe au demandeur de produire la nouvelle preuve qui, selon la prépondérance des probabilités, va « vraisemblablement » dans le sens de son exposition alléguée au risque au sens du critère. C’est dans ce sens, sur le plan de la preuve, que la présentation d’une preuve « claire et convaincante » est exigée pour que soit établie de manière suffisante la vraisemblance de la conclusion de fait selon laquelle le renvoi comporte un risque.
[249] Il ne faut pas confondre cette mission avec la détermination du statut de personne protégée dans le cadre d’un ERAR, où les conclusions de fait à propos du risque sont appréciées par l’agent afin de décider si elles satisfont aux normes juridiques de l’article 96 ou de l’article 97. Dans les décisions comportant des questions mélangées de fait et de droit, comme celles qui se posent lorsque l’on examine le risque dans le cadre d’un ERAR, les conclusions de fait ne sont pas toujours formulées de manière distincte par rapport à la conclusion de droit, mais font néanmoins partie intégrante du raisonnement suivi. Le caractère suffisant de la preuve examinée par l’agent de renvoi n’a trait qu’aux conclusions de fait, et non pas à l’application des normes juridiques des articles 96 et 97.
[250] Je suis conforté dans ma conclusion portant qu’aucune norme juridique ne s’applique dans le cadre du critère applicable en matière de renvoi en raison du fait que, dans le cadre du critère proposé par le demandeur, on apprécie également le « caractère suffisant de la preuve », sans égard à la question du risque. En outre, si le critère applicable en matière de renvoi prévoyait l’application d’une norme juridique, on aurait pu penser que la jurisprudence se serait déjà penchée sur la question de sa nature. Je suppose que tel est le cas, parce qu’aucune autorité portant sur cette question n’a été portée à mon attention. Toutefois, en toute justice, je me permets d’ajouter qu’on ne m’a produit aucune décision portant que le pouvoir de l’agent de renvoi devrait être limité à l’examen du caractère suffisant de la preuve. Néanmoins, concrètement, les décisions des agents de renvoi, comme celle en cause en l’espèce, constituent un examen du caractère suffisant de la preuve, même si cela n’est pas explicitement mentionné dans ces termes.
[251] Il semble que ce soit la première fois que l’on envisage qu’une norme juridique puisse constituer un élément du critère applicable en matière de renvoi. Alors, selon moi, il convient de répondre à l’argument du demandeur selon lequel il présuppose que la norme applicable est celle qui est utilisée en ce qui concerne l’article 97 (la prépondérance des probabilités). Selon moi, si le critère en matière de renvoi devait être considéré comme comportant l’application d’une norme juridique, celle-ci exigerait seulement que le demandeur établisse l’existence d’un risque raisonnable ou sérieux (de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain), c’est-à-dire qu’il s’agirait d’une norme comparable à celle de la persécution, qui est visée par l’article 96 de la LIPR, et non pas par l’article 97.
[252] Le défendeur semble souscrire au point de vue du demandeur en reconnaissant que, si une norme juridique devait s’appliquer, la norme de la prépondérance des probabilités utilisée en ce qui concerne l’alinéa 97(1)b) devrait nécessairement être celle qui s’applique au critère applicable en matière de renvoi, étant donné qu’on se sert des facteurs énoncés dans cette disposition dans le cadre de ce dernier critère. Dans la mesure où une telle conclusion est tirée, je le rejette, car, selon moi, il n’existe pas nécessairement un lien entre le fait que les facteurs énoncés à l’alinéa 97(1)b) s’appliquent au critère en matière de renvoi et l’exigence qu’ils soient appréciés selon la norme de la prépondérance des probabilités. Logiquement, le critère appliqué en matière de demande d’asile ne doit pas être plus rigoureux que la ou les normes juridiques suivies lorsqu’il faut se prononcer, en dernier lieu, sur les questions de persécution et de protection.
[253] À l’occasion de l’affaire Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] 3 R.C.F. 239 (Li), le juge Rothstein, tel était alors son titre, a conclu que la norme juridique qui s’applique aux alinéas 97(1)a) et b) est celle du « plus probable que le contraire ». Il a tiré cette conclusion en procédant à une analyse interprétative dans le cadre de laquelle il a d’abord déterminé l’objet poursuivi par le législateur en adoptant la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36] pour les besoins de l’alinéa 97(1)a). Le juge a appliqué la conclusion de cette analyse à l’alinéa 97(1)b) en formulant l’observation suivante qui figure au paragraphe 38 :
M. Li prétend que le critère de la possibilité raisonnable devrait s’appliquer à l’alinéa 97(1)b). Toutefois, aucun mot ne qualifie le terme « risque » à l’alinéa 97(1)b) ni ne permet de penser que le critère de l’article 96 s’applique à l’alinéa 97(1)b). En l’absence d’un motif impérieux d’adopter un critère rigoureux ou un critère faible, je ne vois pas pourquoi le degré de risque, aux fins de l’alinéa 97(1)b), ne serait pas qu’il soit plus probable que le contraire que la personne soit soumise, personnellement, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée dans son pays de nationalité. [Non souligné dans l’original.]
[254] Le critère applicable en matière de renvoi a son origine dans le Règlement sur l’immigration qui ne comportait aucun fondement contextuel quant à une analyse semblable à celle qui a été faite à l’occasion de l’affaire Li. Rien ne permet de croire que, lorsqu’il a d’abord été consacré par la jurisprudence Wang, le juge Pelletier, lorsqu’il a formulé le critère applicable en matière de renvoi lié à l’article 48 de la LIPR, n’a pu vouloir que le terme « risque » s’entende d’un risque raisonnable ou sérieux. Le terme « risque », au singulier, est normalement défini comme une [traduction] « possibilité de subir un préjudice ou un dommage » (dictionnaire en ligne Oxford, sous la vedette risk). Si le caractère raisonnable est sous-entendu dans la définition qui est donnée du risque dans le critère applicable en matière de renvoi, la norme juridique se trouverait ainsi placée sur un pied d’égalité avec la norme de la crainte fondée, à savoir la norme de la possibilité sérieuse ou raisonnable.
[255] Je suis également d’avis que la fonction du critère applicable en matière de renvoi prévoit « un motif impérieux d’adopter un critère rigoureux ou un critère faible » (Li, au paragraphe 38). C’est précisément parce que la fonction d’évaluation du risque prévu dans le critère applicable en matière de renvoi vise le renvoi à un ERAR (comprenant les articles 96 et 97) que la norme juridique suivie dans le critère applicable en matière de renvoi doit avoir recours au seuil moins élevé applicable à l’article 96, aux termes duquel le demandeur doit établir le fondement factuel de ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, mais n’a pas à prouver qu’il serait plus probable qu’il soit persécuté que le contraire (Adjei, à la page 682). Partant de cette prémisse, je souscris à l’argument du demandeur selon lequel la norme juridique du critère qu’il convient d’appliquer pour décider s’il doit y avoir renvoi à un ERAR ne doit pas être plus rigoureuse que celle qui est utilisée pour démontrer qu’il y aura persécution. Par conséquent, s’il existe une norme juridique pouvant s’appliquer au critère applicable en matière de renvoi, ce serait celle qui consiste à démontrer l’existence d’un risque sérieux ou raisonnable. Toutefois, je suis toujours d’avis que l’agent de renvoi n’applique pas vraiment une norme juridique — sa fonction consiste à apprécier s’il y a suffisamment d’éléments de preuve nouveaux dont il ressort que le demandeur serait exposé à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain.
[256] À titre de dernière remarque sur les discussions des parties à propos des normes juridiques, je relève que cette question n’est pas nécessairement déterminante quant à savoir si le critère applicable en matière de renvoi est conforme à la Charte. La question du respect des principes de justice fondamentale n’est pas tranchée par les conclusions quant à la question des « normes juridiques » qui est discutée en l’espèce, ni par la question de l’étroitesse de la portée du préjudice dont je viens de parler. Je conclus que, en l’espèce, la question du respect de l’article 7 de la Charte comporte la mise en balance de tous les facteurs qui s’appliquent pour circonscrire les qualités fondamentales du droit du demandeur débouté à un ERAR avant son renvoi.
[257] Plus fondamentalement, en insistant sur le critère juridique, on passe à côté de la tâche importante sur le plan de la preuve que doivent assumer les demandeurs qui sollicitent un ERAR ou un sursis au renvoi. Le risque couru par le demandeur a déjà été évalué en profondeur de manière prospective par la SPR et même si cette évaluation a fait l’objet d’un appel à la Section d’appel des réfugiés de la CISR ou a fait l’objet d’un recours en contrôle judiciaire, elle n’a pas été annulée. Au cours de ce processus, la SPR aura apprécié l’évolution de la situation dans le pays en cause au cours de plusieurs années pour faire son évaluation prospective. La situation devra avoir beaucoup changé pour que l’on puisse établir qu’il existe de nouveaux risques. Ceci nécessitera une « preuve claire et convaincante » de l'incapacité d'un État d'assurer la protection (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Comme je l’ai déjà dit, le changement doit donner naissance à un risque sérieux de préjudice qui n’est pas de la nature ou qui n’a pas la gravité anticipée de la gamme des préjudices qui ont déjà été appréciés au cours de nombreuses années par la SPR.
[258] En d’autres mots, la difficulté qu’a le demandeur à convaincre l’agent de renvoi de surseoir ne découle pas vraiment de la norme juridique, mais plutôt des exigences rigoureuses en ce qui concerne la preuve qui doit être faite que la situation dans le pays en cause a changé de façon importante depuis l’examen de la SPR. En effet, pour que cette thèse soit retenue, il faut produire une nouvelle preuve du genre évidente et manifeste, rendant ainsi relativement simple l’évaluation que l’agent doit faire.
[259] En ce qui concerne les changements dans la situation personnelle du demandeur dans son pays d’origine, ils sont moins susceptibles de se produire, simplement parce que le demandeur était probablement au Canada, et non pas dans son pays d’origine. La preuve censément nouvelle tend à manquer de valeur probante, car elle est très fortuite et provient souvent de la famille ou des amis du demandeur, lesquels veulent l’aider. Cette preuve constitue du ouï-dire et est rarement certifiée ou corroborée, ce qui a pour effet de diminuer sa fiabilité. Néanmoins, dans les cas qui le justifient, l’agent de renvoi, après avoir conclu qu’il existe une preuve crédible qu’il y a eu des changements dans la situation personnelle et que ceux-ci donnent lieu à un risque de préjudice sérieux, surseoit au renvoi comme il est de son devoir de le faire.
iii) Il n’existe pas de critère juridique uniforme sur lequel l’agent peut se fonder pour apprécier la preuve
[260] Le demandeur invoque l’existence de différentes formulations de la norme pour avancer cette thèse. Je ne suis pas convaincu que cette confusion existe en droit. Mention est faite de la norme de la bonne foi de la demande citée dans la décision Wang. Comme je l’ai déjà souligné, la jurisprudence Shpati a rejeté une telle norme au motif qu’elle était trop large et qu’elle équivalait à permettre qu’il soit sursis à toutes les mesures de renvoi.
[261] Il a également été signalé l’utilisation par le juge Zinn, à l’occasion de l’affaire Toth, des mots « claire et convaincante ». Le juge Zinn a formulé ces observations au sujet de la norme de la question sérieuse dans le cadre de la requête en sursis. Je ne puis non plus conclure que les mots « claire et convaincante », dans l’optique d’une norme de preuve relative à l’établissement d’un fait, visent à transmettre tout ce qui va au-delà de l’exigence voulant que la preuve soit objective et convaincante. Comme il a été dit à l’occasion de l’affaire Selvarathinam c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), (IMM-11837-12, la juge Gleason, ordonnance en date du 10 décembre 2012) (Selvarathinam), cela équivaut à la même norme qui consiste à établir que, selon la preuve, il existe une probabilité raisonnable que le risque se présente.
iv) L’agent de renvoi n’est pas autorisé à évaluer la preuve
[262] Le demandeur change quelque peu de direction en soulevant des questions relativement au pouvoir, à la compétence et à la partialité des agents de renvoi. On pourrait dire que si ces questions relèvent du principe de justice fondamentale, c’est sur le plan procédural, par opposition aux moyens puisés dans la Charte ayant trait à la portée et à la norme juridique du critère que nous avons déjà analysées.
[263] En ce qui concerne la question du pouvoir d’apprécier les éléments de preuve, je souscris à la conclusion tirée par la juge Gleason à l’occasion de l’affaire Selvarathinam selon laquelle la jurisprudence Shpati a revisé la décision Wang et les autres jurisprudences de la Cour fédérale citées par le demandeur selon lesquelles les agents de renvoi ne peuvent pas procéder au type limité d’évaluation des risques exigée pour décider s’il faut surseoir au renvoi. Elle observe :
[traduction] Ce raisonnement (dans l’arrêt Shpati) prévoit expressément que les agents de renvoi ont le pouvoir et la responsabilité de faire une évaluation limitée des risques afin de décider si la personne visée par un renvoi serait exposée à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain si elle était renvoyée.
[264] De toute façon, selon moi, il s’agit davantage d’une question concernant la compétence de l’agent tel qu’il est discuté ci-dessous.
v) Compétence de l’agent de renvoi
[265] Se fondant sur l’enseignement d’arrêts comme Chieu et Pushpanathan, au paragraphe 157, le demandeur soutient qu’il ne bénéficie pas d’un traitement compatible avec les principes de justice fondamentale parce que la détermination de l’existence d’un risque exige qu’une audience dans le cadre de laquelle la crédibilité est en cause soit tenue devant un décideur compétent, indépendant et impartial.
[266] Aucun élément de preuve n’a été produit au sujet du degré d’expertise et de formation qui est attribué aux agents de renvoi et aux agents d’ERAR, ce qui exclut un véritable examen de cette question. J’ai l’impression que les agents de renvoi possèdent une très bonne formation leur permettant d’accomplir leurs tâches. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il convient de faire preuve de déférence lorsqu’on examine leurs décisions (Shpati, au paragraphe 27). Je conclus également qu’en reconnaissant par la jurisprudence Shpati que les agents de renvoi ont compétence pour faire un examen limité quant aux risques, la Cour d’appel fédérale confirme qu’on estime qu’ils sont capables de faire leur travail.
[267] La compétence de l’agent se rapporte aux tâches qu’il doit effectuer. Comme je l’ai déjà dit, j’estime que les fonctions de l’agent sont relativement simples quant à la question d’apprécier si une preuve nouvelle suffisante a été produite et si un changement de la situation dans le pays en cause ou des changements dans la situation personnelle du demandeur donnent lieu à un risque sérieux de préjudice. Si l’on répond par la négative à l’une ou l’autre de ces questions, alors il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence. J’estime que ces conclusions sont en grande partie liées à la question que l’appréciation du caractère suffisant de la preuve relève de la compétence à laquelle on pourrait s’attendre de la part d’un agent de renvoi expérimenté. À mon sens, ces questions ne sont pas plus complexes que la tâche qui consiste à apprécier d’autres motifs de sursis, comme les besoins d’ordre médical ou d’ordre personnel, lesquels peuvent constituer des problèmes de temps à autre.
[268] Comme l’a déclaré la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Singh, les exigences de l’équité peuvent varier selon les circonstances (Singh, à la page 213). Il n’est pas toujours nécessaire de tenir une audience parce que, dans certains cas, il convient parfaitement de ne produire que des observations écrites. Ce n’est que lorsqu’une question importante de crédibilité est en cause qu’il est nécessaire de tenir une audience (Singh, à la page 214). Selon moi, aucun principe de justice fondamentale ne me permet d’affirmer qu’il est nécessaire de tenir une audience avant de renvoyer une personne.
[269] Je rejette également toute thèse voulant que l’agent de renvoi ne peut pas accomplir sa tâche en ce qui concerne l’application de l’article 48, soit renvoyer les demandeurs d’asile déboutés dès que les circonstances le permettent, tout en exerçant son pouvoir discrétionnaire de décider s’il doit surseoir au renvoi. Je crois comprendre que l’agent qui est chargé du renvoi n’est pas le même que celui qui exerce, en vertu de l’article 48, le pouvoir discrétionnaire de décider s’il faut surseoir au renvoi. Je souscris aux arguments soulevés par le défendeur, renvoyant à la jurisprudence Lippé, en ce qui concerne la question de la partialité institutionnelle.
[270] Comme je l’ai déjà relevé, ces questions ont été étudiées depuis plus de dix ans sans qu’il soit soulevé de moyens constitutionnels. Elles n’ont été soulevées qu’après que l’interdiction de présenter une demande d’ERAR soit entrée en vigueur. Étant donné la nature de l’évaluation que l’agent de renvoi doit faire, la reconnaissance implicite, par la jurisprudence Shpati, du pouvoir de l’agent, et le défaut d’avoir soulevé plus tôt ces questions, je conclus que l’ensemble de ces questions relatives à l’équité procédurale concernant l’agent sont bien établies et que le processus est reconnu et est équitable.
[271] Bref, je conclus qu’aucune des allégations portant sur la norme juridique ou sur la compétence de l’agent ne soulève un principe de justice fondamentale aux termes de l’article 7 de la Charte.
vi) La fonction de contrôle de la Cour fédérale
[272] La mission de contrôle de la Cour fédérale assure un degré accru de fiabilité aux décisions de l’agent de renvoi qui, selon moi, atténue dans une large mesure tout problème soulevé par le demandeur quant à la compétence ou quant aux normes juridiques.
[273] Bien que le facteur de la question sérieuse du processus de sursis, en ce qui concerne l’agent de renvoi, a été porté par les jurisprudences Wang et Baron au rang de seuil plus élevé, comme il ressort des observations que j’ai formulées dans mon analyse de ces décisions à propos des seuils plus hauts en général en droit administratif, fondés sur la gamme des issues raisonnables, je ne puis conclure que la distinction est importante comparativement au facteur de la question sérieuse en ce qui concerne l’ERAR et les agents CH qui exercent un pouvoir discrétionnaire beaucoup plus large sur le plan de la gamme des issues.
[274] De plus, le risque que l’intéressé subisse un préjudice est une question davantage préoccupante sur laquelle la Cour doit se pencher en raison du caractère irréparable du préjudice qui naît si le renvoi place la personne dans une situation dangereuse. Lorsque la Cour conclut qu’on a produit la preuve que le demandeur risque de subir un préjudice sérieux et que cette preuve a été rejetée par un agent de renvoi, elle n’hésite pas à infirmer la décision de l’agent de renvoi.
i) La possibilité d’invoquer devant la Cour fédérale le droit garanti par l’article 7 de la Charte
[275] Selon le défendeur, la possibilité de présenter une demande de sursis à la Cour fédérale permet de pallier la possibilité que les risques auxquels le demandeur peut être exposé n’aient pas tous été envisagés en raison de l’étroitesse du critère. Je ne puis retenir cette affirmation. Je renvoie aux paragraphes 7 et 8 des observations supplémentaires présentées par le défendeur en réponse aux directives de la Cour :
[Traduction] […] Bien que cela ne soit pas inconcevable, il est difficile d’imaginer une situation dans laquelle une telle thèse [une thèse selon laquelle il y aura persécution, mais qui comporte un degré de préjudice moins important que celui qui est prévu par la formulation du critère applicable en matière de renvoi], qui ne satisfait pas au critère consacré par la jurisprudence Baron/Shpati, pourrait être invoqué peu de temps après qu’une décision défavorable eut été rendue quant à une demande d’asile et n’aurait pas pu être soulevé devant la SPR. Si une telle situation inhabituelle se produisait et que la demande de sursis était refusée parce qu’elle ne satisfait pas au critère, cette personne pourrait toujours demander à la Cour fédérale de surseoir au renvoi au motif que celui-ci violerait les droits que lui garantit l’article 7. Il faut se rappeler que la Cour suprême enseigne qu’aucune procédure précise n’est exigée afin de satisfaire au volet des principes de justice fondamentale de l’article 7 (Nemeth). Comme l’a déjà souligné la CAF à l’occasion de l’affaire Shpati, « [i]l n’est pas rare que la Cour fédérale puisse procéder à un examen plus approfondi dans le cadre d’une demande de sursis que ne peut le faire un agent d’immigration dans le cadre d’une demande de report. Cette situation peut se traduire par un certain fractionnement entre la Cour fédérale et les agents d’exécution. J’estime toutefois que c’est bel et bien le mécanisme décisionnel que le législateur a choisi ». Le juge Evans, au paragraphe 51.
La Cour a observé à l’occasion de l’affaire Toth c Canada ([2012] ACF no 1166, onglet 55 du volume 2 du recueil de jurisprudence et de doctrine du défendeur) :
[24] Si, dans une demande de report, il y a une preuve claire et convaincante démontrant que la situation du demandeur d’asile débouté a changé de façon importante ou que les conditions dans le pays de renvoi se sont détériorées au point où le demandeur court un risque réel de préjudice et ne peut bénéficier d’une protection adéquate, il peut persuader un juge de la Cour du fait que sa demande de contrôle judiciaire visant le rejet de sa demande de report est susceptible d’être accueillie. Subsidiairement, il peut convaincre un juge qui dispose d’une preuve prime facie établissant que son renvoi portera atteinte à son droit à la liberté, à la sécurité et peut-être à la vie qui est garanti à l’article 7 de la Charte. Toutefois, aucune de ces options n’implique que la limitation du droit à un ERAR prévu à l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est inconstitutionnelle. À mon avis, le fait qu’un demandeur qui ne peut se prévaloir du processus d’ERAR à cause de l’interdiction de 12 mois dispose de ces autres solutions permet fortement de croire que l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR n’est pas inconstitutionnel. [Non-souligné dans l’original.]
[276] Des éclaircissements doivent être apportés quant aux deux paragraphes tirés des observations du défendeur. Premièrement, en ce qui concerne les observations du juge Zinn dans l’arrêt Toth, selon moi, le demandeur dans cette affaire avait soutenu que le critère relatif au renvoi était inconstitutionnel. Dans cette affaire, l’on contestait la constitutionnalité de l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi. Par conséquent, en évoquant l’existence de recours subsidiaires permettant de convaincre un juge que la décision de l’agent de renvoi était déraisonnable ou qu’une véritable question fondée sur l’article 7 de la Charte avait été soulevée, le juge Zinn ne s’exprimait que sur la constitutionnalité de l’interdiction de présenter une demande d’ERAR, et non pas sur celle du processus de renvoi. J’ai exprimé la même opinion en l’espèce à l’appui de ma conclusion selon laquelle l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est constitutionnel. En ce qui concerne la question de convaincre un juge qu’une véritable question fondée sur l’article 7 de la Charte a été soulevée, c’est ce qui s’est produit dans le cadre des présentes demandes et c’est pourquoi la Cour en est saisie.
[277] La présente affaire est semblable à l’affaire Shpati, où la Cour a reconnu l’existence d’un processus bifurqué en ce qui concerne des questions comme le caractère théorique d’une demande, une question qui outrepassait la compétence de l’agent de renvoi. Le juge Evans a signalé que la question du caractère théorique pourrait être discutée séparément (ou du moins qu’il était préférable de la discuter séparément) par la Cour fédérale dans le cadre d’une demande de sursis lorsqu’elle décide de reporter un renvoi aux fins de la demande de contrôle judiciaire. Comme je l’ai déjà signalé, c’est de cette façon que la Cour a été saisie de ces demandes concernant la constitutionnalité du critère applicable en matière de renvoi. Toutefois, la présente affaire vise à régler cette question, car les parties ont convenu de certifier une question en vue d’un appel. Sinon, contrairement à ce que semble soutenir le défendeur, aucune demande distincte fondée sur la Charte ne peut être présentée dès lors qu’un demandeur estime que le critère ne protégeait pas adéquatement contre un risque visé par l’article 96 de la LIPR, mais qui n’est pas visé par le critère applicable en matière de renvoi.
j) Le critère applicable en matière de renvoi proposé par le demandeur
[278] La thèse subsidiaire du demandeur reconnaît que l’interdiction de présenter une demande d’ERAR serait constitutionnelle si l’agent de renvoi appliquait un critère adéquat quant à l’évaluation des risques. Le demandeur soutient que, selon ce critère, l’agent doit reporter le renvoi dans le cadre d’une demande d’ERAR lorsqu’il est saisi d’une preuve 1) qui n’est pas foncièrement impossible à croire, 2) qui n’a pas déjà été examinée, et 3) qui, si elle est jugée crédible (par l’agent d’ERAR), peut amener un décideur compétent (un agent d’ERAR) à conclure que le demandeur craint avec raison d’être persécuté ou court le risque de subir d’autres formes de traitements cruels et inhumains à son retour dans son pays.
[279] Je crois comprendre que le demandeur avance une forme d’argument d’atteinte minimale en retenant un critère moins rigoureux qui préserverait la constitutionnalité de l’interdiction de présenter une demande d’ERAR. Même avec cette intention qu’on impute au demandeur, lorsque la question se résume à savoir quel type de critère permet le mieux d’apprécier si l’on doit reporter le renvoi, les principes en question ne semblent pas avoir ce que l’on pourrait appeler un « caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société ».
[280] Le demandeur soutient essentiellement qu’il faut écarter le critère actuel, qui est fondé sur la conclusion tirée par l’agent de renvoi quant à savoir s’il existe une preuve convaincante que la situation a changé au point que le demandeur d’asile débouté risquerait sérieusement d’avoir besoin de protection.
[281] Le demandeur propose que l’on adopte plutôt un seuil peu élevé servant à rechercher si la preuve qui n’a pas déjà été examinée et qui n’est pas foncièrement impossible à croire est suffisante pour soulever la possibilité que l’agent d’ERAR en arrive à la conclusion que le demandeur ne doit pas être renvoyé parce qu’il « [craint] avec raison d’être persécuté » ou parce qu’il a « qualité de personne à protéger ».
[282] La différence fondamentale qui existe entre les deux approches est que le critère qu’on applique actuellement en matière de renvoi part du principe qu’il est peu probable, après un refus d’une demande d’asile, que la situation change au point qu’une décision favorable serait rendue à la suite d’une demande d’ERAR, si un ERAR est fait. Selon ce critère, les circonstances qui ont rendu nécessaire la tenue d’un ERAR sont exceptionnelles. Je conclus que ce principe est tout à fait compatible avec la preuve extrinsèque relative au droit à une évaluation des risques après une décision de la SPR et avec la faible possibilité qu’une décision favorable soit rendue à la suite d’une demande d’ERAR présentée après le rejet d’une demande d’asile par la SPR qui est à l’origine des modifications. Selon ce critère, sauf si le caractère exceptionnel du renvoi est reconnu et est incorporé dans le critère lui-même, le processus de renvoi n’a jamais un caractère définitif (ou le caractère définitif sera à tout le moins considérablement diminué) et la capacité de renvoyer un demandeur d’asile débouté est grandement diminuée.
[283] En revanche, selon moi, il n’existe aucun lien rationnel entre le critère envisagé et le contexte plus général qui donne à penser qu’il est très peu probable que, à la suite d’une demande d’ERAR, une décision favorable soit rendue immédiatement après qu’une décision défavorable a été rendue par la SPR. La seule conséquence sera qu’un plus grand nombre de renvois feront l’objet d’un report afin que soit présentée une demande d’ERAR, sous prétexte que la plupart des demandeurs d’asile déboutés ont droit à un ERAR complet même si les chances de réussite sont au plus minimes.
[284] Deuxièmement, le critère proposé remplacerait le critère fondé sur l’article 97 actuellement applicable en matière de renvoi, bien que le principal grief soit que le critère est trop étroit parce qu’il ne comprend pas les facteurs de persécution énumérés à l’article 96. La thèse du demandeur selon laquelle ce critère doit être abandonné en ce qui concerne l’évaluation des risques énoncés à l’article 97 est manifestement accessoire à son argument voulant que le critère est trop étroit en raison du fait qu’il ne comprend pas les facteurs énumérés à l’article 96. En effet, le demandeur propose l’abandon du critère actuellement applicable en matière de renvoi, qui est utilisé depuis plus de deux décennies, dans tous les cas de renvoi où il est prétendu que le renvoi comporte un élément de risque, et non pas seulement dans les cas de renvoi à la suite d’une décision de la SPR.
[285] Troisièmement, le critère qu’on propose d’utiliser en matière de renvoi pourrait avoir une très grande incidence sur la nature fondamentale de la décision examinée par la Cour fédérale. À l’heure actuelle, l’agent de renvoi examine la question de savoir si la preuve est suffisante pour démontrer qu’il y a risque de préjudice (risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain). Selon le critère proposé par le demandeur, l’agent ne participerait pas directement à la décision visant à décider s’il existe un risque de préjudice.
[286] Cette démarche aurait une incidence sur le champ d’action de la Cour fédérale lorsqu’elle apprécie le caractère raisonnable de la décision de renvoi en fonction du lien entre la preuve et le risque qui justifie le renvoi. Selon le critère proposé par le demandeur, l’élément déterminant de la demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire serait le caractère suffisant de la preuve, compte tenu de sa nature, et non pas de son lien direct avec le risque, qui sera renvoyée à l’agent d’ERAR. Si la Cour fédérale respecte les limites de la décision dans le cadre de son examen, les protections accordées aux demandeurs d’asile déboutés sembleraient en fait diminuer le pouvoir d’intervention de la Cour fédérale en ce qui concerne les protections accordées aux demandeurs d’asile déboutés. Il en est ainsi parce que l’attention de la cour réformatrice ne serait pas centrée sur le risque de préjudice, mais plutôt sur le processus d’appréciation de la preuve. Le pouvoir discrétionnaire de déterminer le caractère suffisant et d’apprécier la preuve est large, parce que le contrôle judiciaire est fondé sur la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir).
[287] Quatrièmement, en ce qui concerne la compétence exigée de l’agent de renvoi, il me semble que l’analyse faite de la preuve par un agent d’ERAR afin d’apprécier sa crédibilité et son caractère suffisant dans le but de décider si le demandeur craint avec raison d’être persécuté ou court le risque de subir d’autres formes de traitements cruels et inhumains à son retour dans son pays d’origine est tout aussi difficile que l’examen de nouveaux éléments de preuve convaincants qui est fait afin de décider s’il existe un risque sérieux de préjudice.
[288] Cinquièmement, le critère applicable en matière de renvoi proposé par le demandeur aurait pour effet de rendre encore plus souples les règles de preuve en matière de fiabilité qui existent sous diverses formes en droit des réfugiés depuis l’arrêt rendu en 1979 par la Cour d’appel fédérale à l’occasion de l’affaire Maldonado c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (Maldonado), à la page 305. Les juges majoritaires dans l’arrêt Maldonado ont infirmé la décision du commissaire et ont créé une présomption de véracité quant au témoignage donné sous serment par le demandeur. La Cour d’appel [fédérale] s’est fondée sur cette présomption pour autoriser le demandeur à corroborer une déclaration extrajudiciaire faite par son épouse (faite après que le demandeur est arrivé au Canada) en jurant qu’elle était véridique.
[289] Si l’agent de renvoi était tenu d’accepter de nouveaux éléments de preuve concernant le préjudice que pourrait personnellement subir les demandeurs, sauf s’ils sont foncièrement non-crédibles, celui-ci devrait les retenir comme véridiques à première vue et renvoyer l’affaire à un agent d’ERAR. Dans la même veine, si l’on applique le critère proposé par le demandeur aux changements dans la situation régnant dans le pays, il serait rare que de nouveaux documents foncièrement non-crédibles constituent une preuve sur laquelle un agent d’ERAR pourrait se fier.
[290] Sixièmement, rien ne permet de limiter l’examen de nouveaux éléments de preuve à la question de savoir s’ils « ont déjà été examinés ». Une telle limite aurait pour effet d’éliminer tout examen de la question de savoir si les éléments de preuve étaient semblables à ceux qui ont déjà été examinés par la SPR (c.-à-d. qu’ils ne sont pas nouveaux) ou si le demandeur pouvait avoir accès à ceux-ci lorsqu’il s’est présenté à l’audience de la SPR. Cela serait contraire à l’alinéa 113a) de la LIPR qui limite la possibilité de présenter une demande d’ERAR aux situations où de nouveaux éléments de preuve apparaissent après le rejet par la SPR ou qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’ils aient été présentés. Le critère proposé par le demandeur diminuerait de façon importante la capacité des agents de renvoi de décider si la preuve qui est présentée est vraiment nouvelle.
[291] Septièmement, la Loi sur l’immigration a été modifiée en 1989 afin d’inclure des dispositions en vertu desquelles un agent principal d’immigration est appelé à décider s’il existait une preuve crédible permettant à la Section du statut de réfugié, à un deuxième stade, de décider si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention. Ce régime a été abandonné presque immédiatement en 1993 selon les normes législatives en matière de modification parce qu’il n’était pas pratique. Rien ne justifie que le gouvernement devrait revenir, comme le propose le demandeur, à un critère à deux volets fondé sur l’appréciation de la crédibilité de la preuve, surtout après le rejet de la demande d’asile du demandeur. Il en résulterait un retour à des retards fâcheux causés par une multiplicité des procédures, précisément le problème que l’interdiction de 12 mois qui s’applique aux demandes d’ERAR (ainsi que d’autres modifications à la LIPR) visait à régler afin d’assurer un caractère définitif et de préserver l’intégrité du système de traitement des demandes d’asile.
[292] Le critère envisagé n’est pas pratique et, s’il était retenu, il donnerait lieu à une situation se rapprochant de la reconstitution de l’ERAR automatique sur le plan du nombre de reports de renvois qui se produiraient. Parallèlement, l’application de ce critère minerait vraisemblablement l’efficacité du processus en matière de renvoi dans son ensemble, en le soumettant à une série continuelle de reports de renvois fondés sur de « nouveaux » éléments de preuve incontestables justifiant la présentation de nouvelles demandes d’ERAR. En d’autres mots, cela minerait les derniers vestiges de caractère définitif que l’ancien système possédait.
[293] En conclusion, je rejette la thèse implicitement avancée par le demandeur, fondée sur sa proposition de critère de contrôle, que le critère qui est actuellement utilisé en matière de renvoi ne constitue pas une atteinte minimale à son droit à ce que les risques de persécution auxquels il serait exposé soient examinés afin que son renvoi soit reporté et qu’il puisse présenter une demande d’ERAR.
k) Pourquoi pas ne pas utiliser, en matière de renvoi, un critère qui comprend la persécution?
[294] Les remarques du demandeur soulèvent la question suivante, qui n’a pas été invoquée : pourquoi ne pas simplement ajouter la persécution à la liste des facteurs visés par le critère applicable en matière de renvoi? La réponse à cette question semble comporter au moins trois volets. Premièrement, en réduisant le degré d’évaluation à celui de préjudice moins grave, l’analyse visant à établir une « ligne de démarcation » devient nébuleuse, car la preuve tend à ressembler à la preuve exigée pour ce qui constitue des difficultés causées par la persécution, un concept qui n’est pas clairement défini. La persécution qui ne comporte aucun risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain englobe ainsi des formes de mauvais traitement allégué qui sont controversées, ou à tout le moins discutables, tant en ce qui concerne le degré de préjudice exigé qu’en ce qui concerne leur nature (p. ex., discrimination en matière d’éducation ou en matière économique, harcèlement qui n’équivaut pas à de la persécution).
[295] Deuxièmement, la persécution a trait autant à la forme de mauvais traitement qu’au caractère grave du préjudice découlant du comportement répréhensible. Vu l’enseignement de l’arrêt Rajudeen, lequel a simplement retenu la définition que donne le dictionnaire du mot « persécution », la jurisprudence a principalement insisté sur le caractère incessant ou systématique du mauvais traitement, sans aucune exigence sur le plan de la définition en ce qui concerne le degré de gravité du préjudice. Le degré de préjudice doit donc être déduit des exemples de persécution figurant dans la définition donnée par le dictionnaire, allant de la cruauté incessante aux ennuis incessants. L’appréciation d’une tendance prolongée d’actes de harcèlement, dont aucun en lui-même n’équivaut à de la persécution ou ne constitue l’un des facteurs visés par le critère applicable en matière de renvoi, mais qui, considérés globalement, constituent du harcèlement équivalant à de la persécution, introduit un degré de complexité indue et inutile dans le critère. Cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de tenter d’apprécier les « nouveaux » éléments de preuve démontrant qu’il y a harcèlement incessant, qui d’ailleurs ne devraient fort probablement pas exister, étant donné que le demandeur était absent de son pays d’origine.
[296] Troisièmement, comme il a été signalé, le préjudice n’équivalant pas à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain, n’expose pas le demandeur à un préjudice irréparable, en ce sens que, si la décision de l’agent de renvoi est annulée, le demandeur ne peut pas être admis de nouveau au Canada. Vu ce seul fait, on peut se demander si la persécution n’équivalant pas à un traitement inhumain fait jouer l’article 7 [de la Charte]. Néanmoins, sur le plan pratique, il me semble que, si la gravité du préjudice n’est pas telle que le mauvais traitement que pourra subir le demandeur dans son pays d’origine l’empêchera d’être admis de nouveau si la décision de renvoi est annulée, alors, tout bien considéré, on voit mal pourquoi le renvoi devrait être reporté.
l) Concilier les droits du demandeur d’asile débouté en ce qui concerne le renvoi et l’intérêt qu’a la société à sauvegarder le processus de protection des réfugiés
[297] Comme je les ai définis dans mon survol des principes consacrés par la Charte, les droits garantis par la Charte peuvent être limités lorsque leur exercice mine l’objet qu’ils sont censés viser.
[298] Dès qu’on reconnaît qu’il y a des limites à l’exercice d’un droit garanti par la Charte, il faut ensuite se demander comment trouver le point d’équilibre. Dans l’exemple susmentionné dans les présents motifs, il faut trouver un juste équilibre entre le droit au contre-interrogatoire et le point où il ne mine pas l’objet qu’il est censé viser. Ce point d’équilibre délimite l’étendue du droit.
[299] Pour déterminer ce point d’équilibre, il faut que l’on rassemble et que l’on examine les facteurs dont on doit tenir compte pour déplacer la ligne de démarcation dans une direction ou dans une autre.
[300] Le demandeur invoque un droit garanti par la Charte afin d’empêcher son renvoi sans qu’un ERAR ne soit fait, car il soutient qu’un nouveau risque de préjudice grave s’est manifesté depuis le dernier rejet de sa demande d’asile. Toutefois, il a également reconnu la première étape exposée ci-dessus, à savoir que le droit n’est pas illimité, c’est-à-dire qu’il n’est pas fondé uniquement sur ses allégations. Il reconnait qu’un processus d’examen doit être mis en place afin qu’il soit possible de rechercher s’il y a suffisamment d’éléments de preuve nouveaux quant à l’existence d’un risque de préjudice pour qu’il soit justifié de reporter son renvoi, afin qu’il puisse participer à un ERAR.
[301] En reconnaissant qu’un processus d’examen s’impose, le demandeur reconnaît implicitement qu’il doit y avoir des facteurs faisant contrepoids qui limitent son accès à un examen complet des risques qui, selon ses dires, est en fin de compte un droit que lui garantit la Charte. Par conséquent, pour établir le point d’équilibre qui détermine l’étendue du droit que le demandeur a à ne pas être renvoyé après que la SPR a rendu sa décision, il faut utiliser en grande partie le critère dont on se sert pour accorder un report afin de permettre au demandeur de participer à un ERAR.
[302] Je conclus que les deux principaux facteurs qui font contrepoids dans l’équation sont les suivants : selon le demandeur, l’étendue et le caractère sérieux de tout risque de préjudice qui n’est pas protégé par le critère applicable en matière de renvoi; selon le défendeur, la mesure dans laquelle l’exigence selon laquelle il faut examiner tous les risques allégués mine les objectifs visés par le processus de renvoi, lequel fait partie intégrante du processus de détermination du statut de réfugié.
[303] En ce qui concerne la question soulevée par le demandeur du caractère sérieux du risque de préjudice qui n’a pas été évalué, j’ai déjà signalé que, si, selon une cour d’instance supérieure, la définition actuelle de persécution comprend un seuil permettant de déterminer le caractère sérieux du risque de préjudice, alors je suis d’avis que le seuil le moins élevé prévu dans le critère applicable en matière de renvoi afin de décider s’il y a traitement inhumain visera tous les préjudices englobés dans la persécution. Il en est ainsi parce que, selon moi, dès qu’est établi le seuil permettant de décider si un préjudice équivaut à de la persécution, il s’agit probablement du même seuil que celui du critère applicable en matière de renvoi ou du moins d’un seuil se rapprochant de celui du critère applicable en matière de renvoi.
[304] À l’inverse, dans la mesure où un risque de préjudice n’est pas visé par le critère applicable en matière de renvoi, je conclus que son importance est extrêmement limitée. De plus, il s’agit de préjudices de moindre gravité, que l’on pourrait presque qualifier de difficultés, et qui ne seraient pas irréparables au point où le demandeur ne pourrait pas être admis de nouveau. Je conclus que les lacunes que peut comporter l’appréciation du risque par l’agent de renvoi sont davantage atténuées par la procédure de sursis dont est saisi le juge de la Cour fédérale.
[305] En ce qui concerne le point de vue du défendeur à propos de la question du préjudice non-protégé soulevée par le demandeur, je conclus que l’obligation d’inclure les risques de persécution très limités et non-évalués, qui sont fondés sur les caractéristiques d’un harcèlement incessant et systématique moins grave, introduit un degré inutile de protection et de complexité dans le processus de renvoi. Cela comprend la tentative d’apprécier non pas tant le degré de gravité du préjudice, mais plutôt ses formes de harcèlement ou d’ennuis incessants ou systématiques. Cela peut comprendre les problèmes sociaux (p. ex., la discrimination en matière d’éducation ou en matière économique) qui, conjugués à d’autres incidents, peuvent être assimilés, dans l’esprit du juge, à la persécution.
[306] Le point de vue du défendeur à propos de ses facteurs de pondération commence avec ses préoccupations légitimes selon lesquelles l’application d’un critère trop souple irait à l’encontre des objectifs visés par le processus de renvoi, lequel fait partie intégrante du processus de détermination du statut de réfugié. Concrètement, tout processus dans le cadre duquel 2 à 5 p. 100 des quelque 65 000 demandes présentées ont été accueillies semblerait être contraire à ses objectifs et donnerait ainsi à penser que son utilisation comporte de graves anomalies. Cette conclusion vise également la question principale en l’espèce concernant les facteurs qui doivent être pris en compte lorsqu’est sollicité le sursis afin que l’on procède à un ERAR. Il ressort nettement de cet élément de preuve que le point de démarcation doit être placé de manière à ce que soit reconnu le caractère exceptionnel du cas du demandeur faisant l’objet d’un renvoi qui, s’il était resté au Canada, aurait eu gain de cause dans le cadre d’un ERAR. Pour ce faire, il faut retenir des critères qui établissent une norme de degré de risque de préjudice suffisamment rigoureuse qui est compatible avec les conditions permettant d’obtenir une décision favorable à la suite d’un ERAR. Je conclus que le critère applicable en matière de renvoi semble établir un seuil de risque de préjudice qui garantit qu’un report du renvoi s’applique aux cas qui devraient être examinés dans le cadre d’un ERAR.
[307] De manière plus générale, il ressort du contexte des demandeurs d’asile qu’ils accumulent des avantages simplement en continuant à résider au Canada le plus longtemps possible. En ce sens, l’analogie est semblable aux limites imposées quant au droit de contre-interroger qui ont une influence sur le déroulement du procès. L’exercice du droit de non-renvoi, s’il n’est pas limité, a des effets sur le processus de détermination du statut de réfugié même.
[308] Le processus de renvoi fait partie intégrante du processus de détermination du statut de réfugiés, sans lequel il n’est d’aucune utilité. Je veux dire par là que l’objectif essentiel du processus de détermination du statut de réfugié consiste à décider qui reste au Canada et qui doit partir. Si l’aspect renvoi du processus est miné par un droit trop large, alors l’efficacité de ses décisions et du système même est minée, de telle façon que le droit ne peut certainement pas être fondamental.
[309] En outre, les conditions qui permettent que soit miné le renvoi de demandeurs d’asile déboutés découlent des caractéristiques du processus décisionnel qui sous-tend la décision quant à savoir qui reste et qui est renvoyé. C’est précisément le délai occasionné par le traitement des demandes dans le cadre d’un système décisionnel équitable et complet, et surtout le temps requis pour exécuter la décision de renvoyer de façon humanitaire le demandeur d’asile débouté qui donne lieu habituellement aux conditions permettant au demandeur de prétendre qu’il y a eu changement de situation en ce qui concerne les risques.
[310] Je crois qu’il est difficile d’invoquer un droit fondamental si le préjudice qu’il cause aux objectifs du processus décisionnel découle des conditions inexorables et intrinsèques qui sont liées à un processus décisionnel humain qui comprend l’exécution de ses décisions et qui en constituent une caractéristique légitime. En fin de compte, permettre que les caractéristiques et les impératifs en matière de temps du processus décisionnel soient mis en opposition nuit au processus, surtout en l’espèce, en minant les objectifs du processus décisionnel juridictionnel qui consistent à rendre en temps opportun des décisions définitives exécutoires.
[311] Bien entendu, je ne parle pas en termes absolus. Le but n’est pas d’empêcher tous les renvois, mais de trouver le point d’équilibre en ce qui concerne les deux intérêts sociaux relativement réfractaires et importants : l’intérêt du demandeur à ne pas être renvoyé dans un pays où il serait exposé à des risques et l’intérêt de la société à maintenir les principes fondamentaux du processus de détermination du statut de réfugié. Cela comprend l’attente de la société que le principe à la base du renvoi rapide de demandeurs d’asile déboutés devrait être maintenu, à quelques exceptions près, d’une manière qui reflète l’expérience acquise après des années d’utilisation de la procédure d’ERAR. Par ce motif et les autres motifs mentionnés ci-haut, je conclus que le critère applicable en matière de renvoi est conforme à la Charte.
[312] Finalement, selon moi, mon interprétation selon laquelle le rejet d’une règle qui fait échec au système de détermination du statut de réfugié est un facteur énoncé à l’article 7 de la Charte est incompatible avec l’enseignement professé par ma collègue la juge Mactavish à l’occasion de l’affaire Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés c. Canada (Procureur général), 2014 CF 651, [2015] 2 R.C.F. 267 (Médecins canadiens), au paragraphe 930. Dans cette affaire, elle a conclu que la question de la protection de l’intégrité du processus de détermination du statut de réfugié relevait de l’article premier de la Charte. La situation dans cette affaire était quelque peu semblable à celle de la présente affaire, en ce sens que les demandeurs ont reconnu qu’il y a eu abus dans le système concernant les réfugiés et ont expressément reconnu que la préservation du système d’immigration était un objectif urgent et important. Les réformes du programme pour les réfugiés visaient à éliminer les recours abusifs aux dispositions accordant l’assurance-maladie aux demandeurs d’asile pendant que leur statut demeurait encore à déterminer. Sans tenter d’examiner les questions plus générales de savoir si une règle qui fait échec au processus dont elle fait partie est une question qui relève de l’article premier de la Charte, ou de savoir si j’applique mal le processus de mise en balance visant à délimiter les limites d’un droit garanti par la Charte, j’estime que les faits en l’espèce se distinguent des faits de l’affaire Médecins canadiens.
[313] L’affaiblissement du caractère définitif du processus de renvoi causé par le fait de déférer directement, sans justification, l’affaire à un ERAR, plutôt qu’indirectement, mine le processus décisionnel en matière de protection des réfugiés en diminuant l’efficacité et le caractère définitif de ses décisions. Le droit ou le principe juridique qui, selon le demandeur, est visé par l’article 7 de la Charte lors du renvoi ne sert à aucune des fins visées par la Charte, sauf s’il est limité de façon raisonnable afin d’éviter l’abus ou un autre préjudice qui pourrait entacher le processus de détermination du statut de réfugié. La présente affaire a trait à la délimitation du droit, non pas à la mise en balance des intérêts sociaux après la délimitation du droit. Autrement, il s’attaque à la nature du processus décisionnel relatif à la détermination du statut de réfugié et à ses limites sur le plan des délais, en réduisant à néant la nécessité essentielle que les délais soient réduits au minimum et que les décisions aient un caractère définitif et en faisant échec à la fin même qu’il est censé servir. Les faits de l’affaire Médecins canadiens n’ont pas trait à la viabilité du processus de détermination du statut de réfugié, ils n’ont trait qu’au retrait d’avantages accessoires à des demandeurs qui attendent les résultats de ce processus.
m) Conclusion sur la constitutionnalité du processus de renvoi
[314] J’ai apprécié les risques limités que comporte le renvoi en fonction du critère applicable en matière de renvoi par rapport à l’intérêt légitime qu’a la société à ce que les décisions et les exécutions relatives aux demandes d’asile qui exigent que les demandeurs d’asile, après rejet approfondi et équitable de leur demande, soient renvoyés de façon humaine, équitable et rapide, sous surveillance judiciaire, avec atteinte minimale au droit de non-renvoi, afin que soient respectées nos lois et évité l’abus de l’exercice du droit par la prolongation inacceptable de la résidence au Canada.
[315] Après avoir examiné les facteurs exposés plus haut et après avoir mis en balance les intérêts en cause, je conclus que le principe interdisant le renvoi du demandeur d’asile débouté en raison de risques allégués non-protégés, compte tenu du processus de renvoi actuellement prévu dans la LIPR et du critère applicable en matière de renvoi permettant d’apprécier une exposition à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain, n’est pas un principe qui est essentiel ou fondamental quant à notre conception de la justice en tant que société, au point qu’il prive le demandeur des droits qu’il tire de la Charte.
B. Le caractère raisonnable de la décision de l’agent de renvoi
[316] Les observations du demandeur attaquant le caractère raisonnable de la décision de l’agent de renvoi étaient de nature limitée et générale, mis à part la contestation, fondée sur la Charte, de l’interdiction de présenter des demandes d’ERAR et du processus de renvoi. Aucune partie de la décision de l’agent de renvoi n’a fait l’objet d’une contestation particulière mis à part l’argument voulant que la situation dans le pays en cause s’était beaucoup détériorée.
[317] L’agent de renvoi a soigneusement examiné les observations du demandeur concernant la documentation portant sur le pays. L’agent a fait état des motifs quant à sa conclusion portant que la thèse du demandeur voulant qu’il était exposé à des risques n’était que conjecture et n’était pas corroborée. Ces motifs comprenaient un rapprochement limité entre les profils et les situations personnelles des personnes mentionnées dans la documentation avec ceux du demandeur ainsi que les sources douteuses et partiales d’où émanaient les documents. De plus, la documentation ne contenait aucun renseignement selon lequel le demandeur aurait des liens avec les TLET et ne faisait aucune mention d’un comportement qu’il aurait eu, pendant qu’il se trouvait au Canada, qui aurait eu pour effet d’attirer l’attention des autorités sri-lankaises sur lui. La décision de l’agent de rejeter les arguments du demandeur selon lesquels la situation dans le pays en cause avait changé en ce qui concerne son profil de risque est suffisamment justifiée, transparente et intelligible pour que l’on conclue qu’elle appartient aux issues possibles acceptables (raisonnables) quant à cette question.
[318] Aucune observation sérieuse n’a été faite concernant un autre aspect de la décision. Le rejet par l’agent des nouveaux éléments de preuve concernant le travail que le demandeur a fait pour CARE et concernant le fait que sa famille est connue des autorités et fait l’objet d’une enquête est raisonnable. Non seulement la présentation par le demandeur d’un tout nouveau fondement concernant le risque après qu’il eut délibérément trompé la SPR à propos des raisons pour lesquelles il avait quitté le Sri Lanka ne doit pas être tolérée, mais les conclusions de l’agent voulant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve expliquant pourquoi cela s’était produit est également raisonnable. Je souscris également à la conclusion de l’agent selon laquelle les nouveaux éléments de preuve ne pourraient pas faire l’objet d’un examen dans le cadre d’un ERAR parce qu’ils ne satisfont pas aux exigences énoncées à l’alinéa 113a) de la Loi, du fait qu’ils étaient raisonnablement accessibles lors de l’audience de la SPR et que, dans les circonstances, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’ils aient été soumis à la SPR.
[319] Les observations du demandeur concernant l’examen par l’agent de sa demande CH comportent également des lacunes, en ce sens qu’elles ne contiennent aucune explication crédible quant au changement de la situation ayant trait à l’emploi allégué du demandeur chez CARE. De plus, le critère utilisé pour reporter le renvoi est fondé sur les facteurs de risque suivants : le demandeur serait exposé à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Les arrêts Wang, Baron et Shpati enseignent que le fait qu’une demande CH est pendante ne constitue pas un motif justifiant le report du renvoi lorsque la demande peut être complétée après le renvoi du demandeur du Canada.
[320] L’agent a également fait état de motifs raisonnables justifiant le rejet de l’affidavit de la parajuriste de l’avocat du demandeur, en raison de sa nature anecdotique et du fait qu’il ne confirme pas l’authenticité des affirmations contenues dans l’affidavit.
[321] De toute manière, je mets en doute la pertinence de la pratique, assez courante, que j’ai constatée, de la part de cabinets d’avocats, dans le cadre d’affaires en matière d’asile, qui consiste à présenter une preuve par affidavit portant sur des questions de fond importantes, comme, en l’espèce, la question de savoir dans quelle situation se trouvera le Tamoul renvoyé au Sri Lanka. En plus de confondre le rôle du cabinet comme avocat et celui de témoin comparaissant devant le décideur, et de franchir la ligne de démarcation qui sépare ces deux rôles, un élément de preuve de cette nature a peu, sinon aucune, valeur probante. Cette pratique soulève des questions de partialité et ne permet aucune corroboration parce que, comme en l’espèce, la source est tenue confidentielle, puisqu’il s’agit de renseignements visés par le secret professionnel. Elle est également intrinsèquement non-fiable en raison de sa nature extrajudiciaire et parce qu’il s’agit de ouï-dire. En outre, il faut reconnaître qu’un affidavit n’est simplement qu’un témoignage en interrogatoire principal. En l’absence de contre-interrogatoire visant à vérifier son exactitude et sa fiabilité, sauf dans les cas les plus urgents, il doit être rejeté sur-le-champ, d’autant plus lorsqu’aucune corroboration fiable n’est produite.
[322] En résumé, je conclus que la décision de l’agent appartient aux issues possibles acceptables et est justifiée dans des motifs transparents et intelligibles.
IX. CONCLUSION
[323] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
X. QUESTIONS CERTIFIÉES
[324] Au cours des débats, les parties ont reconnu qu’une question devrait être certifiée relativement à la constitutionnalité des dispositions prévues dans la LIPR quant à l’interdiction de présenter une demande d’ERAR. Il n’est pas controversé entre les parties que la question de la constitutionnalité de l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR ou du processus de renvoi aurait une portée générale et permettrait de régler l’appel.
A. Questions proposées par le demandeur
[325] Les parties ont proposé la certification de questions qui étaient dans l’ensemble semblables. Voici les questions proposées par le demandeur :
1. L’interdiction de 12 mois quant à l’examen des risques avant renvoi prévue à l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contrevient-elle à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés d’une manière qui ne peut être justifiée par l’article premier?
2. Si ce n’est pas le cas, quel critère doit être appliqué par l’agent d’exécution (agent de renvoi) qualifié et compétent pour décider s’il doit reporter le renvoi après avoir examiné les risques et s’être assuré du respect de l’article 7 de la Charte?
B. Questions proposées par le défendeur
[326] Les questions proposées par le défendeur sont les suivantes :
1. Etant donné l’ensemble du régime de la LIPR, l’alinéa 112(2)b.1) est-il contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, en ce sens qu’il interdit à une personne de présenter une demande de protection lorsque moins de 12 mois se sont écoulés depuis le dernier rejet de sa demande d’asile (ou retrait ou désistement)?
2. Dans le cas contraire, est-il justifié sur le plan constitutionnel de réexaminer le critère qui est actuellement appliqué par les agents d’exécution, et qui a été confirmé par la jurisprudence des cours d’appel (c.-à-d. le critère consacré par la jurisprudence Wang/Baron/Shpati), lorsqu’ils examinent une demande de report de renvoi fondée sur des allégations de risque? Si tel est le cas, sur quelle base?
[327] Selon moi, les questions proposées semblent ajouter des aspects que la Cour d’appel fédérale devra nécessairement garder à l’esprit quant aux questions constitutionnelles qu’elles soulèvent. De plus, je conclus que les questions ne devraient porter que sur l’article 7 de la Charte, comme l’a soutenu le défendeur dans une réponse à ma question.
C. Les questions certifiées
[328] Afin de formuler les questions constitutionnelles de la façon la plus générale qui soit, je certifie les deux questions suivantes en vue d’un appel :
1. L’interdiction figurant à l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi lorsque moins de 12 mois se sont écoulés depuis le dernier rejet de la demande d’asile est-elle contraire à l’article 7 de la Charte?
2. Si ce n’est pas le cas, le processus de renvoi actuel, utilisé dans les 12 mois suivant le dernier rejet de la demande d’asile, lorsqu’il est question de décider s’il faut reporter le renvoi à la demande d’un demandeur d’asile débouté afin de lui permettre de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi, est-il contraire à l’article 7 de la Charte?
JUGEMENT
LA COUR :
1. Rejette la demande;
2. Certifie les questions graves de portée générale suivantes :
a. L’interdiction figurant à l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi lorsque moins de 12 mois se sont écoulés depuis le dernier rejet de la demande d’asile est-elle contraire à l’article 7 de la Charte?
b. Si ce n’est pas le cas, le processus de renvoi actuel, utilisé dans les 12 mois suivant le dernier rejet de la demande d’asile, lorsqu’il est question de décider s’il faut reporter le renvoi à la demande d’un demandeur d’asile débouté afin de lui permettre de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi, est-il contraire à l’article 7 de la Charte?
L’HISTORIQUE LÉGISLATIF
Ce qui suit est un résumé de l’historique des lois canadiennes en matière de détermination du risque et de son adhésion aux traités pertinents. Lorsqu’il y a une indication à cet effet, les diverses dispositions dont il est question figurent à l’annexe B :
A. La Loi sur l’immigration de 1952 [S.R.C. 1952, ch. 325] ne contenait aucune disposition concernant les demandeurs d’asile ou les personnes qui prétendaient être exposées à des risques dans leur pays d’origine. Par conséquent, le processus de renvoi ne traitait pas précisément la question du risque.
B. La Loi sur la Commission d’appel de l’immigration [S.C. 1966-67, ch. 90] de 1967 a créé un nouveau régime pour la Commission d’appel de l’immigration et a précisé que la CAI pouvait surseoir à l’exécution d’une ordonnance de renvoi ou l’annuler lorsqu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’appelant serait puni pour des activités d’un caractère politique ou soumis à de graves tribulations ou qu’il existait des considérations d’ordre humanitaire (voir l’annexe B).
C. En 1969, le Canada a adhéré à la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 (la Convention relative au statut des réfugiés). L’article 1 de la Convention relative au statut des réfugiés mentionne quelles personnes seront considérées comme étant des réfugiés. L’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés institue le principe du non-refoulement, qui interdit aux États contractants d’expulser ou de refouler le réfugié vers un pays où « sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » (ajouté par la Cour).
D. Le 16 mai 1976, le Canada a adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
E. Une nouvelle Loi sur l’immigration a été adoptée en 1976 [Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52] et est entrée en vigueur en 1978, abrogeant la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration. L’un des objectifs visés était de remplir les obligations juridiques du Canada en matière de réfugiés. La définition de « réfugié » figurant dans la Convention a été incorporée à la Loi. La Loi énonce les procédures visant à déterminer le statut de réfugié. Il s’agissait des procédures qui étaient examinées par la Cour suprême dans l’arrêt Singh. Le principe connexe de non-refoulement a également été incorporé à la Loi. Le demandeur d’asile débouté avait le droit d’interjeter appel à la Commission d’appel de l’immigration, et lorsque cet appel était rejeté, le demandeur d’asile débouté faisait l’objet d’une mesure de renvoi (voir l’annexe B).
F. La Charte canadienne des droits et libertés a été promulguée en 1982.
G. Le 23 août 1985, le Canada a signé la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et l’a ratifiée le 24 juin 1987.
H. En 1985, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision à l’occasion de l’affaire Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177
I. De nombreuses modifications apportées à la Loi sur l’immigration sont entrées en vigueur en 1989. Par ces modifications, on a créé la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, laquelle était constituée de deux sections : la Section du statut de réfugié (la SSR) et la Section d’appel de l’immigration (la SAI). Une procédure en deux stades a été instaurée. Dans le cadre de cette procédure, on appréciait d’abord si la demande du demandeur d’asile avait un minimum de fondement, et le cas échéant, elle était renvoyée à la SSR (article 46.01). La SSR avait le pouvoir de décider si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention (la disposition de l’actuel article 96) après une audition complète sur le fond. La décision de la SSR pouvait faire l’objet d’une demande d’autorisation à la Cour fédérale (voir l’annexe B)
J. Les modifications à la Loi qui sont entrées en vigueur en 1993 éliminaient le stade du « minimum de fondement » de l’enquête sur l’admissibilité (ci-dessus). Les textes modifiés prévoyaient également qu’il était possible de surseoir au renvoi jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue par la Cour fédérale quant à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par la SSR (annexe B).
K. Également en 1993, le Règlement sur l’immigration a fait l’objet de modifications prévoyant la création d’une nouvelle catégorie prescrite : « la catégorie des demandeurs non-reconnus du statut de réfugié au Canada (la CDNRSRC) ». Cette catégorie visait les demandeurs d’asile déboutés qui, s’ils étaient renvoyés, seraient exposés à un risque « objectivement identifiable ». Le risque a été défini comme une menace à la vie (mais pas un risque causé par l’incapacité du pays à fournir des soins de santé adéquats), le risque de subir des sanctions excessives ou des traitements inhumains. Le demandeur d’asile débouté était réputé avoir présenté une demande visant à obtenir la qualité de membre de la CDNRSRC lorsque l’avis de la décision défavorable de la SSR avait été émis après février 1993. Plus tard, ces dispositions ont été modifiées de manière à prescrire que le demandeur d’asile débouté doit formuler des observations à l’appui de sa demande visant à obtenir la qualité de membre de la CDNRSRC (voir l’annexe B).
L. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) est entrée en vigueur le 28 juin 2002 et elle a abrogé la loi antérieure. Sous réserve des modifications qui ont été apportées depuis, notamment celles qui ont été apportées par le projet de loi C-31 [Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17], tel est toujours le cadre législatif applicable. La LIPR a remplacé la SSR par la Section de la protection de réfugiés (la SPR) qui est toujours le tribunal qui entend et tranche les demandes d’asile. Toutefois, la LIPR a ajouté l’article 97 aux motifs « regroupés » en vertu desquels la SPR pouvait conclure que le demandeur était une « personne à protéger ». En résumé, la CDNRSRC a été abolie, mais les motifs de risque ont été intégrés à l’article 97 de la LIPR et la compétence pour examiner ces motifs a été accordée à la SPR. Par conséquent, la SPR appréciait les risques visés par l’article 96 et l’article 97 lorsqu’elle entendait une demande d’asile. La LIPR a également ajouté les dispositions relatives à l’examen des risques avant renvoi qui prévoyaient que les demandeurs d’asile déboutés pouvaient demander à un agent d’ERAR de tenir compte de tout nouveau risque au sens des articles 96 et 97 qui s’était manifesté depuis la décision de la SPR (article 113) (voir l’annexe B).
M. L’alinéa 112(2) b.1) du projet de loi C-31 est entré en vigueur le 28 juin 2012 et prévoyait, notamment, que les personnes qui étaient visées par une mesure de renvoi n’avaient pas droit à un nouvel examen des risques par un agent d’ERAR avant que 12 mois ne se soient écoulés après la date à laquelle leur examen des risques antérieur avait été effectué.
N. L’article 48 de la LIPR a été modifié, et disposait que les mesures de renvoi devaient être exécutées « dès que possible » plutôt que « dès que les circonstances le permettent ». La modification est entrée en vigueur le 15 décembre 2012 (ajouté par la Cour, voir l’annexe B).
O. L’historique législatif de la disposition en question, l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR, est relativement complexe, en raison du fait qu’elle a d’abord été introduite en 2010 dans le projet de loi C-11. La disposition en question était censée entrer en vigueur en juin 2012 et est bel et bien entrée en vigueur en juin 2012, mais aux termes du projet de loi C-31 (la LPSIC). La plupart, mais non la totalité des débats parlementaires concernant l’alinéa 112(2)b.1) ont eu lieu durant les sessions parlementaires de 2010. Pour cette raison, l’historique est assez long et complexe en raison des différents contextes législatifs dans lesquels il a d’abord été soulevé, puis finalement introduit. La principale différence entre le projet de loi C-11 et le projet de loi C-31 est que ce dernier a réintroduit l’interdiction relative aux demandes CH (pour un an) et a limité le recours à (la Section d’appel des réfugiés) (ajouté par la Cour à partir du mémoire supplémentaire, daté du 14 novembre 2013, présenté par le défendeur dans le cadre de la procédure en contrôle judiciaire; voir l’annexe B).
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
L’annexe B est liée à l’annexe A. Elle contient le libellé des dispositions législatives lorsque cela est expressément indiqué à l’annexe A, tel qu’il a été fourni par le ministre, en anglais seulement. La Cour reproduit ci-dessous les textes législatifs en français et en anglais.
B. Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, S.C. 1966-67, ch. 90
15. (1) Lorsque la Commission rejette un appel d’une ordonnance d’expulsion ou rend une ordonnance d’expulsion en conformité de l’alinéa c) de l’article 14, elle doit ordonner que l’ordonnance soit exécutée le plus tôt possible, sauf que a) dans le cas d’une personne qui était un résident permanent à l’époque où a été rendue l’ordonnance d’expulsion, compte tenu de toutes les circonstances du cas, ou b) dans le cas d’une personne qui n’était pas un résident permanent à l’époque où a été rendue l’ordonnance d’expulsion, compte tenu (i) de l’existence de motifs raisonnables de croire que, si l’on procède à l’exécution de l’ordonnance, la personne intéressée sera punie pour des activités d’un caractère politique ou soumise à de graves tribulations, ou (ii) l’existence de motifs de pitié ou de considérations d’ordre humanitaire qui, de l’avis de la Commission, justifient l’octroi d’un redressement spécial, la Commission peut ordonner de surseoir à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion ou peut annuler l’ordonnance et ordonner qu’il soit accordé à la personne contre qui l’ordonnance avait été rendue le droit d’entrée ou de débarquement. |
Exécution de l’ordonnance. |
E. Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52
interprétation
2. (1) Dans la présente loi, […] |
Définitions |
« réfugié au sens de la Convention » désigne toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques a) se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou b) qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner; […] |
« réfugié au sens de la Convention » “ Convention…” |
Les objectifs
3. Il est, par les présentes, déclaré que la politique d'immigration du Canada, ainsi que les règles et règlements établis en vertu de la présente loi, sont conçus et mis en œuvre en vue de promouvoir ses intérêts sur le plan interne et international, en reconnaissant la nécessité […] g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations légales du Canada sur le plan international et de maintenir sa traditionnelle attitude humanitaire à l'égard des personnes déplacées ou persécutées; […] |
Objectifs en matière d’immigration |
Reconnaissance du statut de réfugié
45. (1) Une enquête, au cours de laquelle la personne en cause revendique le statut de réfugié au sens de la Convention, doit être poursuivie. S’il est établi qu’à défaut de cette revendication, l’enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à un avis d’interdiction de séjour, elle doit être ajournée et un agent d’immigration supérieur doit procéder à l’interrogatoire sous serment de la personne au sujet de sa revendication. |
Revendication du statut de réfugié au cours d’une enquête |
(2) Après l’interrogatoire visé au paragraphe (1), la revendication, accompagnée d’une copie de l’interrogatoire, est transmise au Ministre pour décision. |
Transmission au Ministre |
(3) Une copie de l’interrogatoire visé au paragraphe (1) est remise à la personne qui revendique le statut de réfugié. |
Remise de la copie de l’interrogatoire à l’intéressé |
(4) Le Ministre, saisi d’une revendication conformément au paragraphe (2), doit la soumettre, accompagnée d’une copie de l’interrogatoire, à l’examen du comité consultatif sur le statut de réfugié institué par l’article 48. Après réception de l’avis du comité, le Ministre décide si la personne est un réfugié au sens de la Convention. |
Décision du Ministre |
(5) Le Ministre doit notifier sa décision par écrit, à l’agent d’immigration supérieur qui a procédé à l’interrogatoire sous serment et à la personne qui a revendiqué le statut de réfugié. […] |
Communication de la décision |
46. (1) L’agent d’immigration supérieur, informé conformément au paragraphe 45(5) que la personne en cause n’est pas un réfugié au sens de la Convention, doit faire reprendre l’enquête, dès que les circonstances le permettent, par l’arbitre qui en était chargé ou par un autre arbitre, à moins que la personne en cause ne demande à la Commission, en vertu du paragraphe 70(1), de réexaminer sa revendication; dans ce cas, l’enquête est ajournée jusqu'à ce que la Commission notifie sa décision au Ministre. |
Reprise de l’enquête |
(2) L’arbitre chargé de poursuivre l’enquête en vertu du paragraphe (1), doit, comme si la revendication du statut de réfugié n’avait pas été formulée, prononcer le renvoi ou l’interdiction de séjour de la personne a) à qui le Ministre n’a pas reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention, si le délai pour demander le réexamen de sa revendication prévu au paragraphe 70(1) est expiré; ou b) à qui la Commission n’a pas reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention. […] |
Non-reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention |
Exécution des ordonnances
[…]
55. Par dérogation aux paragraphes 54(2) et (3), un réfugié au sens de la Convention ne peut être renvoyé dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées, du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques à moins a) qu’il ne fasse partie des personnes non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), e), f) ou g), b) qu’il ne soit une des personnes visées aux alinéas 27(1)c) ou 27(2)c), ou c) qu’il n’ait été déclaré coupable au Canada d’une infraction prévue par une loi du Parlement et punissable d’une peine d’au moins dix ans d’emprisonnement, et que la Ministre ne soit d’avis qu’il ne devrait pas être autorisé à demeurer au Canada. […] |
Renvoi des réfugiés au sesn de la Convention |
Demandes de réexamen et appels
70. (1) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention et à qui le Ministre a fait savoir par écrit, conformément au paragraphe 45(5), qu’elle n’avait pas ce statut, peut, dans le délai prescrit, présenter à la Commission une demande de réexamen de sa revendication. |
Demande de réexamen de revendication |
(2) Toute demande présentée à la Commission en vertu du paragraphe (1) doit être accompagnée d’une copie de l’interrogatoire sous serment visé au paragraphe 45(1) et contenir ou être accompagnée d’une déclaration sous serment du demandeur contenant a) le fondement de la demande; b) un exposé suffisamment détaillé des faits sur lesquels repose la demande; c) un résumé suffisamment détaillé des renseignements et des preuves que le demandeur se propose de fournir à l’audience; et d) toutes observations que le demandeur estime pertinentes. |
Déclaration relative à la revendication |
71. (1) La Commission, saisie d’une demande visée au paragraphe 70(2), doit l’examiner sans délai. À la suite de cet examen, la demande suivra son cours au cas où la Commission estime que le demandeur pourra vraisemblablement en établir le bien-fondé à l’audition; dans le cas contraire, aucune suite n’y est donnée et la Commission doit décider que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention. […] |
Examen et décision |
72. (1) Toute personne frappée par une ordonnance de renvoi qui est soit un résident permanent, autre qu’une personne ayant fait l’objet du rapport visé au paragraphe 40(1), soit un titulaire de permis de retour valable et émis conformément aux règlements, peut interjeter appel à la Commission en invoquant l’un ou les deux motifs suivants : a) un moyen d’appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait; b) le fait que, compte tenu des circonstances de l’espèce, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada. |
Appel des résidents permanents et des titulaires de permis de retour |
(2) Toute personne, frappée par une ordonnance de renvoi, qui a) n’est pas un résident permanent, mais dont le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu par le Ministre ou par la Commission, ou b) demande l’admission et était titulaire d’un visa en cours de la validité lorsqu’elle a fait l’objet du rapport visé au paragraphe 20(1), peut, sous réserve du paragraphe (3), interjeter appel à la Commission en invoquant l’un ou les deux motifs suivants : c) un moyen d’appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait; d) le fait que, compte tenu de considérations humanitaires ou de compassion, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada. […] |
Appel des réfugiés au sens de la Convention et des titulaires de visa |
Appel à la Cour d’appel fédérale
84. La décision de la Commission relativement à un appel interjeté en vertu de la présente loi est susceptible d’appel à la Cour d’appel fédérale sur toute question de droit, y compris de compétence, dans la mesure où ladite Cour accorde l’autorisation d’appel, sur demande déposée dans un délai de quinze jours du prononcé de la décision sujette à appel; ce délai peut, pour des raisons spéciales, être prorogé par un juge de ladite Cour. |
Appel à la Cour d’appel fédérale |
I. Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 43(1) à (3) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14), 44 (mod., idem), 46(1) (mod., idem), 46.01(6) (mod., idem), 46.02 (mod., idem), 49 (mod., idem, art. 16), 57(1) (mod., idem, art. 18), 67(1) (mod., idem), 69.1(1) (mod., idem), (4) à (5) (mod., idem), (9) (mod., idem), 82.1(1) (mod., idem, art. 19)
Revendication du statut de réfugié au sens de la Convention
43. (1) Avant que ne soient présentés des éléments de preuve au fond, l’arbitre donne à la personne qui fait l’objet de l’enquête la possibilité de faire savoir si elle revendique le statut de réfugié au sens de la Convention. |
Possibilité de revendiquer le statut |
(2) En l’absence de la revendication visée au paragraphe (1), l’enquête se poursuit et la question du statut de réfugié ne peut plus être prise en considération au cours de l’enquête ni au cours des demandes, appels ou autres procédures qui en découlent. |
Absence de revendication |
(3) En cas de revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, l’enquête ne peut se poursuivre qu’en présence et de l’arbitre et d’un membre de la section du statut. Elle est ajournée, s’il y a lieu, pour permettre cette présence. […] |
Existence de la revendication |
44. (1) Les visiteurs séjournant légalement au Canada et les titulaires de permis peuvent revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en avisant en ce sens un agent d’immigration. |
Revendication du statut par un visiteur ou un titulaire de permis |
(2) Dès qu’il est avisé de la revendication, l’agent d’immigration défère le cas à un agent principal, sauf si l’intéressé est un visiteur et, relevant de l’un des cas visés au paragraphe 27(2), fait, aux termes du paragraphe 27(3), l’objet d’une directive du sous-ministre prévoyant la tenue d’une enquête. |
Renvoi à l’agent principal |
(3) Dans les meilleurs délais, l’agent principal fait tenir une audience sur le cas devant un arbitre et un membre de la section du statut. […] |
Audience |
46. (1) Les règles suivantes s’appliquent aux enquêtes ou audiences tenues devant un arbitre et un membre de la section du statut : a) dans le cas d’une enquête, l’arbitre détermine si le demandeur de statut doit être autorisé à entrer au Canada ou à y demeurer, selon le cas; b) l’arbitre et le membre déterminent si la revendication est recevable par la section du statut; c) si au moins l’un des deux conclut à la recevabilité, ils déterminent ensuite si la revendication a un minimum de fondement. […] 46.01. […] |
Déterminations |
(6) L’arbitre ou le membre de la section du statut concluent que la revendication a un minimum de fondement si, après examen des éléments de preuve présentés à l’enquête ou à l’audience, ils estiment qu’il existe des éléments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder pour reconnaître à l’intéressé le statut de réfugié au sens de la Convention. Parmi les éléments présentés, ils tiennent compte notamment des points suivants : a) les antécédents en matière de respect des droits de la personne du pays que le demandeur a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d’être persécuté; b) les décisions déjà rendues aux termes de la présente loi ou de ses règlements sur les revendications où était invoquée la crainte de persécution dans ce pays. […] |
Minimum de fondement |
46.02. (1) S’ils en viennent tous les deux à la conclusion que la revendication n’est pas recevable par la section du statut ou qu’elle n’a pas un minimum de fondement, l’arbitre et le membre de la section du statut prononcent leur décision, motifs à l’appui, le plus tôt possible et en présence du demandeur si les circonstances le permettent. S’il s’agit d’une enquête, l’arbitre prend ensuite, sous réserve du paragraphe 4(2.1), les mesures qui s’imposent aux termes de l’article 32. |
Absence du droit à la revendication |
(2) Si au moins l’un d’eux conclut à la recevabilité de la revendication, et au moins l’un d’eux conclut que celle-ci a un minimum de fondement, l’arbitre et le membre de la section du statut prononcent leur décision, motifs à l’appui, le plus tôt possible, en présence du demandeur si les circonstances le permettent, et défèrent sans délai le cas à la section du statut, selon les modalités prévues par les règles de la Commission. S’il s’agit d’une enquête, l’arbitre prend ensuite les mesures qui s’imposent aux termes des paragraphes 32(1), (3) ou (4) ou de l’article 32.1. […] |
Existence du droit à la revendication |
49. (1) Sauf dans le cas où l’intéressé fait l’objet du rapport prévu à l’alinéa 20(1)a) et réside ou séjourne aux États-Unis ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, il est sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi : a) à la demande de la personne visée qui a un droit d’appel devant la section d’appel, durant vingt-quatre heures à compter du moment où elle a été avisée de ce droit conformément à l’article 36; b) à la demande de la personne visée qui a le droit de produire une demande d’autorisation d’introduire une instance aux termes des articles 18 ou 28 de la Loi sur la Cour fédérale, durant soixante-douze heures à compter du moment où la mesure a été prise; c) en cas d’appel à la section d’appel, jusqu’à ce que cette dernière ait rendu sa décision ou déclaré qu’il y a eu désistement d’appel; d) si l’intéressé ne tombe pas sous le coup de l’alinéa 19(1)g) et dépose devant la Cour d’appel fédérale une demande d’autorisation d’appel d’une décision de la section d’appel ou d’une décision de la section du statut rendue aux termes du paragraphe 69.3(4), ou notifie par écrit à un agent d’immigration son intention de la faire, jusqu’à la décision du tribunal sur l’autorisation ou l’appel, ou l’expiration du délai normal de demande d’autorisation ou d’appel, selon le cas; e) si l’intéressé ne tombe pas sous le coup de l’alinéa 19(1)g) et dépose une demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada de la décision de la Cour d’appel fédérale sur l’appel visé à l’alinéa d), ou notifie par écrit à un agent d’immigration son intention de la faire, jusqu’à la décision de la Cour suprême sur la demande d’autorisation ou l’appel ou l’expiration du délai normal de demande d’autorisation ou d’appel, selon le cas. […] |
Sursis à exécution |
Revendications et Appels
Mise sur pied de la Commission
57. (1) Est constituée la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, formée de deux sections : la section d’appel de l’immigration et la section du statut de réfugié. […] |
Constitution |
Section du statut de réfugié
67. (1) La section du statut a compétence exclusive, en matière de procédures visées aux articles 69.1 et 69.2, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait, y compris des questions de compétence. […] |
Compétence exclusive |
69.1 (1) La section du statut entend dans les meilleurs délais la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention dont elle est saisie aux termes du paragraphe 46.02(2) ou 46.03(5). […] |
Audience |
(4) L’audience sur la revendication se tient en présence de l’intéressé. |
Présence de l’intéressé |
(5) À l’audience, la section du statut est tenue de donner à l’intéressé et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations, ces deux derniers droits n’étant toutefois accordés au ministre que s’il l’informe qu’à son avis, la revendication met en cause la section E ou F de l’article premier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi. […] |
Droit de se faire entendre |
(9) La section du statut rend sa décision sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le plus tôt possible après l’audience et la notifie à l’intéressé et au ministre par écrit. […] |
Décision |
Demandes et appels à la Cour fédérale
82.1 (1) L’introduction d’une instance aux termes des articles 18 ou 28 de la Loi sur la Cour fédérale ne peut, pour ce qui est des décisions ou ordonnances rendues ou mesures prises dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d’application — règlements ou règles — ou de toute question soulevée dans ce cadre, se faire qu’avec l’autorisation d’un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale ou de la Cour d’appel fédérale, selon le cas. |
Instances devant la Cour fédérale |
J. Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [art. 44(1) à (4) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 35), 45(1) (mod., idem), 46.02 (mod., idem, art. 37), 49(1)a) à c) (mod., idem, art. 41)]
44. (1) Toute personne se trouvant au Canada peut revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en avisant en ce sens un agent d'immigration, à condition de ne pas être frappée d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée, à moins que la mesure n'ait été annulée en appel. |
Revendication du statut de réfugié |
(2) Le cas échéant, l’agent d'immigration défère sans délai le cas à un agent principal. |
Renvoi à l’agent principal |
(3) Lorsque la personne qui fait l'objet d'une enquête revendique le statut de réfugié au sens de la Convention conformément au paragraphe (1), l'arbitre détermine si elle doit être autorisée à entrer au Canada ou à y demeurer et prend à son égard la mesure indiquée prévue aux paragraphes 32(1), (3) ou (4) ou à l'article 32.1. |
Décision de l’arbitre |
(4) Si la revendication est jugée irrecevable par l'agent principal avant la fin de l'enquête, l'arbitre prend contre l'intéressé la mesure indiquée prévue à l'article 32. […] |
Idem |
45. (1) L'agent principal à qui le cas a été déféré décide, sous réserve du paragraphe (2), de la recevabilité de la revendication; il doit en outre, si l'intéressé fait l'objet d'un rapport en vertu des paragraphes 20(1) ou 27(1) ou (2) ou s'il a été arrêté en vertu du paragraphe 103(2), prendre à son encontre la mesure indiquée prévue aux paragraphes 23(4) ou (4.2) ou 27(4) ou (6) ou à l'article 28. […] |
Décision de l’agent principal |
46.02. S'il conclut à la recevabilité de la revendication, l'agent principal défère sans délai le cas à la section du statut selon les modalités prévues par les règles mentionnées au paragraphe 65(1). […] |
Existence du droit à la revendication |
49. (1) Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe (1.1), il est sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi : a) à la demande de l'intéressé — s'il a un droit d'appel devant la section d'appel — jusqu'à l'expiration du délai de présentation de l'appel; b) en cas d'appel, jusqu'à ce que la section d'appel ait rendu sa décision ou déclaré qu'il y a eu désistement d'appel; c) sous réserve des alinéas d) et f), dans le cas d'une personne qui s'est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention par la section du statut ou dont l'appel a été rejeté par la section d'appel : (i) si l'intéressé présente une demande d'autorisation relative à la présentation d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ou notifie par écrit à un agent d'immigration son intention de le faire, jusqu'au prononcé du jugement sur la demande d'autorisation ou la demande de contrôle judiciaire, ou l'expiration du délai normal de demande d'autorisation, selon le cas, (ii) si l'intéressé interjette un appel à la Cour d'appel fédérale du jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale, dans le cas où celle-ci a certifié conformément au paragraphe 83(1) que l'affaire soulève une question grave de portée générale et a énoncé celle-ci, ou notifie par écrit à un agent d'immigration son intention de le faire, jusqu'au prononcé du jugement sur l'appel ou l'expiration du délai normal d'appel, selon le cas, (iii) si l'intéressé dépose une demande d'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada du jugement de la Cour d'appel fédérale sur l'appel visé au sous-alinéa (ii), ou notifie par écrit à un agent d'immigration son intention de le faire, jusqu'au jugement de la Cour suprême sur la demande d'autorisation ou l'appel ou l'expiration du délai normal de demande d'autorisation ou d'appel, selon le cas; |
Sursis à l’exécution |
K. Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172 [art. 2(1) « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » (édicté par DORS/93-44, art. 1), 11.4(1) à (3) (édicté idem, art. 10)]
2. (1) […]
« demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » Immigrant au Canada :
a) à l’égard duquel la section du statut a décidé, le 1er février 1993 ou après cette date, de ne pas reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, à l’exclusion d’un immigrant, selon le cas :
(i) qui a retiré sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention,
(ii) à l’égard duquel la section du statut a, en vertu du paragraphe 69.1(6) de la Loi, conclu au désistement de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention,
(iii) à l’égard duquel la section du statut a déterminé, en vertu du paragraphe 69.1(9.1) de la Loi, que sa revendication n’a pas un minimum de fondement.
(iv) qui a quitté le Canada à tout moment après qu’il a été déterminé qu’il n’est pas un réfugié au sens de la Convention;
b) auquel un agent d’immigration n’a pas déjà refusé le droit d’établissement en vertu de l’article 11.4;
c) dont le renvoi vers un pays dans lequel il peut être renvoyé l’expose personnellement, en tout lieu de ce pays, à l’un des risques suivants, objectivement identifiable, auquel ne sont pas généralement exposés d’autres individus provenant de ce pays ou s’y trouvant :
(i) sa vie est menacée pour les raisons autres que l’incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats,
(ii) des sanctions excessives peuvent être exercées contre lui,
(iii) un traitement inhumain peut lui être infligé (member of the post-determination refugee claimants in Canada class)
[…]
11.4 (1) Les exigences relatives à l’établissement d’un demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada et des personnes à sa charge, le cas échéant, sont les suivantes :
a) ni lui ni aucune des personnes à sa charge précisées selon le paragraphe 10.2(2) de la Loi n’appartiennent à une catégorie visée aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou (2)a) ou au sous-alinéa 19(2)a.1)(i) de la Loi;
b) ni lui ni aucune des personnes à sa charge précisées selon le paragraphe 10.2(2) de la Loi n’ont été déclarés coupables d’une infraction visée à l’alinéa 27(2)d) de la Loi pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois a été infligée ou qui peut être punissable d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans;
c) le demandeur était au Canada le jour où il est devenu demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada et il est demeuré au Canada depuis ce jour;
d) le demandeur possède un passeport ou un document de voyage en cours de validité ou des papiers d’identité acceptables.
(2) Pour l’application du paragraphe 6(5) de la Loi, la personne à l’égard de laquelle la section du statut a décidé, le 1er février 1993 ou après cette date, de ne pas reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention est réputée avoir soumis une demande d’établissement à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada à un agent d’immigration le jour où la section du statut a rendu cette décision.
(3) Sous réserve du paragraphe (4), les exigences relatives à l’établissement visées au paragraphe (1) ne s’appliquent qu’à compter de l’expiration du délai de 15 jours qui suit la notification à la personne, par la section du statut, du refus du statut de réfugié au sens de la Convention, afin que la personne ait la possibilité de présenter par écrit à un agent d’immigration ses observations concernant les question visées à l’alinéa c) de la définition de « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » au paragraphe 2(1).
Tel que modifié ultérieurement [Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 11.4(2) et (3) (mod. par DORS/97-182, art. 5)]
11.4 […]
(2) Pour l’application du paragraphe 6(5) de la Loi, la personne à laquelle la section du statut a décidé de ne pas reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention :
a) au cours de la période du 1er février 1993 au 30 avril 1997, est réputée avoir présenté à un agent d’immigration une demande d’établissement à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada le jour où la section du statut a rendu cette décision;
b) le 1er mai 1997 ou après cette date, si elle a l’intention de présenter une demande d’établissement à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada, doit présenter à un agent d’immigration une demande visant l’attribution de la qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada dans les 15 jours suivant la date où la section du statut l’a avisée de sa décision.
(3) La personne, à l’exclusion des personnes visées aux sous-alinéas a)(i) à (vii) de la définition de « demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada » au paragraphe 2(1), peut présenter par écrit à un agent d’immigration ses observations concernant les questions visées à l’alinéa c) de cette définition; ces observations doivent parvenir à un agent d’immigration avant la date suivante :
a) dans le cas d’une personne visée à l’alinéa (2)a) dont le demande d’établissement est pendante, le 1er juin 1997 ou la date de la décision de l’agent d’immigration relative à cette demande, selon la plus tardive de ces deux dates;
b) dans le cas d’une personne visée à l’alinéa (2)b), la date d’expiration du délai de 30 jours suivant la date de présentation de la demande visant l’attribution de la qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada ou la date de la décision de l’agent d’immigration relative à cette demande, selon la plus tardive de ces deux dates.
L. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, telle que sanctionnée le 1er novembre 2001 (LIPR)
Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger
[…]
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays; b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. |
Définition de « réfugié » |
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture; b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. |
Personne à protéger |
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection. |
Personne à protéger |
98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger. […] |
Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés |
Examen des risques avant renvoi
Protection
112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1). |
Demande de protection |
(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants : a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition; b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e); c) si elle n’a pas quitté le Canada après le rejet de sa demande de protection, le délai prévu par règlement n’a pas expiré; d) dans le cas contraire, six mois ne se sont pas écoulés depuis son départ consécutif soit au rejet de sa demande d’asile ou de protection, soit à un prononcé d’irrecevabilité, de désistement ou de retrait de sa demande d’asile. |
Exception |
(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants : a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée; b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans; c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés; d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1). |
Restriction |
113. Il est disposé de la demande comme il suit : a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet; b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires; c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98; d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part : (i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada, (ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada. |
Examen de la demande |
114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant. |
Effet de la décision |
(2) Le ministre peut révoquer le sursis s’il estime, après examen, sur la base de l’alinéa 113d) et conformément aux règlements, des motifs qui l’ont justifié, que les circonstances l’ayant amené ont changé.
|
Révocation du sursis |
N. LIPR, art. 48 [tel que sanctionné le 1er novembre 2001](ajouté par la Cour)
48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis. |
Mesure de renvoi |
(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.
|
Conséquence |
[LIPR, art. 48(2)], modifié par la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada, L.C. 2012, ch. 17, art. 20 (la LPSIC)
20. Le paragraphe 48(2) de la même loi est remplacé par ce qui suit : |
|
(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.
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Conséquence |
O. LIPR [art. 25], modifié par Loi sur les mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, L.C. 2010, ch. 8, art. 4 (ajouté par la Cour)
4. (1) Le paragraphe 25(1) de la même loi est remplacé par ce qui suit : |
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25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. |
Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger |
(1.1) Le ministre n’est saisi de la demande que si les frais afférents ont été payés au préalable. |
Paiement des frais |
(1.2) Le ministre ne peut étudier la demande de l’étranger si celui-ci a déjà présenté une telle demande et celle-ci est toujours pendante. |
Exceptions |
(1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face. |
Non-application de certains facteurs |
(2) Le paragraphe 25(2) de la version française de la même loi est remplacé par ce qui suit : |
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(2) Le statut de résident permanent ne peut toutefois être octroyé à l’étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.
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Critères provinciaux |
[LIPR, art. 25], tel que modifié par la LPSIC, art. 13
13. (1) Le paragraphe 25(1) de la même loi est remplacé par ce qui suit : |
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25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. |
Séjour pour motifs d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger |
(1.01) L’étranger désigné ne peut demander l’étude de son cas en vertu du paragraphe (1) que si cinq années se sont écoulées depuis l’un ou l’autre des jours suivants : a) s’il a fait une demande d’asile sans avoir fait de demande de protection, le jour où il a été statué en dernier ressort sur la demande d’asile; b) s’il a fait une demande de protection, le jour où il a été statué en dernier ressort sur cette demande; c) dans les autres cas, le jour où il devient un étranger désigné. |
Réserve — étranger désigné |
(1.02) La procédure d’examen de la demande visée au paragraphe (1) présentée par l’étranger qui devient, à la suite de cette demande, un étranger désigné est suspendue jusqu’à ce que cinq années se soient écoulées depuis l’un ou l’autre des jours suivants : a) si l’étranger désigné a fait une demande d’asile sans avoir fait de demande de protection, le jour où il a été statué en dernier ressort sur la demande d’asile; b) s’il a fait une demande de protection, le jour où il a été statué en dernier ressort sur cette demande; c) dans les autres cas, le jour où il devient un étranger désigné. |
Suspension de la demande |
(1.03) Le ministre peut refuser d’examiner la demande visée au paragraphe (1) présentée par l’étranger désigné si : a) d’une part, celui-ci a omis de se conformer, sans excuse valable, à toute condition qui lui a été imposée en vertu du paragraphe 58(4) ou de l’article 58.1 ou à toute obligation qui lui a été imposée en vertu de l’article 98.1; b) d’autre part, moins d’une année s’est écoulée depuis la fin de la période applicable visée aux paragraphes (1.01) ou (1.02). […] |
Refus d’examiner la demande |
(3) Le paragraphe 25(1.2) de la même loi est remplacé par ce qui suit : |
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(1.2) Le ministre ne peut étudier la demande de l’étranger faite au titre du paragraphe (1) dans les cas suivants : a) l’étranger a déjà présenté une telle demande et celle-ci est toujours pendante; b) il a présenté une demande d’asile qui est pendante devant la Section de la protection des réfugiés ou de la Section d’appel des réfugiés; c) sous réserve du paragraphe (1.21), moins de douze mois se sont écoulés depuis le dernier rejet de la demande d’asile, le dernier prononcé de son retrait après que des éléments de preuve testimoniale de fond aient été entendus ou le dernier prononcé de son désistement par la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés. |
Exceptions |