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2014 CAF 68

A-191-12

Apotex Inc. (appelante)

c.

Sanofi-Aventis, Sanofi-Aventis Deutschland GmbH et Sanofi-Aventis Canada Inc. (intimées)

A-193-12

Sanofi-Aventis, Sanofi-Aventis Deutschland GmbH et Sanofi-Aventis Canada Inc. (appelantes)

c.

Apotex Inc. (intimée)

A-397-12

Sanofi-Aventis, Sanofi-Aventis Deutschland GmbH et Sanofi-Aventis Canada Inc. (appelantes)

c.

Apotex Inc. (intimée)

A-474-12

Sanofi-Aventis, Sanofi-Aventis Deutschland GmbH et Sanofi-Aventis Canada Inc. (appelantes)

c.

Apotex Inc. (intimée)

Répertorié : Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis

Cour d’appel fédérale, juges Sharlow, Pelletier et Mainville, J.C.A.—Toronto, 30 et 31 octobre 2013; Ottawa, 14 mars 2014.

Brevets — Appels interjetés à l’encontre de jugements rendus par la Cour fédérale ayant ordonné qu’une indemnité soit versée à Apotex Inc. en application de l’art. 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement AC), pour la perte de profits nette se rapportant à la version générique du médicament ramipril — Sanofi-Aventis, Sanofi-Aventis Deutschland GmbH et Sanofi-Aventis Canada Inc. (Sanofi) revendiquent des droits de brevet à l’égard du médicament ramipril — Apotex a été empêchée de commercialiser le ramipril jusqu’au 12 décembre 2006 en raison de diverses demandes qu’avait déposées Sanofi, sur le fondement de ses droits de brevet, aux termes de l’art. 6(1) du Règlement AC pour que soient rendues des ordonnances interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité (AC) — Le Règlement AC dispose notamment que, si la demande présentée aux termes de l’art. 6(1) est rejetée, le titulaire du brevet, Sanofi en l’espèce, est responsable envers les tiers, Apotex en l’espèce, de toute perte subie par eux en raison du retard — Apotex était en droit de recevoir une indemnité en l’espèce — Les points soulevés par les présents appels concernaient principalement le cadre établi pour fixer le montant d’une indemnité au titre de l’art. 8 du Règlement AC — Les questions soulevées portaient sur les dates de début et de fin de la période de responsabilité selon l’art. 8, les caractéristiques du marché hypothétique et la double transition — La majorité de la Cour a souscrit aux conclusions du juge Mainville que la juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant que a) la période de responsabilité selon l’art. 8 a commencé le 26 avril 2004 et pris fin le 12 décembre 2006, b) qu’Apotex a droit à une indemnité pour la perte de ventes de sa version générique du ramipril liées aux indications HOPE et c) qu’un fabricant de médicaments génériques autorisés aurait acquis une part de 30 p. 100 du marché hypothétique de la version générique du ramipril après 24 mois — Cependant, la majorité n’a pas souscrit aux conclusions du juge Mainville quant 1) à la méthode visant à déterminer la date à laquelle les concurrents potentiels d’Apotex seraient entrés sur le marché hypothétique et 2) à celle concernant la double transition — La juge de première instance a rejeté à bon droit la méthode du libre accès — Dans le marché hypothétique, le comportement de fabricants concurrents de médicaments génériques doit être déterminé en tenant pour acquis que le Règlement AC existe et que chaque fabricant de médicaments génériques agira en conséquence — Quant à la double transition, la diminution des ventes durant la période réelle de transition était une perte survenue après la période de responsabilité selon l’art. 8, et que c’était donc une perte qui ne pouvait fonder une demande d’indemnisation au titre de l’art. 8 — Cette conclusion est la conséquence inévitable de la décision du gouverneur en conseil de limiter l’indemnité visée à l’art. 8 aux pertes subies à l’intérieur de la période de responsabilité selon l’art. 8 — L’appel dans le dossier A-191-12 est accueilli; les appels dans les dossiers A-193-12 et A-397-12 sont rejetés; l’appel dans le dossier A-471-12 est accueilli à seule fin de faciliter le nouveau calcul du montant de l’indemnité — Le juge Mainville, J.C.A. (dissident) : la date normale ou implicite de début de la période de responsabilité selon l’art. 8 est celle à laquelle l’AC aurait été délivré au fabricant de médicaments génériques, n’eût été l’application du Règlement AC — L’ordonnance d’interdiction est, s’agissant des décisions touchant la responsabilité au titre de l’art. 8 du Règlement AC, tout simplement dépourvue de pertinence en raison de la décision postérieure sur l’absence de contrefaçon — Quant au marché hypothétique durant la période de responsabilité au titre de l’art. 8, une méthode de nature à indemniser convenablement et équitablement les fabricants de médicaments génériques doit être préférée à une méthode qui procure presque invariablement un gain fortuit — La méthode retenue par la juge de première instance dans la présente affaire en est une qui procure de par sa nature des gains fortuits — La bonne méthode consiste à concevoir un marché hypothétique qui se rapproche le plus possible du marché réel — Quant à la période de transition, le rejet de la réclamation liée à la double transition faisait en sorte que Sanofi bénéficiait d’un gain fortuit parce que la période de transition est considérée deux fois — Dans un tel cas, il est permis à un tribunal d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 8(5) du Règlement AC et de considérer comme facteur pertinent la période réelle de transition qui a eu lieu dans le marché réel afin d’éviter qu’elle soit comptée deux fois dans le marché hypothétique.

Il s’agissait de quatre appels interjetés à l’encontre de jugements de la Cour fédérale ayant ordonné qu’une indemnité soit versée à Apotex Inc. en application de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement AC), pour la perte de profits nette se rapportant à la version générique du médicament ramipril.

Apotex vend une version générique du ramipril, un médicament qui sert principalement à traiter l’hypertension, mais dont l’utilisation médicale s’est élargie au fil des ans pour englober les troubles cardiaques. Sanofi-Aventis, Sanofi-Aventis Deutschland GmbH et Sanofi-Aventis Canada Inc. (Sanofi) revendiquent des droits de brevet à l’égard de ce médicament et de quelques‑unes de ses utilisations. Apotex et Sanofi ont interjeté appel de la décision relative à l’indemnité rendue par la Cour fédérale (dossiers A-191-12 et A‑193‑12 respectivement). Sanofi a également interjeté appel à l’encontre d’une ordonnance ultérieure concernant les transitions (dossier A-397-12) et à l’encontre d’un jugement ultérieur, soit le jugement définitif sur le montant (dossier A-474-12).

Pour commercialiser un médicament au Canada, une approbation réglementaire appelée avis de conformité (AC) doit d’abord être obtenue en application du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870. Dans certains cas, il faut, pour obtenir un AC, prendre certaines dispositions aux termes du Règlement AC. En l’espèce, le 26 avril 2004, Apotex aurait pu obtenir son AC du ministre de la Santé pour commercialiser au Canada sa version générique du ramipril. Cependant, elle en a été empêchée jusqu’au 12 décembre 2006 en raison de diverses demandes qu’avait déposées Sanofi, sur le fondement de ses droits de brevet, aux termes du paragraphe 6(1) du Règlement AC pour que soient rendues des ordonnances interdisant au ministre de délivrer un AC. L’article 8 du Règlement AC dispose notamment que, si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est rejetée, le titulaire du brevet, Sanofi en l’espèce, est responsable envers les tiers, Apotex en l’espèce, de toute perte subie par eux en raison du retard, selon les dispositions du Règlement. Apotex estimait être en droit de recevoir une indemnité et, après un long procès, la juge de première instance lui a donné raison.

Les points soulevés par les présents appels concernaient principalement le cadre établi pour fixer le montant d’une indemnité au titre de l’article 8 du Règlement AC, une question qui n’avait pas été à ce jour pleinement examinée sous tous ses aspects par la Cour.

Devant la juge de première instance, Sanofi a reconnu qu’Apotex avait droit à une indemnité au titre de l’article 8 du Règlement AC. Le débat devant la juge de première instance a donc principalement porté sur la manière dont cette indemnité devait être calculée. La juge de première instance a déterminé l’indemnité à être versée en tenant compte de ce qui serait arrivé si Sanofi n’avait pas déposé de demandes d’interdiction contre Apotex. Pour ce faire, la juge de première instance a dû « bâtir un monde hypothétique, existant pendant un temps défini dans le passé, afin de déterminer quelle aurait été la part du marché du ramipril qu’Apotex se serait appropriée si elle avait été en mesure de vendre sa version générique de ce médicament ».

Les questions soulevées dans les présents appels étaient de savoir si la juge de première instance avait commis une erreur en déterminant l’indemnité et concernaient plus particulièrement 1) les dates de début et de fin de la période de responsabilité selon l’article 8; 2) les caractéristiques du marché hypothétique au cours de cette période; 3) la manière dont la double transition relative à la vente de médicaments génériques devrait être considérée dans le marché hypothétique et 4) le point de savoir si les ventes hypothétiques d’un fabricant de médicaments génériques dans le marché hypothétique devraient englober les ventes portant sur des indications non autorisées, par exemple les indications HOPE.

Arrêt (le juge Mainville, J.C.A., dissident) : l’appel dans le dossier A-191-12 doit être accueilli; les appels dans les dossiers A-193-12 et A-397-12 doivent être été rejetés; l’appel dans le dossier A-471-12 doit être accueilli à seule fin de faciliter le nouveau calcul du montant de l’indemnité.

La juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant que a) la période de responsabilité selon l’article 8 a commencé le 26 avril 2004 et pris fin le 12 décembre 2006; b) qu’Apotex a droit à une indemnité pour la perte de ventes de sa version générique du ramipril liées aux indications HOPE; c) qu’un fabricant de médicaments génériques autorisés aurait acquis une part de 30 p. 100 du marché hypothétique de la version générique du ramipril après 24 mois. Ces conclusions, tirées par le juge Mainville, ont été acceptées par la majorité essentiellement pour les motifs qu’il a exposés.

Cependant, la majorité de la Cour n’a pas partagé l’opinion du juge Mainville concernant la méthode visant à déterminer la date à laquelle les concurrents potentiels d’Apotex seraient entrés sur le marché hypothétique, ni celle concernant la double transition. Le jugement de première instance devait être infirmé sur un seul point, à savoir la conclusion selon laquelle Teva serait entrée sur le marché hypothétique durant la période de responsabilité selon l’article 8.

Quant à la méthode visant à déterminer la date à laquelle les concurrents éventuels d’Apotex seraient entrés sur le marché hypothétique, la juge de première instance a, à bon droit, rejeté la « méthode du libre accès », suivant laquelle chaque concurrent éventuel est présumé faire son entrée sur le marché hypothétique sans subir les contraintes du Règlement AC. Cette méthode est incompatible avec la règle voulant que chaque demande d’indemnité au titre de l’article 8 soit examinée individuellement, en tenant compte des éléments de preuve produits. Dans le monde hypothétique, les concurrents de celui qui sollicite une indemnité au titre de l’article 8 sont assujettis au Règlement AC et ceux-ci surmonteraient les obstacles réglementaires comme ils l’ont fait dans le monde réel relativement au Règlement AC.

La méthode que la juge de première instance a adoptée s’accorde mieux avec le libellé et l’objet du Règlement AC que la méthode du libre accès. Le Règlement AC ne dit rien sur la question précise de savoir si le sort d’une demande d’indemnité au titre de l’article 8 doit reposer sur la présomption que, dans le marché hypothétique, les concurrents éventuels du demandeur qui fabriquent des médicaments génériques sont assujettis au Règlement AC. Cependant, l’alinéa 8(1)a) prévoit explicitement qu’il ne doit pas être tenu compte du Règlement AC pour l’établissement d’un élément du marché hypothétique des médicaments génériques. Cet alinéa dispose que le début de la période de responsabilité selon l’article 8 est la date « attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement ». Puisque le Règlement AC porte que l’on ne doit pas tenir compte du Règlement AC à une fin précise, le fait de ne pas en tenir compte à quelque autre fin équivaudrait à modifier l’article 8 par voie judiciaire. Par conséquent, chaque demande d’indemnité au titre de l’article 8 doit être évaluée en tenant pour acquis que le monde hypothétique est un monde dans lequel le Règlement AC existe. Il s’ensuit que, dans le marché hypothétique, le comportement de fabricants concurrents de médicaments génériques doit être déterminé en tenant pour acquis que le Règlement AC existe et que chaque fabricant de médicaments génériques agira en conséquence.

Quant aux arguments se rapportant explicitement à l’entrée dans le marché hypothétique de Ratiopharm Inc., de Riva et de Teva, on devrait présumer qu’Apotex aurait signifié les mêmes allégations dans le monde hypothétique que celles qu’elle a signifiées dans le monde réel. Cependant, cela n’a pas ébranlé la conclusion de la juge de première instance selon laquelle le fabricant de médicaments génériques autorisés, Ratiopharm Inc., n’aurait pas été prêt à lancer son produit générique concurrent le 26 avril 2004. Au vu du dossier, la juge de première instance pouvait raisonnablement conclure que l’ensemble des étapes à franchir pour lancer le produit générique de Ratiopharm Inc. aurait nécessité trois mois. Par conséquent, il y avait lieu de confirmer sa conclusion selon laquelle le produit générique autorisé serait entré sur le marché hypothétique le 26 juillet 2004. Quant à Riva et Teva, elles se seraient comportées dans le monde hypothétique de la même façon qu’elles se sont comportées dans le monde réel, dans lequel elles ont tenté d’obtenir un rejet sommaire dès lors qu’elles ont estimé qu’elles avaient de bonnes chances d’y parvenir. De plus, dans le monde réel, la dernière des demandes d’interdiction déposées contre Riva et Teva portant sur des allégations d’invalidité n’a été rejetée qu’après le 16 décembre 2006. Il n’y avait aucune raison de conclure que Riva ou Teva aurait pu obtenir ce résultat, ou aurait obtenu ce résultat dans le monde hypothétique, plus tôt qu’elles ne l’ont obtenu dans le monde réel.

Apotex a fait valoir que le marché hypothétique aurait dû exclure toute période de transition. La « transition » s’entend du temps que met un fabricant de médicaments pour pénétrer le marché jusqu’à son plein potentiel. La juge de première instance a conclu que, dans le monde hypothétique, une transition aurait eu lieu, et qu’elle aurait réduit l’ampleur de la perte de ventes durant la période de responsabilité selon l’article 8. Cependant, elle a aussi conclu que la diminution des ventes durant la période réelle de transition était une perte survenue après la période de responsabilité selon l’article 8, et que c’était donc une perte qui ne pouvait fonder une demande d’indemnisation au titre de l’article 8. Il n’était pas possible d’arriver à la conclusion contraire sans désavouer implicitement l’arrêt Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc. (la décision sur l’alendronate). Alors que le fait de ne pas reconnaître qu’une double transition permettrait à Sanofi, et à d’autres fabricants de médicaments innovants dans des affaires futures, de réaliser un gain fortuit, c’est la conséquence inévitable de la décision du gouverneur en conseil de limiter l’indemnité visée à l’article 8 aux pertes subies à l’intérieur de la période de responsabilité selon l’article 8.

Le juge Mainville, J.C.A. (dissident) : Quant à la date de début de la période de responsabilité au titre de l’article 8, l’alinéa 8(1)a) du Règlement AC prévoit clairement que la période de responsabilité selon l’article 8 commence « à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut […] qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée ». Par conséquent, la date habituelle, normale, ou implicite de début est celle à laquelle l’AC aurait été délivré au fabricant de médicaments génériques n’eût été l’application du Règlement AC. Ce n’est que lorsque le juge de première instance estime qu’une autre date est plus appropriée que cette date applicable par défaut peut être écartée.

En l’espèce, Apotex a déposé deux allégations relatives au brevet '457. Elle affirmait dans la première allégation que sa version générique du ramipril ne contrefaisait pas ce brevet (une thèse que la Cour fédérale n’a pas retenue), tandis que dans la seconde allégation, elle affirmait que le brevet était invalide (ce que la Cour fédérale a reconnu). Compte tenu de toutes les circonstances, la question qui se posait en l’espèce, s’agissant de la responsabilité selon l’article 8, était de savoir quel était le résultat global des procédures relatives au brevet '457 découlant des allégations. Les deux décisions concernaient le même brevet, elles étaient étroitement liées, elles avaient été rendues toutes les deux à l’intérieur d’un délai d’un mois et elles devraient être lues et interprétées ensemble. En pratique, et compte tenu du contexte global de la présente instance, il y avait lieu de considérer que l’ordonnance d’interdiction était, s’agissant des décisions touchant la responsabilité au titre de l’article 8 du Règlement AC, tout simplement dépourvue de pertinence en raison de la décision postérieure sur l’absence de contrefaçon. Cela était d’autant plus vrai que l’ordonnance d’interdiction n’aurait jamais été rendue si la décision sur l’absence de contrefaçon l’avait précédée. La responsabilité au titre de l’article 8 du Règlement AC ne devrait pas dépendre de la question, dénuée d’intérêt, de savoir quelle décision fut rendue en premier lieu.

Quant à la date de fin de la période de responsabilité au titre de l’article 8, compte tenu de la conduite de Sanofi tout au long du litige, cette dernière ne pouvait, en raison du principe de l’obligation d’opter et de la préclusion, soutenir qu’Apotex n’était pas une « seconde personne » aux fins de l’article 8, du moins jusqu’à la délivrance de l’AC à Apotex. L’objet de l’article 8 du Règlement AC est de faire en sorte que, lorsqu’un fabricant de drogues innovantes tire avantage du Règlement en introduisant des procédures d’interdiction non fondées, le fabricant de médicaments génériques puisse obtenir une juste indemnité pour avoir été évincé du marché. En introduisant des procédures d’interdiction à l’égard des brevets HOPE et en faisant de la sorte obstacle à l’entrée d’Apotex sur le marché jusqu’au 12 décembre 2006, Sanofi s’exposait manifestement à devoir verser l’indemnité prévue à l’article 8, peu importe que l’avantage que lui a procuré le Règlement AC ne soit pas justifié, comme l’a jugé plus tard la Cour suprême dans l’arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé). En conséquence, Sanofi ne pouvait maintenant prétendre que ses propres procédures d’interdiction étaient nulles ab initio pour empêcher Apotex de recevoir l’indemnité visée à l’article 8 pour la période au cours de laquelle les procédures ont fait obstacle à l’entrée d’Apotex sur le marché du ramipril.

Quant aux caractéristiques du marché hypothétique durant la période de responsabilité selon l’article 8, une méthode de nature à indemniser convenablement et équitablement les fabricants de médicaments génériques doit être préférée à une méthode qui procure presque invariablement un gain fortuit. La méthode retenue par la juge de première instance dans la présente affaire en était une qui procure de par sa nature des gains fortuits. La bonne méthode consiste à concevoir un marché hypothétique qui se rapproche le plus possible du marché réel. Dans le marché réel, sauf rares exceptions, après qu’un fabricant de médicaments génériques a reçu un AC pour une version générique d’un médicament innovant, un autre fabricant de médicaments génériques peut raisonnablement compter obtenir un AC pour sa propre version générique de ce médicament. Les conclusions de la juge de première instance relatives à l’entrée de Teva, de Riva et d’un fabricant de médicaments génériques autorisés dans le marché hypothétique devraient être annulées.

Quant à la transition, Apotex a affirmé que, dans le marché réel, elle a effectivement connu une période de transition après avoir été autorisée à vendre sa version générique du ramipril. Si l’on tient compte d’une période de transition dans le marché hypothétique sans tenir compte de la période de transition qu’elle a effectivement connue dans le marché réel, Apotex se voit attribuer une perte de profit qu’elle n’aurait pas autrement subie. Dans la décision Apotex Inc. c. Takeda Canada Inc., la Cour fédérale n’a pas estimé que suivant l’arrêt sur l’alendronate, l’indemnité prévue à l’article 8 du Règlement AC devait être établie en faisant abstraction de la double comptabilisation. En effet, l’arrêt sur l’alendronate doit être interprété en tenant compte de la demande en cause dans cette affaire. Les réclamations qui sont exclues en raison de ce principe sont celles qui concernent les pertes subies après la période de responsabilité selon l’article 8, par exemple les pertes qui résultent de la perte d’une part de marché future. Toutefois, ce principe ne signifie pas qu’une demande d’indemnité devrait être réduite en raison d’une double comptabilisation. En l’espèce, le rejet de la réclamation liée à la double transition faisait en sorte que Sanofi bénéficiait d’un gain fortuit parce que la période de transition a été considérée deux fois. Dans un tel cas, il est permis à un tribunal d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 8(5) du Règlement AC et de considérer comme facteur pertinent la période réelle de transition qui a eu lieu dans le marché réel afin d’éviter qu’elle soit comptée deux fois dans le marché hypothétique.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27.

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 55.2, 83(1).

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.002, C.08.002.1.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 3(2), 4, 5, 6, 7(1)e),(3),(4), 8.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention sur la délivrance de brevets européens (Convention sur le brevet européen), 5 octobre 1973.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2009 CAF 187, [2010] 2 R.C.F. 389, infirmant en partie 2008 CF 1185, [2009] 3 R.C.F. 234; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

décisions examinées :

Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2012 CF 551, conf. par 2014 CAF 69; Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533; AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560; Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, [2008] 1 R.C.F. 19, conf. par 2007 CAF 276; Unilin Beheer BV v. Beery Floor NV, [2007] EWCA Civ. 364; Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 328; AB Hassle c. Apotex Inc., 2006 CAF 51, [2006] 4 R.C.F. 513; Virgin Atlantic Airways Ltd. v. Zodiac Seats U.K. Ltd., [2013] UKSC 46; Poulton v. Adjustable Cover, [1908] 2 Ch. 430; Coflexip v. Stolt (No. 2), [2004] F.S.R. 34 (Pat. Ct.); Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Inc., 2010 CAF 155; Ratych c. Bloomer, [1990] 1 R.C.S. 940; Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 163, [2008] 1 R.C.F. 174; Apotex Inc. c. Merck Canada Inc., 2012 CF 1235; Apotex Inc. c. Takeda Canada Inc., 2013 CF 1237; Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1135; Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 167; Sanofi-Aventis Inc. c. Laboratoire Riva Inc., 2007 CF 532.

décisions citées :

Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2012 CF 552, conf. par 2014 CAF 67; Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2014 CAF 66; Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810; Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129; Merck & Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1994] A.C.F. no 662 (C.A.) (QL); David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.); Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283; Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1504; Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1461; Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2010 CF 952; Aventis-Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2009 CF 915; Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 1997 CanLII 6216, [1997] A.C.F. no 1251 (C.A.) (QL), autorisation d’appel à la C.S.C. refusée, [1998] 1 R.C.S. viii; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [2000] 4 C.F. 264 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2001] 1 R.C.S. v; Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd., 1997 CanLII 5608, [1997] A.C.F. no 1344 (1re inst.) (QL); Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 1997 CanLII 5831 (C.F. 1re inst.); Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 1998 CanLII 8204 (C.F. 1re inst.); Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., 2007 CAF 7; Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 71, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2007] 2 R.C.S. vii; Apotex Inc. c. Nycomed Canada Inc., 2011 CF 1441, conf. 2012 CAF 195, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2012] 3 R.C.S. xiv; Pharmascience Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., 2006 CAF 229, sub. nom. Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., [2007] 2 R.C.F. 103; Teva Canada Limited c. Sanofi-Aventis Canada Inc., 2011 CAF 149, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2011] 3 R.C.S. xi; Teva Canada Limited c. Nycomed Canada Inc., 2012 FCA 129, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2012] 3 R.C.S. xiv.

DOCTRINE CITÉE

“Effects of an Angiotensin-Converting-Enzyme Inhibitor, Ramipril on Cardiovascular Events in High-Risk Patients” (2000), 342 N. Engl. J. Med. 145.

appels interjetés à l’encontre de quatre décisions de la Cour fédérale (2012 CF 553 et de décisions subséquentes non publiées datée du 22 juin et du 2 novembre 2012) ayant ordonné qu’une indemnité soit versée en application de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). L’appel dans le dossier A-191-12 a été accueilli; les appels dans les dossiers A-193-12 et A-397-12 ont été rejetés; l’appel dans le dossier A-471-12 a été accueilli à seule fin de faciliter le nouveau calcul du montant de l’indemnité, le juge Mainville, J.C.A. étant dissident.

ONT COMPARU

Harry Radomski, Nando De Luca et Ben Hackett pour l’appelante dans le dossier A-191-12, l’intimée dans les dossiers A-193-12, A-397-12 et A-474-12.

Andrew J. Reddon, Steven Mason, David Tait et Sanjaya Mendis pour les intimées dans le dossier A-191-12, les appelantes dans les dossiers A-193-12, A-397-12 et A-474-12.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Goodmans LLP, Toronto, pour l’appelante dans le dossier A-191-12, l’intimée dans les dossiers A-193-12, A-397-12 et A-474-12.

McCarthy Tétrault LLP, Toronto, pour les intimées dans le dossier A-191-12, les appelantes dans les dossiers A-193-12, A-397-12 et A-474-12.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendu par

[1]        Le juge Mainville, J.C.A. (dissident) : Les présents motifs concernent les procédures dont il est fait mention ci‑dessous :

a)    Un appel (dossier A‑191‑12) formé par Apotex Inc. (Apotex) contre un jugement (le jugement sur la responsabilité) rendu le 11 mai 2012 par la juge Snider, de la Cour fédérale (la juge de première instance), dont les motifs publics du 23 mai 2012 portent la référence [Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis] 2012 CF 553. Ce jugement ordonnait qu’une indemnité soit versée à Apotex en application de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement AC), pour la perte de profits nette se rapportant aux gélules de 1,25 mg, de 2,5 mg, de 5 mg et de 10 mg de sa version générique du médicament ramipril pour la période commençant le 26 avril 2004 et se terminant le 12 décembre 2006.

b)    Un appel distinct (dossier A‑193‑12) à l’encontre du jugement sur la responsabilité, formé par Sanofi‑Aventis, Sanofi‑Aventis Deutschland GmbH et Sanofi‑Aventis Canada Inc. (Sanofi).

c)    Un autre appel (dossier A‑397‑12) formé par Sanofi à l’encontre d’une ordonnance et d’une directive ultérieures prononcées par la juge de première instance le 22 juin 2012 (l’ordonnance sur les transitions des autres parties), ordonnance et directive qui faisaient droit à une requête en réexamen déposée par Apotex et qui ont donné lieu à une modification du jugement sur la responsabilité.

d)    Un appel ultérieur (dossier A‑474‑12), lui aussi formé par Sanofi, à l’encontre d’un jugement ultérieur de la juge de première instance du 2 novembre 2012 (le jugement définitif sur le montant), qui fixait, à la suite du jugement sur la responsabilité, la somme précise que Sanofi devait verser à Apotex, ainsi que les intérêts postérieurs au jugement.

Les présents motifs seront déposés, pour valoir comme motifs, dans chacun des dossiers susmentionnés.

[2]        Apotex vend une version générique du ramipril au Canada. Le ramipril est un médicament qui sert principalement à traiter l’hypertension, mais qui est aussi utilisé à d’autres fins médicales. Sanofi revendique des droits de brevet à l’égard de ce médicament et de quelques‑unes de ses utilisations, et elle a durant de nombreuses années jouit à l’égard dudit médicament, qu’elle vendait au Canada sous la marque ALTACE, d’un monopole conféré par brevet.

[3]        Pour commercialiser un médicament au Canada, une approbation réglementaire appelée avis de conformité (AC) doit d’abord être obtenue en application du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870. Dans certains cas, il faut, pour obtenir un AC, prendre certaines dispositions aux termes du Règlement AC. En l’espèce, le 26 avril 2004, Apotex aurait pu obtenir son AC du ministre de la Santé pour commercialiser au Canada sa version générique du ramipril. Cependant, elle en a été empêchée jusqu’au 12 décembre 2006 en raison de diverses demandes qu’avait déposées Sanofi, sur le fondement de ses droits de brevet, aux termes du paragraphe 6(1) du Règlement AC pour que soient rendues des ordonnances interdisant au ministre de délivrer un AC. L’article 8 du Règlement AC dispose notamment que, si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est rejetée, le titulaire du brevet, Sanofi en l’espèce, est responsable envers les tiers, Apotex en l’espèce, de toute perte subie par eux en raison du retard, selon les dispositions du Règlement. Apotex estimait être en droit de recevoir une indemnité et, après un long procès, la juge de première instance lui a donné raison.

[4]        Les points soulevés par les présents appels concernent principalement le cadre établi pour fixer le montant d’une indemnité au titre de l’article 8 du Règlement AC. Il s’agit d’une question qui n’a pas été à ce jour pleinement examinée sous tous ses aspects par la Cour.

[5]        À titre préliminaire, il convient sur le plan technique de noter que l’avis d’appel déposé par Sanofi dans le dossier A‑193‑12 vise aussi à interjeter appel d’un autre jugement rendu le 11 mai 2012 et dont les motifs ont la référence [Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Teva Canada Limitée] 2012 CF 551 (le « jugement sur la validité »). Dans le jugement sur la validité, la juge de première instance a rejeté tous les arguments d’invalidité avancés par Sanofi au titre de l’article 8 du Règlement AC. Ledit jugement sur la validité concerne le litige opposant Sanofi et Apotex devant la Cour fédérale, dossier T‑1357‑09, et le litige opposant Sanofi et Teva devant la Cour fédérale, dossier T‑1161‑07. Les arguments sur la validité invoqués dans ces deux litiges ont été entendus par la juge de première instance simultanément, et elle a ensuite rédigé des motifs communs aux deux instances. Sanofi a également fait appel du jugement sur la validité dans le litige Teva, dossier A‑192‑12. La Cour a rejeté les appels formés contre le jugement sur la validité, et elle a publié ses motifs en même temps que les présents motifs sous la référence [Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Teva Canada Limitée] 2014 CAF 69.

[6]        Un autre jugement sur la responsabilité aux termes de l’article 8 du Règlement AC relatif au ramipril, et concernant Sanofi et Teva, a été rendu par la juge de première instance en même temps que le jugement sur la responsabilité concernant Sanofi et Apotex : Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2012 CF 552 (ci‑après le « jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva »). Certains des points soulevés dans le jugement sur la responsabilité concernant Apotex et dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva sont semblables. Par ailleurs, la Cour a entendu, deux semaines avant d’instruire le présent appel portant sur Apotex, l’appel interjeté à l’encontre du jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva, et elle a rendu ses motifs concernant ledit appel en même temps que les présents motifs, sous la référence [Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Teva Canada Limitée] 2014 CAF 67.

[7]        Il y a aussi deux appels liés concernant des modifications apportées aux procédures et la radiation d’éléments de preuve (dossiers A‑462‑11 et A‑27‑12). La Cour a prononcé ses motifs sur ces deux appels, sous la référence [Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc.] 2014 CAF 66, en même temps que les présents motifs.

Le cadre légal et réglementaire

[8]        Le cadre légal et réglementaire applicable a été examiné dans d’autres décisions judiciaires, notamment dans les arrêts Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533 (Biolyse); AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560 (AstraZeneca); et Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2009 CAF 187, [2010] 2 R.C.F. 389 (Alendronate). Un bref survol de ce cadre est fait ci‑après.

[9]        La réglementation des médicaments d’ordonnance constitue un défi majeur compte tenu des divers impératifs d’intérêt public en jeu :

a)    les médicaments d’ordonnance doivent être sûrs, et les risques pour la santé associés à leur utilisation doivent être compris et divulgués; ces impératifs d’intérêt public sont pris en compte principalement par la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F‑27 et par le Règlement sur les aliments et drogues;

b)    la recherche scientifique portant sur les médicaments nouveaux ou améliorés doit être encouragée et adéquatement récompensée; cet aspect est pris en compte principalement par la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4;

c)    les médicaments doivent être accessibles aux patients canadiens, et offerts à des prix abordables à la population canadienne; ces impératifs d’intérêt public sont principalement pris en compte par : i) les dispositions de la Loi sur les brevets qui garantissent aux fabricants de médicaments génériques un accès raisonnable au marché lorsqu’un brevet protégeant les droits sur un médicament a expiré; ii) les dispositions de la Loi sur les brevets qui concernent le contrôle des prix des médicaments brevetés; iii) la réglementation provinciale des prix des médicaments, telle qu’elle a été récemment décrite dans l’arrêt Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810.

[10]      Le Règlement sur les aliments et drogues, pris en application de la Loi sur les aliments et drogues, établit une structure réglementaire visant à faire en sorte que les médicaments commercialisés au Canada répondent à des exigences rigoureuses en matière de santé et de sécurité. Le titre 8 de la partie C du Règlement sur les aliments et drogues, qui établit le processus réglementaire devant être observé par un fabricant qui veut lancer un nouveau médicament sur le marché canadien, revêt un intérêt particulier dans le présent appel.

[11]      En règle générale, un fabricant de drogues innovantes doit déposer auprès du ministre de la Santé une présentation de drogue nouvelle renfermant les renseignements et la documentation qui permettront au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle : article C.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues. Cette procédure requiert en général de fournir des rapports détaillés sur les essais menés pour établir l’innocuité de la drogue nouvelle, ainsi que des éléments de preuve solides concernant son efficacité clinique compte tenu de la condition qu’elle traite et du mode d’emploi recommandé. Il peut être très coûteux et très long pour un fabricant de drogues innovantes de recueillir les informations et de mener les essais requis pour convaincre le ministre de l’innocuité et de l’efficacité du médicament. Après que le médicament a été approuvé sur la foi des renseignements fournis, le ministre de la Santé délivre un avis de conformité (souvent appelé « AC ») au fabricant du nouveau médicament visé par la présentation de drogue nouvelle. Cet AC permet au fabricant de vendre et de commercialiser le nouveau médicament.

[12]      Les fabricants appelés fabricants de médicaments « génériques », qui en général fabriquent et distribuent ce qu’on appelle parfois dans le commerce des « copies de médicaments », sont des acteurs d’un important secteur de l’industrie des médicaments d’ordonnance au Canada. Les médicaments copiés sont semblables à ceux qui ont fait l’objet de recherche et de développement et qui ont initialement été commercialisés par des fabricants de drogues innovantes. En règle générale, un fabricant de médicaments génériques peut déposer auprès du ministre de la Santé une présentation abrégée de drogue nouvelle, présentation dans laquelle il compare sa copie proposée d’un médicament à un produit de référence canadien, à savoir un médicament pour lequel un AC a déjà été délivré et qui est commercialisé au Canada par le fabricant du médicament innovant : article C.08.002.1 du Règlement sur les aliments et drogues. Le fabricant de médicaments génériques peut donc répondre, en ce qui concerne la copie de médicament, aux exigences d’innocuité et d’efficacité en prouvant que sa copie du médicament est l’équivalent pharmaceutique du produit de référence canadien, ou qu’il s’agit d’un médicament bioéquivalent. Le fabricant de médicaments génériques évite ainsi les coûts de longs essais cliniques pour son médicament générique. Après l’approbation de la copie de médicament sur la foi des renseignements fournis, le ministre de la Santé délivre un AC au fabricant de médicaments génériques concernant la présentation qu’il a déposée. Cet AC permet au fabricant de médicaments génériques de vendre et de commercialiser la copie de médicament.

[13]      Comme les fabricants de médicaments génériques n’engagent pas en général d’importants frais de recherche et d’essais en ce qui concerne les copies de médicaments, ils sont en mesure de vendre le médicament sur le marché à un prix bien moindre, permettant ainsi à la population canadienne de faire des économies substantielles, ce qui n’est pas sans entraîner d’importantes répercussions sur les chiffres d’affaires et les bénéfices des fabricants de drogues innovantes. Ceux‑ci ne sont pas toutefois privés de recours juridiques contre les fabricants de médicaments génériques lorsque le médicament innovant qui est copié est protégé par un monopole résultant de l’application de la Loi sur les brevets.

[14]      Le concept de base de la Loi sur les brevets est simple : un inventeur qui divulgue au public le fonctionnement d’une invention peut se voir accorder un brevet qui lui garantit un monopole d’une durée de 20 ans sur la fabrication, l’utilisation et la commercialisation de l’invention. Ce régime de base s’applique aussi aux médicaments d’ordonnance.

[15]      Vu l’importance des médicaments brevetés pour la santé humaine, la Loi sur les brevets renferme plusieurs dispositions visant à limiter les abus que peut entraîner l’attribution par brevet d’un monopole sur un médicament. À titre d’exemple, le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés peut rendre une ordonnance enjoignant au breveté « de baisser le prix de vente maximal du médicament dans ce marché […] de façon qu’il ne puisse pas être excessif » : paragraphe 83(1) de la Loi sur les brevets.

[16]      De 1923 à 1993, le Canada a eu pour politique de mettre les médicaments brevetés à la disposition des fabricants de médicaments génériques en vertu d’un régime de licences obligatoires. Pour établir les modalités d’une licence et le montant des redevances payables, le commissaire aux brevets devait mettre en balance l’avantage de mettre le médicament à la disposition du public à un prix abordable et la rétribution du breveté pour la recherche ayant conduit à l’invention. Cette approche ne convenait pas aux fabricants de drogues innovantes parce qu’ils estimaient qu’elle empêchait de manière générale la récupération d’importants frais engagés pour mener à bien les programmes de recherche nécessaires à la production de quelques médicaments commercialisables après de nombreux faux départs et projets de recherche avortés.

[17]      En 1993, le régime des licences obligatoires a été abrogé et remplacé par l’exception relative à la fabrication anticipée visée à l’article 55.2 de la Loi sur les brevets. Ainsi que l’écrivait le juge Binnie dans l’arrêt AstraZeneca, au paragraphe 13, le problème que l’article 55.2 cherchait à résoudre est le fait que, si un fabricant de médicaments génériques attend l’expiration du brevet de l’innovateur relatif au médicament de comparaison pour commencer à préparer une copie du médicament en vue de son approbation aux termes du Règlement sur les aliments et drogues, le processus d’approbation prévu par le Règlement est susceptible de prolonger de deux ans le monopole réel du titulaire du brevet sous le régime de la Loi sur les brevets. Sans l’article 55.2, si le fabricant de médicaments génériques tente d’exploiter le médicament breveté avant l’expiration du brevet, ne serait‑ce que pour répondre aux exigences du Règlement sur les aliments et drogues en vue d’un AC, il contrefera le brevet, invitant de ce fait le titulaire du brevet à lancer une procédure judiciaire contre lui.

[18]      L’article 55.2 de la Loi sur les brevets se lit comme suit :

55.2 (1) Il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente d’un produit.

[…]

Exception

(4) Afin d’empêcher la contrefaçon d’un brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :

a) fixant des conditions complémentaires nécessaires à la délivrance, en vertu de lois fédérales régissant l’exploitation, la fabrication, la construction ou la vente de produits sur lesquels porte un brevet, d’avis, de certificats, de permis ou de tout autre titre à quiconque n’est pas le breveté;

b) concernant la première date, et la manière de la fixer, à laquelle un titre visé à l’alinéa a) peut être délivré à quelqu’un qui n’est pas le breveté et à laquelle elle peut prendre effet;

c) concernant le règlement des litiges entre le breveté, ou l’ancien titulaire du brevet, et le demandeur d’un titre visé à l’alinéa a), quant à la date à laquelle le titre en question peut être délivré ou prendre effet;

d) conférant des droits d’action devant tout tribunal compétent concernant les litiges visés à l’alinéa c), les conclusions qui peuvent être recherchées, la procédure devant ce tribunal et les décisions qui peuvent être rendues;

e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d’un titre visé à l’alinéa a) lorsque celle‑ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.

Règlements

(5) Une disposition réglementaire prise sous le régime du présent article prévaut sur toute disposition législative ou réglementaire fédérale divergente.

Divergences

(6) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet de porter atteinte au régime légal des exceptions au droit de propriété ou au privilège exclusif que confère un brevet en ce qui touche soit l’usage privé et sur une échelle ou dans un but non commercial, soit l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée dans un but d’expérimentation.

Interprétation

[19]      Le Règlement AC a été pris en application de l’article 55.2 de la Loi sur les brevets. L’article 4 du Règlement permet à un fabricant de drogues innovantes qui dépose une présentation de drogue nouvelle de présenter également au ministre de la Santé une liste des brevets qui se rattachent à la présentation. Un brevet figurant sur cette liste peut alors être inscrit au registre des brevets tenu par le ministre aux termes du paragraphe 3(2) du Règlement.

[20]      Un fabricant de médicaments génériques qui demande un AC à l’égard d’un médicament (en général sous la forme d’une présentation abrégée de drogue nouvelle) et qui compare ce médicament à un autre médicament commercialisé au Canada en vertu d’un autre AC doit, dans sa présentation, en ce qui concerne chaque brevet inscrit au registre à l’égard de l’autre médicament, soit déclarer qu’il accepte que le ministre ne délivrera pas l’avis de conformité avant l’expiration du brevet, soit alléguer [par l’entremise d’un avis d’allégation] que le brevet n’est pas valide ou ne sera pas contrefait, et notamment fournir dans l’allégation un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation : article 5 du Règlement AC.

[21]      Un fabricant de drogues innovantes à qui est signifiée une telle allégation peut, dans un délai de 45 jours, demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un AC au fabricant de médicaments génériques jusqu’à l’expiration du brevet qui fait l’objet de l’avis : paragraphe 6(1) du Règlement AC. Le dépôt de cette demande d’interdiction entraîne automatiquement un report de 24 mois (ou « gel réglementaire ») qui empêche le ministre de la Santé de délivrer un AC au fabricant de médicaments génériques à moins que, au cours de cette période, la demande d’interdiction ne soit ultimement rejetée par le tribunal ou ne soit par ailleurs retirée ou ne fasse l’objet d’un désistement : alinéa 7(1)e) et paragraphe 7(4) du Règlement AC. Ainsi que l’écrivait le juge Binnie dans l’arrêt Biolyse, au paragraphe 24 :

Il importe de signaler que, dans le cadre de cette procédure, le tribunal saisi de la demande d’interdiction n’a aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant de lever la suspension, même s’il estime faibles les arguments sur lesquels se fonde la demande de mesures provisoires de la société innovatrice. Le tribunal n’a pas non plus le pouvoir discrétionnaire de renvoyer les parties opposées aux recours prévus par la Loi sur les brevets. La demande d’ADC soumise par la « deuxième personne » est simplement reléguée aux oubliettes jusqu’à ce que la procédure réglementaire ait connu son dénouement. Pour ces motifs, le juge Iacobucci a qualifié ce régime de « draconien » dans l’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1998] 2 R.C.S. 193, par. 33.

[22]      Si le fabricant de drogues innovantes obtient gain de cause dans la procédure d’interdiction, le ministre de la Santé doit s’abstenir de délivrer au fabricant de médicaments génériques un avis de conformité pour son médicament générique jusqu’à ce que le brevet concerné ait expiré. Si c’est le fabricant de médicaments génériques qui obtient gain de cause, le ministre peut délivrer un avis de conformité pour la version générique du médicament. Quelle que soit l’issue de la procédure engagée aux termes du Règlement AC, des procédures portant sur la validité du brevet ou la contrefaçon du brevet peuvent être intentées par les parties ou suivre leurs cours en vertu de la Loi sur les brevets devant tout tribunal compétent : Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, aux paragraphes 95 et 96; Merck & Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1994] A.C.F. no 662 (C.A.) (QL), aux pages 319 et 320; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600.

[23]      Le Règlement AC a établi un mécanisme d’indemnisation pour le cas où la demande d’interdiction déposée par le fabricant de la drogue innovante en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement serait retirée, serait rejetée par le tribunal, ou ferait l’objet d’un désistement. Ce mécanisme est exposé à l’article 8 du Règlement AC, reproduit ci‑après :

8. (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne [l’innovateur] ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne [l’innovateur] est responsable envers la seconde personne [le fabricant de médicaments génériques] de toute perte subie au cours de la période :

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

(i) soit que la date attestée est devancée en raison de l’application de la Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique), chapitre 23 des Lois du Canada (2004), et qu’en conséquence une date postérieure à celle‑ci est plus appropriée,

(ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

(2) La seconde personne [le fabricant de médicaments génériques] peut, par voie d’action contre la première personne [l’innovateur], demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne [l’innovateur] a institué ou non une action en contrefaçon du brevet visé par la demande.

(4) Lorsque le tribunal enjoint à la première personne [l’innovateur] de verser à la seconde personne [le fabricant de médicaments génériques] une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1), il peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages‑intérêts à l’égard de cette perte.

(5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne [l’innovateur] ou de la seconde personne [le fabricant de médicaments génériques] qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

(6) Le ministre ne peut être tenu pour responsable des dommages‑intérêts au titre du présent article.

Le contexte

[24]      La genèse du litige et les faits pertinents sont exposés dans les motifs de la juge de première instance et il n’est pas nécessaire de les reprendre intégralement dans les présents motifs. Il suffit, pour le présent appel, de faire ressortir certains des faits les plus saillants.

[25]      Dans le présent litige, Sanofi peut être considérée comme un fabricant de drogues innovantes, tandis qu’Apotex peut être considérée comme un fabricant de médicaments génériques. Sanofi, que ce soit à titre de breveté ou de licencié, détient des droits aux termes de divers brevets canadiens qui se rapportent au ramipril, un médicament qu’elle vend sous la marque ALTACE. Le ramipril est un médicament qui sert principalement à traiter l’hypertension, mais dont l’utilisation médicale s’est élargie au fil des ans pour englober les troubles cardiaques, à la suite de la publication en l’an 2000 d’une étude appelée « Heart Outcomes Prevention Evaluation » (HOPE), dans laquelle on constatait que [traduction] « [l]e traitement au moyen du ramipril a réduit les taux de décès, d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral, de revascularisation coronarienne, d’arrêt cardiaque et d’insuffisance cardiaque, ainsi que le risque de complications liées au diabète et le risque de diabète lui‑même » : étude HOPE, à la page 150 [« Effects of an Angiotensin-Converting-Enzyme Inhibitor, Ramipril, on Cardiovascular Events in High-Risk Patients » (2000), 342 N. Engl. J. Med. 145], citée dans les motifs de la juge de première instance, au paragraphe 277. L’expression [traduction] « indications HOPE » en est venue à désigner les profils des patients de l’étude du même nom chez qui une protection vasculaire a été démontrée : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 277.

[26]      Le premier brevet canadien pour le ramipril portait le numéro 1187087; il a été délivré le 14 mai 1985 et a expiré le 14 mai 2002, après 17 ans de monopole, comme le prévoyait alors la Loi sur les brevets. Alors que ce brevet initial était sur le point d’expirer, de nombreux fabricants de médicaments génériques, notamment Apotex, ont envisagé de commercialiser leur propre version générique du ramipril. La juge du procès a indiqué que « [d]ésireuse de prolonger la période de protection conférée par ce brevet pour le ramipril, Sanofi a entrepris d’obtenir une autre série de brevets et de protéger ces derniers en les inscrivant au registre des brevets » : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 26. Sanofi a qualifié ces mesures de [traduction] « gestion du cycle de vie de l’Altace »; les fabricants de médicaments génériques estiment qu’elles relèvent d’une stratégie de [traduction] « renouvellement à perpétuité » : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 26. Ces brevets subséquents ont donné lieu à un nombre considérable de litiges au titre du Règlement AC.

[27]      La juge de première instance a présenté, au paragraphe 27 de ses motifs, sous forme de tableau, la liste de brevets postérieurs se rapportant au ramipril et à ses usages. Il est utile de le reproduire dans les présents motifs :

No du brevet canadien

Date de délivrance

Inscription au registre des brevets

Objet/Indications

1 246 457 (brevet '457)

13 décembre 1988 (brevet expiré le 13 décembre 2005)

21 février 2001

Ramipril, pour le traitement de l’insuffisance cardiaque

1 341 206 (brevet '206)

20 mars 2001

11 avril 2001

Brevet de composition de matières

2 055 948 (brevet '948)

12 novembre 2002

25 juin 2004

Utilisation du ramipril combiné à un antagoniste du calcium pour le traitement de la protéinurie

2 023 089 (brevet '089)

14 janvier 2003

10 novembre 2003

Utilisation du ramipril pour le traitement de l’hypertrophie cardiaque et vasculaire et de l’hyperplasie

2 382 549 (brevet '549)

15 mars 2005

17 mars 2005

Utilisation du ramipril pour la prévention d’incidents cardiovasculaires

2 382 387 (brevet '387)

21 juin 2005

28 juin 2005

Utilisation du ramipril pour la prévention des accidents cérébrovasculaires, du diabète et/ou de l’insuffisance cardiaque globale

Les deux derniers brevets de cette liste, les brevets '549 et '387, sont appelés les « brevets HOPE ».

[28]      La juge de première instance a aussi présenté, au paragraphe 29 de ses motifs, un tableau utile décrivant brièvement les résultats des procédures fondées sur le Règlement AC, opposant Sanofi et Apotex, qui concernent le ramipril. Il est reproduit ci‑dessous :

No du brevet

Avis d’allégation

Avis de demande/No de dossier de la Cour

Issue

Brevet '206

20 juin 2003

23 septembre 2003/ T‑1742‑03

La juge Mactavish rejette la demande le 20 septembre 2005 [Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283 (AC Ramipril no 1 (C.F.))]

Brevet '457

20 août 2003 (non‑contrefaçon)

8 octobre 2003/ T‑1851‑03

La juge Simpson délivre l’ordonnance d’interdiction jusqu’à l’expiration du brevet '457 le 6 octobre 2005 (AC Ramipril no 2 (C.F.))]

Brevet '457

10 novembre 2003 (invalidité)

29 décembre 2003/T‑2459‑03

La juge Tremblay‑Lamer rejette la demande le 4 novembre 2005 [Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1504 (AC Ramipril no 3 (C.F.))]

Brevet '089

17 novembre 2003

5 janvier 2004/ T‑11‑04

Le juge von Finckenstein rejette la demande le 27 octobre 2005 [Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1461 (AC Ramipril no 4 (C.F.))]

Brevet '948

28 juin 2004

16 août 2004/ T‑1499‑04

Ordonnance de rejet, sur consentement, le 27 juin 2006 [AC Ramipril no 5 (C.F.)]

Brevets '549 et '387 (brevets HOPE)

29 novembre 2005

17 janvier 2006/ T‑87‑06

Par voie d’ordonnance, le protonotaire Aalto rejette la demande le 2 mai 2008 en raison de son caractère théorique [AC Ramipril no 6 (C.F.)]

Les motifs de la juge de première instance

[29]      La juge de première instance a rédigé des motifs détaillés qui s’étendent sur 130 pages. Les points saillants de ces motifs peuvent être résumés comme il suit.

[30]      Sous réserve des questions de validité examinées par la juge de première instance dans le jugement sur la validité, Sanofi a reconnu en première instance qu’Apotex avait droit à une indemnité au titre de l’article 8 du Règlement AC : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 4. Le débat devant la juge de première instance a donc principalement porté sur la manière dont cette indemnité devait être calculée.

[31]      La juge de première instance a estimé qu’elle devait déterminer l’indemnité à être versée en tenant compte de ce qui serait arrivé si Sanofi n’avait pas déposé de demandes d’interdiction contre Apotex. Pour ce faire, la juge de première instance a dû « bâtir un monde hypothétique, existant pendant un temps défini dans le passé, afin de déterminer quelle aurait été la part du marché du ramipril qu’Apotex se serait appropriée si elle avait été en mesure de vendre sa version générique de ce médicament » durant cette période : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 6 [souligné dans l’original].

Les dates de début et de fin de la période de responsabilité selon l’article 8

[32]      Le présent appel soulève de nombreux points liés à l’établissement de la période envisagée par les alinéas 8(1)a) et b) du Règlement AC. Par souci de commodité, j’appellerai cette période « la période de responsabilité selon l’article 8 ».

[33]      Après avoir énoncé les questions en litige et exposé le contexte réglementaire et factuel du litige, la juge de première instance s’est d’abord employée à définir la période pertinente de responsabilité selon l’article 8 aux fins du calcul de l’indemnité.

[34]      Elle a fait observer que selon l’alinéa 8(1)a) du Règlement AC, la date de début de la période est « la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement ». Les parties ont reconnu en l’espèce que la date attestée par le ministre était le 26 avril 2004, ce qu’il est convenu d’appeler la « date de mise en attente » pour la version générique du ramipril d’Apotex : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 38 et 40.

[35]      Elle a aussi fait observer que l’alinéa 8(1)a) permet néanmoins au tribunal de déterminer si « une date autre que la date attestée est plus appropriée ». Sanofi a fait valoir que la juge de première instance devait exercer son pouvoir discrétionnaire et fixer la date de début au 13 décembre 2005, c’est‑à‑dire à la date de l’expiration du brevet '457 de Sanofi concernant l’utilisation du ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. L’argument avancé par Sanofi pour justifier cette date postérieure reposait sur l’existence d’une ordonnance d’interdiction fondée sur l’existence de ce brevet qui avait été rendue par la juge Simpson en vertu du paragraphe 6(2) du Règlement AC, dans la décision AC Ramipril no 2 (C.F.). Comme la demande à l’origine de cette ordonnance d’interdiction n’avait jamais été abandonnée ou rejetée, ni n’avait fait l’objet d’un désistement, et que l’ordonnance n’avait pas été annulée en appel, Sanofi soutenait devant la juge de première instance qu’Apotex n’avait pas droit à une indemnité au titre de l’article 8 tant que l’ordonnance d’interdiction conservait son effet, c’est‑à‑dire jusqu’à l’expiration du brevet '457 le 13 décembre 2005.

[36]      La juge de première instance n’a pas retenu l’argument de Sanofi, principalement parce que, moins de 30 jours après le prononcé de l’ordonnance d’interdiction de la juge Simpson, la juge Tremblay‑Lamer, dans la décision AC Ramipril no 3 (C.F.), déclarait invalide le brevet '457 lors d’une autre procédure ayant mené au rejet d’une autre des demandes d’interdiction déposées par Sanofi. De l’avis de la juge de première instance, la décision de la juge Tremblay‑Lamer avait eu pour effet de « déverrouiller » la porte qui empêchait Apotex de recevoir un AC en dépit du brevet '457, le résultat logique étant que l’ordonnance d’interdiction rendue par la juge Simpson avait été assimilée ou « supplantée » par la décision postérieure et qu’elle n’était donc plus exécutoire ni n’avait aucun effet pratique : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 47 et 48.

[37]      Ce raisonnement a conduit la juge de première instance à conclure que le 26 avril 2004, c’est‑à‑dire la date de mise en attente d’Apotex, était la date à retenir en l’espèce pour le début de la période de responsabilité selon l’article 8 : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 55.

[38]      S’agissant de la date de la fin de la période de responsabilité selon l’article 8, la juge de première instance a relevé que l’alinéa 8(1)b) du Règlement AC dispose que la période de responsabilité prend fin « à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance » d’interdiction. Cependant, en l’espèce, de nombreux brevets avaient été inscrits au registre par Sanofi sous le régime du Règlement AC pour le ramipril, et il y avait cinq dates de rejet différentes se rapportant à cinq demandes d’interdiction opposant Sanofi et Apotex. De plus, la juge de première instance a fait observer que dans cette affaire, on se trouvait également dans une « situation fort inusitée dans laquelle la seconde personne [Apotex] a reçu un AC avant que l’on tranche la dernière demande d’interdiction » : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 57.

[39]      Vu le caractère particulier de la situation, Apotex a demandé à la juge de première instance de conclure que, selon le sens ordinaire de l’alinéa 8(1)b), la période prenait fin le 2 mai 2008, soit la date à laquelle le protonotaire Aalto, dans la décision AC Ramipril no 6 (C.F.), a rejeté, la qualifiant de théorique, la dernière procédure d’interdiction opposant Sanofi et Apotex introduite aux termes de l’article 6 du Règlement AC. Sanofi privilégiait plutôt la date du 27 juin 2006, date à laquelle, selon elle, Apotex avait cessé d’être une « seconde personne » en ce qui a trait aux brevets HOPE. La juge de première instance a rejeté ces deux arguments, estimant plutôt que la date à retenir en l’espèce pour la fin de la période de responsabilité selon l’article 8 était le 12 décembre 2006, date à laquelle le ministre de la Santé a délivré un AC à Apotex pour sa version générique du ramipril.

[40]      La juge de première instance a rejeté l’argument d’Apotex selon lequel la date de fin de la période de responsabilité selon l’article 8 devrait être la date du rejet officiel de la dernière demande d’interdiction, soit le 2 mai 2008. Elle a en effet estimé que la demande était devenue théorique quand l’AC avait été délivré à Apotex le 12 décembre 2006.

[41]      Elle a aussi rejeté la date de fin de la période proposée par Sanofi, soit le 27 juin 2006. Sanofi avait fait valoir que cette date était celle du rejet, dans la décision AC Ramipril no 5 (C.F.), de la « dernière véritable » procédure d’interdiction concernant le ramipril. Sanofi avait introduit des procédures d’interdiction contre Apotex pour ses brevets HOPE; cependant, à la suite de l’arrêt AstraZeneca de la Cour suprême du Canada, le ministre de la Santé avait estimé qu’il n’était pas nécessaire qu’Apotex traite des brevets HOPE puisqu’Apotex ne cherchait pas à obtenir un AC pour des utilisations qui étaient décrites dans ces brevets HOPE. En conséquence, aux fins de déterminer l’indemnité à accorder au titre de l’article 8, Sanofi prétendait qu’Apotex n’avait jamais été une « seconde personne » aux termes du Règlement AC en ce qui concerne les brevets HOPE, et que de ce fait la dernière procédure « valide » d’interdiction qui avait été rejetée ou avait fait l’objet d’un désistement était celle visée dans la décision AC Ramipril no 5 (C.F.), le 27 juin 2006.

[42]      La juge de première instance a rejeté l’argument de Sanofi, estimant qu’il reposait sur une mauvaise interprétation de l’arrêt AstraZeneca et d’une décision rendue par le juge Hughes, Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, [2008] 1 R.C.F. 19, décision confirmée par 2007 CAF 276 (la décision Ferring). De l’avis de la juge de première instance, l’arrêt AstraZeneca établit qu’un fabricant de médicaments génériques n’est pas tenu de traiter des brevets inscrits par le fabricant de drogues innovantes après que le fabricant de médicaments génériques a déposé sa présentation abrégée de drogue nouvelle, parce que le fabricant de médicaments génériques n’aura pas dans ce cas exploité de manière anticipée ces brevets. Dans l’arrêt AstraZeneca, la Cour suprême ne disait ni ne laissait entendre qu’un fabricant de médicaments génériques ne peut demander une indemnité au titre de l’article 8 du Règlement AC lorsqu’un fabricant de drogues innovantes engage effectivement une procédure d’interdiction à l’égard d’un brevet que le fabricant de médicaments génériques n’aurait pas dû devoir traiter : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 70 et 71.

[43]      La juge de première instance a reconnu, au paragraphe 73, que la décision Ferring, rendue par le juge Hughes, semblait appuyer la position de Sanofi. Cependant, d’après elle, la question soulevée dans l’affaire Ferring avait, sans que cela soit nécessaire, été formulée comme celle de savoir si le fabricant de médicaments génériques était une « seconde personne »; « il n’a pas été demandé au juge Hughes d’examiner, pas plus qu’il ne l’a fait, si cette décision [l’arrêt AstraZeneca] dépouillerait Apotex de sa demande d’indemnité en vertu de l’article 8 » : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 75.

[44]      Après avoir procédé à sa propre analyse contextuelle de l’arrêt AstraZeneca et de la décision Ferring, ainsi que de l’économie du Règlement AC, la juge de première instance a conclu qu’Apotex était une seconde personne en ce qui a trait aux brevets HOPE jusqu’au 12 décembre 2006, date à laquelle le ministre de la Santé avait décidé de lui délivrer un AC en dépit des procédures pendantes d’interdiction introduites par Sanofi pour lesdits brevets, confirmant ainsi qu’Apotex n’était plus à compter de cette date une seconde personne en ce qui concerne lesdits brevets uniquement : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 77 et 78. Selon elle, cette approche s’accordait avec l’objet de l’article 8, qui est « d’indemniser une seconde personne de la perte causée par l’application de la mise en attente réglementaire » : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 79.

[45]      La juge de première instance est donc arrivée à la conclusion que la période pertinente de responsabilité selon l’article 8 en l’espèce allait du 26 avril 2004 au 12 décembre 2006 : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 83.

Le marché hypothétique du ramipril

[46]      Ayant déterminé quelle était la période pertinente de responsabilité selon l’article 8, la juge de première instance a entrepris d’évaluer la perte de profits subie par Apotex durant cette période en déterminant a) la taille du marché total du ramipril durant la période; b) la portion du marché du ramipril qui aurait été acquise par des fabricants de médicaments génériques durant la période; c) la part de ce marché des médicaments génériques qui serait revenue à Apotex : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 84.

[47]      Se fondant sur les rapports d’expert et sur les éléments de preuve produits, la juge de première instance a fait sienne l’analyse de M. Hollis pour déterminer à la fois la taille du marché global du ramipril (motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 97 à 104) et celle du marché des versions génériques du ramipril (motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 107, 108 et 113 à 123) durant la période pertinente de responsabilité selon l’article 8.

[48]      Une question complexe sur laquelle s’est penchée la juge de première instance avait trait à la détermination du marché des versions génériques du ramipril durant la période de responsabilité selon l’article 8, et en particulier celle de savoir s’il convenait d’évaluer ce marché en prenant pour base un monde hypothétique unique. Sanofi a fait valoir qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul monde hypothétique pour toutes les réclamations faites au titre de l’article 8 du Règlement AC par tous les fabricants de médicaments génériques concernés. Selon Sanofi, décider autrement accorderait des indemnités excessives aux fabricants de médicaments génériques et l’attribution de gains fortuits inappropriés aux termes de l’article 8 : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 128 et 129. Vu l’importance que revêt cette question dans le présent appel, il vaut la peine de reproduire intégralement les raisons qu’avait la juge de première instance d’écarter l’approche du monde hypothétique unique [aux paragraphes 132 à 139] :

Je ne suis pas en désaccord avec les calculs de Sanofi. Je reconnais également que, si cela devait se produire, le résultat serait, sinon « absurde », à tout le moins douteux. Cela dit, l’argument de Sanofi contient un certain nombre de lacunes.

La première raison pour laquelle je ne suis pas d’accord avec l’argument de Sanofi est qu’il donne une fausse idée de la position d’Apotex. Apotex ne soutient pas que le monde hypothétique, sous le régime du Règlement, doit considérer Apotex comme un fabricant exclusif, sans aucun concurrent, pendant toute la période pertinente. Apotex, si j’ai bien compris son argument, est plutôt d’avis qu’il faut prendre en considération au cas par cas d’autres nouveaux arrivants sur le marché.

Je conviens avec Sanofi que le monde hypothétique doit tenir compte de l’inclusion d’éventuels concurrents, mais je ne vais pas aussi loin que ce que Sanofi affirme. En d’autres termes, je rejette l’idée de Sanofi de n’établir qu’un seul monde hypothétique qui s’appliquera dans le cas présent ainsi que dans toute autre situation mettant en cause la généricisation du ramipril.

L’évaluation des dommages‑intérêts peut — et doit — être faite en fonction des faits qui sont propres à chaque affaire. Dans la mesure où il existe des éléments communs ayant une incidence sur la quantification des dommages‑intérêts, ces éléments seront, selon toute vraisemblance, présentés lors du procès.

Une autre lacune sérieuse que présente l’argument de Sanofi est que la preuve que l’on produit dans une affaire en particulier peut établir une période pertinente qui est différente de celle que l’on établirait dans une autre. Ce fait aura une incidence sur de nombreux éléments de l’évaluation des dommages‑intérêts. En l’espèce, par exemple, j’ai conclu qu’Apotex serait entrée sur le marché le 26 avril 2004. Cette conclusion signifie que des facteurs différents entreront en jeu relativement à l’entrée possible d’un médicament générique autorisé, plutôt que si j’avais conclu que la date d’entrée sur le marché du 13 décembre 2005 convenait mieux. Dans l’affaire Teva connexe (dossier de la Cour no T‑1161‑07), j’ai conclu qu’une période pertinente différente avait été établie et que des facteurs différents étaient pertinents. Suivre la suggestion de Sanofi m’obligerait donc à ne pas tenir compte de la preuve présentée ni dans l’affaire Teva ni dans la présente.

De par leur nature propre, les dommages‑intérêts dans la présente action sont hypothétiques. Il s’ensuit que des estimations doivent être faites, et qu’un marché doit être imaginé et que les données seront imparfaites. À mesure que je réécris l’histoire, il y a des hypothèses qui doivent être interprétées et évaluées, et ces hypothèses changeront forcément en fonction des faits de chaque affaire. Je m’efforce d’être raisonnable et équitable — je ne puis atteindre la perfection. Comme l’a fait remarquer lord Shaw dans l’arrêt Watson, Laidlaw & Co. Ltd. c. Pott, Cassels and Williamson (1914), 31 RPC 104, à la page 118 (HL) :

[traduction] Le rétablissement par voie d’indemnisation se fait donc en grande partie par un jeu d’imagination rationnelle et de coupes solides.

En ce qui concerne le ramipril, Sanofi n’a mentionné que Teva, Apotex et Riva comme participants dans le monde hypothétique. Je suis assez sûre que les dommages‑intérêts, dans ces trois actions, n’excéderont pas de beaucoup — si tant est qu’ils le fassent — ceux que l’on accorderait si les trois affaires avaient été jointes et si un seul monde hypothétique avait été établi. Étant donné que Sanofi est la défenderesse dans ces trois affaires, elle est bien consciente du montant total des dommages‑intérêts demandés. Si ce montant créait une réelle menace que la responsabilité totale de Sanofi excède les limites de la rationalité, Sanofi pourrait demander instamment à la Cour d’envisager de rajuster l’indemnité conformément au paragraphe 8(5) du Règlement.

Il peut y avoir une situation dans laquelle la crainte de Sanofi est bien fondée, mais ce n’est certes pas le cas ici.

[49]      La juge de première instance s’est appliquée ensuite à déterminer, à partir de la preuve produite, quels fabricants de médicaments génériques auraient fait leur entrée sur le marché hypothétique durant la période de responsabilité selon l’article 8, et à quel moment chacun d’eux l’aurait fait.

[50]      Elle a présumé qu’Apotex aurait fait son entrée sur le marché au début de la période de responsabilité selon l’article 8, à savoir le 26 avril 2004.

[51]      Elle est arrivée à plusieurs conclusions concernant la participation de Teva, de Riva et d’un fabricant de médicaments génériques autorisés dans le marché hypothétique. Ces conclusions sont résumées ci‑après.

Teva

[52]      La juge de première instance a estimé que Teva ne serait entrée sur le marché que le 1er août 2006. Teva avait déposé le 24 décembre 2001 sa présentation abrégée de drogue nouvelle pour sa propre version générique du ramipril, mais elle avait aussi indiqué, en application de l’alinéa 5(1)a) du Règlement AC, qu’elle attendrait l’expiration du brevet '457 de Sanofi (relatif au ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque), fixée au 13 décembre 2005, et elle n’a produit aucune allégation à propos de ce brevet aux termes de l’alinéa 5(1)b) du Règlement AC. La juge de première instance a donc estimé que la date d’entrée de Teva sur le marché serait au plus tôt le 13 décembre 2005 : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 154 et 155. Cette date était en fait la date d’entrée de Teva sur le marché que la juge de première instance avait retenue dans son jugement concernant la demande similaire d’indemnité au titre de l’article 8 présentée par Teva contre Sanofi, à savoir le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva, au paragraphe 75.

[53]      La juge de première instance n’a cependant pas utilisé cette date au motif que, dans le contexte de la demande d’indemnité au titre de l’article 8 faite par Apotex, tous les autres fabricants de médicaments génériques compris dans le marché hypothétique, dont Teva, devaient être présumés liés par le Règlement AC, et qu’il fallait déterminer leurs entrées respectives sur le marché hypothétique en tenant compte des obstacles réglementaires : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 152.

[54]      Appliquant cette méthode, la juge de première instance a rappelé que Teva avait au départ déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle pour sa version générique du ramipril le 24 décembre 2001, et que Teva avait alors reconnu que son AC ne serait délivré qu’à l’expiration des brevets '206 et '457 de Sanofi. L’entrée de Teva sur le marché était donc considérablement retardée du fait de ce choix initial. Ce n’est qu’en septembre 2005 que Teva a déposé une allégation se rapportant au brevet '206. La demande d’interdiction qui a suivi a été rejetée le 25 septembre 2006 : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 154 et 156 à 158. La juge de première instance a néanmoins estimé que des procédures antérieures similaires d’interdiction se rapportant au brevet '206, auxquelles la société Laboratoire Riva Inc. (Riva) aurait été partie, se seraient soldées hypothétiquement par un rejet, et donc un jugement en faveur de Riva, au plus tard en juillet 2006 : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 159.

[55]      Selon la juge de première instance, Teva, dans le marché hypothétique, aurait été en mesure de s’appuyer sur le succès de Riva pour demander le rejet anticipé des procédures d’interdiction introduites par Sanofi à son encontre, et cela, dans les jours suivant le rejet dans le cas de Riva. Elle a donc conclu que Teva aurait été en mesure d’entrer sur le marché aux environs du 1er août 2006 : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 160.

Riva

[56]      La juge de première instance a estimé que, bien que la date de « mise en attente » de Riva soit le 18 juin 2004, Riva n’aurait pu entrer sur le marché hypothétique de la version générique du ramipril avant le 21 juin 2007, et donc seulement après l’expiration de la période de responsabilité selon l’article 8 envers Apotex. En conséquence, Riva n’aurait pas été un joueur dans le marché hypothétique durant la période pertinente de responsabilité selon l’article 8 : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 168. La juge de première instance est arrivée à cette conclusion en appliquant la même méthode que celle qu’elle avait employée pour déterminer la date d’entrée de Teva sur le marché, c’est‑à‑dire en tenant pour acquis que tous les fabricants de médicaments génériques autres qu’Apotex devaient être présumés assujettis au Règlement AC dans le marché hypothétique, et que leurs entrées respectives sur le marché seraient largement fonction de la manière dont elles auraient surmonté les obstacles réglementaires : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 161.

[57]      Riva a déposé le 8 juin 2004 sa présentation abrégée de drogue nouvelle pour sa version générique du ramipril et sa date de « mise en attente » était le 18 juin 2004. Cependant, dans sa propre demande au titre du Règlement AC, elle a fait renvoi à celle de Pharmascience Inc. (Pharmascience) : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 163 et 164. Santé Canada a informé Riva qu’elle ne recevrait pas d’AC pour sa version générique du ramipril avant Pharmascience, en raison de ce renvoi; Santé Canada n’a modifié sa position que le 21 juin 2007 : motifs de la juge de première instance, paragraphes 165 et 166. Appliquant sa méthode, selon laquelle tous les autres fabricants de médicaments génériques devaient surmonter les obstacles réglementaires, la juge de première instance a déduit de ces circonstances que « Riva n’aurait pas pu entrer sur le marché du ramipril avant que Santé Canada change de position au sujet de la PADN [présentation abrégée de drogue nouvelle] de renvoi de Riva », le 21 juin 2007 : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 167.

Médicament générique autorisé

[58]      Selon la juge de première instance, un « médicament générique autorisé » est un « médicament que fabrique une société pharmaceutique innovante — Sanofi, en l’occurrence — mais qui est vendu par un fabricant de médicaments génériques sous le nom du générique » : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 170. Elle a relevé que le processus d’approbation, prévu par le Règlement sur les aliments et drogues, d’un médicament générique autorisé est très simple et très rapide. Elle a aussi relevé que l’avantage pour un innovateur d’utiliser un médicament générique autorisé est qu’il peut « récupérer une partie du marché qu’il a perdu aux mains des fabricants de médicaments génériques » : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 171.

[59]      La juge de première instance a rejeté l’argument d’Apotex selon lequel l’article 8 du Règlement AC interdit la présence des fabricants de médicaments génériques autorisés. Elle est arrivée à cette conclusion a) en acceptant l’argument de Sanofi selon lequel le Règlement AC lui‑même, au paragraphe 7(3), envisage l’existence de médicaments génériques autorisés; b) en faisant observer que le gouverneur en conseil avait examiné cette question lors de l’adoption de modifications apportées au Règlement AC et qu’elle avait été résolue en faveur des innovateurs : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 176 à 179.

[60]      La juge de première instance a ensuite conclu, se fondant sur les éléments de preuve devant elle, qu’il était plus probable qu’improbable que Sanofi aurait décidé de lancer sur le marché hypothétique un médicament générique autorisé : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 181 à 190. Cependant, elle a aussi estimé que, dans le marché hypothétique, le Règlement AC n’aurait pas fait obstacle à l’entrée sur le marché d’Apotex; par conséquent, le lancement par Apotex de sa version générique du ramipril aurait été une surprise pour Sanofi puisqu’aucun préavis d’une entrée projetée sur le marché (suivant ce règlement) n’aurait été donné à Sanofi : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 192 à 196. La mise sur le marché d’un médicament générique autorisé aurait eu lieu trois mois après ce lancement‑surprise, c’est‑à‑dire au plus tard le 26 juillet 2004 : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 197 à 202.

[61]      La juge de première instance a alors entrepris de déterminer la part de marché d’Apotex, à l’intérieur du marché hypothétique de la version générique du ramipril, qui aurait compté parmi ses acteurs Apotex (qui aurait fait son entrée sur le marché le 26 avril 2004), un fabricant de médicaments génériques autorisés (qui aurait fait son entrée sur le marché le 26 juillet 2004) et Teva (qui aurait fait son entrée sur le marché le 1er août 2006), en prenant en considération la date d’entrée sur le marché de chacun des fabricants de médicaments génériques. Elle n’a accepté aucun des témoignages d’expert qui avaient été présentés sur cette question (motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 207 et 214), concluant plutôt que « la répartition des parts de marché entre les nouveaux arrivants sur le marché des médicaments génériques semble être trop complexe pour qu’on puisse l’estimer avec une précision quelconque » : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 215. Se fondant sur un rapport interne d’analyse de marché de Sanofi, elle a estimé comme il suit la part d’Apotex dans le marché hypothétique de la version générique du ramipril (motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 216 à 219) :

a)    100 p. 100 du marché hypothétique du médicament générique pour la période allant du 26 avril 2004 au 26 juillet 2004, durant laquelle Apotex est seule dans ce marché;

b)    70 p. 100 du marché hypothétique du médicament générique pour la brève période de quelques jours allant du 26 juillet 2004 au 1er août 2004, au cours de laquelle Apotex et le fabricant du médicament générique autorisé sont les seuls joueurs sur ce marché;

c)    50 p. 100 du marché hypothétique du médicament générique pour la période allant du 1er août 2006 au 12 décembre 2006, durant laquelle Apotex, Teva et le fabricant du médicament générique autorisé se partagent ce marché.

[62]      La juge de première instance s’est ensuite intéressée à la méthode permettant de calculer les ventes brutes perdues par Apotex pour sa version générique du ramipril, concluant tout simplement que cela correspondait au nombre de gélules qu’Apotex aurait vendues durant la période de responsabilité selon l’article 8, multiplié par le prix auquel elle les aurait vendues : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 227. Après examen de la manière dont le prix des médicaments est fixé (motifs, aux paragraphes 228 à 235), elle a conclu que la version générique du ramipril d’Apotex aurait été vendue à un prix qui équivalait au pourcentage suivant du prix courant de l’ALTACE (la version innovante du ramipril commercialisée par Sanofi) : a) 70 p. 100 du 26 avril 2004 au 26 juillet 2004; b) 65 p. 100 du 26 juillet 2004 au 12 décembre 2006 : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 236.

[63]      Les experts des deux parties se sont pour l’essentiel accordés sur la méthode à utiliser pour estimer la perte de profits subie par Apotex sur les ventes brutes perdues, sauf pour trois éléments, à savoir les rendus sur ventes, les dépenses commerciales et le coût de l’ingrédient pharmaceutique actif : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 238 à 240. Aucune question n’a été soulevée dans le présent appel concernant ces aspects, et il n’est donc pas utile d’expliquer davantage les conclusions de la juge de première instance les concernant.

[64]      Un important rajustement a été demandé par Apotex au titre d’une indemnité additionnelle à l’égard de ce qui a été désigné la « double transition ». La « transition » s’entend du temps que met un fabricant de médicaments pour pénétrer le marché jusqu’à son plein potentiel. Dans le marché hypothétique, Apotex aurait connu une période de transition. Cependant, Apotex a fait valoir que, dans le marché réel, elle avait également connu une période de transition quand elle avait été enfin autorisée à vendre sa version générique. Si l’on prend en compte une période de transition dans le marché hypothétique sans l’indemniser pour la transition qu’elle a effectivement connue dans le marché réel, Apotex se retrouve avec une perte de profits qu’elle n’aurait pas subie autrement : motifs de la juge de première instance, paragraphes 265 à 267. Cette perte n’est pas négligeable : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 268.

[65]      La juge de première instance a rejeté la thèse de la double transition au motif que, puisqu’il s’agissait d’une perte subie après la période de responsabilité selon l’article 8, elle ne pouvait donner lieu à une indemnité au titre de l’article 8 du Règlement AC, par application des principes établis dans l’arrêt Alendronate, aux paragraphes 99 à 102, dans lequel notre Cour a conclu que l’article 8 exclut toute indemnité pour des pertes subies en dehors de ladite période de responsabilité : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 269 et 270.

[66]      Le dernier point examiné par la juge de première instance concerne l’argument de Sanofi selon lequel l’indemnité d’Apotex au titre de l’article 8 du Règlement AC ne pouvait s’étendre aux ventes de sa version générique du ramipril relatives à des indications non autorisées, notamment les indications HOPE.

[67]      La juge de première instance a estimé que, dans le marché hypothétique, seule l’hypertension aurait été mentionnée dans la monographie de produit d’Apotex relative à sa version générique du ramipril, mais que, néanmoins, certaines ventes de ce produit générique auraient concerné des indications HOPE : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 280 et 281. Elle a refusé d’exclure ces ventes du calcul de l’indemnité d’Apotex au titre de l’article 8, pour les raisons suivantes : a) on ne vend pas des produits génériques pour des usages particuliers, mais plutôt comme des médicaments; b) les prescriptions à des fins autres que l’usage approuvé et la substitution sont des pratiques courantes qui n’ont, semble‑t‑il, rien d’illégal; c) dans le monde réel, Sanofi ne s’est pas opposée à l’inscription de la version générique du ramipril d’Apotex comme produit interchangeable avec son propre produit ALTACE; d) il est loisible à Sanofi d’engager une action en contrefaçon de brevet en ce qui concerne les brevets HOPE : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 283.

[68]      La juge de première instance a conclu que, dans le marché hypothétique, Apotex aurait été en mesure de réaliser des ventes pour des indications HOPE durant la période de responsabilité selon l’article 8, sans aucune objection sérieuse de la part de Sanofi, et que par conséquent les pertes d’Apotex au titre de telles ventes devraient être indemnisées en vertu de l’article 8 du Règlement AC : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 292 et 293. Elle ajoutait cependant : « Cela ne veut pas dire qu’une seconde personne [un fabricant de médicaments génériques] peut toujours être indemnisée pour des indications non approuvées. Une autre demande fondée sur l’article 8 pourrait offrir une défense claire dans les actes de procédure et une série différente de faits qui justifieraient une conclusion différente ou un rajustement à la baisse des dommages‑intérêts destinés à la seconde personne, conformément au paragraphe 8(5) du Règlement sur les MB (AC). Mais pas dans le cas présent » (motifs de la juge de première instance, au paragraphe 295; souligné dans l’original.)

Les questions soulevées dans l’appel et la norme de contrôle

[69]      Les principales questions soulevées dans le présent appel concernent a) les dates de début et de fin de la période de responsabilité selon l’article 8; b) les caractéristiques du marché hypothétique au cours de cette période; c) la manière dont la double transition relative à la vente de médicaments génériques devrait être considérée dans le marché hypothétique; d) le point de savoir si les ventes hypothétiques d’un fabricant de médicaments génériques dans le marché hypothétique devraient englober les ventes portant sur des indications non autorisées, par exemple les indications HOPE. Les parties ont également soulevé deux points additionnels : e) Sanofi soutient que la juge de première instance a fait une « erreur de calcul » quand elle a conclu que la part du fabricant de médicaments génériques autorisés dans le marché de la version générique du ramipril aurait été de 30 p. 100 après 24 mois; f) Apotex, quant à elle, soutient que la juge de première instance s’est trompée quant à la date à laquelle Teva serait entrée sur ce marché.

[70]      Toutes les parties sont à juste titre d’avis que la norme de contrôle qui s’applique est celle qui est employée d’ordinaire lors des examens en appel, décrite dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Les questions de droit doivent donc faire l’objet d’un examen en appel suivant la norme de la décision correcte, tandis que les questions de fait et les questions mixtes de droit et de fait desquelles il est impossible de dégager une pure question de droit doivent être examinées suivant la norme de l’erreur manifeste et dominante.

Premier point : établissement de la période de responsabilité selon l’article 8

a) La date de début

[71]      Sanofi soutient que, compte tenu de l’ordonnance d’interdiction rendue par la juge Simpson le 6 octobre 2005 dans la décision AC Ramipril no 2 (C.F.) concernant le brevet '457, la juge de première instance ne pouvait en droit conclure à une quelconque responsabilité au titre de l’article 8 du Règlement AC jusqu’à ce que l’effet de cette ordonnance soit pour l’essentiel annulé un mois plus tard, le 4 novembre 2005, par la juge Tremblay‑Lamer dans la décision AC Ramipril no 3 (C.F.), qui concluait à l’invalidité de ce brevet aux fins du Règlement.

[72]      Sanofi fonde cet argument principalement sur un arrêt de la Cour d’appel anglaise, Unilin Beheer BV v. Beery Floor NV, [2007] EWCA Civ. 364 (l’arrêt Unilin), et sur les décisions de la Cour fédérale qui ont suivi cet arrêt, explicitement ou implicitement, notamment Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2010 CF 952; et Aventis‑Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2009 CF 915. Selon Sanofi, l’arrêt Unilin autorise d’affirmer que [traduction] « la déclaration postérieure d’invalidité d’un brevet donnera lieu au prononcé d’une ordonnance mettant fin à une injonction accordée antérieurement — mais avec effet uniquement pour le futur. Elle ne permet pas à la Cour de “revenir” sur l’affaire antérieure et d’annuler l’injonction rétroactivement. » Sanofi ajoute que ce principe est important en l’espèce [traduction] « parce qu’il reconnaît qu’une conclusion postérieure d’invalidité, fût‑elle définitive, à la suite d’un procès et d’un appel, et fût‑elle de nature in rem, n’autorise pas la Cour à “refaire” le passé » : mémoire de Sanofi, aux paragraphes 40 et 41.

[73]      Sanofi soutient également que la juge de première instance ne pouvait pas « revenir » sur l’ordonnance d’interdiction de la juge Simpson, qui n’avait jamais été infirmée en appel. Selon Sanofi, la Cour a conclu, dans l’arrêt Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 328, au paragraphe 20, que l’ordonnance d’interdiction de la juge Simpson conservait son effet jusqu’à l’expiration du brevet '457. Sanofi affirme aussi que la juge de première instance a également commis une erreur en droit a) en refusant de considérer le 4 novembre 2005 (la date de la décision de la juge Tremblay‑Lamer) comme une date possible de début pour la période de responsabilité selon l’article 8; b) en se livrant à une [traduction] « expérience de la pensée » inappropriée dans son examen de ce qui serait arrivé si Apotex avait déposé une seule allégation à l’égard du brevet '457 au lieu de deux; c) en refusant de considérer que la décision de la juge Tremblay‑Lamer avait été obtenue par Apotex par un abus de la procédure.

[74]      Je n’accepte pas les conclusions de Sanofi sur ce point.

[75]      L’alinéa 8(1)a) du Règlement AC prévoit clairement que la période de responsabilité selon l’article 8 commence « à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut […] qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée » (je souligne). Par conséquent, la date habituelle, normale, ou implicite de début est celle à laquelle l’AC aurait été délivré au fabricant de médicaments génériques n’eût été l’application du Règlement AC, en l’occurrence le 26 avril 2004. Ce n’est que lorsque le juge de première instance estime qu’une autre date est plus appropriée que cette date applicable par défaut peut être écartée.

[76]      En l’espèce, Apotex a déposé deux allégations relatives au brevet '457. Elle affirmait dans la première allégation que sa version générique du ramipril ne contrefaisait pas ce brevet (une thèse que la juge Simpson n’a pas retenue), tandis que dans la seconde allégation, elle affirmait que le brevet était invalide (ce que la juge Tremblay‑Lamer a reconnu). La segmentation d’allégations pour le même brevet est une pratique qui a depuis été désavouée par la Cour pour cause d’abus de procédure : AB Hassle c. Apotex Inc., 2006 CAF 51, [2006] 4 R.C.F. 513 (AB Hassle), aux paragraphes 24 et 25. Cependant, comme on peut le lire dans l’arrêt AB Hassle, au paragraphe 25 : « La Cour fédérale a le pouvoir discrétionnaire d’examiner au fond la demande d’ordonnance d’interdiction selon son bien‑fondé même s’il est établi qu’un second (ou subséquent) avis d’allégation constitue un abus de procédure ». Par ailleurs, à la date à laquelle Apotex avait déposé ses deux allégations, il n’était pas rare que l’on procède de cette façon : Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 1997 CanLII 6216, [1997] A.C.F. no 1251 (C.A.) (QL), au paragraphe 20 de QL, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1998] 1 R.C.S. viii; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [2000] 4 C.F. 264 (C.A.F.), au paragraphe 44, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2001] 1 R.C.S. v; Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd., 1997 CanLII 5608, [1997] A.C.F. no 1344 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 44 à 49 de QL; Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 1997 CanLII 5831 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 12 à 15; Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 1998 CanLII 8204 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 9 à 14.

[77]      En outre, en l’espèce, Sanofi a effectivement présenté son argument relatif à l’abus de procédure à la juge Tremblay‑Lamer, qui l’a écarté comme elle était fondée à le faire en vertu des principes exposés dans l’arrêt AB Hassle et mentionnés ci‑dessus : décision AC Ramipril no 3 (C.F.), aux paragraphes 26 à 47. Lorsque cette décision a été portée en appel devant notre Cour (Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 328 précité), le juge Noël (au paragraphe 14) a refusé d’entendre l’appel au motif qu’il était devenu théorique par suite de l’expiration du brevet '457. Le juge Noël a fait remarquer que l’ordonnance d’interdiction rendue par la juge Simpson était restée en vigueur jusqu’à l’expiration du brevet '457, mais pour bien saisir le sens de cette remarque, il faut la situer dans le contexte de la décision, et tenir compte de la remarque additionnelle du juge Noël selon laquelle « [a]u vu du dossier partiel dont nous disposons et sans préjuger de la question, au cas où elle serait soulevée dans le contexte d’une action intentée au titre de l’article 8 » (au paragraphe 20, non souligné dans l’original).

[78]      Compte tenu de toutes les circonstances, la question qui se posait en l’espèce, s’agissant de la responsabilité selon l’article 8 (et que la juge de première instance a de fait soulevée et examinée), était de savoir quel était le résultat global des procédures relatives au brevet '457 découlant des allégations portant sur ce brevet déposées par Apotex en vertu du Règlement AC. Comme l’a constaté la juge de première instance, à la lumière de la décision de la juge Simpson et de celle de la juge Tremblay‑Lamer, les procédures d’interdiction introduites par Sanofi concernant le brevet '457 ont été rejetées pour cause d’invalidité, mais non pour cause d’absence de contrefaçon. En définitive, ces deux décisions ont mené à la conclusion que l’inscription du brevet '457 au registre des brevets visé par le Règlement AC ne faisait pas obstacle à la délivrance d’un AC à Apotex.

[79]      Les deux décisions concernaient le même brevet, elles étaient étroitement liées, elles avaient été rendues toutes les deux à l’intérieur d’un délai d’un mois et elles devraient être lues et interprétées ensemble. En pratique, et compte tenu du contexte global de la présente instance, il y a lieu de considérer que l’ordonnance d’interdiction rendue par la juge Simpson est, s’agissant des décisions touchant la responsabilité au titre de l’article 8 du Règlement AC, tout simplement dépourvue de pertinence en raison de la décision postérieure de la juge Tremblay‑Lamer. Cela est d’autant plus vrai que l’ordonnance d’interdiction de la juge Simpson n’aurait jamais été rendue si la décision de la juge Tremblay‑Lamer l’avait précédée. La responsabilité au titre de l’article 8 du Règlement AC ne devrait pas dépendre de la question, dénuée d’intérêt, de savoir si c’est la juge Simpson ou la juge Tremblay‑Lamer qui fut la première à rendre jugement.

[80]      Par conséquent, je ne puis voir aucune erreur fondamentale de principe dans la décision de la juge de première instance concernant la date de début de la période de responsabilité selon l’article 8.

[81]      Quant au principe de l’arrêt Unilin sur lequel se fonde Sanofi, il est révélateur de constater qu’il a été récemment écarté par la Cour suprême du Royaume‑Uni dans l’arrêt Virgin Atlantic Airways Ltd. v. Zodiac Seats U.K. Ltd., [2013] UKSC 46 (l’arrêt Virgin Atlantic). Les principes exposés dans l’arrêt Virgin Atlantic appuient fortement le point de vue exprimé par la juge de première instance à l’égard des décisions de la juge Simpson et de la juge Tremblay‑Lamer, et ils tendent à confirmer l’ensemble de sa démarche quant à la détermination de la date de début de la période de responsabilité selon l’article 8.

[82]      Dans l’arrêt Unilin, un brevet avait été délivré par l’Office européen des brevets (OEB), assorti d’une désignation du Royaume‑Uni, qui faisait que cette délivrance de brevet, conformément à la Convention sur le brevet européen (CBE) [Convention sur la délivrance de brevets européens (Convention sur le brevet européen), 5 octobre 1973], avait le même effet que si le brevet avait émané de l’Office des brevets du Royaume‑Uni. Le brevet a par la suite été contesté devant un tribunal du Royaume‑Uni, qui a ultimement déterminé que certaines des revendications du brevet étaient valides et avaient été contrefaites, et ordonné qu’il y ait détermination du montant des dommages‑intérêts, ou restitution des profits par les contrefacteurs. Cette ordonnance devint finalement une ordonnance inconditionnelle et définitive au Royaume‑Uni. La difficulté dans cette affaire était que la CBE permettait à un tiers d’attaquer un brevet devant l’OEB, au moyen d’une procédure dite d’« opposition », bien que cette procédure fût en réalité une procédure visant l’annulation du brevet. La CBE permettait aussi de contester la validité d’un brevet devant les tribunaux nationaux sans qu’il soit nécessaire d’attendre l’issue des procédures d’opposition engagées devant l’OEB. Il en résultait que, dans le système institué par la CBE, une juridiction nationale pouvait par une décision définitive et exécutoire déclarer un brevet valide alors que, plus tard, à l’issue de la procédure d’opposition engagée devant l’OEB, celui‑ci pouvait déclarer le brevet invalide ou en réduire la portée. Les défendeurs dans l’affaire Unilin avaient donc demandé au tribunal de surseoir à l’attribution de dommages‑intérêts ou à la restitution des profits en attendant l’issue de la procédure d’opposition introduite devant l’OEB concernant le brevet. La question soulevée dans l’arrêt Unilin était de savoir quelle décision devait l’emporter : la décision définitive de la juridiction britannique selon laquelle le brevet était valide et avait été contrefait, ou la future décision de l’OEB, susceptible de déclarer le brevet invalide?

[83]      Lord Jacob s’est fondé sur la décision Poulton v. Adjustable Cover, [1908] 2 Ch. 430 (Poulton), et sur la décision Coflexip v. Stolt (No. 2), [2004] F.S.R. 34 (Pat. Ct.) (Coflexip), pour affirmer que l’annulation postérieure d’un brevet par l’Office des brevets du Royaume‑Uni ne saurait modifier une décision judiciaire antérieure se rapportant à ce brevet à laquelle s’applique la règle de la chose jugée : arrêt Unilin, aux paragraphes 39, 40, 44 à 46 et 52. Lord Jacob appliquait essentiellement le même principe aux annulations de brevets prononcées à la suite de procédures d’opposition introduites devant l’OEB, concluant par conséquent que les défendeurs dans l’affaire Unilin ne pouvaient contester le droit d’Unilin à une restitution des profits, quel que fût le résultat ultime des procédures d’opposition introduites devant l’OEB : arrêt Unilin, aux paragraphes 88 et 92.

[84]      Cependant, les décisions Poulton, Coflexip et l’arrêt Unilin ont récemment été toutes expressément désavouées par la Cour suprême du Royaume‑Uni dans l’arrêt Virgin Atlantic, la Cour estimant notamment que [traduction] « la décision Poulton ne reflète plus l’état du droit, et la décision Coflexip est erronée. Il s’ensuit que l’arrêt Unilin est lui aussi erroné parce qu’il avait pour point de départ l’état du droit énoncé dans la décision Coflexip » : Virgin Atlantic, au paragraphe 35 (lord Sumption).

[85]      Dans l’arrêt Virgin Atlantic, la société Virgin Atlantic Airways Ltd. demandait réparation à la société Zodiac Seats UK Ltd. pour contrefaçon d’un brevet européen (R.‑U.) qui lui avait été délivré en mai 2007. La demande de réparation a au départ été rejetée, mais elle a été accueillie par la Cour d’appel dans des arrêts rendus le 22 octobre 2009 et le 21 décembre 2009, et dans une ordonnance rendue le 12 janvier 2010, dans lesquels il est déclaré que le brevet est valide et qu’il a été contrefait, et qu’il y avait lieu de procéder à la détermination des dommages‑intérêts. Toutefois, le 9 septembre 2010, une chambre des recours techniques de l’OEB a décidé de modifier le brevet en retranchant pour cause d’invalidité toutes les revendications que la Cour d’appel avait jugées contrefaites. Zodiac a donc demandé à la Cour d’appel de modifier son ordonnance précédente, ce qui lui fut refusé en raison de l’arrêt Unilin.

[86]      Le pourvoi subséquemment formé devant la Cour suprême du Royaume‑Uni a été accueilli sur la question restreinte de savoir si l’arrêt Unilin était bien fondé. La question fondamentale soulevée était celle de savoir si Zodiac avait le droit de prétendre, à l’étape de la détermination des dommages‑intérêts, qu’il n’y avait eu aucun préjudice puisque le brevet avait été rétroactivement modifié par la suppression des revendications qui avaient été jugées contrefaites. La réponse à cette question était tributaire de la question de savoir si la Cour d’appel avait eu raison de dire, se fondant sur l’arrêt Unilin, que son ordonnance déclarant le brevet valide continuait de lier les parties alors même que le brevet avait été plus tard modifié par l’OEB.

[87]      Lord Sumption s’est exprimé ainsi, aux paragraphes 32 et 34 de l’arrêt Virgin Atlantic :

[traduction] La principale erreur dans le raisonnement des juges majoritaires ayant rendu la décision Coflexip [et, en conséquence, dans l’arrêt Unilin] consiste à avoir estimé que lord Keith, dans l’arrêt Arnold, avait jugé que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est une règle absolue. Tel n’est pas le cas. Il a plutôt conclu qu’elle était absolue uniquement en ce qui concerne les points sur lesquels la Cour avait effectivement statué dans l’instance antérieure. À cause de cette erreur, les juges majoritaires n’ont pas tenu compte du fait qu’il n’avait pas été statué sur les conséquences de l’annulation du brevet dans l’instance antérieure, et que cela ne pouvait avoir été fait étant donné que le brevet n’avait pas été annulé. S’agissant des considérations de principe, ils ont eu tort également, ainsi qu’il me semble, de supposer que le tribunal se pencherait à nouveau, durant l’enquête, sur la question de la validité, qui avait été tranchée dans le jugement sur la responsabilité. L’annulation du brevet était un acte in rem qui déterminait le statut du brevet envers des tiers. Le brevet avait été annulé par l’autorité qui l’avait délivré et il doit être considéré comme n’ayant jamais existé.

[...]

En fait, l’effet de la décision Coflexip [et de l’arrêt Unilin] n’est pas d’apporter plus de certitude dans ce domaine, mais de faire dépendre l’issue du litige de la question tout à fait aléatoire de savoir laquelle de deux juridictions ayant toutes deux compétence a terminé ses procédures avant l’autre [...] Le sort d’une somme de 49 millions de livres doit certainement dépendre de considérations de fond plus prévisibles.

[88]      Dans son opinion concordante, lord Neuberger d’Abbotsbury s’exprimait ainsi, au paragraphe 52 :

[traduction] Mais à mon avis, cela va plus loin. En l’absence de facteurs particuliers, des raisons de principes, d’équité et de bon sens commercial confirment que l’auteur allégué de la contrefaçon aurait dû pouvoir s’appuyer lors de l’examen sur le fait que le brevet en cause avait été révoqué. C’était un fait nouveau, d’une importance fondamentale, qui ne prêtait pas à controverse, et en niant à l’auteur allégué de la contrefaçon la possibilité de l’invoquer, on donnerait effet à un droit monopolistique que le breveté n’aurait jamais dû avoir. Par ailleurs, même si cet argument à lui seul n’était pas suffisant, il est permis d’affirmer que, loin d’aggraver le litige, le fait de permettre à Zodiac d’invoquer la modification du brevet permettrait de mettre un terme à l’examen.

[89]      Selon moi, l’arrêt Virgin Atlantic appuie la thèse avancée dans le présent appel par Apotex concernant la date de début de la période de responsabilité selon l’article 8, de même que les conclusions de la juge de première instance portant sur l’effet des décisions de la juge Simpson et de la juge Tremblay‑Lamer, toutes deux rendues dans le contexte du Règlement AC.

[90]      Sanofi se fonde aussi sur l’arrêt Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Inc., 2010 CAF 155 (l’arrêt Syntex), au paragraphe 36, dans lequel la Cour a fait observer que la version de 1993 de l’article 8 du Règlement AC « ne visait pas à fournir un recours lorsque l’innovateur avait gain de cause dans la procédure d’interdiction, même si le fabricant de médicaments génériques avait ultérieurement gain de cause dans un litige en matière de brevets ». Le point soulevé dans l’affaire Syntex était de savoir si la responsabilité au titre de l’article 8 du Règlement AC pouvait être engagée du fait d’une déclaration de nullité d’un brevet faite à l’issue de procédures judiciaires ordinaires introduites en vertu de la Loi sur les brevets. Puisque la déclaration de nullité ne résultait pas de procédures d’interdiction introduites en vertu du Règlement AC, le juge Hughes, de la Cour fédérale, tout comme la juge Dawson, au nom de notre Cour, a estimé que la responsabilité au titre de l’article 8 n’était pas engagée. Malheureusement, Sanofi ne peut s’appuyer sur l’arrêt Syntex puisque, dans la présente affaire, la déclaration de nullité découlant de la décision de la juge Tremblay‑Lamer résultait en fait de procédures d’interdiction introduites en vertu du Règlement AC. On peut également, pour les mêmes raisons, écarter l’application de la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., précitée, et de la décision Aventis-Pharma Inc. c. Pharmascience, précitée.

b) La date de la fin

[91]      Selon Sanofi, la date de la fin de la période de responsabilité selon l’article 8 aurait dû être le 27 juin 2006, date à laquelle les procédures d’interdiction se rapportant au brevet '948 ont été rejetées sur consentement, dans la décision AC Ramipril no 5 (C.F.). De l’avis de Sanofi, une fois ces procédures rejetées, le 27 juin 2006, les brevets HOPE (le brevet '549 et le brevet '387) étaient les seuls brevets encore inscrits par Sanofi aux termes du Règlement AC. Sanofi prétend qu’en conséquence des décisions AstraZeneca et Ferring, Apotex n’était pas une « seconde personne » au sens de ce règlement en ce qui concerne les brevets HOPE et ne pouvait donc pas prétendre à des dommages‑intérêts au titre de l’article 8 pour la période postérieure au 26 juin 2006, qui serait la dernière date à laquelle il y aurait eu « retrait, [...] désistement ou [...] rejet de la demande, ou [...] annulation de l’ordonnance », au sens de l’alinéa 8(1)b) du Règlement AC.

[92]      Je ne souscris pas au point de vue de Sanofi sur ce point.

[93]      La juge de première instance a été appelée à considérer deux arguments opposés concernant la date de la fin de la période de responsabilité selon l’article 8. Apotex prétendait que la date de la fin de la période était le 2 mai 2008, c’est‑à‑dire la date du rejet, en raison du caractère théorique, de la dernière procédure d’interdiction concernant les brevets HOPE, alors que Sanofi prétendait que la date de la fin de la période était le 27 juin 2006, à savoir la date du rejet des dernières procédures d’interdiction se rapportant à un brevet « pertinent » (c’est‑à‑dire un brevet autre qu’un brevet HOPE). Comme indiqué plus haut, la juge de première instance a rejeté les prétentions d’Apotex et de Sanofi et retenu le 12 décembre 2006 comme date de la fin, c’est‑à‑dire la date à laquelle le ministre de la Santé a délivré l’AC à Apotex pour sa version générique du ramipril.

[94]      Dans le présent appel, Apotex semble d’accord avec Sanofi au sujet du fait qu’elle n’est pas à proprement parler une « seconde personne » en ce qui concerne les brevets HOPE, mais elle soutient, à juste titre, que, compte tenu de la conduite de Sanofi tout au long du litige, cette dernière ne peut, en raison du principe de l’obligation d’opter et de la préclusion, soutenir qu’Apotex n’est pas une « seconde personne » aux fins de l’article 8, du moins jusqu’à la délivrance de l’AC à Apotex.

[95]      Il importe d’énumérer les étapes pertinentes de tout le litige pour comprendre l’objection d’Apotex aux arguments de Sanofi, ainsi que les conclusions de la juge de première instance concernant ces arguments :

a)    Apotex a déposé le 29 novembre 2005 une allégation concernant les brevets HOPE.

b)    Sanofi a réagi en engageant le 17 janvier 2006 des procédures d’interdiction devant la Cour fédérale, qui ont entraîné le sursis prévu à l’alinéa 7(1)e) du Règlement AC.

c)    Le 3 novembre 2006, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt AstraZeneca, dans lequel elle jugeait que le Règlement AC vise uniquement les brevets relatifs au produit innovant que le fabricant de médicaments génériques copie effectivement, et non les brevets ultérieurement délivrés et inscrits au registre dont un fabricant de médicaments génériques ne pourrait tirer avantage.

d)    Le 8 décembre 2006, compte tenu de l’arrêt AstraZeneca, le ministre faisait savoir que, selon lui, Apotex n’était pas tenue de traiter des brevets HOPE aux fins du Règlement AC.

e)    Le 12 décembre 2006, le ministre de la Santé délivrait l’AC à Apotex.

f)     Sanofi a dès lors introduit devant la Cour fédérale une procédure de contrôle judiciaire pour faire invalider la décision du ministre de délivrer l’AC à Apotex, et a demandé une suspension interlocutoire.

g)    Le 29 décembre 2006, le juge von Finckenstein a prononcé la suspension interlocutoire de l’AC d’Apotex [Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Canada ( Ministre de la Santé), 2006 CF 1559].

h)   Cette ordonnance de suspension a elle‑même été suspendue quelques jours plus tard, le 8 janvier 2007, par la juge Sharlow, jusqu’à l’issue de l’appel formé par Apotex devant la Cour : Apotex Inc. c. Sanofi‑Aventis Canada Inc., 2007 CAF 7.

i)     Le 12 février 2007, notre Cour a accueilli l’appel formé contre l’ordonnance de suspension rendue par le juge von Finckenstein : Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 71. La Cour suprême du Canada a refusé la demande d’autorisation de pourvoi le 28 juin 2007 : C.S.C., dossier no 31975, [2007] 2 R.C.S. vii.

[96]      La juge de première instance a rejeté la date de fin de la période proposée par Apotex, compte tenu de son interprétation de l’arrêt AstraZeneca et de la décision Ferring. Elle s’exprimait ainsi, au paragraphe 76 de ses motifs :

Selon mon interprétation de ces deux décisions, l’effet de l’arrêt AstraZeneca (CSC) et de la décision Ferring est double :

•      pour ce qui est de l’approbation des présentations de drogue générique nouvelles présentées en vertu du Règlement sur les MB (AC), un fabricant de médicaments génériques n’est plus tenu de traiter de certains brevets inscrits au registre; dans un tel cas, ce fabricant ne sera jamais une seconde personne à l’égard de ces brevets;

•      pour ce qui est des demandes d’interdiction déposées avant l’arrêt AstraZeneca (CSC) et la décision Ferring, et pour lesquelles il n’est maintenant pas nécessaire de traiter de certains brevets inscrits au registre, le fabricant de médicaments génériques obtiendra immédiatement son AC (en présumant que l’on a traité de tous les autres brevets pertinents), auquel cas il cessera d’être une seconde personne au moment de la délivrance de l’AC.

Selon moi, l’arrêt AstraZeneca (CSC) et la décision Ferring ne dépouillent aucunement les fabricants de médicaments génériques qui sont exclus du marché à cause des mesures prises par une société de fabrication de médicaments de marque de leur droit de demander une indemnité en vertu de l’article 8.

[97]      Je souscris à la lecture que fait la juge de première instance de l’arrêt AstraZeneca. Il m’apparaît clair que, après le prononcé de cet arrêt, toutes les procédures pendantes d’interdiction se rapportant aux brevets HOPE sont devenues théoriques, et le « retrait, [le] désistement, ou [le] rejet de la demande ou [...] l’annulation de l’ordonnance » au sens de l’alinéa 8(1)b) du Règlement AC coïncidait avec la délivrance de l’AC à Apotex. Cela justifie le rejet des arguments de Sanofi portant sur la date de fin de la période.

[98]      Je suis également d’avis que, même si l’effet de l’arrêt AstraZeneca n’était pas celui que lui a attribué la juge de première instance, il ne serait quand même pas loisible à Sanofi de prétendre qu’Apotex n’était pas une « seconde personne » en ce qui concerne les brevets HOPE aux fins de l’article 8 du Règlement AC, compte tenu de la façon dont elle s’est prévalue du Règlement.

[99]      En l’espèce, Sanofi avait inscrit les brevets HOPE sur la liste des brevets établie pour le ramipril aux termes de l’article 4 du Règlement AC, son objectif étant clairement de forcer les fabricants de médicaments génériques (telle Apotex) qui souhaitaient faire approuver des copies du ramipril à agir en tant que « secondes personnes » à l’égard de ces brevets sous le régime établi par le Règlement AC. Sanofi s’est d’ailleurs prévalue du paragraphe 6(1) du Règlement AC pour introduire des procédures d’interdiction à l’égard des allégations d’Apotex concernant les brevets HOPE, tirant ainsi avantage du sursis prévu par le Règlement AC. Si les procédures d’interdiction n’avaient pas été introduites, Apotex aurait reçu son AC beaucoup plus tôt. Les procédures d’interdiction ont donc eu pour effet d’empêcher Apotex de se trouver en concurrence plus tôt avec Sanofi sur le marché du ramipril. Sanofi a donc bénéficié d’importants avantages sous le régime du Règlement AC en traitant Apotex comme une « seconde personne » dans ses procédures d’interdiction concernant les brevets HOPE.

[100]   L’objet de l’article 8 du Règlement AC est précisément de faire en sorte que, lorsqu’un fabricant de drogues innovantes tire avantage du Règlement en introduisant des procédures d’interdiction non fondées, le fabricant de médicaments génériques puisse obtenir une juste indemnité pour avoir été évincé du marché. En introduisant des procédures d’interdiction à l’égard des brevets HOPE et en faisant de la sorte obstacle à l’entrée d’Apotex sur le marché jusqu’au 12 décembre 2006, Sanofi s’exposait manifestement à devoir verser l’indemnité prévue à l’article 8, peu importe que l’avantage que lui a procuré le Règlement AC ne soit pas justifié, comme l’a jugé plus tard la Cour suprême dans l’arrêt AstraZeneca. En conséquence, Sanofi ne saurait maintenant prétendre que ses propres procédures d’interdiction étaient nulles ab initio pour empêcher Apotex de recevoir l’indemnité visée à l’article 8 pour la période au cours de laquelle les procédures ont fait obstacle à l’entrée d’Apotex sur le marché du ramipril.

Deuxième point : les caractéristiques du marché hypothétique durant la période de responsabilité selon l’article 8

[101]   Sanofi affirme que la juge de première instance a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas appliqué les bons principes pour déterminer les caractéristiques du marché hypothétique durant la période de responsabilité selon l’article 8. Plus précisément, Sanofi soutient que la juge de première instance a fait erreur lorsque, en établissant le marché hypothétique, elle a déterminé la date de l’entrée d’Apotex sur le marché sans prendre en compte les processus établis par le Règlement AC, alors qu’elle avait estimé que le Règlement s’appliquait à l’entrée sur le marché de tous les autres fabricants de médicaments génériques.

[102]   Sanofi soutient aussi que cette erreur méthodologique fondamentale a entraîné de nombreuses incohérences et incongruités, à savoir :

a)    Le fait d’avoir supposé qu’Apotex n’avait aucune obligation de présenter à Sanofi des allégations aux termes du Règlement AC, pour justifier la conclusion selon laquelle l’introduction sur le marché, par Apotex, d’une version générique du ramipril aurait été un lancement « surprise » : mémoire de Sanofi, aux paragraphes 4, 19 à 23 et 68 à 71.

b)    Le fait d’avoir établi la date de l’entrée d’Apotex sur le marché sans tenir compte des contraintes fixées par le Règlement AC, tout en retenant une date plus tardive d’entrée sur le marché pour tous les autres fabricants de médicaments génériques (Teva, Riva et le fabricant du médicament générique autorisé) par suite de la prise en compte des contraintes imposées par le Règlement AC : mémoire de Sanofi, aux paragraphes 4, 22, 23 et 72 à 75.

c)    Le fait d’avoir adopté une approche méthodologique contradictoire dans les motifs du jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva : mémoire de Sanofi, au paragraphe 75.

[103]   Considérant ensemble le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva et le jugement sur la responsabilité envers Apotex, Sanofi soutient que l’erreur méthodologique fondamentale commise par la juge de première instance a eu pour résultat que l’indemnité visée à l’article 8 du Règlement AC a été calculée en fonction d’un marché global pour la version générique du ramipril de taille plus grande que celle qu’a effectivement ce marché. Sanofi expose son point de vue très clairement au paragraphe 5 de son mémoire :

[traduction]

a)    Apotex et Teva se sont toutes deux vu accorder des dommages‑intérêts pour des ventes perdues hypothétiques, notamment durant la période allant du 13 décembre 2005 au 1er août 2006.

b)    Apotex s’est vu accorder des dommages‑intérêts représentant 70 p. 100 du marché canadien total de la version générique du ramipril pour la période allant du 13 décembre 2005 au 1er août 2006.

c)    Teva s’est vu accorder des dommages‑intérêts représentant 33 p. 100 du marché canadien total de la version générique du ramipril pour la période allant du 13 décembre 2005 au 1er août 2006.

d)    Dans les deux cas, on a également conclu que la part de marché du médicament générique autorisé aurait représenté au moins 30 p. 100 du marché canadien total de la version générique du ramipril du 13 décembre 2005 au 1er août 2006.

e)    Par conséquent, à ce jour, des dommages‑intérêts ont été accordés durant la période susmentionnée en partant du principe qu’Apotex, Teva et [le fabricant du médicament générique autorisé] auraient réalisé au moins 133 p. 100 des ventes totales qu’auraient pu effectuer les fabricants de médicaments génériques.

f)     Pis encore, la Cour fédérale n’a pas encore entendu ni tranché l’affaire T‑1201‑08. Dans ce litige, Riva demande des dommages‑intérêts pour avoir été exclue du marché, notamment de janvier à décembre 2006, et l’adjudication de toute indemnité pour cette période viendra nécessairement gonfler ce qui est déjà une indemnité globale excessive.

Cette absurdité ne résulte pas d’une disparité dans les éléments de preuve produits dans les diverses instances; elle tient aux erreurs commises par la juge de première instance en établissant le monde hypothétique dans la présente affaire. [Souligné dans l’original.]

[104]   La juge de première instance n’était pas en désaccord avec les calculs de Sanofi : motifs de la juge de première instance, au paragraphe 132. Elle a néanmoins rejeté les observations de Sanofi quant à la méthode devant être retenue, du fait que Sanofi plaidait en faveur d’un marché hypothétique unique pour tous les médicaments génériques dans tous les litiges relevant de l’article 8 du Règlement AC, alors qu’une telle approche ne pouvait selon elle être retenue dans le cas de procès séparés et distincts dans lesquels « [l]’évaluation des dommages‑intérêts peut — et doit — être faite en fonction des faits qui sont propres à chaque affaire », et où « la preuve que l’on produit dans une affaire en particulier peut établir une période pertinente qui est différente de celle que l’on établirait dans une autre » : motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 135 et 136.

[105]   Contrairement à la juge de première instance, je suis d’avis que l’argument de Sanofi n’est pas sans fondement.

[106]   Je suis d’accord avec la juge de première instance qu’il pourrait dans certains cas ne pas être possible sur le plan pratique de concevoir un marché hypothétique unique pour tous les litiges concernant le ramipril et pour toutes les indemnités au titre de l’article 8 compte tenu des périodes pertinentes de responsabilité selon l’article 8, qui varient dans chaque affaire, de la preuve produite dans chacune des instances, et de la dynamique particulière de chaque demande d’indemnité. À titre d’exemple, dans la présente affaire et dans les procédures qui ont conduit au jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva, la participation éventuelle de Pharmascience dans le marché hypothétique du ramipril n’a pas été prise en compte en raison de la manière dont Sanofi a préparé et géré sa procédure. Un résultat autre concernant la présence éventuelle de Pharmascience sur le marché serait donc possible dans d’autres procédures engagées en vertu de l’article 8 du Règlement AC, faisant intervenir un autre fabricant de médicaments génériques. Il pourrait évidemment en résulter un partage différent du marché hypothétique de la version générique du ramipril entre les fabricants de médicaments génériques.

[107]   Néanmoins, une méthode de nature à indemniser convenablement et équitablement les fabricants de médicaments génériques doit être préférée à une méthode qui procure presque invariablement un gain fortuit. La méthode retenue par la juge de première instance dans la présente affaire en est une qui procure de par sa nature des gains fortuits, et elle a effectivement conduit à un tel résultat si l’on considère l’effet combiné du jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Apotex dans la présente affaire et du jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva.

[108]   Un simple exemple illustre la difficulté que comporte la méthode retenue par la juge de première instance : deux fabricants de médicaments génériques demandent un AC en même temps pour leurs versions respectives d’un médicament innovant, chacun d’eux conteste simultanément le brevet pertinent dans des allégations, et chacun est empêché d’entrer sur le marché durant deux ans par suite de procédures d’interdiction injustifiées introduites par le fabricant du médicament innovant. D’après la méthode préconisée par Apotex et retenue par la juge de première instance, chacun des deux fabricants de médicaments génériques se verrait attribuer 100 p. 100 du marché du médicament générique au cours des deux années en question, aux fins de déterminer l’indemnité devant lui être accordée en vertu de l’article 8 du Règlement AC. Après mûre réflexion, je suis d’avis que c’est là un résultat qui ne saurait avoir été envisagé par le gouverneur en conseil lorsqu’il a pris le Règlement AC, et un résultat que, en tout état de cause, le libellé du Règlement AC n’autorise pas.

[109]   La méthode visant à établir le marché hypothétique doit s’accorder avec les principes généraux des dommages‑intérêts compensatoires et avec la jurisprudence de la Cour. Comme le faisait observer le juge Noël dans l’arrêt Alendronate, au paragraphe 89, l’article 8 du Règlement AC ne vise pas à faire en sorte que les fabricants de médicaments innovants qui choisissent de se prévaloir du Règlement AC soient condamnés à des dommages‑intérêts punitifs; l’indemnité en cause est plutôt de nature compensatoire. Par ailleurs, il est un principe fondamental du droit de la responsabilité délictuelle que la personne lésée a droit à l’indemnisation intégrale de sa perte, pas davantage : Ratych c. Bloomer, [1990] 1 R.C.S. 940, à la page 962. Comme l’écrivait dans cet arrêt la juge McLachlin (alors juge de la Cour suprême), aux pages 962 et 963 :

Le demandeur a droit à l’indemnisation intégrale de sa perte, du mieux que celle‑ci peut être calculée. Il n’a toutefois pas le droit de transformer un préjudice en une aubaine. Il incombe au tribunal dans chaque cas de déterminer le plus exactement possible la perte réelle du demandeur [...]

L’indemnisation est justifiée non pas parce qu’il convient de punir le défendeur ou d’enrichir le demandeur, mais parce qu’elle a pour but ou pour fonction de remettre le demandeur, autant que faire se peut, dans l’état où il était avant l’accident ou encore, si cela s’avère impossible, de remplacer ce qu’il a perdu. [Souligné dans l’original.]

[110]   À mon avis, le marché hypothétique établi par la juge de première instance, dans lequel Apotex entre sur le marché sans être soumise aux contraintes du Règlement AC, alors que ce même Règlement fait obstacle à l’entrée sur le marché d’autres fabricants de médicaments génériques, est de nature, presque inévitablement, à procurer un gain fortuit à Apotex et aux autres fabricants de médicaments génériques qui invoquent l’article 8 du Règlement dans leurs procédures respectives. C’est exactement ce qui se passe en l’espèce.

[111]   La juge de première instance est arrivée à des conclusions diamétralement opposées sur maints aspects du marché hypothétique dans le jugement sur la responsabilité concernant Apotex (que j’appellerai aussi dans les présents motifs le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Apotex) par opposition au jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva :

a)    Dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Apotex, la juge de première instance a conclu (aux paragraphes 41 à 55) que la date de l’entrée d’Apotex sur le marché aurait été le 26 avril 2004, soit la date de sa « mise en attente », tandis que, dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva, elle a conclu (aux paragraphes 143 à 154) que la date de l’entrée d’Apotex sur le marché aurait plutôt été le 13 décembre 2005, compte tenu des effets de l’ordonnance d’interdiction rendue par la juge Simpson dans la décision AC Ramipril no 2 (C.F.), une ordonnance d’interdiction qu’elle avait toutefois déclarée sans effet dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Apotex.

b)    Dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Apotex, la juge de première instance a conclu (aux paragraphes 151 à 160) que la date de l’entrée de Teva sur le marché aurait été aux alentours du 1er août 2006, alors même que la date de sa « mise en attente » était le 14 octobre 2003, tandis que, dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva, elle a conclu (aux paragraphes 61 à 76) que la date de l’entrée de Teva sur le marché aurait plutôt été le 13 décembre 2005.

c)    Dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Apotex, la juge de première instance a conclu (aux paragraphes 191 à 202) que la date de l’entrée sur le marché d’un fabricant de médicaments génériques autorisés aurait été le 26 juillet 2004 après un lancement‑surprise par Apotex, tandis que, dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva, elle a conclu (aux paragraphes 196 à 208) que la date de l’entrée sur le marché d’un fabricant de médicaments génériques autorisés aurait plutôt coïncidé avec la commercialisation du médicament de Teva le 13 décembre 2005.

[112]   Selon la juge de première instance, ces conclusions contradictoires s’expliquent par le fait que des éléments de preuve différents ont été produits dans les deux instances, que les périodes de responsabilité au titre de l’article 8 diffèrent, et que des « coupes solides » interviennent lors de la détermination du montant d’une indemnité dans un contexte hypothétique : motifs de la juge de première instance dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Apotex, aux paragraphes 135 à 139, reproduits plus haut; jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva, aux paragraphes 127 à 130. Je reconnais que les éléments de preuve produits dans chacune des instances, et les différentes périodes de responsabilité établies selon l’article 8, pourraient conduire à des conclusions différentes dans les procédures en responsabilité fondées sur l’article 8 du Règlement AC relatives au ramipril et qui concernent Apotex et Teva, mais je suis néanmoins d’avis que ces éléments n’expliquent pas à eux seuls les contradictions susmentionnées.

[113]   Pour l’essentiel, les éléments de preuve produits dans les deux instances étaient les mêmes sur les points importants relatifs à l’entrée sur le marché, en particulier pour ce qui est de l’historique de chacune des procédures sur les AC auxquelles Sanofi et les fabricants de médicaments génériques étaient parties. Les contradictions ne sauraient donc simplement se justifier par des différences dans les éléments de preuve produits. Elles résultent plutôt pour l’essentiel de la méthode employée par la juge de première instance pour établir le marché hypothétique, et en particulier du fait qu’elle a estimé que l’entrée sur le marché du fabricant de médicaments génériques demandant d’être indemnisé au titre de l’article 8 est établie sans qu’il soit vraiment tenu compte du Règlement AC lui‑même, alors que l’entrée sur le marché des autres fabricants de médicaments génériques dépend largement de la façon dont ils ont surmonté les obstacles réglementaires. Selon moi, c’est là une approche fautive.

[114]   La bonne méthode consiste à concevoir un marché hypothétique qui se rapproche le plus possible du marché réel. Dans le marché réel, sauf rares exceptions, après qu’un fabricant de médicaments génériques a reçu un AC pour une version générique d’un médicament innovant, un autre fabricant de médicaments génériques peut raisonnablement compter obtenir un AC pour sa propre version générique de ce médicament.

[115]   À cet égard, dans l’arrêt Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltée, 2007 CAF 163, [2008] 1 R.C.F. 174, aux paragraphes 26, 36 et 37, un arrêt qui concerne le ramipril, le juge Sexton a estimé que, lorsqu’un fabricant de médicaments innovants ne réussit pas à obtenir une ordonnance d’interdiction en réponse à l’allégation d’un fabricant de médicaments génériques portant sur un brevet figurant dans sa liste de brevets, il ne peut soulever à maintes reprises les mêmes questions dans d’autres procédures d’interdiction concernant d’autres fabricants de médicaments génériques. D’ailleurs, l’alinéa 6(5)b) du Règlement AC (introduit en 1998 par le décret DORS/98‑147, et modifié en 2006 par DORS/2006‑242) a intégré ce principe dans le Règlement AC :

6. […]

(5) Sous réserve du paragraphe (5.1), lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter tout ou partie de la demande si, selon le cas :

[...]

b) il conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement, à l’égard d’un ou plusieurs brevets, un abus de procédure.

[116]   Par ailleurs, l’indemnité dont il est question à l’article 8 du Règlement AC vise à indemniser le fabricant de médicaments génériques pour la perte subie par lui durant la période de responsabilité selon l’article 8. Si plusieurs fabricants de médicaments génériques participent au marché du médicament innovant, il n’y a aucune raison de ne pas appliquer le même principe à tous les fabricants de médicaments génériques demandant une indemnité au titre de l’article 8 du Règlement AC. Cela suppose nécessairement que l’indemnité à verser à tous les fabricants concernés devrait être établie d’après une méthode qui assure le traitement cohérent des demandes d’indemnité et qui soit conforme aux principes généraux du droit régissant les dommages‑intérêts compensatoires.

[117]   Par conséquent, dans le monde hypothétique, une fois qu’un fabricant de médicaments génériques est réputé avoir reçu un AC aux termes de l’alinéa 8(1)a) du Règlement AC comme si le Règlement n’existait pas (« en l’absence du présent règlement »), les autres fabricants de médicaments génériques devraient être présumés en mesure de recevoir un AC sous réserve uniquement des délais et échéanciers prévus par le Règlement sur les aliments et drogues.

[118]   Autrement dit, pour l’établissement du marché hypothétique, une fois qu’un AC est réputé avoir été délivré à la partie qui sollicite une indemnité sur le fondement de l’alinéa 8(1)a) du Règlement AC, on devrait faire abstraction de ce règlement non seulement en ce qui concerne le fabricant de médicaments génériques qui demande l’indemnité, mais également à l’égard de tout autre fabricant de médicaments génériques qui est lui aussi, suivant la prépondérance de la preuve, un acteur du marché. Les obstacles du Règlement AC ne sont pas pris en compte, mais les autres contraintes réglementaires et légales découlant notamment du Règlement sur les aliments et drogues et de la Loi sur les brevets le sont pour chaque fabricant de médicaments génériques actif sur le marché, à titre individuel.

[119]   Cette façon d’établir un marché hypothétique fait en sorte que tous les participants du marché sont assujettis aux mêmes conditions réglementaires.

[120]   Je suis donc d’avis que les conclusions de la juge de première instance relatives à l’entrée de Teva, de Riva et d’un fabricant de médicaments génériques autorisés dans le marché hypothétique devraient être annulées. Je renverrais en conséquence l’affaire à la Cour fédérale pour nouvelle audience et pour que soit appliquée l’approche méthodologique décrite ci‑dessus.

Troisième point : la double transition

[121]   Apotex a également fait valoir, dans son avis d’appel et dans sa plaidoirie, que, dans les circonstances de la présente affaire, le marché hypothétique aurait dû être établi sans tenir compte d’une période de transition.

[122]   Le mot « transition » désigne le temps qu’il faut à un fabricant de médicaments pour pénétrer le marché à la hauteur de ses capacités. Dans le marché hypothétique, Apotex aurait en principe connu une période de transition. Cependant, Apotex affirme que, dans le marché réel, elle a effectivement connu une période de transition après avoir été autorisée à vendre sa version générique du ramipril. Si l’on tient compte d’une période de transition dans le marché hypothétique sans tenir compte de la période de transition qu’elle a effectivement connue dans le marché réel, Apotex se voit attribuer une perte de profit qu’elle n’aurait pas autrement subie.

[123]   La juge de première instance a refusé d’accorder la demande d’indemnité au titre de la période de transition au motif qu’elle concernait une perte subie après la période pertinente de responsabilité selon l’article 8, et donc qu’Apotex n’était pas en droit de demander une indemnité au titre de l’article 8 du Règlement AC en raison du principe établi dans l’arrêt Alendronate, aux paragraphes 99 à 102, dans lequel la Cour a estimé que l’article 8 n’autorise pas d’accorder une indemnité pour des pertes subies en dehors de la période de responsabilité selon l’article 8.

[124]   Il est utile de noter que la question de la recevabilité d’une demande d’indemnité en vertu de l’article 8 du Règlement AC au titre de la double transition fait l’objet d’une certaine controverse au sein de la Cour fédérale. Dans la présente affaire, et dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Apotex, la juge de première instance s’est dite d’avis qu’une telle indemnité ne pouvait être accordée en raison du principe énoncé dans l’arrêt Alendronate. Cependant, le juge Hughes, dans la décision Apotex Inc. c. Merck Canada Inc., 2012 CF 1235, tout comme le juge Phelan, dans la décision Apotex Inc. c. Takeda Canada Inc., 2013 CF 1237, a adopté une approche différente.

[125]   Dans la décision Apotex Inc. c. Merck Canada Inc., précitée, au paragraphe 85, le juge Hughes a fait observer que la juge de première instance avait refusé d’accorder une indemnité au titre de la double transition, en raison de l’interprétation qu’elle avait faite de l’arrêt Alendronate rendu par notre Cour. Cependant, il a aussi fait observer (aux paragraphes 86 et 87) qu’il n’était pas persuadé que notre Cour avait cette situation à l’esprit quand elle a rendu l’arrêt Alendronate, d’autant que les témoins experts en comptabilité étaient d’avis que l’indemnité devait compenser les pertes liées à une double transition. Néanmoins, appliquant la règle de la courtoisie judiciaire, le juge Hughes a fait sienne l’opinion de la juge de première instance dans cette affaire et n’a donc pas admis le principe d’indemnité au titre de la double transition.

[126]   Dans la décision Apotex Inc. c. Takeda Canada Inc., précitée, aux paragraphes 129 à 131, le juge Phelan a pris note des positions de la juge de première instance et du juge Hughes concernant la double transition, mais a estimé qu’il ne pouvait se fonder sur la courtoisie judiciaire pour se prononcer sur la question. Il a fait observer, aux paragraphes 136 à 138, que dans l’arrêt Alendronate, la Cour d’appel fédérale était saisie d’une demande liée à des pertes futures, et que la demande au titre de la double transition était de nature différente, du fait que dans ce cas la perte de revenus du fabricant de médicaments génériques ayant obtenu gain de cause était comptée deux fois. Le juge Phelan n’a donc pas estimé que suivant l’arrêt Alendronate, l’indemnité prévue à l’article 8 du Règlement AC devait être établie en faisant abstraction de la double comptabilisation. Se fondant sur le paragraphe 8(5) du Règlement AC (qui permet au tribunal de tenir compte des facteurs qu’il juge pertinents pour déterminer le montant de l’indemnité), il a conclu, au paragraphe 146, qu’« [i]l n’y a rien en droit, et certes rien en equity, qui oblige la Cour à faire abstraction du facteur de la double comptabilisation et à rajuster l’indemnité en ce sens ».

[127]   Je souscris à l’approche adoptée par le juge Phelan.

[128]   D’abord, l’arrêt Alendronate doit être interprété en tenant compte de la demande en cause dans cette affaire. Comme l’écrivait le juge Hughes dans la décision de première instance que visait l’appel (Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2008 CF 1185, [2009] 3 R.C.F. 234 (la décision Alendronate (C.F.))), au paragraphe 9, la question était de savoir si Apotex avait « le droit d’obtenir le recouvrement de dommages‑intérêts pour le préjudice postérieur à l’expiration de la période » de responsabilité. De fait, la demande en cause avait trait « à la perte de ventes et à la perte permanente d’une part de marché » : décision Alendronate (C.F.), au paragraphe 118. C’est cette demande qui a été rejetée par notre Cour dans l’arrêt Alendronate, sur la base du principe suivant énoncé par le juge Noël, au paragraphe 102 dudit arrêt :

Il faut donner effet à l’intention clairement exprimée du gouverneur en conseil. L’indemnisation des pertes pour les années futures est donc exclue puisqu’on ne peut pas dire que ces pertes ont été subies au cours de la période. Il s’ensuit, par exemple, que le droit d’Apotex à des dommages‑intérêts pour la perte de ventes résultant de la baisse alléguée de sa part de marché doit être limité aux ventes dont on peut établir qu’elles ont été perdues au cours de la période. Pour que les pertes fassent l’objet d’une indemnité, il faut établir qu’elles sont survenues au cours de la période. Par conséquent, je conclus que l’appel devrait être accueilli sur ce point précis.

[129]   Les réclamations qui sont exclues en raison de ce principe sont celles qui concernent les pertes subies après la période de responsabilité selon l’article 8, par exemple les pertes qui résultent de la perte d’une part de marché future. Toutefois, ce principe ne signifie pas qu’une demande d’indemnité devrait être réduite en raison d’une double comptabilisation. En l’espèce, le rejet de la réclamation liée à la double transition fait en sorte que Sanofi bénéficie d’un gain fortuit parce que la période de transition est considérée deux fois. Dans un tel cas, il est permis à un tribunal d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 8(5) du Règlement AC et de considérer comme facteur pertinent la période réelle de transition qui a eu lieu dans le marché réel afin d’éviter qu’elle soit comptée deux fois dans le marché hypothétique. Cette approche s’accorde tout à fait avec l’objet général de l’article 8 du Règlement AC, et elle ne contrevient pas au principe d’exclusion des pertes futures qui est énoncé dans l’arrêt Alendronate.

[130]   Partant, je ferais donc également droit à l’appel formé contre l’ordonnance sur les transitions des autres parties qui a modifié le jugement sur la responsabilité concernant l’effet de la période de transition qu’auraient connue tous les fabricants de médicaments génériques présents dans le marché hypothétique.

Quatrième point : la responsabilité pour les ventes hypothétiques portant sur des indications non autorisées, telles les indications HOPE

[131]   Sanofi affirme aussi que, puisqu’Apotex a supprimé les indications HOPE de sa monographie de produit pour obtenir son AC, et puisque l’usage du ramipril pour les indications HOPE est soumis aux brevets HOPE de Sanofi, Apotex ne devrait pas avoir droit à une indemnité pour les pertes subies dans le marché hypothétique résultant des ventes de sa version générique du ramipril liées aux indications HOPE.

[132]   Pour Sanofi, [traduction] « la question est de savoir si la “perte” dont il est question à l’article 8 peut s’étendre à une catégorie de ventes liées nécessairement à un usage contrefaisant par des patients. Interprété comme il convient, l’article 8 n’envisage pas un recouvrement par une seconde personne au titre de telles ventes » : mémoire de Sanofi, au paragraphe 84. Sanofi ajoute : [traduction] « Même si Apotex elle‑même ne se livre pas à la contrefaçon pour ce qui concerne les ventes HOPE, toutes les ventes du genre réalisées durant la période de responsabilité selon l’article 8 auraient nécessairement conduit à une violation des droits de Sanofi par d’autres et à des ventes perdues pour Sanofi à l’époque où elle jouissait de droits de brevet exclusifs pour des utilisations HOPE. Vu l’objet bien établi de l’article 8, qui est de prévenir la contrefaçon de brevet par des fabricants de médicaments génériques, cette disposition ne devrait pas être considérée comme s’appliquant à la perte de ventes entraînant nécessairement une violation des droits du breveté par quiconque » (mémoire de Sanofi, au paragraphe 86; souligné dans l’original.)

[133]   Dans le contexte factuel de la présente affaire, je ne saurais retenir les arguments de Sanofi. Dans le marché réel, Sanofi n’a pris aucune mesure pour faire respecter ses brevets HOPE, et elle ne s’est pas opposée à l’inscription de versions génériques du ramipril en tant que substituts de l’ALTACE pour une quelconque indication. Si Sanofi ne fait pas respecter ses brevets HOPE dans le marché réel et si elle permet la vente de versions génériques du ramipril pour des indications HOPE dans le marché réel sans véritable opposition, j’ai du mal à comprendre pourquoi la situation serait différente dans le marché hypothétique. Puisque le marché hypothétique est censé refléter le marché réel, les ventes qui y sont réalisées devraient être identiques à celles réalisées dans le marché réel.

[134]   La Cour a d’ailleurs déjà jugé que, dans un tel cas, un fabricant de médicaments génériques ne saurait être tenu responsable d’une contrefaçon de brevet sur le fondement de la théorie de la « contrefaçon contributaire » : Apotex Inc. c. Nycomed Canada Inc., 2011 CF 1441, aux paragraphes 18 à 28, conf. par 2012 CAF 195, au paragraphe 3, autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, dossier 34873, [2012] 3 R.C.S. xiv.

[135]   Au vu de ce qui précède, je ne puis voir aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour dans les constatations et conclusions de la juge de première instance portant sur les indications HOPE.

Cinquième point : la prétendue erreur de calcul dans la conclusion de la juge de première instance selon laquelle la part de marché d’un fabricant de médicaments génériques autorisés aurait représenté 30 p. 100 du marché de la version générique du ramipril après une période de 24 mois

[136]   Sanofi affirme aussi que la juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante quand elle a conclu que la part d’un fabricant de médicaments génériques autorisés dans le marché de la version générique du ramipril aurait été de 30 p. 100 après une période de 24 mois. D’après Sanofi, l’élément de preuve sur lequel s’est appuyée la juge de première instance (le rapport d’analyse de marché sur lequel a porté le témoignage de M. Gravel, mentionné au paragraphe 216 des motifs de la juge de première instance) précisait qu’une part de marché de 30 p. 100 pour un médicament générique autorisé supposait un marché comptant cinq joueurs, tandis que le marché hypothétique établi par la juge de première instance n’en comptait que trois. Sanofi en déduit que, pour les 24 premiers mois du marché hypothétique, la part de marché de 30 p. 100 retenue par la juge de première instance n’était pas suffisamment élevée, ce qui a eu pour effet d’augmenter indûment l’indemnité accordée à Apotex.

[137]   Je ne partage pas l’avis de Sanofi. Selon moi, la juge de première instance n’a commis aucune erreur à cet égard.

[138]   Essentiellement, Sanofi isole certains éléments de preuve qui concernent la part de marché qu’aurait acquise un fabricant de médicaments génériques autorisés, et fait ainsi fi de l’ensemble des éléments de preuve produits devant la juge de première instance, ainsi que du raisonnement qui l’a conduit à conclure qu’une part de marché de 30 p. 100 se justifiait. Il ressort clairement des motifs de la juge de première instance qu’au moment d’établir les parts de marché, elle a pris en compte les rapports et témoignages de M. Carbone (motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 205 à 207) et de M. Hollis (motifs de la juge de première instance, aux paragraphes 208 à 214), ainsi que le rapport d’analyse de marché sur lequel le témoignage de M. Gravel a porté et sur lequel se fonde Sanofi (motifs de la juge de première instance, au paragraphe 216).

[139]   De plus, la juge de première instance était consciente des difficultés auxquelles elle se heurtait pour répartir les parts de marché entre les fabricants de médicaments génériques (motifs de la juge de première instance, au paragraphe 215) et des limites que comportait le rapport d’analyse de marché dont il avait été question dans le témoignage de M. Gravel (motifs de la juge de première instance, au paragraphe 217). Elle reconnaissait aussi que « [m]alheureusement, mes conclusions relatives aux parts de marché ne correspondent à aucun des scénarios que les experts ont modélisés » (motifs de la juge de première instance, au paragraphe 220). Il ressort donc clairement de ses motifs que la juge de première instance a déterminé la part de marché d’un fabricant de médicaments génériques autorisés en se fondant sur l’ensemble de la preuve dont elle disposait. Je ne vois dans cette conclusion aucune erreur manifeste et dominante.

[140]   Cela dit, les conclusions de la juge de première instance portant sur la part de marché du fabricant de médicaments génériques autorisés devront être rajustées par suite du recours à la méthode adoptée et examinée ci‑dessus pour établir le marché en question.

Sixième point : la juge de première instance s’est‑elle trompée quant à la date à laquelle Teva serait entrée sur le marché de la version générique du ramipril?

[141]   Dans le dossier A‑191‑12, Apotex affirme que la juge de première instance a fait erreur en concluant que Teva serait entrée sur le marché hypothétique le 1er août 2006. Selon Apotex, la juge de première instance aurait plutôt dû conclure que Teva ne serait entrée sur le marché de la version générique du ramipril qu’à la fin d’octobre 2007, donc après la fin de la période de responsabilité envers Apotex selon l’article 8.

[142]   Selon Apotex, la juge de première instance a fait erreur en concluant que Teva aurait pu tirer avantage du fait que Riva avait eu gain de cause dans sa procédure d’interdiction introduite en vertu du Règlement AC portant sur le brevet '206, et que Teva serait donc entrée sur le marché le 1er août 2006. Apotex soutient que la juge de première instance aurait dû tenir pour acquis que le motif à l’origine de la décision de la Cour fédérale dans la procédure d’interdiction concernant Riva et le brevet '206 était inexistant, c.‑à‑d. que la déclaration de nullité du brevet '206 prononcée dans la procédure d’interdiction opposant Apotex et Sanofi dans la décision AC Ramipril no 1 (C.F.) devait être réputée n’avoir jamais eu lieu.

[143]   La thèse d’Apotex est totalement tributaire de la méthode employée par la juge de première instance pour établir le marché hypothétique. Comme je l’ai signalé plus haut, selon cette méthode, l’entrée d’Apotex sur le marché est déterminée sans égard au Règlement AC, tandis que l’entrée sur le marché de tous les autres fabricants de médicaments génériques est déterminée comme si ce règlement s’appliquait, de sorte que la détermination du montant de l’indemnité selon l’article 8 est effectuée dans un monde hypothétique où Apotex est réputée ne pas être assujettie au Règlement AC, alors que tous les fabricants de médicaments génériques concurrents le sont. Comme le fait observer Apotex dans son mémoire relatif à l’appel A‑191‑12, au paragraphe 17 :

[traduction] La juge Snider a estimé, comme il se doit, que la date du début de la période ouvrant droit au versement d’une indemnité à Apotex était la date à laquelle elle aurait reçu l’approbation du ministre « en l’absence du Règlement AC ». Toutefois, pour ce qui est des autres fabricants de médicaments génériques, le Règlement AC continuait à s’appliquer. En conséquence, même si Apotex n’avait pas à prendre en compte le brevet '206 dans le monde hypothétique, d’autres sociétés de médicaments génériques étaient aux prises avec ce brevet et devaient faire renvoi à celui‑ci sans toutefois pouvoir tirer avantage du succès d’Apotex dans le dossier T‑1742‑03 [décision AC Ramipril no 1 (C.F.)]. Autrement dit, les autres fabricants de médicaments génériques ne pouvaient pas « déverrouiller » la porte réglementaire en suivant la voie tracée par Apotex.

[144]   Comme je l’ai déjà expliqué, cette approche méthodologique est erronée et devrait être écartée. Les conclusions d’Apotex dans le dossier A‑191‑12 montrent d’ailleurs l’erreur fondamentale qui entache la manière dont la juge de première instance a établi le marché hypothétique aux fins de l’article 8 du Règlement AC. Elles illustrent la nature artificielle de la méthode employée et la distorsion qu’elle crée de façon inhérente en ce qu’elle procure des gains fortuits à des fabricants de médicaments génériques.

[145]   En conséquence, bien que je sois arrivé à la conclusion que la juge de première instance a effectivement commis une erreur en fixant la date de l’entrée de Teva sur le marché au 1er août 2006, je ne partage pas l’avis d’Apotex selon lequel la date d’entrée de Teva sur le marché devrait être la fin d’octobre 2007.

Dispositif

[146]   J’accueillerais en partie les appels A‑193‑12 et A‑191‑12 en confirmant à tous égards le jugement de première instance rendu dans le dossier T‑1357‑09 de la Cour fédérale, sauf l’alinéa 2d) et les sous‑alinéas 2f)(i), 2f)(ii) et 2f)(iv) du jugement, que j’annulerais.

[147]   J’accueillerais par ailleurs l’appel A‑397‑12 et j’annulerais l’ordonnance sur les transitions des autres parties.

[148]   J’accueillerais aussi l’appel formé à l’encontre du jugement définitif sur le montant, dossier A‑474‑12, et j’annulerais ledit jugement.

[149]   Je renverrais l’affaire au juge en chef de la Cour fédérale pour nouvelle décision par la juge de première instance ou un autre juge de ladite Cour, à être rendue en prenant en compte les motifs de notre Cour en ce qui concerne a) l’établissement d’un marché hypothétique dans lequel tous les acteurs sont assujettis aux mêmes conditions réglementaires; b) la double transition.

[150]   Dans la mesure où l’avis d’appel de Sanofi prétend attaquer le jugement sur la validité, je rejetterais ledit appel pour les motifs exposés sous la référence 2014 CAF 69, que j’entérine sous réserve des adaptations nécessaires.

[151]   Finalement, chacune des parties ayant obtenu partiellement gain de cause, je m’abstiendrais d’adjuger des dépens.

* * *

Ce qui suit est la version français des motifs du jugement rendus par

[152]   La juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris aux conclusions suivantes de mon collègue le juge Mainville, essentiellement pour les motifs qu’il a donnés :

a)    La juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant que la période de responsabilité selon l’article 8 a commencé le 26 avril 2004 et pris fin le 12 décembre 2006.

b)    La juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant qu’Apotex a droit à une indemnité pour la perte de ventes de sa version générique du ramipril liées aux indications HOPE.

c)    La juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant qu’un fabricant de médicaments génériques autorisés aurait acquis une part de 30 p. 100 du marché hypothétique de la version générique du ramipril après 24 mois.

[153]   Cependant, pour les motifs qui suivent, en toute déférence, je ne souscris pas au dispositif que propose le juge Mainville en l’espèce.

[154]   Je ne partage pas l’opinion du juge Mainville concernant la méthode visant à déterminer la date à laquelle les concurrents potentiels d’Apotex seraient entrés sur le marché hypothétique, ni celle concernant la double transition. J’infirmerais le jugement de première instance sur un seul point, à savoir la conclusion selon laquelle Teva serait entrée sur le marché hypothétique durant la période de responsabilité selon l’article 8.

La détermination de la date d’entrée des concurrents sur le marché hypothétique

[155]   Selon Sanofi, la juge de première instance a commis une erreur lorsque, aux fins d’établir le marché hypothétique, elle a supposé qu’Apotex était entrée sur le marché hypothétique sans être assujettie aux contraintes du Règlement AC, tout en supposant que l’entrée sur le marché de tous les autres fabricants de médicaments génériques y était assujettie. Sanofi affirme que selon cette méthode, les indemnités visées à l’article 8 sont inévitablement et systématiquement surévaluées lorsque tous les demandeurs éventuels sont pris en compte, et que son application a entraîné des erreurs factuelles précises concernant la date à laquelle les concurrents d’Apotex auraient été en mesure d’entrer sur le marché. Le juge Mainville s’est rangé au point de vue de Sanofi. Pour ma part, je n’y souscris pas, pour les raisons suivantes.

[156]   Sanofi fait remarquer que l’effet combiné des décisions de la juge de première instance dans la présente affaire et dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva est que la taille du marché hypothétique pour la période allant du 13 décembre 2005 au 1er août 2006 (la partie chevauchante des périodes de responsabilité selon l’article 8 envers Apotex et envers Teva) excède la taille du marché réel de la version générique du ramipril. En conséquence, d’après Sanofi, le montant total des dommages‑intérêts qu’elle aurait à verser à Apotex et à Teva au titre de l’article 8 est surévalué. Sanofi soutient qu’il s’agit d’une erreur de principe, étant donné que cette surévaluation est le résultat inévitable de la méthode adoptée par la juge de première instance pour définir les caractéristiques du marché hypothétique. Sanofi préconise une méthode suivant laquelle chaque concurrent éventuel est présumé faire son entrée sur le marché hypothétique sans subir les contraintes du Règlement AC; j’appellerai cette méthode la « méthode du libre accès ».

[157]   Le mécanisme mis en place par le Règlement AC demande toujours beaucoup de temps. La juge de première instance a présumé que, dans le monde hypothétique, le Règlement AC existe et que les concurrents de celui qui cherche à obtenir une indemnité au titre de l’article 8 agiraient, en ce qui a trait au Règlement AC, de la même façon qu’ils l’ont fait dans le monde réel, sauf s’il existe une preuve autorisant le juge des faits à conclure raisonnablement qu’ils auraient agi différemment. La méthode du libre accès fait abstraction du Règlement AC au moment de l’établissement du marché hypothétique. Pour toute partie qui cherche à obtenir une indemnité au titre de l’article 8, il y aura donc un plus grand nombre de concurrents qui entreront sur le marché hypothétique plus tôt qu’ils n’auraient pu le faire si le Règlement AC était réputé s’appliquer. Cela réduira le montant de l’indemnité visée à l’article 8 dans les cas où le demandeur a un concurrent potentiel, et cela réduira du même coup la responsabilité globale de la première personne (le fabricant du médicament innovant, en l’occurrence Sanofi) dans toutes les demandes d’indemnité relatives au même médicament générique. Cela avantagera nécessairement la première personne, mais cela pourrait préjudicier injustement un demandeur en particulier, parce qu’il n’est pas possible de savoir si la méthode du libre accès donnerait dans tous les cas lieu à l’établissement d’une indemnité raisonnable pour chacun des demandeurs ou pour tous les demandeurs collectivement.

[158]   La juge de première instance a rejeté la méthode du libre accès, principalement parce qu’elle est incompatible avec la règle voulant que chaque demande d’indemnité au titre de l’article 8 soit examinée individuellement, en tenant compte des éléments de preuve produits. La juge a présumé que, dans le monde hypothétique, les concurrents de celui qui sollicite une indemnité au titre de l’article 8 sont assujettis au Règlement AC et qu’ils surmonteraient les obstacles réglementaires comme ils l’ont fait dans le monde réel, sauf s’il existe une preuve permettant au juge des faits de conclure raisonnablement qu’ils auraient agi différemment.

[159]   Je souscris aux motifs pour lesquels la juge de première instance a rejeté la méthode du libre accès. J’ajouterais que, selon moi, la méthode qu’elle a adoptée s’accorde mieux avec le libellé et l’objet du Règlement AC que la méthode du libre accès.

[160]   Le Règlement AC ne dit rien sur la question précise de savoir si le sort d’une demande d’indemnité au titre de l’article 8 doit reposer sur la présomption que, dans le marché hypothétique, les concurrents éventuels du demandeur qui fabriquent des médicaments génériques sont assujettis au Règlement AC. Cependant, l’alinéa 8(1)a) prévoit explicitement qu’il ne doit pas être tenu compte du Règlement AC pour l’établissement d’un élément du marché hypothétique des médicaments génériques. Cet alinéa dispose que le début de la période de responsabilité selon l’article 8 est la date « attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement » [soulignement ajouté] (à moins qu’une autre date ne soit jugée plus appropriée en vertu des sous‑alinéas 8(1)a)(i) ou (ii)).

[161]   Puisque le Règlement AC porte que l’on ne doit pas tenir compte du Règlement AC à une fin précise, il me semble que le fait de ne pas en tenir compte à quelque autre fin équivaudrait à modifier l’article 8 par voie judiciaire. J’arrive donc à la conclusion que chaque demande d’indemnité au titre de l’article 8 doit être évaluée en tenant pour acquis que le monde hypothétique est un monde dans lequel le Règlement AC existe.

[162]   Il s’ensuit que, dans le marché hypothétique, le comportement de fabricants concurrents de médicaments génériques doit être déterminé en tenant pour acquis que le Règlement AC existe et que chaque fabricant de médicaments génériques agira en conséquence.

[163]   Il en résulte que la juge de première instance a établi des mondes hypothétiques différents dans la présente affaire et dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva. Mais des disparités sont inévitables lorsque chaque demande d’indemnité est évaluée individuellement, en tenant compte des éléments de preuve produits dans chacune des procédures, dans un contentieux particulier qui est influencé par les tactiques judiciaires des parties elles‑mêmes.

[164]   L’une de ces disparités est qu’Apotex est présumée avoir, dans la présente affaire, mais non dans le jugement de la C.F. sur la responsabilité envers Teva, l’avantage du premier arrivant dans le marché hypothétique. Cependant, cette disparité est inhérente au régime de l’article 8 du Règlement AC. Si c’est là un problème qui requiert une solution, c’est au législateur ou au gouverneur en conseil, non à la Cour, qu’il appartient de l’apporter.

[165]   Je passe maintenant aux arguments se rapportant explicitement à l’entrée dans le marché hypothétique de Ratiopharm Inc., de Riva et de Teva.

i.   Ratiopharm et le « lancement‑surprise »

[166]   En 2003, dans le monde réel, Apotex a signifié à Sanofi quatre allégations contestant la validité des brevets inscrits à l’égard du produit ramipril de Sanofi. Sanofi était ainsi clairement avisée des contestations dont le brevet était susceptible de faire l’objet. Par suite de cet avis, Sanofi a été en mesure de faire en sorte que lorsqu’Apotex a reçu son AC en décembre 2006, le fabricant du médicament générique autorisé de Sanofi, Ratiopharm Inc., soit immédiatement en mesure de lancer son produit générique concurrent.

[167]   Cependant, la juge de première instance a estimé que, dans le monde hypothétique, le lancement du produit générique d’Apotex le 26 avril 2004 aurait pris Sanofi par surprise parce que, dans le monde hypothétique, on doit présumer qu’Apotex n’aurait pas signifié d’allégations à Sanofi. Elle a aussi conclu que les étapes à franchir avant qu’un produit générique autorisé puisse être lancé auraient nécessité trois mois. Elle a donc estimé que le lancement du produit générique autorisé aurait eu lieu le 26 juillet 2004.

[168]   Sanofi soutient que la juge de première instance a fait erreur à la première étape de cette analyse parce que l’obligation de signifier des allégations existe dans le monde hypothétique. Avant l’approbation hypothétique de son produit générique le 26 avril 2004, Apotex aurait agi exactement comme elle l’a fait dans le monde réel, c’est‑à‑dire qu’elle aurait signifié des allégations à divers moments en 2003, notamment les allégations invoquant l’invalidité des brevets '206 et '457. Par conséquent, dans le monde hypothétique, Sanofi aurait su avant le 26 avril 2004 qu’Apotex cherchait à pénétrer le marché des produits génériques, et Sanofi aurait pu se préparer, et se serait préparée, à un lancement immédiat (mémoire de Sanofi, aux paragraphes 4, 19 à 23 et 68 à 71).

[169]   Apotex soutient que, pour établir le monde hypothétique, la juge de première instance devait présumer qu’Apotex ne signifierait pas d’allégation. Cet argument repose principalement sur l’alinéa 8(1)a) du Règlement AC qui, sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes en l’espèce, dispose que le début de la période de responsabilité selon l’article 8 est la date, « attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement » [soulignement ajouté]. Apotex soutient que cela devrait être considéré comme une indication que le monde hypothétique est censé être un monde dans lequel sa position (c’est‑à‑dire en tant que partie cherchant à être indemnisée au titre de l’article 8) ne serait soumise à aucun obstacle découlant de l’application du Règlement AC.

[170]   L’alinéa 8(1)a) ne dit pas, ni ne donne à penser, qu’il n’y a pas de Règlement AC dans le monde hypothétique, et encore moins que dans le monde hypothétique, aucun Règlement AC ne s’applique à la partie qui cherche à être indemnisée au titre de l’article 8, en l’occurrence Apotex. Il dit seulement qu’il ne faut pas tenir compte du Règlement AC pour déterminer le début de la période de responsabilité selon l’article 8, si ni l’une ni l’autre des exceptions indiquées ne s’appliquent. Pour cette raison, je ne retiens pas la thèse d’Apotex visant à confirmer le bien‑fondé de la conclusion de la juge de première instance sur la date à laquelle le fabricant de médicaments génériques autorisés serait entré sur le marché.

[171]   Selon moi, on devrait présumer qu’Apotex aurait signifié les mêmes allégations dans le monde hypothétique que celles qu’elle a signifiées dans le monde réel. Le Règlement AC prévoit qu’un fabricant de médicaments qui souhaite obtenir un AC pour une version générique d’un médicament existant avant l’expiration des brevets inscrits à l’égard de ce médicament signifie une allégation dans laquelle il allègue que les brevets sont invalides ou qu’ils ne seront pas contrefaits par le produit générique. Il n’y a aucune raison de faire abstraction de cette exigence légale dans le monde hypothétique.

[172]   Cependant, cela n’ébranle pas la conclusion de la juge de première instance selon laquelle le fabricant de médicaments génériques autorisés, Ratiopharm Inc., n’aurait pas été prêt à lancer son produit générique concurrent le 26 avril 2004. J’arrive à cette conclusion pour la raison suivante. Dans le monde réel, Sanofi a déposé six demandes d’interdiction contre Apotex, dont quatre avant le 26 avril 2004, et deux des quatre demandes en question contestaient la validité d’un brevet inscrit. La première, qui concernait le brevet '206, a été rejetée le 20 septembre 2005. Vu l’habitude de Sanofi de déposer chaque fois qu’elle en a l’occasion des demandes d’interdiction, il me semble improbable que, dans le monde hypothétique, Sanofi se serait préparée au lancement d’un produit générique autorisé avant même d’être déboutée de la première de ses demandes d’interdiction.

[173]   Au vu du dossier, la juge de première instance pouvait raisonnablement conclure que l’ensemble des étapes à franchir pour lancer le produit générique de Ratiopharm Inc. aurait nécessité trois mois. Par conséquent, il y a lieu de confirmer sa conclusion selon laquelle le produit générique autorisé serait entré sur le marché hypothétique le 26 juillet 2004.

(ii)   L’entrée de Riva et de Teva

[174]   La juge de première instance a conclu que Riva ne serait pas entrée sur le marché hypothétique durant la période de responsabilité selon l’article 8 (du 26 avril 2004 au 12 décembre 2006), et que Teva y serait entrée le 1er août 2006. Pour les motifs qui suivent, je suis arrivée à la conclusion que la juge de première instance aurait dû conclure que ni Riva ni Teva ne seraient entrées sur le marché hypothétique durant la période de responsabilité selon l’article 8.

1.    Riva

[175]   Riva a au départ été empêchée de recevoir un AC en raison d’une politique du ministre de la Santé portant sur l’application du Règlement AC. Le produit de référence pour la présentation abrégée de drogue nouvelle de Riva était une version générique du ramipril d’un autre fabricant générique, Pharmascience. Le ministre a informé Riva que son AC ne pouvait pas être délivré avant que Pharmascience ne reçoive le sien. Cela a eu pour effet de reporter l’entrée de Riva sur le marché du 18 juin 2004 au 21 juin 2007, date à laquelle la politique du ministre a été annulée. La juge de première instance n’a vu aucune raison de conclure que la politique du ministre aurait été annulée dans le monde hypothétique à une date antérieure. Riva ne serait donc entrée sur le marché hypothétique qu’après la fin de la période de responsabilité selon l’article 8. À mon avis, il était loisible à la juge de première instance, au vu de la preuve, d’arriver à cette conclusion.

2.    Teva

[176]   La juge de première instance a conclu que Teva serait entrée sur le marché hypothétique pour concurrencer Apotex le 1er août 2006, de sorte qu’Apotex aurait eu Teva comme concurrente dans le marché hypothétique à partir de cette date et jusqu’au 12 décembre 2006, date de la fin de la période de responsabilité selon l’article 8. Cette conclusion est fondée sur deux constats distincts.

[177]   D’abord, la juge de première instance a relevé que, dans le monde réel, Teva était volontairement restée à l’écart du marché de 2001 jusqu’au 13 décembre 2005, date de l’expiration du brevet '457, en acceptant que la délivrance de son AC attende l’expiration de ce brevet. La juge de première instance a conclu que ce report volontaire aurait eu lieu également dans le monde hypothétique, de sorte que Teva n’aurait pu entrer sur le marché hypothétique que le 13 décembre 2005 au plus tôt. Aucune des parties ne conteste cette conclusion.

[178]   Deuxièmement, la juge de première instance a relevé qu’une période de temps additionnelle s’était écoulée dans le monde réel parce que Teva avait attendu septembre 2005 pour signifier des allégations. La dernière des demandes d’interdiction se rapportant à ces brevets a été rejetée dans le monde réel en avril 2007, à la suite du rejet en juin 2006 de procédures d’interdiction parallèles engagées contre Apotex. Cela donne à penser que Teva n’aurait pu entrer sur le marché qu’après le 12 décembre 2006, date de la fin de la période de responsabilité selon l’article 8.

[179]   Toutefois, la juge de première instance a conclu que, dans le monde hypothétique, Teva serait entrée sur le marché hypothétique le 1er août 2006. Elle est arrivée à cette conclusion en tenant pour acquis que, dans le monde hypothétique, Teva aurait pu prendre, et aurait pris, des mesures beaucoup plus tôt pour obtenir le rejet des demandes d’interdiction déposées par Sanofi à son encontre. Cela découle du fait que, dans le monde hypothétique, Riva aurait pris des mesures beaucoup plus tôt pour obtenir le rejet des demandes d’interdiction de Sanofi compte tenu de la défense opposée avec succès par Apotex en réponse aux demandes d’interdiction déposées contre elle. Teva aurait alors pu s’appuyer sur le fait que Riva avait eu gain de cause pour obtenir elle‑même le rejet sommaire des demandes déposées contre elle.

[180]   Sanofi et Apotex (dans le dossier A‑191‑12) contestent toutes deux cette conclusion, pour des raisons différentes. Sanofi soutient que Teva serait entrée sur le marché plus tôt, de sorte qu’Apotex aurait eu Teva comme concurrente durant une période plus longue pendant la période de responsabilité selon l’article 8. Apotex soutient (dans le dossier A‑191‑12) que Teva serait entrée sur le marché plus tard, de sorte qu’Apotex n’aurait jamais eu Teva comme concurrente durant la période de responsabilité selon l’article 8.

[181]   Pour l’examen de ces arguments, il est nécessaire de comprendre la position de Riva dans le monde réel, par rapport à celle d’Apotex et de Teva :

a)    En juin 2004, Riva a signifié à Sanofi une allégation concernant les brevets '457, '206 et '089. Riva y affirmait notamment que le brevet '206 était invalide pour cause d’absence de prédiction valable et qu’elle ne contreferait pas le brevet '089. Le 23 juillet 2004, Sanofi a répondu en déposant une demande d’interdiction (T‑1384‑04).

b)    En septembre 2004, Riva a signifié à Sanofi une deuxième allégation, y alléguant cette fois l’absence de contrefaçon du brevet '948. Le 22 octobre 2004, Sanofi a répondu en déposant une deuxième demande d’interdiction (T‑1888‑04).

c)    En septembre et décembre 2005, deux demandes d’interdiction qu’avait déposées Sanofi à l’encontre d’Apotex furent rejetées. La première concernait une allégation selon laquelle le brevet '206 était invalide pour cause d’absence de prédiction valable (2005 CF 1283 [décision AC Ramipril no 1 (C.F.)]). La deuxième concernait une allégation selon laquelle le brevet '457 était invalide pour cause d’évidence (2005 CF 1504 [décision AC Ramipril no 3 (C.F.)]).

d)    Le 13 décembre 2005, le brevet '457 a expiré.

e)    Le 8 mai 2006, une demande d’interdiction déposée par Sanofi à l’encontre de Teva et se rapportant au brevet '206 a été rejetée par un protonotaire pour cause d’abus de procédure parce que Sanofi y soulevait les mêmes points qu’elle avait soulevés à l’encontre d’Apotex dans une demande d’interdiction rejetée le 20 septembre 2005 (décision confirmée par un juge de la Cour fédérale ([Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd.] 2006 CF 1135) et par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Novopharm, précité).

f)     Le 27 avril 2007, une autre demande d’interdiction déposée par Sanofi à l’encontre de Teva et se rapportant aux autres brevets (sauf le brevet '457) a été rejetée pour cause d’abus de procédure parce que la contestation par Sanofi de l’allégation d’absence de contrefaçon ne pouvait être retenue ([Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd.] 2007 CAF 167, citant Pharmascience Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., 2006 CAF 229, sub. nom. Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., [2007] 2 R.C.F. 103 (21 juin 2006) et Novopharm).

g)    Le 17 mai 2007 ([Sanofi-Aventis Inc. c. Laboratoire Riva Inc.] 2007 CF 532), le juge Harrington a rejeté les deux demandes d’interdiction déposées par Sanofi contre Riva. Il aurait toutefois fait droit à la demande d’interdiction se rapportant au brevet '206, s’il n’avait pas été contraint du fait de l’arrêt Novopharm de considérer ladite demande comme un abus de procédure. Il précise dans ses motifs que, n’eût été l’arrêt Novopharm, il aurait fait droit à la demande d’interdiction se rapportant au brevet '206 (T‑1384‑04) parce que selon lui l’allégation d’invalidité de Riva n’était pas justifiée.

[182]   Sanofi soutient que la juge de première instance aurait dû se demander ce qu’aurait fait Teva dans le monde hypothétique après qu’Apotex eut reçu son AC le 26 avril 2004. Si elle avait étudié cette question, elle aurait, selon Sanofi, conclu que, une fois Apotex présente sur le marché, Teva aurait promptement tenté d’obtenir une décision sommaire qui lui aurait permis d’entrer sur le marché très rapidement après le 26 avril 2004 (encore qu’aucune date précise ne soit suggérée). Selon moi, il est impossible de donner raison à Sanofi sauf s’il existait, le 26 avril 2004, un fondement juridique qui eût permis à Teva d’obtenir de la Cour fédérale une ordonnance rejetant toutes les demandes d’interdiction déposées par Sanofi à son encontre.

[183]   La difficulté pour Sanofi est que, dans le monde réel, aucune des demandes d’interdiction qu’elle a déposées en réponse à une allégation d’invalidité n’avait été rejetée avant le 26 avril 2004. Rien ne permet donc de conclure que, le 26 avril 2004, ou peu après cette date, Teva aurait disposé dans le monde hypothétique d’un moyen de droit pour lancer une procédure sommaire (par exemple une requête en rejet pour cause d’abus de procédure) qui aurait conduit à la délivrance de son AC. J’arrive donc à la conclusion que le moyen d’appel avancé par Sanofi sur ce point n’est pas fondé.

[184]   Selon Apotex, c’est à tort que la juge de première instance a conclu que, dans le monde hypothétique, Riva aurait été fondée à déposer une requête en rejet pour cause d’abus de procédure. Cette conclusion s’appuie sur la présomption que dans le monde hypothétique, il n’y a jamais eu de demande d’interdiction à l’encontre d’Apotex et donc aucune demande d’interdiction susceptible d’être rejetée. Il s’ensuit que Riva n’aurait pas été fondée à déposer une requête en jugement sommaire. Même si Riva avait pris des mesures pour hâter l’audition de la demande d’interdiction déposée par Sanofi, cette dernière aurait obtenu gain de cause dans sa demande d’interdiction se rapportant à l’allégation d’invalidité du brevet '206. Il ressort clairement des motifs du juge Harrington que, s’il n’y avait pas eu rejet de la demande d’interdiction déposée contre Apotex, il aurait fait droit à la demande d’interdiction visant Riva.

[185]   Si la demande d’interdiction déposée contre Riva concernant le brevet '206 n’avait pas été rejetée, rien n’aurait justifié le dépôt d’une requête pour cause d’abus de procédure dans la procédure d’interdiction déposée contre Teva à l’égard du brevet '206. Sans le rejet des demandes d’interdiction déposées contre Riva à l’égard du brevet '206, la requête en abus de procédure de Teva n’aurait pas eu de fondement. La demande d’interdiction déposée contre Teva en ce qui concerne le brevet '206 n’aurait donc pu être rejetée sommairement le 25 septembre 2006. Elle aurait plutôt été entendue au fond après décembre 2006.

[186]   Comme je l’expliquais plus haut, je ne crois pas qu’il soit juste de présumer qu’il n’y a pas de Règlement AC dans le monde hypothétique, ni que le Règlement AC ne s’applique pas à celui qui cherche à être indemnisé au titre de l’article 8 (sauf s’il s’agit de déterminer le début de la période de responsabilité selon l’article 8). Il me semble donc que, dans le monde hypothétique, les demandes d’interdiction déposées contre Apotex auraient été rejetées, tout comme elles l’ont été dans le monde réel. Chacun de ces rejets donnait à Apotex le droit de demander une indemnité au titre de l’article 8 du Règlement AC. Toutefois, chaque rejet fondé sur une allégation d’invalidité mettait en péril les autres demandes d’interdiction déposées par Sanofi se rapportant à la même allégation, y compris celles se rapportant aux allégations d’invalidité faites par Teva et Riva.

[187]   Cela étant, il me semble que Riva et Teva se seraient comportées dans le monde hypothétique de la même façon qu’elles se sont comportées dans le monde réel, dans lequel elles ont tenté d’obtenir un rejet sommaire dès lors qu’elles ont estimé qu’elles avaient de bonnes chances d’y parvenir. De plus, dans le monde réel, la dernière des demandes d’interdiction déposées contre Riva et Teva portant sur des allégations d’invalidité n’a été rejetée qu’après le 16 décembre 2006. Je ne vois aucune raison de conclure que Riva ou Teva aurait pu obtenir ce résultat, ou aurait obtenu ce résultat dans le monde hypothétique, plus tôt qu’elles ne l’ont obtenu dans le monde réel.

[188]   Je suis donc d’avis que la juge de première instance a commis une erreur de principe en concluant que Teva serait entrée sur le marché hypothétique le 1er août 2006. Selon moi, la seule conclusion raisonnable à tirer dans ce dossier est que Teva ne serait pas entrée sur le marché hypothétique durant la période de responsabilité selon l’article 8. J’accueillerais donc l’appel d’Apotex (A‑191‑12). Il en résulte que l’unique concurrent d’Apotex dans le marché hypothétique durant la période de responsabilité selon l’article 8 aurait été le fabricant de médicaments génériques autorisés, Ratiopharm Inc.

La double transition

[189]   Comme l’explique le juge Mainville, Apotex a fait valoir dans son avis d’appel et dans sa plaidoirie que le marché hypothétique aurait dû exclure toute période de transition. Apotex soutient qu’il est injuste de réduire, dans le monde hypothétique, le montant hypothétique des ventes perdues durant la transition, sans qu’elle soit indemnisée pour les ventes qu’elle a effectivement perdues durant la transition dans le monde réel.

[190]   La juge de première instance a rejeté l’argument de la double transition en s’appuyant sur l’arrêt Alendronate (aux paragraphes 99 à 102). Elle a conclu que, dans le monde hypothétique, une transition aurait eu lieu, et qu’elle aurait réduit l’ampleur de la perte de ventes durant la période de responsabilité selon l’article 8. Mais elle a aussi conclu que la diminution des ventes durant la période réelle de transition était une perte survenue après la période de responsabilité selon l’article 8, et que c’était donc une perte qui ne pouvait fonder une demande d’indemnisation au titre de l’article 8.

[191]   Je partage l’avis de la juge de première instance sur ce point. Il n’est pas possible, selon moi, d’arriver à la conclusion contraire sans désavouer implicitement l’arrêt Alendronate. Le principe énoncé dans cet arrêt a été confirmé deux fois par la Cour : Teva Canada Limited c. Sanofi‑Aventis Canada Inc., 2011 CAF 149; et Teva Canada Ltd. c. Nycomed Canada Inc., 2012 CAF 129 (l’autorisation de pourvoi a été refusée dans les trois cas). Il m’est impossible d’admettre qu’un désaveu de ce principe soit justifié ici.

[192]   Je reconnais la force de l’argument d’Apotex selon lequel la non‑reconnaissance d’une double transition permet à Sanofi de réaliser un gain fortuit. Il se pourrait bien d’ailleurs que cela procure un gain fortuit à d’autres fabricants de médicaments innovants dans des affaires futures. Cependant, à mon avis, c’est la conséquence inévitable de la décision du gouverneur en conseil de limiter l’indemnité visée à l’article 8 aux pertes subies à l’intérieur de la période de responsabilité selon l’article 8. La conséquence de cette décision ne peut pas être écartée par la Cour.

[193]   Dans le dossier A‑397‑12, Sanofi soutient que la juge de première instance a commis une erreur dans son ordonnance du 22 juin 2012. Dans cette ordonnance, la juge de première instance faisait droit à la requête d’Apotex en réexamen de son jugement initial afin qu’il soit reconnu que chaque nouvel arrivant sur le marché des médicaments génériques avait une période de transition. Je ne suis pas convaincue que la juge de première instance a commis une erreur de principe en exerçant son pouvoir discrétionnaire et en faisant droit à ladite requête. Je rejetterais donc l’appel formé contre l’ordonnance relative au réexamen. Puisque j’accueillerais l’appel d’Apotex (A‑191‑12), les parties devront recalculer la part de marché qu’Apotex a perdue au cours de la période de responsabilité selon l’article 8. Dans ce nouveau calcul, les parties devront prendre en compte l’effet de la période de transition, qui aurait préjudicié à Apotex à compter du 26 avril 2004, et au fabricant de médicaments génériques autorisés à compter du 26 juillet 2014.

Dispositif

[194]   Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel d’Apotex dans le dossier A‑191‑12, je rejetterais les appels de Sanofi dans les dossiers A‑193‑12 et A‑397‑12, et j’accueillerais l’appel de Sanofi dans le dossier A‑474‑12, à seule fin de faciliter le nouveau calcul du montant de l’indemnité. J’accorderais à Apotex ses dépens dans les dossiers A‑191‑12, A‑193‑12 et A‑397‑12. Je n’accorderais pas de dépens dans le dossier A‑474‑12.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

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