[2002] 2 C.F. 205
A-551-00
2001 CAF 315
Le procureur général du Canada (demandeur)
c.
Victoria Sveinson (défenderesse)
Répertorié : Canada (Procureur général) c. Sveinson (C.A.)
Cour d’appel, juges Linden, Sexton et Evans, J.C.A. —Ottawa, 16 et 19 octobre 2001.
Assurance-emploi — Demande de contrôle judiciaire de la décision d’un juge-arbitre selon laquelle le salaire rétroactif était attribuable à la période de paie à laquelle il était lié, et non pas à la date de sa réception — L’art. 23(1)a) du Règlement sur l’assurance-emploi prévoit que « la rétribution, y compris la paie des jours fériés, autre que la rétribution visée à l’alinéa b), qui est versée pour une période de paie […] est attribuée à cette période de paie » — L’art. 23(1)b) prévoit que « les augmentations de salaire rétroactives […] et toute autre rétribution, y compris la paie de vacances qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie […], sont réparti[e]s proportionnellement sur la période de paie au cours de laquelle [elles] sont versé[e]s » — Le juge-arbitre a conclu que l’art. 23(1)a) était applicable étant donné que le salaire rétroactif avait trait à une période de paie utilisée pour le calcul de la rémunération assurable — Il a commis une erreur de droit — L’interprétation du juge-arbitre s’est fondée sur la prémisse que la principale distinction faite par les art. 23(1)a) et b) se situe entre la rétribution versée pour une période de paie précise et celle qui ne l’est pas — À l’art. 23(1)b), les mots « not paid in respect of a pay period » (« qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie ») modifient « vacation pay » (« paie de vacances ») et, peut-être, « other remuneration » (« autre rétribution »), mais pas la liste de versements qui précède, dont « retroactive pay increases » (« les augmentations de salaire rétroactives »).
Interprétation des lois — L’art. 23(1)a) du Règlement sur l’assurance-emploi prévoit que « la rétribution, y compris la paie des jours fériés, autre que la rétribution visée à l’alinéa b), qui est versée pour une période de paie […] est attribuée à cette période de paie » — L’art. 23(1)b) prévoit que « les augmentations de salaire rétroactives […] et toute autre rétribution, y compris la paie de vacances qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie […], sont réparti[e]s proportionnellement sur la période de paie au cours de laquelle [elles] sont versé[e]s » — Le texte, l’historique, la ponctuation, la version française et les raisons de principe des art. 23(1)a) et b) ont été examinés — À l’art. 23(1)b), les mots « not paid in respect of a pay period » (« qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie ») modifient « vacation pay » (« paie de vacances ») et, peut-être, « other remuneration » (« autre rétribution »), mais pas la liste de versements qui précède, dont « retroactive pay increases » (« les augmentations de salaire rétroactives »).
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Certiorari — La norme de contrôle applicable aux décisions des juges-arbitres sur les questions de droit et sur les questions de compétence est la norme de la décision correcte — Les faits que les décisions des juges-arbitres en vertu de la Loi sur l’A.-E. fassent l’objet d’un contrôle judiciaire (plutôt que d’un appel prévu par la loi) et que la Commission et les employés aient intérêt à ce que le processus de prise de décision soit peu coûteux et rapide ne suffisent pas pour qu’on remplace les facteurs examinés dans le cadre de l’approche pragmatique ou fonctionnelle par une norme de contrôle comportant un degré élevé de retenue — L’application de la norme de la décision correcte est appuyée par le fait que la C.A.F. a la même expertise et le même point de vue que les autres décideurs; les juges-arbitres n’ont pas une expertise unique étant donné que lorsqu’ils siégeaient à la C.F. 1re inst., certains juges de la Cour d’appel ont statué sur des affaires d’A.-E. comme juges-arbitres désignés ou ad hoc.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un juge-arbitre selon laquelle le salaire rétroactif était attribuable à la période de paie à laquelle il était lié, et non pas à la date de sa réception. La défenderesse a occupé un emploi d’avril à octobre 1998. Elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi en janvier 1999. En raison de la conclusion d’une nouvelle convention collective, elle a reçu une augmentation de salaire rétroactive en avril 1999, après avoir obtenu un autre emploi. Elle a demandé le rajustement des prestations d’assurance-emploi qu’elle avait reçues au motif que son augmentation de salaire rétroactive avait fait augmenter sa rémunération assurable.
L’alinéa 23(1)a) du Règlement sur l’assurance-emploi prévoit que « la rétribution, y compris la paie des jours fériés, autre que la rétribution visée à l’alinéa b), qui est versée pour une période de paie […] est attribuée à cette période de paie ». L’alinéa 23(1)b) prévoit que « les augmentations de salaire rétroactives […] et toute autre rétribution, y compris la paie de vacances qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie […], sont réparti[e]s proportionnellement sur la période de paie au cours de laquelle [elles] sont versé[e]s ». Les alinéas 23(1)a) et b) ont été adoptés par le règlement DORS/96-332 et modifiés ensuite à deux reprises en un peu plus d’un an par les règlements DORS/97-31 et DORS/97-310. Dans la première version de l’alinéa 23(1)b), des virgules ont été placées autour des termes « including vacation pay not paid in respect of a pay period » (« y compris la paie de vacances qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie »), ce qui indiquait clairement que les mots « not paid in respect of a pay period » (« qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie ») modifiaient « vacation pay » (« paie de vacances »), et non pas les autres éléments figurant dans la liste qui précède. Dans le règlement DORS/97-31, la virgule entre « remuneration » (« rétribution ») et « including » (« y compris ») a disparu, de sorte qu’il est devenu moins clair que les mots « not paid in respect of a pay period » (« qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie ») ne modifiaient que « vacation pay » (« paie de vacances »). Dans le règlement DORS/97-310, il n’y a également plus de virgule après « period » (« période de paie »), mais il y a une virgule à la fin du texte ajouté par cette modification, soit « or that remains unpaid for the reasons described in subsection 2(2) of the Insurable Earnings and Collection of Premiums Regulations » (« ou qui n’est pas versée pour les raisons visées au paragraphe 2(2) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations »).
La Commission et le Conseil arbitral ont refusé sa demande, mais le juge-arbitre l’a accueillie. Il a conclu que l’alinéa 23(1)a) était applicable étant donné que le salaire rétroactif avait trait à une période de paie utilisée pour le calcul de la rémunération assurable.
Il s’agissait de déterminer si l’augmentation de salaire rétroactive devait être attribuée à la période de paie pour laquelle elle a été versée ou à la période de paie où elle a effectivement été reçue.
Arrêt : la demande doit être accueillie.
La norme de contrôle applicable aux décisions qu’un juge-arbitre rend sur des questions de droit et sur des questions de compétence est la norme de la décision correcte. Les faits que les décisions des juges-arbitres se rendent à la Cour par voie de demande de contrôle judiciaire, et non pas par voie d’appel, et que la Commission et les employés aient manifestement intérêt à ce que le processus de prise de décision soit peu coûteux et rapide ne suffisent pas pour qu’on remplace les facteurs examinés dans le cadre de l’approche pragmatique ou fonctionnelle par une norme de contrôle comportant un degré élevé de retenue quant aux décisions juridiques des juges-arbitres. Les éléments suivants appuient l’application de la norme de la décision correcte. Qu’ils soient juges à la Section de première instance de la Cour ou juges d’une autre cour, les décideurs n’ont pas une expertise supérieure à la Cour d’appel fédérale ni un point de vue différent en matière d’interprétation de la loi. Ils exercent une fonction décisionnelle, à savoir celle de déterminer les droits légaux des parties à la lumière de l’interprétation de dispositions législatives détaillées et complexes et de leur application aux faits de chaque affaire. On ne peut pas justifier la retenue à l’égard des décisions des juges-arbitres en se fondant sur leur expertise unique étant donné que lorsqu’ils siégeaient à la Section de première instance, certains juges de la Cour d’appel peuvent s’être familiarisés avec les dispositions applicables en matière d’assurance-emploi et qu’ils peuvent siéger comme juges-arbitres dans des affaires d’assurance- emploi de façon ad hoc ou dans le cadre de leurs fonctions judiciaires régulières.
Le juge-arbitre a commis une erreur de droit. Le texte et l’historique des alinéas 23(1)a) et b) sont incompatibles avec l’interprétation du juge-arbitre, laquelle s’est fondée sur la prémisse que la principale distinction faite par les alinéas 23(1)a) et b) se situe entre la rétribution versée pour une période de paie précise et celle qui ne l’est pas. À l’alinéa b), les mots « not paid in respect of a pay period » (« qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie ») modifient « vacation pay » (« paie de vacances ») et, peut-être, « other remuneration » (« autre rétribution »), mais pas la liste de versements qui précède, dont « retroactive pay increases » (« les augmentations de salaire rétroactives »), pour les motifs suivants. 1) La ponctuation des anciennes versions de l’alinéa 23(1)b) qui sont pertinentes pour le présent appel indique que les mots « not paid in respect of a pay period » (« qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie ») modifient uniquement « vacation pay » (« paie de vacances »). De plus, la version française de l’alinéa 23(1)b) a toujours conservé la virgule avant la partie cruciale, ce qui indique que les mots « qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie » modifient uniquement « la paie de vacances ». En outre, l’utilisation de la troisième personne du singulier et du genre féminin indique que le pronom « qui » fait référence à « la paie de vacances ». On peut tirer la même conclusion de l’usage du mot « remains » (« n’est pas ») dans la version anglaise. 2) Les mots « other than the remuneration referred to in paragraph (b) » (« autre que la rétribution visée à l’alinéa b) »), qui figurent à l’alinéa a), ont comme seule fonction d’écarter de la portée de cet alinéa des éléments de rétribution qu’il aurait visé par ailleurs. Comme l’alinéa a) porte uniquement sur la rétribution « paid in respect of a pay period » (« qui est versée pour une période de paie »), il n’y aurait rien à écarter sauf si certains des éléments de rétribution énumérés à l’alinéa b) étaient également « versé[s] pour une période de paie ». 3) L’alinéa a) parle simplement de « remuneration, including statutory holiday pay » (« la rétribution, y compris la paie des jours fériés ») tandis que l’alinéa b) énumère un certain nombre de versements non réguliers et vise « other remuneration » (« toute autre rétribution »). Il s’agit d’une façon non plausible d’indiquer que le législateur veuille que ces alinéas portent sur les mêmes éléments de rétribution; on pourrait seulement dire que l’alinéa a) couvre tous les éléments de rétribution versés pour une période de paie tandis que l’alinéa b) couvre les mêmes éléments lorsqu’ils ne sont pas versés à l’égard d’une période de paie. 4) Il y a des raisons de principe convaincantes à l’appui de cette interprétation. Le fil conducteur liant les éléments énumérés à l’alinéa 23(1)b) était que ces éléments pouvaient ou non avoir été versés pour une période de paie particulière. Si la Commission était tenue de déterminer si ces éléments avaient été versés et à quelle période de paie, le cas échéant, ils devaient être attribués, ses fonctionnaires devraient aller plus loin que l’examen du dossier de paie présenté par le requérant et faire enquête sur les pratiques salariales de l’employeur. Pour éviter ce genre de coûts et de tracas administratifs, le Règlement a prescrit que tous les éléments de rétribution non réguliers énumérés devaient être attribués à la date de leur réception, qu’ils aient ou non en fait été versés à l’égard d’une période de paie précise. La rétribution régulière et la paie des jours fériés sont par ailleurs toujours facilement attribuables à une période, d’où leur inclusion dans l’alinéa 23(1)a).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 28(1)m) (mod., idem, art. 8).
Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23.
Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, DORS/97-33.
Règlement sur l’assurance-chômage (perception des cotisations), C.R.C., ch. 1575, art. 3.1 (mod. par DORS/88-584, art. 1; 89-329, art. 1).
Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332, art. 23 (mod. par DORS/97-31, art. 12; 97-310, art. 6).
JURISPRUDENCE
décisions appliquées :
Canada (Procureur général) c. Haberman (2000), 258 N.R. 150 (C.A.F.); Black c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), [2002] 1 C.F. 468 (2001), 275 N.R. 371 (C.A.).
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du juge-arbitre (In re Sveinson (2000), CUB 48893) concluant qu’une augmentation de salaire rétroactive était attribuable à la période de paie à laquelle elle avait trait en vertu de l’alinéa 23(1)b) du Règlement sur l’assurance-emploi, et non à celle où elle avait été reçue, faisant ainsi augmenter la rémunération assurable utilisée pour le calcul des prestations de la défenderesse. Demande accueillie.
ONT COMPARU :
Julia Parker pour le demandeur.
Andrew J. Raven pour la défenderesse.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.
Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Evans, J.C.A. : S’il s’agissait d’un roman policier, la présente affaire aurait pu s’intituler Le mystère de la virgule manquante. En réalité, il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un juge-arbitre qui, selon l’avocate du demandeur, le procureur général, a mal interprété une disposition du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332, en raison de l’omission d’une virgule dans la version anglaise.
[2] Mme Sveinson a occupé d’avril à octobre 1998 un poste à durée déterminée au Centre fiscal de Winnipeg. Elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi en janvier 1999. En raison de la conclusion d’une nouvelle convention collective, elle a reçu une augmentation de salaire rétroactive en avril 1999, dont une partie a été versée pour sa période d’emploi au Centre fisc al qui était pertinente pour le calcul de ses prestations. Elle a reçu le versement après avoir obtenu un autre emploi.
[3] Mme Sveinson a demandé le rajustement des prestations d’assurance-emploi qu’elle avait reçues au motif que son augmentation de salaire rétroactive avait fait augmenter sa rémunération assurable provenant du Centre fiscal. La Commission a refusé la demande.
[4] Il s’agit de déterminer la période de paie à laquelle il faut attribuer l’augmentation de salaire rétroactive en vertu du Règlement. Mme Sveinson soutient que cette augmentation doit être attribuée à la période de paie pour laquelle elle a été versée, ce qui a pour effet d’accroître sa rémunération assurable du Centre fiscal qui constituait la base de calcul du montant de ses prestations. Le procureur général prétend que comme l’augmentation de salaire doit être attribuée à la période de paie où elle a effectivement été reçue, elle n’a eu aucune incidence sur le montant des prestations que l’intimée a reçues à partir de janvier. Infirmant la décision du Conseil arbitral, le juge-arbitre a donné gain de cause à Mme Sveinson : In re Sveinson (2000), CUB 48893.
[5] La demande de contrôle judiciaire présentée par le procureur général contre cette décision a été entendue conjointement avec une autre demande de contrôle judiciaire de la décision du même juge-arbitre qui soulevait exactement la même question relativement à des faits essentiellement identiques. Les motifs exposés dans le cadre de la demande de Mme Sveinson s’appliquent à cette autre demande (A-488-00) et une copie de ces motifs sera déposée dans l’autre dossier.
Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332, art. 23 [mod. Par DORS/97-31, art. 12; 97-310, art 6]
23. (1) Pour l’application de l’article 14 de la Loi, la rémunération assurable est répartie de la façon suivante :
a) la rétribution, y compris la paie des jours fériés, autre que la rétribution visée à l’alinéa b), qui est versée pour une période de paie ou qui n’est pas versée pour les raisons visées au paragraphe 2(2) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, est attribuée à cette période de paie;
b) la paie d’heures supplémentaires, les primes de quart de travail, les rajustements de salaire, les augmentations de salaire rétroactives, les primes, les gratifications, les crédits de congés de maladie non utilisés, les primes de rendement, l’indemnité de vie chère, l’indemnité de fin d’emploi, l’indemnité de préavis et toute autre rétribution, y compris la paie de vacances qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie ou qui n’est pas versée pour les raisons visées au paragraphe 2(2) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, sont répartis proportionnellement sur la période de paie au cours de laquelle ils sont versés. [Soulignements ajoutés.]
[7] Cette disposition a remplacé la version suivante, adoptée en décembre 1996 :
Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332, art. 23 [mod. par DORS/97-31]
23. (1) Pour l’application de l’article 14 de la Loi, la rémunération assurable est répartie de la façon suivante :
a) la rétribution, y compris la paie des jours fériés, autre que la rétribution visée à l’alinéa b), versée pour une période de paie est attribuée à cette période de paie;
b) la paie d’heures supplémentaires, les primes de quart de travail, les rajustements de salaire, les augmentations de salaire rétroactives, les primes, les gratifications, les crédits de congés de maladie non utilisés, les primes de rendement, l’indemnité de vie chère, l’indemnité de fin d’emploi, l’indemnité de préavis et toute autre rétribution, y compris la paie de vacances qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie, sont répartis proportionnellement sur la période de paie au cours de laquelle ils sont versés. [Soulignements ajoutés.]
[8] Pour sa part, cette version avait remplacé la disposition adoptée six mois auparavant :
Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332
23. (1) Pour l’application de l’article 14 de la Loi, la rémunération assurable est répartie sur la période de base de la façon suivante :
a) la rétribution, y compris la paie des jours fériés, autre que la rétribution visée à l’alinéa b), versée pour une période de paie est attribuée à cette période de paie;
b) la paie d’heures supplémentaires, les primes de quart de travail, les rajustements de salaire, les augmentations de salaire rétroactives, les primes, les gratifications, les crédits de congés de maladie non utilisés, les primes de rendement, l’indemnité de vie chère, l’indemnité de fin d’emploi, l’indemnité de préavis et toute autre rétribution, y compris la paie de vacances qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie, sont attribués à la période de paie au cours de laquelle ils sont versés. [Soulignement ajouté.]
[9] Les alinéas 23(1)a) et b) ont été peaufinés à deux reprises en un peu plus d’un an. En devenant plus élaborés, ils ont perdu de la clarté, ce qui n’est pas inhabituel avec des dispositions complexes. Il ressort que les modifications de fond ont été l’ajout par le Règlement DORS/97-31 des termes « proportionnellement sur » dans les dernières lignes de l’alinéa 23(1)b) et l’ajout aux deux alinéas par le Règlement DORS/97-310 des mots « ou qui n’est pas versée pour les raisons visées au paragraphe 2(2) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations » [DORS/97-33].
[10] En outre, des virgules ont été enlevées de la version anglaise de l’alinéa b), ce qui a ajouté à la confusion. Ainsi, dans la première version, DORS/96-332, des virgules ont été placées autour des termes « including vacation pay not paid in respect of a pay period » (« y compris la paie de vacances qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie »). Cette ponctuation semble indiquer clairement que, dans cette partie, les mots « not paid in respect of a pay period » (« qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie ») modifiaient « vacation pay » («paie de vacances »), et non pas les autres éléments figurant dans la liste qui précède. Toutefois, lorsque le Règlement DORS/97-31 a modifié l’alinéa 23(1)b), la virgule entre « remuneration » (« rétribution ») et « including » (« y compris ») a disparu, de sorte qu’il est devenu moins clair que les mots « not paid in respect of a pay period » («qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie ») ne modifiaient que « vacation pay » (« paie de vacances »).
[11] Dans la version anglaise de l’alinéa 23(1)b) pertinente en l’espèce, DORS/97-310, il n’y a également plus de virgule après « period » (« période de paie »). Néanmoins, comme il y a une virgule à la fin du texte ajouté par cette modification, soit « or that remains unpaid for the reasons described in subsection 2(2) of the Insurable Earnings and Collection of Premiums Regulations » (« ou qui n’est pas versée pour les raisons visées au paragraphe 2(2) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations »), le retrait de la virgule après « period » (« période de paie ») n’a aucune conséquence.
[12] Avant d’aborder la question de l’interprétation, je dois me prononcer sur l’argument de l’avocat de la demanderesse selon lequel la Cour doit appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable lorsqu’elle contrôle la décision d’un juge-arbitre contestée au motif qu’elle est fondée sur une interprétation erronée de la Loi sur l’assurance-emploi [L.C. 1996, ch. 23] et du Règlement.
[13] Les avocats ont été en mesure de nous mentionner seulement une affaire dans laquelle la Cour s’est penchée sur cette question, à savoir l’arrêt Canada (Procureur général) c. Haberman (2000), 258 N.R. 150 (C.A.F.). Dans ses motifs dissidents, le juge Isaac a déclaré (au paragraphe 52) que la norme de la décision correcte était la norme de contrôle applicable aux décisions qu’un juge-arbitre rendait sur des questions de droit et sur des questions de compétence. Il ressort également des paragraphes 53 et 57 que le juge Isaac a estimé que la question dont il était saisi n’avait pas trait à la compétence.
[14] Comme je l’ai indiqué dans les motifs que j’ai rédigés au nom de la Cour dans l’arrêt Black c. Canada (Commission de l’assurance-emploi), [2002] 1 C.F. 468 (C.A.), au paragraphe 27, je partage cette opinion relative à la norme de contrôle applicable à la manière dont les juges-arbitres interprètent les dispositions en matière d’assurance-emploi. Bien entendu, il est vrai que les décisions des juges-arbitres se rendent à la Cour par voie de demande de contrôle judiciaire, et non pas par voie d’appel, et que la Commission et les employés ont manifestement intérêt à ce que le processus de prise de décision soit peu coûteux et rapide. Néanmoins, ces considérations ne suffisent pas pour qu’on remplace les facteurs examinés dans le cadre de l’approche pragmatique ou fonctionnelle par une norme de contrôle comportant un degré élevé de retenue quant aux décisions juridiques des juges-arbitres.
[15] La différence entre un appel et une demande de contrôle judiciaire non entravée par une clause privative a concrètement beaucoup moins d’importance qu’auparavant. Par conséquent, le fait qu’en l’absence de droit d’appel, les décisions des juges-arbitres soient susceptibles de contrôle en vertu de l’alinéa 28(1)m) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 1990, ch. 8 art. 8], pour les motifs très généraux établis au paragraphe 18.1(4) [édicté, idem, art. 5], constitue un indicateur très faible d’une intention du législateur selon laquelle la Cour devrait appliquer une norme de contrôle comportant un degré élevé de retenue aux décisions juridiques des juges-arbitres. Un processus décisionnel rapide et peu coûteux présente des avantages incontestés, mais, de toute manière, ces facteurs sont presque toujours l’une des raisons pour lesquelles les tribunaux administratifs sont autorisés à rendre des décisions. Je suis toutefois d’avis que, dans ce régime, ces facteurs ne sont pas importants au point de l’emporter sur tous les autres même si les prestataires d’assurance-emploi sont souvent peu fortunés.
[16] Les éléments suivants, en particulier, appuient l’application de la norme de la décision correcte. Premièrement, qu’ils soient juges à la Section de première instance de la Cour ou juges d’une autre cour, les décideurs n’ont pas une expertise supérieure à la Cour ni un point de vue différent en matière d’interprétation de la loi. Ils exercent une fonction décisionnelle qui n’est pas différente par nature de celle de la Cour ou d’une autre cour, à savoir celle de déterminer les droits légaux des parties à la lumière de l’interprétation par les juges-arbitres de dispositions législatives détaillées et complexes et de leur application aux faits de chaque affaire.
[17] Il est vrai que les juges-arbitres rendent plus de décisions que les membres de la Cour relativement aux dispositions en matière d’assurance-emploi, mais cela ne justifie pas qu’on fasse preuve de retenue d’autant plus que, lorsqu’ils siégeaient à la Section de première instance, certains juges peuvent fort bien s’être familiarisés avec ces dispositions. En outre, des juges sont nommés ad hoc pour siéger comme juges-arbitres dans des affaires d’assurance-emploi et, s’il s’agit de juges en exercice, ces nominations font simplement partie de leurs fonctions judiciaires régulières. Il s’ensuit donc qu’on ne peut pas justifier la retenue à l’égard des décisions des juges-arbitres en se fondant sur leur expertise unique.
[18] Quant à la question de fond dans le présent appel, je suis convaincu que le juge-arbitre a commis une erreur de droit lorsqu’il a adopté l’interprétation des alinéas 23(1)a) et b) qu’on a avancée au nom de la requérante. Il a conclu que l’alinéa 23(1)a) était applicable étant donné que le salaire rétroactif reçu par Mme Sveinson après la fin de son emploi avait trait à une période de paie utilisée pour le calcul de sa rémunération assurable et qu’il était donc pertinent pour la détermination du montant des prestations auquel elle avait droit. En conséquence, le salaire rétroactif était attribuable à la période de paie à laquelle il était lié, et non pas à la date de sa réception.
[19] À mon humble avis, le texte et l’historique des alinéas du Règlement en litige en l’espèce sont incompatibles avec cette interprétation, qui se fonde sur la prémisse que la principale distinction faite par les alinéas 23(1)a) et b) se situe entre la rétribution versée pour une période de paie précise et celle qui ne l’est pas. Malgré les problèmes d’interprétation que soulèvent sans aucun doute le libellé de ces dispositions, il m’apparaît clairement que l’interprétation du demandeur est plus compatible avec leur texte, leur historique et leur structure. Pour les motifs suivants, je suis d’avis qu’à l’alinéa b), les mots « not paid in respect of a pay period » (« qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie ») modifient « vacation pay » (« paie de vacances ») et, peut-être, « other remuneration » (« autre rétribution »), mais pas la liste de versements qui précède, dont « retroactive pay increases » (« les augmentations de salaire rétroactives »).
[20] Premièrement, la ponctuation des anciennes versions de l’alinéa 23(1)b) qui sont pertinentes pour le présent appel, notamment la version adoptée sous DORS/96-332, indique que les mots « not paid in respect of a pay period » (« qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie ») modifient uniquement « vacation pay » (« paie de vacances »). D’ailleurs, dans une disposition encore plus ancienne, soit l’article 3.1 du Règlement sur l’assurance-chômage (perception des cotisations), C.R.C., ch. 1575 [mod. par DORS/88-584, art. 1; 89-329, art. 1], ce point était encore plus clair. De plus, la version française du texte de l’alinéa 23(1)b) a toujours conservé la virgule avant la partie cruciale, ce qui indique que les mots « qui n’est pas versée à l’égard d’une période de paie » modifient uniquement « la paie de vacances ». En outre, l’utilisation de la troisième personne du singulier et du genre féminin dans la proposition subordonnée « qui n’est pas versée » indique que le pronom « qui » fait référence à « la paie de vacances ». On peut tirer la même conclusion de l’usage du mot « remains » (« n’est pas ») dans la version anglaise. À la lumière de ce qui précède, il est très difficile de prétendre que l’absence de virgule dans la version anglaise démontre l’intention du législateur de modifier le sens de la disposition.
[21] Deuxièmement, les mots « other than the remuneration referred to in paragraph (b) » (« autre que la rétribution visée à l’alinéa b) »), qui figurent à l’alinéa 23(1)a), ont comme seule fonction d’écarter de la portée de cet alinéa des éléments de rétribution qu’il aurait visé par ailleurs. Comme l’alinéa a) porte uniquement sur la rétribution « paid in respect of a pay period » (« qui est versée pour une période de paie »), il n’y aurait rien à écarter sauf si certains des éléments de rétribution énumérés à l’alinéa b) étaient également « versé[s] pour une période de paie ». Il s’agit d’un autre élément indiquant que le juge-arbitre a eu tort d’interpréter l’alinéa b) comme s’appliquant seulement à la rétribution qui n’est pas versée pour une période de paie.
[22] Troisièmement, il est difficile de concilier la structure des alinéas a) et b) et le sens que leur attribue le juge-arbitre. L’alinéa a) parle simplement de « remuneration, including statutory holiday pay » (« la rétribution, y compris la paie des jours fériés ») tandis que l’alinéa b) énumère un certain nombre de versements non réguliers et vise « other remuneration » (« toute autre rétribution »). Il s’agit d’une façon non plausible d’indiquer que le législateur veuille que ces alinéas portent sur les mêmes éléments de rétribution; on pourrait seulement dire que l’alinéa a) couvre tous les éléments de rétribution versés pour une période de paie tandis que l’alinéa b) couvre les mêmes éléments lorsqu’ils ne sont pas versés à l’égard d’une période de paie.
[23] Quatrièmement, il y aurait des avantages évidents sur le plan des principes à un régime qui attribuerait toutes les formes de rétribution à la période où elles sont versées et, en l’absence d’une telle période, à la période où elles sont reçues. Toutefois, l’avocate du procureur général a fourni des raisons de principe convaincantes à l’appui de son interprétation des alinéas 23(1)a) et b). Elle a soutenu que le fil conducteur liant les éléments énumérés à l’alinéa 23(1)b) était que ces éléments pouvaient ou non avoir été versés pour une période de paie particulière. Si la Commission était tenue de déterminer si ces éléments avaient été versés et à quelle période de paie, le cas échéant, ils devaient être attribués, ses fonctionnaires devraient aller plus loin que l’examen du dossier de paie présenté par le requérant et faire enquête sur les pratiques salariales de l’employeur.
[24] Pour éviter ce genre de coûts et de tracas administratifs, le Règlement a prescrit que tous les éléments de rétribution non réguliers énumérés devaient être attribués à la date de leur réception, qu’ils aient ou non en fait été versés à l’égard d’une période de paie précise. La rétribution régulière et la paie des jours fériés sont par ailleurs toujours facilement attribuables à une période, d’où leur inclusion dans l’alinéa 23(1)a).
[25] Je dois souligner que même si cette interprétation ne favorise pas Mme Sveinson à la lumière des faits de la présente affaire, cela ne veut pas dire que des prestataires ne pourraient pas dans d’autres cas se voir créditer l’augmentation de salaire rétroactive. Donc, par exemple, si Mme Sveinson était devenue admissible à des prestations d’assurance- emploi après avoir reçu cette augmentation de salaire rétroactive, le calcul de sa rémunération assurable aurait compris ce montant, de sorte que ses prestations auraient été plus élevées, dans la mesure, naturellement, où la semaine dans laquelle elle l’aurait reçue aurait été une semaine pertinente pour ce calcul. En outre, si elle avait été sans emploi à la date où elle a reçu le versement, l’augmentation de salaire rétroactive aurait été attribuée proportionnellement sur la période de paie pour laquelle elle a reçu une paie régulière : paragraphe 23(1.1) [mod. par DORS/97-31, art. 12].
[26] Pour les raisons qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire, d’infirmer la décision du juge-arbitre et de lui renvoyer l’affaire pour qu’il statue conformément aux présents motifs. Comme l’avocate du procureur général a retiré sa demande d’octroi des dépens, je n’en accorde aucun.
Linden, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Sexton, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.