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[2002] 2 C.F. 583

T-732-01

2001 CFPI 1332

La Chambre des communes et l’honorable Gilbert Parent (demandeurs)

c.

Satnam Vaid et la Commission canadienne des droits de la personne (défendeurs)

Répertorié : Canada (Chambre des communes) c. Vaid (1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer— Ottawa, 10 octobre et 4 décembre 2001.

Droit constitutionnel — Principes fondamentauxPrivilège parlementaireDes plaintes de discrimination (race, couleur, origine ethnique) ont été déposées par un ancien chauffeur d’un ancien président de la Chambre des communesLa Chambre des communes et le président sont assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personneMême si la nomination et la gestion du personnel sont protégées par le privilège parlementaire en tant que questions nécessaires au bon fonctionnement de la Chambre, le privilège ne s’applique pas de façon à protéger les mesures que la Chambre prend en se fondant sur des motifs qui ne sont pas nécessaires à son fonctionnement, comme la race ou le sexeLa renonciation restreinte au privilège parlementaire est prévue à la Loi sur les relations de travail au ParlementL’application du critère fonctionnel pour déterminer quelles fonctions sont touchées par le privilège parlementaire n’est pas une approche souhaitableLa portée du privilège ne s’étend pas aux violations de droits de la personne, puisque le privilège n’est pas, dans de tels cas, nécessaire au maintien de la dignité et de l’efficacité de la Chambre.

Droits de la personne — Des plaintes de discrimination (race, couleur, origine ethnique) ont été déposées par un ancien chauffeur d’un ancien président de la Chambre des communes à l’encontre de la Chambre et du présidentLa Chambre et le président sont assujettis à la LCDPMême si la nomination et la gestion du personnel sont protégées par le privilège parlementaire en tant que questions nécessaires au bon fonctionnement de la Chambre, le privilège ne s’applique pas de façon à protéger les mesures que la Chambre prend en se fondant sur des motifs qui ne sont pas nécessaires à son fonctionnement, comme la race ou le sexeLa portée du privilège ne s’étend pas aux violations de droits de la personne, puisque cette question ne relève pas de la catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l’efficacité de la Chambre ne sauraient être maintenuesL’examen ne doit pas être axé sur le bien-fondé des mesures qui ont été prises à l’égard de la nomination et de la gestion du personnel, mais plutôt sur la question de savoir si certaines mesures prises contre le défendeur allaient à l’encontre de la LCDPLe tribunal a eu raison de décider qu’il avait compétence pour entendre les plaintes portées contre les demandeurs.

L’ancien chauffeur de l’ancien président de la Chambre des communes a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) deux plaintes dans lesquelles il a allégué avoir été victime de discrimination en matière d’emploi du fait de sa race, de sa couleur et de son origine ethnique. Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP) selon laquelle la Chambre des communes et son président sont assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP). Les demandeurs ont plaidé devant le TCDP qu’ils ne sont pas assujettis à la LCDP compte tenu du privilège parlementaire qui se rattache aux fonctions internes de la Chambre des communes et de la Présidence. Ils ont en outre soutenu qu’il ne convient pas de les désigner comme parties devant le TCDP et que le privilège parlementaire protège les décisions qui sont prises à l’égard de la nomination et de la gestion du personnel de la Chambre des communes. Le TCDP a rejeté cette prétention. Les questions en litige sont de savoir si le TCDP a commis une erreur en assumant une compétence sur les demandeurs, en décidant que la compétence qui lui est reconnue par la loi englobe les demandeurs ou en omettant de décider que les demandeurs ne sont pas des partie s qui devraient comparaître devant lui.

Jugement : la demande est rejetée.

La compétence du TCDP sur le président de la Chambre des communes est une question de droit pour laquelle la norme de contrôle devrait être la décision correcte.

La doctrine du privilège parlementaire est fondée sur le principe selon lequel les organismes législatifs doivent être, pour accomplir leur tâche, indépendants des autres branches du gouvernement. Dans La procédure et les usages de la Chambre des communes, les auteurs soulignent que le privilège n’est pas un privilège général et qu’il peut uniquement être invoqué lorsqu’il a été porté atteinte à la capacité de fonctionner de la Chambre ou des députés. Le privilège revendiqué n’est pas illimité; il se rattache à des questions sans lesquelles la dignité et l’efficacité de la Chambre ne sauraient être maintenues. Il ne s’étend pas à des questions qui ne nuisent pas aux affaires parlementaires de la législature.

Compte tenu de la jurisprudence et de la doctrine sur ce sujet, la gestion et la nomination du personnel sont protégées par le privilège parlementaire en tant que questions nécessaires au bon fonctionnement de la Chambre. Cependant, l’application du critère fonctionnel (pour déterminer si un employé bénéficie d’une relation employeur-employé qui est au coeur du privilège législatif et parlementaire) n’est pas une approche souhaitable. Il faudrait que les tribunaux se demandent dans chaque cas si une responsabilité professionnelle particulière est au coeur du privilège parlementaire. La chose aurait également un résultat déplorable, en ce sens que deux catégories d’employés seraient ainsi créées. Dans le cas du défendeur, les relations employeur-employé sont visées par le privilège parlementaire, à moins qu’il n’y ait été renoncé ou que la portée du privilège ne s’étende pas aux violations de droits de la personne.

Il n’y a pas eu de renonciation au privilège parlementaire du fait de l’adoption de la Loi sur les relations de travail au Parlement (la LRTP). La LCDP s’applique à la LRTP, puisque celle-ci relève du Parlement (voir la LCDP, article 2). Le Parlement a maintenu son privilège à l’égard des questions non expressément définies dans les parties II et III du Code canadien du travail et dans la LRTP. Le Parlement a donc encore le droit de nommer et de gérer son personnel. Le privilège ne protège cependant pas une décision qui est fondée sur un motif illégitime.

En l’espèce, l’examen est limité à la question de la légitimité du privilège invoqué. Définir les motifs, ce n’est pas examiner l’exercice d’un privilège existant. Cela découle de l’obligation qui incombe à la Cour de déterminer d’une façon préliminaire l’étendue du privilège. L’examen ne sera pas axé sur le bien-fondé des mesures qui ont été prises à l’égard de la nomination et de la gestion du personnel, mais plutôt sur la question de savoir si certaines mesures prises contre le défendeur allaient à l’encontre de la LCDP. Cet examen ne porterait pas atteinte à la dignité et à l’efficacité de la Chambre. La discrimination fondée sur la race et le sexe n’a rien à voir avec la nomination et la gestion du personnel. Bref, le privilège ne s’étend pas aux violations de droits de la personne, puisque cette question ne relève pas de la catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l’efficacité de la Chambre ne sauraient être maintenues. Par conséquent, le privilège parlementaire ne fait pas obstacle à l’application de la LCDP aux demandeurs.

Le TCDP a eu raison de décider qu’il avait compétence pour entendre les plaintes déposées contre les demandeurs. L’article 2 de la LCDP prévoit que la Loi s’applique dans le champ de compétence du Parlement. Comme le Parlement a légiféré à maintes reprises sur ses propres relations employeur-employé et comme le « pouvoir législatif » s’entend d’une chose sur laquelle le Parlement peut légiférer, la LCDP s’applique à la Chambre des communes.

Sur la question de savoir si le TCDP a commis une erreur en omettant de décider que les demandeurs n’étaient pas des parties qu’il convenait de désigner devant lui, le TCDP ne s’étant pas prononcé sur ce point, il n’y a aucune question sur laquelle la Cour peut exercer un contrôle judiciaire. Le TCDP tranchera cette question après avoir entendu la preuve.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 3, 32.

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 122.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 1).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 2 (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 9), 7, 14, 66 (mod. par L.C. 1993, ch. 28, art. 78, ann. III, no 70).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91, 92(10).

Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, art. 4.

Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 33, art. 2, 4(1),(2), 86, 87, 88.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876; (1996), 137 D.L.R. (4th) 142; 201 N.R. 1; Thompson v. McLean (1998), 37 C.C.E.L. (2d) 170; 63 O.T.C. 321 (Div. gén. Ont.); New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319; (1993), 118 N.S.R. (2d) 181; 100 D.L.R. (4th) 212; 327 A.P.R. 181; 13 C.R.R. (2d) 1; 146 N.R. 161; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 1 3 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R. 1; Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2000] 1 C.F. 146 (1999), 180 D.L.R. (4th) 95; 176 F.T.R. 161 (1re inst.); Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 54 O.R. (3d) 595; 201 D.L.R. (4th) 698; 33 Admin. L.R. (3d) 123; 146 O.A.C. 125 (C.A.); Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail , [1986] 2 C.F. 372; (1986), 27 D. L.R. (4th) 481; 86 CLLC 14,034; 66 N.R. 46 (C.A.).

distinction faite d’avec :

Soth v. Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) (1997), 32 O.R. (3d) 440; 97 O.A.C. 266 (C. div.); Zündel v. Boudria (1999), 46 O.R. (3d) 410; 181 D.L.R. (4th) 463; 127 O.A.C. 251 (C.A.).

DÉCISION CITÉE :

Re Ouellet (no 1) (1976), 67 D.L.R. (3d) 73; 28 C.C.C. (2d) 338; 34 C.R.N.S. 234 (C. Sup. Qué.).

DOCTRINE

Canada. Parlement. Chambre des communes. La procédure et les usages de la Chambre des communes, publié par Robert Marleau et Camille Montpetit. Ottawa : Chambre des communes, 2000.

Gibson, Dale. « Monitoring Arbitrary Government Authority : Charter Scrutiny of Legislative, Executive and Judicial Privilege » (1998), 61 Sask. L. Rev. 297.

Maingot, Joseph. Le Privilège parlementaire au Canada, 2e éd. Chambre des communes, 1997.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (Vaid c. Canada (Chambre des communes) , [2001] D.C.D.P. no 15 (QL)) selon laquelle la Chambre des commun es et son président sont assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personne . Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Jacques A. Emond et Lynne J. Poirier pour les demandeurs.

Philippe Dufresne pour la défenderesse la CCDP.

Peter C. Engelmann et Jula Hughes pour les intervenants le SCEP & l’AESS.

James L. Shields et Alison M. Dewar pour l’intervenant l’IPFPC.

Andrew J. Raven pour l’intervenante l’AFPC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Emond Harnden s.r.l., Ottawa, pour les demandeurs.

Commission canadienne des droits de la personne pour la défenderesse la CCDP.

Caroline Engelmann Gottheil, Ottawa, pour les intervenants le SCEP & l’AESS.

Shields & Hunt, Ottawa, pour l’intervenant l’IPFPC.

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour l’intervenante l’AFPC.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Tremblay-Lamer : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 25 avril 2001 par le Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP) [Vaid c. Canada (Chambre des communes) , [2001] D.C.D.P. no 15 (QL)]. Le TCDP a décidé à deux contre un que la Chambre des communes et son président étaient assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la LCDP).

LES FAITS

[2]        Satnam Vaid (le défendeur) est l’ancien chauffeur de l’honorable Gilbert Parent, autrefois président de la Chambre des communes (les demandeurs). M. Vaid a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP défenderesse) deux plaintes dans lesquelles il alléguait avoir été victime d’actes discriminatoires en matière d’emploi du fait de sa race, de sa couleur et de son origine ethnique, en violation des articles 7 et 14 de la LCDP.

[3]        Ces plaintes ont été renvoyées au TCDP, qui a décidé que les demandeurs étaient assujettis à sa compétence et qui a ordonné à ceux-ci de communiquer les documents se rapportant aux plaintes dont il était saisi.

[4]        En réponse à la conclusion que le TCDP avait tirée au sujet de sa compétence, les demandeurs ont plaidé une requête préliminaire devant le TCDP le 26 mars 2001. Ils ont affirmé ne pas être assujettis à la compétence du tribunal pour le motif que la LCDP ne s’applique pas au président de la Chambre des communes et à la Chambre des communes compte tenu du privilège parlementaire qui se rattache aux fonctions internes de la Chambre des communes et de la présidence. Les demandeurs ont en outre soutenu qu’il ne convenait pas de les désigner comme parties devant le tribunal, que le privilège parlementaire protège les décisions qui sont prises à l’égard des nominations et de la gestion du personnel de la Chambre des communes et qu’ils ne sont donc pas assujettis à la LCDP.

[5]        Dans une décision partagée (à deux contre un), le tribunal a rejeté la requête. Le 1er mai 2001, les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du tribunal. Une injonction interlocutoire suspendant l’instance devant le tribunal, en attendant l’audition de la demande, a été obtenue le 30 mai 2001.

DÉCISION DU TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

Opinion de la majorité

[6]        La majorité a rejeté l’objection et a statué que le privilège parlementaire ne s’appliquait pas aux plaintes en cause.

[7]        La majorité a dit que Mme le juge McLachlin (tel était alors son titre) avait tranché la question dans l’arrêt Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876 (Harvey), lorsqu’elle avait conclu que la race et le sexe ne sont pas visés par les règles auxquelles le Parlement et les législatures assujettissent la conduite de leurs affaires.

[8]        Le tribunal s’est fondé sur la décision Thompson v. McLean (1998), 37 C.C.E.L. (2d) 170 (Div. gén. Ont.), (Thompson), dans laquelle le juge Campbell avait défini la limite du privilège parlementaire au point de vue de l’étendue des relations employeur-employé.

[9]        En se fondant sur le critère de nécessité énoncé par le juge McLachlin et sur l’examen des fonctions essentielles effectué par le juge Campbell, le tribunal a conclu que les relations employeur-employé existant avec le défendeur (M. Vaid) n’étaient pas suffisamment nécessaires ou liées aux activités essentielles de la Chambre des communes pour justifier l’existence d’un privilège parlementaire et que la race ne constituait pas un motif valable aux fins de l’application du privilège.

[10]      Quant à la question de l’application de la LCDP aux demandeurs, la majorité a conclu que, compte tenu des articles 2 [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 9] et 66 [mod. par L.C. 1993, ch. 28, art. 78] de la LCDP et de l’interprétation fondée sur l’objet donnée à la législation quasi constitutionnelle sur les droits de la personne en général, les demandeurs étaient assujettis à la Loi. Le tribunal a choisi la définition du pouvoir législatif donnée par le juge Sopinka dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319 (New Brunswick Broadcasting). Le juge Sopinka avait conclu que l’expression « relevant de [la] législature » signifiait qu’il devait y avoir quelque chose qui pouvait être légiféré par le Parlement.

Opinion dissidente

[11]      La présidente Anne Mactavish était d’avis que le Tribunal canadien des droits de la personne n’avait pas compétence pour entendre la plainte de M. Vaid.

[12]      Mme Mactavish a fait remarquer que le critère de nécessité est un critère qui a trait à la compétence. Les pouvoirs de l’arbitre sont limités à la détermination de la question de savoir si le privilège invoqué est l’un des privilèges nécessaires pour que l’organisme législatif puisse fonctionner. Les arbitres ne sont pas autorisés à examiner l’exercice particulier d’un privilège nécessaire, car la chose aurait pour effet de rendre le privilège inopérant.

[13]      Mme Mactavish ne souscrivait pas à l’approche adoptée par le juge Campbell dans la décision Thompson, précitée. Elle était d’avis que le critère énoncé par la majorité dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, définissait la question d’une façon légèrement différente. Selon la Cour suprême du Canada, nous devons nous demander si la question — à savoir le pouvoir de nommer et de gérer le personnel — relève de la catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l’efficacité de la Chambre ne sauraient être maintenues. Par conséquent, le poids des décisions judiciaires et arbitrales milite en faveur de l’idée selon laquelle la nomination et la gestion du personnel relèvent de fait du privilège parlementaire dont bénéficient le président et la Chambre des communes.

[14]      L’approche adoptée dans la décision Thompson pose un problème parce qu’elle oblige le tribunal à entreprendre un examen des responsabilités et conditions de travail précises de M. Vaid telles qu’elles existaient au cours de la période visée par les plaintes, ainsi que du lien entre ces responsabilités et la fonction législative fondamentale de la Chambre des communes. La chose aurait inévitablement pour effet d’assujettir les actions du président et de la Chambre des communes à l’examen du tribunal, de sorte que le privilège parlementaire deviendrait inopérant.

[15]      Mme Mactavish a fait remarquer qu’elle était liée par la décision majoritaire que la Cour suprême du Canada avait rendue dans l’affaire New Brunswick Broadcasting, précitée, à savoir que les organismes législatifs canadiens possèdent les privilèges inhérents nécessaires à leur bon fonctionnement et que pareils privilèges jouissent d’un statut constitutionnel.

[16]      Pour que la LCDP abroge un privilège dont bénéficient le Parlement ou ses membres, il doit y avoir une disposition expresse en ce sens. Dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, le juge McLachlin (tel était alors son titre) a conclu que la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. 1985), appendice II, no 44] (la Charte) ne s’appliquait pas aux actions de l’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse. L’article 32 de la Charte est libellé en des termes semblables à ceux de l’article 2 de la LCDP; Mme Mactavish a donc conclu que si la Charte ne s’applique pas de façon à réglementer l’exercice des privilèges inhérents conférés à la Chambre des communes et au Président, une loi quasi constitutionnelle telle que la LCDP ne peut certainement pas réglementer pareil exercice.

[17]      Mme Mactavish mentionne l’arrêt Harvey, précité, dans lequel le juge MacLachlin a dit que les garanties démocratiques prévues à l’article 3 de la Charte doivent être interprétées d’une façon conforme à leur but, d’une façon compatible avec un privilège parlementaire. Elle a fait remarquer que la décision d’une législature d’expulser un membre n’est peut-être pas visée par la Charte dans la mesure où cette décision relève du privilège parlementaire, mais que la Charte s’applique néanmoins de façon à empêcher que des citoyens deviennent inhabiles à occuper une charge pour des motifs non visés par les règles auxquelles les organismes législatifs assujettissent la conduite de leurs affaires.

[18]      Mme Mactavish fait une distinction entre l’affaire Harvey, précitée, et le cas qui nous occupe. Elle signale que dans l’affaire Harvey, le juge McLachlin envisageait des cas dans lesquels la mesure législative avait clairement été prise compte tenu de considérations illicites telles que la race ou le sexe. Mme Mactavish dit qu’en l’espèce, il est loin d’être clair que la Chambre des communes ou le président de la Chambre aient pris des mesures compte tenu de la race, de la couleur, ou de l’origine nationale ou ethnique de M. Vaid. Pour tirer pareille conclusion, il faudrait examiner le fonctionnement interne de la Chambre des communes et de la présidence au point de vue de la gestion des employés. Les demandeurs bénéficient d’un privilège à cet égard.

[19]      Mme Mactavish souligne en outre que, contrairement à ce qui s’est produit dans l’affaire Harvey, la question qui se pose en l’espèce ne se rapporte pas à un conflit entre deux normes constitutionnelles, mais plutôt à un conflit entre la norme constitutionnelle du privilège parlementaire et les normes quasi constitutionnelles établies par la LCDP. Selon Mme Mactavish, le statut constitutionnel accordé au privilège parlementaire, en ce qui concerne la nomination et la gestion du personnel, l’emporte sur la législation quasi constitutionnelle relative aux droits de la personne.

[20]      Mme Mactavish conclut que si le Parlement veut que la LCDP s’applique à la Chambre des communes et au président de la Chambre, il lui incombe de s’assurer que la Loi indique cette intention.

LES POINTS LITIGIEUX

1. Le Tribunal canadien des droits de la personne a-t-il commis une erreur en assumant une compétence sur les demandeurs, c’est-à-dire sur la Chambre des communes et sur son ancien président?

2. Le tribunal a-t-il commis une erreur en décidant que la compétence qui lui est reconnue par la loi englobe les demandeurs?

3. Le tribunal a-t-il commis une erreur en omettant de décider que les demandeurs ne sont pas les parties qui devraient comparaître devant lui?

ANALYSE

1.         La norme de contrôle

[21]      La Cour suprême du Canada a établi que la norme de contrôle qui s’applique aux décisions rendues en matière de droits de la personne est celle de la décision correcte.

[22]      Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, la Cour suprême a conclu que l’expertise supérieure d’un tribunal des droits de la personne porte sur l’appréciation des faits. Les tribunaux ont fait preuve de retenue envers certains tribunaux spécialisés en interprétant leur loi habilitante, mais pareille retenue ne s’étend pas aux conclusions de droit à l’égard desquelles le tribunal ne possède pas d’expertise particulière. Le juge La Forest dit ce qui suit, à la page 585 :

Ce qui est tout à fait différent de la situation d’un tribunal des droits de la personne, dont la décision est imposée aux parties et a une incidence directe sur l’ensemble de la société relativement à ses valeurs fondamentales. L’expertise supérieure d’un tribunal des droits de la personne porte sur l’appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne. Cette expertise ne s’étend pas aux questions générales de droit comme celle qui est soulevée en l’espèce. Ces questions relèvent de la compétence des cours de justice et font appel à des concepts d’interprétation des lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever de la compétence des cours de justice. Ces dernières ne peuvent renoncer à ce rôle en faveur du tribunal administratif. Elles doivent donc examiner les décisions du tribunal sur des questions de ce genre du point de vue de leur justesse et non en fonction de leur caractère raisonnable.

[23]      La norme de contrôle préconisée dans l’arrêt Mossop a récemment été suivie par la Section de première instance de la Cour fédérale dans la décision Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2000] 1 C.F. 146 (1re inst.), au paragraphe 73, et par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 54 O.R. (3d) 595 (C.A.) où le juge Finlayson a conclu [au paragraphe 51] [traduction] qu’«en ce qui concerne une question aussi fondamentale que la décision de la Commission d’assumer sa compétence sur les activités du président, il ne peut absolument pas y avoir de retenue judiciaire ».

[24]      En l’espèce, c’est la compétence du TCDP sur le président de la Chambre des communes qui est en cause. Il s’agit d’une question de droit et, compte tenu des arrêts que je viens de mentionner, la norme de contrôle devrait être celle de la décision correcte.

2.         La doctrine du privilège parlementaire

[25]      Dans l’ouvrage intitulé Le privilège parlementaire au Canada, 2e éd. (Chambre des communes, 1997), J. Maingot définit le privilège parlementaire comme suit [à la page 12] :

[…] l’indispensable immunité que le droit accorde aux membres du Parlement et aux députés des dix provinces et des deux territoires pour leur permettre d’effectuer leur travail législatif. C’est également l’immunité que la loi accorde à tous ceux qui prennent part aux délibérations du Parlement ou d’une assemblée provinciale. Il inclut en outre le droit, le pouvoir et l’autorité en vertu desquels chaque Chambre du Parlement et chacune des 12 assemblées législatives peut remplir les fonctions que lui assigne la Constitution. Finalement, chaque Chambre du Parlement et chaque assemblée législative a l’autorité et le pouvoir de mettre en oeuvre cette immunité et de préserver son intégrité.

[26]      La chose est fondée sur le principe selon lequel afin d’accomplir leur tâche, les organismes législatifs, comme les tribunaux, doivent être indépendants des autres branches du gouvernement.

[27]      Dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, aux paragraphes 116 et 117, le juge MacLachlin a donné des précisions au sujet de la perspective historique du privilège parlementaire :

Le Parlement du Canada et les assemblées législatives provinciales s’inspirent du système de démocratie parlementaire qui existait au Royaume-Uni. Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 mentionne expressément l’intention des rédacteurs de notre Constitution d’établir une constitution « semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni ». Il s’ensuit que pour déterminer quels pouvoirs constitutionnels possèdent nos assemblées législatives, nous devrions commencer par examiner les pouvoirs traditionnellement confiés au Parlement du Royaume-Uni.

[28]      Le juge a ajouté ce qui suit :

Dans ce contexte, le terme « privilège » indique une exemption légale d’une certaine obligation, charge, participation ou responsabilité auxquelles les autres personnes sont assujetties. Il est accepté depuis longtemps que, pour exercer leurs fonctions, les organismes législatifs doivent bénéficier de certains privilèges relativement à la conduite de leurs affaires. Il est également accepté depuis longtemps que, pour être efficaces, ces privilèges doivent être détenus d’une façon absolue et constitutionnelle; la branche législative de notre gouvernement doit jouir d’une certaine autonomie à laquelle même la Couronne et les tribunaux ne peuvent porter atteinte.

[29]      Dans l’ouvrage intitulé La procédure et les usages de la Chambre des communes (Ottawa : Chambre des communes, 2000), à la page 51, Robert Marleau et Camille Montpetit soulignent que le privilège n’est pas un privilège général et qu’il peut uniquement être invoqué lorsqu’il a été porté atteinte à la capacité de fonctionner de la Chambre ou des députés :

La Chambre a le pouvoir d’invoquer le privilège lorsqu’on fait obstacle à l’exécution de ses fonctions ou de celles des députés. C’est uniquement dans ce contexte que le privilège peut être considéré comme une exemption par rapport à la loi générale. Les députés ne sont pas au-dessus des lois qui régissent tous les citoyens du Canada. De fait, les privilèges des Communes visent à préserver les droits de chaque électeur.

[30]      Il y a deux catégories de privilèges parlementaires : ceux qui s’appliquent aux députés individuellement et ceux qui s’appliquent à la Chambre collectivement.

[31]      Les privilèges qui s’appliquent aux députés sont la liberté de parole, l’immunité d’arrestation en matière civile, l’exemption du devoir de juré et l’exemption de l’obligation de comparaître comme témoin. Ces privilèges permettent aux députés de participer aux procédures parlementaires sans ingérence. Les députés individuels peuvent uniquement revendiquer le privilège à l’égard de questions liées aux fonctions qu’ils exercent à la Chambre.

[32]      Les privilèges qui s’appliquent à la Chambre collectivement sont ceux qui permettent à celle-ci de conduire ses affaires à l’abri de toute ingérence. Il s’agit notamment du pouvoir de prendre des mesures disciplinaires et du pouvoir d’expulser les députés; du droit de réglementer ses affaires internes; du pouvoir d’assurer la présence et le service des députés; du droit d’enquêter, de convoquer des témoins et d’exiger la production de documents; du droit de faire prêter serment aux témoins; du droit de publier des documents contenant des éléments diffamatoires (R. Marleau et C. Montpetit, précité, à la page 51).

[33]      Le droit de réglementer ses affaires internes est l’une des mesures collectives de la Chambre visée par le privilège parlementaire. Ce droit parlementaire comporte le droit de diriger et de gérer le personnel de la Chambre. Or, le privilège revendiqué par les demandeurs se rapporte à la nomination et à la gestion du personnel parlementaire.

3.         L’étendue du privilège revendiqué

a)    Le critère de nécessité

[34]      Dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, le juge McLachlin a établi le critère de nécessité en vue de déterminer l’existence d’un privilège parlementaire. Au nom de la majorité, le juge a dit ce qui suit, au paragraphe 123 :

Le critère de nécessité est appliqué non pas comme une norme pour juger le contenu du privilège revendiqué, mais pour déterminer le domaine nécessaire de compétence « parlementaire » ou « législative » absolue et exclusive. Si une question relève de cette catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l’efficacité de l’Assemblée ne sauraient être maintenues, les tribunaux n’examineront pas les questions relatives à ce privilège. Toutes ces questions relèveraient plutôt de la compétence exclusive de l’organisme législatif. [Non souligné dans l’original.]

[35]      Par conséquent, le critère s’applique aux catégories de sujets sans lesquels la dignité et l’efficacité de la Chambre ne sauraient être maintenues et les tribunaux ne s’arrêteront pas à la question de savoir si dans un cas particulier pareil exercice est bon ou mauvais (Zündel v. Boudria (1999), 46 O.R. (3d) 410 (C.A.)).

[36]      Les demandeurs soutiennent que la seule possibilité d’examen judiciaire existe au palier juridictionnel initial et qu’il faut se demander si le privilège revendiqué est nécessaire pour que la Chambre puisse fonctionner.

[37]      Conformément au Règlement 151, le président de la Chambre exerce une autorité en dernier ressort sur les questions d’emploi qui, comme l’a dit la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Ontario (Speaker of the Legislative Assembly), précité, au paragraphe 23, sont protégées par un privilège parlementaire.

[38]      Au nom des demandeurs, la catégorie de privilèges pertinente dans le cas ici en cause est celle de la gestion et de la nomination du personnel qui, selon les décisions judiciaires et arbitrales, fait l’objet d’un privilège. Les plaintes déposées par M. Vaid appartiennent à cette catégorie et, par conséquent, le tribunal a commis une erreur en assumant sa compétence sur les plaintes. Le tribunal a appliqué d’une façon incorrecte le critère de nécessité et il s’est trompé au sujet de la question dont il était saisi en se demandant si le privilège parlementaire s’applique aux cas dans lesquels il n’est pas tenu compte des droits de la personne.

[39]      Les demandeurs soutiennent que le tribunal a commis une erreur en appliquant le critère utilisé dans la décision Thompson c. McLean, précité, lequel vise à permettre de déterminer si le privilège a été à bon droit exercé. Le tribunal a donc mal appliqué le critère établi par la Cour suprême du Canada, en omettant de tenir compte de la nécessité du privilège lui-même.

[40]      L’approche adoptée par le tribunal lorsqu’il a appliqué le critère de nécessité est fondée sur le caractère fonctionnel — à savoir si le fait de permettre que l’on donne suite aux plaintes porte atteinte aux fonctions essentielles de la Chambre des communes. Il s’agit d’une erreur de droit, le critère applicable au privilège étant de nature juridictionnelle et fondé sur la nécessité. Le tribunal doit examiner les responsabilités et conditions de travail précises de M. Vaid au cours de la période visée par les plaintes ainsi que le lien existant entre ces responsabilités et la fonction législative de base de la Chambre des communes. Le président de la Chambre et la Chambre seraient donc assujettis à l’examen du tribunal, de sorte que le privilège deviendrait inopérant.

[41]      De leur côté, les défendeurs soutiennent qu’afin d’invoquer avec succès un privilège parlementaire, les demandeurs doivent clairement établir que ce privilège est nécessaire pour que la Chambre des communes puisse fonctionner comme organisme législatif. Le droit exclusif de contrôler les conditions de travail et les droits de la personne du chauffeur du président de la Chambre n’est pas « de la plus haute importance » lorsqu’il s’agit pour la Chambre des communes de remplir ses fonctions législatives.

[42]      Afin d’empêcher un élargissement indû de ce privilège, les tribunaux doivent définir la portée du privilège et les motifs justifiant son exercice. Dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, en refusant de décider si le privilège protégeait les expulsions ou les exclusions pour d’autres motifs, la Cour a reconnu que la portée du privilège parlementaire n’est pas illimitée. De plus, dans l’arrêt Harvey, précité, le juge McLachlin a dit que le privilège ne s’appliquerait pas de façon à protéger les mesures que la législature prend en se fondant sur des motifs qui ne sont pas nécessaires à son fonctionnement, comme la race ou le sexe.

[43]      Les défendeurs soutiennent en outre que le refus de reconnaître l’existence d’un privilège parlementaire permettant d’agir à l’égard de questions n’ayant rien à voir avec les besoins des législatures ne constitue pas un examen de l’exercice du privilège en question, mais plutôt une détermination de la portée du privilège. Le privilège parlementaire ne s’applique pas aux questions d’emploi qui sont soustraites aux affaires internes de la Chambre des communes.

[44]      Subsidiairement, les défendeurs soutiennent que, si la Cour conclut que le privilège s’étend à l’emploi du chauffeur du président de la Chambre, ce privilège ne va pas jusqu’à inclure les décisions fondées sur des motifs tels que la race ou le sexe, qui n’ont rien à voir avec les besoins et les fonctions de la Chambre des communes en sa qualité d’assemblée législative. Comme le juge McLachlin l’a confirmé dans l’arrêt Harvey, précité, le privilège parlementaire ne s’applique pas de façon à rendre des citoyens inhabiles à occuper une charge pour des motifs non visés par les règles auxquelles le Parlement et les législatures assujettissent la conduite de leurs affaires.

ANALYSE

[45]      Comme il en a ci-dessus été fait mention, suivant le critère de nécessité énoncé par le juge McLachlin dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, le rôle de la Cour consiste à enquêter sur la légitimité d’une revendication de privilège parlementaire de façon à assurer qu’il ne s’étende pas indûment à des questions qui ne sont pas essentielles aux fonctions de la Chambre.

[46]      Le privilège revendiqué n’est pas illimité; il se rattache à des questions sans lesquelles la dignité et l’efficacité de la Chambre ne sauraient être maintenues. Le privilège ne s’étend pas à des questions qui ne nuisent pas aux affaires parlementaires de la législature : Re Ouellet (no 1) (1976), 67 D.L.R. (3d) 73 (C. Sup. Qué.).

[47]      Dans une décision récente, Soth v. Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) (1997), 32 O.R. (3d) 440, la Cour divisionnaire de l’Ontario a confirmé que les relations employeur-employé à la Chambre seraient réputées être des affaires internes s’il pouvait être démontré que la Chambre agissait en fait collectivement sur une question faisant partie de ses affaires internes.

[48]      Dans l’arrêt Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail, [1986] 2 C.F. 372, la Cour d’appel fédérale avait également exprimé ce point de vue. Dans des motifs concordants, le juge Hugessen a dit ce qui suit [à la page 391] :

[…] il me semble que l’un de ces privilèges est précisément que la Chambre doit pouvoir diriger et contrôler son personnel tout comme elle dirige et contrôle ses fonctionnaires, le greffier et le sergent-d’armes […]

[49]      Dans l’ouvrage intitulé Le privilège parlementaire au Canada, précité, J. Maingot affirme que le privilège que possède la Chambre des communes lorsqu’il s’agit de contrôler ses propres affaires à l’abri de toute ingérence comprend le droit de nommer et de gérer le personnel.

[50]      Compte tenu de la jurisprudence et de la doctrine existant en la matière, je suis convaincue que la gestion et la nomination du personnel sont protégées par le privilège parlementaire en tant que questions nécessaires au bon fonctionnement de la Chambre.

[51]      Avant d’examiner la question du bien-fondé des motifs, suffit-il de conclure qu’il existe un privilège parlementaire en ce qui concerne la nomination et la gestion du personnel, ou faut-il aller plus loin? Plus précisément, la Cour devrait-elle adopter l’approche fonctionnelle préconisée par le juge Campbell dans la décision Thompson, précitée?

[52]      La question soulevée dans la décision Thompson était de savoir si le privilège parlementaire protégeait le Bureau de l’assemblée législative contre une allégation fondée sur un congédiement injustifié et sur le harcèlement sexuel qui était faite par un ancien adjoint spécial du président, Allen McLean. La Cour hésitait à étendre le privilège parlementaire à toutes les relations employeur-employé de l’Assemblée législative; elle a dit [au paragraphe 44] [traduction] qu’«il est plutôt étrange d’appliquer de nos jours à l’employeur qui a recours à des services les concepts de privilège absolu et d’immunité absolue ».

[53]      Le juge Campbell cite le juge en chef Lamer qui a dit, dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, à la page 350, que les tribunaux examineront de plus près les cas dans lesquels les revendications de privilège ont des répercussions sur des personnes à l’extérieur de l’Assemblée :

Une autre proposition générale qui peut être dégagée de la jurisprudence est que les tribunaux peuvent examiner de plus près les affaires dans lesquelles les revendications de privilège ont des répercussions sur des personnes à l’extérieur de l’Assemblée, que celles qui portent sur des questions purement internes de l’Assemblée. Les lignes de démarcation ne sont pas tout à fait claires ici non plus pourtant. Par exemple, dans le cas qui nous est soumis, la question tourne clairement autour des débats internes de l’Assemblée. En même temps, ce sont des personnes non liées à l’Assemblée qui soutiennent que leurs droits sont violés. Sommes-nous en présence d’une « affaire interne » ou d’une « affaire externe »?

[54]      Le juge Campbell a conclu que, même si certains employés comme le premier greffier adjoint ou le sergent- d’armes bénéficiaient de relations employeur-employé qui étaient au coeur du privilège législatif et parlementaire, certains autres employés, comme un barman ou un jardinier, semblent avoir des relations employeur-employé bien éloignées des travaux parlementaires fondamentaux (aux paragraphes 39 à 41) :

[traduction] […] le président est l’administrateur principal des services gouvernementaux d’un secteur important de la fonction publique comptant de nombreux employés, dont certains n’exercent aucune fonction politique, législative ou parlementaire. Il n’est pas conforme aux idées contemporaines en matière d’emploi de dire que pareils employés ne bénéficient pas de la protection normalement fournie aux employés, notamment en ce qui concerne l’accès aux tribunaux, et ce, sans examiner minutieusement les cas dans lesquels le privilège parlementaire revendiqué ne s’applique clairement pas […]

Il est peut-être clair que le premier greffier adjoint, le sergent-d’armes ou l’adjoint législatif du président de la Chambre exercent des fonctions et bénéficient de relations employeur-employé qui relèvent clairement du privilège législatif et parlementaire. Il se peut que pareils cas puissent être réglés par de simples plaidoiries, sans qu’aucune preuve ne soit présentée. Il n’est peut-être pas aussi clair qu’un barman embauché pour servir des boissons, un jardinier, un responsable des activités sociales ou un traiteur effectuent des tâches qui relèvent entièrement du privilège parlementaire essentiel à l’exercice de fonctions législatives et politiques. Pour comprendre que les organismes législatifs emploient un grand nombre de gens dont le travail semble être bien éloigné du privilège législatif et parlementaire fondamental, il suffit d’examiner la description de l’unité de négociation accréditant l’Alliance de la fonction publique comme agent négociateur d’une unité composée des employés de la Chambre des communes suivants :

Tous les employés affectés aux services généraux de la Chambre des communes du Canada fournissant des services de valet, de conducteur d’ascenseur, de répartiteur, de messager, de chauffeur, de préposé à l’entretien, de préposé aux entrepôts, de préposé à la préparation d’aliments et de serveur, à l’exclusion des superviseurs […]

[…]

Dans le cas des employés dont les fonctions semblent à première vue être bien éloignées des travaux législatifs et parlementaires eux-mêmes et dans les cas, comme celui de M. Thompson, où les tâches se rapprochent sans doute peut-être de la ligne de démarcation, il se peut que le tribunal doive examiner les faits en vue de déterminer si le travail et les relations employeur-employé sont à tous égards à l’abri d’un jugement du tribunal. Dans ce cas-ci, il n’est pas possible de rendre cette décision de fait et de droit sans tenir de procès.

[55]      J’ai d’abord été tentée de suivre l’approche préconisée par le juge Campbell et d’appliquer un critère fonctionnel, mais réflexion faite, je ne crois pas que cette approche soit souhaitable. Je souscris à la décision minoritaire du tribunal, à savoir que pareil examen aurait pour effet de rendre inopérant le privilège parlementaire. Il faudrait que les tribunaux se demandent dans chaque cas si une responsabilité professionnelle particulière est au coeur du privilège parlementaire. Il est certain qu’en pratique, il serait dans bien des cas difficile de définir la ligne de démarcation.

[56]      La chose aurait également un résultat déplorable, en ce sens que deux catégories d’employés seraient ainsi créées. Certains employés pourraient obtenir réparation parce qu’ils s’acquittent de tâches qui ne sont pas considérées comme étant au coeur du privilège, alors que d’autres ne pourraient pas bénéficier de la même protection parce que leur description de travail ne se rapproche pas autant de la ligne de démarcation. Ainsi, une femme qui est page à la Chambre qui alléguerait être victime de discrimination ne bénéficierait d’aucune protection alors qu’une femme qui travaille comme jardinier serait protégée.

[57]      Pour ces motifs, je suis d’avis que les relations employeur-employé, dans le cas de M. Vaid, sont visées par le privilège parlementaire à moins qu’il n’ait été renoncé au privilège ou que la portée du privilège s’étende pas aux violations de droits de la personne.

1.    Y a-t-il eu renonciation au privilège parlementaire du fait de l’adoption de la LRTP?

[58]      L’article 2 de la LCDP est ainsi libellé :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée. [Non souligné dans l’original.]

[59]      Par conséquent, la LCDP s’applique à la Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. (1985), (2e suppl.), ch. 33 (la LRTP) puisqu’elle relève du Parlement. Les défendeurs affirment qu’en édictant la LRTP, qui confère des droits en matière d’emploi à certains employés, le Parlement a renoncé à son privilège parlementaire à l’égard de ces employés. Le paragraphe 4(2) de la LRTP énumère les employés qui sont exclus du champ d’application de la LRTP. Or, le poste de chauffeur du président ne figure pas sur cette liste. Par conséquent, la LRTP s’applique à M. Vaid.

[60]      Quant à la question de la renonciation, je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que le Parlement a expressément limité les droits prévus par la LRTP en matière de relations de travail et qu’il a conservé le reste de ses privilèges parlementaires.

[61]      La LRTP ne s’applique pas à tous les genres d’activités. Elle s’applique surtout aux droits en matière de relations de travail. Le Parlement a assuré sa compétence sur le reste de ses affaires internes. L’article 2 de la LRTP renferme la restriction suivante :

2. […] sauf disposition expresse de la présente loi, les autres lois fédérales qui réglementent des questions semblables à celles que réglementent la présente loi et les mesures prises en vertu de celles-ci, avant ou après l’entrée en vigueur du présent article, n’ont aucun effet à l’égard des institutions et des personnes visées au présent article.

[62]      En outre, je note que le paragraphe 4(1) prévoit que « [l]a présente partie n’a pas pour effet d’abroger les droits, immunités et attributions visés à l’article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada [L.R.C. (1985), ch. P-1] ou d’y déroger. » L’article 4 de cette Loi est ainsi libellé :

4. (1) Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants :

a) d’une part, ceux que possédaient, à l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi;

b) d’autre part, ceux que définissent les lois du Parlement du Canada, sous réserve qu’ils n’excèdent pas ceux que possédaient, à l’adoption de ces lois, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.

[63]      La renonciation restreinte au privilège parlementaire a été expressément énoncée aux articles 86 à 88 de la LRTP, qui prévoient que les parties II et III du Code canadien du travail [L.R.C. (1985), ch. L-2] s’appliquent maintenant au Parlement et à son personnel.

[64]      Selon l’article 122.1 [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 1] du Code canadien du travail, la partie II a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions. La partie III du Code canadien du travail traite de la durée normale du travail, du salaire, des congés et des jours fériés.

[65]      Compte tenu du paragraphe 4(2) de la LRTP et de la restriction prévue à l’article 2 de cette Loi (voir ci-dessus), je suis convaincue que le Parlement a maintenu son privilège à l’égard des questions non expressément définies dans les parties II et III du Code canadien du travail et dans la LRTP. Le Parlement a donc encore le droit de nommer et de gérer son personnel.

[66]      Je suis arrivée à la conclusion selon laquelle il n’y a pas eu renonciation au privilège parlementaire, mais je dois encore déterminer si ce privilège s’étend aux actions du président en l’espèce.

[67]      D’une part, les demandeurs soutiennent que la Cour devrait uniquement examiner la question de savoir si le privilège invoqué est nécessaire au bon fonctionnement de la Chambre. Ils affirment que, si ce n’est de cette question, les tribunaux ne sont pas autorisés à se demander si une décision particulière qui est prise conformément à un privilège est bonne ou mauvaise.

[68]      D’autre part, les défendeurs soutiennent que le privilège ne devrait pas s’appliquer en vue de protéger les mesures que la Chambre prend en se fondant sur des motifs qui ne sont pas nécessaires à son fonctionnement, comme la race et le sexe.

[69]      Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que le privilège ne protège pas une décision qui est fondée sur un motif illégitime. Dans l’arrêt Harvey, précité, le juge McLachlin a clairement examiné la question de la légitimité des motifs. Aux pages 917 et 918, elle a dit ce qui suit :

L’expulsion et l’inhabilité à remplir une charge peuvent échapper à l’application de l’art. 3 si l’on conclut qu’elles relèvent du privilège parlementaire. Mais cet article a encore pour effet d’empêcher que des citoyens deviennent inhabiles à occuper une charge pour des motifs non visés par les règles auxquelles le Parlement et les législatures assujettissent la conduite de leurs affaires; la race et le sexe constitueraient des exemples de motifs qui tombent dans cette catégorie. Sous cet angle, l’art. 3 peut être perçu comme reflétant, dans le contexte démocratique, les valeurs comprises dans la garantie d’égalité figurant à l’art. 15 de la Charte. [Non souligné dans l’original.]

[70]      Je ne puis retenir la thèse selon laquelle il est possible en l’espèce de faire une distinction à l’égard de l’arrêt Harvey. Il est vrai que la Cour essayait de concilier des normes constitutionnelles contradictoires, mais la Cour a aussi clairement dit que le privilège ne s’appliquait pas aux motifs qui ne sont pas visés par les règles auxquelles le Parlement assujettit la conduite de ses affaires.

[71]      Auparavant, dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, la Cour avait limité le privilège, en ce qui concerne le droit de la législature d’exclure les étrangers de son enceinte, aux circonstances dans lesquelles la présence de pareils étrangers gênait les activités de l’Assemblée. Toutefois, je crois que si la Chambre décidait d’exclure des gens de l’Assemblée pour des motifs liés à la race ou au sexe (par exemple, en excluant toutes les femmes), pareille mesure excéderait la portée du privilège.

[72]      De même, dans l’arrêt Harvey, précité, le privilège a été limité au « pouvoir de rendre les membres inéligibles pour cause de corruption » (non souligné dans l’original). Le juge McLachlin a insisté sur le fait qu’il est important de définir les motifs en déterminant la portée, lorsqu’elle a fait les remarques suivantes, à la page 924 :

[…] il est difficile de soutenir que les règles en vertu desquelles des candidats deviennent inéligibles pour cause de corruption ne relèvent pas du privilège parlementaire. Il va sans dire que le critère de l’acceptation doit composer avec des motifs pour lesquels l’inégibilité peut être légitimement imposée.

[73]      À mon avis, ce n’est que dans cette mesure restreinte, qui exclut les motifs illégitimes, que la législature a une compétence absolue.

[74]      Dale Gibson fait certains commentaires réfléchis en interprétant les motifs prononcés par le juge McLachlin dans l’arrêt Harvey (D. Gibson, « Monitoring Arbitrary Government Authority : Charter Scrutiny of Legislative, Executive and Judicial Privilege » (1998), 61 Sask. L. Rev. 297, aux pages 314 et 315) :

[traduction] L’interprétation de ce passage, que je retiens, est conforme au principe général qui a ci-dessus été proposé : le pouvoir judiciaire ne peut pas nier l’existence de privilèges législatifs particuliers, mais il a la responsabilité de veiller à ce que l’exercice de ces privilèges dans des cas particuliers soit conforme aux exigences de la Charte. Pareille interprétation est conforme à la distinction entre « l’arbre et le fruit » à laquelle les juges McLachlin et Cory souscrivaient dans l’affaire du Président, et elle est étayée par le passage susmentionné des motifs que le juge McLachlin a prononcés dans l’affaire Harvey. Elle est également conforme au résultat de la décision rendue par cette dernière dans l’affaire Harvey, puisque cette affaire portait clairement sur la constitutionnalité de la disposition générale en question, plutôt que sur son exercice dans un cas particulier. Toutefois, si un privilège était exercé de façon qu’il y ait discrimination compte tenu de critères tels que « la race et le sexe », soit les deux « motifs invalides » mentionnés par le juge McLachlin, il serait justifié de procéder à un contrôle judiciaire. [Non souligné dans l’original.]

[75]      Je remarque que les décisions Zündel, précitée, et (Ontario) Speaker of the Legislative Assembly, précitée, sur lesquelles se fondent les demandeurs, portaient sur l’examen judiciaire de l’exercice du privilège plutôt que sur son existence. En l’espèce, l’examen est limité à la question de la légitimité du privilège invoqué.

[76]      Contrairement à la prétention des demandeurs, définir les motifs, ce n’est pas à mon avis examiner l’exercice d’un privilège existant. Cela découle de l’obligation qui incombe à la Cour de déterminer d’une façon préliminaire l’étendue du privilège.

[77]      Les demandeurs affirment que si le tribunal devait tenir une audience à l’égard de la preuve et s’il concluait à l’inexistence de motifs à l’appui de la discrimination alléguée, la nature de l’enquête du tribunal aurait pour effet de rendre inopérant le privilège qu’ils invoquent. Je ne suis pas d’accord.

[78]      L’examen ne sera pas axé sur le bien-fondé des mesures qui ont été prises à l’égard de la nomination et de la gestion du personnel, mais plutôt sur la question de savoir si certaines mesures qui ont été prises contre M. Vaid allaient à l’encontre de la LCDP.

[79]      Les demandeurs n’ont pas donné de réponses convaincantes à la Cour au sujet de la façon dont pareil examen porterait atteinte à la dignité et à l’efficacité de la Chambre. La discrimination fondée sur la race et le sexe n’a rien à voir avec la nomination et la gestion des employés.

[80]      De même, si M. Vaid avait allégué qu’il avait été victime de voies de fait de la part d’un parlementaire, je ne crois pas que la compétence des tribunaux criminels serait écartée simplement à cause de son statut d’employé. La Chambre ne devrait pas servir de sanctuaire, en ce qui concerne l’application de la loi, à moins qu’il n’existe clairement un conflit avec une question protégée. Comme l’un des intervenants l’a souligné, si le Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], qui n’a pas de statut constitutionnel, s’applique aux relations employeur-employé à la Chambre, il en va de même pour la LCDP. Statuer le contraire serait promouvoir une vue du privilège parlementaire qui va à l’encontre de la garantie d’égalité de la personne reconnue par la Charte, laquelle se manifeste également dans les dispositions de la LCDP.

[81]      Bref, j’estime que la portée du privilège ne s’étend pas aux violations de droits de la personne puisque cette question ne relève pas de la catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l’efficacité de la Chambre ne sauraient être maintenues. Par conséquent, le privilège parlementaire ne fait pas obstacle à l’application de la LCDP aux demandeurs.

[82]      Le tribunal a eu raison de décider qu’il avait compétence pour entendre les plaintes de M. Vaid.

2.    Le tribunal a-t-il commis une erreur en décidant que la compétence qui lui est reconnue par la loi englobe les demandeurs?

[83]      L’article 2 de la LCDP prévoit que la Loi s’applique « dans le champ de compétence du Parlement du Canada ». Les demandeurs soutiennent que, dans le contexte de l’emploi, la Loi s’applique aux employés de la Couronne fédérale et des sociétés d’État ainsi qu’aux personnes qui sont employées dans le cadre d’une entreprise fédérale conformément à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], tel qu’il est déterminé par la clause relative à la paix, l’ordre et le bon gouvernement, ou en vertu des exceptions aux pouvoirs provinciaux prévues par la division 10 de l’article 92, qui définit d’une façon plus précise les « ouvrages fédéraux ».

[84]      Le Tribunal a conclu que le Parlement avait légiféré à maintes reprises sur ses propres relations employeur-employé; il souscrivait à l’avis exprimé par le juge Sopinka dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting, précité, selon lequel le « pouvoir législatif » s’entend d’une chose sur laquelle le Parlement peut légiférer. Par conséquent, la LCDP s’appliquait à la Chambre des communes.

[85]      Je suis convaincue que cette décision est correcte en droit.

3.    Le tribunal a-t-il commis une erreur en omettant de statuer sur la question de savoir si les demandeurs sont les parties qu’il convenait de désigner devant lui?

[86]      Les demandeurs soutiennent que le tribunal a commis une erreur en omettant de statuer sur la question de savoir si la Chambre des communes et son ancien président étaient les parties qu’il convenait de désigner devant lui.

[87]      Les défendeurs et les intervenants affirment qu’étant donné que le tribunal ne s’est pas prononcé sur ce point, il n’y a aucune question sur laquelle la Cour peut exercer un contrôle judiciaire. Je suis d’accord. Le tribunal tranchera cette question après avoir entendu la preuve.

[88]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

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