IMM-3860-14
2014 CF 1234
Jorge Antonio Escobar Rosa (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Escobar Rosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge en chef Crampton—Vancouver, 24 novembre; Ottawa, 23 décembre 2014.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant la demande d’asile du demandeur pour deux motifs principaux indépendants — La SPR a d’abord conclu que le demandeur était retourné de son plein gré dans son pays d’origine, le Salvador, plusieurs fois depuis qu’il avait déménagé au Canada et a ensuite conclu à l’absence de minimum de fondement de la demande de protection du demandeur, notamment en ce qui concerne la tentative de meurtre dont il aurait été victime à la fin de son dernier voyage au Salvador — Le demandeur était un politicien dans sa ville natale, mais a éventuellement quitté la politique lorsqu’il a été mis au courant de plans visant son assassinat — Durant sa dernière visite au Salvador, il aurait été victime d’un incident ayant mis sa vie en danger — Après avoir présenté sans succès une requête pour surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi, le demandeur a été renvoyé au Salvador — Il s’agissait de déterminer si la SPR a commis une erreur en concluant que la demande de protection du demandeur était irrecevable en raison de ses nombreux retours au Salvador; si la SPR a commis une erreur en concluant à l’absence de minimum de fondement de sa demande; et si la SPR a commis une erreur en remettant en question l’authenticité d’un rapport de police sur la tentative de meurtre alléguée dont le demandeur avait été victime, sans l’aviser des doutes qu’elle avait à cet égard — En ce qui a trait à la conclusion de la SPR selon laquelle la demande de protection du demandeur était irrecevable en raison de ses nombreux retours au Salvador, la SPR a examiné chacun des motifs pour lesquels le demandeur était retourné au Salvador et a conclu qu’il avait chaque fois agi de son plein gré — Étant donné la nature des raisons données par le demandeur pour expliquer ses sept retours dans son pays d’origine, la conclusion de la SPR était raisonnable — À la lumière des faits particuliers de l’espèce, il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que le demandeur n’avait pas établi que la tentative de meurtre alléguée s’était produite — Selon la décision rendue par la SPR et le dossier présenté, il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure à l’absence de minimum de fondement des craintes alléguées du demandeur — Cette décision était amplement justifiée, transparente, intelligible et étayée par les éléments de preuve — Quant au rapport de police, étant donné tous les doutes raisonnables que la SPR a soulevés quant à la crédibilité du témoignage du demandeur, il lui était raisonnablement loisible de refuser d’accorder un poids quelconque au rapport — Pour ce qui est de l’avis, il ressortait nettement du dossier que le demandeur a été amplement informé des doutes que la SPR avait à propos du rapport de police, et qu’il a eu tout le loisir de dissiper ces doutes — Par conséquent, la SPR n’a pas commis d’erreur en omettant d’aviser le demandeur de ses doutes — Demande rejetée.
Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant la demande d’asile du demandeur pour deux motifs principaux indépendants — Le défendeur a affirmé qu’étant donné que le demandeur avait été renvoyé du Canada, la SPR n’avait plus compétence pour réexaminer sa demande; que la demande ne soulevait plus de « litige actuel » et qu’elle était donc théorique — Il s’agissait de déterminer si la SPR avait compétence pour réexaminer la demande de protection du demandeur et si cette demande était théorique — En ce qui concerne la question du caractère théorique, lors du contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par la SPR au titre de l’art. 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi n’exige pas expressément que le demandeur d’asile se trouve encore au Canada au moment du réexamen — En l’absence d’énoncé clair dans la Loi à l’effet du contraire, la thèse du défendeur selon laquelle la SPR n’a pas compétence pour réexaminer une demande au titre de l’art. 96 quand le demandeur a déjà été renvoyé du Canada en bonne et due forme, même si la Cour a déterminé que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande, a été rejetée — La SPR a bel et bien compétence pour réexaminer une décision présentée initialement au titre de l’art. 96 et conformément à l’art. 99(3) dans de telles circonstances, pourvu que le demandeur se trouve à l’extérieur de tout pays dont il a la nationalité — Il continuait donc d’y avoir un « litige actuel » entourant la demande dans ces circonstances et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la décision initiale rendue par la SPR n’était pas théorique.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant la demande d’asile du demandeur pour deux motifs principaux indépendants. La SPR a d’abord conclu que le demandeur était retourné de son plein gré dans son pays d’origine, le Salvador, plusieurs fois depuis qu’il avait déménagé au Canada avec son épouse en 2006. Elle a ensuite conclu à l’absence de minimum de fondement de la demande de protection du demandeur, notamment en ce qui concerne la tentative de meurtre dont il aurait été victime à la fin de son dernier voyage au Salvador. Le demandeur a soutenu que la SPR a commis une erreur, en particulier en concluant que sa demande de protection était irrecevable en raison de ses nombreux retours au Salvador; en concluant à l’absence de minimum de fondement de sa demande d’asile; en remettant en question l’authenticité d’un rapport de police sur la tentative de meurtre alléguée dont il avait été victime, sans l’aviser des doutes qu’elle avait à cet égard; et en jugeant invraisemblable l’allégation selon laquelle un autre politicien au Salvador voulait le tuer. Le défendeur a affirmé qu’étant donné que le demandeur avait été renvoyé du Canada, la SPR n’avait plus compétence pour réexaminer sa demande, que la demande ne soulevait plus de « litige actuel » et qu’elle était donc théorique.
Le demandeur a été élu dirigeant d’un parti politique (Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN)) dans sa ville natale et a plus tard été élu dirigeant de ce parti pour sa province. Il a par la suite été élu à l’Assemblée législative nationale du Salvador à deux reprises consécutives. Il s’est lancé dans un différend public concernant le parti et a ensuite quitté ce dernier pour aider à former un parti politique rival. Le demandeur a apparemment décidé de quitter la politique après avoir été mis au courant de plans concernant son assassinat. Il s’est organisé pour que sa femme et leurs enfants partent au Canada au moyen de visas consulaires, puis il est venu les rejoindre peu après. De 2006 à 2013, le demandeur est retourné au Salvador sept fois, pour diverses raisons alléguées. Durant sa dernière visite dans son pays natal, il a affirmé avoir été victime d’un incident ayant mis sa vie en danger et avoir déposé une plainte auprès de la police. Après avoir présenté sans succès une requête pour surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi, le demandeur a été renvoyé au Salvador en juillet 2014. Le demandeur a quitté le Salvador pour se rendre au Nicaragua.
Il s’agissait de déterminer si la SPR avait compétence pour réexaminer la demande de protection du demandeur; si cette demande était théorique; si la SPR a commis une erreur en concluant que la demande de protection du demandeur était irrecevable en raison de ses nombreux retours au Salvador; si la SPR a commis une erreur en concluant à l’absence de minimum de fondement de sa demande d’asile; et si la SPR a commis une erreur en remettant en question l’authenticité d’un rapport de police sur la tentative de meurtre alléguée dont il avait été victime, sans l’aviser des doutes qu’elle avait à cet égard.
Jugement : la demande doit être rejetée.
En ce qui concerne la question du caractère théorique, lors du contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par la SPR au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi n’exige pas expressément que le demandeur d’asile se trouve encore au Canada au moment du réexamen. En l’absence d’énoncé clair dans la Loi à l’effet du contraire, la thèse du défendeur selon laquelle la SPR n’a pas compétence pour réexaminer une demande au titre de l’article 96 quand le demandeur a déjà été renvoyé du Canada en bonne et due forme, même si la Cour a déterminé que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande, a été rejetée. La SPR a bel et bien compétence pour réexaminer une décision présentée initialement au titre de l’article 96 et conformément au paragraphe 99(3) (demandes d’asile faites au Canada) dans de telles circonstances, pourvu que le demandeur se trouve à l’extérieur de tout pays dont il a la nationalité. Contrairement à ce qu’a affirmé le défendeur, il continue d’y avoir un « litige actuel » entourant la demande dans ces circonstances et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la décision initiale rendue par la SPR n’était pas théorique. Le fait qu’une mesure de renvoi prenne effet après une décision défavorable rendue par la SPR et à l’expiration du délai prévu au paragraphe 110(2.1) de la Loi si un appel devant la SPR n’est pas formé ou s’il ne peut l’être ne signifie pas nécessairement que le législateur avait l’intention d’empêcher la SPR d’entendre une demande qui lui est renvoyée pour nouvelle décision après l’exécution de la mesure de renvoi du Canada à l’encontre du demandeur.
En ce qui a trait à la conclusion de la SPR selon laquelle la demande de protection du demandeur était irrecevable en raison de ses nombreux retours au Salvador, la SPR a examiné chacun des motifs pour lesquels le demandeur était retourné au Salvador et a conclu qu’il avait chaque fois agi de son plein gré. Elle a par la suite conclu que selon l’alinéa 108(1)a) de la Loi, pour ce seul motif, sa conclusion sur cette question était déterminante pour la demande d’asile du demandeur. Étant donné la nature des raisons données par le demandeur pour expliquer ses sept retours dans son pays d’origine, notamment pour obtenir les dossiers scolaires de ses enfants, disposer de ses biens, etc., la conclusion de la SPR était raisonnable. En outre, la SPR aurait pu commettre une erreur en appliquant l’alinéa 108(1)a) aux faits de l’espèce si elle avait accepté qu’une tentative de meurtre eût été perpétrée contre le demandeur ou si elle avait rejeté de manière déraisonnable cette allégation. Toutefois, la SPR a conclu de manière raisonnable que le demandeur n’avait pas établi que la tentative de meurtre alléguée s’était bel et bien produite. Quant au rapport de police, la SPR n’y a pas accordé d’importance, car il ne mentionnait pas les responsables de l’attaque alléguée. À la lumière des faits particuliers de l’espèce, il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que le demandeur n’avait pas établi que la tentative de meurtre alléguée s’était produite.
En ce qui concerne la conclusion de la SPR visant l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile du demandeur, selon la décision rendue par la SPR et le dossier présenté, il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure à l’absence de minimum de fondement des craintes alléguées du demandeur. Cette décision était amplement justifiée, transparente, intelligible et étayée par les éléments de preuve qui avaient été présentés à la SPR. Elle appartenait aussi aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». C’était particulièrement vrai étant donné que, en plus de n’avoir présenté aucun élément pour corroborer ses craintes alléguées, le demandeur n’a pas été en mesure de fournir d’élément de preuve portant sur des personnes dans la même situation que lui à qui on aurait fait du mal ou qui auraient autrement été prises pour cible de la façon dont il craignait d’être traité, bien qu’il ait été invité à le faire pendant l’audience de la SPR.
Quant au rapport de police, c’était le contenu du rapport qui préoccupait la SPR, plutôt que son authenticité. Étant donné tous les doutes raisonnables que la SPR avait soulevés quant à la crédibilité du témoignage du demandeur, il lui était raisonnablement loisible de refuser d’accorder un poids quelconque au rapport de police. Pour ce qui est de l’avis, il ressort nettement du dossier que le demandeur a été amplement informé des doutes que la SPR avait à propos du rapport de police et de la tentative de meurtre alléguée, et qu’il a eu tout le loisir de dissiper ces doutes. Par conséquent, la SPR n’a pas commis d’erreur en omettant d’aviser le demandeur de ses doutes concernant l’authenticité du rapport de police sur la tentative de meurtre qui aurait eu lieu.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(2), partie 1 (art. 10.1 à 94), 48(1),(2), 49, 72(1)e), 74d), 96, 97, 99, 100, 107, 108(1), 110(2),(2.1), 112.
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, SOR/2002-227, art. 70(2)c), 144, 145, 146, 147.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.
décisions différenciées :
Solis Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 171, confirmant 2008 CF 663; Sogi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 108.
décisions examinées :
Escobar Rosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-3860-14, le juge Russell, ordonnance en date du 16 juillet 2014, non publiée; Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 28, [2012] 2 R.C.F. 133; Magusic c. Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-7124-13, le juge Manson, ordonnance en date du 22 juillet 2014, non publiée; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.); Felipa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 272, [2012] 1 R.C.F. 3.
décisions citées :
Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, [2003] 1 C.F. 331; Lakatos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 971; Mekuria c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 304; Villalobo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 773; Freitas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 432 (1re inst.); Thamotharampillai c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 756; Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] 4 R.C.F. 387; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290; Tobar Toledo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 226, [2015] 1 R.C.F. 215; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Procureur général), 2000 CanLII 16526 (C.A.F.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Edwards, 2005 CAF 176; Horne c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 55; Khokhar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 66; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huntley, 2011 CAF 273, [2012] 3 R.C.F. 118; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Savin, 2014 CAF 160; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lazareva, 2005 CAF 181; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Gurusamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 990.
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant la demande d’asile du demandeur pour deux motifs principaux indépendants. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Craig Costantino pour le demandeur.
Cheryl D. Mitchell pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Elgin, Cannon & Associates, Vancouver, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge en chef Crampton : La demande d’asile de M. Escobar Rosa a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour deux motifs principaux indépendants. La SPR a d’abord conclu que M. Escobar Rosa était retourné de son plein gré au Salvador plusieurs fois depuis qu’il avait déménagé au Canada avec son épouse en 2006. La SPR a ensuite conclu à l’absence de minimum de fondement de la demande de protection de M. Escobar Rosa, notamment en ce qui concerne la tentative de meurtre dont il aurait été victime à la fin de son dernier voyage au Salvador.
[2] M. Escobar Rosa soutient que la SPR a commis une erreur dans sa décision :
a. en concluant que sa demande d’asile était irrecevable en raison de ses nombreux retours au Salvador;
b. en concluant à l’absence de minimum de fondement de sa demande d’asile;
c. en remettant en question l’authenticité d’un rapport de police sur la tentative de meurtre alléguée dont il avait été victime, sans l’aviser des doutes qu’elle avait à cet égard;
d. en concluant qu’il n’avait pas été victime d’une tentative de meurtre;
e. en jugeant invraisemblable l’allégation selon laquelle un autre politicien au Salvador voulait le tuer.
[3] Étant donné que M. Escobar Rosa a été renvoyé du Canada en juillet de cette année [2014], le défendeur affirme que la SPR n’a plus compétence pour réexaminer sa demande. Pour ce motif, le défendeur avance que la présente demande ne soulève plus de « litige actuel » et qu’elle est donc théorique.
[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que i) la SPR a compétence pour réexaminer la demande de protection de M. Escobar Rosa, ii) cette demande n’est pas théorique, et iii) cette demande doit néanmoins être rejetée sur le fond.
[5] Le défendeur a demandé des directives sur la manière dont cette question de compétence et de caractère théorique devrait être présentée, du point de vue procédural, à la Cour dans des circonstances semblables à l’avenir. Étant donné la nature très particulière de ces circonstances et du régime législatif pertinent, le défendeur est invité à l’avenir à soumettre cette question à la Cour au moyen d’une requête en rejet.
I. Contexte factuel
[6] M. Escobar Rosa est citoyen du Salvador. Il a été élu dirigeant du Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN) dans sa ville natale, El Divisadero, au milieu des années 1990. Deux ans plus tard, il a été élu dirigeant du FMLN pour la province de Morazan. Il a par la suite été élu à l’assemblée législative nationale du Salvador en 2000 et en 2003.
[7] À la fin de 2004, il s’est lancé dans un différend public concernant le défaut du FMLN de se pencher sur des allégations de corruption qu’il avait soulevées à propos du maire d’El Divisadero, M. Ruben Benitez Andrade (Benitez), qui, croyait-il, acceptait des pots-de-vin.
[8] Comme le FMLN ne prenait pas de mesures pour donner suite à ses allégations, M. Escobar Rosa a quitté le FMLN pour aider à former un parti politique rival en juin 2005.
[9] Il affirme avoir décidé de quitter la politique vers la fin de 2005 ou au début de 2006 après avoir été averti par un vieil ami, ayant de bonnes relations, que Benitez, toujours maire d’El Divisadero, planifiait son assassinat. Cet avertissement faisait suite au premier qu’il avait reçu autour de mars 2005. Il avait alors été informé par un ami qu’un membre d’une bande avait été abordé par quelqu’un qui était de mèche avec Benitez et qui avait offert de l’argent pour faire assassiner M. Escobar Rosa.
[10] Pour diverses raisons, M. Escobar Rosa affirme avoir pris plus au sérieux le deuxième avertissement concernant les plans qu’aurait échafaudés Benitez pour le faire assassiner. Premièrement, à ce moment-là, il avait quitté le FMLN et s’était fait nombre d’ennemis puissants, dont beaucoup avaient fait la guerre civile et le voyaient comme un traître. Deuxièmement, son mandat se terminait en juin 2006, après quoi il ne devait plus avoir de gardes du corps. Enfin, il craignait que Benitez, qui avait de bonnes relations avec l’élite dirigeante du FMLN, soit plus enclin à mettre ses plans à exécution quand lui-même, Escobar Rosa, n’occuperait plus de charge publique et se trouverait par conséquent dans une position plus vulnérable.
[11] Comme son deuxième mandat à l’assemblée législative devait se terminer dans les mois suivants, M. Escobar Rosa s’est organisé pour que sa femme décroche un poste au consulat du Salvador à Vancouver. Elle a obtenu un visa consulaire et est arrivée au Canada en juin 2006. Il est venu rejoindre sa femme avec leurs enfants environ un mois plus tard. Leurs derniers visas expiraient le 31 mai 2014.
[12] De 2006 à 2013, M. Escobar Rosa est retourné au Salvador sept fois. Il a fait ces voyages notamment pour les raisons suivantes : obtenir les dossiers scolaires et les dossiers de vaccination de ses enfants, disposer de ses biens et visiter son père, qui souffrait de problèmes pulmonaires.
[13] Durant sa dernière visite au Salvador en septembre 2013, M. Escobar Rosa affirme qu’il se rendait en voiture de San Miguel à El Divisadero avec son neveu lorsqu’une camionnette l’a dépassé sur la route. Il allègue que le véhicule a barré le chemin devant eux et qu’il a dû s’immobiliser. Lorsque deux hommes armés de fusils sont sortis du véhicule, il les a contournés en accélérant puis s’est enfui, pendant que les deux hommes tiraient sur lui et sur son neveu.
[14] Il est rentré au Canada immédiatement après avoir déposé une plainte auprès de la police le lendemain. Il a demandé l’asile en février de cette année-là, demande qui a été rejetée en avril. Il a été informé en juin qu’il serait renvoyé au Salvador. Après avoir présenté sans succès une requête devant le juge Russell pour obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, il a été renvoyé au Salvador le 21 juillet 2014. La Cour a accueilli la demande d’autorisation de contrôle judiciaire le 27 août 2014.
[15] Le 29 juillet 2014, M. Escobar Rosa a quitté le Salvador pour se rendre au Nicaragua, où il est resté en attendant l’issue de la présente demande.
II. Dispositions législatives pertinentes
[16] Aux termes de l’alinéa 96a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), a qualité de réfugié au sens de la Convention la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de l’un des cinq motifs énoncés, y compris ses opinions politiques, se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays.
[17] Aux termes du paragraphe 97(1), a qualité de personne à protéger la personne qui se trouve « au Canada » et qui serait exposée à un danger ou à un risque énoncé aux alinéas 97(1)a) ou b) par son renvoi dans le pays dont elle a la nationalité. Le paragraphe 112(1), qui permet de demander protection pour ces motifs, s’applique seulement à une « personne se trouvant au Canada ».
[18] Malgré ce qui précède, l’alinéa 108(1)a) précise qu’une demande d’asile est rejetée et que le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger s’il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité.
[19] Conformément au paragraphe 49(2), une ordonnance de renvoi est conditionnelle et prend effet à la plus tardive de certaines dates. Quand la demande de protection du demandeur est rejetée par la SPR, l’ordonnance prend effet « à l’expiration du délai visé au paragraphe 110(2.1) ou, en cas d’appel, quinze jours après la notification du rejet de sa demande par la Section d’appel des réfugiés [SAR] » (alinéa 49(2)c)).
[20] Le paragraphe 110(2.1) énonce simplement que l’appel devant la SAR doit être interjeté et mis en état dans les délais prévus par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement), dans sa version modifiée.
[21] Si la SPR estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, le paragraphe 107(2) exige que la SPR en fasse état dans les motifs de sa décision.
[22] Conformément à l’alinéa 110(2)c), la décision défavorable de la SPR n’est pas susceptible d’appel devant la SAR si la SPR invoque l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile ou déclare que la demande est manifestement infondée.
[23] Le libellé complet des dispositions susmentionnées est reproduit à l’annexe 1 des présents motifs.
III. Caractère théorique
[24] Le défendeur soutient que le régime de la LIPR et la jurisprudence appuient l’idée que la SPR n’a pas compétence pour réexaminer la demande de protection de M. Escobar Rosa. Pour cette raison, il affirme qu’il n’y a pas de « litige actuel » entre les parties à la présente demande et que la demande est par conséquent théorique. Je ne suis pas d’accord.
[25] Le critère général applicable au caractère théorique a été énoncé dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 (Borowski), à la page 353 :
La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire. La jurisprudence n’indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s’applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s’il s’applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d’entendre. Pour être précis, je considère qu’une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel ». Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s’il estime que les circonstances le justifient.
[26] En ce qui concerne lesdites circonstances, la Cour suprême du Canada a déterminé les trois principaux facteurs à prendre en considération, c’est-à-dire l’existence d’un débat contradictoire qui continue entre les parties, l’économie des ressources judiciaires et la question de savoir si le fait d’établir le bien-fondé d’une affaire peut être considéré comme un empiétement sur la fonction législative (Borowski, précité, aux pages 358 à 363).
[27] En ce qui concerne le régime de la LIPR, le défendeur souligne que, selon l’article 96, le demandeur d’asile doit se trouver à l’extérieur du pays à l’origine de sa crainte alléguée et que, selon l’article 97, le demandeur doit se trouver au Canada. Le défendeur affirme que M. Escobar Rosa ne répond à ni l’un ni l’autre de ces critères.
[28] M. Escobar Rosa concède que, selon la définition de l’article 97, a qualité de personne à protéger la personne qui se trouve « au Canada » et qui serait exposée, par son renvoi dans le pays dont elle a la nationalité, à un danger ou à un risque visé aux alinéas 97(1)a) ou b). Il en va de même pour le paragraphe 112(1), la disposition en vertu de laquelle les personnes peuvent demander protection, au sens de l’article 97. Il reconnaît également que, selon la jurisprudence, le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue au titre de ces dispositions devient théorique lorsque le demandeur est renvoyé du Canada (Solis Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 171 (Solis Perez), au paragraphe 5; Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133, au paragraphe 30). (Je souligne toutefois en passant que, dans le dernier cas, la C.A.F. a fait ensuite observer que la Cour pouvait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre une demande théorique de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue à l’issue d’une évaluation des risques avant renvoi (ERAR) au titre des articles 97 et 112 en se fondant sur les autres facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski, précité, et mentionnés au paragraphe 26 ci-dessus.)
[29] M. Escobar Rosa soutient néanmoins que sa demande de protection au titre de l’article 96 est encore recevable parce qu’il a présenté sa demande alors qu’il se trouvait au Canada et qu’il est actuellement à l’extérieur du Salvador. Sur ce dernier point, il a produit un affidavit souscrit par son fils peu après que le défendeur eut déposé son mémoire des arguments supplémentaire dans la présente instance. Dans cet affidavit, non contesté par le défendeur, le fils déclare entre autres choses que son père a quitté le Salvador pour se rendre au Nicaragua environ une semaine après avoir été renvoyé au Salvador par les autorités canadiennes, et qu’il demeure au Nicaragua depuis ce temps. Cette déclaration semble être confirmée par une copie du passeport de M. Escobar Rosa jointe à l’affidavit de son fils. Étant donné que cet affidavit a été produit pour appuyer la thèse de M. Escobar Rosa selon laquelle la SPR a compétence pour réexaminer sa demande et que, par conséquent, sa demande de contrôle judiciaire n’est pas théorique, il est recevable en l’espèce (Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, [2003] 1 C.F. 331, au paragraphe 30).
[30] Malgré le fait que M. Escobar Rosa soit au Nicaragua et qu’il se trouve donc à l’extérieur du pays dont il a la nationalité, le défendeur soutient que le fondement sur lequel la SPR pouvait examiner la demande au titre de l’article 96 a été éliminé, parce que les articles 99 et 100, lesquels régissent le renvoi des demandes à la SPR, exigent que de telles demandes soient présentées par des personnes se trouvant au Canada. À cet égard, le défendeur souligne que les paragraphes 99(2) et 99(3) établissent une distinction claire entre la façon de traiter les demandes faites respectivement à l’étranger et au Canada. Lorsqu’une personne se trouve au Canada, le paragraphe 99(3) précise que la demande d’asile se fait à l’agent au Canada, qui détermine ensuite si la demande est recevable et peut être déférée à la SPR, conformément au paragraphe 100(1). Par contre, lorsque la personne se trouve à l’étranger, le paragraphe 99(2) précise que la demande d’asile se fait par une demande de visa présentée à un agent des visas à l’extérieur du Canada, et que la demande est alors régie par la partie 1 [articles 10.1 à 94] de la LIPR, qui traite de l’immigration au Canada.
[31] Le défendeur ajoute que, aux termes du paragraphe 49(2) de la LIPR, lequel régit la prise d’effet des mesures de renvoi, la décision au titre des articles 96 et 97 est rendue par la SPR avant que le demandeur ne soit renvoyé du Canada. Plus précisément, le législateur a prévu que la SPR rende ses décisions pendant que les demandeurs d’asile sont encore au Canada parce que, en cas de rejet des demandes par la SPR, les mesures de renvoi prennent effet à l’expiration du délai d’appel ou, en cas d’appel, 15 jours après la notification du rejet de la demande par la SPR.
[32] À l’appui des observations susmentionnées sur le régime de la LIPR, le défendeur se fonde sur l’arrêt Solis Perez, précité, et sur certaines décisions dans lesquelles cet arrêt a été invoqué (Lakatos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 971, aux paragraphes 4 à 6; Mekuria c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 304, au paragraphe 15; et Villalobo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 773, aux paragraphes 17 à 19).
[33] Dans l’arrêt Solis Perez, la C.A.F. s’est exprimée ainsi [au paragraphe 5] :
Nous sommes d’avis que la demande de contrôle judiciaire est théorique, et, plus particulièrement, nous souscrivons aux propos suivants tenus par le juge Martineau au paragraphe 25 de ses motifs :
[...] le législateur voulait que la demande d’ERAR soit jugée avant que la personne demandant l’ERAR soit renvoyée du Canada, dans le but d’éviter de la placer à risque dans son pays d’origine. Ainsi, si la personne demandant un ERAR est renvoyée du Canada, avant qu’une décision n’ait été prise sur les risques auxquels elle ferait face dans son pays d’origine, l’objectif visé par le régime ERAR ne peut plus être atteint, ce qui explique pourquoi l’article 112 de la Loi précise qu’un demandeur de protection est une « personne se trouvant au Canada ».
Suivant la même logique, le contrôle judiciaire de la décision défavorable d’un agent d’ERAR rendue après que la personne en cause a été renvoyée du Canada est sans objet. [Non souligné dans l’original.]
[34] À mon avis, un important facteur tant de l’arrêt de la C.A.F. que de la décision rendue par le juge Martineau en première instance (Solis Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 663), c’est que l’article 112 précise qu’un demandeur de protection est une « personne se trouvant au Canada ». Il en va de même pour la décision Sogi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 108, au paragraphe 31, où le juge Noël a déclaré ceci : « [S]i la personne demandant un ERAR est renvoyée du Canada, avant qu’une détermination ne soit faite sur les risques auxquels elle ferait face dans son pays d’origine, l’objectif visé par le régime ERAR ne peut plus être atteint. Il s’agit de la raison pour laquelle l’article 112 de la LIPR précise qu’un demandeur de protection est une “ personne se trouvant au Canada ” ». Ces affaires, comme celles qui sont citées au paragraphe 32 ci-dessus, étaient toutes des contrôles judiciaires de décisions rendues par un agent d’ERAR au titre des articles 97 et 112 de la LIPR.
[35] Lors du contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue à l’issue d’un ERAR, il serait peu utile de renvoyer l’affaire à un autre agent d’ERAR pour nouvelle décision parce que le demandeur ne se trouverait plus « au Canada », comme l’exigent ces dispositions. Dans ce contexte, il devient vite apparent que le contrôle judiciaire serait sans objet (Solis Perez, précité).
[36] Ce n’est toutefois pas le cas du contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue par la SPR au titre de l’article 96. L’article 96 n’exige pas expressément que le demandeur d’asile se trouve encore au Canada au moment du réexamen. En l’absence d’énoncé clair dans la LIPR à l’effet du contraire, je rejette la thèse du défendeur selon laquelle la SPR n’a pas compétence pour réexaminer une demande au titre de l’article 96 quand le demandeur a déjà été renvoyé du Canada en bonne et due forme, même si la Cour détermine que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande. En effet, certains précédents de la Cour indiquent le contraire (Freitas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 432, au paragraphe 29; Magusic c. Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-7124-13, le juge Manson, ordonnance en date du 22 juillet 2014 (non publiée) (Magusic), aux paragraphes 10 et 11; voir également Thamotharampillai c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 756, au paragraphe 16).
[37] À mon avis, la SPR a bel et bien compétence pour réexaminer une décision présentée initialement au titre de l’article 96 et conformément au paragraphe 99(3) dans de telles circonstances, pourvu que le demandeur se trouve à l’extérieur de tout pays dont il a la nationalité. Contrairement à ce qu’affirme le défendeur, il continue d’y avoir un « litige actuel » entourant la demande dans ces circonstances et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la décision initiale rendue par la SPR n’est pas théorique.
[38] Selon la thèse adoptée par le défendeur, toute possibilité de réparation serait écartée pour les demandeurs d’asile légitimes qui ont été renvoyés du Canada après une décision défavorable de la SPR qui était déraisonnable ou autrement entachée d’un vice fatal. À mon avis, une telle issue serait incompatible avec certains des objets énoncés au paragraphe 3(2) de la LIPR, dont les suivants :
• faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d’une procédure équitable (alinéa 3(2)c));
• offrir l’asile à ceux qui sont en mesure de démontrer qu’ils ont la qualité de réfugié au sens de la Convention, aux termes de l’article 96 (alinéa 3(2)d));
• mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain (alinéa 3(2)e)).
[39] Le fait qu’une mesure de renvoi prenne effet après une décision défavorable rendue par la SPR et à l’expiration du délai prévu au paragraphe 110(2.1) si un appel devant la SAR n’est pas formé ou s’il ne peut l’être ne signifie pas nécessairement que le législateur avait l’intention d’empêcher la SPR d’entendre une demande qui lui est renvoyée pour nouvelle décision après l’exécution de la mesure de renvoi du Canada à l’encontre du demandeur. La même chose s’applique au fait que, aux termes du paragraphe 48(2), les personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire doivent immédiatement quitter le Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible. Ces dispositions supposent notamment que la SPR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en rendant la décision qui a rendu exécutoire la mesure de renvoi conditionnelle.
[40] Étant donné mes conclusions selon lesquelles la SPR a compétence pour réexaminer la demande d’asile présentée par M. Escobar Rosa au titre de l’article 96 et du paragraphe 99(3) et que, par conséquent, il continue d’y avoir un « litige actuel » entre les parties, la Cour n’aura pas besoin de procéder à la deuxième étape de l’analyse exposée dans l’arrêt Borowski, précité. Néanmoins, j’estime qu’il convient d’examiner brièvement une des observations présentées à cet égard par le défendeur.
[41] Se fondant sur les décisions Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] 4 R.C.F. 387, au paragraphe 48, et Thamotharampillai, précitée, aux paragraphes 20 à 22, rendues par la Cour, le défendeur soutient que, si j’avais décidé que la demande était théorique, il n’aurait pas été approprié pour moi d’exercer mon pouvoir discrétionnaire et d’entendre la demande sur le fond, parce que ce faisant, la Cour aurait empiété sur la fonction législative du législateur. À cet égard, le défendeur soutient qu’annuler la décision de la SPR et renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision équivaudrait essentiellement à établir un nouveau mécanisme permettant aux personnes de demander l’asile à l’extérieur du Canada. Selon le point de vue du défendeur, on peut tenir pour acquis que le législateur a déjà traité la question en établissant la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et la catégorie de personnes de pays d’accueil dans le Règlement (alinéa 70(2)c) et articles 144 à 147). Par conséquent, le défendeur soutient que la Cour devrait se garder d’étendre la protection des réfugiés offerte aux personnes à l’extérieur du Canada aux demandeurs qui n’appartiennent pas à ces catégories.
[42] À mon avis, cet argument ne tient pas compte du fait que les personnes se trouvant dans la situation de M. Escobar Rosa ont présenté leur demande, conformément au paragraphe 99(3), alors qu’elles se trouvaient au Canada. Si une telle personne est capable de démontrer que la SPR a commis une erreur dans sa décision, elle a droit à ce que la même demande soit entendue par un tribunal différemment constitué de la SPR, pourvu qu’elle se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité, ou, si elle n’a pas de nationalité, hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, comme l’exigent les alinéas 96a) et b), respectivement.
[43] En passant, j’ouvre ici une parenthèse. Si j’avais eu à passer à la deuxième étape du cadre établi dans l’arrêt Borowski, précité, j’aurais conclu que le fait que la Cour ait rejeté la requête en sursis de M. Escobar Rosa, après avoir déterminé que la requête ne soulevait aucune question grave à trancher, pesait en faveur du rejet du présent contrôle judiciaire sur le fond (Thamotharampillai, précitée, au paragraphe 19).
[44] De même, le refus de la Cour d’accorder un sursis, après avoir conclu qu’aucune question grave à trancher n’avait été soulevée, incitera fortement la Cour en général à rejeter la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision à l’origine de la requête en sursis. C’est parce que dans de telles circonstances, il s’ensuit habituellement qu’il n’y a pas de cause plaidable (Figurado, précitée, aux paragraphes 45 et 49).
[45] Le défendeur a présenté ses observations sur la compétence et le caractère théorique au début de l’audience concernant la présente demande. Je note que, dans une autre affaire récente qui portait sur une situation factuelle similaire (Magusic, précitée), le défendeur avait soulevé ces questions par écrit par voie de requête préliminaire en rejet de la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la SPR. Ladite requête a été rejetée. Le défendeur a demandé des directives sur la procédure à suivre pour soulever ces questions à l’avenir, dans les affaires où le demandeur d’asile aura été renvoyé du Canada.
[46] Ma réponse à cette demande est influencée par mon opinion selon laquelle la Cour d’appel fédérale (C.A.F.) devra peut-être un jour ou l’autre se pencher sur la question de la compétence soulevée par le défendeur. Cette situation se produira plus particulièrement si le renvoi d’un demandeur d’asile du Canada peu de temps après le prononcé d’une décision défavorable par la SPR finit par arriver plus souvent et que des incohérences dans la jurisprudence de la Cour commencent à ressortir. (Dans la présente instance, aucun élément de preuve n’a été produit sur la fréquence de ces renvois.)
[47] Toutefois, il faudra peut-être du temps avant que la Cour ne soit saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la SPR soulevant une question en litige qui permettrait de trancher l’appel (Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, au paragraphe 28; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290, aux paragraphes 9 à 12; Tobar Toledo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 226, [2015] 1 R.C.F. 215, au paragraphe 27). La raison est la suivante : lorsque les questions de la compétence et du caractère théorique sont soulevées dans ce contexte, ce sera avec d’autres questions soulevées par les parties. Si la C.A.F. devait rejeter les observations à l’égard de la compétence et du caractère théorique, les arguments soulevés quant au fond de la décision de la SPR devraient quand même être examinés.
[48] Voilà pourquoi une requête en rejet constituerait une façon plus efficiente de saisir la C.A.F. des questions de la compétence et du caractère théorique, après le prononcé d’une décision initiale rendue par la Cour.
[49] La contestation d’une demande de contrôle judiciaire doit normalement être entendue en même temps que la demande elle-même, mais ce principe admet quelques exceptions (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.) (David Bull), à la page 600; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, aux paragraphes 47 et 48; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Procureur général), 2000 CanLII 16526 (C.A.F.), aux paragraphes 9 et 10). De même, si le régime prévu aux alinéas 72(1)e) et 74d) de la LIPR empêche généralement la formation d’un appel à l’encontre d’une décision interlocutoire de la Cour consécutive à une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue en application de cette loi, il y a là encore des exceptions (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Edwards, 2005 CAF 176, aux paragraphes 10 et 11; Horne c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 55, au paragraphe 8); Khokhar c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 66, aux paragraphes 8 à 12; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huntley, 2011 CAF 273, [2012] 3 R.C.F. 118, au paragraphe 7). Les exceptions comprennent les décisions interlocutoires qui constituent un « acte judiciaire distinct et divisible » de l’appréciation, selon la norme de contrôle raisonnable, du bien-fondé d’une décision rendue en vertu de la LIPR (Felipa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 272, [2012] 1 R.C.F. 3 (Felipa), aux paragraphes 10 à 12). Les exceptions comprennent également les décisions dans lesquelles une question est certifiée (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Savin, 2014 CAF 160, aux paragraphes 12 et 13; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lazareva, 2005 CAF 181, au paragraphe 9).
[50] À mon avis, une décision interlocutoire sur la question de savoir si la SPR a compétence pour réexaminer une décision quand le demandeur d’asile a déjà été renvoyé du Canada est le type d’acte judiciaire distinct et divisible envisagé dans l’arrêt Felipa, précité, et dans les décisions citées dans cet arrêt. Je conclus qu’il s’agit aussi du type d’exception qu’envisageait l’arrêt David Bull, précité.
IV. Norme de contrôle
[51] À l’exception de la question d’équité procédurale soulevée par M. Escobar Rosa relativement au défaut de la SPR de l’informer qu’elle doutait de l’authenticité du rapport de police, les autres questions qu’il a soulevées (exposées au paragraphe 2 ci-dessus) constituent toutes des questions de fait, ou des questions mixtes de fait et de droit. Ces questions sont donc susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), aux paragraphes 51 à 53.
[52] La question d’équité procédurale qui a été soulevée est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 79 et 87; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).
V. Analyse
A. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demande d’asile du demandeur était irrecevable en raison de ses nombreux retours au Salvador?
[53] Dans sa décision, la SPR a examiné chacune des raisons pour lesquelles M. Escobar Rosa était retourné au Salvador et a conclu qu’il avait chaque fois agi de son plein gré. La SPR a estimé que rien de ce qu’il avait fait pendant son séjour au Salvador n’aurait pu être fait « par courrier ou par téléphone ou en demandant à des membres de [sa] famille de [lui] apporter l’aide dont [il avait] besoin ». La SPR a ajouté que « rien n’était urgent au point de l’emporter sur [sa] liberté de choisir de retourner dans [son] pays ».
[54] Selon l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, la SPR a ensuite déterminé que, pour ce seul motif, sa conclusion sur cette question était déterminante pour la demande d’asile de M. Escobar Rosa.
[55] Étant donné la nature des raisons données par M. Escobar Rosa pour expliquer ses sept retours au Salvador (à savoir obtenir les dossiers scolaires et les dossiers de vaccination de ses enfants, disposer de ses biens et visiter son père, qui souffrait de problèmes pulmonaires), j’estime que la conclusion tirée par la SPR sur ce point était raisonnable.
[56] M. Escobar Rosa allègue que la SPR a commis une erreur dans sa conclusion sur ce point parce qu’il a demandé l’asile immédiatement après la tentative de meurtre dont il avait été victime le 25 septembre 2013 et qu’il n’est pas retourné au Salvador entre le moment où il a fait sa demande et l’exécution de la mesure de renvoi en juillet de cette année.
[57] Je reconnais que la SPR aurait pu commettre une erreur en appliquant l’alinéa 108(1)a) aux faits de l’espèce si elle avait accepté qu’une tentative de meurtre avait été perpétrée contre le demandeur par les agents de M. Benitez, ou si elle avait rejeté de manière déraisonnable cette allégation (Gurusamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 990, au paragraphe 40).
[58] Toutefois, j’estime que la SPR a conclu de manière raisonnable que M. Escobar Rosa n’avait pas établi que la tentative de meurtre alléguée du 15 septembre 2013 s’était bel et bien produite.
[59] Après avoir formulé plusieurs réserves raisonnables sur la crédibilité du récit de M. Escobar Rosa, il était loisible à la SPR d’exiger une corroboration convaincante des allégations concernant la supposée tentative de meurtre. Toutefois, le seul élément corroborant qu’il a produit était un rapport de police qui reprenait simplement ce qu’il avait déclaré aux policiers.
[60] La SPR a noté que des éléments corroborants additionnels auraient pu être fournis, par exemple le témoignage du neveu de M. Escobar Rosa, censé avoir été témoin oculaire de l’attaque alléguée, ou encore des photos des trous de balle dans son véhicule. La SPR a également fait observer que le rapport de police ne mentionnait pas les responsables de l’attaque alléguée, même si M. Escobar Rosa avait « des idées bien arrêtées sur l’identité possible des responsables de l’attaque ». Étant donné ce qui précède, la SPR a décidé de ne pas accorder de poids au rapport de police.
[61] À la lumière des faits particuliers de l’espèce, j’estime qu’il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que M. Escobar Rosa n’avait pas établi que la tentative de meurtre alléguée s’était produite. À mon avis, cette conclusion appartenait bien « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).
[62] Ayant raisonnablement tiré cette conclusion, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de rejeter la demande de protection de M. Escobar Rosa au motif qu’il était retourné de son plein gré au Salvador à de nombreuses occasions. N’eût été la question d’équité procédurale soulevée par M. Escobar Rosa, cette conclusion aurait constitué à elle seule un fondement suffisant pour rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
B. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile du demandeur?
[63] M. Escobar Rosa soutient que la conclusion d’absence de minimum de fondement de sa demande d’asile au titre des articles 96 et 97 de la LIPR était déraisonnable, [traduction] « même s’il avait été légitime de remettre en question l’authenticité du rapport de police, ou même s’il avait été raisonnable de conclure qu’aucune tentative de meurtre n’avait été commise le 15 septembre 2013 », deux propositions qu’il rejette catégoriquement.
[64] M. Escobar Rosa appuie sa thèse sur ce point en déclarant que des éléments de preuve objectifs étayaient certains aspects de son récit, notamment les faits suivants :
• Il était un politicien réputé pour son intégrité et son service public qui avait publiquement dénoncé non seulement Benitez, mais aussi la direction du FLMN, et qui avait joué un rôle prépondérant dans la démission massive de membres du FMLN;
• Des câblogrammes de Wikileaks le décrivaient comme un membre de l’aile modérée du FMLN, purgée en 2006 par l’avant-garde de gauche radicale du parti;
• Ceux qu’il avait critiqués publiquement avaient renforcé leur pouvoir et leur influence au Salvador, y compris M. Benitez, qui demeurait maire d’El Divisadero.
[65] Pour arrêter sa décision, la SPR a explicitement retenu que M. Escobar Rosa avait été politicien au Salvador, qu’il avait eu des différends de nature politique avec d’autres politiciens dans ce pays et qu’il pouvait avoir signalé des problèmes de corruption mettant en cause ces politiciens. À cet égard, la SPR a fait observer que les politiciens faisaient ce type d’allégations dans de nombreuses parties du monde, y compris au Canada, et qu’il ne s’agissait pas en soi d’un élément de preuve à l’appui d’une décision favorable à l’égard de ses demandes au titre des articles 96 et 97 de la LIPR. À mon avis, ces observations étaient totalement raisonnables.
[66] La SPR a également noté que, selon son témoignage, M. Escobar Rosa avait d’abord quitté le Salvador en 2006 parce qu’il craignait que M. Benitez ne le fasse tuer. L’examen de la transcription de l’audience tenue devant la SPR révèle que M. Escobar Rosa a dit craindre également que d’autres membres haut placés du FLMN avec lesquels il avait eu des difficultés ne veuillent le tuer (dossier certifié du tribunal (DCT), aux pages 4, 5, 329 et 330). M. Escobar Rosa avait exprimé une crainte similaire dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, dans lequel il avait déclaré qu’il craignait [traduction] « non seulement Ruben Benitez personnellement, mais aussi ceux avec qui il était associé, y compris les membres de l’ENEPASA et l’élite dirigeante du FMLN ». Il a décrit l’ENEPASA [International Energy Association for El Salvador] comme une organisation ayant des liens avec le régime Chavez au Venezuela.
[67] Vers la fin de l’audience, la SPR a indiqué que la question de preuve, à ce stade-là, consistait à savoir si des personnes voulaient tuer le demandeur en raison de ses opinions politiques (DCT, à la page 330).
[68] La SPR a conclu à l’absence de minimum de fondement des craintes alléguées de M. Escobar Rosa pour plusieurs raisons, dont les suivantes :
• Il fréquentait les lieux publics et avait annoncé publiquement sa présence alors qu’il se trouvait sur le territoire de M. Benitez, à l’occasion d’une entrevue donnée à une station de radio locale;
• Même s’il avait déclaré qu’il avait commencé à craindre pour sa vie au début de 2006, qu’il croyait que la police ne pouvait pas l’aider et que rien ne l’empêchait de partir, il avait choisi de ne pas quitter son pays avant juin 2006;
• Si la menace pour sa vie était suffisamment grave pour l’obliger à quitter le pays, le simple fait de disposer de deux gardes n’aurait pas atténué ce risque dans son esprit, alors que l’option de quitter simplement le pays s’offrait à lui;
• Il est arrivé au Canada en 2006, mais a présenté sa demande d’asile en mars 2014 seulement, même si sa sœur vivant au Canada, qui s’y connaissait en matière d’immigration au Canada (selon le témoignage du demandeur), lui avait conseillé de demander l’asile plus tôt;
• Même s’il est rentré au Canada après avoir été victime d’une tentative de meurtre alléguée en septembre 2013, il a attendu six mois avant de demander l’asile;
• À part son témoignage et le rapport de police auquel la SPR n’a pas accordé de poids, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve indépendant indiquant que quelqu’un l’avait déjà menacé, en dépit du fait que son neveu avait apparemment été témoin oculaire de la tentative de meurtre alléguée commise en septembre 2013, et que « [d]es photos des trous de balle sur le véhicule auraient constitué des éléments de preuve matériels » nécessaires.
[69] En ce qui concerne le dernier point, M. Escobar Rosa a tenté de produire un affidavit souscrit par son fils, auquel était jointe la traduction d’une déclaration solennelle faite par le neveu de M. Escobar Rosa, qui corroborait avoir été témoin de la tentative de meurtre alléguée contre son oncle. Était également jointe à l’affidavit la copie traduite d’un document de police intitulé [traduction] « Album photo » désignant M. Escobar Rosa en tant que victime d’une tentative de meurtre et montrant trois photographies d’impact de balle sur le véhicule que conduisait M. Escobar Rosa le 15 septembre 2013. Cet élément de preuve n’est pas admissible dans la présente instance, parce qu’il n’avait pas été présenté à la SPR et qu’il a trait au bien-fondé de l’allégation de M. Escobar Rosa selon laquelle la conclusion d’absence de minimum de fondement tirée par la SPR était déraisonnable.
[70] D’après mon examen de la décision rendue par la SPR et du DCT, j’estime qu’il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure à l’absence de minimum de fondement des craintes alléguées de M. Escobar Rosa. Cette décision était amplement justifiée, transparente, intelligible et étayée par les éléments de preuve qui avaient été présentés à la SPR. Elle appartenait aussi aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). C’est particulièrement vrai étant donné que, en plus de n’avoir présenté aucun élément pour corroborer ses craintes alléguées, M. Escobar Rosa n’a pas été en mesure de fournir d’élément de preuve portant sur des personnes dans la même situation que lui à qui on aurait fait du mal ou qui auraient autrement été prises pour cible de la façon dont il craignait d’être traité, bien qu’il ait été invité à le faire pendant l’audience de la SPR (DCT, aux pages 324, 325, 339, 342 et 343).
[71] Comme le juge Russell l’a fait observer en tranchant la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada présentée par M. Escobar Rosa, [traduction] « la décision de la SPR est claire et raisonnable sur la question de savoir si le demandeur s’était réclamé à nouveau de la protection de son pays. À moins que l’incident des coups de feu ne puisse être établi, à mon avis, la conclusion selon laquelle le demandeur s’est réclamé à nouveau de la protection de son pays et la conclusion d’absence de minimum de fondement aux termes du paragraphe 107(2) sont inattaquables » (Escobar Rosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-3860-14, le juge Russell, ordonnance en date du 16 juillet 2014 (non publiée), au paragraphe 3).
C. La SPR a-t-elle commis une erreur en remettant en question l’authenticité d’un rapport de police sur l’attentat allégué dont le demandeur avait été victime, sans l’aviser des doutes qu’elle avait à cet égard?
[72] M. Escobar Rosa soutient que la SPR a commis une erreur en remettant en question l’authenticité du rapport de police et en omettant de l’aviser qu’elle avait des doutes sur le rapport et sur le fait que la tentative de meurtre alléguée s’était vraiment produite.
[73] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que c’était le contenu du rapport de police qui préoccupait la SPR, plutôt que son authenticité. La SPR l’a clairement exprimé lorsqu’elle a fait observer au demandeur que le rapport de police était « fondé sur les déclarations qu[’il aurait] faites à la police » et ne mentionnait pas « l’identité possible des responsables de l’attaque », parce qu’il avait choisi de ne pas divulguer cette information à la police. Étant donné tous les doutes raisonnables que la SPR avait soulevés quant à la crédibilité du témoignage de M. Escobar Rosa, il était raisonnablement loisible à la SPR de refuser d’accorder un poids quelconque au rapport de police.
[74] Pour ce qui est de l’avis, il ressort nettement de la transcription de l’audience devant la SPR que M. Escobar Rosa a été amplement informé des doutes que la SPR avait à propos du rapport de police et de la tentative de meurtre alléguée.
[75] Au début de l’audience, la SPR a indiqué que les questions déterminantes de la demande d’asile de M. Escobar Rosa étaient la crédibilité, la crainte subjective, et surtout le fait qu’il avait attendu avant de quitter le pays et de demander l’asile, la question de savoir s’il s’était réclamé à nouveau de la protection de son pays et le fondement objectif de sa crainte (DCT, à la page 305).
[76] La SPR a ensuite invité M. Escobar Rosa à expliquer pourquoi il n’avait pas produit de déclaration de son neveu ni de photographies des trous de balle dans son véhicule pour corroborer ses allégations concernant la tentative de meurtre dont il avait été victime en septembre 2013 (DCT, aux pages 322 et 323). La SPR lui a aussi demandé pourquoi il n’avait pas mentionné à la police qu’il avait une idée de l’identité possible des responsables de l’attaque (DCT, à la page 323.) Il était raisonnablement loisible à la SPR de rejeter l’explication donnée par M. Escobar Rosa, à savoir qu’il ne croyait pas que ces éléments de corroboration étaient nécessaires parce qu’il avait fourni une copie du rapport de police.
[77] Dans les observations qu’il a présentées à la fin de l’audience devant la SPR, le conseil de M. Escobar Rosa a explicitement abordé la question de savoir si la tentative de meurtre s’était vraiment produite (DCT, aux pages 341 et 344). Ce faisant, il a démontré qu’il comprenait que cette question avait été expressément soulevée. Le conseil s’est ensuite penché sur les autres problèmes de crédibilité qui avaient été soulevés (par exemple [DTC], aux pages 341, 345 et 347).
[78] D’après ce qui précède, et contrairement à ce qu’affirme M. Escobar Rosa, je conclus que la SPR n’a pas commis d’erreur en omettant d’aviser M. Escobar Rosa de ses doutes concernant l’authenticité du rapport de police sur la tentative de meurtre qui aurait eu lieu en septembre 2013. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, les doutes de la SPR portaient sur le contenu du rapport de police, et la SPR en a amplement avisé M. Escobar Rosa durant l’audience. Il avait alors tout le loisir de dissiper ces doutes.
D. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas été victime d’une tentative de meurtre?
[79] Cette erreur alléguée a été examinée à la partie V.A des présents motifs.
E. La SPR a-t-elle commis une erreur en jugeant invraisemblable l’allégation du demandeur selon laquelle un autre politicien au Salvador voulait le tuer?
[80] Étant donné les conclusions que j’ai tirées précédemment, je n’ai pas besoin d’examiner cette question.
VI. Conclusion
[81] Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande n’est pas théorique, mais sera néanmoins rejetée.
[82] À la fin de l’audience, le défendeur m’a demandé de certifier la question suivante :
La demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés est-elle théorique quand la personne visée par la décision a été renvoyée du Canada ou l’a quitté, et, dans l’affirmative, la Cour devrait-elle normalement refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande?
[83] L’avocat de M. Escobar Rosa a répliqué qu’il ne s’agissait pas d’une question grave, parce qu’elle avait déjà été tranchée dans la décision Freitas, précitée.
[84] Je préfère considérer que la question proposée par le défendeur ne doit pas être certifiée parce qu’elle ne permettrait pas de trancher l’appel. En effet, si la C.A.F. devait confirmer ma conclusion selon laquelle la demande n’est pas théorique, elle devrait alors examiner les arguments qui ont été soulevés quant au fond de la décision de la SPR.
[85] Je conclus que les faits particuliers de l’espèce ne soulèvent aucune autre question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La présente demande est rejetée.
2. Il n’y a pas de question à certifier.
ANNEXE 1
Dispositions législatives
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
3. […] |
|
(2) S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet : a) de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution; b) de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d’affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller; c) de faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d’une procédure équitable reflétant les idéaux humanitaires du Canada; d) d’offrir l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu’à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités; e) de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain; f) d’encourager l’autonomie et le bien-être socioéconomique des réfugiés en facilitant la réunification de leurs familles au Canada; g) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité; h) de promouvoir, à l’échelle internationale, la sécurité et la justice par l’interdiction du territoire aux personnes et demandeurs d’asile qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité. […] |
Objet relatif aux réfugiés |
48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis. |
Mesure de renvoi |
(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible. |
Conséquence |
49. (1) La mesure de renvoi non susceptible d’appel prend effet immédiatement; celle susceptible d’appel prend effet à l’expiration du délai d’appel, s’il n’est pas formé, ou quand est rendue la décision qui a pour résultat le maintien définitif de la mesure. |
Prise d’effet |
(2) Toutefois, celle visant le demandeur d’asile est conditionnelle et prend effet : a) sur constat d’irrecevabilité au seul titre de l’alinéa 101(1)e); b) sept jours après le constat, dans les autres cas d’irrecevabilité prévus au paragraphe 101(1); c) en cas de rejet de sa demande par la Section de la protection des réfugiés, à l’expiration du délai visé au paragraphe 110(2.1) ou, en cas d’appel, quinze jours après la notification du rejet de sa demande par la Section d’appel des réfugiés; d) quinze jours après la notification de la décision prononçant le désistement ou le retrait de sa demande; e) quinze jours après le classement de l’affaire au titre de l’avis visé aux alinéas 104(1)c) ou d). […] |
Cas du demandeur d’asile |
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays; b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. |
Définition de « réfugié » |
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture; b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. […] |
Personne à protéger |
99. (1) La demande d’asile peut être faite à l’étranger ou au Canada. |
Demande |
(2) Celle de la personne se trouvant hors du Canada se fait par une demande de visa comme réfugié ou de personne en situation semblable et est régie par la partie 1. |
Demande faite à l’étranger |
(3) Celle de la personne se trouvant au Canada se fait à l’agent et est régie par la présente partie; toutefois la personne visée par une mesure de renvoi n’est pas admise à la faire. |
Demande faite au Canada |
(3.1) La personne se trouvant au Canada et qui demande l’asile ailleurs qu’à un point d’entrée est tenue de fournir à l’agent, dans les délais prévus par règlement et conformément aux règles de la Commission, les renseignements et documents — y compris ceux qui sont relatifs au fondement de la demande — exigés par ces règles. |
Demande faite au Canada ailleurs qu’à un point d’entrée |
(4) La demande de résidence permanente faite au Canada par une personne protégée est régie par la partie 1. […] |
Résident permanent |
100. (1) Dans les trois jours ouvrables suivant la réception de la demande, l’agent statue sur sa recevabilité et défère, conformément aux règles de la Commission, celle jugée recevable à la Section de la protection des réfugiés. |
Examen de la recevabilité |
(1.1) La preuve de la recevabilité incombe au demandeur, qui doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées. |
Charge de la preuve |
(2) L’agent sursoit à l’étude de la recevabilité dans les cas suivants : a) le cas a déjà été déféré à la Section de l’immigration pour constat d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée; b) il l’estime nécessaire, afin qu’il soit statué sur une accusation pour infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. |
Sursis pour décision |
(3) La saisine de la section survient sur déféré de la demande; sauf sursis ou constat d’irrecevabilité, elle est réputée survenue à l’expiration des trois jours. |
Saisine |
(4) La personne se trouvant au Canada, qui demande l’asile à un point d’entrée et dont la demande est déférée à la Section de la protection des réfugiés est tenue de lui fournir, dans les délais prévus par règlement et conformément aux règles de la Commission, les renseignements et documents — y compris ceux qui sont relatifs au fondement de la demande — exigés par ces règles. |
Renseignements et documents à fournir |
(4.1) L’agent qui défère la demande d’asile fixe, conformément aux règlements, aux règles de la Commission et à toutes directives de son président, la date de l’audition du cas du demandeur par la Section de la protection des réfugiés. |
Date de l’audition |
(5) Le délai prévu aux paragraphes (1) et (3) ne court pas durant une période d’isolement ou de détention ordonnée en application de la Loi sur la mise en quarantaine. […] |
Loi sur la mise en quarantaine |
107. (1) La Section de la protection des réfugiés accepte ou rejette la demande d’asile selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger. |
Décision |
(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande. […] |
Preuve |
108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants : a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité; b) il recouvre volontairement sa nationalité; c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité; d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada; e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus. […] 110.… |
Rejet |
(2) Ne sont pas susceptibles d’appel : a) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile d’un étranger désigné; b) le prononcé de désistement ou de retrait de la demande d’asile; c) la décision de la Section de la protection des réfugiés rejetant la demande d’asile en faisant état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile ou du fait que celle-ci est manifestement infondée; d) sous réserve des règlements, la décision de la Section de la protection des réfugiés ayant trait à la demande d’asile qui, à la fois : (i) est faite par un étranger arrivé, directement ou indirectement, d’un pays qui est — au moment de la demande — désigné par règlement pris en vertu du paragraphe 102(1) et partie à un accord visé à l’alinéa 102(2)d), (ii) n’est pas irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e) par application des règlements pris au titre de l’alinéa 102(1)c); d.1) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile du ressortissant d’un pays qui faisait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1) à la date de la décision; e) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande du ministre visant la perte de l’asile; f) la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande du ministre visant l’annulation d’une décision ayant accueilli la demande d’asile. |
Restriction |
(2.1) L’appel doit être interjeté et mis en état dans les délais prévus par les règlements. […] |
Formation de l’appel |
112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1). |
Demande de protection |