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[2002] 3 C.F. 266

IMM-5816-00

2002 CFPI 149

Wen Zhen Huang (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay— Vancouver, 20 juin 2001; Ottawa, 8 février 2002.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Arrestation, détention, emprisonnement — La demanderesse était une immigrante illégale se trouvant à bord d’un navire intercepté dans les eaux canadiennes et elle a été fouillée, menottée, amenée à un établissement de détention et interrogée — On lui a dit trois jours après qu’elle eut été appréhendée qu’elle pouvait consulter un avocat — La demanderesse a été détenue au sens de l’art. 10b) de la Charte — Atteinte au droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Application de la loi — La demanderesse était une immigrante illégale se trouvant à bord d’un navire intercepté dans les eaux canadiennes et elle a été fouillée, menottée, amenée à un établissement de détention et interrogée — On lui a dit trois jours après qu’elle eut été appréhendée qu’elle pouvait consulter un avocat — La demanderesse a été détenue au sens de l’art. 10b) de la Charte — Atteinte au droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit — Dans les circonstances de l’affaire, la décision de la SSR d’accepter en preuve les notes du point d’entrée n’ont pas porté atteinte à l’équité de l’audience car la conclusion relative à la crédibilité, le motif du refus, n’était pas fondé sur les notes.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — La demanderesse était une immigrante illégale se trouvant à bord d’un navire intercepté dans les eaux canadiennes et elle a été fouillée, menottée, amenée à un établissement de détention et interrogée — On lui a dit trois jours après qu’elle eut été appréhendée qu’elle pouvait consulter un avocat — Revendication du statut de réfugié au sens de la Convention — La demanderesse a été détenue au sens de l’art. 10b) de la Charte — Atteinte au droit d’avoir recours san s délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit — Dans les circonstances de l’affaire, la décision de la SSR d’accepter en preuve les notes du point d’entrée n’ont pas porté atteinte à l’équité de l’audience car la conclusion relative à la crédibilité, le motif du refus, n’était pas fondée sur les notes.

La demanderesse, une citoyenne de la Chine, se trouvait à bord d’un navire que la GRC et les autorités canadiennes de l’Immigration ont intercepté. On l’a amenée sur la rive, fouillée, menottée, amenée à un établissement de détention, fait passer un examen médical et interrogée quatre fois au cours des jours suivants. C’est trois jours après que la demanderesse eut été appréhendée qu’on lui a dit qu’elle pouvait consulter un avocat. Elle en a rencontré un peu de temps après. À l’audition de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, elle a demandé que soient écartés de la preuve devant la SSR le formulaire d’entrevue préliminaire qui a été rempli ainsi que les notes d’interrogatoire et les notes d’entrevue manuscrites (les notes du point d’entrée) qui ont été prises lors des entrevues ayant eu lieu avant qu’elle ne puisse consulter un avocat, et ce, au motif que ces documents ont été obtenus dans des conditions portant atteinte à son droit à un avocat. Cette demande a été refusée et sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention a été rejetée. Après avoir conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et n’avait pas démontré le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié, la SSR a rejeté ses prétentions selon lesquelles elle était une réfugiée sur place et serait gravement persécutée si elle retournait en Chine parce qu’elle avait quitté le pays sans permission. Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SSR, la demanderesse prétendant que celle-ci avait commis une erreur en tenant compte d’éléments de preuve obtenus dans des conditions portant atteinte au droit à un avocat que lui garantit l’alinéa 10b) de la Charte.

Jugement : la demande est rejetée.

Les questions en litige étaient de savoir si la demanderesse avait été détenue au sens de l’alinéa 10b); dans l’affirmative, s’il y avait eu atteinte à son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informée de ce droit; dans l’affirmative, si l’atteinte constituait une limite raisonnable dont la justification pouvait se démontrer en vertu de l’article premier de la Charte; dans la négative, si les notes du point d’entrée devaient être écartées en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte.

La norme de la décision manifestement déraisonnable s’appliquait en matière de contrôle de la conclusion relative à la crédibilité. Toutefois, la Cour n’intervient que si la SSR a porté atteinte à l’équité procédurale ou a par ailleurs commis une erreur de droit.

La demanderesse avait été détenue au sens de l’alinéa 10b) de la Charte. Les autorités de l’Immigration et la GRC ont supervisé et contrôlé de près les déplacements de la demanderesse pendant environ trois jours et elles ne lui ont offert la possibilité de consulter un avocat qu’à la fin de cette période, suivant quatre interrogatoires. Ce genre de contrôle satisfait aux critères permettant de déterminer s’il y a eu « détention » au sens de l’arrêt R. c. Therens. Dans ces circonstances, il y a eu atteinte au droit de la demanderesse d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informée de ce droit. Le ministre n’ayant pas tenté de justifier prima facie l’atteinte aux droits que garantit l’alinéa 10b) à la demanderesse, cette atteinte n’était pas justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.

La SSR n’a toutefois pas commis d’erreur en n’écartant pas les éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte. La décision de la SSR d’accepter en preuve les notes du point d’entrée n’ont pas porté atteinte à l’équité de l’audience car, en concluant au manque de crédibilité de la demanderesse, la SSR n’a pas fondé sa conclusion sur ces notes. Les agents ont agi de façon irrégulière en omettant de fournir à la demanderesse, pendant trois jours, la possibilité de consulter un avocat, et ce, même s’ils ont corrigé cette erreur en lui donnant cette possibilité, après l’écoulement d’un délai non permis par la loi. Dans les cas qui s’y prêtent, la réparation accordée en bout de ligne relativement à ce tort consiste à écarter de la preuve toutes les déclarations faites pendant cette période qui constituent un fondement important de la décision de la SSR. Ce n’était pas le cas en l’espèce.

La SSR n’en est pas arrivée à sa décision au moyen d’un processus inéquitable et cette décision n’était pas manifestement déraisonnable.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 8, 10b), 24(2).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 12 (mod. par L.C. 1990, ch. 44, art. 16; 1992, ch. 49, art. 7), 83(1) (mod., idem, art. 73).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613; (1985), 18 D.L.R. (4th) 655; [1985] 4 W.W.R. 286; 38 Alta. L.R. (2d) 99; 40 Sask. R. 122; 18 C.C.C. (3d) 481; 45 C.R. (3d) 97; 13 C.R.R. 193; 59 N.R. 122; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1.

distinction faite d’avec :

R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; (1988), 67 O.R. (2d) 63; 55 D.L.R. (4th) 673; 45 C.C.C. (3d) 296; 66 C.R. (3d) 297; 89 N.R. 1; 30 O.A.C. 241.

DÉCISION EXAMINÉE :

Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053; (1993), 101 D.L.R. (4th) 654; 10 Admin. L.R. (2d) 1; 20 C.R. (4th) 34; 14 C.R.R. (2d) 1; 18 Imm. L.R. (2d) 245; 150 N.R. 241.

DÉCISIONS CITÉES :

R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; (1987), 38 D.L.R. (4th) 508; [1987] 3 W.W.R. 699; 13 B.C.L.R. (2d) 1; 33 C.C.C. (3d) 1; 56 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 122; 74 N.R. 276; R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206; (1995), 124 D.L.R. (4th) 7; 97 C.C.C. (3d) 385; 38 C.R. (4th) 265; 181 N.R. 1.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la SSR (U.R.V. (Re), [2000] D.S.R.R. no 247 (QL)) qui a rejeté la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

J. Warren Puddicombe pour la demanderesse.

Brenda Carbonell pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larson Boulton Sohn Stockholder, Vancouver, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge MacKay : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 20 octobre 2000 [[2000] D.S.S.R. no 247 (QL)] par laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) a rejeté la revendication par la demanderesse du statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]        La demanderesse prétend que la SSR a commis une erreur en tenant compte d’éléments de preuve obtenus dans des conditions portant atteinte au droit à l’avocat que lui garantit l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte).

Les faits

[3]        La demanderesse est une citoyenne de la Chine. Le 31 août 1999, elle se trouvait à bord d’un navire que la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) et les autorités canadiennes de l’immigration ont intercepté dans les eaux canadiennes au large des côtes de la Colombie-Britannique.

[4]        Après avoir amené la demanderesse sur la rive, la police lui a fait une fouille corporelle et a saisi ses biens personnels. On lui a inscrit un numéro à l’arrière du cou ainsi que sur le bracelet qu’on lui a mis au poignet.

[5]        Lorsque la demanderesse était en ligne avec les autres passagers du navire, quelqu’un a jeté des devises chinoises à l’eau. Les autorités de l’immigration ont récupéré l’argent et demandé à qui il appartenait. Personne ne répondant, les autorités ont passé des menottes de plastique aux jambes de cinq des femmes qui étaient en ligne, dont la demanderesse.

[6]        On a ordonné à la demanderesse de monter à bord d’un autobus, qui l’a amenée à un établissement de détention. À son arrivée, on lui a donné un nouveau numéro, figurant sur un bracelet, et on l’a photographiée. On lui a alors ordonnée de se déshabiller, après quoi on a détruit ses vêtements. On lui a dit de prendre une douche et un médecin l’a ensuite examinée. Ce dernier lui a demandé de fournir un échantillon d’urine et de se soumettre à un rayon X, ce que la demanderesse a fait. Après l’examen médical, on lui a donné des vêtements rouges et on l’a séparée de la plupart des autres passagers du navire, lesquels portaient des vêtements blancs.

[7]        On l’a alors envoyée à une chambre en compagnie des quatre autres femmes portant des vêtements rouges et on lui a dit de se coucher. On l’a ensuite tirée de son sommeil pour lui faire prendre certaines pilules.

[8]        Au cours des jours suivants, la demanderesse a été interrogée quatre fois, dont la troisième fois le 3 septembre par un agent principal, qui lui a délivré une mesure d’exclusion l’empêchant de revendiquer le statut de réfugié au Canada. C’est seulement à ce moment-là qu’on lui a dit qu’elle pouvait consulter un avocat. Elle a alors affirmé désirer voir un avocat et, après avoir été interrogée une fois de plus par la police, elle en a rencontré un brièvement.

[9]        Vers le 14 septembre 1999, la demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la mesure d’exclusion mais, avant qu’il ne soit statué sur la demande, le défendeur, le ministre de l’immigration, a accepté d’interroger de nouveau la demanderesse en vue de se prononcer sur son admissibilité au Canada à la condition qu’elle se désiste de cette demande. La demanderesse s’est désistée et a été jugée admissible à revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention vers le 21 juin 2000. C’est ce qu’elle a fait peu après et une audience a été fixée au 30 août 2000.

[10]      Le 16 août 2000, l’avocat de la demanderesse a écrit à la SSR pour solliciter que soient écartés de la preuve devant elle le formulaire d’entrevue préliminaire qui a été rempli ainsi que les notes d’interrogatoire et les notes d’entrevue manuscrites (les notes du point d’entrée) qui ont été prises lors des entrevues ayant eu lieu avant que la demanderesse ne puisse consulter un avocat, et ce, au motif que ces documents ont été obtenus dans des conditions portant atteinte au droit à l’avocat de la demanderesse. La SSR a refusé cette demande et les notes du point d’entrée ont été admises en preuve à l’audience.

[11]      Le 20 octobre 2000, la SSR a rejeté la revendication par la demanderesse du statut de réfugié au sens de la Convention. Dans ses motifs écrits, la SSR a expliqué pourquoi elle avait refusé la demande d’exclusion de la preuve des notes du point d’entrée et avait ensuite évalué la crédibilité de la demanderesse. Après avoir conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et n’avait pas démontré le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié, la SSR a rejeté ses prétentions selon lesquelles elle était une réfugiée sur place et serait gravement persécutée si elle retournait en Chine parce qu’elle avait quitté le pays sans permission.

Les questions en litige

[12]      La demanderesse soutient que les notes du point d’entrée ont été obtenues dans des conditions portant atteinte au droit à l’avocat que lui garantit l’alinéa 10b) de la Charte, de sorte qu’elles auraient dû être écartées de la preuve devant la SSR. L’alinéa 10b) prévoit que :

10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :

[…]

b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;

[13]      Les parties conviennent que, suivant l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, le mot « chacun » dans ce paragraphe vise les personnes se trouvant dans la situation de la demanderesse. Cela mis à part, il faut examiner quatre questions. Premièrement, la demanderesse a-t-elle été « détenue » au sens de l’alinéa 10b)? Deuxièmement, dans l’affirmative, y a-t-il eu atteinte au droit de la demanderesse d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informée de ce droit? Troisièmement, dans l’affirmative, l’atteinte constituait-elle une limite raisonnable dont la justification pouvait se démontrer en vertu de l’article premier de la Charte? Quatrièmement, dans la négative, les notes du point d’entrée, qui ont été obtenues dans des conditions portant atteinte aux droits que garantit à la demanderesse l’alinéa 10b), devraient-elles être écartées en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte? J’aborde chacune de ces questions à tour de rôle. Toutefois, je dois d’abord déterminer la norme de contrôle applicable en l’espèce.

La norme de contrôle

[14]      Le défendeur affirme que la SSR a eu l’avantage de voir la demanderesse et d’entendre son témoignage et que la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard des évaluations relatives à la crédibilité auxquelles s’est livrée la SSR. D’après le défendeur, la Cour ne doit pas intervenir simplement parce que la preuve pourrait mener à une conclusion différente; elle doit plutôt intervenir uniquement si elle est convaincue que la SSR a fondé sa conclusion relative à la crédibilité sur des facteurs non pertinents ou n’a pas tenu compte d’éléments de preuve n’étayant pas ses conclusions. Je suis d’accord avec cet argument et j’applique la norme de la décision manifestement déraisonnable au contrôle de la conclusion relative à la crédibilité. J’ajouterais à cela que la Cour n’interviendra que si la SSR a porté atteinte à l’équité procédurale ou a commis une autre erreur de droit.

La demanderesse a-t-elle été « détenue » au sens de l’alinéa 10b)?

[15]      Au paragraphe 20 de sa décision, la SSR a écrit ce qui suit :

La revendicatrice a été prise en charge par les autorités de l’Immigration, mais cela ne constituait pas une détention au sens de l’alinéa 10b) de la Charte. Le traitement qu’elle a subi ne constituait pas non plus une détention au sens de l’alinéa 10b) de la Charte.

[16]      La demanderesse soutient que la SSR a commis une erreur en concluant qu’elle n’était pas détenue au sens de l’alinéa 10b). À l’appui de cet argument, la demanderesse invoque l’arrêt Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, où le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a fait remarquer aux pages 1065 et 1066 :

Pour déterminer s’il y a eu « détention » aux fins de l’al. 10b), il faut commencer par examiner l’arrêt Therens de notre Cour […] [R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613], aux pp. 641 et 642 :

[…]

Outre le cas où il y a privation de liberté par contrainte physique, j’estime qu’il y a détention au sens de l’art. 10 de la Charte lorsqu’un policier ou un autre agent de l’État restreint la liberté d’action d’une personne au moyen d’une sommation ou d’un ordre qui peut entraîner des conséquences sérieuses sur le plan juridique et qui a pour effet d’empêcher l’accès à un avocat.

[17]      La demanderesse fait valoir qu’elle a été assujettie au contrôle direct et constant ainsi qu’à la garde de la GRC et des autorités de l’immigration dès l’interception par les autorités canadiennes du navire sur lequel elle se trouvait et pendant les trois jours suivants. La demanderesse allègue en outre avoir été traitée d’une manière au moins aussi envahissante que dans le cas de la fouille à nu qui a été effectuée dans R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495.

[18]      Le défendeur affirme que les notes du point d’entrée dont la demanderesse sollicite l’exclusion ont trait au traitement de sa demande d’immigration, et non pas à des présumés actes criminels de sa part, de sorte que les principes applicables en droit criminel ne doivent pas s’appliquer en l’espèce. Pour appuyer cet argument, le défendeur cite l’arrêt Dehghani, précité, où le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a conclu à la page 1071, que :

Il est bien établi que l’interrogatoire d’un particulier par un agent de l’État n’entraîne pas toujours une détention au sens constitutionnel du terme.

[19]      Le défendeur soutient également que même si la demanderesse a été fouillée, cette fouille ne constitue pas une détention au sens de l’alinéa 10b). Il fonde cet argument sur l’arrêt R. c. Simmons, précité, où l’ancien juge en chef Dickson, s’exprimant au nom de la majorité, a indiqué ce qui suit relativement au caractère raisonnable d’une fouille à la frontière, aux pages 528 et 529 :

J’accepte la proposition de la poursuite que les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations. En effet, les gens ne s’attendent pas à traverser les frontières internationales sans faire l’objet d’une vérification. […]

À mon sens, l’interrogatoire de routine auquel procèdent les agents des douanes, l’examen des bagages, la fouille par palpation et la nécessité de retirer en privé suffisamment de vêtements pour permettre l’examen des renflements corporels suspects, qui sont autorisés par les rédacteurs des art. 143 et 144 de la Loi sur les douanes, ne sont pas abusifs au sens de l’art. 8 [de la Charte].

L’analogie est intéressante, mais non convaincante, étant donné que l’arrêt Simmons portait sur l’application de l’article 8 de la Charte aux fouilles à la frontière, et non pas sur l’application de l’alinéa 10b).

[20]      Je suis d’avis qu’en l’espèce, la demanderesse a été détenue au sens de l’alinéa 10b) de la Charte. Bien que je convienne, comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Dehghani, que l’interrogatoire d’une personne par l’État ne constitue pas toujours de la détention, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, les autorités de l’immigration et la GRC ont supervisé et contrôlé de près les déplacements de la demanderesse pendant environ trois jours et elles ne lui ont offert la possibilité de consulter un avocat qu’à la fin de cette période, suivant quatre interrogatoires et la délivrance d’une mesure d’exclusion. À la suite de l’arrêt de la Cour suprême Therens, ce contrôle sur la demanderesse indique qu’elle a été détenue au sens de l’alinéa 10b).

Y a-t-il eu atteinte au droit de la demanderesse d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informée de ce droit?

[21]      Les parties conviennent qu’environ trois jours se sont écoulés entre le moment où la demanderesse a été appréhendée, le 31 août 1999, et celui où on lui a donné pour la première fois la possibilité de faire appel à un avocat, ce qui paraît s’être produit le 3 ou le 4 septembre 1999. Compte tenu de ma conclusion antérieure selon laquelle la demanderesse a été détenue au sens de l’alinéa 10b) et du fait que les agents d’immigration concernés savaient le 31 août qu’un avocat de garde était disponible, je suis d’avis qu’il y a eu atteinte au droit de la demanderesse d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat.

L’atteinte au droit que garantit à la demanderesse l’alinéa 10b) est-elle sauvegardée par l’article premier?

[22]      Il est bien établi en droit qu’en cas d’atteinte aux droits garantis à une personne par la Charte, il incombe à la Couronne de démontrer aux termes de l’article premier que cette atteinte constitue une limite raisonnable, prescrite par une règle de droit, dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Le ministre défendeur n’a pas abordé cette question directement. Je conclus qu’à première vue, l’atteinte aux droits que garantit à la demanderesse l’alinéa 10b) n’était pas justifiée en vertu de l’article premier.

La SSR a-t-elle commis une erreur en n’écartant pas les éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2)?

[23]      Vu la conclusion selon laquelle les droits garantis à la demanderesse par l’alinéa 10b) ont été violés d’une manière injustifiée aux termes de l’article premier, il faut déterminer si la SSR a commis une erreur en refusant d’écarter les notes du point d’entrée en application du paragraphe 24(2) de la Charte, lequel prévoit :

24. […]

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[24]      Au paragraphe 26 de sa décision, la SSR a adopté les commentaires suivants faits par une autre de ses formations :

(traduction)

Il est clair, d’après l’arrêt Simmons [R c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495], que même lorsque la Cour a jugé qu’il y avait violation des droits de l’appelante en vertu de la Charte, la réparation ne consistait pas à exclure les éléments de preuve obtenus. Je prends note en particulier du fait que l’appelante, Simmons, faisait l’objet d’accusations au criminel pouvant entraîner une privation de liberté. Même dans ces circonstances, la Cour suprême a statué que la preuve devait être admise.

Même si j’acceptais l’argument du conseil, à savoir que la restriction de liberté imposée à la revendicatrice était beaucoup plus sévère que celle imposée dans l’arrêt Dehghani et que celle-ci constituait une détention au sens de l’art. 10b) de la Charte, cela ne veut pas dire que je dois exclure les éléments de preuve obtenus au cours de ces entrevues. Je prends note du fait que, contrairement aux procédures criminelles où existe le droit de garder le silence, ceux qui cherchent à entrer au Canada sont tenus, en vertu d’obligations prévues par la loi, de répondre honnêtement aux questions qui leur sont posées, tout comme les agents d’immigration sont tenus, en vertu d’obligations prévues par la loi, de faire subir des interrogatoires aux personnes qui cherchent à entrer au Canada.

Il n’existe aucune preuve selon laquelle les agents d’immigration n’ont pas agi de bonne foi dans des circonstances inhabituelles et difficiles. À mon avis, ils ont agi conformément aux exigences légales existant à l’époque des interrogatoires et c’est l’exclusion de la preuve qui aurait tendance à déconsidérer l’administration de la justice.

[25]      La demanderesse soutient que la SSR a omis à tort de tenir compte de l’arrêt de la Cour suprême R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, où le juge Lamer, plus tard juge en chef, s’exprimant au nom de la majorité, a énoncé, aux pages 280 à 289, les nombreux facteurs dont le tribunal doit tenir compte lorsqu’il détermine si les éléments de preuve obtenus en contravention de la Charte doivent être écartés.

[26]      La demanderesse prétend également que la SSR a commis une erreur en ne reconnaissant pas que les conséquences potentielles pour elle d’une décision défavorable en matière de statut de réfugié en l’espèce sont aussi graves, sinon plus graves, que les conséquences découlant d’accusations criminelles au Canada. Enfin, la demanderesse conteste la conclusion de la SSR selon laquelle il y avait absence de preuve que les autorités de l’immigration avaient agi de mauvaise foi.

[27]      Le défendeur invoque l’arrêt R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206, à l’appui de la proposition voulant que lorsqu’on détermine s’il faut écarter ou non des éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte, le facteur le plus important dont il faut tenir compte est l’effet de l’inclusion ou de l’exclusion de ces éléments sur le caractère équitable de l’instance. Le défendeur avance que la décision de la SSR d’accepter les éléments de preuve n’a pas porté atteinte à l’équité en l’instance parce que les renseignements contenus dans les notes du point d’entrée ont été fournis par la demanderesse aux autorités de l’immigration dans un cadre non-contradictoire en réponse à des questions raisonnables, en application de l’article 12 [mod. par L.C. 1990, ch. 44, art. 16; 1992, ch. 49, art. 7] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications, et que les questions posées étaient directes, comme par exemple : Pourquoi venez-vous au Canada? Pourquoi avez-vous quitté la Chine? Y a-t-il des raisons pour lesquelles vous ne voulez pas retourner en Chine?

[28]      Le défendeur prétend également que la décision de la SSR d’accepter les éléments de preuve n’ont pas porté atteinte à l’équité de l’audience parce qu’en concluant au manque de crédibilité de la demanderesse, la SSR ne s’est pas fondée sur les notes du point d’entrée. Au contraire, d’après le défendeur, la décision de la SSR était fondée sur des contradictions importantes entre le formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse et son témoignage ainsi que sur des incohérences contenues dans ce témoignage. La demanderesse soutient qu’en faisant référence aux notes du point d’entrée dans la décision, la SSR a erronément tenu compte de certains éléments de preuve et qu’il est impossible de déterminer la mesure dans laquelle cela a influencé l’évaluation de sa crédibilité.

[29]      Aux paragraphes 48 et 49 de sa décision, après avoir jugé non plausible le témoignage de la demanderesse sur des événements cruciaux quant à la crainte de persécution que celle-ci a exprimée, la SSR a fait les observations suivantes sur le témoignage et le FRP de la demanderesse :

Son témoignage est également incohérent. Quand le conseil lui a demandé, lors du réinterrogatoire, où se trouvaient les autres agents, elle a répondu qu’ils étaient en train de fouiller les autres pièces de la maison. Or, elle donne l’impression que les agents étaient avec la superviseure quand elle affirme dans son FRP « qu’ils ont commencé à crier après moi ». Elle a également déclaré, lors de l’interrogatoire principal, que la situation était très tendue et qu’on entendait beaucoup de cris. Elle a aussi affirmé, lors du réinterrogatoire, que les agents ne se trouvaient qu’à dix pas d’elle et de la superviseure.

Même s’ils étaient en train de fouiller les autres pièces, je ne trouve pas plausible, compte tenu des cris et de la situation très tendue qui existait d’après la revendicatrice, que les agents ne seraient pas venus immédiatement à l’aide de la superviseure. Ils auraient entendu les cris. Par ailleurs, lors de l’interrogatoire principal, la revendicatrice, qui expliquait comment sa tante avait été en mesure de s’enfuir, a déclaré qu’il y avait deux portes dans la maison. Lors du réinterrogatoire, elle a affirmé qu’il y en avait quatre. Elle a également affirmé que la superviseure se trouvait au pied de l’escalier quand elle (la revendicatrice) l’a poussée. Toutefois, elle a déclaré plus tard que la superviseure se trouvait sur une marche inférieure à celle où se tenait la revendicatrice, c’est-à-dire sur la septième ou huitième marche. Il y a là incohérence.

Le récit de la revendicatrice entourant l’incident du juin 1999 est nébuleux, incohérent et, à d’autres égards, peu plausible. Il manque de crédibilité.

[30]      L’extrait susmentionné indique clairement qu’en plus de conclure que le témoignage de la demanderesse n’était pas plausible, la décision de la SSR reposait sur des contradictions importantes entre le FRP et le témoignage de la demanderesse ainsi que sur des incohérences contenues dans ce témoignage. Je suis d’avis que la décision de la SSR d’accepter en preuve les notes du point d’entrée n’ont pas porté atteinte à l’équité de l’audience car, en concluant au manque de crédibilité de la demanderesse, la SSR n’a pas fondé sa conclusion sur ces notes.

[31]      La demanderesse avance également que les autorités de l’immigration ont agi de mauvaise foi en attendant délibérément trois jours avant de l’informer de son droit de consulter un avocat alors qu’elle savaient qu’un avocat de garde avait été nommé à cette fin. Vu l’absence de disposition législative à cet égard, je suis d’accord que les agents ont agi de façon irrégulière en omettant de fournir à la demanderesse, pendant trois jours, la possibilité de consulter un avocat, et ce, même s’ils ont corrigé cette erreur en lui donnant cette possibilité, après l’écoulement d’un délai non permis par la loi. Dans les cas qui s’y prêtent, la réparation accordée en bout de ligne relativement à ce tort consiste à écarter de la preuve toutes les déclarations faites pendant cette période qui constituent un fondement important de la décision de la SSR. Je suis d’avis que ce n’était pas le cas des déclarations faites en l’espèce.

[32]      À mon avis, la SSR n’en est pas arrivée à sa décision au moyen d’un processus inéquitable et cette décision n’était pas manifestement déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée par ordonnance. Cette ordonnance sera rendue après examen de toute observation écrite de la part des avocats, après consultation entre eux, relativement à tout projet de question certifiée en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration. Toute observation à cet égard doit être déposée auprès de la Cour à Vancouver au plus tard le 18 février 2002.

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