[2002] 1 C.F. 421
2001 CAF 254
A-824-99
Le Commissaire à l’information du Canada (appelant)
c.
Le ministre d’Industrie Canada (intimé)
A-832-99
3430901 Canada Inc. et Telezone Inc. (appelantes)
c.
Le ministre d’Industrie Canada (intimé)
Répertorié : 3430901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de l’Industrie) (C.A.)
Cour d’appel, juges Strayer, Décary et Evans, J.C.A. —Ottawa, 29 mai et 29 août 2001.
Accès à l’information — Appels interjetés du rejet de demandes de contrôle judiciaire du refus du ministre de communiquer des documents relatifs au processus d’octroi de licence en vertu de l’art. 21(1)a) de la Loi sur l’accès à l’information parce qu’il s’agit d’«avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre » — 1) Sens des mots « avis ou recommandations » — En décidant d’inclure les « avis ou recommandations » dans une exception, le législateur voulait que le premier ait un sens plus général que le deuxième, sinon il y aurait redondance — Il faut interpréter l’exception en tenant compte de l’objectif visé, savoir supprimer les obstacles aux communications libres et spontanées entre les ministères et assurer que le processus décisionnel ne fasse pas l’objet d’un examen extérieur approfondi, susceptible de miner la capacité du gouvernement de s’acquitter de ses fonctions essentielles — L’art. 21(1)a) ne devrait s’appliquer qu’aux éléments normatifs, politiques ou consultatifs des avis, et ne devrait pas s’étendre aux faits sur lesquels ils reposent — Les éléments factuels des avis devraient être dissociés et communiqués dans la mesure du possible — Les documents contenant les pourcentages pondérés représentaient le point de vue du groupe de travail quant à l’importance relative des divers objectifs gouvernementaux poursuivis par l’octroi des licences; ils n’étaient pas essentiellement factuels et étaient donc visés par l’art. 21(1)a) — Il est question à l’art. 21(1)a) des avis « élaborés » pour une institution fédérale — Les notes personnelles et les documents de travail qui ont été préparés avant la réunion du groupe sont des « avis » même si ces documents n’avaient pour but que d’aider les participants au processus décisionnel à formuler des avis ou recommandations qu’ils feraient en fin de compte à l’ultime décideur — Ils font partie intégrante du processus par lequel les avis sur les politiques sont élaborés — Des documents qui ne contiennent pas des « recommandations » peuvent néanmoins être visés par l’art. 21(1)a) — Les documents comportant implicitement le point de vue de l’auteur sur ce que devrait faire le ministre, la manière dont il devrait envisager une question ou les paramètres de la décision à prendre, sont de nature normative et font partie intégrante du processus décisionnel — La nature d’un document n’est pas modifiée parce que le ministre en a fait le fondement de sa décision — L’art. 21(2)a) prévoit une exception quant à l’exposé des motifs qui touche des « droits », savoir les droits juridiques — Comme il n’y avait légalement aucun droit à l’octroi d’une licence discrétionnaire, l’art. 21(2)a) ne soustrait pas à l’application de l’art. 21(1)a) un document par ailleurs visé par une exception parce qu’il contient un avis — 2) Charge de la preuve — Lorsque le ministre a démontré comme il le lui incombait qu’un document est visé par une exception, le recours en révision doit être rejeté à moins que le demandeur ne convainque la Cour que le ministre n’a pas exercé légalement son pouvoir discrétionnaire de refuser la communication d’un document visé par une exception — Il incombait aux appelants d’établir que le ministre n’avait pas exercé conformément à la loi le pouvoir discrétionnaire de communiquer les documents contenant des avis et recommandations au sens de l’art. 21(1)a) — 3) Exercice du pouvoir discrétionnaire — Compte tenu de la souplesse de l’obligation de motiver une décision, on peut considérer que la correspondance et les notes de service constituent des motifs — Lus dans leur contexte, ces documents ont fourni au sujet des motifs pour lesquels les fonctionnaires s’opposaient à la communication un exposé suffisamment clair pour que les appelants puissent comprendre le fondement de la décision et que la Cour effectue une révision.
Interprétation des lois — Les principes fondamentaux applicables à l’interprétation de la Loi sur l’accès à l’information sont les suivants : le droit du public d’avoir accès aux documents de l’administration fédérale doit recevoir une interprétation large tenant compte de l’objet de la loi énoncé à l’art. 2(1); les exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation aussi restreinte que nécessaire pour respecter leur objet et le libellé utilisé pour les exprimer — Il ressort des motifs que le juge a tenu compte de la nécessité d’interpréter les exceptions prévues par la Loi en considérant à la fois l’objectif de la Loi et les valeurs qui sous-tendent les exceptions invoquées, en particulier l’art. 21(1)a) (la préservation des échanges sans entraves de renseignements entre les fonctionnaires participant au processus décisionnel).
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Certiorari — Appels interjetés du rejet des demandes de contrôle judiciaire du refus du ministre de communiquer des documents relatifs au processus d’octroi de licence — Le juge qui a entendu les requêtes a statué qu’il fallait examiner l’obligation de communiquer eu égard à la norme de la décision correcte — Il s’est appuyé en grande partie sur la décision Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes c. Canada (Ministre des Finances) — L’analyse pragmatique ou fonctionnelle a mené exactement au même point en l’espèce — La Section de première instance n’a pas expressément examiné des éléments de l’analyse pragmatique — L’absence de clause privative, l’expertise du tribunal, la nature des questions à trancher, l’objet de la Loi et l’importance d’effectuer un examen indépendant indiquent qu’il convient d’interpréter et d’appliquer la Loi en appliquant la norme de la décision correcte — On peut examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre pour déterminer si sa décision était déraisonnable simpliciter — L’importance accordée par la Loi au droit touché et la nature particulière de la décision de principe prise l’emportent sur l’expertise dont disposait le ministre et sur son obligation de rendre compte au Parlement.
Il s’agissait des appels interjetés du rejet de demandes de contrôle judiciaire du refus du ministre de communiquer des documents relatifs au processus d’octroi de licence que lui avaient demandés le Commissaire à l’information et Telezone. Telezone avait demandé au ministre de l’Industrie une licence concernant la prestation de services de communications personnelles, principalement des services téléphoniques sans fil. Un groupe de travail a évalué les demandes présentées à l’aide des critères d’évaluation et de pondération approuvés par le sous-ministre adjoint, et a accordé des notes aux demandeurs. Le groupe a présenté ses conclusions au comité de sélection qui a classé les demandes en se servant des mêmes critères et pourcentages et qui a produit un tableau indiquant les notes accordées aux demandeurs qui s’étaient classés parmi les quatre premiers. Par la suite, le ministre a modifié certains des critères et a annoncé les noms des quatre demandeurs retenus, dont Telezone ne faisait pas partie. La demande de communication de renseignements sur le processus décisionnel a été en grande partie rejetée pour le motif que les documents demandés étaient soustraits à l’obligation générale de communication imposée par la Loi sur l’accès à l’information. Telezone a déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information qui a fait enquête sur le refus et a recommandé la communication de la plupart des documents et renseignements demandés. Après avoir examiné ces recommandations, le ministre a communiqué d’autres renseignements, mais a continué de refuser certains des documents demandés, notamment ceux qui concernaient l’importance accordée aux divers critères ayant servi à l’évaluation des demandes de licence. Le juge qui a entendu les demandes a évalué, selon la norme de la décision correcte, la prétention du ministre selon laquelle les documents en litige étaient visés par une exception à la communication. Après avoir examiné les documents, le juge a statué qu’Industrie Canada avait conclu à juste titre que les documents étaient visés par les exceptions prévues aux alinéas 21(1)a) et b). Elle a en outre statué qu’il incombait aux demandeurs de prouver que le ministre n’avait pas exercé conformément à la loi son pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des documents visés par une exception. Les documents demandés concernaient les pourcentages pondérés, les documents indiquant les options de politique et les méthodes d’évaluation des demandes de licence ainsi que les pourcentages pondérés attribués aux divers critères. Le ministre a invoqué l’alinéa 21(1)a) pour justifier les refus. En vertu de l’alinéa 21(1)a), le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre s’ils sont datés de moins de 20 ans lors de la demande.
Les questions en litige étaient les suivantes : 1) si le juge qui a entendu les demandes a commis une erreur dans son interprétation de la Loi; 2) si l’interprétation des mots « avis ou recommandations » par le ministre et son exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré par la loi devaient être examinés selon la norme de la décision correcte; 3) si le juge qui a entendu les demandes a commis une erreur en considérant que certains des documents en cause contenaient des « avis » au sens de l’alinéa 21(1)a); 4) s’il incombe au ministre d’établir que la décision de refuser la communication des documents visés par l’exception a été prise régulièrement et 5) si le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à la loi.
Arrêt : les appels sont rejetés.
1) Les deux principes fondamentaux applicables à l’interprétation de la Loi sur l’accès à l’information sont les suivants : le droit du public d’avoir accès aux documents de l’administration fédérale doit recevoir une interprétation large tenant compte de l’objet de la loi énoncé au paragraphe 2(1) et, de ce fait, les exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation aussi restreinte que nécessaire pour respecter leur objet et le libellé utilisé pour les exprimer. Il ressortait clairement de ses motifs que le juge qui a entendu les demandes n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte de la nécessité d’interpréter les exceptions prévues par la Loi en considérant à la fois l’objectif de la Loi et les valeurs qui sous-tendent les exceptions invoquées, et en particulier, en ce qui concerne l’alinéa 21(1)a), la préservation des échanges sans entraves de renseignements entre les fonctionnaires participant au processus décisionnel.
2) Le ministre a soutenu que le juge avait choisi la norme de la décision correcte en consultant un éventail de facteurs plus restreints que ceux prescrits dans l’analyse pragmatique ou fonctionnelle et il a affirmé qu’elle avait commis une erreur en appuyant sa conclusion presque exclusivement sur la décision Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes c. Canada (Ministre des Finances). Toutefois, l’analyse pragmatique ou fonctionnelle a mené, en l’espèce, exactement au même point que l’analyse faite dans la décision Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes qui portait expressément sur les objectifs de la loi et la nature du décideur. Les éléments de l’analyse pragmatique ou fonctionnelle que la Section de première instance n’a pas expressément examinés ont été analysés. Premièrement, l’absence d’une clause privative, la disposition expresse prévoyant que la Cour peut réviser les refus et l’importance accordée par la Loi à un examen indépendant sont des indices de la volonté du législateur que la Cour puisse évaluer selon la norme de la décision correcte les questions de droit tranchées par le ministre. Deuxièmement, le ministre de l’Industrie pouvait avoir recours à l’expérience des membres d’un service ministériel spécialisé qui, dans le cadre de leurs fonctions, ont régulièrement à interpréter et à appliquer la Loi sur l’accès à l’information. Toutefois, il faut trouver un équilibre entre cette expertise et le principal objectif de la Loi, savoir conférer au public un droit d’accès aux documents de l’administration fédérale et créer des mécanismes indépendants de révision permettant d’atteindre cet objectif. La clé pour interpréter la portée du droit d’accès et des exceptions consiste à établir un juste équilibre avec les principes opposés consacrés par la loi qui les sous-tendent, une fonction qu’un organisme indépendant du pouvoir exécutif est plus apte à remplir que l’institution opposant son refus à une demande de communication. Troisièmement, en raison de la nature des questions à trancher en l’espèce, la norme applicable est une norme proche de celle de la décision correcte. Les questions de savoir si les documents ou des extraits de ceux-ci sont visés par l’exception, une fois que celle-ci a été correctement interprétée, si on a envisagé la dissociation et si la preuve était suffisante pour libérer le ministre de la charge de la preuve sont particulières à la présente espèce et comportent des éléments factuels. Néanmoins, une fois examinés tous les autres éléments de l’analyse pragmatique ou fonctionnelle, notamment l’importance d’un examen indépendant, ces questions, de par leur nature, ne relèvent pas suffisamment de l’expertise du ministre et échappent à la compétence de la Cour de révision de sorte qu’il y a lieu d’appliquer une norme d’examen fondée sur la retenue, vu en particulier l’importance du droit auquel elles se rapportent. Quatrièmement, en raison de l’objet de la Loi sur l’accès à l’information et de l’importance d’effectuer un examen indépendant des refus, il convient pour la Cour d’évaluer l’interprétation et l’application de la Loi par le ministre en appliquant la norme de la décision correcte. En fait, compte tenu de l’indépendance du Commissaire à l’information, des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, de son expertise et de la procédure qui doit être suivie, les tribunaux doivent faire preuve d’une plus grande retenue à l’égard des conclusions de droit et des conclusions de fait et de droit sur lesquels ils fondent ses rapports et recommandations qu’à l’égard de celles d’un ministre. Même si elle examinera attentivement les rapports du Commissaire, la Cour peut être en désaccord avec celui-ci sur les questions de droit et les questions mixtes de droit et de fait sans avoir à être tout d’abord convaincue que la conclusion du Commissaire était injustifiée : la Cour est chargée d’examiner les refus des responsables des institutions fédérales et non les recommandations du Commissaire.
Compte tenu de l’arrêt Baker, on peut également examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre pour déterminer s’il était déraisonnable simpliciter et non s’il était manifestement déraisonnable. L’importance accordée par la Loi au droit touché, savoir le droit du public d’avoir accès aux documents de l’administration fédérale garanti par un examen indépendant du refus de les communiquer, et la nature particulière de la décision de principe prise l’emportent sur l’expertise dont disposait le ministre lorsqu’il a pris la décision et sur son obligation de rendre compte au Parlement.
3) On peut penser qu’en décidant d’inclure les « avis ou recommandations » dans une exception, le législateur voulait que le premier ait un sens plus général que le deuxième, sinon il y aurait redondance. De plus, il faut interpréter l’exception en tenant compte de l’objectif visé, savoir supprimer les obstacles aux communications libres et spontanées entre les ministères et assurer que le processus décisionnel ne fasse pas l’objet d’un examen extérieur approfondi, susceptible de miner la capacité du gouvernement de s’acquitter de ses fonctions essentielles. Compte tenu de ces considérations, l’alinéa 21(1)a) ne devrait s’appliquer qu’aux éléments normatifs, politiques ou consultatifs des avis, et ne devrait pas s’étendre aux faits sur lesquels ils reposent. Chaque fois que cela est raisonnablement possible, les éléments factuels des avis devraient être dissociés en vertu de l’article 25 et communiqués, même si les avis et les faits peuvent être si entremêlés qu’il est impossible de le faire.
Les diverses catégories de documents qui contiendraient des avis ont été examinées séparément. Les documents provenant des membres du groupe de travail avaient pour but de recommander au ministre le classement approprié des demandes. Ils représentaient le point de vue du groupe de travail quant à l’importance relative des divers objectifs gouvernementaux poursuivis par l’octroi des licences. Le contenu des documents était normatif plutôt que factuel, de sorte qu’ils étaient visés par l’alinéa 21(1)a).
Les notes personnelles prises par un membre du groupe de travail dans le cadre de la préparation de la réunion du groupe ainsi que les documents de travail qui ont été préparés par des membres du groupe avant la réunion et n’ont été communiqués qu’aux autres membres du groupe afin de les informer de la progression de l’évaluation des demandes par le groupe étaient également visés par l’alinéa 21(1)a) où il est question des avis « élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre ». Il s’ensuit qu’un document entrant par ailleurs dans la catégorie des « avis » contient également un avis, même s’il n’avait pour but que d’aider les participants au processus décisionnel à formuler les avis ou recommandations qu’ils feraient en fin de compte à l’ultime décideur. Ces documents faisaient partie intégrante du processus par lequel les avis sur les politiques ont été élaborés au sein d’Industrie Canada relativement à la sélection des demandeurs de licence dont les demandes devaient être retenues.
Les documents précisant au ministre les éléments les plus importants des demandes de licence, l’informant des questions qui nécessitent une décision et exposant les options qui s’offraient à lui quant à la décision, ainsi que les arguments pour et contre ces options, sont visés par l’alinéa 21(1)a). En insistant pour dire que l’avis doit conseiller une mesure précise, on semble assimiler les « avis » aux « recommandations » même si, en employant ces deux mots à l’alinéa 21(1)a), le législateur a clairement indiqué que des documents qui ne contiennent pas des « recommandations » peuvent néanmoins être visés par l’exception. De plus, une note de service à l’intention du ministre indiquant qu’une décision doit être prise, précisant les points saillants d’une demande ou présentant une gamme d’options de politique sur une question, comporte implicitement le point de vue de l’auteur sur ce que devrait faire le ministre, la manière dont il devrait envisager une question ou les paramètres de la décision à prendre. Tous ces éléments sont de nature normative et font partie intégrante du processus décisionnel d’une institution. Ils ne servent pas simplement à informer le ministre de questions qui sont largement factuelles. L’emploi dans le texte français du mot « avis » qui est généralement traduit en anglais par le mot « opinion » ne confère pas un sens plus limité.
L’alinéa 21(1)a) empêchait la communication des documents contenant les pourcentages finals, la nomenclature des critères et les notes de Telezone. La nature d’un document n’est pas modifiée parce que le ministre en a fait le fondement de sa décision. Autrement, on pourrait conclure du refus d’un ministre de communiquer un document sur lequel il a fondé une décision que celle-ci ne va pas dans le même sens que l’avis officiel. C’est exactement le genre de problème auquel l’alinéa 21(1)a) vise à remédier.
L’alinéa 21(2)a) prévoit que l’exception prévue au paragraphe (1) ne s’applique pas pour « le compte rendu ou l’exposé des motifs d’une décision qui est prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire […] et qui touche les droits d’une personne ». Le mot « droits » à l’alinéa 21(2)a) s’entend des « droits juridiques ». Et vu que Telezone n’avait légalement aucun droit de se voir accorder une licence discrétionnaire, l’alinéa 21(2)a) n’a pas soustrait à l’application de l’alinéa 21(1)a) un document par ailleurs visé par une exception parce qu’il contenait un « avis ». Comme les renseignements ont été préparés afin d’aider le ministre à prendre une décision, il s’agissait incontestablement d’« avis ».
4) Il ressort du raisonnement du juge La Forest dans l’arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances) que lorsque le ministre a démontré, comme il le lui incombait, qu’un document est visé par une exception, le recours en révision doit être rejeté à moins que le demandeur ne convainque la Cour que le ministre n’a pas exercé légalement son pouvoir discrétionnaire de refuser la communication d’un document visé par une exception. Le juge La Forest a dit que les mots « is not authorized to refuse to disclose » («au bon droit de la personne qui a exercé un recours en révision d’une décision de refus de communication ») à l’article 49 ne concernent que la question de savoir si un document est visé par une exception et non celle de savoir si le responsable de l’institution fédérale a exercé légalement son pouvoir discrétionnaire de refuser le document. Alors que l’article 49 concerne la norme de révision, l’article 48 traite de la question de la charge de la preuve dans un recours en révision. On ne peut pas conclure que le législateur voulait que les mêmes mots « authorized to refuse to disclose » («le bien-fondé du refus » et « au bon droit de la personne ») dans des articles voisins de la même Loi, traitant tous les deux des éléments du recours en révision, aient des sens différents. Il incombait aux appelants d’établir que le ministre n’avait pas exercé conformément à la loi le pouvoir discrétionnaire de communiquer des documents contenant des avis et recommandations au sens de l’alinéa 21(1)a).
5) Si on présume qu’Industrie Canada était tenu de motiver son refus discrétionnaire de communiquer les documents demandés, la question qui se posait était celle de savoir s’il s’était acquitté de cette obligation. La réponse à cette question dépendait de celle de savoir si les documents invoqués par le ministre étaient susceptibles de constituer des motifs et, le cas échéant, s’ils étaient suffisants pour permettre à la Cour de déterminer si le ministre avait exercé légalement son pouvoir discrétionnaire de communiquer. Compte tenu de la souplesse de l’obligation de motiver une décision, les documents internes qui décrivaient avec certains détails pourquoi la communication serait préjudiciable et les lettres des représentants du Ministère devraient être considérés comme les motifs du refus de communiquer les documents dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Les documents ont été produits pour donner des avis à la personne chargée de prendre la décision finale. La décision de donner communication des documents n’était pas une décision unique, mais son exécution a pris plusieurs mois au cours desquels Industrie Canada a communiqué d’autres documents en réponse aux observations faites par le Commissaire à l’information et aux avis reçus de divers fonctionnaires du Ministère. C’est pourquoi le fait que certaines des notes de service versées au dossier aient été rédigées après que le Commissaire eut commencé son enquête ne devrait pas empêcher de considérer qu’elles font partie des motifs de la décision. Pas plus d’ailleurs que l’absence d’un affidavit justificatif des auteurs des notes de service n’empêche celles-ci de faire partie des motifs.
Lues dans leur contexte, la correspondance et les notes de service fournissent au sujet des motifs pour lesquels les fonctionnaires s’opposaient à la communication un exposé suffisamment clair pour que les appelants puissent comprendre le fondement de la décision et que la Cour effectue une révision. Il n’est pas nécessaire que les motifs indiquent clairement que le ministre ou son délégué ont tenu compte de l’objet de la Loi et ont déterminé que le préjudice découlant de la communication l’emportait sur l’intérêt public dans la communication. La Cour a conclu, à partir de la documentation et de la poursuite de la communication des documents, que les fonctionnaires cherchaient en réalité à établir un équilibre entre les intérêts opposés. Au moins deux des lettres renvoyaient expressément aux principes de la Loi, quoique en termes généraux, tandis qu’une autre indiquait que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser la communication exigeait la recherche d’un équilibre. Le refus de communiquer les pourcentages finals ne constituait pas un exercice irrégulier du pouvoir discrétionnaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2(1), 4(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, art. 1), 19(1),(2), 21(1)a),b),(2)a), 25, 41, 42(1)a), 48, 49.
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 3 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, art. 47), 8(2)m)(i), 47, 48.
Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R-2 (mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 2), art. 5(1)a)(i.1) (mod., idem, art. 4; 1996, ch. 18, art. 61).
JURISPRUDENCE
décisions appliquées :
Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403; (1997), 148 D.L.R. (4th) 385; 46 Admin. L.R. (2d) 155; 213 N.R. 161; Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1995] 2 C.F. 110 (1995), 30 Admin. L.R. (2d) 242; 60 C.P.R. (3d) 441; 179 N.R. 350 (C.A.); Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430 (1997), 154 D.L.R. (4th) 414; 221 N.R. 145 (C.A.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Conseil canadien des oeuvres de charité chrétiennes c. Canada (Ministre des Finances), [1999] 4 C.F. 245; (1999), 99 DTC 5337; 168 F.T.R. 49 (1re inst.); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2001 CAF 253; [2001] A.C.F. no 1326 (C.A.) (QL).
distinction faite d’avec :
Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342; (2000), 143 D.L.R. (4th) 1; [2000] 6 W.W.R. 403; 76 B.C.L.R. (3d) 201; 132 B.C.A.C. 298; 9 M.P.L.R. (3d) 1; 251 N.R. 42; Rubin c. Canada (Société canadienne d’hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265 (1988), 52 D.L.R. (4th) 671; 32 Admin. L.R. 196; 21 C.P.R. (3d) 1; 86 N.R. 186 (C.A.); Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (2000), 187 D.L.R. (4th) 675; 6 C.P.R. (4th) 289; 256 N.R. 278 (C.A.).
décisions citées :
Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières) (2001), 199 D.L.R. (4th) 577; 29 Admin. L.R. (3d) 1; 14 B.L.R. (3d) 1; 269 N.R. 311 (C.S.C.); Canada (Sous-ministre du Revenu national—M.R.N.) c. Mattel Canada Inc. (2001), 199 D.L.R. (4th) 598; 29 Admin. L.R. (3d) 56; 12 C.P.R. (4th) 417; 270 N.R. 153 (C.S.C.); Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R. 1; John Doe v. Ontario (Information and Privacy Commissioner) (1993), 13 O.R. (3d) 767; 106 D.L.R. (4th) 140; 19 Admin. L.R. (2d) 251; 64 O.A.C. 248 (C. div.); Walmsley v. Ontario (Attorney General) (1997), 34 O.R. (3d) 611; 3 Admin. L.R. (3d) 42; 101 O.A.C. 140 (C.A.); Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 53 F.T.R. 147; 6 Admin. L.R. (2d) 54 (C.F. 1re inst.); conf. par (1993), 154 N.R. 319; 13 Admin. L.R. (2d) 304 (C.A.F.); Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24 D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255; 16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d) 35; 63 N.R. 353.
APPELS du rejet par le juge de première instance des demandes de contrôle judiciaire du refus du ministre de communiquer les documents relatifs au processus d’octroi que lui avait demandés le Commissaire à l’information et Telezone (3430901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de l’Industrie) (1999), 177 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.)). Appels rejetés.
ONT COMPARU :
Lawrence A. Elliot pour les appelantes 3430901 Canada Inc. et Telezone Inc.
Michael L. Phelan et Daniel Brunet pour l’appelant le Commissaire à l’information du Canada.
Christopher M. Rupar pour l’intimé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Borden Ladner Gervais LLP, Ottawa, pour les appelantes 3430901 Canada Inc. et Telezone Inc.
Commissariat à l’information, Ottawa, pour l’appelant le Commissaire à l’information du Canada.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Evans, J.C.A. :
A. INTRODUCTION
[1] En réponse à un appel d’offres, Telezone Inc. et son successeur, 3430901 Canada Inc. (Telezone), ont présenté au ministre de l’Industrie une demande de licence concernant des services de communications personnelles, principalement des services téléphoniques sans fil. Quatre licences ont été octroyées, mais aucune n’a été accordée à Telezone.
[2] Telezone a demandé à Industrie Canada de lui communiquer des renseignements sur le processus décisionnel. Sa demande a été en grande partie rejetée pour le motif que les documents demandés étaient soustraits à l’obligation générale de communication imposée par la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1. Telezone a déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information qui a fait enquête sur le refus et a recommandé la communication de la plupart des documents et renseignements demandés. Après avoir examiné ces recommandations, le ministre a communiqué d’autres renseignements, mais a continué de refuser certains des documents demandés, notamment ceux qui concernaient l’importance accordée aux divers critères ayant servi à l’évaluation des demandes de licence.
[3] Le Commissaire à l’information et Telezone ont présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire du refus du ministre. Le juge Sharlow de la Section de première instance, aujourd’hui juge à la Cour d’appel, a rejeté les demandes : (1999), 177 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.). Les appelants interjettent appel de cette décision.
[4] Telezone n’a jamais demandé le contrôle judiciaire de la décision du ministre de ne pas lui accorder de licence et cette question ne nous a pas été soumise. Les appels réunis en l’espèce résultent plutôt du refus du ministre de communiquer les documents relatifs au processus d’octroi de licence que lui ont demandés le Commissaire et Telezone. Ils soulèvent trois questions importantes quant à l’administration de la Loi sur l’accès à l’information et, notamment, quant à la portée de l’alinéa 21(1)a) qui soustrait les « avis ou recommandations élaborés […] pour […] un ministre » à l’obligation pour les responsables des institutions fédérales de communiquer les documents demandés en vertu de la Loi.
[5] Premièrement, les pourcentages attribués à l’origine aux critères sur lesquels reposait l’octroi discrétionnaire des licences ont-ils été qualifiés à juste titre d’« avis ou recommandations », ou s’agissait-il du fondement factuel des conclusions des fonctionnaires qui ont évalué les demandes?
[6] Deuxièmement, lorsque le ministre a rejeté certains de ces pourcentages et a ordonné une nouvelle évaluation tenant compte des pourcentages pondérés qu’il avait approuvés, ces pourcentages finals ont-ils cessé d’être des « avis ou recommandations » et sont-ils plutôt devenus les motifs de la décision?
[7] Troisièmement, si les pourcentages étaient considérés à juste titre comme des « avis ou recommandations », était-ce à la personne demandant la communication ou au responsable de l’institution fédérale qu’il incombait d’établir que le responsable de l’institution fédérale avait exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à la loi?
[8] Les présents motifs seront déposés dans les deux dossiers d’appel et constitueront la décision dans les deux cas.
B. LES FAITS
[9] En juin 1995, le ministre de l’Industrie a invité les parties intéressées à fournir des services de communications personnelles sur une gamme de fréquences de 2 GHz à présenter des demandes de licences. L’annonce indiquait que le ministre prévoyait octroyer six licences, mais que ce nombre pourrait être inférieur. Les demandeurs ont été informés de la politique et du cadre dans lequel Industrie Canada prendrait les décisions, notamment les objectifs du programme du spectre et des communications du Ministère qui comportaient certains des critères qui serviraient à évaluer les demandes. Dix-sept demandes ont été présentées, dont une par Telezone.
[10] La première étape du processus décisionnel était une analyse de toutes les demandes par un groupe de travail formé de gestionnaires du programme du spectre et des télécommunications d’Industrie Canada, qui ont consulté des experts d’autres ministères fédéraux et du secteur privé. La tâche du groupe consistait à évaluer les demandes à l’aide des critères d’évaluation et de pondération approuvés par le sous-ministre adjoint dans un document daté du 14 septembre 1995 afin de noter les demandes et de présenter ses conclusions au comité de sélection, notamment ses recommandations quant aux demandeurs auxquels le ministre devrait octroyer une licence.
[11] Pendant quelques jours à la mi-novembre 1995, le groupe de travail a présenté de vive voix ses conclusions à un deuxième organisme, le comité de sélection, et lui a remis un document indiquant les notes accordées à chacun des demandeurs.
[12] Le comité de sélection, qui était formé de gestionnaires supérieurs du programme du spectre et des télécommunications d’Industrie Canada, s’est réuni pendant deux jours fin novembre ou début décembre, et a préparé des notes ainsi que des notes de service à l’intention du ministre. Le comité a classé les demandes en se servant des mêmes critères et pourcentages qu’avait utilisés le groupe de travail et, à l’aide de ces documents, a produit un tableau indiquant les notes accordées aux demandeurs qui s’étaient classés parmi les quatre premiers.
[13] Le tableau a été remis au ministre au début du mois de décembre, lors d’une rencontre avec des gestionnaires supérieurs du Ministère; après avoir demandé à voir les critères d’évaluation, le ministre a ordonné que le texte de certains des critères ainsi que certains pourcentages soient modifiés. On a demandé à un fonctionnaire d’ajuster les notes afin de tenir compte des nouveaux pourcentages. Il est admis que les modifications apportées par le ministre aux pourcentages attribués aux facteurs en question ont eu une incidence sur le résultat. Peu de temps après avoir donné ces instructions, le ministre a annoncé les noms des quatre demandeurs retenus, dont Telezone ne faisait pas partie.
[14] Insatisfaite de la décision de ne pas lui accorder de licence, Telezone a envoyé une série de lettres et a communiqué avec divers fonctionnaires d’Industrie Canada. En janvier 1996, elle a présenté une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information afin d’obtenir la communication des documents relatifs à l’octroi des licences.
[15] Ce sont M. Pierre Trottier, le coordonnateur du bureau Accès à l’information et protection des renseignements personnels (AIPRP) d’Industrie Canada, et Mme Micheline Payant, conseillère principale au sein de ce bureau, qui se sont occupés de la demande. Le pouvoir discrétionnaire du ministre de communiquer des documents visés par une exception a été délégué à M. Trottier. En mars 1997, soit environ 14 mois après le dépôt de la demande de Telezone, Industrie Canada a donné communication d’une partie des documents demandés, mais a continué de refuser de communiquer les autres.
[16] Après avoir reçu une plainte de Telezone, le Commissaire à l’information a fait enquête sur le refus et, après avoir reçu les observations écrites de la plaignante et du Ministère, a présenté un rapport au sous-ministre en novembre 1997. Le rapport maintenait en partie la plainte et recommandait au Ministère d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de faire une communication plus poussée des documents visés par les exceptions.
[17] En conséquence, le Ministère a communiqué d’autres documents en décembre 1997 ainsi qu’en février et en mars 1998. Toutefois, il n’a pas communiqué tous les renseignements recommandés par le Commissaire à l’information. Après avoir reçu le rapport du Commissaire à l’information en février 1998, Telezone a autorisé celui-ci à demander le contrôle judiciaire du refus du Ministère de lui donner communication de tous les documents qu’elle avait demandés.
C. DÉCISION DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
[18] Le juge qui a entendu les demandes a évalué selon la norme de la décision correcte la prétention du ministre selon laquelle les documents en litige étaient visés par une exception à la communication soit en tant qu’«avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre » ou en tant que « comptes rendus de consultations ou délibérations où sont concernés des cadres ou employés d’une institution fédérale, un ministre ou son personnel » au sens des alinéas 21(1)a) et b). Après avoir examiné les documents, elle a statué qu’Industrie Canada avait conclu à juste titre qu’ils étaient visés par ces exceptions.
[19] Le juge a en outre statué qu’il incombait aux demandeurs de prouver que le ministre n’avait pas exercé conformément à la loi son pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des documents visés par des exceptions. Elle a toutefois examiné si l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre était approprié compte tenu de tous les éléments contenus dans le dossier sur cette question, y compris la preuve par ouï-dire versée au dossier par le Commissaire. Elle a conclu que la preuve était suffisante pour justifier l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de refuser la communication.
D. CADRE LÉGISLATIF
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985),
ch. A-1 [art. 2(1), 4(1) (mod. par L.C.
1992, ch. 1, art. 144), 21(1)a),
(2)a), 25, 41, 42(1)a), 48, 49]
2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.
[…]
4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande.
[…]
21. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents datés de moins de vingt ans lors de la demande et contenant :
a) des avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre;
[…]
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux documents contenant :
a) le compte rendu ou l’exposé des motifs d’une décision qui est prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ou rendue dans l’exercice d’une fonction judiciaire ou quasi-judiciaire et qui touche les droits d’une personne;
[…]
25. Le responsable d’une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s’autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d’en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.
[…]
41. La personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut […] exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. […]
42. (1) Le Commissaire à l’information a qualité pour :
a) exercer lui-même, à l’issue de son enquête […] le recours en révision pour refus de communication totale ou partielle d’un document, avec le consentement de la personne qui avait demandé le document;
[…]
48. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41 ou 42, la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document incombe à l’institution fédérale concernée.
49. La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit de la personne qui a exercé un recours en révision d’une décision de refus de communication totale ou partielle d’un document fondée sur des dispositions de la présente loi autres que celles mentionnées à l’article 50, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relève le document en litige d’en donner à cette personne communication totale ou partielle; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.
Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch.
R-2 [(mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 2),
art. 5(1)a)(i.1) (mod., idem, art. 4;
1996, ch. 18, art. 61)]
5. (1) Sous réserve de tout règlement pris en application de l’article 6, le ministre peut, compte tenu des questions qu’il juge pertinentes afin d’assurer la constitution ou les modifications ordonnées de stations de radiocommunication ainsi que le développement ordonné et l’exploitation efficace de la radiocommunication au Canada :
a) délivrer et assortir de conditions :
[…]
(i.1) les licences de spectre à l’égard de l’utilisation de fréquences de radiocommunication définies dans une zone géographique déterminée,
E. ANALYSE
[20] Devant la Section de première instance, Telezone a fait part de ses doléances quant à la manière dont Industrie Canada avait traité sa demande de communication. Le juge a considéré que ces plaintes n’étaient nullement pertinentes aux questions dont elle avait été saisie. Je suis d’accord avec le juge et je n’ai rien d’autre à dire à ce sujet.
[21] Au moment où l’appel a été entendu, les appelants avaient diminué le nombre de documents dont ils demandaient communication. Les documents ou parties de documents dont le Commissaire à l’information a demandé communication concernent : (i) les pourcentages pondérés attribués aux critères utilisés par le groupe de travail dans l’évaluation initiale des demandes de licence; (ii) les pourcentages pondérés attribués aux critères d’évaluation finals utilisés par le Ministère pour classer et choisir les demandeurs retenus; et (iii) des extraits de quatre autres documents indiquant au ministre les options de politique qui s’offraient à lui. La liste de Telezone était considérablement plus longue, mais portait principalement sur les méthodes d’évaluation des demandes de licence et les notes attribuées pour les divers critères.
[22] L’avocat du ministre a pour sa part été en mesure de limiter les questions en litige en faisant part à la Cour de son intention d’invoquer uniquement l’alinéa 21(1)a) pour justifier les refus.
Question 1 : Interprétation de la Loi sur l’accès à l’information
[23] Les appelants soutiennent que le juge qui a entendu les demandes a commis une erreur en ne suivant pas pour interpréter la Loi la méthode établie tant dans la jurisprudence de notre Cour que dans celle de la Cour suprême du Canada. Ils affirment notamment que le juge n’a pas tenu compte dans son analyse des deux principes fondamentaux applicables à l’interprétation de la Loi sur l’accès à l’information : le droit du public d’avoir accès aux documents de l’administration fédérale doit recevoir une interprétation large tenant compte de l’objet de la loi énoncé au paragraphe 2(1) et, de ce fait, les exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation aussi restreinte que nécessaire pour respecter leur objet et le libellé utilisé pour les exprimer.
[24] À mon avis, il ressort clairement du paragraphe 44 de ses motifs que le juge n’a pas commis d’erreur de droit en ne tenant pas compte de la nécessité d’interpréter les exceptions prévues par la Loi en considérant à la fois l’objectif de la Loi et les valeurs qui sous-tendent les exceptions invoquées, et en particulier, en ce qui concerne l’alinéa 21(1)a), la préservation des échanges sans entraves de renseignements entre les fonctionnaires participant au processus décisionnel. Toutefois, vu l’importance du cadre d’interprétation des dispositions précises de la Loi, il convient de rappeler ici brièvement certaines remarques pertinentes faites par les tribunaux.
[25] Premièrement, dans l’arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, au paragraphe 63, le juge La Forest a exposé le caractère constitutionnel de la Loi lorsqu’il a dit :
Les droits aux renseignements détenus par l’État visent à améliorer les rouages du gouvernement, de manière à le rendre plus efficace, plus réceptif et plus responsable. En conséquence, bien que la Loi sur l’accès à l’information reconnaisse un droit d’accès général aux « documents des institutions fédérales » (par. 4(1)), il importe de tenir compte de l’objectif général de cette loi pour déterminer s’il y a lieu de reconnaître une exception à ce droit général.
[26] Deuxièmement, dans l’arrêt Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1995] 2 C.F. 110 (C.A.), à la page 128, le juge Létourneau a dit qu’il incombait aux cours de justice de donner au droit d’accès du public la même sorte d’«interprétation libérale et fondée sur l’objet visé » qu’aux droits de ne faire l’objet d’aucune discrimination. C’est pourquoi, invoquant aussi la clause dérogatoire contenue au paragraphe 4(1) qui fait en sorte que la Loi l’emporte sur toute autre loi incompatible, il a ajouté (à la page 129) :
[…] le législateur fédéral voulait que la Loi ait une application libérale et large et que les exceptions au droit du public à la communication de ces documents soient précises et limitées. [Soulignement ajouté.]
[27] Troisièmement, examinant l’interprétation des exceptions au droit général à la communication, le juge McDonald a dit dans l’arrêt Rubin c. Canada (Ministre des Transports), [1998] 2 C.F. 430 (C.A.), au paragraphe 24 :
Il importe de souligner que cela ne signifie pas que la Cour doit remanier les exceptions prévues par la Loi afin de créer des exceptions plus limitées. Un tribunal doit toujours travailler avec le libellé qui lui a été soumis. Si le sens est manifeste, il n’appartient pas à la Cour ou à un autre tribunal de le modifier. Toutefois, si une disposition renferme une ambiguïté, c’est-à-dire qu’elle peut être interprétée de deux façons (comme l’alinéa 16(1)c) en l’espèce), alors la Cour doit, vu la présence de l’article 2, choisir l’interprétation qui porte le moins atteinte au droit du public à l’accès à des documents qui est prévu à l’article 4 de la Loi.
Question 2 : Norme de contrôle
(i) « avis ou recommandations » : interprétation et application
[28] L’avocat du ministre a soutenu que le juge avait commis une erreur en statuant qu’il fallait examiner selon la norme de la décision correcte l’interprétation par le ministre de la portée d’une exception prévue par la loi à l’obligation de communiquer. Il a souligné que le juge avait choisi la norme en consultant un éventail de facteurs plus restreints que ceux prescrits dans l’analyse pragmatique ou fonctionnelle conçue par la Cour suprême du Canada, notamment dans les arrêts Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; et Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.
[29] Plus récemment, la Cour a confirmé les paramètres de l’examen de la norme de contrôle approuvée dans ces arrêts, faisant toutefois aussi remarquer que l’on devrait considérer l’arrêt Pushpanathan, précité, comme un synopsis et non comme une modification de la jurisprudence antérieure : Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières) (2001), 199 D.L.R. (4th) 577 (C.S.C.), au paragraphe 48; Canada (Sous-ministre du Revenu national—M.R.N.) c. Mattel Canada Inc. (2001), 199 D.L.R. (4th) 598 (C.S.C.), aux paragraphes 23 à 33.
[30] L’avocat a soutenu que le juge avait commis une erreur en appuyant sa conclusion presque exclusivement sur la décision Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes c. Canada (Ministre des Finances), [1999] 4 C.F. 245 (1re inst.). J’ai statué dans cette affaire (aux paragraphes 12 et 13) que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte parce que, contrairement à ce qui se produit dans le cas de nombreuses lois provinciales sur l’accès à l’information, l’acte administratif habituellement contrôlé dans le cadre fédéral est le refus d’un responsable d’une institution fédérale de communiquer un document et non celui du Commissaire à l’information, un haut fonctionnaire du Parlement, indépendant du pouvoir exécutif. Les responsables des institutions fédérales ne sont pas neutres dans l’interprétation et l’application de la Loi sur l’accès à l’information et ils sont susceptibles d’avoir un parti-pris institutionnel les incitant à restreindre le droit d’accès du public et à interpréter libéralement les exceptions.
[31] Toutefois, le raisonnement quelque peu sinueux suivi dans l’analyse pragmatique ou fonctionnelle mène, en l’espèce, exactement au même point que l’analyse très concise faite dans la décision Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes, précitée, qui portait expressément sur les objectifs de la loi et la nature du décideur.
[32] Pour ce qui est des éléments de l’analyse pragmatique ou fonctionnelle que la Section de première instance n’a pas expressément examinés en l’espèce, je signale tout d’abord que la Loi ne contient aucune clause privative assurant une protection contre un recours en révision et ne prévoit aucun droit d’appel du refus du responsable d’une institution de communiquer des renseignements en réponse à une demande. On a dit que l’absence d’une telle clause montrait l’intention du législateur de permettre à la Cour de conserver son « pouvoir général de surveillance » (Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, à la page 584).
[33] On pourrait certes aussi affirmer que l’absence d’un droit d’appel prévu par la loi dénote une norme d’examen fondée sur la retenue, tout comme l’on peut dire d’un verre à moitié rempli qu’il est à moitié plein ou à moitié vide. Toutefois, au paragraphe 2(1), qui expose l’objet de la Loi sur l’accès à l’information, le législateur a expressément prévu des recours « indépendants du pouvoir exécutif » à l’encontre des refus de communication. À mon avis, il s’agit à la fois de l’examen par le Commissaire à l’information et de la révision par la Cour fédérale en vertu de l’article 41.
[34] Ainsi, l’absence d’une clause privative, la disposition expresse prévoyant que la Cour peut réviser les refus et l’importance accordée par la Loi à un examen indépendant sont des indices de la volonté du législateur que la Cour puisse évaluer selon la norme de la décision correcte les questions de droit tranchées par le ministre.
[35] Si on examine maintenant l’expertise du décideur, je reconnais que, comme les autres responsables des institutions traitant des demandes de communication, le ministre de l’Industrie peut avoir recours à l’expérience des membres d’un service ministériel spécialisé qui, dans le cadre de leurs fonctions, ont régulièrement à interpréter et à appliquer la Loi sur l’accès à l’information. De plus, le ministre et ses conseillers sont bien placés pour évaluer si, pour permettre au gouvernement de fonctionner efficacement afin de promouvoir l’intérêt public, il est nécessaire pour assurer le fonctionnement efficace interne du gouvernement de préserver un certain degré de confidentialité dans les communications entre les fonctionnaires ainsi qu’entre les fonctionnaires et le ministre dans l’élaboration des politiques.
[36] Toutefois, il faut trouver un équilibre entre cette expertise et le principal objectif de la Loi, savoir conférer au public un droit d’avoir accès aux documents de l’administration fédérale, bien que ce droit soit limité par d’autres considérations, et créer des mécanismes indépendants de révision permettant d’atteindre cet objectif. La clé pour interpréter la portée du droit d’accès et des exceptions consiste à établir un juste équilibre avec les principes opposés consacrés par la loi qui les sous-tendent, une fonction qu’un organisme indépendant du pouvoir exécutif est plus apte à remplir que l’institution opposant son refus à une demande de communication. Comme l’avocat du Commissaire à l’information l’a exprimé avec concision au cours des débats, si la Cour devait limiter l’obligation qui lui est imposée par l’article 41 à la révision des demandes de communication refusées par le ministre en se fondant sur les interprétations et les applications de la Loi faites par le Ministère, cela équivaudrait à confier la garde du poulailler au renard.
[37] Troisièmement, je suis convaincu qu’en raison de la nature des questions à trancher en l’espèce, la norme applicable est une norme proche de celle de la décision correcte. Le principal argument invoqué par les appelants pour contester le refus du ministre était qu’étant donné le cadre d’interprétation à appliquer aux dispositions législatives, le ministre a interprété les mots « avis ou recommandations » sans accorder la portée restreinte qui convenait à l’exception prévue à l’alinéa 21(1)a). De plus, il est allégué que l’affidavit souscrit par un fonctionnaire qui n’avait pas une connaissance directe du traitement accordé à la demande de communication présentée par Telezone était insuffisant pour libérer le ministre de l’obligation de démontrer qu’il avait exercé régulièrement son pouvoir discrétionaire de refuser de communiquer des documents visés par l’exception.
[38] Le sens qu’il faut accorder aux mots « avis ou recommandations » est une question d’interprétation législative qui repose sur la compréhension des principes fondamentaux sous-tendant le cadre législatif. Cela est également vrai, bien que dans une moindre mesure, de la question de savoir s’il incombe aux appelants ou au ministre de prouver l’exercice approprié par le ministre du pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des documents visés par l’exception de l’alinéa 21(1)a). Ces questions concernant l’application de la loi semblent, selon moi, être suffisamment générales pour indiquer que, en l’absence des facteurs pouvant mener à une conclusion différente, l’évaluation doit être faite selon la norme de la décision correcte, notamment parce que la décision faisant l’objet du contrôle est celle d’une institution protagoniste et non d’une institution indépendante.
[39] Je reconnais que les questions de savoir si les documents ou des extraits de ceux-ci sont visés par l’exception, une fois que celle-ci a été correctement interprétée, si on a envisagé la dissociation et si la preuve était suffisante pour libérer le ministre de la charge de la preuve, sont particulières à la présente espèce et comportent des éléments factuels. Néanmoins, une fois examinés tous les autres éléments de l’analyse pragmatique ou fonctionnelle, notamment l’importance d’un examen indépendant, je ne suis pas convaincu que ces questions soit relèvent suffisamment de l’expertise du ministre soit échappent à la compétence de la cour de révision de sorte qu’il y a lieu d’appliquer une norme d’examen fondée sur la retenue, vu en particulier l’importance du droit auquel elles se rapportent.
[40] Il ne me reste qu’à ajouter que le fait que des tribunaux aient appliqué une norme d’examen fondée sur la retenue en vertu de la loi ontarienne sur l’accès à l’information (voir, par exemple, John Doe v. Ontario (Information and Privacy Commissioner) (1993), 13 O.R. (3d) 767 (C. div.)) est peu ou pas pertinent à la loi fédérale sur l’accès à l’information parce que, comme on l’a vu précédemment, en vertu de la loi ontarienne, les décisions examinées sont celles du Commissaire à l’information et non celles du responsable d’une institution. En fait, même en vertu du cadre législatif ontarien, les tribunaux ont parfois examiné en fonction de la norme de la décision correcte l’interprétation de la Loi faite par le Commissaire : voir, par exemple, Walmsley v. Ontario (Attorney General) (1997), 34 O.R. (3d) 611 (C.A.).
[41] Quatrièmement, pour les motifs déjà examinés, il convient pour la Cour, en raison de l’objet de la Loi sur l’accès à l’information et de l’importance d’effectuer un examen indépendant des refus aux fins de l’objectif de la Loi, d’évaluer l’interprétation et l’application de la Loi par le ministre en appliquant la norme de la décision correcte. En fait, compte tenu de l’indépendance du Commissaire à l’information, des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, de son expertise et de la procédure qui doit être suivie, les tribunaux doivent faire preuve d’une plus grande retenue à l’égard des conclusions de droit et des conclusions de fait et de droit sur lesquelles il fonde ses rapports et recommandations qu’à l’égard de celles d’un ministre.
[42] Néanmoins, même si elle examine attentivement les rapports du Commissaire, la Cour peut être en désaccord avec celui-ci sur les questions de droit et les questions mixtes de droit et de fait sans avoir à être tout d’abord convaincue que la conclusion du Commissaire était injustifiée : la Cour est chargée d’examiner les refus des responsables des institutions fédérales et non les recommandations du Commissaire.
(ii) exercice du pouvoir discrétionnaire
[43] L’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre fait partie des questions à trancher. Comme la Loi sur l’accès à l’information laisse au ministre le soin de déterminer s’il y a lieu de communiquer des documents visés par l’alinéa 21(1)a) et ne limite pas expressément l’exercice de ce pouvoir, la Cour ne peut pas décider en lieu et place du ministre comment ce pouvoir discrétionnaire devrait être exercé : Conseil canadien des oeuvres de charité chrétiennes, précité, aux paragraphes 18 et 19; en ce qui concerne des dispositions similaires de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, voir Kelly c. Canada (Solliciteur général) (1992), 53 F.T.R 147 (C.F. 1re inst.), à la page 149 (le juge Strayer), approuvé dans Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, au paragraphe 110 (le juge La Forest).
[44] Toutefois, compte tenu de l’arrêt Baker, précité, on doit considérer que les motifs qui permettent de contrôler la légalité de l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des documents sont plus nombreux que ceux qui ont été énoncés dans l’arrêt Dagg, précité, au paragraphe 111, où ils se limitaient à la mauvaise foi, au manquement aux principes de justice naturelle et à la pertinence des considérations sur lesquelles s’est fondé le décideur.
[45] À mon avis, on peut également examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l’alinéa 21(1)a) pour déterminer s’il était déraisonnable. De plus, c’est la norme de la « décision déraisonnable simpliciter », et non celle de la décision manifestement déraisonnable, qui est la variante pertinente de l’examen de la rationalité applicable à la décision discrétionnaire en l’espèce. L’importance accordée par la Loi au droit touché, savoir le droit du public d’avoir accès aux documents de l’administration fédérale garanti par un examen indépendant du refus de les communiquer, et la nature particulière de la décision de principe prise l’emportent sur l’expertise dont disposait le ministre lorsqu’il a pris la décision et son obligation de rendre compte au Parlement.
[46] À mon avis, la présente espèce se distingue facilement de l’arrêt Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, où la Cour a statué que l’exercice par une municipalité de son pouvoir d’ordonner l’enlèvement d’une nuisance ne pouvait être annulé pour irrationalité que s’il était démontré que cette décision était manifestement déraisonnable et non simplement déraisonnable simpliciter. La Cour a fait remarquer (au paragraphe 35) qu’en prenant cette décision discrétionnaire, les conseillers ont tenu compte des circonstances locales et qu’étant donné qu’ils étaient mieux placés à cet égard que la Cour, il fallait faire preuve de la plus grande retenue à l’égard de leur décision. Le fait que les règlements et arrêtés municipaux empêchent habituellement la contestation des règlements ou résolutions fondée sur la question du caractère déraisonnable constituait un autre signe pour la Cour (au paragraphe 39) que l’on devait considérer que la province avait limité l’examen de la rationalité aux décisions manifestement déraisonnables. Enfin, les droits de propriété touchés par la décision d’ordonner l’enlèvement d’un tas de terre ne soulèvent certes pas une question quasi constitutionnelle aussi importante que la limite qu’impose au droit du public d’avoir accès aux documents de l’administration fédérale le pouvoir discrétionnaire de refuser d’en donner communication.
(iii) conclusions
[47] Lorsqu’elle examine le refus du responsable d’une institution fédérale de communiquer un document, la Cour doit déterminer, en appliquant la norme de la décision correcte, si le document demandé est visé par une exception. Toutefois, lorsque la Loi confère au responsable d’une institution fédérale le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer un document visé par une exception, la légalité de l’exercice de ce pouvoir doit faire l’objet d’un examen s’appuyant sur les motifs qui permettent normalement, en droit administratif, de revoir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire administratif, notamment le caractère déraisonnable. Je soulignerai simplement sans faire une analyse fonctionnelle ou pragmatique que ces conclusions sont identiques à celles du juge La Forest dans l’arrêt Dagg, précité.
Question 3 : « Avis ou recommandations »
[48] Les appelants soutiennent que le juge a commis une erreur de droit en considérant que certains des documents en cause contenaient des « avis » au sens de l’alinéa 21(1)a). Il convient d’examiner séparément les diverses catégories de documents qui contiendraient des avis. L’avocat des appelants a toutefois prétendu qu’en ce qui concerne tous les documents, la Cour devrait attribuer au mot « avis » un sens correspondant au contexte législatif dans lequel il est utilisé.
[49] Autrement dit, étant donné que le mot « avis » se trouve dans un alinéa limitant le droit d’accès aux documents de l’administration fédérale, on devrait lui donner un sens étroit concordant avec le paragraphe 2(1) qui prévoit que les exceptions au droit d’accès doivent être « précises et limitées ». Il importe peu que, dans d’autres contextes, notamment dans la langue de tous les jours, le mot « avis » puisse avoir une connotation plus large.
[50] Je n’ai certes rien à redire à cette affirmation en tant que principe général. Toutefois, un examen du contexte législatif dans lequel le mot « avis » est employé n’est absolument d’aucun secours pour les appelants. Par exemple, on peut penser qu’en décidant d’inclure les « avis ou recommandations » dans une exception, le législateur voulait que le premier ait un sens plus général que le deuxième, sinon il y aurait redondance.
[51] De plus, il faut interpréter l’exception en tenant compte de l’objectif visé, savoir supprimer les obstacles aux communications libres et spontanées entre les ministères et assurer que le processus décisionnel ne fasse pas l’objet d’un examen extérieur approfondi, susceptible de miner la capacité du gouvernement de s’acquitter de ses fonctions essentielles : Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes, précité, aux paragraphes 30 à 32.
[52] Compte tenu de ces considérations, j’inclurais dans le mot anglais advice (avis) l’expression d’une opinion sur des questions de politique, mais j’en exclurais les renseignements de nature très factuelle, même si le verbe advise est parfois utilisé dans la langue courante relativement à une communication qui n’est pas normative et n’a pas la nature d’une opinion. Ainsi, un policier peut dire qu’il a advised (informé) le suspect de ses droits juridiques ou, lorsque la personne détenue lui a demandé l’heure, qu’il l’a advised (informée) qu’il était deux heures.
[53] J’examinerai maintenant les arguments invoqués relativement aux diverses catégories de documents qui, de l’avis du ministre, sont visés, en tout ou en partie, par l’exception parce qu’ils contiennent des « avis ou recommandations » au sens de l’alinéa 21(1)a).
(i) pourcentages attribués par le groupe de travail
[54] L’avocat des appelants a soutenu que les documents contenant les pourcentages attribués par le groupe de travail aux divers critères permettant d’évaluer les demandes de licence n’étaient rien d’autre qu’un compte rendu de la manière dont le groupe s’était acquitté de sa tâche, et que les faits ne sont pas des avis.
[55] Comme je l’ai déjà indiqué, je reconnais que l’alinéa 21(1)a) ne devrait s’appliquer qu’aux éléments normatifs, politiques ou consultatifs des avis, et ne devrait pas s’étendre aux faits sur lesquels ils reposent. Je reconnais également que, chaque fois que cela est raisonnablement possible, les éléments factuels des avis devraient être dissociés en vertu de l’article 25 et communiqués, même si, comme l’a fait observer le juge au paragraphe 58 de ses motifs, les avis et les faits peuvent être si entremêlés qu’il est impossible de le faire.
[56] Il est toutefois à mon avis impossible de soutenir que les documents provenant des membres du groupe de travail qui ont examiné les pourcentages pondérés sont essentiellement factuels. Le groupe a informé le comité de sélection, et ultimement le ministre, des bases de l’évaluation afin de recommander au ministre le classement approprié des demandes et non pour faire un simple compte rendu de la manière dont il s’était acquitté de son travail. Les pourcentages représentaient le point de vue du groupe de travail, approuvé par le sous-ministre adjoint, quant à l’importance relative des divers objectifs gouvernementaux poursuivis par l’octroi des licences.
[57] À mon avis, le contenu des documents est principalement normatif plutôt que simplement factuel, de sorte qu’ils sont visés par les motifs qui permettent de refuser de communiquer des documents en vertu de l’exception prévue à l’alinéa 21(1)a). Le fait que le groupe de travail informait implicitement, plutôt qu’expressément, le ministre de l’importance relative qui devait être accordée aux divers facteurs d’évaluation dans la décision finale n’a aucune incidence sur cette conclusion.
[58] Par conséquent, le ministre a considéré à juste titre qu’étaient visés par l’alinéa 21(1)a) les documents ou extraits de documents provenant du groupe de travail et du comité de sélection qui contiennent les pourcentages attribués par le groupe de travail aux divers critères d’évaluation, les descriptions des critères qui n’ont pas été communiquées par le ministre et la notation numérique de la demande de Telezone.
(ii) avis non communiqués
[59] L’avocat de Telezone a également soutenu qu’aux fins de la Loi à tout le moins, le contenu d’un document ne peut constituer un avis que s’il est communiqué dans le but de conseiller une autre personne. Le ministre a donc eu tort de refuser, en vertu de l’exception prévue à l’alinéa 21(1)a), de communiquer les documents contenant les notes personnelles prises par un membre du groupe de travail dans le cadre de la préparation de la réunion du groupe ainsi que les documents de travail qui ont été préparés par les membres du groupe avant la réunion et n’ont été communiqués, s’il y a bel et bien eu communication, qu’aux autres membres du groupe afin de les informer de la progression de l’évaluation des demandes par le groupe.
[60] Je n’accepte pas cet argument. Il est question à l’alinéa 21(1)a) des avis « élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre » [soulignement ajouté]. Il s’ensuit à mon avis qu’un document entrant par ailleurs dans la catégorie des « avis » contient néanmoins un avis, même s’il n’avait pour but que d’aider les participants au processus décisionnel à formuler les avis ou recommandations qu’ils feraient en fin de compte à l’ultime décideur. Ces documents font partie intégrante du processus par lequel les avis sur les politiques ont été élaborés au sein d’Industrie Canada relativement à la sélection des demandeurs de licence dont les demandes devaient être retenues.
(iii) avis non concluants
[61] D’autres documents demandés par Telezone précisent au ministre les éléments les plus importants des demandes de licence, l’informent des questions qui nécessitent une décision et exposent les options qui s’offrent à lui quant à la décision, ainsi que les arguments pour et contre ces options. On a soutenu qu’un fonctionnaire ne donne pas un « avis » lorsqu’il précise simplement la question qui doit faire l’objet d’une décision et expose les options qui s’offrent, sans tirer de conclusion quant à la décision qui devrait être rendue ou à l’option qui devrait être choisie.
[62] Je ne suis pas d’accord avec cet argument. Premièrement, en insistant pour dire que l’avis doit conseiller une mesure précise, l’avocat semble assimiler les « avis » aux « recommandations » même si, en employant les deux mots à l’alinéa 21(1)a), le législateur a clairement indiqué que des documents qui ne contiennent pas des « recommandations » peuvent néanmoins être visés par l’exception.
[63] Deuxièmement, une note de service à l’intention du ministre indiquant qu’une décision doit être prise sur une question, précisant les points saillants d’une demande ou présentant une gamme d’options de politique sur une question comporte implicitement le point de vue de l’auteur sur ce que devrait faire le ministre, la manière dont il devrait envisager une question ou les paramètres de la décision à prendre. Tous ces éléments sont de nature normative et font partie intégrante du processus décisionnel d’une institution. On ne peut pas dire qu’ils servent simplement à informer le ministre de questions qui, par leur nature, sont largement factuelles. Je ne pense pas non plus que le mot « avis », qui est généralement traduit en anglais par le mot « opinion », dans le texte français de l’alinéa 21(1)a) a un sens plus limité dans ce contexte que le mot « advice » dans le texte anglais.
[64] C’est pourquoi les documents demandés font partie des problèmes que l’alinéa 21(1)a) vise à régler, savoir le risque que la communication mette en péril l’échange sans entraves de renseignements au sein du gouvernement qui est essentiel à la prise des décisions, ce qui minerait la capacité du gouvernement d’exercer le pouvoir.
(iv) pondération finale
[65] Les appelants ont également soutenu que le mot « avis » ne s’entend pas aux fins de l’alinéa 21(1)a) du contenu d’un document préparé par un fonctionnaire après que le ministre lui a donné comme instructions de recalculer les notes et de revoir le classement des demandeurs en utilisant les pourcentages pondérés pour certains des critères d’évaluation différents de ceux utilisés par le comité de sélection. Suivant cet argument, en acceptant le classement produit par le fonctionnaire et en accordant les licences en conséquence, le ministre a fait de ce qui pouvait auparavant être des « avis » le fondement de sa décision. C’est pourquoi un demandeur, comme Telezone, devrait avoir accès au document, ou à l’extrait pertinent de celui-ci, contenant ses notes finales quant aux divers critères d’évaluation, ainsi que les pourcentages pondérés qui leur ont finalement été attribués.
[66] Le juge qui a entendu les demandes a rejeté cet argument au paragraphe 79 de ses motifs parce que le principal document contenant ces renseignements, une note de service datée du 15 décembre 1995 adressée au ministre par le sous-ministre adjoint, avait « pour objet de présenter des avis et recommandations au ministre » sur l’octroi de licences. Le juge n’a pas considéré que la nature du document avait été modifiée parce que le ministre en avait fait le fondement de sa décision.
[67] Je suis d’accord avec sa position. S’il en était autrement, on pourrait conclure du refus d’un ministre de communiquer un document sur lequel il a fondé une décision que celle-ci ne va pas dans le même sens que l’avis officiel. C’est exactement le genre de problème auquel l’alinéa 21(1)a) vise à remédier.
[68] Dans une tentative de donner une nouvelle qualification au contenu des documents, l’avocat a invoqué l’alinéa 21(2)a). Cette disposition prévoit que l’exception prévue au paragraphe (1) ne s’applique pas pour « le compte rendu ou l’exposé des motifs d’une décision qui est prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire […] et qui touche les droits d’une personne » [soulignement ajouté]. C’est pourquoi, a-t-il allégué, Telezone a le droit d’obtenir communication de tous les documents demandés qui peuvent être qualifiés de compte rendu ou d’exposé des motifs de l’octroi des licences par le ministre au sens de l’alinéa 21(2)a).
[69] À mon avis, cet argument ne peut pas être retenu. L’alinéa 21(2)a) ne s’applique que lorsqu’une décision est prise et touche les droits d’une personne. En tant que partie demandant une licence, Telezone avait indubitablement dans la décision d’octroyer des licences un intérêt qui aurait pu lui donner droit au bénéfice de l’équité procédurale, droit qui n’est désormais plus restreint aux personnes dont les droits juridiques sont lésés par une décision administrative : Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653. L’intérêt de Telezone pourrait aussi avoir été suffisant pour lui conférer la qualité requise pour contester la légalité de la décision du ministre. Toutefois, le présent appel ne découle pas d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Telezone de la décision du ministre d’octroyer des licences à d’autres demandeurs.
[70] À mon sens, le mot « droits » à l’alinéa 21(2)a) ne peut s’entendre que des « droits juridiques ». Et vu que Telezone n’avait légalement aucun droit de se voir accorder une licence discrétionnaire et qu’on ne peut pas affirmer que la décision a porté atteinte à d’autres droits qu’elle possédait, l’alinéa 21(2)a) ne soustrait pas à l’application de l’alinéa 21(1)a) un document par ailleurs visé par une exception parce qu’il contient un « avis ».
[71] À l’alinéa 21(2)a), le législateur a expressément prévu qu’un document par ailleurs visé par l’alinéa 21(1)a) doit être communiqué s’il contient l’exposé des motifs d’une décision qui touche les droits d’une personne. Il n’est pas loisible aux cours de justice d’élargir la portée de l’alinéa 21(2)a) en l’appliquant à un document qui contient un exposé des motifs d’une décision discrétionnaire qui ne touche pas les droits d’une personne, même si, comme c’est le cas d’un demandeur qui s’est vu refuser une licence discrétionnaire, on peut considérer que la personne est suffisamment lésée en ce qui a trait à l’obligation d’agir équitablement ou à la qualité pour agir.
[72] En fait, l’inclusion de l’alinéa 21(2)a) dans la Loi étaye la prétention du ministre selon lequel un document contenant un avis lorsqu’il a été créé ne cesse pas de contenir un avis une fois que le décideur s’en est servi comme fondement d’une décision. L’exposé des motifs d’une décision ne saurait être visé par l’exception prévue à l’alinéa 21(1)a) que s’il tombait par ailleurs sous le coup de cet alinéa parce qu’il constitue un « avis ».
[73] À mon avis, les appelants ne peuvent obtenir gain de cause qu’en établissant que le contenu du document, qui indiquait les pourcentages finals, les critères d’évaluation non communiqués et les notes des demandeurs, n’est jamais tombé sous le coup de l’alinéa 21(1)a). Les documents en litige en l’espèce provenaient tous du fonctionnaire qui avait été chargé de donner suite aux instructions du ministre en modifiant les notes en fonction des pourcentages révisés et en revoyant la terminologie employée pour décrire certains des critères. Comme les renseignements contenus dans ces documents ont été préparés afin d’aider le ministre à prendre une décision, il s’agissait incontestablement d’« avis ».
[74] La situation aurait fort bien pu être différente si, après réception du rapport du fonctionnaire, un document distinct avait été préparé afin de préciser les motifs de la décision du ministre, notamment la pondération des divers critères et les notes des demandeurs. Même si un document distinct contenant la décision et les motifs de celle-ci avait reposé entièrement sur un avis donné par un fonctionnaire, il aurait très bien pu ne pas s’agir d’un « avis » au sens de l’alinéa 21(1)a), de sorte que la restriction apportée par l’alinéa 21(2)a) n’aurait pas été pertinente.
[75] À mon avis, l’attitude souple adoptée dans l’arrêt Baker, précité, en ce qui a trait aux motifs d’une décision administrative n’est d’aucun secours pour les appelants. En effet, le problème en l’espèce n’est pas de savoir si le document en cause contenait les « motifs » de la décision du ministre d’octroyer les licences, mais plutôt si la décision « touchait les droits d’une personne » aux fins de l’alinéa 21(2)a), ou si, en raison de son contenu, le document était visé par le paragraphe 21(1).
[76] Par conséquent, j’estime que le juge qui a entendu les demandes a eu raison de conclure que l’alinéa 21(1)a) empêchait la communication des documents contenant les pourcentages finals, la nomenclature des critères et les notes de Telezone. De plus, après avoir examiné les documents contenant les renseignements visés par l’exception de l’alinéa 21(1)a), je suis convaincu qu’en ne dissociant pas les documents en question, le juge n’a commis aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour.
Question 4 : Exercice du pouvoir discrétionnaire et charge de la preuve
[77] Le responsable d’une institution fédérale peut, à sa discrétion, communiquer des documents visés par l’exception prévue à l’alinéa 21(1)a). Les appelants soutiennent qu’il incombe au ministre de prouver qu’il a exercé ce pouvoir discrétionnaire conformément à la loi. Ils affirment que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire irrégulièrement parce qu’il ne semble pas avoir tenu compte de l’objet de la Loi ni essayé d’établir un juste équilibre entre le préjudice susceptible d’être causé au droit d’accès du public et celui susceptible d’être causé au fonctionnement efficace du gouvernement par suite de la communication.
[78] Le ministre fait valoir pour sa part qu’il incombe aux appelants de démontrer que le pouvoir discrétionnaire a été exercé irrégulièrement. Quoi qu’il en soit, l’avocat a fait valoir que les documents au dossier indiquent qu’il n’y a eu aucune irrégularité.
[79] Les appelants invoquent l’article 48 de la Loi sur l’accès à l’information pour étayer leur prétention que la charge d’établir que le pouvoir discrétionnaire a été exercé conformément à la loi incombe au ministre. Cet article prévoit que, dans les procédures de contrôle comme celle dont il est question en l’espèce, la charge d’établir le « bien-fondé du refus de communication » d’un document incombe à l’institution fédérale.
[80] Il est admis que l’article 48 impose au responsable d’une institution fédérale la charge d’établir qu’un document est visé par une exception, par exemple, parce qu’il contient des avis ou recommandations aux fins de l’alinéa 21(1)a). La question en litige est de savoir si le responsable de l’institution fédérale a également la charge d’établir que la décision de refuser la communication des documents visés par l’exception a été prise régulièrement, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi.
[81] L’avocat du Commissaire a invoqué des remarques faites dans l’arrêt Rubin c. Canada (Société canadienne d’hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265 (C.A.), aux pages 276 et 277, qui, a-t-il fait valoir, étayaient ses affirmations. Je ne suis toutefois pas convaincu que ces remarques concernaient directement la question soulevée en l’espèce. Qui plus est, l’utilité de l’arrêt Rubin, précité, sur ce point est affaiblie du fait que cet arrêt a été rendu avant la décision Kelly c. Canada (Solliciteur général), précité; confirmée par (1993), 13 Admin. L.R. (2d) 304 (C.A.F.) et l’arrêt Dagg, précité. Ces deux affaires ont établi que, pour déterminer si la communication d’un document a été correctement refusée en vertu d’une exception facultative, le tribunal de révision doit répondre à deux questions : le document était-il visé par l’exception et, le cas échéant, le pouvoir discrétionnaire de le communiquer a-t-il été exercé conformément à la loi?
[82] L’avis du juge La Forest dans l’arrêt Dagg, précité, concerne directement la question de savoir qui a la charge de la preuve. La principale question en litige dans cette affaire était de savoir si certains documents contenaient des « renseignements personnels » au sens de la définition de l’article 3 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, art. 47] de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, et, à ce titre, étaient visés par l’exception de communication prévue au paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information. Le paragraphe 19(2) indique les cas où le responsable d’une institution fédérale peut communiquer des documents contenant des renseignements personnels, notamment des renseignements qui peuvent être communiqués en vertu de l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le sous-alinéa 8(2)m)(i) de cette même Loi prévoit que la communication des renseignements personnels est autorisée dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution, des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée.
[83] Rédigeant les motifs majoritaires de la Cour, le juge Cory a statué que les renseignements contenus dans les documents demandés n’étaient pas « personnels » et a ordonné la communication des documents en litige. Étant arrivé à la conclusion contraire, le juge La Forest a examiné si le ministre avait régulièrement exercé le pouvoir discrétionnaire prévu au sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[84] La principale conclusion du juge La Forest sur cet aspect de l’affaire, à laquelle le juge Cory a souscrit « [e]n général » (paragraphe 16), était que, même si le rôle du tribunal de révision était de déterminer pour lui-même si les renseignements contenus dans le document demandé étaient des « renseignements personnels » au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Cour ne devait pas en outre examiner selon une norme de révision de novo l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de ne pas donner communication d’un document contenant des renseignements personnels. Comme il était convaincu que le ministre avait évalué les intérêts opposés, le juge La Forest a statué qu’il n’existait aucun motif permettant à la Cour d’attaquer le refus discrétionnaire de communiquer les documents.
[85] Le juge La Forest a considéré que l’article 49 de la Loi sur l’accès à l’information enjoignait expressément à la Cour d’effectuer un examen de novo pour savoir si le document faisait partie d’une catégorie visée par une exception. Cette disposition habilite la cour de révision à ordonner la communication totale ou partielle d’un document, ou à rendre une autre ordonnance si elle l’estime indiqué, « dans les cas où elle conclut au bon droit de la personne qui a exercé un recours en révision d’une décision de refus de communication totale ou partielle d’un document ». Le juge La Forest a toutefois dit (au paragraphe 107) que l’article 49 ne s’appliquait pas pour revoir la décision du ministre de communiquer des documents visés par une exception :
Il s’ensuit que l’art. 49 de la même loi n’autorise la cour à écarter la décision du responsable de l’institution fédérale que dans le cas où celui-ci n’est pas autorisé à refuser la communication d’un document. Dans les cas où, comme en l’espèce, le document demandé contient des renseignements personnels, le responsable de l’institution fédérale est autorisé à en refuser la communication, et le pouvoir de révision de novo, énoncé à l’art. 49, est épuisé.
[86] Le juge La Forest a aussi examiné si le ministre avait commis une erreur de droit lorsqu’il a répondu à la demande de communication des documents présentée par l’appelant : [traduction] « Je ne pense pas que vous ayez démontré que, s’il y avait un intérêt public en jeu, il l’emporte clairement sur le droit du particulier à la protection de sa vie privée ». Concluant que l’article 48 ne s’appliquait pas à l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire en réponse à une demande de communication, le juge La Forest a dit (au paragraphe 115) :
Cette disposition prévoit qu’il incombe au responsable d’une institution fédérale d’établir « le bien-fondé du refus » de communiquer un document demandé. Comme nous l’avons vu au sujet de l’art. 49 de la même loi, le Ministre s’est acquitté de cette obligation en démontrant que les feuilles de présences constituaient des « renseignements personnels ». Une fois cela établi, la décision du Ministre de refuser de communiquer en application du sous-al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne peut être susceptible de révision que pour le motif qu’elle constitue un abus de pouvoir discrétionnaire. Il n’« incombe » pas au Ministre de démontrer que sa décision était correcte, parce que sa décision ne peut pas faire l’objet d’un examen judiciaire selon la norme de la décision correcte.
[87] Compte tenu de la documentation dont il avait été saisi, le juge La Forest était convaincu qu’en soupesant soigneusement les intérêts opposés, le ministre s’était acquitté de l’obligation que lui imposait la loi. Il a conclu que, pour l’essentiel, l’appelant se plaignait du fait que le ministre n’avait pas motivé son refus de communiquer, mais qu’étant donné que l’omission de produire des motifs détaillés « n’a causé aucune iniquité à l’appelant » (paragraphe 114), aucune intervention de la Cour n’était justifiée pour ce motif.
[88] Comme il avait statué que les documents n’étaient pas visés par l’exception concernant les renseignements personnels, le juge Cory n’avait pas à examiner la légalité de l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire. Il a toutefois dit (au paragraphe 17) que les termes employés par le ministre dans sa réponse à la demande de communication auraient pu permettre de conclure qu’il avait « commis une erreur de principe qui lui a fait perdre compétence » en imposant au demandeur l’obligation de démontrer que l’intérêt public dans la communication de documents l’emportait sur le droit à la vie privée. Il a fait remarquer que l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne fait pas état de la charge de preuve, mais exige simplement que le ministre soit convaincu que l’intérêt public dans la communication l’emporte sur le droit à la vie privée.
[89] À mon avis, il faut inévitablement conclure, du raisonnement du juge La Forest dans l’arrêt Dagg, précité, auquel les juges de la majorité ont souscrit, que, lorsque dans un recours en révision exercé en vertu des articles 41 ou 42, le ministre a démontré comme il le lui incombait qu’un document est visé par une exception, le recours doit être rejeté à moins que le demandeur ne convainque la Cour que le ministre n’a pas exercé légalement son pouvoir discrétionnaire de refuser la communication d’un document visé par une exception. Il en est ainsi parce que le juge La Forest a dit que les mots « is not authorized to refuse to disclose » (« au bon droit de la personne qui a exercé un recours en révision d’une décision de refus de communication ») à l’article 49, ne concernent que la question de savoir si un document est visé par une exception et non si le responsable de l’institution fédérale a exercé légalement son pouvoir discrétionnaire de refuser le document.
[90] Je reconnais que le sens des mots peut changer selon le contexte dans lequel ils sont utilisés et que, tandis que l’article 49 concerne la norme de révision, l’article 48 traite de la question de la charge de la preuve dans un recours en révision. Je ne peux néanmoins pas conclure que le législateur désirait que les mêmes mots « authorized to refuse to disclose » (« le bien-fondé du refus » et « au bon droit de la personne ») dans des articles voisins de la même loi, traitant tous les deux des éléments du recours en révision, aient des sens différents. En fait, le juge La Forest a nettement considéré que ces articles étaient similaires puisqu’il a invoqué son interprétation des mots « not authorized to refuse to disclose » («au bon droit de la personne ») de l’article 49 pour conclure que l’article 48 n’a pas inversé la charge de la preuve et n’exige pas que le ministre soit convaincu que le droit à la vie privée l’emporte sur le droit à la communication d’un document visé par une exception lorsqu’on lui a demandé de le communiquer dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
[91] Par contre, le juge Cory a estimé que le ministre aurait pu commettre une erreur s’il avait imposé à la personne demandant la communication l’obligation de démontrer que l’intérêt public dans la communication l’emporte sur le droit à la vie privée. Il était toutefois de cet avis non pas parce que son point de vue différait de celui du juge La Forest en ce qui concerne l’article 48, mais plutôt parce que, selon lui, l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne concerne pas la question de la charge de la preuve, mais exige simplement que le ministre soit convaincu que l’intérêt public dans la communication de documents l’emporte sur le droit à la vie privée avant de pouvoir exercer son pouvoir discrétionnaire de communiquer. C’est pourquoi je ne considère pas que le juge Cory avait un point de vue différent de celui du juge La Forest sur toute question pertinente à la décision dans le présent appel.
[92] Pour étayer sa position quant à la charge de la preuve, l’avocat du Commissaire a invoqué la décision plus récente de notre Cour Ruby c. Canada (Solliciteur général),[2000] 3 C.F. 589 (C.A.). Il a soutenu que, dans l’arrêt Ruby, précité, la Cour a décidé qu’« on ne saurait imposer la charge de la preuve au demandeur » (paragraphe 38) qui conteste le pouvoir discrétionnaire de refuser des renseignements personnels le concernant. De plus, elle a dit (au paragraphe 39) qu’un tel demandeur « remet par définition en question le bien-fondé de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en question; il n’a pas à en faire plus ».
[93] Dans des motifs auxquels a souscrit le juge Sexton, les juges Létourneau et Robertson ont expliqué (au paragraphe 30) pourquoi la règle imposant normalement la charge de la preuve à la partie demandant le contrôle judiciaire ne s’appliquait pas dans l’affaire dont ils avaient été saisis :
Toutefois, la situation est différente dans des affaires de communication de renseignements confidentiels étant donné que l’article 47 de la Loi impose au responsable de l’institution fédérale la charge de prouver l’existence d’une exception. Nous reviendrons ci-dessous sur la portée de cette obligation. Il suffit pour le moment de dire que, à notre avis, cela comprend tant la charge de prouver que les conditions applicables à l’exception sont remplies que la charge de prouver que le pouvoir discrétionnaire conféré au responsable de l’institution a été exercé d’une façon régulière.
Les articles 47 et 48 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne diffèrent pas sensiblement des articles 48 et 49 de la Loi sur l’accès à l’information.
[94] Après avoir souligné qu’on n’avait pas dit à l’appelant dans cette affaire si les fichiers auxquels l’accès était demandé contenaient des renseignements personnels le concernant, la Cour a énoncé (au paragraphe 36) les motifs de sa conclusion sur la charge de la preuve :
Même si une personne est mise au courant du fait qu’un fichier contient de fait des renseignements personnels la concernant, comment peut-elle, puisqu’elle ne sait pas quels renseignements sont en cause, satisfaire à la charge de la preuve si elle veut contester l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’autorité fédérale qui refuse de communiquer les renseignements?
[95] À mon avis toutefois, il faut examiner les remarques faites dans l’arrêt Ruby, précité, sur la charge de la preuve à la lumière de ce que la Cour a considéré (au paragraphe 38) comme les « circonstances de l’espèce », savoir :
[…] où l’accessibilité à des renseignements personnels est la règle et la confidentialité l’exception, où le demandeur ne sait pas quels renseignements personnels ne sont pas communiqués, où le demandeur n’a pas accès au dossier dont dispose la Cour et où il n’a pas de moyens adéquats lui permettant de vérifier la façon dont le pouvoir discrétionnaire de refuser la communication a été exercé par les autorités, et où l’article 47 de la Loi [Loi sur la protection des renseignements personnels] impose clairement au responsable de l’institution fédérale la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication de renseignements personnels et, par conséquent, d’établir qu’elle a exercé d’une façon régulière son pouvoir discrétionnaire à l’égard d’une exception précise invoquée […]
[96] Certaines de ces circonstances ne sont pas présentes en l’espèce. Notamment, le Commissaire et Telezone étaient parfaitement au courant de la nature des renseignements concernant le processus décisionnel qu’Industrie Canada a refusé de communiquer. De plus, le Commissaire et l’avocat de Telezone connaissaient le contenu des documents déposés confidentiellement devant la Cour, notamment les explications par les fonctionnaires d’Industrie Canada des facteurs examinés dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de communiquer. La plainte des appelants porte essentiellement qu’en l’absence d’un affidavit du délégué du ministre, qui a décidé de refuser de communiquer les documents demandés, ils ont été effectivement privés de l’occasion de faire un contre-interrogatoire.
[97] Qui plus est, après avoir analysé l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi aux responsables des institutions fédérales (aux paragraphes 118 à 123), la Cour a décidé dans l’arrêt Ruby, précité, de renvoyer l’affaire à la Section de première instance parce qu’elle ne pouvait pas déterminer à partir de la décision du juge si l’institution avait essayé d’établir un équilibre entre l’intérêt public dans la communication et le droit à la vie privée (aux paragraphes 124 et 125). Par contre, il est très évident en l’espèce que le juge de la Section de première instance a conclu qu’Industrie Canada avait examiné l’exercice du pouvoir discrétionnaire : la question en litige était de savoir si, ce faisant, les fonctionnaires responsables avaient tenu compte de tous les facteurs qu’ils étaient tenus d’examiner en vertu de la loi.
[98] Compte tenu du raisonnement du juge La Forest dans l’arrêt Dagg, précité, on ne devrait pas considérer que, dans l’arrêt Ruby, précité, la Cour voulait établir un principe plus général selon lequel, dans tous les cas, l’article 47 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et, par le fait même, l’article 48 de la Loi sur l’accès à l’information inversent la charge normale de la preuve en l’imposant au responsable de l’institution lorsque la validité de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire administratif est contestée dans le cadre d’un recours en révision.
[99] Par conséquent, bien que je ne sois pas d’accord avec le juge qui a entendu les demandes lorsqu’elle affirme (au paragraphe 97) que considérer que l’article 48 étend l’exercice du pouvoir discrétionnaire constituerait un argument tautologique, je souscris à sa conclusion qu’il incombait aux appelants d’établir que le ministre n’avait pas exercé conformément à la loi le pouvoir discrétionnaire de communiquer des documents contenant des avis et recommandations au sens de l’alinéa 21(1)a).
Question 5 : Le ministre a-t-il exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à la loi?
[100] Je suis néanmoins réceptif à la remarque faite dans l’arrêt Ruby, précité, selon laquelle la Cour ne peut pas jouer efficacement son rôle de révision des refus de communiquer des renseignements sans avoir une certaine connaissance du processus décisionnel discrétionnaire. À mon avis, il est possible de répondre à cette préoccupation en imposant au responsable de l’institution fédérale concernée l’obligation légale de motiver son refus discrétionnaire de communiquer, lorsque des motifs sont requis et que l’équité exige qu’ils soient fournis.
[101] En fait, dans l’arrêt Dagg, précité, le juge La Forest a analysé cette possibilité (au paragraphe 114), mais a conclu que, même si, en l’absence d’une obligation légale de le faire, la Cour pouvait exiger des motifs pour satisfaire à l’obligation d’équité, « l’omission du Ministre d’exposer des motifs complets et détaillés à l’appui de sa décision n’a causé aucune iniquité à l’appelant ». Certes, depuis l’arrêt Dagg, précité, la Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Baker, précité, que l’obligation d’équité peut comprendre celle de motiver une décision : comme le juge L’Heureux-Dubé l’a fait remarquer (au paragraphe 39), un important avantage des motifs est qu’ils :
[…] permettent […] aux parties de voir que les considérations applicables ont été soigneusement étudiées, et ils sont de valeur inestimable si la décision est portée en appel, contestée ou soumise au contrôle judiciaire.
[102] Pour déterminer si l’obligation d’équité exige qu’une décision soit motivée, la Cour doit examiner l’importance des droits touchés par la décision administrative faisant l’objet d’une révision et l’existence d’un droit d’appel prévu par la loi : Baker, précité, au paragraphe 43. Comme on a dit que le droit d’accès aux documents de l’administration fédérale est aussi important que les droits quasi constitutionnels créés par la législation sur les droits de la personne (Société canadienne des postes, précité), on peut certes avancer que le responsable d’une institution est tenu de motiver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer des documents lorsque, sans ces motifs, la Cour ne serait pas en mesure de s’acquitter de son obligation d’examiner la légalité du refus.
[103] Je suis disposé à présumer pour les fins du présent appel, mais je n’ai pas à le décider, qu’Industrie Canada était tenu de motiver son refus discrétionnaire de communiquer les documents demandés par Telezone et par le Commissaire à l’information. La question qui se pose est de savoir si le Ministère s’est acquitté de cette obligation. La réponse à cette question dépend de celle que l’on doit donner à deux autres questions : les documents invoqués par le ministre étaient-ils susceptibles de constituer des motifs et, le cas échéant, étaient-ils suffisants pour permettre à la Cour de déterminer si le ministre avait exercé légalement son pouvoir discrétionnaire de communiquer?
(i) le refus est-il motivé?
[104] Le dossier ne contient aucun affidavit dans lequel M. Trottier, le fonctionnaire d’Industrie Canada chargé d’exercer le pouvoir discrétionnaire du ministre relativement aux documents en litige en l’espèce, a expliqué les motifs de la décision. M. Trottier était souffrant aux dates fixées pour les contre-interrogatoires.
[105] Pour indiquer les motifs sur lesquels reposait le refus discrétionnaire, le ministre a plutôt invoqué les documents joints à titre de pièces aux affidavits publics et confidentiels de l’enquêteur chargé au Commissariat à l’information de s’occuper de la plainte de Telezone. Les documents publics sont des lettres adressées par des fonctionnaires du Ministère, notamment M. Trottier, à Telezone et au Commissaire dans le cadre de l’enquête effectuée par l’enquêteur sur la plainte de Telezone. Les documents confidentiels sont des notes de service internes d’Industrie Canada concernant la demande de communication présentée par Telezone et l’enquête du Commissaire à l’information ainsi que des lettres additionnelles adressées au Commissaire.
[106] Un affidavit du successeur de M. Trottier contenait des informations générales sur la pratique suivie au Ministère quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Toutefois, comme le souscripteur de l’affidavit ne prétendait pas connaître les motifs du refus de M. Trottier en l’espèce, j’ai écarté son affidavit.
[107] Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour a fait remarquer (au paragraphe 44) qu’on ne tiendrait pas compte de la réalité quotidienne de l’administration publique si on exigeait qu’un décideur fasse un exposé formel des motifs d’une décision administrative prise à l’extérieur d’un contexte juridictionnel relativement formel. Ainsi, dans cette affaire, la Cour a considéré que les motifs de la décision du décideur étaient les notes de l’agent d’immigration qui lui avait recommandé de refuser la dispense des exigences normales en matière d’immigration demandée par l’appelante pour des raisons d’ordre humanitaire.
[108] En l’espèce, les lettres officielles, dont celles de M. Trottier, ne précisent pas vraiment les motifs à l’origine de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser la communication. À mon avis, les documents essentiels sont les documents internes qui décrivent avec certains détails pourquoi la communication serait préjudiciable. Les notes de service les plus importantes sont peut-être celles datées du début de mars 1996, environ deux mois après la demande de communication des documents de Telezone, mais avant le dépôt de sa plainte auprès du Commissaire en juillet. Elles sont adressées à M. Trottier et elles contiennent des explications précises et des recommandations quant à la communication des documents demandés, tout comme c’est le cas d’ailleurs d’un exposé de position de Mme Payant.
[109] Compte tenu de la souplesse que la Cour a donnée dans l’arrêt Baker, précité, à l’obligation de motiver une décision, je suis convaincu qu’on pourrait considérer que ces documents sont les motifs du refus de M. Trottier de communiquer les documents dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que le ministre lui avait délégué. Tout comme les notes de l’agent qui avait fait la recommandation dans l’arrêt Baker, précité, les documents dont il est question en l’espèce ont été produits pour donner des avis à la personne chargée de prendre la décision finale.
[110] Il est également important de souligner que la décision de donner communication des documents n’était pas une décision unique, mais que son exécution a pris plusieurs mois au cours desquels Industrie Canada a communiqué d’autres documents en réponse aux observations faites par le Commissaire et aux avis reçus de divers fonctionnaires du Ministère. C’est pourquoi le fait que certaines des notes de service versées au dossier aient été rédigées après que le Commissaire eût commencé son enquête ne devrait pas empêcher de considérer qu’elles font partie des motifs de la décision.
[111] Pas plus d’ailleurs que l’absence d’un affidavit justificatif des auteurs des notes de service n’empêche celles-ci de faire partie des motifs. Dans l’arrêt Baker, précité, les notes de l’agent ont été soumises à la Cour avec le dossier du décideur et n’étaient pas étayées par un affidavit au sujet duquel l’agent aurait pu être contre-interrogé. J’aimerais également souligner que les notes de service ont été produites en l’espèce au Commissaire pendant son enquête et que celles-ci, ainsi que la correspondance échangée avec les appelants, ont été incluses dans le dossier d’appel commun à titre de pièces jointes à l’affidavit de l’un des enquêteurs du Commissaire. Je n’accepte donc pas l’argument des appelants que ces documents sont irrecevables parce qu’ils constituent du ouï-dire.
(ii) caractère suffisant des motifs
[112] La question qui se pose est de savoir si les motifs fournissaient une explication suffisante au refus de communiquer permettant ainsi à la Cour d’effectuer une révision ou s’ils révèlent que le ministre n’a pas exercé conformément à la loi son pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer les documents visés par l’exception prévue à l’alinéa 21(1)a).
[113] Les documents qu’invoque le ministre concernent directement le préjudice que leurs auteurs croient susceptible de découler de la communication. Il n’est pas totalement clair si ces explications ont pour but de préciser pourquoi les documents entrent dans la catégorie des documents visés par une exception ou de justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser la communication des documents visés par l’exception. Toutefois, après avoir lu les documents, je suis convaincu que leurs auteurs ont compris que la communication faisait l’objet d’un pouvoir discrétionnaire et que leurs recommandations englobaient cette question.
[114] Qui plus est, lues dans leur contexte, la correspondance et les notes de service fournissent au sujet des motifs pour lesquels les fonctionnaires s’opposaient à la communication un exposé suffisamment clair pour que les appelants puissent comprendre le fondement de la décision et que la Cour effectue une révision.
[115] Je n’accepte pas l’argument du Commissaire selon lequel les motifs doivent clairement indiquer que le ministre ou son délégué ont tenu compte de l’objet de la Loi et ont déterminé que le préjudice découlant de la communication l’emportait sur l’intérêt public dans la communication. À mon avis, ce n’est pas ce que le juge Heald a exigé lorsqu’il a dit dans l’arrêt Rubin, précité, à la page 274, que le ministre doit tenir compte de la politique et de l’objet de la Loi. De plus, insister sur l’obligation d’une exigence légale relativement à l’exercice valide du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 21(1) est trop simpliste et est contraire à l’approche contextuelle du caractère suffisant des motifs qu’a sanctionnée l’arrêt Baker, précité.
[116] Je suis disposé à conclure, à partir de la documentation et de la poursuite de la communication des documents, que les fonctionnaires cherchaient en réalité à établir un équilibre entre les intérêts opposés. Qui plus est, au moins deux des lettres renvoient expressément aux principes de la Loi, quoiqu’en termes généraux, tandis qu’une autre indique que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser la communication exige la recherche d’un équilibre. Par conséquent, compte tenu des documents versés au dossier, je conclus que le refus de communiquer les documents visés par l’exception a été correctement motivé et que les appelants n’ont pas établi que le ministre a exercé irrégulièrement son pouvoir discrétionnaire.
[117] Enfin, je note que le dossier ne permet pas de savoir si M. Trottier s’est spécifiquement demandé si les pourcentages finals pouvaient être communiqués dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. L’avocat n’a pas allégué que cela avait vicié le refus. Par conséquent, j’ai présumé que les facteurs dont a tenu compte M. Trottier relativement à la même question dans la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2001 CAF 253; [2001] A.C.F. no 1326 (C.A.) (QL) (ci-après « McIntyre »), constituaient le fondement de son refus en l’espèce et que, pour les motifs donnés dans l’arrêt McIntyre, précité, aux paragraphes 14 à 22, le refus de communiquer les pourcentages finals ne constituait pas un exercice irrégulier du pouvoir discrétionnaire.
F. CONCLUSIONS
[118] Pour ces motifs, je rejetterais les deux appels avec dépens.
Le juge Strayer, J.C.A. : Je souscris.
Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris.