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A-97-13

2013 CAF 263

Qin Qin (appelante)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Qin c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Evans, Gauthier et Near, J.C.A.—Toronto, 17 octobre; Ottawa, 19 novembre 2013.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Appel interjeté à l’encontre d’une décision par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision d’un agent des visas de refuser la demande de résidence permanente de l’appelante au titre de la catégorie de l’expérience canadienne (CEC) — L’appelante travaillait comme adjointe administrative et effectuait des travaux de traduction et d’interprétation — L’agent est arrivé à la conclusion que l’appelante ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la CEC énoncées à l’art. 87.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés; la description quant à l’emploi ne correspondait pas à la description de la Classification nationale des professions (CNP) — La recherche faite par l’agent dans la base de données de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) a révélé que le salaire horaire touché par l’appelante ainsi que son salaire annuel étaient inférieurs aux salaires minimums en vigueur — La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que l’agent des visas avait manqué à son obligation d’équité procédurale en faisant défaut d’aviser l’appelante qu’il prévoyait consulter les données comparatives sur le salaire — Cependant, la Cour fédérale a également conclu que si l’agent avait satisfait à l’obligation d’équité procédurale, il aurait pu tenir compte des données comparatives sur les salaires de RHDCC — Il s’agissait de savoir si l’agent des visas pouvait examiner les données comparatives de RHDCC sur les salaires pour évaluer la nature de l’expérience professionnelle d’un demandeur qui veut être admis au titre de la CEC — Il était raisonnable pour l’agent des visas de consulter les données sur les salaires minimal et moyen en usage pour les professions correspondant aux codes CNP applicables — L’art. 87.1 ne permet pas de réfuter la présomption selon laquelle l’agent des visas dispose du pouvoir de prendre en considération tout élément de preuve pertinent dans son évaluation — En vertu du programme de la CEC, le salaire du demandeur n’a pas à être conforme aux salaires en usage à l’échelle locale — L’agent des visas n’a pas vu le faible salaire de l’appelante comme un élément permettant de rejeter la demande, étant donné qu’il a aussi conclu que, dans la lettre de recommandation, la description des fonctions exercées par l’appelante ne correspondait pas au code de la CNP — Les renseignements sur la rémunération de l’appelante au titre de la CEC sont pertinents aux fins d’évaluation — Tenir compte des données sur le salaire ne perturbe pas l’administration du programme de la CEC — Appel rejeté.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de révision — Décision par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision d’un agent des visas de refuser la demande de résidence permanente de l’appelante au titre de la catégorie de l’expérience canadienne (CEC) — L’agent est arrivé à la conclusion que l’appelante ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la CEC, qui figurent à l’art. 87.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés; la description quant à l’emploi ne correspondait pas à la description de la Classification nationale des professions (CNP); le salaire horaire touché par l’appelante ainsi que son salaire annuel étaient inférieurs aux salaires minimums en vigueur — La Cour fédérale a appliqué la norme de la décision correcte à l’interprétation donnée par l’agent des visas à l’art. 87.1, mais n’a pas déterminé si les arrêts Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration) et Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration) réglaient toujours de façon « satisfaisante » la question de la norme de contrôle applicable, compte tenu de la jurisprudence de la Cour suprême postérieure à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick — Il s’agissait de savoir quelle était la norme de contrôle applicable à l’interprétation par un agent des visas du Règlement et à son évaluation d’une demande fondée sur ce règlement — L’évaluation par un agent des visas de l’emploi occupé par un demandeur au titre de la CEC et des données sur son salaire est susceptible de contrôle selon la norme de contrôle de la décision raisonnable — L’interprétation par un agent des visas de la loi habilitante est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte — La norme de contrôle du caractère déraisonnable ne peut s’appliquer à l’égard d’une interprétation administrative de la loi que si la disposition légale en question est ambiguë et qu’il n’y a pas une interprétation unique dont on puisse dire qu’elle soit la « bonne » — Si la cour de révision arrive à la conclusion qu’il existe une « bonne » interprétation, la norme de contrôle applicable sera celle de la décision correcte — Il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la norme de contrôle applicable en l’espèce parce que l’art. 87.1 n’est pas ambigu — Comme la norme de la décision correcte est la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce, il n’était pas nécessaire de déterminer si la jurisprudence postérieure à l’arrêt Dunsmuir imposait à la Cour de revoir les décisions où elle a conclu qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard des décisions des responsables de l’immigration sur les questions d’interprétation de la loi.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale d’accueillir une demande de contrôle judiciaire cherchant à faire annuler la décision d’un agent des visas de refuser la demande de résidence permanente de l’appelante au titre de la catégorie de l’expérience canadienne (CEC).

L’appelante, une ressortissante chinoise, a travaillé à temps plein pour un cabinet d’avocats, où elle exerçait des fonctions d’adjointe administrative et effectuait des travaux de traduction et d’interprétation à l’intention de la clientèle chinoise. L’agent des visas est arrivé à la conclusion que l’appelante n’avait pas satisfait aux exigences relatives à la CEC énoncées à l’article 87.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement). L’agent a également jugé que les fonctions exercées par l’appelante ne correspondaient pas suffisamment à celles figurant au code 1242 de la Classification nationale des professions (CNP) (secrétaires juridiques) et sa recherche sur les salaires minimal et moyen à l’échelle locale pour une secrétaire juridique et pour un traducteur et interprète (code CNP 5125) dans la base de données de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) a révélé que le salaire horaire touché par l’appelante ainsi que son salaire annuel étaient inférieurs aux salaires minimal et annuel en vigueur à l’échelle locale pour ces professions. La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que l’agent des visas avait manqué à son obligation d’équité procédurale en faisant défaut d’aviser l’appelante qu’il prévoyait consulter les données comparatives sur le salaire. La Cour fédérale a également conclu que, si l’agent avait satisfait à l’obligation d’équité procédurale, il aurait pu tenir compte des données comparatives sur les salaires de RHDCC afin de déterminer si les fonctions exercées par l’appelante correspondaient à celles décrites au titre des codes pertinents de la CNP.

En particulier, la Cour fédérale a affirmé que l’écart important entre le salaire de l’appelante et le salaire minimal en usage à l’échelle locale pour les secrétaires juridiques et les traducteurs et interprètes était pertinent pour trancher la question de savoir si l’appelante s’acquittait en fait des tâches associées à ces professions. La Cour fédérale a également conclu que le Règlement autorisait l’agent des visas à tenir compte du salaire pour déterminer si les fonctions exercées par un demandeur au titre de la CEC correspondaient au code CNP applicable. Quant à la norme de contrôle, la Cour fédérale a appliqué la norme de la décision correcte à l’interprétation donnée par l’agent des visas à l’article 87.1, mais n’a pas déterminé si les arrêts Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration) et Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration) réglaient toujours de façon « satisfaisante » la question de la norme de contrôle applicable, compte tenu de la jurisprudence de la Cour suprême postérieure à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick.

Il s’agissait de savoir si un agent des visas peut examiner les données comparatives sur les salaires pour évaluer une demande faite au titre de la CEC et quelle norme de contrôle judiciaire est applicable à l’interprétation par un agent des visas du Règlement et à son évaluation d’une demande fondée sur ce règlement.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La décision d’un agent des visas de refuser une demande de résidence permanente parce que l’emploi du demandeur ne correspond pas à une profession appartenant au niveau de compétence requis de la CNP et la question de savoir si des données comparatives sur les salaires sont pertinentes quant aux faits pour déterminer si un demandeur occupe la profession de la CNP sont soumises à la norme de contrôle de la décision raisonnable. L’interprétation par un agent des visas de la loi habilitante est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. La décision de la Cour suprême dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), dans lequel la Cour a statué que l’interprétation par le ministre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, aurait pu renforcer ses doutes quant à savoir s’il convient toujours, dans un monde post Dunsmuir, de considérer que les arrêts Khan et Patel ont établi de façon satisfaisante que l’interprétation par les agents des visas des dispositions légales qu’ils sont tenus d’appliquer est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. La norme de contrôle du caractère déraisonnable ne peut s’appliquer à l’égard d’une interprétation administrative de la loi que si la disposition légale en question est ambiguë et qu’« il n’y a pas une interprétation unique dont on puisse dire qu’elle soit la “bonne” ». Partant, si la cour de révision arrive à la conclusion qu’il existe une « bonne » interprétation, la norme de contrôle applicable sera celle de la décision correcte. Il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la norme de contrôle applicable en l’espèce parce que l’article 87.1 n’est pas ambigu. On a également noté qu’il n’y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard des décideurs administratifs qu’en ce qui touche les questions qui relèvent de leur compétence. Puisque la norme de la décision correcte était la norme de contrôle qui s’appliquait en l’espèce, il n’était pas nécessaire pour trancher le présent appel de déterminer si la jurisprudence postérieure à l’arrêt Dunsmuir, y compris l’arrêt Agraira, imposait à la Cour de revoir les décisions où elle a conclu qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard des décisions des responsables de l’immigration sur les questions d’interprétation de la loi.

La lettre de recommandation ne permettait pas d’établir clairement que les tâches professionnelles confiées à l’appelante correspondaient aux codes CNP applicables. De ce fait, il était raisonnable pour l’agent de consulter les données exhaustives sur les salaires minimal et moyen en usage pour ces professions compilées par RHDCC. Le Règlement n’interdisait pas à l’agent d’effectuer une telle comparaison. L’article 87.1 ne permet donc pas, à lui seul, de réfuter la présomption selon laquelle l’agent des visas dispose implicitement du pouvoir de prendre en considération tout élément de preuve pertinent pour décider si un demandeur satisfait à l’exigence relative à l’expérience de travail qualifié. La loi n’assujettit pas l’octroi d’un visa au titre du programme de la CEC à la condition que le salaire du demandeur soit conforme aux salaires en usage à l’échelle locale pour la profession qui fait l’objet de l’évaluation. L’agent des visas n’a pas vu le faible salaire de l’appelante comme un élément permettant à lui seul de rejeter la demande, étant donné qu’il a aussi conclu que, dans la lettre de recommandation, la description des fonctions exercées par l’appelante ne correspondait pas au code 1242 de la CNP. Le fait que le processus de demande au titre de la CEC impose à l’employeur l’obligation de fournir des renseignements sur la rémunération d’un demandeur porte à croire que la rémunération est utile pour déterminer si le demandeur satisfait à l’exigence relative à l’expérience de travail au Canada. Le simple fait de permettre aux agents des visas de tenir compte des données sur le salaire lors de l’évaluation de l’expérience professionnelle d’un demandeur au titre de la CEC ne perturberait pas l’administration équitable et efficace du programme à un point qui rendrait nécessaire d’interpréter le Règlement comme s’il limitait le pouvoir de l’agent des visas de tenir compte d’éléments de preuve pertinents.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 34(2), 74d).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 82(2)c)(ii)(C), 87.1, 203(3)d).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions examinées :

Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 339, [2013] 3 R.C.F. 463; Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 187, [2013] 1 R.C.F. 340; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, (1979), 25 R.N.-B. (2e) 227.

décisions citées :

Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Takeda Canada Inc. c. Canada (Santé), 2013 CAF 13, [2014] 3 R.C.F. 70; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365, [2007] 3 R.C.F. 169; Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133; Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 40, [2013] 4 R.C.F. 155.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2013 CF 147, [2014] 3 R.C.F. 373) qui a accueilli une demande de contrôle judiciaire cherchant à faire annuler la décision d’un agent des visas de refuser la demande de résidence permanente de l’appelante au titre de la catégorie de l’expérience canadienne. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Mario D. Bellissimo et Erin C. Roth pour l’appelante.

Lorne McClenaghan et Prathima Prashad pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Bellissimo Law Group, Toronto, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Evans, J.C.A. : Les ressortissants étrangers qui sont au Canada de façon temporaire peuvent présenter une demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne (CEC). Les demandeurs doivent convaincre un agent des visas qu’ils ont, entre autres, accumulé un minimum de 12 mois d’expérience de travail au Canada au cours des 24 derniers mois. Le programme s’adresse uniquement aux personnes qui occupent un emploi exigeant un niveau relativement élevé de compétence.

[2]        La principale question soulevée en l’espèce porte sur les éléments de preuve dont un agent des visas peut tenir compte pour déterminer si un demandeur au titre de la CEC satisfait à l’exigence relative à l’expérience de travail au Canada. Plus particulièrement, pour déterminer si un demandeur exerçait des fonctions qui correspondent au niveau de compétence requis, l’agent peut‑il tenir compte du fait que le demandeur touchait un salaire inférieur au salaire en usage pour la profession au titre de laquelle il est évalué?

[3]        La Cour est saisie de l’appel d’une décision [2013 CF 147, [2014] 3 R.C.F. 373] par laquelle la juge Gleason de la Cour fédérale (la juge) a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par Qin Qin, une ressortissante chinoise, qui cherchait à faire annuler la décision d’un agent de refuser sa demande de résidence permanente au titre de la CEC. L’agent était arrivé à la conclusion que Mme Qin n’avait pas démontré qu’elle satisfaisait à l’exigence relative à l’expérience de travail au Canada, qui figure à l’article 87.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

[4]        La décision de l’agent des visas reposait en partie sur l’écart entre le salaire de Mme Qin et le salaire minimal relativement supérieur en vigueur à l’échelle locale pour les secrétaires juridiques et les traducteurs et interprètes, c'est-à-dire les catégories professionnelles au titre desquelles la demande de Mme Qin était évaluée. De plus, la description fournie par l’employeur quant à l’emploi occupé par Mme Qin ne correspondait pas à la description de la Classification nationale des professions (CNP) quant aux fonctions exercées par une secrétaire juridique.

[5]        Dans la décision Qin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 147, la juge a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif que l’agent des visas avait manqué à son obligation d’équité procédurale. L’agent n’avait pas avisé Mme Qin qu’il prévoyait consulter les données comparatives sur le salaire compilées par Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) afin de déterminer si les fonctions qu’elle exerçait correspondaient à celles d’une secrétaire juridique, et il ne lui avait pas donné la possibilité d’y répondre. Dans le présent appel, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ne conteste pas la conclusion de la juge au sujet du manquement à l’équité procédurale.

[6]        La juge a renvoyé la demande de visa de résidente permanente de Mme Qin au titre de la CEC en vue d’un nouvel examen par un autre agent. Elle a laissé à cet agent le soin de décider si Mme Qin satisfaisait à l’exigence relative à l’expérience de travail au Canada correspondant aux codes de la CNP pour les traducteurs, terminologues et interprètes (traducteurs et interprètes) ou pour les secrétaires juridiques.

[7]        La juge a également conclu que, si l’agent avait satisfait à l’obligation d’équité procédurale, il aurait pu tenir compte des données comparatives sur les salaires de RHDCC afin de déterminer si les fonctions exercées par Mme Qin correspondaient à celles décrites au titre des codes pertinents de la CNP.

[8]        La juge a certifié les deux questions de portée générale suivantes en application de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIRP) :

Question 1 :

Est‑il acceptable ou raisonnable qu’un agent des visas examine les données comparatives de RHDCC sur les salaires pour évaluer la nature de l’expérience professionnelle d’un demandeur qui veut être admis au titre de la catégorie de l’expérience canadienne, au sens de l’article 87.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227?

Question 2 :

Quelle est la norme de contrôle applicable à l’interprétation par un agent des visas du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, et à son évaluation d’une demande fondée sur ce règlement?

[9]        Les parties conviennent que la demande de Mme Qin au titre de la CEC doit être examinée à nouveau par un autre agent des visas en raison du manquement à l’équité procédurale. Cependant, il ressort clairement des motifs de la juge que l’ordonnance qu’elle a prononcée permet implicitement à cet autre agent de tenir compte des données comparatives sur les salaires. Par conséquent, les questions de portée générale certifiées par la juge en ce qui a trait à l’interprétation de l’article 87.1 et à la norme de contrôle applicable à l’interprétation implicite de cette disposition par l’agent des visas sont dûment certifiées en vertu de l’alinéa 74d).

[10]      À proprement parler, cependant, la deuxième partie de la deuxième question certifiée, qui porte sur la norme de contrôle applicable à l’évaluation d’une demande faite au titre de la CEC par un agent des visas, n’a pas à être tranchée dans le présent appel. La décision de l’agent de refuser la demande de Mme Qin a été annulée pour des motifs d’ordre procédural. La question de la norme de contrôle applicable à l’évaluation de la demande ne se posera qu’après que l’affaire aura été réexaminée. Malgré tout, et en raison du fait que les autres questions ont été dûment certifiées, j’ai l’intention de répondre à cette question.

Le contexte factuel

[11]      Mme Qin est au Canada depuis 2002. Après avoir obtenu un baccalauréat ès arts de l’Université York en 2009, elle s’est vu accorder un permis de résidence temporaire d’une durée de trois ans qui lui permettait de travailler. En 2010, elle a commencé à travailler à temps plein pour un petit cabinet d’avocats de Toronto, K D Associates, où elle exerçait des fonctions d’adjointe administrative et effectuait des travaux de traduction et d’interprétation à l’intention de la clientèle chinoise.

[12]      Le sous‑alinéa 87.1(2)a)(i) du Règlement dispose que, pour être admis comme résident permanent au titre de la CEC, le demandeur doit avoir accumulé au Canada une expérience de travail dans au moins une des professions appartenant au genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la CNP. Ces professions correspondent à un niveau de compétence relativement élevé, et comprennent celles de traducteur et interprète (code CNP 5125) et de secrétaire juridique (code CNP 1242). La CNP dresse une liste de tâches qui sont associées aux professions mentionnées, mais elle ne fournit aucun renseignement sur les salaires.

[13]      K D Associates a fourni une lettre de recommandation, datée du 20 septembre 2011, à l’appui de la demande de résidence permanente au Canada de Mme Qin. La lettre précisait que Mme Qin était au service du cabinet en tant que secrétaire juridique et traductrice, décrivait les tâches confiées à Mme Qin et indiquait son taux de salaire horaire ainsi que son salaire annuel.

[14]      En octobre 2011, soit plus d’un an après avoir commencé à travailler pour K D Associates, Mme Qin a présenté une demande de résidence permanente au titre de la CEC. Elle a demandé que l’on évalue sa demande en se basant sur le poste de secrétaire juridique et de traductrice et interprète qu’elle occupait à temps plein depuis plus de 12 mois.

[15]      L’agent a jugé que les fonctions exercées par Mme Qin, lesquelles étaient décrites dans la lettre de recommandation, ne correspondaient pas suffisamment à celles figurant au code 1242 de la CNP (secrétaires juridiques). Sa recherche sur les salaires minimal et moyen à l’échelle locale pour une secrétaire juridique et pour un traducteur et interprète (code CNP 5125) dans la base de données de RHDCC a révélé que le salaire horaire touché par Mme Qin ainsi que son salaire annuel étaient inférieurs aux salaires minimal et moyen en vigueur à l’échelle locale pour ces professions.

[16]      Une lettre de Citoyenneté et Immigration Canada du 12 mars 2012 informait Mme Qin que sa demande avait été refusée. Les raisons avancées pour justifier la décision étaient que Mme Qin ne respectait pas l’exigence relative à l’expérience de travail qualifié, car son salaire n’était pas conforme aux codes 5125 ou 1242 de la CNP, et que les tâches décrites dans la lettre de recommandation ne correspondaient pas non plus au code CNP 1242.

La décision de la Cour fédérale

[17]      Je me bornerai à décrire les deux éléments de la décision de la juge qui sont en litige dans le présent appel.

[18]      Le premier élément est la norme de contrôle applicable à l’interprétation du Règlement par l’agent des visas. Le second élément est de savoir si l’agent des visas peut comparer le salaire d’un demandeur au titre de la CEC et le salaire en usage à l’échelle locale pour les catégories professionnelles visées par la demande afin de déterminer si le demandeur satisfait à l’exigence relative à l’expérience de travail au Canada prévue à l’article 87.1 du Règlement. Cette question se divise en deux parties. Il faut d’abord déterminer s’il est pertinent, sur le plan factuel, de comparer les salaires pour décider si le demandeur a exercé les fonctions associées au code CNP au titre duquel sa demande est évaluée. Dans l’affirmative, il s’agit ensuite de savoir si l’agent des visas a le pouvoir légal de tenir compte de ces renseignements.

[19]      S’agissant de la norme de contrôle applicable, la juge a observé que dans les arrêts Khan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 339, [2013] 3 R.C.F. 463 (Khan), et Patel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 187, [2013] 1 R.C.F. 340 (Patel), la Cour avait appliqué la norme de la décision correcte à l’interprétation donnée par les agents des visas aux dispositions du Règlement portant sur le programme travail‑études et les exigences scolaires.

[20]      Cependant, la juge a déclaré (au paragraphe 10) que la Cour suprême du Canada avait donné de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir) une interprétation selon laquelle la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer à l’interprétation de sa loi constitutive par un tribunal : voir, en particulier, Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 39.

[21]      La juge s’est demandée (au paragraphe 16) s’il fallait toujours considérer que les arrêts Khan et Patel réglaient de façon « satisfaisante » la question de la norme de contrôle applicable, compte tenu de la jurisprudence de la Cour suprême postérieure à l’arrêt Dunsmuir. Sans se prononcer sur cette question, elle a appliqué la norme de la décision correcte, parce que les arrêts Khan et Patel étaient directement pertinents : au paragraphe 13. Qui plus est, a‑t‑elle ajouté, la question ne prêtait pas à conséquence puisque l’interprétation de l’agent des visas satisfaisait aux deux normes.

[22]      Sur la question de fond, la juge a affirmé que l’écart important entre le salaire de Mme Qin et le salaire minimal en usage à l’échelle locale pour les secrétaires juridiques et les traducteurs et interprètes était pertinent pour trancher la question principalement factuelle de savoir si Mme Qin s’acquittait en fait des tâches associées à ces professions telles qu’elles sont décrites dans les codes de la CNP. La juge a également conclu que le Règlement conférait à l’agent des visas le pouvoir de tenir compte du salaire pour déterminer si les fonctions exercées par un demandeur au titre de la CEC correspondaient au code CNP applicable.

Cadre légal

[23]      Je reproduis ci‑dessous les dispositions pertinentes de l’article 87.1 du Règlement qui étaient en vigueur à l’époque visée par le présent appel :

Catégorie de l’expérience canadienne

87.1 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie de l’expérience canadienne est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur expérience au Canada et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

Catégorie

(2) Fait partie de la catégorie de l’expérience canadienne l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

a) l’étranger, selon le cas :

(i) a accumulé au Canada au moins douze mois d’expérience de travail à temps plein ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions au cours des vingt‑quatre mois précédant la date de la présentation de sa demande de résidence permanente et, antérieurement à cette expérience de travail, a obtenu au Canada, selon le cas […] [Non souligné dans l’original.]

Qualité

Questions en litige et analyse

i) La norme de contrôle

[24]      Comme je l’ai déjà mentionné, la question de la norme de contrôle applicable à l’évaluation de la demande de Mme Qin par l’agent des visas ne se pose pas vraiment dans le présent appel, parce que la décision de l’agent a été annulée pour des raisons d’iniquité procédurale. Cependant, puisque d’autres questions ont été dûment certifiées et que la question de la norme n’oppose pas les parties, je me permets de l’aborder brièvement.

[25]      La décision d’un agent des visas de refuser une demande de résidence permanente parce que l’emploi du demandeur ne correspond pas à une profession appartenant au niveau de compétence requis de la CNP constitue une question mixte de fait et de droit qui se trouve à l’extrémité factuelle du registre. Elle est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir, au paragraphe 53.

[26]      La question de savoir si des données comparatives sur les salaires sont pertinentes quant aux faits pour déterminer si un demandeur occupe la profession de la CNP en fonction de laquelle il est évalué est une question factuelle. Elle est donc également soumise à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Dunsmuir, au paragraphe 53.

[27]      La question plus litigieuse consiste à savoir si c’est la norme de la décision raisonnable ou la norme de la décision correcte qui s’applique au contrôle de l’interprétation du Règlement par un agent des visas. La question d’interprétation soulevée en l’espèce est celle de savoir si l’article 87.1 du Règlement permet aux agents de consulter les données de RHDCC sur les salaires en usage afin de déterminer si un demandeur au titre de la CEC exerçait les fonctions qui correspondent à celles associées au code CNP en fonction duquel il est évalué.

[28]      La Cour a récemment réaffirmé dans une opinion incidente que l’interprétation par un agent des visas de la loi habilitante est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Takeda Canada Inc. c. Canada (Santé), 2013 CAF 13, [2014] 3 R.C.F. 70, au paragraphe 116 (la juge Dawson).

[29]      Après que la juge eut rendu sa décision dans la présente instance, la Cour suprême du Canada a conclu, dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira), que l’interprétation implicite par le ministre du terme « intérêt national » tel qu’il apparaît au paragraphe 34(2) de la LIPR était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Ainsi, a expliqué la Cour, si la décision prise par le ministre en application de cette disposition est contestée à cause de la pertinence juridique des facteurs pris en considération, la cour de révision ne peut annuler la décision que si elle peut inférer des facteurs en question que le ministre s’est fondé sur une interprétation du terme « intérêt national » qui n’est pas raisonnable.

[30]      Si la juge y avait eu accès, l’arrêt Agraira aurait pu renforcer ses doutes quant à savoir s’il convient toujours, dans un monde post‑Dunsmuir, de considérer que les arrêts Khan et Patel ont établi de façon satisfaisante que l’interprétation par les agents des visas des dispositions légales qu’ils sont tenus d’appliquer est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[31]      Pour les motifs exposés ci‑dessous, l’article 87.1 du Règlement autorise clairement l’agent des visas à tenir compte de données comparatives sur les salaires lorsqu’il décide si les tâches confiées à un demandeur au titre de la CEC correspondent à celles que l’on décrit au code CNP pertinent et si le demandeur satisfait ainsi à l’exigence relative à l’expérience de travail au Canada. L’interprétation implicite que l’agent des visas a faite de l’article 87.1 en tenant compte des renseignements sur les salaires lors de son évaluation de la demande de visa de Mme Qin est correcte, et elle ne saurait donc être déraisonnable.

[32]      En fait, la norme de contrôle du caractère déraisonnable ne peut s’appliquer à l’égard d’une interprétation administrative de la loi que si la disposition légale en question est ambiguë et qu’« il n’y a pas une interprétation unique dont on puisse dire qu’elle soit la “bonne” » : Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, à la page 237.

[33]      Partant, si la cour de révision arrive à la conclusion qu’il existe une « bonne » interprétation, après avoir procédé à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de la loi, et après avoir pris en considération, attentivement et respectueusement, les motifs du tribunal, la norme de contrôle applicable sera celle de la décision correcte. Cela étant, si le tribunal a interprété la loi d’une autre façon, la cour pourra intervenir pour assurer le respect de l’intention clairement exprimée par le législateur. La primauté du droit n’exige rien de moins.

[34]      Bien qu’il ne soit pas nécessaire de nous prononcer sur la norme de contrôle applicable en l’espèce parce que l’article 87.1 n’est pas ambigu, j’aimerais quand même mentionner qu’il n’y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard des décideurs administratifs qu’en ce qui touche les questions qui relèvent de leur compétence. Les tribunaux administratifs, tels que les commissions des relations de travail, les tribunaux des droits de la personne et les organismes professionnels disciplinaires, disposent en règle générale du pouvoir exprès ou implicite, conféré par la loi, de trancher toute question de droit ou de fait nécessaire pour statuer sur l’affaire dont ils sont saisis.

[35]      Ce ne sont toutefois pas tous les tribunaux à qui la loi confère des pouvoirs qui se sont vu déléguer le pouvoir de trancher des questions de droit, y compris celui d’interpréter leur loi habilitante. Certes, tous les tribunaux à qui la loi confère des pouvoirs doivent de temps à autre décider si la loi leur permet de prendre certaines mesures administratives, notamment de mettre en place des mesures légales subordonnées. Il est par contre impossible d’assimiler un tel pouvoir au pouvoir de décider de façon définitive du sens d’une disposition figurant dans une loi habilitante, dont l’exercice n’est assujetti qu’au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable qui est présumée s’appliquer.

[36]      Pour répondre à la question de savoir si les pouvoirs légaux délégués dont dispose un fonctionnaire ou un organisme donné comprennent celui de trancher des questions de droit, y compris celui d’interpréter sa loi habilitante, on peut se reporter aux facteurs établis dans l’arrêt Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504, au paragraphe 48; voir également Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365, [2007] 3 R.C.F. 169 (Covarrubias), aux paragraphes 47 à 56; Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133 (Shpati), au paragraphe 27; Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 40, [2013] 4 R.C.F. 156, au paragraphe 99.

[37]      Les facteurs en question comprennent les tâches que confie la loi au délégué, l’interaction entre le délégué et les autres décideurs du régime légal, certaines considérations pratiques, la capacité et la procédure. À partir de ces facteurs, il faut déduire du raisonnement suivi dans l’arrêt Agraira que la Cour était d’avis que le ministre jouissait du pouvoir délégué d’interpréter l’expression « intérêt national » au paragraphe 34(2) de la LIPR.

[38]      Puisque j’ai décidé, pour d’autres motifs, que la norme de la décision correcte est la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce, il n’est pas nécessaire pour trancher le présent appel de déterminer si la jurisprudence postérieure à l’arrêt Dunsmuir, y compris l’arrêt Agraira, impose à la Cour de revoir les décisions où elle a conclu qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard des décisions des responsables de l’immigration sur les questions d’interprétation de la loi : voir, par exemple, Khan et Patel (agents des visas); Shpati (agents d’exécution); et Covarrubias (agents d’examen des risques avant renvoi).

ii) Les données sur les taux de salaire peuvent‑elles être prises en considération lors de l’examen d’une demande au titre de la CEC?

a) La pertinence quant aux faits

[39]      Comme je l’ai déjà indiqué, la question de savoir si un demandeur effectue les tâches correspondant à un code CNP est principalement une question de fait. Quant à savoir si un élément de preuve est pertinent pour déterminer en quoi consistent les fonctions du demandeur et, le cas échéant, quel poids accorder à cet élément, il s’agit encore là de questions de fait. Ainsi, la norme de la décision raisonnable est donc la norme de contrôle qui s’applique à ces aspects de la décision par un agent des visas de refuser une demande au titre de la CEC.

[40]      Je conviens avec la juge que la lettre de recommandation ne permettait pas d’établir clairement que les tâches professionnelles confiées à Mme Qin correspondaient aux codes CNP applicables. De ce fait, il était raisonnable pour l’agent des visas de consulter les données exhaustives sur les salaires minimal et moyen en usage pour ces professions compilées par RHDCC et accessibles à partir du site Web de RHDCC. Règle générale, le salaire augmente en fonction de la complexité du travail. Les taux de salaire peuvent être particulièrement utiles pour évaluer une demande au titre de la CEC, car ce programme est uniquement destiné aux personnes dont le niveau de compétence est plus élevé.

[41]      Il n’est pas nécessaire selon la loi qu’un demandeur du statut de résident permanent au titre de la CEC touche un salaire qui soit conforme aux taux en usage pour la profession visée par la demande. Mme Qin pourra donc, dans ses observations, démontrer pourquoi, dans son cas en particulier, l’agent devrait n’accorder que peu de valeur probante, voire aucune, à son salaire et aux données de RHDCC sur les salaires pour déterminer si les fonctions qu’elle exerçait satisfont à l’exigence en matière d’expérience de travail au Canada.

b) La question juridique

[42]      Étant arrivé à la conclusion qu’il était raisonnable pour l’agent des visas de comparer le taux horaire et le salaire annuel de Mme Qin aux données de RHDCC afin de déterminer si Mme Qin exerçait les fonctions pour lesquelles elle était évaluée, je vais maintenant examiner si le Règlement interdit à l’agent d’effectuer une telle comparaison. Je partage l’avis de la juge, à savoir que ce n’est pas le cas.

[43]      Il n’est pas nécessaire qu’un pouvoir soit conféré par la loi de façon expresse pour qu’un décideur administratif puisse prendre en considération un élément de preuve pertinent à l’égard d’une question sur laquelle il a compétence. Lorsque la loi confère à un décideur le pouvoir de trancher une question de fait, il est normalement implicite que ce décideur peut tenir compte de tout élément de preuve pertinent pour cette décision.

[44]      L’article 87.1 du Règlement est muet sur la question des éléments de preuve que l’agent des visas peut prendre en considération pour se prononcer sur une demande au titre de la CEC. Il ne permet donc pas, à lui seul, de réfuter la présomption selon laquelle l’agent dispose implicitement du pouvoir de prendre en considération tout élément de preuve pertinent pour décider si un demandeur satisfait à l’exigence relative à l’expérience de travail qualifié.

[45]      Mme Qin soutient toutefois que de permettre à un agent des visas de tenir compte des données sur les salaires lors de l’évaluation d’une demande au titre de la CEC serait incompatible avec l’économie de la loi. Elle renvoie aux dispositions du Règlement qui régissent la délivrance des permis de travail temporaires et des visas de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

[46]      Les dispositions du Règlement portant sur les programmes relatifs aux travailleurs qualifiés (fédéral) et aux permis de travail temporaires prévoient expressément que l’approbation par un agent des visas d’une offre d’emploi doit reposer sur l’opinion d’un agent de RHDCC selon laquelle, entre autres choses, le salaire offert au demandeur par un employeur éventuel est conforme au taux de salaire en usage pour la profession en question : voir la division 82(2)c)(ii)(C) (travailleurs qualifiés) et l’alinéa 203(3)d) (permis de travail temporaires) du Règlement. Mme Qin soulève deux arguments fondés sur ces dispositions.

[47]      En premier lieu, elle soutient que lorsque le législateur veut que des données comparatives sur les salaires soient prises en considération pour évaluer une demande de résidence au Canada fondée sur l’emploi, il le fait de façon expresse. L’absence d’une telle disposition à l’article 87.1 et dans les manuels de politiques signifierait donc que le salaire ne saurait constituer un critère permettant d’évaluer l’expérience de travail d’un demandeur de visa de résidence permanente au titre de la CEC.

[48]      Je ne suis pas d’accord. Dans le cas des programmes régissant les permis de travail temporaires et la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), il est nécessaire d’obtenir un avis concernant l’incidence sur le marché du travail de la décision d’accorder un visa ou un permis de travail. La question de savoir si le salaire d’un demandeur correspond aux salaires en usage pour la profession en question est l’un des éléments dont doit tenir compte l’avis relatif au marché du travail. En revanche, la loi n’assujettit pas l’octroi d’un visa au titre du programme de la CEC à la condition que le salaire du demandeur soit conforme aux salaires en usage à l’échelle locale pour la profession qui fait l’objet de l’évaluation. Le salaire ne constitue que l’un des nombreux éléments dont on peut tenir compte en vue de déterminer si un demandeur au titre de la CEC respecte l’exigence réglementaire de l’expérience de travail.

[49]      Selon moi, l’agent des visas n’a pas vu le faible salaire de Mme Qin comme un élément permettant à lui seul de rejeter la demande, étant donné qu’il a aussi conclu que, dans la lettre de recommandation, la description des fonctions exercées par Mme Qin ne correspondait pas au code 1242 de la CNP : voir également le paragraphe 25 de l’affidavit de l’agent des visas, à la page 171 du dossier d’appel.

[50]      En revanche, si un employeur fournit des éléments de preuve permettant de conclure qu’un demandeur au titre de la CEC a accumulé au Canada l’expérience de travail requise, ce demandeur pourra obtenir un visa même si son salaire est inférieur aux taux de salaire en usage. En fait, si d’autres éléments de preuve sont disponibles, l’agent pourra conclure qu’un demandeur satisfait aux exigences en matière d’expérience de travail sans devoir tenir compte des renseignements comparatifs portant sur la rémunération. Tout dépendra des faits propres à la demande.

[51]      Je ne m’attends pas à ce que le Règlement décrive les différents types d’éléments de preuve dont un agent des visas peut tenir compte pour déterminer si l’expérience de travail d’un demandeur au titre de la CEC correspond à un code de la CNP en particulier. Toutefois, le fait que le processus de demande au titre de la CEC impose à l’employeur l’obligation de fournir des renseignements sur la rémunération d’un demandeur porte à croire que la rémunération est utile pour déterminer si le demandeur satisfait à l’exigence relative à l’expérience de travail au Canada.

[52]      Comme second argument fondé sur les programmes qui régissent la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et les permis de travail temporaires, Mme Qin soutient que si l’agent des visas pouvait tenir compte du salaire lors de l’évaluation d’une demande, cela aurait pour effet de compliquer indûment l’administration du programme de la CEC.

[53]      Mme Qin fait remarquer qu’en vertu des programmes qui régissent la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et les permis de travail temporaires, ce sont les fonctionnaires de RHDCC, et non les agents des visas, qui doivent fournir un avis relatif au marché du travail qui tient compte, entre autres, du fait que le salaire du demandeur correspond ou non aux taux de salaire en usage. Cela s’explique par le fait que l’évaluation de l’incidence sur le marché du travail relève de l’expertise des fonctionnaires de RHDCC. En conséquence, fait‑elle valoir, l’article 87.1 ne devrait pas être interprété comme autorisant les agents des visas à effectuer une analyse semblable en ce qui a trait aux demandes au titre de la CEC, étant donné qu’ils n’ont pas l’expertise requise.

[54]      Je ne suis pas convaincu que le simple fait de permettre aux agents des visas de tenir compte des données sur le salaire lors de l’évaluation de l’expérience professionnelle d’un demandeur au titre de la CEC pourrait perturber l’administration équitable et efficace du programme à un point qui rendrait nécessaire d’interpréter le Règlement comme s’il limitait le pouvoir de l’agent des visas de tenir compte d’éléments de preuve pertinents.

[55]      Procéder à un examen comparatif des taux de salaire en tant que l’un des éléments permettant de déterminer si les fonctions du demandeur correspondent à celles décrites au code de la CNP n’est pas une tâche si complexe qu’un agent des visas ne pourrait l’effectuer, surtout s’il bénéficie des observations du demandeur. Permettre à un agent des visas de prendre en compte les données relatives au salaire à des fins si limitées n’équivaut pas à l’autoriser à préparer l’avis relatif au marché du travail requis lors des demandes relatives à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et aux permis de travail temporaires.

[56]      Rien au dossier qui nous a été présenté ne laisse croire que l’utilisation de données relatives au salaire comme indicateur permettant de déterminer si un demandeur au titre de la CEC possède l’expérience de travail exigée ait causé des problèmes administratifs. Quoi qu’il en soit, les agents des visas ne travaillent pas en vase clos; ils peuvent, au besoin, obtenir des conseils auprès de collègues chevronnés.

Conclusions

[57]      Pour ces motifs, je rejetterais l’appel et je répondrais comme suit aux questions certifiées :

Question 1 :  Est‑il acceptable ou raisonnable qu’un agent des visas examine les données comparatives de RHDCC sur les salaires pour évaluer la nature de l’expérience professionnelle d’un demandeur qui veut être admis au titre de la catégorie de l’expérience canadienne, au sens de l’article 87.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227?

Réponse :      Oui

Question 2 : Quelle est la norme de contrôle applicable à l’interprétation par un agent des visas du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, et à son évaluation d’une demande fondée sur ce règlement?

Réponse :      La norme de la décision correcte est la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce à l’interprétation par un agent des visas de l’article 87.1 du Règlement, et la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de fait tirées par un agent des visas et à l’application de l’article 87.1 du Règlement aux faits sur lesquels repose une demande au titre de la CEC.

La juge Gauthier, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.

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