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A-176-13

2014 CAF 180

Haheal Habtenkiel (appelante)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Habtenkiel c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Pelletier, Dawson et Stratas, J.C.A.—Winnipeg, 15 janvier; Ottawa, 25 juillet 2014.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale ayant rejeté le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle une agente des visas a exclu l’appelante de la catégorie du regroupement familial par application de l’art. 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés au motif que l’appelante n’avait pas été identifiée comme membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier — Le ministre n’a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour des motifs d’ordre humanitaire — L’appelante a fait valoir que le droit d’appel visé à l’art. 63 de la Loi était sans valeur, et que l’agente des visas n’a pas tenu compte du fait qu’elle était une enfant mineure — La Cour fédérale a statué qu’elle était liée par la décision Somodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) — Il s’agissait de savoir si les art. 63(1) et 72(2)a) de la Loi faisait obstacle à la présentation, par l’appelante, d’une demande de contrôle judiciaire; dans la négative, si la décision de l’agente des visas en ce qui trait aux motifs d’ordre humanitaire nécessitait l’intervention de la Cour — Les art. 63(1) et 72(2)a) n’ont pas pour effet d’annuler le droit de l’appelante de solliciter le contrôle judiciaire de l’exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire que confère l’art. 25 — L’arrêt Somodi repose sur l’existence d’un véritable droit d’appel auprès de la Section d’appel de l’immigration — Le droit du répondant d’interjeter un tel appel fait obstacle au droit de l’étranger de présenter une demande de contrôle judiciaire — Aucun droit d’appel n’est accordé à l’égard des considérations d’ordre humanitaire — Un étranger n’est pas empêché d’exercer son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire — La restriction du droit prévu à l’art. 72(2)a) de la Loi ne s’applique pas au demandeur exclu de la catégorie du regroupement familial — La présente cause ne relevait pas du principe énoncé dans l’arrêt Somodi — La Cour fédérale a donc commis une erreur à cet égard — Néanmoins, la conclusion de l’agente n’était pas déraisonnable et n’était pas incompatible avec l’intérêt supérieur de l’enfant concernée — Les parents n’ont pas apporté à l’appelante un soutien affectif — Une distinction doit être établie entre le fait d’unir et de réunir des familles au Canada — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale ayant rejeté une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle une agente des visas a exclu l’appelante de la catégorie du regroupement familial par application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés au motif que son père ne l’a pas mentionnée comme membre de la famille ne l’accompagnant pas dans sa demande de visa de résident permanent.

Le ministre intimé a refusé d’exercer en faveur de l’appelante le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour des motifs d’ordre humanitaire. L’appelante a fait valoir que le droit de contester cette décision au moyen d’un appel fondé sur l’article 63 de la Loi était sans valeur, car l’article 65 de la Loi empêchait la Section d’appel de l’immigration (SAI) de tenir compte des motifs d’ordre humanitaire lorsque l’étranger ne fait pas partie de la catégorie du regroupement familial. L’appelante a également soutenu que l’agente des visas n’a pas tenu compte du fait qu’elle était une enfant mineure au moment de la présentation de sa demande. La Cour fédérale a conclu qu’elle était liée par l’arrêt Somodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), dans lequel la Cour d’appel fédérale avait statué que la Loi prévoyait un mécanisme particulier pour contester le rejet des demandes parrainées de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial.

Il s’agissait de savoir si, par effet combiné, le paragraphe 63(1) et l’alinéa 72(2)a) de la Loi faisait obstacle à la présentation, par l’appelante, d’une demande de contrôle judiciaire et dans la négative, si la décision de l’agente des visas en ce qui trait aux motifs d’ordre humanitaire nécessitait l’intervention de la Cour.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Bien que la Cour fédérale ait commis une erreur dans son analyse du droit de l’appelante de présenter une demande de contrôle judiciaire, rien ne justifiait l’intervention de la Cour à l’égard de la décision de l’agente des visas. Le paragraphe 63(1) et l’alinéa 72(2)a) de la Loi n’ont pas pour effet d’annuler le droit l’appelante de solliciter le contrôle judiciaire de l’exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 25 de la Loi. Il ne faut pas penser que tout droit d’appel, aussi restreint soit-il, fait obstacle au contrôle judiciaire des questions qu’on ne peut porter en appel. Le résultat atteint dans l’arrêt Somodi repose sur l’existence d’un véritable droit d’appel auprès de la SAI. Le droit du répondant d’interjeter un tel appel fait obstacle au droit de l’étranger de présenter une demande de contrôle judiciaire. Étant donné que l’article 65 exclut les considérations d’ordre humanitaire de la portée de l’appel pouvant être interjeté par le répondant, il en découle, en pratique, qu’aucun droit d’appel n’est accordé à l’égard de ces considérations. S’il n’y a pas ainsi de droit d’appel, il n’y a pas d’autre voie de recours valable pouvant empêcher l’étranger d’exercer son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire. On en vient à la même conclusion en se penchant sur le rôle joué par l’article 65 de la Loi dans le régime législatif établi. La restriction apparente du droit prévu à l’alinéa 72(2)a) de la Loi ne s’applique pas au demandeur exclu, par l’alinéa 117(9)d) du Règlement, de la catégorie du regroupement familial. La Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la présente affaire relevait du principe énoncé dans l’arrêt Somodi. Il n’était pas interdit à l’appelante de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre relativement à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

Néanmoins, la conclusion de l’agente des visas n’était pas déraisonnable et n’était pas incompatible avec l’intérêt supérieur de l’enfant concernée. Le fait que l’agente des visas n’ait pas mentionné expressément l’intérêt supérieur de l’enfant ne porte pas un coup fatal à sa décision, en l’absence de tout élément de la situation de l’appelante qui conférait un poids particulier à sa qualité d’enfant. Le dossier révélait que l’appelante a été privée des soins et de la présence de ses parents. Ses parents ne semblent pas avoir apporté à leur fille un soutien affectif. Bien que l’un des objectifs de la Loi soit de « veiller à la réunification des familles au Canada », une distinction doit toutefois être établie entre le fait d’unir et de réunir des familles au Canada.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.5.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3d), 25, 63, 65, 72(1),(2)a), 74d).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 10, 66, 67, 70, 117(9)d), 130(1)c), 132.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 R.C.F. 360.

décisions examinées :

Huot c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 180; Phung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 585, [2014] 1 R.C.F. 3; Somodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 288, [2010] 4 R.C.F. 26, confirmant 2008 CF 1356, [2009] 4 R.C.F. 91.

décisions citées :

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, (1959), 16 D.L.R. (2d) 289; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226.

DOCTRINE CITÉE

Brown, Donald J. M. et John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles. (consultées le 2 juillet 2014), Toronto : Carswell, 2013.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2013 CF 397, [2014] 3 R.C.F. 465) ayant rejeté une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle une agente des visas a exclu l’appelante de la catégorie du regroupement familial par application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés au motif que son père ne l’a pas mentionnée comme membre de la famille ne l’accompagnant pas dans sa demande de visa de résident permanent. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Bashir A. Khan pour l’appelante.

Alexander Menticoglou pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Bashir A. Khan, Winnipeg, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Pelletier, J.C.A. : Mme Habtenkiel est une jeune femme qui veut rejoindre son père au Canada. Malheureusement, son père ne l’a pas mentionnée comme membre de la famille ne l’accompagnant pas lorsqu’il a immigré au Canada, de sorte qu’aucun agent des visas ne l’a soumise à l’époque à un contrôle. Par conséquent, elle est exclue de la catégorie du regroupement familial et ne peut venir au Canada que si le ministre, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, la dispense des exigences de la Loi pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2]        La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Mme Habtenkiel a été rejetée. Celle-ci a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision, mais cette demande a aussi été rejetée (Habtenkiel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 397, [2014] 3 R.C.F. 465) au motif que Mme Habtenkiel devait attendre que son répondant (son père) ait exercé son droit d’appel devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI), et que soient ainsi épuisées ses autres voies de recours, avant de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[3]        Tout en concluant que la juge de première instance a commis une erreur dans son analyse du droit de Mme Habtenkiel de présenter une demande de contrôle judiciaire, je rejetterais néanmoins l’appel, puisque rien ne justifie l’intervention de la Cour à l’égard de la décision de l’agente des visas.

I.          LES FAITS PERTINENTS

[4]        Le père de Mme Habtenkiel est venu au Canada en janvier 2009. Dans sa demande de visa de résident permanent, il n’a pas déclaré Mme Habtenkiel comme étant sa fille, parce qu’elle était née hors mariage d’une femme autre que son épouse actuelle. Son père ne l’ayant pas déclarée comme membre de la famille ne l’accompagnant pas, Mme Habtenkiel n’a pas fait l’objet d’un contrôle par un agent des visas.

[5]        Mme Habtenkiel est née le 14 août 1995, de sorte qu’elle avait 15 ans au moment où elle a présenté sa demande. Elle a vécu avec sa mère les deux premières années de sa vie puis, lorsque celle-ci est allée travailler en Arabie saoudite, avec divers parents et, enfin, à l’orphelinat. Mme Habtenkiel a affirmé qu’elle voyait sa mère tous les deux ou trois ans.

[6]        Mme Habtenkiel avait 5 ans lorsqu’elle a rencontré son père pour la première fois. Elle lui parlait au téléphone de temps en temps. À l’âge de 14 ans, Mme Habtenkiel s’est rendue en Arabie saoudite par ses propres moyens dans l’espoir d’y trouver son père, mais à ce moment-là, ce dernier était déjà parti au Canada. Elle est alors allée au Soudan, où elle a présenté sa demande de visa de résidente permanente. Elle y vivait chez un cousin de son père, à qui ce dernier et sa mère versaient de l’argent pour ses besoins.

[7]        Le père de Mme Habtenkiel a présenté une demande de parrainage, mais on l’a informé que, puisqu’il ne l’avait pas déclarée dans sa demande de visa de résident permanent, elle était exclue de la catégorie du regroupement familial par application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement [Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227]. Mme Habtenkiel a pour sa part invoqué, dans sa propre demande, l’existence de motifs d’ordre humanitaire.

[8]        L’agente des visas qui a examiné la demande de Mme Habtenkiel a relevé qu’elle n’avait jamais vécu avec son père et qu’aucune preuve ne laissait voir un intérêt sérieux manifesté par le père à un moment quelconque pour sa fille. L’agente a considéré la question de la réunification de la famille, mais elle a conclu que, comme le père et la fille n’avaient jamais vécu ensemble et qu’il n’existait pas entre eux de liens affectifs, cette question n’était pas pertinente.

[9]        L’agente des visas n’a pas traité expressément de la question de l’intérêt supérieur en tant qu’enfant, au moment de sa demande, de Mme Habtenkiel.

[10]      L’agente des visas a ainsi conclu qu’aucune circonstance atténuante ne justifiait d’octroyer à Mme Habtenkiel un visa de résidente permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, et elle a rejeté sa demande.

II.         LA DÉCISION VISÉE PAR L’APPEL

[11]      Le ministre a initialement fait valoir en première instance que Mme Habtenkiel ne pouvait pas présenter une demande de contrôle judiciaire par effet combiné du paragraphe 63(1) et de l’alinéa 72(2)a), reproduits ci-après, de la Loi :

63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.           

[…]

Droit d’appel : visa

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

Demande d’autorisation

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :   

a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées.

Application

[12]      Le ministre a d’abord soutenu, pour finalement céder sur ce point, que, comme l’article 63 de la Loi conférait au répondant de Mme Habtenkiel le droit d’interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI), ce droit d’appel devait être épuisé, conformément à l’alinéa 72(1)a) de la Loi, avant que Mme Habtenkiel puisse exercer son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[13]      Mme Habtenkiel a répliqué que le droit d’appel devant la SAI était sans valeur, puisque la SAI n’avait d’autre choix que de rejeter l’appel en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) et de l’article 65 de la Loi, reproduits ci-après :

[Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés]

117 […]

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :      

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

Restrictions

[Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés]

65. Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

Motifs d’ordre humanitaires

[14]      Puisque Mme Habtenkiel n’était pas désignée dans la demande de visa de résident permanent de son père comme membre de la famille qui ne l’accompagnait pas, elle n’a pas fait l’objet d’un contrôle. Elle était donc exclue de la catégorie du regroupement familial conformément à l’alinéa 117(9)d) et elle n’a pas contesté cette exclusion. Mme Habtenkiel ne pouvait surmonter les effets de l’exclusion qu’en convainquant le ministre d’exercer en sa faveur le pouvoir discrétionnaire, conféré par le paragraphe 25(1) de la Loi, de lui accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Le ministre a refusé d’exercer ce pouvoir. Mme Habtenkiel a soutenu que le droit de contester cette décision au moyen d’un appel fondé sur l’article 63 de la Loi était sans valeur, car l’article 65 empêchait la SAI de tenir compte des motifs d’ordre humanitaire lorsque l’étranger ne fait pas partie de la catégorie du regroupement familial. Le rejet de l’appel était ainsi inévitable, puisque seul l’exercice irrégulier du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi pouvait être invoqué en appel.

[15]      La Cour fédérale avait accepté l’argument avancé par Mme Habtenkiel dans diverses décisions antérieures. Dans la décision Huot c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 180, le juge de première instance a statué que l’alinéa 72(2)a) de la Loi ne s’appliquait pas à une répondante présentant une demande de contrôle judiciaire sans exercer son droit d’appel (voir le paragraphe 18).

[16]      Dans la décision Phung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 585, [2014] 1 R.C.F. 3, la Cour fédérale a statué ainsi [au paragraphe 28] :

[…] la restriction prévue à l’alinéa 72(2)a) de la LIPR ne met pas en échec la compétence de la Cour pour examiner si l’agent a commis une erreur lorsqu’il a examiné les facteurs d’ordre humanitaire. La conclusion contraire aurait pour effet de priver les étrangers appartenant à la catégorie du regroupement familial d’un recours efficace et serait incompatible avec le vaste pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense, particulièrement lorsque l’intérêt supérieur d’un enfant est en jeu.

[17]      Malgré ce qu’avait concédé le ministre, la juge de première instance n’a pas suivi cette jurisprudence, qu’elle jugeait incompatible avec l’arrêt de la Cour Somodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 288, [2010] 4 R.C.F. 26. Cet arrêt portait sur une demande de résidence permanente parrainée, où la question de l’appartenance à la catégorie du regroupement familial ne se posait pas. L’étranger a demandé le contrôle judiciaire de la décision du ministre qui lui était défavorable, tandis que la répondante a interjeté appel de la décision auprès de la SAI. La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’étranger (2008 CF 1356, [2009] 4 R.C.F. 91) et a certifié la question suivante :

L’article 72 de la LIPR interdit-il toute demande de contrôle judiciaire présentée par la personne ayant déposé une demande pour conjoint pendant que le répondant exerce un droit d’appel en vertu de l’article 63 de la LIPR?

[18]      Notre Cour a rejeté l’appel et a répondu par l’affirmative à la question certifiée. Elle a statué que les dispositions de la Loi portant sur les demandes parrainées au titre de la catégorie du regroupement familial constituaient [au paragraphe 21] une « procédure exhaustive et indépendante ». La procédure prévue par la Loi conférait à la SAI le contrôle en manière d’appel, tandis que toute demande ultérieure de contrôle judiciaire relevait de la responsabilité du répondant. La Cour a statué que la restriction du droit de demander le contrôle judiciaire prévue à l’alinéa 72(2)a) de la Loi l’emportait sur le droit général de solliciter ce contrôle conféré par l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (voir l’arrêt Somodi, aux paragraphes 21 à 25).

[19]      Comme il l’a été mentionné ci-dessus, la juge de première instance s’est estimée liée par l’arrêt Somodi de la Cour et a refusé de suivre la jurisprudence de la Cour fédérale. Elle a expliqué que la Cour avait statué, dans l’arrêt Somodi, que la Loi prévoyait un mécanisme particulier pour contester le rejet des demandes parrainées de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial. La juge a admis que le fait que la procédure prescrite oblige le répondant à former un appel voué à l’échec manquait d’efficacité, mais qu’il appartenait au législateur, et non à la Cour, de remédier à la situation.

[20]      La juge de première instance a certifié la question suivante en vue d’un appel, conformément à l’alinéa 74d) de la Loi :

Compte tenu de l’alinéa 72(2)a), du paragraphe 63(1) et de l’article 65 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et de l’arrêt Somodi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 288, [2010] 4 R.C.F. 26, lorsque le demandeur a fait une demande de parrainage au titre du regroupement familial dans laquelle il a demandé que soient pris en considération des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur doit-il nécessairement épuiser ses voies d’appel auprès de la Section d’appel de l’immigration, lors même que ces voies d’appel sont restreintes par l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, avant d’être admissible à déposer une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale?

[21]      Dans l’éventualité où l’on conclurait qu’elle a commis une erreur, la juge de première instance a ensuite examiné la demande de contrôle judiciaire sur le fond. Elle a conclu que l’agente des visas avait pris en considération la situation personnelle de Mme Habtenkiel, notamment le peu de contacts et l’absence de liens affectifs entre elle et son père. Quant au fait que Mme Habtenkiel avait 15 ans au moment de sa demande, la juge a également conclu que l’agente, même si elle n’avait pas employé les termes « l’intérêt supérieur de l’enfant » dans sa décision, avait bien pris en compte son intérêt supérieur en tant qu’enfant. La juge a par conséquent rejeté la demande de contrôle judiciaire de Mme Habtenkiel.

III.        QUESTIONS EN LITIGE

[22]      Les questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :

1.      Par effet combiné, le paragraphe 63(1) et l’alinéa 72(2)a) de la Loi font-ils obstacle à la présentation, par Mme Habtenkiel, d’une demande de contrôle judiciaire?

2.      Si Mme Habtenkiel a le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire, la décision de l’agente des visas en ce qui trait aux motifs d’ordre humanitaire nécessite-t-elle l’intervention de la Cour?

IV.       ANALYSE

A.           Par effet combiné, le paragraphe 63(1) et l’alinéa 72(2)a) de la Loi font-ils obstacle à la présentation, par Mme Habtenkiel, d’une demande de contrôle judiciaire?

[23]      La question de l’admissibilité au contrôle judiciaire d’une personne dans la situation de Mme Habtenkiel est une pure question d’interprétation législative qui concerne la compétence de la Cour fédérale. La question de la retenue ne se pose pas, puisqu’aucun décideur administratif n’a statué sur la question, et on ne pourrait pas lui demander de le faire. La norme de contrôle que commande une telle question est celle s’appliquant habituellement entre une cour d’appel et une cour de première instance à l’égard d’une pure question de droit, soit la norme de la décision correcte (voir l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8).

[24]      Pour remettre en contexte la question du droit de Mme Habtenkiel de présenter une demande de contrôle judiciaire, il convient de passer en revue les dispositions de la Loi qui traitent des demandes de visa de résident permanent et celles traitant des demandes de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

[25]      Une personne qui présente une demande de visa de résident permanent doit préciser la catégorie (le regroupement familial, l’immigration économique ou les réfugiés) au titre de laquelle la demande est faite. La demande faite par l’étranger au titre de la catégorie du regroupement familial doit être précédée ou accompagnée d’une demande de parrainage (voir l’article 10 du Règlement).

[26]      Le résident permanent ou le citoyen qui parraine un étranger demandant à entrer au Canada au titre de la catégorie du regroupement familial doit présenter une demande conformément à l’article 10 du Règlement (voir l’alinéa 130(1)c) du Règlement). Le répondant se porte responsable pendant un certain temps de l’étranger au plan financier et doit s’engager à rembourser à la Couronne les prestations fournies à titre d’assistance sociale à l’étranger parrainé, ou pour son compte (voir l’article 132 du Règlement).

[27]      L’article 70 du Règlement énonce les conditions que doit remplir un demandeur d’un visa de résident permanent :

70. (1) L’agent délivre un visa de résident permanent à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :      

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre d’une des catégories prévues au paragraphe (2);  

b) il vient au Canada pour s’y établir en permanence;        

c) il appartient à la catégorie au titre de laquelle il a fait la demande;          

d) il se conforme aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie;      

e) ni lui ni les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, ne sont interdits de territoire.          

Délivrance du visa

[28]      Comme Mme Habtenkiel est exclue de la catégorie du regroupement familial par l’alinéa 117(9)d) du Règlement, elle ne pouvait pas répondre aux exigences prévues aux alinéas 70(1)a), c) et d), lesquelles sont toutes liées à l’appartenance à une catégorie prévue par règlement, comme celle du regroupement familial.

[29]      Le paragraphe 25(1) de la Loi autorise le ministre, si un étranger le demande, à étudier le cas de ce dernier et à lever tout critère ou obligation applicable en vertu de la Loi, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient.

[30]      L’étranger qui se trouve hors du Canada et qui veut que le ministre étudie son cas doit faire une demande par écrit, et doit accompagner cette demande d’une demande de visa de résident permanent (voir l’article 66 du Règlement). Si le ministre décide de dispenser l’étranger des exigences du paragraphe 70(1), cela a les conséquences suivantes :

67. Dans le cas où l’application des alinéas 70(1)a), c) et d) est levée en vertu des paragraphes 25(1), 25.1(1) ou 25.2(1) de la Loi à l’égard de l’étranger qui se trouve hors du Canada et qui a fait les demandes visées à l’article 66, un visa de résident permanent lui est délivré si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après, ainsi que celui prévu à l’alinéa 70(1)b), sont établis :

[…]

b) il n’est pas par ailleurs interdit de territoire;        

c) les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, ne sont pas interdits de territoire.          

Demandeur se trouvant hors du Canada

[31]      L’alinéa 70(1)b) prévoit, aux fins de la délivrance d’un visa, que l’étranger doit venir au Canada pour s’y établir en permanence.

[32]      Si l’on examine en contexte le libellé de ces diverses dispositions, en visant à donner effet à l’intention du législateur, il est possible de dégager l’objet fondamental du régime législatif. Dans un cas typique, le répondant se charge de présenter une demande de la catégorie du regroupement familial; étant donné que le répondant assume la responsabilité financière à l’égard du membre de la famille parrainé, il a un intérêt véritable dans le déroulement de la demande. Le répondant a qualité pour en appeler du refus d’un agent des visas de délivrer un visa de résident permanent au demandeur parrainé, et il a l’intérêt requis. La SAI a pour sa part compétence pour décider de l’octroi, si les faits le justifient, d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Après avoir épuisé son droit d’appel auprès de la SAI, le répondant peut ensuite demander le contrôle judiciaire de la décision de celle-ci. Il s’agit là de la chaîne d’événements en fonction de laquelle la Cour a rendu l’arrêt Somodi.

[33]      Toutefois, dans le cas où l’alinéa 117(9)d) du Règlement exclut l’étranger de la catégorie du regroupement familial, d’autres facteurs doivent être pris en considération. Il découle de l’exclusion de la catégorie du regroupement familial que, à moins que le ministre ne le dispense de l’obligation de présenter sa demande en tant que membre d’une catégorie, l’étranger ne pourra pas obtenir un visa de résident permanent, puisqu’il ne sera vraisemblablement pas admissible non plus comme membre d’une autre catégorie.

[34]      L’étranger qui sollicite l’exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 25 de la Loi doit le faire au moyen d’une demande distincte devant accompagner sa demande de visa permanent (voir l’article 66 du Règlement). La question qui se pose lorsque le demandeur est exclu de la catégorie du regroupement familial est de savoir si le paragraphe 63(1) et l’alinéa 72(2)a) de la Loi ont pour effet d’annuler son droit de solliciter le contrôle judiciaire de l’exercice par le ministre de ce pouvoir discrétionnaire. Ils n’ont pas cet effet, à mon avis.

[35]      Il ne faut pas penser que tout droit d’appel, aussi restreint soit-il, fait obstacle au contrôle judiciaire des questions qu’on ne peut porter en appel. Tel que l’ont dit les rédacteurs de l’ouvrage Judicial Review of Administrative Action in Canada : [traduction] « Bien sûr, lorsque le droit d’appel est limité, il ne donne ouverture au contrôle judiciaire que des questions non susceptibles d’appel » D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles (publication consultée le 2 juillet 2014), (Toronto : Carswell, 2013), à la §3 :2120.

[36]      Le résultat atteint dans l’arrêt Somodi repose sur l’existence d’un véritable droit d’appel auprès de la SAI. Le droit du répondant d’interjeter un tel appel fait obstacle au droit de l’étranger de présenter une demande de contrôle judiciaire. Étant donné que l’article 65 exclut les considérations d’ordre humanitaire de la portée de l’appel pouvant être interjeté par le répondant, il en découle, en pratique, qu’aucun droit d’appel n’est accordé à l’égard de ces considérations. S’il n’y a pas ainsi de droit d’appel, il n’y a pas d’autre voie de recours valable pouvant empêcher l’étranger d’exercer son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire. L’alinéa 72(2)a) de la Loi ne fait donc pas obstacle au droit de Mme Habtenkiel — mais seulement quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de l’article 25 — d’introduire une demande de contrôle judiciaire.

[37]      On en vient à la même conclusion en se penchant sur le rôle joué par l’article 65 de la Loi dans le régime législatif établi. L’objet de l’article 65 est de limiter la mesure dans laquelle la décision du ministre au regard des facteurs d’ordre humanitaire peut être modifiée par voie de contrôle. Les considérations d’ordre humanitaire échappant à la compétence de la SAI lorsque les demandeurs tombent sous le coup de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, le ministre devient dans ces cas le seul décideur. La SAI ne peut ainsi annuler les décisions rendues par le ministre, sur le fond, quant au bien-fondé d’une demande invoquant les considérations d’ordre humanitaire.

[38]      La légalité de la décision du ministre en ce qui a trait à la demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire ne peut toutefois échapper à tout contrôle. Elle est susceptible de contrôle en vertu du principe fondamental selon lequel tout pouvoir discrétionnaire doit être exercé en fonction de l’objet de la loi qui l’a conféré (Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 140). S’il est possible que le pouvoir de la Cour de procéder à un tel contrôle soit restreint, il n’est pas possible de le supprimer sans porter atteinte au principe de la primauté du droit (voir les arrêts Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 27 et 28; et Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220). La décision du ministre au regard des considérations d’ordre humanitaire est donc présumée susceptible de contrôle judiciaire. Pour les motifs déjà exposés, la restriction apparente du droit à un tel contrôle prévu à l’alinéa 72(2)a) de la Loi ne s’applique pas au demandeur exclu, par l’alinéa 117(9)d) du Règlement, de la catégorie du regroupement familial.

[39]      Je suis donc d’avis que la juge de première instance a commis une erreur en concluant que la présente affaire relevait du principe énoncé dans l’arrêt Somodi. Bien que l’affaire Somodi corresponde à la règle générale, la présente constitue une exception à la règle.

[40]      J’estime par conséquent qu’il n’est pas interdit à Mme Habtenkiel de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre relativement à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

B.         La décision de l’agente des visas en ce qui a trait aux motifs d’ordre humanitaire nécessite-t-elle l’intervention de la Cour?

[41]      Comme il a été mentionné précédemment, l’agente des visas, à titre de déléguée du ministre, a refusé de dispenser Mme Habtenkiel des exigences du paragraphe 70(1) de la Loi pour des motifs d’ordre humanitaire. La juge de première instance, qui s’est penchée sur la question au cas où la Cour désapprouverait sa conclusion sur la question de la compétence, a conclu qu’aucune intervention judiciaire n’était à ce titre justifiée.

[42]      Le rôle de la juridiction d’appel, lorsqu’est portée en appel la décision sur une demande de contrôle judiciaire, est de décider si la cour de révision a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle a appliqué correctement cette norme (voir les arrêts Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47); et Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 43).

[43]      La juge de première instance a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agente des visas était celle de la décision raisonnable, en s’appuyant sur l’arrêt de la Cour dans Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 R.C.F. 360, aux paragraphes 18 à 20). Je suis du même avis. La décision nécessitait d’appliquer un principe juridique établi aux faits particuliers d’un cas, une situation classique de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[44]      Il ne reste plus qu’à se demander si la juge de première instance a appliqué correctement la norme de la décision raisonnable, c’est-à-dire si elle a tranché la question de savoir si la décision de l’agente des visas appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[45]      L’argument principal de Mme Habtenkiel est que l’agente des visas n’a pas tenu compte du fait qu’elle était une enfant mineure au moment de la présentation de sa demande. Si l’agente l’avait fait, elle aurait dû apprécier la demande en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et, selon Mme Habtenkiel, sa demande aurait été accueillie.

[46]      Bien que l’intérêt supérieur de l'enfant soit un facteur dont l’agent des visas doit tenir compte, ce n’est qu’un facteur parmi d’autres. Il revient à l’agent des visas, au vu de l'ensemble de la preuve, de décider du poids à accorder à ce facteur particulier. L’intérêt supérieur de l'enfant ne doit pas dicter le résultat à atteindre dans un cas donné (Kisana, précité, au paragraphe 24). Le fait que l’agente des visas n’ait pas mentionné expressément l’intérêt supérieur de l’enfant ne porte pas un coup fatal à sa décision, en l’absence de tout élément de la situation de Mme Habtenkiel qui conférait un poids particulier à sa qualité d’enfant.

[47]      L’agente des visas n’ayant pas traité expressément de la situation de Mme Habtenkiel en tant qu’enfant, je ne suis pas en mesure d’étudier son raisonnement. Nous pouvons toutefois examiner si, au vu du dossier, la conclusion tirée par l’agente est conforme à l’intérêt supérieur de Mme Habtenkiel en tant qu’enfant, compte tenu de sa situation particulière. Or, le dossier révèle que, presque toute sa vie, Mme Habtenkiel a été privée des soins et de la présence de ses parents. Si ces derniers ont fourni une certaine aide financière à leur fille, ils ne semblent pas lui avoir apporté le soutien affectif auquel tout enfant a droit.

[48]      Il était loisible à l’agente des visas de prendre en considération l’historique familial de Mme Habtenkiel et la preuve pouvant exister d’un lien affectif entre elle et son père. L’un des objectifs de la Loi est de « veiller à la réunification des familles au Canada » (voir l’alinéa 3d) de la Loi). Une distinction doit toutefois être établie entre le fait d’unir et de réunir des familles au Canada. L’agente des visas a conclu que l’affaire se situait du mauvais côté de cette distinction. Cette décision n’est pas incompatible avec l’intérêt supérieur de l'enfant concernée, compte tenu du fait que les avantages tirés de la vie au Canada ne doivent pas faire pencher la balance, par eux-mêmes, en faveur de tout enfant mis en contact avec le système d’immigration. Au vu du dossier, il m’est impossible de qualifier de déraisonnable la conclusion tirée par l’agente des visas.

[49]      Par conséquent, je rejetterais l’appel et je répondrais ainsi à la question certifiée :

Question : Compte tenu de l’alinéa 72(2)a), du paragraphe 63(1) et de l’article 65 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et de l’arrêt Somodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 288, [2010] 4 R.C.F. 26, lorsque le demandeur a fait une demande de parrainage au titre du regroupement familial dans laquelle il a demandé que soient pris en considération des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur doit-il nécessairement épuiser ses voies d’appel auprès de la Section d’appel de l’immigration, lors même que ces voies d’appel sont restreintes par l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, avant d’être admissible à déposer une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale?

Réponse : Non.

La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.

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