Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2002] 2 C.F. 288

A-424-99

2001 CAF 260

OSFC Holdings Ltd. (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : OSFC Holdings Ltd. c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Létourneau et Rothstein, J.C.A.-Ottawa, 9 et 10 mai et 11 septembre 2001.

Impôt sur le revenuCalcul du revenuDéductionsDisposition générale anti-évitement prévue à l’art. 245 de la Loi de l’impôt sur le revenuLe MRN a refusé à la contribuable la déduction d’une perte autre qu’une perte en capital dans le calcul de son revenu pour 1993 et la déduction d’une perte connexe autre qu’une perte en capital d’un report prospectif pour l’année d’imposition 1994La contribuable a acheté une participation de 99 p. 100 dans une société de personnes créée par la Compagnie Standard Trust (STC)La STC a effectué une série de trois opérations donnant lieu à un avantage fiscalLa quatrième opération était l’acquisition par la contribuable d’une participation dans une société de personnes qui comportait d’importantes pertesIl s’agissait de savoir si l’opération de la contribuable constituait une opération d’évitement en vertu de l’art. 245(3) de la LoiLa contribuable n’a pas nié l’avantage fiscalPour qu’il y ait opération d’évitement, deux critères doivent être remplis : le critère des résultats et le critère de l’objetChaque opération dans une série d’opérations doit être déterminée d’avance pour produire un résultat finalAux fins de l’application de l’art. 245(3)b) de la Loi, la série englobait les trois opérations de la STC et l’acquisition d’une participation par la contribuableLa série a donné lieu à un avantage fiscal au profit de la contribuableL’objet principal de l’acquisition de la participation dans la société de personnes par la contribuable était d’obtenir un avantage fiscalChacune des quatre opérations était une opération d’évitementL’avantage fiscal est refusé si l’opération entraîne un abus dans l’application d’une disposition précise comme le prévoit l’art. 245(4) de la LoiLes opérations d’évitement n’ont entraîné aucun abus (misuse) dans l’application de l’art. 18(13) de la LoiLa politique générale qui sous-tend la Loi de l’impôt sur le revenu interdit l’échange des pertes autres que des pertes en capital par les sociétésL’exception prévue par la Loi, permettant à une entreprise de se prévaloir des pertes d’une entreprise déficitaire, ne s’applique pas entre la STC et la contribuableLes opérations d’évitement ont entraîné un abus (abuse) dans l’application des dispositions de la Loi.

Il s’agit d’un appel de la décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a conclu que l’opération de la contribuable était une opération qui faisait partie d’une série d’opérations dont l’objet principal était d’obtenir un avantage fiscal et qui constituaient par conséquent des opérations d’évitement au sens de l’alinéa 245(3)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, la disposition générale anti-évitement (RGAÉ). La Compagnie Standard Trust, qui exploitait une entreprise consistant à accorder des prêts garantis par des hypothèques sur des immeubles, est devenue insolvable par suite du déclin du marché de l’immobilier à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ernst & Young, nommé liquidateur de la compagnie, a cherché à obtenir la meilleure réalisation possible de la disposition des actifs de la Standard. La meilleure façon de réaliser son objectif était de préserver la perte de la Standard et de la faire utiliser par un tiers pour réduire son impôt sur le revenu. La Standard a effectué une série de trois opérations : la création et la constitution de la compagnie 1004568 Ontario Inc., une filiale en propriété exclusive, la formation de la société de personnes STIL II et la vente de sa participation de 99 p. 100 dans cette société de personnes, opérations qui ont donné lieu à un avantage fiscal. La contribuable a effectué une quatrième opération par laquelle elle a acheté une participation dans la société de personnes STIL II qui comportait d’importantes pertes. Le ministre du Revenu national a refusé à la contribuable la déduction d’une perte autre qu’une perte en capital de 12 572 274 $ dans le calcul de son revenu pour son année d’imposition 1993 et la déduction d’une perte connexe autre qu’une perte en capital d’un report prospectif pour son année d’imposition 1994. La Cour de l’impôt a conclu à l’application de la disposition générale anti-évitement et a rejeté l’appel de la contribuable. Trois principales questions ont été soulevées : 1) y avait-il une série d’opérations et, le cas échéant, quelles opérations faisaient partie de la série? 2) la série a-t-elle entraîné un avantage fiscal et quel était l’objet principal des opérations faisant partie de la série? 3) l’une ou l’autre des opérations d’évitement entraînerait-elle un abus dans l’application d’une disposition précise de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Arrêt (le juge Létourneau, J.C.A., souscrivant au résultat uniquement) : l’appel doit être rejeté.

Le juge Rothstein, J.C.A. (avec l’appui du juge Stone, J.C.A.) : le paragraphe 245(2) ne s’applique que lorsqu’un avantage fiscal découlerait d’une opération qui est une opération d’évitement ou d’une série d’opérations dont une opération d’évitement fait partie. D’après le paragraphe 245(3), pour conclure qu’une opération est une opération d’évitement, deux critères doivent être remplis. Le premier est le critère des résultats qui exige que l’on détermine si un avantage fiscal découlerait d’une opération ou d’une série d’opérations, sans la RGAÉ. Le second est le critère de l’objet en vertu duquel il n’est nécessaire d’examiner l’objet principal d’une opération ou de plusieurs opérations que si un avantage fiscal en découlait.

1) Pour déterminer s’il existe une série au sens de l’alinéa 245(3)b) de la Loi, il faut examiner à quel point les étapes ou opérations individuelles doivent être étroitement liées pour constituer une série. En édictant l’alinéa 245(3)b), le Parlement a adopté l’approche relative à une « série d’opérations » énoncée par la Chambre des lords. Selon la Chambre des lords, pour qu’il y ait une série d’opérations, chaque opération dans la série doit être déterminée d’avance pour produire un résultat final. Par détermination d’avance, on veut dire que lorsque la première opération de la série est réalisée, tous les éléments essentiels des opérations ultérieures sont déterminés par les personnes qui ont la ferme intention et la capacité de les réaliser. Il n’existe aucune probabilité pratique que les opérations ultérieures ne se réaliseront pas. Les trois opérations de la Standard Trust étaient déterminées d’avance. Toutefois, d’après la définition retenue par la Chambre des lords, la quatrième opération ne ferait pas partie d’une série avec les opérations de la Standard Trust puisqu’elle n’était pas déterminée d’avance et qu’il n’était pas pratiquement certain qu’elle allait se réaliser lorsque les opérations ont été réalisées. Par ailleurs, le paragraphe 248(10) de la Loi, qui est une disposition déterminative, élargit le sens du mot série au-delà de la définition donnée par la Chambre des lords. La nature déterminative du paragraphe 248(10) implique un élargissement de la série au sens de la common law. Puisque le paragraphe 245(1) définit « opération » comme englobant un arrangement ou un événement, l’expression « série d’opérations » au paragraphe 245(2) et à l’alinéa 245(3)b) doit être interprétée comme englobant une « série d’opérations ou d’événements » dont il est question au paragraphe 248(10). La contribuable était au courant de la série d’opérations de la Standard Trust qui constituaient une condition fondamentale de son acquisition de sa participation dans la société de personnes. L’acquisition par la contribuable de sa participation dans la STIL II était une opération qui était liée à la série d’opérations de la Standard Trust et avait été terminée en vue de réaliser cette série. Appliquant l’effet déterminatif du paragraphe 248(10), la Cour a conclu que, pour l’application de l’alinéa 245(3)b), la série englobe la série d’opérations de la Standard Trust et l’opération d’acquisition.

2) Les opérations de la Standard Trust faisaient partie d’un plan par lequel un avantage fiscal pourrait être obtenu par un acheteur sans lien de dépendance de la participation de la Standard Trust dans la société de personnes STIL II. Elles n’ont entraîné aucun avantage fiscal en tant que tel même si c’était là leur objet. À la conclusion de ces trois opérations, la Standard Trust ou la contribuable n’en a tiré aucun avantage fiscal. Toutefois, la contribuable n’a pas nié que son acquisition de sa participation dans la STIL II a donné lieu à un avantage fiscal, c’est-à-dire l’économie d’impôt résultant de la déduction de la perte provenant de la Standard Trust. En raison de cette acquisition, la contribuable a acquis le droit à une partie de la perte de la société de personnes et, par conséquent, a obtenu un avantage fiscal. Cette opération faisant partie d’une série avec les opérations de la Standard Trust, la série a donné lieu à un avantage fiscal au profit de la contribuable.

L’opération dont l’objet principal est d’obtenir un avantage fiscal est une opération d’évitement. Le membre de phrase « il est raisonnable de considérer que l’opération est principale-ment effectuée pour » au paragraphe 245(3) indique que le critère de l’objet principal est un critère objectif. L’opération d’acquisition avait à la fois un objet commercial et un objet d’avantage fiscal. La contribuable avait un objet commercial véritable dans l’acquisition de la participation dans la STIL II de la Standard Trust. Cependant, l’opération a donné à la contribuable accès à des pertes fiscales éventuelles de l’ordre de 52 millions de dollars qui provenaient de la Standard Trust. Il s’agissait donc de savoir si l’objet principal de l’acquisition de la participation dans la société de personnes était commercial ou encore était l’obtention d’un avantage fiscal. L’importante disparité entre l’avantage fiscal potentiel d’environ 52 millions de dollars qui reviendrait à la contribuable et le bénéfice anticipé de l’exploitation et de la disposition du portefeuille de STIL II indiquait que l’acquisition par la contribuable de la participation de 99 p. 100 de la Standard Trust dans la STIL II n’avait pas été principalement effectuée pour des objets véritables, l’obtention d’un avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable. Même si la contribuable avait un objet commercial dans l’acquisition de la participation de la Standard Trust dans la STIL II, son objet principal était d’obtenir un avantage fiscal pour elle-même et de céder à ses associés de la SRMP la fraction de l’avantage fiscal dont elle n’avait pas besoin pour son propre profit. Chacune des quatre opérations était une opération d’évitement.

3) Si l’une ou l’autre des opérations d’évitement devait entraîner un abus dans l’application d’une disposition précise de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’avantage fiscal découlant de la série sera refusé. Pour décider s’il y a eu abus, il faut procéder à une analyse en deux étapes. D’une part, il faut déterminer la politique générale pertinente qui sous-tend les dispositions de la Loi dans son ensemble. D’autre part, il faut évaluer les faits pour savoir si l’opération d’évitement constituait un abus compte tenu de la politique générale en question. La politique qui sous-tend les dispositions pertinentes ou la Loi lue dans son ensemble doit être suffisamment claire pour permettre à la Cour de conclure sans danger que l’application des dispositions par la contribuable constituait un abus. En édictant le paragraphe 245(4), le législateur a imposé à la Cour le fardeau de déterminer la politique générale du Parlement comme motif de refus d’un avantage fiscal découlant d’une opération qui est par ailleurs conforme aux exigences de la Loi. La première question était de savoir si la contribuable pouvait démontrer qu’il était raisonnable de considérer que les opérations d’évitement ne donnent pas lieu à un abus (misuse) dans l’application du paragraphe 18(13) de la Loi, tel qu’il était formulé en 1993. Bien que le paragraphe 18(13) soit une disposition qui empêche de transférer des pertes, il n’a pas pour effet de viser les transferts entre des parties n’ayant aucun lien de dépendance ou de limiter, de quelque façon, les opérations entre de telles parties. Le paragraphe 18(13) prévoit qu’un cessionnaire avec lien de dépendance peut se prévaloir de la perte refusée au cédant. Dès lors que l’un des buts exprès de cette disposition est de maintenir les pertes entre les mains d’un cessionnaire avec lien de dépendance et que ce dernier peut être une société de personnes à laquelle les règles relatives aux sociétés de personnes s’appliquent, on ne peut pas dire que l’acquisition d’une participation dans la STIL II par la contribuable est contraire à la politique générale qui sous-tend le paragraphe 18(13). Par conséquent, aucune des opérations d’évitement n’a entraîné, directement ou indirectement, d’abus (misuse) dans l’application du paragraphe 18(13).

Il s’agissait ensuite de savoir s’il est raisonnable de considérer que les opérations d’évitement entraînent un abus (abuse) dans l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu. La politique générale qui sous-tend la Loi interdit l’échange des pertes autres que des pertes en capital par les sociétés, sous réserve de certaines limites précises. Il n’est pas prévu qu’une perte peut être vendue à un acheteur sans lien de dépendance comme s’il s’agissait du stock de l’entreprise. Au moment en cause, la Loi ne comportait aucune politique générale interdisant le transfert de pertes entre associés. La contribuable a acquis quelque 52 millions de dollars de la perte de la Standard Trust dont elle-même et ses associés dans la SRMP pourraient se prévaloir pour réduire leur part du revenu de la STIL II et leurs revenus provenant d’autres sources. Les opérations d’évitement ont eu pour résultat le transfert de la perte d’une société à une autre par le mécanisme du paragraphe 18(13) et des règles relatives aux sociétés de personnes. Compte tenu de la disposition générale anti-évitement, ces opérations ont violé la politique générale qui sous-tend la Loi et interdit le transfert de pertes d’une société à une autre. Les règles relatives au changement de contrôle ne sont pas applicables puisqu’il ne s’agit pas en l’espèce du changement de contrôle d’une société, mais de la vente de certains actifs de la société. L’exception prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu, permettant à une entreprise de se prévaloir des pertes d’une entreprise déficitaire, ne s’appliquait pas entre la Standard Trust et la contribuable. La politique qui sous-tend la Loi ne permet pas que les pertes subies dans l’entreprise consistant à accorder des prêts garantis par des hypothèques soient utilisées en compensation des bénéfices tirés de l’entreprise consistant à réhabiliter des biens immobiliers saisis. Les opérations d’évitement ont entraîné un abus (abuse) dans l’application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble, abstraction faite de la disposition générale anti-évitement.

Le juge Létourneau, J.C.A. (souscrivant au résultat uniquement) : en vertu de l’alinéa 245(3)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, une opération peut constituer une opération d’évitement si un avantage fiscal en découle et si elle a été principalement effectuée en vue de l’obtention de l’avantage fiscal. Chaque opération qui fait partie d’une série d’opérations doit, en vertu de l’alinéa 245(3)b), être évaluée seule pour déterminer si elle a un objet véritable autre que l’obtention d’un avantage fiscal. La conclusion ayant été faite qu’une opération qui fait partie de la série est une opération d’évitement, toutes les autres opérations qui font partie de la série sont entachées ou contaminées par cette opération. Aucune raison valide ou légitime ne justifiait la création de la société de personnes STIL II et le transfert à cette dernière du portefeuille si ce n’était pour créer un avantage fiscal qui serait vendu ultérieurement. La vente éventuelle à une partie sans lien de dépendance faisait partie des étapes déterminées d’avance qui avaient été effectuées par le liquidateur de Standard Trust. L’ensemble de l’opération élaborée et effectuée par le liquidateur a été conçu dans le but, et avait pour objet, de créer et de transférer un avantage fiscal. La disposition générale anti-évitement est axée sur les résultats et, par conséquent, il importe peu qui a produit l’avantage fiscal. Le juge de la Cour de l’impôt avait raison de conclure que l’opération de la contribuable faisait partie d’une série d’opérations d’évitement dont elle a tiré un avantage fiscal important. L’opération était un abus dans l’application de la Loi lue dans son ensemble par laquelle les pertes de la Standard Trust ont été transformées en un produit vendable et transférées d’une société à une autre par l’artifice d’une société de personnes qui n’avait jamais subi les pertes et a seulement agi comme intermédiaire.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 18(13), 53(2)c), 96(1)g),(8) (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 44), 111(1)a),(5), 245, 248(10).

Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada, la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, la Loi de 1977 sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur les contributions fédérales en matière d’enseignement postsecondaire et de santé et certaines lois connexes, L.C. 1988, ch. 55, art. 185(2).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Furniss v. Dawson, [1984] A.C. 474 (H.L.); Craven v. White, [1989] A.C. 398 (H.L.).

distinction faite d’avec :

Jabs Construction Ltd. c. Canada, [1999] 3 C.T.C. 2556; (1999), 99 DTC 729 (C.C.I.); Geransky c. Canada (2001), 2001 DTC 243 (C.C.I.); Shell Canada Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; (1999), 178 D.L.R. (4th) 26; 99 DTC 5669; 247 N.R. 19; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312; (1994), 94 DTC 6314; 168 N.R. 16.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838; (1978), 85 D.L.R. (3d) 1; 40 C.C.C. (2d) 273; 3 C.R. (3d) 132; 21 N.R. 571; RMM Canadian Enterprises Inc. c. Canada, [1998] 1 C.T.C. 2300; (1997), 97 DTC 302 (C.C.I.).

DOCTRINE

Arnold, Brian J. Tax Avoidance and the Rule of Law, Amsterdam : IBFD Publications, 1997.

Arnold, Brian J. and James R. Wilson. « The General Anti-Avoidance Rule-Part 2 » (1988), 36 Rev. fisc. can. 1123.

Canadian Tax Foundation. 1988 Conference Report : Report of Proceedings of the Fortieth Tax Conference. Toronto : Canadian Tax Foundation, 1989.

Cooper, Graeme S. Tax Avoidance and the Rule of Law, Amsterdam : IBFD Publications, 1997.

Dodge, David A. « A New and More Coherent Approach to Tax Avoidance » (1988), 36 Rev. fisc. can.

Heakes, Edward A. « New Rules, Old Chestnuts, and Emerging Jurisprudence : The Stop-Loss Rules » in Report of Proceedings of the Forty-seventh Tax Conference, 1995 Conference Report. Toronto : Canadian Tax Foundation, 1996.

Hiltz, Michael. « Section 245 of the Income Tax Act » in Report of Proceedings of the Fortieth Tax Conference, 1988 Conference Report. Toronto : Canadian Tax Foundation, 1989.

Hogg, Peter W. et al. Principles of Canadian Income Tax Law, 3rd ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1999.

Income Tax Act and Regulations Department of Finance Technical Notes : A Consolidation of Technical Notes and other Income Tax Commentary from the Department of Finance, Toronto : Carswell, Consolidated to September 1994.

Krishna, Vern. Tax Avoidance : The General Anti-Avoidance Rule, Toronto : Carswell, 1990.

Krishna, Vern. The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1995.

Krishna, Vern. The Fundamentals of Canadian Income Tax, 6th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 2000.

Ministère des Finances. Notes techniques au projet de loi C-139 : Rapport spécial no 851. Don Mills (Ont.) : CCH Canadian Ltd., 1988.

Ministère des Finances. Rapport du Comité technique de la fiscalité des entreprises. Ottawa : Ministère des Finances, 1997.

Tiley, John. « Series of Transactions » in Report of Proceedings of the Fortieth Tax Conference, 1988 Conference Report. Toronto : Canadian Tax Foundation, 1989.

APPEL interjeté d’une décision ((1999), 46 B.L.R. (2d) 195; [1999] 3 C.T.C. 2649; 99 DTC 1044) par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a statué que l’opération effectuée par la contribuable faisait partie d’une série d’opérations dont le principal objectif était l’obtention d’un avantage fiscal et, par conséquent, étaient des opérations d’évitement au sens de l’alinéa 245(3)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Brian A. Felesky, c.r., H. George McKenzie, c.r. et Alistair Campbell pour l’appelante.

Luther P. Chambers, c.r., et Robert Carvalho pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Felesky Flynn LLP, Calgary, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Rothstein, J.C.A. :

INTRODUCTION

[1]        Le présent appel qui attaque une décision de la Cour de l’impôt (1999), 46 B.L.R. (2d) 195 (C.C.I.) offre à notre Cour la première occasion d’examiner, quant au fond, l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1], la disposition générale anti-évitement (RGAÉ). L’appelante avait interjeté, à la Cour canadienne de l’impôt, appel d’une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national et par laquelle le ministre avait refusé à l’appelante la déduction d’une perte autre qu’une perte en capital de 12 572 274 $ dans le calcul de son revenu pour son année d’imposition 1993 et la déduction d’une perte connexe autre qu’une perte en capital d’un report prospectif pour son année d’imposition 1994. La Cour de l’impôt a conclu à l’application de la RGAÉ et a rejeté l’appel de l’appelante.

L’ARTICLE 245 ET LE PARAGRAPHE 18(13)

[2]        Il est relativement facile d’énoncer le régime de la RGAÉ. Il est beaucoup plus difficile de l’appliquer. Généralement, lorsqu’une opération est une opération d’évitement (une opération dont découlerait un avantage fiscal et dont l’objet principal était d’obtenir un avantage fiscal), l’avantage fiscal découlant de l’opération sera refusé. Toutefois, l’avantage fiscal ne sera pas refusé si l’opération d’évitement n’entraînerait pas d’abus dans l’application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble.

[3]        La partie pertinente de l’article 245 prévoit :

245. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« attribut fiscal » S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi.

« opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

(3) L’opération d’évitement s’entend :

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables—l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables—l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

(4) Il est entendu que l’opération dont il est raisonnable de considérer qu’elle n’entraîne pas, directement ou indirectement, d’abus dans l’application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble-compte non tenu du présent article—n’est pas visée par le paragraphe (2).

(5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2), dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

a) toute déduction dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

b) tout ou partie de cette déduction ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte. [Non souligné dans l’original.]

[4]        En l’espèce, la disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu qui, selon le ministre, aurait fait l’objet d’un abus est le paragraphe 18(13) tel qu’il était formulé à l’époque pertinente. Il prévoyait :

18. […]

(13) Sous réserve du paragraphe 138(5.2) et malgré les autres dispositions de la présente loi, dans le cas où un contribuable-qui, à un moment donné d’une année d’imposition, réside au Canada et dont l’activité d’entreprise habituelle au cours de cette année consiste en partie à prêter de l’argent ou qui, à un moment donné de l’année, exploite une entreprise de prêt d’argent au Canada-subit une perte lors de la disposition d’un bien utilisé ou détenu dans le cadre de l’entreprise et qui est une action, ou un prêt, une obligation, un billet, une hypothèque, une convention de vente ou une autre créance mais qui n’est pas une immobilisation du contribuable, aucun montant n’est déductible au titre de la perte dans le calcul de son revenu provenant de cette entreprise pour l’année si :

a) d’une part, au cours de la période commençant 30 jours avant et se terminant 30 jours après la disposition, le contribuable ou une personne ou société de personnes avec laquelle il a un lien de dépendance acquiert ou convient d’acquérir le même bien ou un bien identique-appelés « bien de remplacement » au présent paragraphe;

b) d’autre part, à la fin de cette période, le contribuable ou la personne ou société de personnes, selon le cas, est propriétaire du bien de remplacement ou a le droit de l’acquérir.

Cette perte doit être ajoutée dans le calcul du coût du bien de remplacement pour le contribuable ou pour la personne ou société de personnes, selon le cas. [Non souligné dans l’original.]

LES FAITS

[5]        La Compagnie Standard Trust (la Standard) exploitait une entreprise consistant à accorder des prêts garantis par des hypothèques sur des immeubles. Par suite du déclin du marché de l’immobilier à la fin des années 1980 et au début des années 1990, la Standard Trust est devenue insolvable. Le 2 mai 1991, la Cour de justice de l’Ontario (Division générale) a ordonné qu’elle soit liquidée et a nommé Ernst & Young (E & Y) liquidateur de la compagnie.

[6]        E & Y a cherché à obtenir la meilleure réalisation possible de la disposition des actifs de la Standard. Pour le faire, E & Y a formulé un plan conçu pour vendre le portefeuille de prêts hypothécaires de la Standard (y compris des biens dont la Standard avait acquis la possession en qualité de créancière hypothécaire) à des investisseurs de manière que ces derniers puissent se prévaloir :

1. d’une part, du portefeuille de prêts hypothécaires de la Standard en blocs qui, de l’avis du liquidateur, produiraient la meilleure réalisation possible;

2. d’autre part, aux fins de l’impôt, des pertes importantes que la Standard avait subies par suite de la baisse de la valeur marchande de son portefeuille de prêts hypothécaires.

[7]        Le présent appel vise la partie du portefeuille de prêts hypothécaires de la Standard appelée le portefeuille de STIL II. Ce portefeuille comportait 17 prêts-problèmes à l’égard desquels les paiements au titre du principal et des intérêts étaient en souffrance depuis 90 jours ou plus.

[8]        Le plan visant à optimaliser la réalisation des actifs de la Standard a été décrit par le juge de la Cour de l’impôt aux paragraphes 4 et 7 de son jugement que je paraphrase. Selon le juge de la Cour de l’impôt, il était essentiel que la Standard ne vende pas le portefeuille de STIL II directement à un acheteur sans lien de dépendance parce que cela permettrait à la Standard de réaliser la perte, car n’étant pas rentable et donc non imposable, elle n’était pas en mesure de se prévaloir de la perte pour réduire ses impôts. La meilleure façon de réaliser l’objectif de E & Y était de préserver la perte de la Standard et de la faire utiliser par un tiers pour réduire son impôt sur le revenu. Le plan prévoyait que :

1. La Standard constituerait une filiale en propriété exclusive;

2. La Standard et la filiale formeraient une société de personnes dans laquelle la Standard détiendrait une participation de 99 p. 100, tandis que la filiale détiendrait une participation de 1 p. 100;

3. La Standard transférerait le portefeuille de STIL II à la société de personnes comme apport au capital de cette dernière et prêterait ensuite à la filiale suffisamment d’argent pour que celle-ci puisse faire son apport de capital;

4. En raison du paragraphe 18(13) de la Loi de l’impôt sur le revenu, le portefeuille devant être acquis par la société de personnes serait inscrit, aux fins de l’impôt sur le revenu, au coût pour la Standard (85 368 872 $) malgré le fait que leur valeur marchande en cours (environ 33 262 000 $) était à l’époque beaucoup moindre;

5. À la fin de son premier exercice, la société de personnes STIL II enregistrerait une perte nette, aux fins de l’impôt sur le revenu, de quelque 52 millions de dollars, résultant du fait qu’elle a dû vendre des biens à des prix bien moindres que l’investissement initial de la Standard et ramener à leur juste valeur marchande les biens restants de cet investissement initial.

6. Avant la fin du premier exercice de la société de personnes, la participation de 99 p. 100 de la Standard dans la société de personnes serait vendue à un acheteur sans lien de dépendance, à qui, à la fin du premier exercice de la société de personnes, les pertes fiscales seraient attribuées dans une proportion de 99 p. 100.

[9]        Voici les démarches qui ont été effectivement entreprises :

1. 16 octobre 1992 — La 1004568 Ontario Inc. est constituée comme filiale en propriété exclusive de la Standard.

2. 21 octobre 1992 — Une ordonnance est obtenue de la Cour de justice de l’Ontario (Division générale) autorisant la constitution de la filiale en propriété exclusive, la formation de la société de personnes STIL II et le transfert du portefeuille de STIL II à la société de personnes.

3. 23 octobre 1992 — La société de personnes STIL II est constituée, la Standard détenant une participation de 99 p. 100, tandis que la 1004568 détenait une participation de 1 p. 100.

4. 23 octobre 1992 — La Standard a versé le portefeuille de STIL II comme son apport au capital de la société de personnes STIL II. La Standard a prêté suffisamment d’argent à la 1004568 pour lui permettre de faire son apport en argent pour acquérir sa participation de 1 p. 100 dans la société de personnes.

5. Peu après le 23 octobre 1992, E & Y a commencé une campagne intensive en vue de la vente de la participation de 99 p. 100 de la Standard dans la société de personnes STIL II.

6. Janvier 1993 — Les négociations entre E & Y et l’appelante ont commencé, E & Y offrant alors à l’appelante la possibilité d’acheter, en bloc, le portefeuille de STIL II, avec les pertes fiscales potentielles de l’ordre de 52 millions de dollars. L’appelante se spécialise dans la réorganisation et l’amélioration de biens immeubles saisis.

7. Janvier à mai 1993—Les négociations que le juge de la Cour de l’impôt a qualifiées de difficiles ont eu lieu entre l’appelante et E & Y. L’appelante a fait preuve de diligence raisonnable à propos de l’évaluation du portefeuille de STIL II.

8. 31 mai 1993 — La date de prise d’effet de l’achat par l’appelante de la participation de 99 p. 100 de la Standard dans la société de personnes STIL II pour une contrepartie établie comme suit :

(1) un montant de 17 500 000 $ payable à la Standard, dont 14 500 000 $ sous la forme d’un billet à ordre, et le reste payable comptant à la date de conclusion de l’opération;

(2) un montant supplémentaire, décrit comme étant la « contrepartie conditionnelle », qui devait être déterminé par une formule selon laquelle l’appelante et la Standard partageraient tout produit de disposition du portefeuille de STIL II en sus de 17 500 000 $, la part proportionnelle de l’appelante devant augmenter selon l’augmentation du produit de disposition;

(3) un montant maximal de 5 000 000 $, payable à la Standard, pour les pertes fiscales devant être enregistrées par la société de personnes, sous réserve que les associés réussissent à les déduire de leurs revenus tirés d’autres sources.

9. 29 juin 1993Conclusion de l’achat par l’appelante de la participation de la Standard dans la société de personnes STIL II.

[10]      Le premier exercice de la STIL II a pris fin le 30 septembre 1993. Pour cet exercice, elle a enregistré une perte nette, aux fins de l’impôt sur le revenu, de 52 674 376 $ résultant

(a)  de la vente de trois biens

11 535 238 $

(b)   de la réduction de valeur de ses biens restants

Total :

 

41 725 941 $

53 261 179 $

(c)    moins le revenu tiré d’opérations autres que la disposition de biens

Perte nette

 

   (568 803 $)

52 674 376 $

 

[11]      L’appelante n’avait pas l’intention de conserver sa participation de 99 p. 100 dans la STIL II. Au moyen d’opérations qui avaient été prédéterminées avant la conclusion de son achat de la participation dans la STIL II, l’appelante a disposé de 76 p. 100 de sa participation dans la STIL II dans le cadre des opérations suivantes :

1. 5 juillet 1993Formation de SRMP Realty and Mortgage Partnership;

2. 22 septembre 1993Conclusion de la vente de la participation de 99 p. 100 de l’appelante dans la STIL II à la SRMP, l’appelante obtenant une participation de 24 p. 100 dans la SRMP.

[12]      Pour son exercice terminé le 31 octobre 1993, la SRMP a enregistré une perte de 52 384 474 $ aux fins de l’impôt sur le revenu (de ce montant, la somme de 52 147 632 $ représentait sa participation de 99 p. 100 dans la perte de STIL II de 52 674 376 $). La participation de 24 p. 100 de l’appelante dans la perte de la SRMP était de 12 572 274 $, qu’elle a cherché à déduire de ses autres revenus pour les années 1993, 1994 et les années ultérieures. C’est la déduction de cette perte autre qu’une perte en capital que le ministre a refusée. Le refus a été maintenu par le juge de la Cour de l’impôt.

POSITION DE L’APPELANTE

[13]      L’appelante invoque deux moyens d’appel généraux. D’abord, elle prétend qu’il n’y a eu aucune opération d’évitement pertinente. Ensuite, prétend-elle, même s’il y avait eu une opération d’évitement pertinente, l’opération n’entraînerait pas d’abus dans l’application d’une disposition de la Loi lue dans son ensemble.

ANALYSE

Avantage fiscal

[14]      L’appelante ne nie pas qu’elle a reçu un avantage fiscal. Il ressort des motifs du juge de la Cour de l’impôt que cette question n’a pas été contestée devant cette Cour. L’appelante a déclaré une perte autre qu’une perte en capital de 12 572 274 $, dans le but de réduire son impôt sur le revenu payable par ailleurs. J’accepte qu’il y a eu avantage fiscal.

Opération d’évitement

[15]      Ensuite, il est nécessaire de déterminer s’il y a eu une opération d’évitement. Le paragraphe 245(2), l’article taxateur, ne s’applique que lorsqu’un avantage fiscal découlerait d’une opération qui est une opération d’évitement ou d’une série d’opérations dont une opération d’évitement fait partie.

[16]      L’appelante fait valoir qu’aucune des opérations en l’espèce n’était une opération d’évitement. En premier lieu, prétend-elle, elle a acquis la participation dans la STIL II principalement à des fins d’affaires, savoir, l’acquisition du portefeuille hypothécaire saisi qu’elle pourrait, grâce à son expertise, vendre au meilleur prix. Ensuite, l’appelante prétend qu’en ce qui concerne les trois premières opérations, la constitution de la 1004568 Ontario Limited, la constitution de la société de personnes STIL II et le transfert du portefeuille de STIL II de la Standard à la société de personnes (les opérations de la Standard), la Standard n’a obtenu aucun avantage fiscal, et par conséquent n’aurait pas pu effectuer ces opérations principalement pour obtenir un avantage fiscal. En troisième lieu, l’appelante prétend que si une ou plusieurs des opérations de la Standard constituaient une opération d’évitement, la quatrième opération par laquelle elle a acquis sa participation dans la STIL II, était une opération indépendante et ne faisait pas partie d’une série d’opérations avec la Standard. Par conséquent, l’acquisition par l’appelante de la participation dans la STIL II ne pouvait être viciée par les opérations de la Standard.

[17]      D’après le paragraphe 245(3), pour conclure qu’une opération est une opération d’évitement, il faut satisfaire à deux critères. Le premier est le critère des résultats. Ce critère exige que l’on détermine si un avantage fiscal découlerait d’une opération ou d’une série d’opérations, sans la RGAÉ. Le second est le critère de l’objet. Dans ce cas, l’accent est mis sur l’objet principal de l’opération, ou des opérations individuelles qui font partie de la série, selon le cas. Il n’est nécessaire d’examiner l’objet principal d’une opération ou de plusieurs opérations que si un avantage fiscal découlait de l’opération ou de la série d’opérations.

Y avait-il une série d’opérations? Le cas échéant, quelles opération faisaient partie de la série?

Série au sens de la common law

[18]      Dans l’ouvrage The Fundamentals of Canadian Income Tax, 6e éd. (Scarborough : Carswell, 2000), à la page 888, le professeur Krishna explique que, pour l’application de la RGAÉ, une série d’opérations :

[traduction] […] s’entend de l’intégration d’étapes individuelles et distinctes en une opération composite. La jonction des étapes distinctes en une « série » découle de leur interdépendance et de la manière dont les opérations sont structurées. Par conséquent, nous devons déterminer : quand une série d’événements (par exemple A à B, puis B à C) peut-elle être considérée comme une seule opération composite, telle que A à C?

[19]      Pour déterminer s’il existe une série au sens de l’alinéa 245(3)b), il faut examiner à quel point les étapes ou opérations individuelles doivent être étroitement liées pour constituer une série. L’alinéa 245(3)b) ne donne aucune indication sur l’étroitesse du lien ou du rapport qui doit exister pour que des opérations soient considérées comme constituant une série. Par ailleurs, il y a peu de jurisprudence canadienne à ce sujet. Toutefois, la Chambre des lords s’est penchée sur la question dans plusieurs arrêts au cours des années 1980, dont Furniss v. Dawson, [1984] A.C. 474 (C.L.); et Craven v. White, [1989] A.C. 398 (C.L.). Dans Craven v. White, lord Oliver a énoncé l’approche à la page 514 :

[traduction] Dans l’état actuel du droit, les éléments essentiels qui ressortent de l’arrêt Furniss v. Dawson, [1984] A.C. 474, me semblent être au nombre de 4 : (1) que la série d’opérations était, au moment où l’opération intermédiaire est intervenue, déterminée d’avance de manière à produire un résultat donné; (2) que l’opération n’avait d’autre but que la réduction des impôts; (3) qu’à ce moment-là il n’existait aucune probabilité pratique que les événements planifiés d’avance ne se produiraient pas dans l’ordre envisagé, de manière que l’opération intermédiaire n’était même pas envisagée pratiquement comme ayant une vie indépendante, et (4) que les événements préétablis ont effectivement eu lieu.

[20]      Dans l’ouvrage Tax Avoidance : The General Anti-Avoidance Rule (Toronto : Carswell, 1990), le professeur Krishna résume l’approche comme suit à la page 69 :

[traduction] Pour récapituler : une opération composite est une opération dans laquelle lorsque la première opération est mise en œuvre, toutes les caractéristiques essentielles (et non seulement la nature générale) de la deuxième opération sont déterminées par les personnes qui ont la ferme intention et la capacité de mettre en œuvre la deuxième opération. C’est-à-dire, qu’au moment où A vend à B, C doit être identifié comme un acheteur éventuel et toutes les modalités essentielles de la vente doivent être fixées en principe. Autrement dit, les opérations seront considérées comme indépendantes et comme ne faisant pas nécessairement partie d’une série. [Italique dans l’original.]

[21]      Outre l’approche adoptée par la Chambre des lords pour définir ce que l’on entend par « série d’opérations », les auteurs et les tribunaux américains ont développé deux autres approches possibles. L’une s’appelle le « principe de l’interdépendance » au titre duquel deux ou plusieurs opérations constitueront une série d’opérations si elles sont si interdépendantes que les relations juridiques créées par une opération seraient inutiles sans la réalisation de la série. Selon le « principe du résultat final », adopté par certains tribunaux américains, des opérations censées distinctes seront intégrées en une seule opération s’il semble qu’elles constituaient effectivement des composantes d’une seule opération dont l’objet était, dès le début, d’atteindre le résultat ultime. (Voir John Tiley, « Series of Transactions » dans Report of Proceedings of the Fortieth Tax Conference, 1988 Conference Report (Toronto : L’Association canadienne d’études fiscales, 1989) 8 :1, aux pages 8 :3 et 8 :4).

[22]      Dans un article se rapportant à la circulaire d’information 88-2 portant sur la RGAÉ, Michael Hiltz, alors directeur, Division des réorganisations et des entreprises étrangères, Direction des décisions spécialisées, Revenu Canada Impôt, semble avoir accepté, en l’absence de modification législative, l’interprétation de l’expression « série d’opérations » avancée par la Chambre des lords. À la page 7 :7 de l’article intitulé « Section 245 of the Income Tax Act » dans Report of Proceedings of the Fortieth Tax Conference, 1988 Conference Report, supra, il affirme :

[traduction] La série elle-même comprendrait une opération préliminaire et ultérieure seulement si, au moment de la réalisation de l’opération préliminaire, tous les éléments importants de l’opération ultérieure sont réglés, et l’opération ultérieure est éventuellement réalisée.

[23]      Dans un article intitulé « A New and More Coherent Approach to Tax Avoidance » ((1988), 36 Rev. fisc. can. 1), David A. Dodge, alors sous-ministre adjoint principal, au ministère des Finances, à Ottawa, affirme à la page 15 :

[traduction] Toutefois, la doctrine de l’opération étape par étape, lorsqu’elle est complétée par le critère de l’objet commercial comme il a été suggéré dans les arrêts Burmah et Furniss v. Dawson, représente une approche cohérente et orthodoxe. Pour cette raison, cette doctrine a été incorporée dans le projet d’article 245 de la manière suggérée par ces arrêts.

[24]      Compte tenu de la mention expresse de l’arrêt Furniss v. Dawson par M. Dodge, je pense qu’on peut raisonnablement déduire qu’en édictant l’alinéa 245(3)b) le Parlement avait adopté l’approche relative à une « série d’opérations » énoncée par la Chambre des lords. Pour cette raison, j’estime que les principes de « l’interdépendance » ou du « résultat final » ne sont pas applicables en l’espèce et j’adopterais, sous réserve du paragraphe 248(10), l’approche énoncée par la Chambre des lords. Ainsi, pour qu’il y ait une série d’opérations, chaque opération dans la série doit être déterminée d’avance pour produire un résultat final. Par détermination d’avance, on veut dire que lorsque la première opération de la série est réalisée, tous les éléments essentiels de l’opération ultérieure ou des opérations ultérieures sont déterminés par les personnes qui ont la ferme intention et la capacité de les réaliser. C’est-à-dire qu’il n’existe aucune probabilité pratique que l’opération ultérieure ou les opérations ultérieures ne se réaliseront pas.

[25]      Je n’ai aucune difficulté à conclure que les trois opérations de la Standard étaient déterminées d’avance. Tous les éléments essentiels ont été planifiés par E & Y qui, avec l’approbation de la cour, avait l’intention et la capacité de les réaliser. Ils ont été réalisés sur une période d’une semaine en octobre 1992. Le résultat auquel ils devaient aboutir était le transfert du portefeuille de STIL II de la Standard à la STIL II, lequel transfert serait enregistré par la société de personnes au coût de la Standard, c’est-à-dire le prix versé par la société de personnes majoré par la perte enregistrée par la Standard, en raison du paragraphe 18(13) de la Loi de l’impôt sur le revenu. En d’autres termes, le résultat recherché était la réorganisation de la perte de la Standard de manière qu’elle fût vendable à un acheteur sans lien de dépendance. D’après la définition retenue par la Chambre des lords, ils constituaient effectivement une série.

[26]      Cela laisse alors la question de l’acquisition par l’appelante de sa participation dans la société de personnes STIL II des mains de la Standard. Cette opération n’a été conclue que le 31 mai 1993 et finalisée le 29 juin 1993. L’appelante n’est apparue sur la scène qu’en janvier 1993 et les négociations menant à la conclusion des opérations étaient « difficiles ». D’après la définition retenue par la Chambre des lords, cette quatrième opération ne ferait pas partie d’une série avec les opérations de la Standard puisque la quatrième opération n’était pas déterminée d’avance et il n’était pas pratiquement certain qu’elle allait se réaliser lorsque les opérations de la Standard ont été réalisées.

Série au sens du paragraphe 248(10)

[27]      Le paragraphe 248(10) modifie-t-il cette conclusion? Il prévoit :

248. […]

(10) Pour l’application de la présente loi, la mention d’une série d’opérations ou d’événements vaut mention des opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série.

[28]      Cette disposition n’est pas un modèle de clarté. Les opérations ou événements liés ne sont pas définis. Le membre de phrase « terminés en vue de réaliser la série » n’est pas clair non plus. D’une part, le paragraphe 248(10) pourrait constituer simplement une codification législative de la définition de l’expression « série d’opérations » retenue par la Chambre des lords. D’après cette interprétation, le membre de phrase « opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série » viserait les opérations déterminées d’avance dont la réalisation est pratiquement certaine et qui se réalisent éventuellement.

[29]      Une interprétation plus large inclurait des opérations qui ne tomberaient pas sous le coup du critère relatif à la série retenu par la Chambre des lords. D’après cette approche, une opération indépendante serait réputée faire partie de la série pour l’application du paragraphe 248(10) si elle est liée aux opérations faisant partie de la série au sens de la common law et si elle est terminée en vue de réaliser cette série.

[30]      Si le paragraphe 248(10) avait été une disposition définitoire, j’aurais été plus porté à considérer qu’il constituerait une codification du critère relatif à la série retenu par la Chambre des lords. Ce paragraphe a été édicté à peu près deux ans après la décision de la Chambre des lords dans l’affaire Furniss v. Dawson, et la note technique (N.T. 1985) accompagnant ce paragraphe affirme qu’il ne s’agit que d’une disposition de clarification :

[traduction] Le nouveau paragraphe 248(10) de la loi indique qu’une série d’opérations ou d’événements, lorsqu’il en est fait mention dans la loi, est réputée comprendre les opérations et événements liés accomplis en vue de réaliser la série. [Non souligné dans l’original.]

En effet, dans son article de 1988, M. Dodge mentionne que la doctrine de l’arrêt Furniss v. Dawson avait été incorporée à l’article 245 de la façon suggérée par cet arrêt.

[31]      Toutefois, le membre de phrase « des opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série » semble avoir une portée plus large que les opérations déterminées d’avance.

[32]      Une autre raison qui vient appuyer une interprétation plus large est que, lorsque l’article 245 a été édicté le 13 septembre 1988, une clause des droits acquis a été incluse concernant le paragraphe 248(10). L’article 245 devait s’appliquer aux opérations conclues au 13 septembre 1988 ou après cette date, à l’exclusion de celles qui font partie d’une série d’opérationsabstraction faite du paragraphe 248(10)commençant avant cette date et terminée avant 1989. Le paragraphe 185(2) de la L.C. 1988, ch. 55, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada, la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, la Loi de 1977 sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur les contributions fédérales en matière d’enseignement postsecondaire et de santé et certaines lois connexes qui a édicté la RGAÉ, prévoyait notamment :

185. […]

(2) Le paragraphe (1) [article 245] s’applique aux opérations conclues à la date de sanction de la présente loi ou après cette date, à l’exclusion :

a) de celles qui font partie d’une série d’opérations- abstraction faite du paragraphe 248(10) de la même loi- commençant avant cette date et terminée avant 1989;

John Tiley, précité, fait remarquer que le paragraphe 248(10) avait pour objet d’élargir la portée du mot « série ». Sinon, quelle serait la justification de la « clause des droits acquis » ? Il affirme à la page 8 :5 :

[traduction] Le paragraphe 248(10) demeure important non seulement pour ce qu’il apporte ou n’apporte pas, mais en raison de ce qu’il dit de la compréhension par le rédacteur du mot « série ». Le paragraphe a pour objet d’élargir la portée du concept, sinon pourquoi y inclure la clause des droits acquis? Cela laisse entendre que le concept de « série » n’est pas en soi suffisamment large pour englober une opération liée mais envisagée. Si tel est le cas, il faut un degré de prévisibilité plus grand pour que la deuxième étape fasse partie de la série d’opérations. Mais, quel degré est nécessaire? Revenu Canada donne une interprétation très étroite au mot « série » et accorde ainsi une portée large au paragraphe 248(10).

[33]      Enfin, le paragraphe 248(10) est une disposition déterminative, c’est-à-dire une disposition qui donne à un mot un sens autre que celui qu’on lui reconnaît. Normalement, elle a une fonction d’élargissement. Dans l’arrêt R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838, le juge Beetz a expliqué aux pages 845 et 846 :

Une disposition déterminative est une fiction légale; elle reconnaît implicitement qu’une chose n’est pas ce qu’elle est censée être, mais décrète qu’à des fins particulières, elle sera considérée comme étant ce qu’elle n’est pas ou ne semble pas être. Par cet artifice, une disposition déterminative donne à un mot ou à une expression un sens autre que celui qu’on leur reconnaît habituellement et qu’il conserve là où on l’utilise; elle étend la portée de ce mot ou de cette expression comme le mot « comprend » dans certaines définitions; cependant, en toute logique, le verbe « comprend » n’est pas adéquat et sonne faux parce que la disposition créée une fiction. Ainsi, une personne peu vêtue n’est pas vraiment nue; mais si une disposition interdisant la nudité prévoit dans certaines conditions que cette personne est censée être nue, le mot « nu » conserve son sens habituel qui s’étend en même temps à quelque chose qui n’est pas la nudité.

La nature déterminative du paragraphe 248(10) implique un élargissement de la série au sens de la common law.

[34]      Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que le paragraphe 248(10) élargit le sens du mot série au-delà de la définition donnée par la Chambre des lords.

[35]      Le paragraphe 248(10) exige trois choses : d’abord, une série d’opérations au sens de la common law; ensuite, une opération liée à cette série; enfin, que l’opération liée soit terminée en vue de réaliser la série.

[36]      Ainsi, avant d’appliquer le paragraphe 248(10), le terme « série » doit être interprété selon son sens en common law, lequel ai-je conclu, vise les opérations déterminées d’avance et dont la réalisation est pratiquement certaine. À cela, on ajoute « [d]es opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série » . Le paragraphe 248(10) n’exige pas que l’opération liée soit déterminée d’avance. Il ne précise pas non plus quand l’opération liée doit être terminée. Dès lors que l’opération a quelque lien avec la série au sens de la common law, elle fera partie, si elle a été terminée en vue de réaliser une série au sens de la common law, de la série en raison de l’effet déterminatif du paragraphe 248(10). Pour déterminer si l’opération liée est terminée en vue de réaliser une série au sens de la common law, il faut décider si les parties à l’opération étaient au courant de la série au sens de la common law, de façon qu’on puisse dire qu’elles en avaient tenu compte lorsqu’elles ont décidé de terminer l’opération. Le cas échéant, on peut dire que l’opération a été terminée en vue de réaliser une série au sens de la common law.

[37]      L’appelante affirme qu’en raison de la différence entre le libellé du paragraphe 248(10) : « série d’opérations ou d’événements » et du paragraphe 245(2) et de l’alinéa 245(3)b) : « série d’opérations », le paragraphe 248(10) n’a aucune pertinence. Toutefois, suivant l’interprétation que j’en fais, le paragraphe 248(10) s’applique qu’une série soit une série d’opérations, une série d’événements, ou une série d’opérations et d’événements. En outre, comme l’intimée l’a souligné, le paragraphe 245(1) définit « opération » comme englobant un arrangement ou un événement. En conséquence, l’expression série d’opérations au paragraphe 245(2) et à l’alinéa 245(3)b) doit être interprétée comme englobant une « série d’opérations ou d’événements » .

[38]      La série d’opérations de la Standard a donné lieu à la création de la société de personnes STIL II et au transfert du portefeuille de STIL II à la société de personnes, avec un prix de base pour les actifs de la société de personnes qui inclurait la perte de la Standard. C’est ce prix de base qui reviendrait à l’appelante lors de l’acquisition de sa participation dans la société de personnes et entraînerait la perte dont elle pourrait se prévaloir à la fin de l’année d’imposition de la société de personnes de 1993. Le préambule du contrat de vente de la participation dans la société de personnes, portant la date du 31 mai 1993, fait clairement ressortir que l’appelante était au courant de la série d’opérations de la Standard et qu’elle constituait une condition fondamentale de l’acquisition par l’appelante de sa participation dans la société de personnes. Il déclare :

ATTENDU :

[…]

(B)   Que le vendeur [Standard] et l’associé restant [1004568 Ontario Inc.] ont conclu un contrat de société le 23 octobre 1992 en vue de constituer la STIL Partnership II;

[…]

(D)  En conformité avec le contrat d’apport d’actifs, le vendeur a transféré à la STIL Partnership II certains éléments d’actif, y compris les hypothèques [le portefeuille de STIL II];

Pour ces motifs, l’acquisition par l’appelante de sa participation dans la STIL II était liée à la série d’opérations de la Standard. La Standard, en liquidation, et l’appelante, les parties à l’opération d’acquisition, étaient au courant de la série d’opérations de la Standard et en avaient tenu compte lorsqu’elles ont décidé de terminer l’opération d’acquisition. Donc, l’acquisition par l’appelante de sa participation dans la STIL II était une opération qui était liée à la série d’opérations de la Standard et avait été terminée en vue de réaliser cette série.

[39]      En appliquant l’effet déterminatif du paragraphe 248(10), je conclus que, pour l’application de l’alinéa 245(3)b), la série englobe la série d’opérations de la Standard et l’opération d’acquisition.

La série a-t-elle entraîné un avantage fiscal?

[40]      L’analyse de l’opération d’évitement faite par le juge de la Cour de l’impôt s’est limitée aux opérations de la Standard. Au paragraphe 50 de ses motifs, il conclut :

Je conclus que la série d’opérations consistant dans la constitution de la 1004568, dans la création de la STIL II et dans le transfert du portefeuille à cette dernière par le liquidateur a été menée par E & Y principalement dans le but d’obtenir l’avantage fiscal.

[41]      L’appelante affirme qu’elle n’a pas participé aux opérations de la Standard et celle-ci n’en a tiré aucun avantage fiscal. Cependant, je ne vois aucun mot au paragraphe 245(3) qui dit expressément ou implicitement que la personne qui obtient l’avantage fiscal doit nécessairement avoir été celle qui a effectué l’opération. Je pense que cette interprétation est conforme à l’économie de l’article 245 dont aucun des paragraphes ne lie l’obtention d’un avantage fiscal à la personne ou aux personnes qui effectuent les opérations. En particulier, le paragraphe 245(2) parle des attributs fiscaux d’une personne sans identifier la personne, sauf pour dire que l’avantage fiscal tiré par cette personne aurait découlé, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie. En termes simples, le paragraphe 245(3) ne dit pas que la personne qui effectue l’opération doit être celle qui en tire l’avantage fiscal.

[42]      Cependant, cette conclusion n’évacue pas totalement l’argument de l’appelante. Je n’ai aucune difficulté à accepter que les opérations de la Standard faisaient partie d’un plan par lequel un avantage fiscal pourrait être obtenu par un acheteur sans lien de dépendance de la participation de la Standard dans la société de personnes STIL II. C’était là leur objet. Toutefois, elles n’ont entraîné aucun avantage fiscal en tant que tel. La constitution de la 1004568 Ontario Limited et la création de la STIL II n’avaient aucune conséquence fiscale pertinente. Rien n’indique non plus qu’un avantage fiscal a découlé du transfert du portefeuille de STIL II de la Standard à la STIL II. À la conclusion de ces trois opérations, la Standard ou l’appelante n’en a tiré aucun avantage fiscal. Si l’acquisition par l’appelante de sa participation dans la STIL II ne faisait pas partie de la série avec les opérations de la Standard, je pense que l’objet des opérations de la Standard ne serait pas pertinent parce qu’elles n’ont entraîné aucun avantage fiscal et ne constitueraient tout simplement pas des opérations d’évitement.

[43]      Toutefois, l’appelante ne nie pas que son acquisition de sa participation dans la STIL II a donné lieu à un avantage fiscal, c’est-à-dire l’économie d’impôt résultant de la déduction de la perte provenant de la Standard. Du fait de l’alinéa 96(1)g) de la Loi de l’impôt sur le revenu, et en raison de son acquisition de sa participation dans la STIL II, l’appelante a acquis le droit à une partie de la perte de la société de personnes. L’alinéa 96(1)g) prévoit :

96. (1) Lorsqu’un contribuable est un associé d’une société de personnes, son revenu, le montant de sa perte autre qu’une perte en capital, de sa perte en capital nette, de sa perte agricole restreinte et de sa perte agricole, pour une année d’imposition, ou son revenu imposable gagné au Canada pour une année d’imposition, selon le cas, est calculé comme si :

[…]

g) la perte du contribuableà concurrence de la part dont il est tenurésultant d’une source ou de sources situées dans un endroit donné, pour l’année d’imposition du contribuable au cours de laquelle l’année d’imposition de la société de personnes se termine, équivalait à l’excédent éventuel :

(i) de la perte de la société de personnes, pour une année d’imposition, résultant de cette source ou de ces sources, sur :

(ii) dans le cas d’un associé déterminé (au sens de la définition d’ « associé déterminé » figurant au paragraphe 248(1), mais compte non tenu de l’alinéa b) de celle-ci) de la société de personnes au cours de l’année, le montant déduit par la société de personnes en application de l’article 37 dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition provenant de cette source ou de ces sources

(iii) dans les autres cas, zéro.

[44]      Par conséquent, l’acquisition de sa participation dans la STIL II a entraîné un avantage fiscal pour l’appelante. Cette opération faisant partie d’une série avec les opérations de la Standard, la série a donné lieu à un avantage fiscal au profit de l’appelante.

Quel était l’objet principal des opérations faisant partie de la série?

[45]      Une fois qu’il est reconnu qu’une série d’opérations a donné lieu à un avantage fiscal, on peut conclure que toute opération faisant partie de la série est une opération d’évitement. La question qui se pose alors est de déterminer l’objet principal de chaque opération faisant partie de la série. L’opération dont l’objet principal est d’obtenir l’avantage fiscal est une opération d’évitement.

[46]      Le membre de phrase « il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour » au paragraphe 245(3) indique que le critère de l’objet principal est un critère objectif. Par conséquent, l’accent sera mis sur les faits et les circonstances pertinentes et non sur les déclarations d’intention. Il est également évident que l’objet principal doit être déterminé au moment où les opérations en question ont été effectuées. Il ne s’agit pas d’une évaluation rétrospective, qui tiendrait compte de faits et de circonstances survenus après que les opérations ont été effectuées.

[47]      Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’objet principal des trois opérations de la Standard était l’obtention d’un avantage fiscal. Il a effectué une analyse fouillée de la preuve de l’objet de ces opérations. Il a rejeté le témoignage de E & Y selon lequel le principal objet de ces opérations était d’accroître la valeur du portefeuille de STIL II et d’assurer une plus grande souplesse dans la réalisation des actifs de la Standard. Il s’agit là de conclusions de fait tirées par le juge de la Cour de l’impôt et elles ne sont entachées d’aucune erreur à mon sens. En fait, je souscris à son analyse et à sa conclusion. Chacune des trois opérations de la Standard a été effectuée principalement en vue d’obtenir l’avantage fiscal. Chacune était donc une opération d’évitement.

[48]      Compte tenu de cette conclusion concernant les opérations de la Standard, il semble que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas jugé qu’il était nécessaire de déterminer si l’acquisition par l’appelante de sa participation dans la STIL II constituait également une opération d’évitement. Toutefois, à mon humble avis, il est normalement nécessaire d’analyser le principal objet de toutes les opérations pertinentes. Il en est ainsi parce que l’analyse effectuée sous le régime du paragraphe 245(4) doit déterminer si une opération d’évitement donnerait lieu à un abus dans l’application des dispositions de la Loi. Il se pourrait que certaines opérations d’évitement faisant partie de la série ne donnent pas lieu à un abus. Par conséquent, il est nécessaire d’examiner toutes les opérations pertinentes pour déterminer lesquelles sont des opérations d’évitement, afin que l’analyse effectuée sous le régime du paragraphe 245(4) soit complète. En conséquence, il faut déterminer si l’acquisition par l’appelante de sa participation dans la STIL II constituait une opération d’évitement.

[49]      D’après la preuve dont la Cour est saisie, il ne fait aucun doute que l’opération d’acquisition avait à la fois un objet commercial et un objet d’avantage fiscal. Comme l’a souligné l’appelante, elle avait pour activité d’acquérir, de réaménager et d’améliorer des biens saisis; elle a exercé une diligence raisonnable et des frais considérables pour lui permettre de déterminer le potentiel commercial du portefeuille de STIL II et puis de négocier l’acquisition de la participation de la Standard dans la STIL II selon les modalités qui lui donneraient l’occasion de réaliser un profit de la gestion et de la disposition du portefeuille. L’appelante avait donc un objet commercial véritable dans l’acquisition de la participation dans la STIL II de la Standard. Cependant, l’opération a donné à l’appelante accès à des pertes fiscales éventuelles de l’ordre de 52 millions de dollars qui provenaient de la Standard. Par conséquent, l’acquisition par l’appelante de la participation dans la STIL II avait notamment pour objet l’obtention de l’avantage fiscal. La question demeure toujours de savoir si l’objet principal de l’acquisition de la participation dans la société de personnes était commercial ou encore était l’obtention d’un avantage fiscal.

[50]      La preuve indique qu’au moment de l’acquisition par l’appelante de la participation dans la STIL II, le produit anticipé de la disposition des biens hypothéqués était de l’ordre de 40 millions de dollars. Selon la formule de contrepartie conditionnelle, on pouvait s’attendre à des revenus d’environ 6 millions de dollars des dispositions avant les coûts de vente. Le bénéfice d’exploitation projeté était d’environ un million de dollars.

[51]      L’importante disparité entre l’avantage fiscal potentiel d’environ 52 millions de dollars qui reviendrait à l’appelante et le bénéfice anticipé de l’exploitation et de la disposition du portefeuille de STIL II laisse fortement entendre que l’acquisition par l’appelante de la participation de 99 p. 100 de la Standard dans la STIL II n’avait pas été principalement effectuée pour des objets véritablesl’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

[52]      Cette conclusion est étayée par le fait que par une vente conclue d’avance au moment où elle a acquis la participation de la Standard dans la STIL II, l’appelante a vendu sa participation dans la STIL II à la SRMP. En contrepartie, elle a reçu 3 850 000 $ des autres associés dans la SRMP et a conservé une participation de 24 p. 100 dans la société de personnes SRMP. Cependant, en raison d’une prime d’incitation incorporée dans le contrat de société de la SRMP, l’appelante a effectivement retenu le droit à 81 p. 100 du revenu que la SRMP tirait de la STIL II. En outre, elle avait le droit de recevoir des honoraires de gestion de 250 000 $ par année de la STIL II.

[53]      Que s’attendaient de recevoir ses associés dans la SRMP en contrepartie de leur investissement et de leur participation de 76 p. 100 dans la SRMP? Ils ne recevraient que 19 p. 100 du revenu de la SRMP provenant de la STIL II, dilué par les honoraires de gestion payables à l’appelante par la STIL II avant la répartition du revenu à la SRMP. Rien n’indique que les associés de la SRMP participaient dans la remise à neuf et la disposition des biens hypothéqués saisis, ni qu’ils en avaient l’expertise. D’autre part, ils recevraient 76 p. 100 de l’avantage fiscal qui reviendrait à la SRMP. J’estime qu’il est juste d’inférer que les associés de la SRMP, autres que l’appelante, n’ont pas investi dans la SRMP en vue de participer à la remise à neuf et à la vente de biens hypothécaires saisis. J’estime plutôt qu’il ressort de la documentation qu’ils étaient intéressés à obtenir leur part de l’avantage fiscal, c’est-à-dire quelque 40 millions de dollars en déductions potentielles.

[54]      L’appelante n’a pas caché le lien étroit entre son acquisition de sa participation dans la STIL II et l’opération de la SRMP. Si les associés de la SRMP ne pouvaient se prévaloir de l’avantage fiscal, l’opération de la SRMP n’aurait pas eu lieu. Je pense donc que, malgré son objet commercial dans l’acquisition de la participation de la Standard dans la STIL II, il ne s’agissait pas là de l’objet principal de l’opération qui a été effectuée. Son objet principal était d’obtenir un avantage fiscal pour elle-même et de céder à ses associés de la SRMP la fraction de l’avantage fiscal dont elle n’avait pas besoin pour son propre profit, en contrepartie du versement d’une somme importante et d’une autre contrepartie de ces autres associés.

[55]      Néanmoins, l’appelante affirme que l’opération visant à acquérir la participation de la Standard dans la STIL II n’était pas subordonnée à la possibilité de se prévaloir des pertes fiscales. Elle n’était éventuellement responsable de payer pour ces pertes fiscales que si elle pouvait les déduire. Si je le comprends bien, cet argument voudrait dire que puisque l’aspect commercial de l’opération est obligatoire, mais que l’aspect fiscal est conditionnel, si l’avantage fiscal est refusé, il ne resterait de l’opération que son aspect commercial et par conséquent l’objet commercial doit être l’objet principal.

[56]      Bien qu’il soit à prime abord attrayant, je ne crois pas que l’argument de l’appelante mène à un résultat raisonnable. En prenant l’argument jusqu’à sa conclusion logique, la nature conditionnelle de l’avantage fiscal aurait pour effet pratique d’empêcher l’application de la RGAÉ et de rendre par conséquent l’avantage fiscal inconditionnel. En d’autres mots, si en rendant simplement l’aspect fiscal conditionnel, on pouvait dire que l’objet principal était l’objet commercial, l’approche de l’appelante priverait dans toutes les circonstances une opération de son caractère d’évitement. On le sait, chaque cause doit être décidée sur la base de ses propres faits et circonstances, mais je pense qu’en règle générale, ce genre d’éventualité ne sera d’aucune aide dans la description de l’objet principal de l’opération.

[57]      Je conclus donc que l’objet principal de l’acquisition par l’appelante de la participation de la Standard dans la STIL II était l’obtention de l’avantage fiscal. Il en résulte que la série de quatre opérations, qui comprenaient les trois opérations de la Standard et l’acquisition par l’appelante de sa participation dans la STIL II, a procuré un avantage fiscal à l’appelante. Chacune des quatre opérations était une opération d’évitement.

[58]      En guise d’observation finale, je soulignerai que l’objet principal d’une opération sera déterminé sur la base des faits de chaque espèce. En particulier, une comparaison du montant de l’avantage fiscal estimatif et du montant estimatif du revenu commercial peut ne pas être déterminante, surtout lorsque ces estimations sont proches. De plus, la nature de cet aspect commercial de l’opération doit être examinée attentivement. On ne peut tout simplement pas statuer que l’objet commercial n’est pas l’objet principal parce que l’avantage fiscal est important.

Abus

Comment déterminer qu’il y a eu abus

[59]      Je passe au paragraphe 245(4). La première question est de savoir s’il est raisonnable de considérer que l’une ou l’autre des opérations d’évitement entraînerait un abus (misuse) dans l’application d’une disposition précise ou des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le cas échéant, l’avantage fiscal découlant de la série sera refusé. Sinon, il est alors nécessaire de déterminer s’il est raisonnable de considérer que l’une ou l’autre des opérations d’évitement entraînerait un abus (abuse) dans l’application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble, à l’exclusion de l’article 245. Si on conclut qu’il y a abus (abuse), l’avantage fiscal découlant de la série sera refusé.

[60]      Le texte anglais du paragraphe 245(4) mentionne expressément deux critères, « misuse » et « abuse », alors que le texte français ne mentionne qu’un seul critère, « abus ». Dans l’affaire RMM Canadian Enterprises Inc. c. Canada, [1998] 1 C.T.C. 2300 (C.C.I.), le juge Bowman, de la Cour canadienne de l’impôt (tel était alors son titre) a fait remarquer au paragraphe 49 :

L’emploi des mots « misuse » et « abuse » dans la version anglaise par rapport au simple mot « abus » dans la version française est attribuable à une nuance linguistique plutôt qu’à une nuance de l’intention du législateur.

Compte tenu de l’observation du juge Bowman, j’interpréterais la version française comme englobant les deux critères de la version anglaise.

[61]      Dans l’ouvrage Tax Avoidance : The General Anti-Avoidance Rule, supra, le professeur Krishna affirme à la page 51 :

[traduction] Ce qui constitue un « abus » (misuse) dans l’application des dispositions de la Loi dépend de l’objet et de l’esprit de la disposition même qui est en cause. Ce qui constitue un « abus » (abuse) dans l’application de la Loi lue dans son ensemble, est une question plus large qui nécessite l’examen des liens entre les dispositions pertinentes en contexte.

Je pense qu’il s’agit là d’une façon commode d’aborder chaque critère. Par conséquent, en l’espèce, pour les besoins de l’analyse de la question d’abus (misuse), les opérations d’évitement seront analysées compte tenu du paragraphe 18(13) et de sa politique sous-jacente. L’analyse de la question d’abus (abuse) comportera un examen des opérations d’évitement dans un contexte plus large, compte tenu des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu lue dans son ensemble, et de la politique qui les sous-tend.

[62]      L’appelante affirme que pour déterminer s’il y a eu abus, la façon dont le Parlement envisageait l’application des dispositions de la Loi doit être trouvée dans les dispositions elles-mêmes. Elle se fonde sur les paroles prononcées par la juge McLachlin (plus tard juge en chef) dans l’arrêt Shell Canada Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, au paragraphe 43, selon qui la Cour doit faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’attribuer une intention non explicite au législateur, à l’égard d’une disposition claire de la Loi de l’impôt sur le revenu :

La jurisprudence de notre Cour est constante : les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’attribuer au législateur, à l’égard d’une disposition claire de la Loi, une intention non explicite : […] En concluant à l’existence d’une intention non exprimée par le législateur sous couvert d’une interprétation fondée sur l’objet, l’on risque de rompre l’équilibre que le législateur a tenté d’établir dans la Loi.

[63]      L’intimée a fait ressortir la difficulté que pose l’approche de l’appelante. Si, dans le cadre d’une analyse relative à l’abus, la Cour est réduite à examiner le libellé des dispositions en question, il semblerait inévitable que la RGAÉ deviendrait inutile. Le ministre invoque la RGAÉ lorsque l’opération en question est conforme à la lettre de la Loi et que les opérations ne sont pas un trompe-l’oeil. En se limitant uniquement au libellé des dispositions, la Cour conclura toujours que ces dispositions ont été respectées et qu’il n’y a donc pas eu d’abus. Je partage l’avis de l’intimée qu’il est nécessaire pour la Cour de tenir compte du contexte des dispositions en question et, dans l’analyse relative à l’abus, de la Loi lue dans son ensemble et qu’elle peut avoir recours à des moyens extrinsèques tels les notes techniques, la doctrine, le Hansard et les notes explicatives.

[64]      Les auteurs fiscalistes ont jugé que le paragraphe 245(4) est « opaque » (B. J. Arnold et J. R. Wilson, « The General Anti-Avoidance Rule-Part 2 » (1988), 36 Rev. fisc. can. 1123, à la page 1164) ou « plutôt obscur » (P. W. Hogg, J. E. Magee et T. Cook, Principles of Canadian Income Tax Law, 3e éd. (Scarborough : Carswell, 1999) à la page 509). Ils soulignent que les mots « misuse » et « abuse » ne sont pas définis et n’ont pas une signification évidente. Toutefois, les auteurs semblent être unanimes pour dire que ce qui est requis est une analyse de l’objet et de l’esprit des dispositions en question ou des dispositions de la Loi lue dans son ensemble ou une analyse de la politique qui les sous-tend (Arnold et Wilson, aux pages 1164 et 1165; Hogg, Magee et Cook, à la page 509; et Krishna, Tax Avoidance : The General Anti-Avoidance Rule, précité, à la page 51).

[65]      Ce n’est pas avec légèreté que je fais une distinction d’avec les propos directs tenus par la Cour suprême du Canada dans les arrêts tels que Shell, précité, et Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, selon lesquels les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu doivent être appliquées lorsqu’elles sont claires. Toutefois, le ministre n’a jamais invoqué l’article 245 dans sa version actuelle dans les causes où la Cour suprême a exprimé ce point de vue. Je partage l’avis de l’intimée que ces propos de la Cour suprême ne sauraient s’appliquer à une analyse relative à l’abus sous le régime du paragraphe 245(4). À la page 1419 de l’ouvrage The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5e éd. (Scarborough : Carswell, 1995), le professeur Krishna résume l’approche qui, à mon avis, doit être suivie dans une telle analyse :

[traduction] Pour déterminer s’il y a eu abus (misuse) dans l’application d’une disposition en particulier de la Loi ou s’il y a eu abus (abuse) dans l’application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble, il faut examiner le but (« objet et esprit ») de la disposition ou des dispositions en question. Il ne suffit pas de se fonder uniquement sur le libellé technique de la disposition ou des dispositions en question pour déterminer s’il y a eu abus (misuse) dans l’application de la Loi ou s’il y a eu abus (abuse) dans l’application de la Loi lue dans son ensemble.

[66]      L’approche qui a été utilisée pour déterminer s’il y a abus dans l’application des dispositions de la Loi a été diversement décrite comme une analyse téléologique, une analyse fondée sur l’objet et l’esprit, une analyse de l’économie ou une analyse de principe. J’engloberai tous ces termes sous le vocable politique générale sous-tendant les dispositions en question ou la Loi lue dans son ensemble.

[67]      Pour déterminer s’il y a eu abus dans l’application des dispositions de la Loi, il faut procéder à une analyse en deux étapes. D’une part, il faut déterminer la politique générale pertinente qui sous-tend les dispositions ou la Loi lue dans son ensemble. D’autre part, il faut évaluer les faits pour déterminer si l’opération d’évitement constituait un abus compte tenu de la politique générale en question.

[68]      La détermination de la politique générale pertinente est une question d’interprétation. Dès lors, il incombe en fin de compte à la Cour de le faire. À cette étape de l’analyse, aucun fardeau ne pèse sur l’une ou l’autre des parties. Toutefois, dans une perspective pratique, le ministre doit faire beaucoup plus que de citer simplement le texte du paragraphe 245(4), et d’alléguer qu’il y a eu abus. Le ministre doit énoncer la politique générale en mentionnant les dispositions de la Loi ou les moyens extrinsèques sur lesquels il s’appuie. Sinon, il place le contribuable et la Cour dans la position difficile d’essayer de deviner la politique pertinente en cause. Tenter de déterminer la politique générale qui sous-tend une disposition particulière ou une loi lue, dans son ensemble, dans le cas d’une loi aussi complexe que la Loi de l’impôt sur le revenu est une tâche difficile, surtout lorsque l’opération en question est conforme à la lettre de la Loi. Par conséquent, la Cour a besoin de l’aide des parties pour lui permettre de tirer la bonne conclusion. Néanmoins, avec ou sans cette aide, la Cour doit tenter de déterminer la politique générale pertinente. Évidemment, à l’étape suivante, dès lors que la politique générale a été déterminée, il incombera au contribuable de prouver les faits nécessaires pour réfuter les présomptions du ministre selon lesquelles l’opération d’évitement en question donne lieu à un abus.

[69]      Il est également nécessaire de garder à l’esprit le contexte dans lequel est effectuée l’analyse relative à l’abus. L’opération d’évitement a respecté la lettre des dispositions applicables de la Loi. Néanmoins, l’avantage fiscal sera refusé s’il y a eu abus. Il n’est pas question d’essayer de deviner l’intention du Parlement en utilisant une analyse téléologique lorsque les mots utilisés dans une loi sont ambigus. Il s’agit plutôt d’invoquer une politique générale pour déroger aux mots que le législateur a utilisés. J’estime donc que pour refuser un avantage fiscal, alors que la Loi a été rigoureusement respectée, pour le motif que l’opération d’évitement constitue un abus, il faut que la politique générale pertinente soit claire et non ambiguë. La Cour fera preuve de prudence en se déchargeant de la tâche inhabituelle qui lui est imposée par le paragraphe 245(4). Elle doit être certaine que, même si les mots utilisés par le législateur autorisent l’opération d’évitement, la politique générale qui sous-tend les dispositions pertinentes ou la Loi lue dans son ensemble est suffisamment claire pour permettre à la Cour de conclure sans danger que l’application de la disposition ou des dispositions par le contribuable constituait un abus.

[70]      En réponse à l’argument selon lequel une telle approche rendra difficile l’application de la RGAÉ, je dirais que dès lors que la politique générale est claire, son application ne sera pas difficile. Si la politique générale est ambiguë, son application devrait être difficile. C’est ainsi parce que le paragraphe 245(4) ne peut être considéré comme une abdication par le Parlement de son rôle de législateur en faveur d’un jugement subjectif de la Cour ou de juges en particulier. En édictant le paragraphe 245(4), le législateur a imposé à la Cour le fardeau de déterminer la politique générale du Parlement, comme motif de refus d’un avantage fiscal découlant d’une opération qui est par ailleurs conforme aux exigences de la Loi. Si le Parlement n’a pas fait preuve de clarté et d’absence d’ambiguïté à l’égard de la politique générale qu’il envisageait, la Cour ne saurait décider qu’il y a eu abus, et le respect de la Loi doit l’emporter.

Abus (misuse)

[71]      La disposition précise en cause est le paragraphe 18(13) de la Loi tel qu’il était formulé en 1993. Pour ce qui est de son application à la présente espèce, elle peut être résumée comme suit : la Standard ayant enregistré une perte à l’occasion de la disposition du portefeuille de STIL II à la société de personnes STIL II, aucune déduction n’est faite dans le calcul du revenu de la Standard, et la perte enregistrée par la Standard est ajoutée dans le calcul du coût du portefeuille de STIL II supporté par la société de personnes STIL II. En raison de l’exigence voulant qu’il faut ajouter la perte enregistrée par la Standard au coût du portefeuille pour la société de personnes, le coût du portefeuille sera enregistré par celle-ci aux fins de l’impôt au coût supporté par la Standard.

[72]      La question est de savoir si l’appelante peut démontrer qu’il est raisonnable de considérer que les opérations d’évitement ne donnent pas lieu à un abus (misuse) dans l’application du paragraphe 18(13).

[73]      D’abord, il est nécessaire de déterminer la politique générale qui sous-tend le paragraphe 18(13). Par son libellé, le paragraphe 18(13) a un double objectif. D’une part, il vise à empêcher le cédant qui exploite une entreprise consistant à prêter de l’argent d’utiliser une perte à des fins fiscales lors de la disposition d’un bien autre qu’en capital à une personne ou à une société de personnes avec laquelle il a un lien de dépendance. Ensuite, il vise à ajouter la perte refusée au cédant au coût de l’acquisition du bien par la personne ou par la société de personnes avec laquelle il a un lien de dépendance.

[74]      En concluant à l’abus dans l’application du paragraphe 18(13), le juge de la Cour de l’impôt a déclaré au paragraphe 54 :

Le paragraphe 18(13) a été adopté comme disposition visant à empêcher des contribuables qui exploitent une entreprise consistant à prêter de l’argent de réaliser artificiellement des pertes sur des actifs dont la valeur marchande a baissé, en les transférant à une personne avec qui ils ont un lien de dépendance, tout en gardant le contrôle des actifs grâce au lien de dépendance existant dans leur relation avec le bénéficiaire du transfert. L’utilisation de cette disposition de manière à ce que des pertes non réalisées soient transférées d’un contribuable n’ayant aucun revenu duquel déduire ces pertes à un contribuable ayant un tel revenu est nettement un abus.

[75]      Je partage l’avis du juge que le paragraphe 18(13) est une disposition qui empêche de transférer des pertes et je souscris à son explication de la politique générale qui sous-tend le paragraphe 18(13) dans son application au cédant. Il vise à empêcher le déclenchement d’une perte artificielle en faveur du cédant à l’occasion de la disposition en faveur d’une personne ou d’une société de personnes que contrôle le cédant. Même s’il y a eu une disposition juridique d’un bien autre qu’en capital, le cédant contrôle quand même le bien par le truchement de la personne ou de la société de personnes avec laquelle il a un lien de dépendance.

[76]      Toutefois, je ne peux partager le point de vue du juge que le paragraphe 18(13) a quelque chose à voir avec les opérations entre des parties n’ayant aucun lien de dépendance. Le paragraphe 18(13) n’a pas pour effet de viser les transferts entre des parties n’ayant aucun lien de dépendance ou de limiter, de quelque façon, les opérations entre de telles parties.

[77]      De plus, à mon humble avis, le juge de la Cour de l’impôt n’a pas exposé toute la politique générale qui sous-tend le paragraphe 18(13). Bien que le paragraphe empêche le cédant de réaliser une perte à l’occasion de la disposition d’un bien autre qu’en capital à un cessionnaire avec lequel il a un lien de dépendance, il maintient également l’existence de la perte en l’ajoutant au coût du bien pour le cessionnaire avec lien de dépendance. Quelle est donc la politique générale qui sous-tend le maintien de l’existence de la perte? Il doit s’agir de la préserver afin que le cessionnaire avec lien de dépendance la déduise à une occasion ultérieure. En concluant à l’abus dans l’application du paragraphe 18(13), le juge de la Cour de l’impôt semble avoir ignoré la partie du paragraphe qui maintient la perte entre les mains du cessionnaire.

[78]      Le paragraphe 18(13) prévoit expressément que le cessionnaire avec lien de dépendance peut être une société de personnes. En conséquence, les règles relatives aux sociétés de personnes prévues à l’article 96 de la Loi de l’impôt sur le revenu deviennent applicables, dès lors qu’elles sont pertinentes. D’après ces règles, indépendamment de la date d’adhésion d’un associé à la société, sa part du revenu ou de la perte de la société de personnes est calculée à la fin de l’année.

[79]      C’est ce qui s’est passé en l’espèce et a donné lieu à la perte enregistrée par l’appelante et dont le ministre a refusé la déduction en vertu de l’article 245. Le paragraphe 18(13) ne contient aucune politique générale indiquant comment une perte transférée à un cessionnaire avec lien de dépendance en vertu de cette disposition doit être traitée. L’intimée a renvoyé la Cour aux notes techniques du ministère des Finances. En ce qui concerne la perte entre les mains du cessionnaire, la note technique de 1988 portant sur le paragraphe 18(13) déclare simplement que :

[traduction] Toute perte qui constitue une perte superficielle est ajoutée dans le calcul du coût du bien de remplacement pour le contribuable ou la personne ou société de personnes qui est propriétaire du bien 30 jours après la vente ou le transfert.

L’intimée a également renvoyé à un article de E. A. Heakes paru dans le Report of Proceedings of the Forty-seventh Tax Conference, 1995 Conference Report (Toronto : L’Association canadienne d’études fiscales, 1996) intitulé « New Rules, Old Chestnuts, and Emerging Jurisprudence : The Stop-Loss Rules », dans lequel l’auteur affirme à la page 34 :1 :

[traduction] Un autre but est d’énoncer des règles corrélatives pour permettre qu’une perte qui est refusée lorsqu’elle est réalisée par un contribuable d’être directement ou indirectement déduite à une date future par le contribuable ou un contribuable lié.

Les deux renvois confirment que le paragraphe 18(13) prévoit qu’un cessionnaire avec lien de dépendance peut se prévaloir de la perte refusée au cédant.

[80]      Le paragraphe 18(13), ou même l’alinéa 96(1)g), n’a pas pour effet de limiter ou de toucher le transfert ou l’acquisition de participations dans la société de personnes cessionnaire avec lien de dépendance. Plus précisément, le fait pour le cédant d’être propriétaire d’une participation dans la société de personnes cessionnaire avec lien de dépendance est expressément envisagé par la relation de dépendance entre le cédant et le cessionnaire. Et rien n’empêche le cédant de vendre cette participation dans la société de personnes à un tiers sans lien de dépendance.

[81]      Dès lors que l’un des buts exprès de cette disposition est de maintenir les pertes entre les mains d’un cessionnaire avec lien de dépendance et que ce dernier peut être une société de personnes à laquelle les règles relatives aux sociétés de personnes s’appliquent, je ne peux inférer que l’acquisition d’une participation dans la STIL II par l’appelante est contraire à la politique générale qui sous-tend le paragraphe 18(13). Aucun moyen extrinsèque d’interprétation n’offre une indication contraire. Je conclus donc qu’aucune des opérations d’évitement n’a entraîné, directement ou indirectement, d’abus (misuse) dans l’application du paragraphe 18(13).

Abus (abuse)

Politique générale pertinente applicable aux sociétés

[82]      Je passe maintenant à la question de savoir s’il est raisonnable de considérer que les opérations d’évitement entraînent un abus (abuse) dans l’application des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu lue dans son ensemble, abstraction faite de la RGAÉ.

[83]      La question plus générale qui est examinée dans une analyse relative à l’abus (abuse) est celle de la politique générale qui sous-tend la Loi de l’impôt sur le revenu lue dans son ensemble en ce qui concerne le traitement des pertes. Le ministre prétend que l’économie de la Loi postule que « le revenu et le revenu imposable doivent être calculés séparément pour chaque contribuable et selon la source; le revenu de plusieurs contribuables ne saurait être calculé ensemble ». Si je saisis l’argument du ministre, cela veut dire que la politique générale qui sous-tend les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu lue dans son ensemble interdit le transfert des pertes entre des contribuables.

[84]      Il est indubitable qu’il y a eu transfert d’une perte à l’appelante par suite de la série de quatre opérations. Si le ministre a raison de dire qu’il y a une politique générale interdisant le transfert de pertes entre contribuables, les opérations d’évitement faisant partie de la série, par lesquelles l’appelante a acquis la perte de la Standard ont entraîné un abus dans l’application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble. La question est donc de savoir si une telle politique générale existe.

[85]      Je partage l’avis de l’intimée que, sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, chacun a un statut indépendant et doit payer l’impôt sur son revenu imposable. Il semblerait également que, comme politique générale, des pertes ne peuvent être transférées d’un contribuable à un autre. (Voir, par exemple, Hogg, Magee et Cook, supra, à la page 406.) Toutefois, pour les fins de la présente espèce, la question de savoir si cette politique générale interdit le transfert de pertes autres que des pertes en capital, c’est-à-dire des pertes d’entreprise, entre contribuables dans tous les cas exige un examen plus approfondi de la façon dont les pertes sont traitées sous le régime de la Loi.

[86]      La perte que subit une entreprise peut avoir une valeur aux fins de l’impôt sur le revenu. L’alinéa 111(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu permet le report rétrospectif et le report prospectif des pertes pour un nombre d’années déterminé aux fins de la défalcation de ces pertes des bénéfices pour ces années. Il en résulte un remboursement de l’impôt payé pour les années précédentes et/ou une réduction de l’impôt par ailleurs payable sur les bénéfices des années futures. Par conséquent, pour le contribuable qui a été rentable ou qui le sera, la valeur d’une perte d’entreprise dérive de l’obligation de payer l’impôt sur le revenu. C’est la possibilité du report rétrospectif ou prospectif qui attribue à la perte les caractéristiques d’un actif. L’alinéa 111(1)a) prévoit :

111. (1) Pour le calcul du revenu imposable d’un contribuable pour une année d’imposition, peuvent être déduites les sommes appropriées suivantes :

a) ses pertes autres que des pertes en capital subies au cours des 7 années d’imposition précédentes et des 3 années d’imposition qui suivent l’année;

[87]      Toutefois, l’utilisation de l’actif par le contribuable qui a subi la perte est limitée aux sept années précédentes et aux trois années ultérieures. Règle générale, il n’est pas prévu qu’une perte peut être vendue à un acheteur sans lien de dépendance comme s’il s’agissait du stock de l’entreprise.

[88]      Cependant, la Loi reconnaît un mécanisme par lequel des pertes peuvent être transférées entre des parties sans lien de dépendance dans le contexte du changement de contrôle d’une société au moyen de la vente des actions de la société. La Loi est très explicite en ce qui concerne le transfert de pertes autres que des pertes en capital entre des sociétés en cas de changement de contrôle. Les mots introductifs du paragraphe 111(5) sont très clairs à ce sujet; règle générale, les pertes autres que des pertes en capital ne sont pas transférables. Le paragraphe 111(5) prévoit :

111. […]

(5) En cas d’acquisition, à un moment donné, du contrôle d’une société par une personne ou un groupe de personnes, aucun montant au titre d’une perte autre qu’une perte en capital ou d’une perte agricole pour une année d’imposition se terminant avant ce moment n’est déductible par la société pour une année d’imposition se terminant après ce moment et aucun montant au titre d’une perte autre qu’une perte en capital ou d’une perte agricole pour une année d’imposition se terminant après ce moment n’est déductible par la société pour une année d’imposition se terminant avant ce moment. Toutefois :

a) la fraction de la perte autre qu’une perte en capital ou de la perte agricole subie par la société pour une année d’imposition se terminant avant ce moment qu’il est raisonnable de considérer comme résultant de l’exploitation d’une entreprise et, si la société exploitait une entreprise au cours de cette année, la fraction de la perte autre qu’une perte en capital qu’il est raisonnable de considérer comme se rapportant à un montant déductible en application de l’alinéa 110(1)k) dans le calcul de son revenu imposable pour l’année, ne sont déductibles par la société pour une année d’imposition donnée se terminant après ce moment :

(i) que si, tout au long de l’année donnée, cette entreprise a été exploitée par la société en vue d’en tirer un profit ou dans une attente raisonnable de profit,

(ii) qu’à concurrence du total du revenu de la société provenant de cette entreprise pour l’année donnée et-dans le cas où des biens sont vendus, loués ou mis en valeur ou des services rendus dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise avant ce moment-de toute autre entreprise dont la presque totalité du revenu est dérivée de la vente, de la location ou de la mise en valeur, selon le cas, de biens semblables ou de la prestation de services semblables;

b) la fraction de la perte autre qu’une perte en capital ou de la perte agricole subie par la société pour une année d’imposition se terminant après ce moment qu’il est raisonnable de considérer comme résultant de l’exploitation d’une entreprise et, si la société exploitait une entreprise au cours de cette année, la fraction de la perte autre qu’une perte en capital qu’il est raisonnable de considérer comme se rapportant à un montant déductible en application de l’alinéa 110(1)k) dans le calcul de son revenu imposable pour l’année, ne sont déductibles par la société pour une année d’imposition donnée se terminant avant ce moment :

(i) que si, tout au long de l’année d’imposition et de l’année donnée, cette entreprise était exploitée par la société en vue d’en tirer un profit ou dans une attente raisonnable de profit,

(ii) qu’à concurrence du revenu que la société a tiré pour l’année donnée de cette entreprise et de toute autre entreprise dont la presque totalité des revenus provient de la vente, de la location ou de la mise en valeur de biens semblables aux biens vendus, loués ou mis en valeur ou de la prestation de services semblables aux services rendus dans le cadre de l’exploitation de cette entreprise avant ce moment. [Non souligné dans l’original.]

[89]      Le professeur Krishna explique à la page 513 de l’ouvrage The Fundamentals of Canadian Income Tax, 6e éd., précité :

[traduction] En l’absence d’une déclaration de revenu consolidée, la Loi applique des restrictions très rigides à l’utilisation de pertes accumulées à la suite du changement de contrôle d’une société. Essentiellement, ces règles visent à limiter le transfert des pertes entre sociétés contribuables et à décourager des arrangements d’affaires qui ne sont rien d’autres que des mécanismes d’ « échange de pertes » ou de « défalcation de pertes ».

[90]      Toutefois, le paragraphe 111(5) prévoit une exception. Dans le cas de pertes autres que des pertes en capital, elle prévoit que de telles pertes peuvent faire l’objet d’un report prospectif après un changement de contrôle, sous réserve de certaines limitations :

1. tout au long de l’année, l’entreprise de la société doit avoir été exploitée par la société en vue d’en tirer un profit ou dans une attente raisonnable de profit; et

2. les pertes des années antérieures sont déductibles du revenu provenant de la même entreprise et du revenu de toute autre entreprise dont la presque totalité du revenu est dérivée de la vente, de la location ou de la mise en valeur, selon le cas, de biens semblables ou de la prestation de services semblables de l’entreprise qui a subi les pertes des années antérieures.

[91]      Cette exception semblerait reconnaître qu’une société dont l’entreprise a subi une perte (l’entreprise déficitaire) peut devenir rentable à la suite d’un changement de contrôle. Les changements de contrôle dont le résultat est de transformer une entreprise déficitaire en une entreprise rentable devraient être encouragés par le report prospectif de pertes antérieures. Hogg, Magee et Cook, précité, expliquent à la page 408 :

[traduction] Lorsqu’il y a prise de contrôle d’une société ayant des pertes non utilisées, et que les nouveaux gestionnaires rendent l’entreprise de la société rentable, les pertes non utilisées de la société acquise peuvent être déduites des bénéfices de l’entreprise anciennement non rentable, même si les bénéfices ont été réalisés après le changement de contrôle. Dans cette situation, la prise de contrôle s’est soldée par la réalisation de l’objectif commercial positif de transformer une entreprise non rentable en une entreprise rentable, et on ne voit pas pourquoi elle ne devrait pas continuer à se prévaloir des pertes non utilisées des années antérieures à la prise de contrôle.

[92]      La nature évidemment limitée de l’exception autorisant le transfert de pertes semble souligner la politique générale selon laquelle l’échange de pertes à des fins fiscales est interdit. L’exigence selon laquelle les pertes des années antérieures ne sont déductibles que du revenu de la même entreprise ou d’entreprises semblables est une indication qu’on ne peut généralement pas défalquer ces pertes d’autres revenus.

[93]      La justification de la politique générale interdisant le transfert des pertes et prévoyant des exceptions limitées est décrite dans le Rapport du Comité technique de la fiscalité des entreprises. (Ottawa : Ministère des Finances, décembre 1997) (le Rapport Mintz) commençant à la page 4.12 et, en particulier, aux pages 4.14 et 4.15.

[94]      Le Rapport indique qu’il y a des arguments théoriques que l’on peut invoquer en faveur de la remboursabilité ou la compensation des pertes. Le transfert des pertes entre sociétés est un mécanisme utilisé pour procéder à un remboursement ou à une compensation d’impôts. La remboursabilité traite de manière symétrique les pertes et les bénéfices annuels. Elle améliore le traitement neutre du point de vue fiscal. La remboursabilité élimine la discrimination à l’encontre des entreprises qui font face à des risques de marché plus importants et dont les bénéfices sont plus volatiles que les entreprises qui sont dans des secteurs présentant moins de risques. Elle pourrait aussi améliorer la compétitivité et l’efficience des marchés en facilitant l’accès des entreprises aux différents secteurs d’activité, de même que leur retrait.

[95]      Toutefois, le Rapport fait remarquer que la remboursabilité complète est universellement rejetée, les différents gouvernements ne permettant généralement qu’une utilisation limitée des pertes. On craint que le fait de permettre la remboursabilité complète dans une économie globalisée d’entreprises multinationales ferait apparaître des pertes au Canada qui ne pourraient être utilisées ailleurs, ce qui entraînerait une perte de recettes fiscales au Canada qu’il faudrait compenser en augmentant les taux d’imposition. Une autre considération pratique importante est que la remboursabilité complète éliminerait les recettes fournies par l’impôt sur les bénéfices des sociétés pendant plusieurs années.

[96]      Il s’ensuit que la politique générale actuelle est de permettre les remboursements ou le transfert des pertes uniquement sur une base strictement contrôlée. Il s’agit d’un compromis entre le désir de promouvoir tous les avantages du caractère neutre de la remboursabilité et des compensations, d’une part, et la nécessité de maintenir les recettes publiques, d’autre part.

[97]      Il n’appartient pas la Cour d’approuver ou non la politique fiscale pertinente du gouvernement. Il n’appartient pas non plus à la Cour de se prononcer sur la sagesse des compromis qui ont été faits entre les objectifs concurrents. Le rôle de la Cour se limite à dégager une politique générale pertinente, claire et non ambiguë de manière qu’elle puisse alors décider si les opérations d’évitement en question sont contraires à cette politique, constituant alors un abus dans l’application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble, compte non tenu de la RGAÉ.

[98]      Je n’ai aucune difficulté à conclure que la politique générale qui sous-tend la Loi de l’impôt sur le revenu interdit l’échange des pertes autres que des pertes en capital par les sociétés, sous réserve de certaines limites précises.

Politique générale pertinente concernant les sociétés de personnes

[99]      En ce qui concerne les sociétés de personnes, il n’y avait aucune restriction sur la transférabilité des pertes au moment en cause. Les règles relatives aux sociétés de personnes prévoient que les pertes sont transférables entre associés. Indépendamment du moment où une personne devient un associé au cours d’une année d’imposition de la société de personnes, dès lors qu’elle est un associé à la fin de l’année d’imposition, elle peut se prévaloir de la perte de la société de personnes provenant de n’importe quelle source au cours de son année d’imposition.

[100]   Le paragraphe 96(8) [mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 44] qui porte sur les sociétés de personnes étrangères est la seule exception à la règle selon laquelle il n’y a aucune restriction sur l’échange de pertes dans les sociétés de personnes. Dans ce cas, la valeur de l’inventaire de la société de personnes au moment où une personne en devient membre est égale au moins élevé de sa juste valeur marchande et de son coût déterminé par ailleurs. En d’autres mots, une personne ne peut se prévaloir des pertes accumulées avant qu’elle ne devienne membre d’une société de personnes. L’alinéa 96(8)b) prévoit :

96. […]

(8) Pour l’application de la présente loi, lorsque, à un moment donné, une personne qui réside au Canada devient l’associé d’une société de personnes, ou une personne qui est l’associé d’une société de personnes commence à résider au Canada, alors qu’aucun associé de la société de personnes ne résidait au Canada immédiatement avant ce moment, les règles suivantes s’appliquent aux fins du calcul du revenu de la société de personnes pour les exercices se terminant après ce moment :

[…]

b) dans le cas où la société de personnes est propriétaire d’un bien à porter à son inventaire, sauf l’inventaire d’une entreprise exploitée au Canada, ou d’une immobilisation non amortissable, sauf un bien canadien imposable, au moment donné, le coût du bien ou de l’immobilisation, pour la société de personnes, est réputé égal, immédiatement après ce moment, au moins élevé de sa juste valeur marchande et de son coût pour la société de personnes, déterminé par ailleurs;

Cette exception souligne le fait que dans le cas des sociétés de personnes autres que des sociétés de personnes étrangères, un nouvel associé peut se prévaloir des pertes accumulées avant qu’il ne devienne membre de la société de personnes.

[101]   Je suis convaincu qu’au moment en cause, la Loi de l’impôt sur le revenu ne comportait aucune politique générale interdisant le transfert de pertes entre associés. Si on considère la présente affaire comme un transfert d’une perte à un associé dans une société de personnes, il n’existait aucune politique générale interdisant ce type de transfert et la conclusion serait qu’il n’y a pas eu d’abus dans l’application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble.

Application de la politique générale aux faits

[102]   Toutefois, l’analyse relative à l’abus (abuse) exige que la Cour examine tous les faits et circonstances entourant les opérations d’évitement. Pourquoi, eu égard à la Loi de l’impôt sur le revenu lue dans son ensemble, les parties ont-elles conclu les opérations d’évitement?

[103]   Lorsque les opérations d’évitement sont placées dans ce contexte beaucoup plus large, il devient évident que les pertes que l’appelante obtenait à des fins fiscales, en acquérant sa participation dans la société de personnes STIL II, provenaient de la Standard. Ce que nous avons ici, c’est l’acquisition de la perte de la Standard par l’appelante. Essentiellement, l’appelante a acquis quelque 52 millions de dollars de la perte de la Standard dont elle-même et ses associés dans la SRMP pourraient se prévaloir pour réduire leur part du revenu de la STIL II et leurs revenus provenant d’autres sources.

[104]   Si la perte provenait de la société de personnes STIL II, je ne pense pas qu’on pourrait s’opposer à ce que l’appelante puisse se prévaloir de cette perte en y acquérant une participation. Cela aurait été pour tout dire un contexte de sociétés de personnes et, comme je l’ai déjà mentionné, il n’existe aucune politique générale interdisant le transfert de pertes entre associés.

[105]   Toutefois, examiner les opérations d’évitement en l’espèce sans tenir compte du contexte plus large reviendrait à ignorer des faits pertinents et en particulier, le résultat de la série d’opérations. Les opérations d’évitement ont eu pour résultat le transfert de la perte d’une société à une autre par le mécanisme du paragraphe 18(13) et des règles relatives aux sociétés de personnes. Compte tenu de la RGAÉ, ces opérations ont violé la politique générale qui sous-tend la Loi et interdit le transfert de pertes d’une société à une autre.

[106]   Néanmoins, d’après l’appelante, si les notions de changement de contrôle d’une société et de poursuite de l’entreprise déficitaire étaient appliquées en l’espèce, l’appelante aurait le droit de se prévaloir de la perte de la Standard. L’appelante fait valoir que dès sa formation, la STIL II exploitait l’entreprise de gestion de portefeuille d’hypothèques et de réalisation de biens saisis. Lorsque l’appelante a acquis sa participation dans la STIL II, celle-ci était une créancière hypothécaire en possession d’un certain nombre de biens saisis avec l’intention de les gérer, de les améliorer, et en fin de compte de les réaliser, et cette activité s’est poursuivie sous la gestion de l’appelante. Selon le juge de la Cour de l’impôt, si l’on ne tenait pas compte de la perte subie en 1993, la STIL II avait le potentiel d’être rentable et a en fait réalisé des bénéfices.

[107]   L’appelante avait elle-même pour activité la gestion, l’amélioration et la vente de biens immobiliers saisis, activité semblable à celle de la STIL II. Si les notions de changement de contrôle d’une société et de poursuite de l’entreprise déficitaire s’appliquaient et que la comparaison pertinente était entre la STIL II et l’appelante, cette dernière fait valoir qu’elle tomberait sous le coup de l’exception étroite à la politique générale qui sous-tend la Loi de l’impôt sur le revenu et interdit le transfert de pertes entre sociétés.

[108]   Toutefois, à mon avis, les règles relatives au changement de contrôle ne sont pas applicables, et même si elles l’étaient, je ne pense pas que la comparaison pertinente soit entre la STIL II et l’appelante. Il ne s’agit pas en l’espèce du changement de contrôle d’une société. Il s’agit plutôt de la vente de certains actifs de la société. Hormis le fait que l’appelante s’est servie du paragraphe 18(13) et des règles relatives aux sociétés de personnes, la Loi de l’impôt sur le revenu ne prévoit aucun mécanisme pour la vente d’une perte par une société à une autre comme s’il s’agissait d’une vente d’actifs. L’appelante demande que les opérations en l’espèce soient traitées comme s’il s’agissait d’une vente d’actions, soit de la Standard elle-même ou d’une filiale constituée pour détenir le portefeuille de STIL II. Toutefois, la Cour ne peut requalifier les opérations de manière à les faire tomber dans le champ d’application de l’exception à la règle générale interdisant l’échange des pertes.

[109]   Même en supposant que les règles relatives au changement de contrôle peuvent être appliquées par analogie, à mon avis, la comparaison nécessaire serait entre la Standard et l’appelante. Il en est ainsi parce que l’avantage fiscal obtenu par l’appelante l’a été par suite de la série de quatre opérations qui a eu pour effet de transférer la perte de la Standard à l’appelante. La question qui se poserait est de savoir si l’exception prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu, permettant à une entreprise de se prévaloir des pertes d’une entreprise déficitaire, s’appliquerait entre la Standard et l’appelante.

[110]   Je ne le pense pas. La Standard exploitait une entreprise consistant à accorder des prêts garantis par des hypothèques. Pas l’appelante. Au moment du procès, Eugene Kaulius était président de la Samoth Capital, une société publique qui exploitait une entreprise consistant à accorder des prêts à des promoteurs immobiliers et qui exploitait également une entreprise hôtelière. En 1993, M. Kaulius était le président de l’appelante. On lui a demandé :

Q. Que faisait OSFC pendant ces années par opposition à Samoth?

R. Généralement, nous achetions des biens sous-évalués, essayant de minimiser notre risque, puis nous cherchions à minimiser notre investissement; nous investissions l’argent de la société généralement dans des projets immobiliers, c’était ça notre spécialité.

Il est clair que, si Samoth accordait des prêts à des promoteurs immobiliers et que son activité, tout au moins en partie, pourrait être assimilée à celle de la Standard, l’appelante n’exploitait pas une entreprise de prêt d’argent. Elle avait plutôt pour activité d’acheter, de gérer et d’améliorer des biens immobiliers saisis.

[111]   Il est vrai que, comme l’a souligné le juge de la Cour de l’impôt, la Standard avait également pour activité de s’occuper de ses prêts hypothécaires et, en cas de défaillance, de s’occuper des biens hypothéqués aussi. Toutefois, la perte que l’appelante a obtenue de la Standard ne provenait pas des activités de la Standard relativement à ces biens saisis. Elle provenait de son activité qui consistait à accorder des prêts garantis par des biens dont la valeur avait subi une baisse radicale dans l’effondrement du marché immobilier à la fin des années 1980 et au début des années 1990.

[112]   L’appelante n’a pas acquis sa participation dans la STIL II dans le but de relancer une entreprise de prêts hypothécaires non rentable. La Standard était en liquidation. Le seul objet commercial de l’appelante (hormis celui de tirer un avantage fiscal) était d’acquérir sa participation dans la STIL II à des conditions qui lui permettraient de tirer un profit de la gestion et de la disposition des biens saisis.

[113]   L’entreprise consistant à accorder des prêts garantis par des hypothèques peut à l’occasion comporter la disposition de biens saisis. Mais l’entreprise consistant à disposer de biens saisis ne comporte pas le prêt d’argent hypothécaire. Dans les circonstances, je n’estime pas que la politique générale qui sous-tend la Loi permet que les pertes subies dans l’entreprise consistant à accorder des prêts garantis par des hypothèques soient utilisées en compensation des bénéfices tirés de l’entreprise consistant à réhabiliter des biens immobiliers saisis.

[114]   Par conséquent, je ne suis pas convaincu que cette exception à la règle générale interdisant le transfert des pertes d’une société à une autre serait applicable en l’espèce pour des motifs d’ordre public.

Autres arguments ayant trait à l’abus

[115]   L’appelante avance plusieurs autres arguments, mais ils ne me convainquent pas de tirer une conclusion différente. Elle affirme, en invoquant un certain nombre de dispositions de la Loi, que le Parlement a établi un régime complet régissant le traitement des pertes. J’interprète cet argument comme signifiant que le Parlement a complètement réglé la question des pertes et a établi les cas où les pertes peuvent être transférées et les cas où elles ne le peuvent pas. L’appelante affirme que sa situation relève de celles dans lesquelles les pertes peuvent être transférées. Toutefois, la Loi de l’impôt sur le revenu est complexe et la RGAÉ semble viser l’application non envisagée des dispositions de la Loi par les opérations d’évitement qui sont contraires à la politique générale qui sous-tend la Loi. Si, par suite des règles et des exceptions prévues par la Loi, on ne peut dégager une politique générale pertinente claire et non ambiguë, j’accepterais l’argument de l’appelante selon lequel l’application des dispositions législatives doit l’emporter. Toutefois, la politique générale qui sous-tend la Loi ayant trait à la perte en question en l’espèce est claire. Et, c’est par rapport à cette politique générale que les opérations d’évitement doivent être évaluées pour déterminer si elles constituent un abus (abuse). J’ai conclu qu’elles constituent un abus.

[116]   L’appelante a mentionné l’alinéa 53(2)c) qui prévoit la réduction du prix de base rajusté d’une participation dans une société de personnes dans le but de récupérer, sous forme de gains en capital dans une disposition future, des pertes déduites antérieurement par un associé. Toutefois, j’estime que l’alinéa 53(2)c) est quelque peu étranger à la question en litige. D’une part, les taux d’imposition des gains en capital sont considérablement inférieurs aux taux d’imposition du revenu. J’ai de la difficulté à conclure que le législateur a estimé que le paiement possible des impôts sur les gains en capital à un certain moment dans l’avenir était une compensation appropriée pour la réduction immédiate des impôts sur le revenu par l’acquisition d’une perte qui n’a pas été subie à l’origine par la société de personnes.

Conclusion quant à l’abus (abuse)

[117]   J’ai conclu que les opérations d’évitement ont entraîné un abus dans l’application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble, abstraction faite de la RGAÉ. Malgré cette conclusion, il importe de remarquer qu’il n’existe aucune règle générale interdisant la structuration d’opérations d’une manière fiscalement efficace ni une exigence que des opérations soient structurées d’une manière qui optimalise l’impôt. Le contribuable s’est strictement conformé à la Loi et cela devrait normalement être suffisant. Toutefois, le Parlement a édicté le paragraphe 245(4) et si on doit lui prêter un sens, c’est qu’il l’emporte sur les résultats d’un respect rigoureux lorsque l’abus dans l’application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble est manifeste.

CONCLUSION

[118]   La série d’opérations qui comprend les opérations de la Standard et l’acquisition par l’appelante de sa participation dans la STIL II ont entraîné un avantage fiscal pour l’appelante. Les opérations de la Standard et l’opération par laquelle l’appelante a acquis une participation dans la STIL II ont été effectuées principalement dans le but d’obtenir l’avantage fiscal. En conséquence, il s’agissait d’opérations d’évitement. Tout en ne constituant pas un abus (misuse) dans l’application du paragraphe 18(13) au sens étroit, ces opérations ont entraîné un abus (abuse), compte tenu des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu lue dans son ensemble, parce qu’elles ont permis à l’appelante de se prévaloir de la perte de la Standard en contravention de la politique générale de la Loi interdisant le transfert des pertes entre sociétés. En conséquence, le ministre était fondé, en vertu de l’alinéa 245(5)d), à ignorer les attributs fiscaux découlant de l’application du paragraphe 18(13) et à refuser l’avantage fiscal litigieux à l’appelante en vertu du paragraphe 245(2).

[119]   Je rejette l’appel avec dépens.

Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[120]   Le juge Létourneau, J.C.A. (souscrivant au résultat uniquement) : Le présent appel soulève la question de l’application de la disposition générale anti-évitement (RGAÉ) énoncée à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi). Je n’ai pas besoin de relater les faits et la procédure car mon collègue le juge Rothstein l’a déjà fait. Toutefois, pour faciliter la lecture, je reproduis dans les deux langues les parties pertinentes de la disposition :

245.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« attribut fiscal » S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi.

« opération » Sont assimilés à une opération, une convention, un mécanisme ou un événement.

(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de sorte à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

(3) L’opération d’évitement s’entend :

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables—l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables—l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

(4) Il est entendu que l’opération dont il est raisonnable de considérer qu’elle n’entraîne pas, directement ou indirectement, d’abus dans l’application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble-compte non tenu du présent article—n’est pas visée par le paragraphe (2).

J’inclus également le texte du paragraphe 18(13) qui sera pertinent dans l’évaluation de la nature de l’opération litigieuse de l’appelante en l’espèce.

18. […]

(13) Sous réserve du paragraphe 138(5.2) et malgré les autres dispositions de la présente loi, dans le cas où un contribuable-qui, à un moment donné d’une année d’imposition, réside au Canada et dont l’activité d’entreprise habituelle au cours de cette année consiste en partie à prêter de l’argent ou qui, à un moment donné de l’année, exploite une entreprise de prêt d’argent au Canada-subit une perte lors de la disposition d’un bien utilisé ou détenu dans le cadre de l’entreprise qui est une action, ou un prêt, une obligation, un billet, une hypothèque, une convention de vente ou une autre créance mais qui n’est pas une immobilisation du contribuable, aucun montant n’est déductible au titre de la perte dans le calcul de son revenu provenant de cette entreprise pour l’année si :

a) d’une part, au cours de la période commençant 30 jours avant et se terminant 30 jours après la disposition, le contribuable ou une personne ou société de personnes avec laquelle il a un lien de dépendance acquiert ou convient d’acquérir le même bien ou un bien identique-appelés « bien de remplacement » au présent paragraphe;

b) d’autre part, à la fin de cette période, le contribuable ou la personne ou société de personnes, selon le cas, est propriétaire du bien de remplacement ou a le droit de l’acquérir.

Cette perte doit être ajoutée dans le calcul du coût du bien de remplacement pour le contribuable ou pour la personne ou société de personnes, selon le cas.

[121]   La question est de savoir si le juge Bowie, de la Cour canadienne de l’impôt, a commis une erreur dans l’application du paragraphe 245(3) de la Loi à l’opération par laquelle l’appelante (OSFC) a acheté une participation de 99 p. 100 dans une société de personnes (la STIL II) créée par la Compagnie Standard Trust (la STC). Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que l’opération de l’appelante était une opération qui faisait partie d’une série d’opérations dont l’objet principal était d’obtenir un avantage fiscal et qui constituaient par conséquent des opérations d’évitement au sens de l’alinéa 245(3)b) de la Loi.

[122]   On se rappellera que la STC a effectué une série de trois opérations, qui, les parties ont-elles reconnu, donnaient lieu à un avantage fiscal. L’opération de l’appelante était une quatrième opération par laquelle elle a acheté une participation dans la société de personnes STIL II qui comportait d’importantes pertes. Parlant des trois premières opérations effectuées par la STC, c’est-à-dire la création et la constitution de la compagnie 1004568, la formation de la STIL II et la vente de sa participation de 99 p. 100 dans cette société de personnes, le juge de la Cour de l’impôt a écrit au paragraphe 36 de sa décision :

Les trois premières des opérations au sujet desquelles l’intimée allègue qu’il s’agit d’opérations d’évitement font assurément partie d’une série de mesures déterminées d’avance que le liquidateur a prises dans le cadre d’un plan délibéré.

Je vais maintenant déterminer si l’opération de l’appelante constituait une opération d’évitement comme l’a conclu le juge de la Cour de l’impôt.

L’opération de l’appelante constituait-elle une opération d’évitement?

[123]   Je concède sans hésitation que l’article 245, tout particulièrement le paragraphe 245(3), n’est pas, comme c’est trop souvent le cas en matière d’impôt sur le revenu, un modèle de clarté. Tel que je comprends le paragraphe 245(3), une opération peut, selon l’alinéa a), constituer une opération d’évitement si un avantage fiscal en découle et si elle a été principalement effectuée en vue de l’obtention de l’avantage fiscal.

[124]   Toutefois, une opération qui n’est pas une opération d’évitement au sens de l’alinéa a) parce qu’elle a été effectuée pour un objet véritable peut quand même devenir une opération d’évitement au sens de l’alinéa b) si elle fait partie d’une série d’opérations, si la série d’opérations entraîne un avantage fiscal et si « l’opération » n’a pas été effectuée pour des objets véritables autre que l’obtention de l’avantage fiscal. J’ai souligné les mots « l’opération » parce qu’ils sont source d’ambiguïté.

[125]   En effet, l’interprétation littérale de ces mots, que ce soit dans la version française ou dans la version anglaise, pourrait mener à la conclusion selon laquelle, en l’espèce, ils visent l’opération de l’appelante, c’est-à-dire la quatrième opération qui a suivi et complété les trois opérations effectuées par la STC. Une telle interprétation aurait pour effet de rendre l’alinéa b) complètement inopérant et inutile. Si nous acceptons, pour des fins d’argumentation, que l’opération de l’appelante avait été effectuée pour un objet véritable autre que l’obtention d’un avantage fiscal, on aurait jugé que, cette opération, évaluée en tant que tel sous le régime de l’alinéa a), ne constitue pas une opération d’évitement. Alors, sous le régime de l’alinéa b), cela n’aurait aucune importance qu’elle fasse partie d’une série d’autres opérations qui sont des opérations d’évitement parce qu’elle serait de nouveau réévaluée toute seule comme si elle ne faisait pas partie de cette série d’opérations d’évitement. Cette opération, ayant été jugée ne pas constituer une opération d’évitement au sens de l’alinéa a) parce qu’elle avait été effectuée pour un objet véritable, serait, de nouveau et sans surprise, jugée ne pas être une opération d’évitement parce qu’elle avait été effectuée pour un véritable objet commercial. En fait, cela reviendrait à évaluer l’opération de l’appelante à la fois sous le régime des alinéas a) et b) comme s’il s’agissait d’une seule opération, même si l’alinéa b) définit une opération d’évitement comme « l’opération » qui fait partie de la série d’opérations qui ont donné lieu à l’avantage fiscal et qui ont été effectuées principalement dans ce but.

[126]   À mon avis, chaque opération qui fait partie d’une série d’opérations doit, en vertu de l’alinéa 245(3)b), être évaluée seule pour déterminer si elle a un objet véritable autre que l’obtention d’un avantage fiscal. La conclusion ayant été faite qu’une opération qui fait partie de la série est une opération d’évitement, alors toutes les autres opérations qui font partie de la série sont entachées ou contaminées par cette opération. L’appelante est d’accord avec l’approche prise par le ministère des Finances dans ses Notes techniques au projet de loi C-139 : Rapport spécial no 851, CCH Canadian Ltd., 1988, à la page 359, où il écrit :

Par conséquent, lorsqu’un avantage fiscal découlera d’une série d’opérations, il sera refusé à moins que l’objet principal de chaque opération de la série ne soit d’atteindre un objet légitime autre que fiscal. Ainsi, pour ne pas tomber sous le coup de la définition d’ « opération d’évitement » au paragraphe 245(3), il faudra que chaque étape d’une série d’opérations soit effectuée principalement pour des objets véritables autres que des objets fiscaux.

Voir également le passage suivant tiré du chapitre 7 de l’ouvrage de Brian J. Arnold intitulé Tax Avoidance and The Rule of Law, Amsterdam : IBFD Publications, 1997, aux pages 232 et 233, portant sur la directive générale anti-évitement du Canada :

[traduction] Selon l’alinéa 245(3)b), si une opération fait partie d’une série d’opérations et qu’un avantage fiscal découle de la série, chaque opération faisant partie de la série doit être évaluée pour déterminer si elle a été effectuée principalement pour des objets autres que des objets fiscaux. Il n’est pas nécessaire que la série d’opérations, dans son ensemble, soit justifiée par des objets autres que des objets fiscaux, et aucune tentative n’est faite pour réordonner la série ou pour en déterminer la véritable nature.

[127]   En l’espèce, comme je l’ai déjà mentionné, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que les trois opérations effectuées par la STC n’avaient aucun objet véritable autre que l’obtention d’un avantage fiscal. Je ne vois aucune erreur dans cette conclusion. Bien au contraire, le juge était saisi d’une preuve abondante que la constitution de la compagnie 1004568, la formation de la STIL II ainsi que le transfert à ces entreprises du portefeuille des actifs n’étaient pas nécessaires pour permettre à la STC de vendre efficacement ces actifs à une partie sans lien de dépendance comme l’appelante.

[128]   Toutefois, et la preuve le révèle, le transfert des actifs à une partie avec lien de dépendance avant la vente à une partie sans lien de dépendance était nécessaire pour déclencher l’application du paragraphe 18(13) de la Loi et créer, entre les mains de la STIL II avec laquelle il existait un lien de dépendance, des pertes en gestation en augmentant leur prix de base ajusté. À mon humble avis, aucune raison valide ou légitime ne justifiait la création de cette société de personnes et le transfert à cette dernière du portefeuille si ce n’était pour créer un avantage fiscal qui serait vendu ultérieurement.

L’opération de l’appelante faisait-elle partie d’une série d’opérations?

[129]   L’appelante prétend qu’elle n’était pas au courant des opérations de la STC effectuées par le liquidateur de la STC et qu’elle n’y a pas participé. Elle fait valoir que, même si les opérations de la STC constituaient des opérations d’évitement, sa propre opération n’était pas une opération d’évitement parce qu’elle ne faisait pas partie de la série d’opérations effectuées par la STC. En outre, l’appelante affirme qu’il n’y avait aucun « lien raisonnable » ni aucune interdépendance entre son opération et celles de la STC.

[130]   Il est évident, à mon sens, comme cela a été le cas pour le juge de la Cour de l’impôt, que cette vente éventuelle à une partie sans lien de dépendance faisait partie des étapes déterminées d’avance qui avaient été effectuées par le liquidateur de la STC. Les pertes en gestation découlant du transfert du portefeuille à la STIL II avaient besoin de l’interaction d’un tiers sans lien de dépendance pour prendre vie. L’ensemble de l’opération élaborée et effectuée par le liquidateur de la STC a été conçu dans le but, et avait pour objet, de créer et de transférer un avantage fiscal. Il était fondé sur l’acquisition par un tiers, au moyen de laquelle les pertes en gestation deviendraient de véritables pertes entre les mains de ce tiers. En d’autres mots, l’appelante peut ne pas avoir été partie à la conception ou à la création de l’avantage fiscal, mais elle constituait le lien manquant et nécessaire pour qu’il se matérialise et se réalise. Pour que le plan fiscal fonctionne, toute la série des événements devait être réalisée ou toutes les étapes devaient être terminées : voir Vern Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5e éd., à la page 1409. À mon avis, l’opération de l’appelante satisfaisait à la fois au principe de l’ « interdépendance mutuelle » et au principe du « résultat final » d’après lesquels deux ou plusieurs opérations constituent une série, soit lorsqu’elles sont si interdépendantes que les résultats d’une opération seraient inutiles sans la réalisation complète des autres opérations, soit qu’elles constituent essentiellement des composantes d’une seule opération dont l’objet initial était d’atteindre le résultat ultime : voir Brian J. Arnold et James R. Wilson, « The General Anti-Avoidance Rule—Part 2 » (1988), 36 Rev. fis. can. 1123, à la page 1162.

[131]   L’appelante a également fait valoir que le paragraphe 245(3) utilise, en rapport avec l’avantage fiscal, le verbe « obtenir » et non le verbe « conférer ». Selon l’argument avancé, si le Parlement avait l’intention de régir la situation dans laquelle se trouve l’appelante, il aurait parlé d’opérations faisant partie d’une série d’opérations principalement effectuées en vue de « conférer » un avantage fiscal.

[132]   Aussi attrayant que soit cet argument avancé par l’appelante, il n’est pas étayé par le libellé de la directive générale anti-évitement énoncée au paragraphe 245(2) ni par la définition d’opération d’évitement énoncée au paragraphe 245(3). La lecture attentive de ces dispositions révèle que la RGAÉ est axée sur les résultats et, par conséquent, il importe peu qui a produit l’avantage fiscal. Le fait que l’avantage fiscal pourrait également découler indirectement de l’opération ou de la série d’opérations indique, comme l’intimée le souligne, que « le Parlement avait l’intention de séparer l’auteur des opérations d’évitement du bénéficiaire de l’avantage fiscal en découlant : » voir le Mémoire modifié des faits et du droit de l’intimée, paragraphe 41.

[133]   À mon avis, le juge de la Cour de l’impôt avait raison de conclure que l’opération de l’appelante faisait partie d’une série d’opérations d’évitement dont l’appelante a tiré un avantage fiscal important.

L’opération constituait-elle un abus dans l’application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble?

[134]   Le juge de la Cour de l’impôt a conclu, comme il ressort de l’extrait suivant tiré de sa décision, au paragraphe 54, que cette utilisation du paragraphe 18(13) de la Loi constituait un abus (misuse) dans l’application de cette disposition :

D’après l’avocat de l’appelante, il n’y a pas d’abus dans l’application du paragraphe 18(13) dans la présente espèce, car le résultat qui selon lui a été obtenu est le résultat même que commande ce paragraphe dans les circonstances. Mais il en sera toujours ainsi lorsqu’un article de la Loi est utilisé d’une manière non voulue par le législateur pour effectuer une opération d’évitement ou une série d’opérations d’évitement. Cette application non voulue de l’article de la Loi est le mal même que vise à empêcher la DGAE. Le paragraphe 18(13) a été adopté comme disposition visant à empêcher des contribuables qui exploitent une entreprise consistant à prêter de l’argent de réaliser artificiellement des pertes sur des actifs dont la valeur marchande a baissé, en les transférant à une personne avec qui ils ont un lien de dépendance, tout en gardant le contrôle des actifs grâce au lien de dépendance existant dans leur relation avec le bénéficiaire du transfert. L’utilisation de cette disposition de manière à ce que des pertes non réalisées soient transférées d’un contribuable n’ayant aucun revenu duquel déduire ces pertes à un contribuable ayant un tel revenu est nettement un abus.

Je suis d’accord. Le paragraphe 18(13) n’était pas destiné à permettre aux sociétés d’augmenter le prix de base ajusté d’une société ou d’une société de personnes liée dans le but de vendre ses pertes à une société sans lien de dépendance.

[135]   Je partage également son avis que l’opération était un abus (abuse) dans l’application de la Loi lue dans son ensemble par laquelle les pertes de la STC ont été transformées en un produit vendable et transférées d’une société à une autre par l’artifice d’une société de personnes (la STIL II) qui n’avait jamais subi les pertes et a agi comme intermédiaire.

[136]   L’appelante s’est fondée sur deux décisions du juge en chef adjoint Bowman, de la Cour canadienne de l’impôt, pour avancer le principe selon lequel il n’y a pas d’abus dans l’application de la Loi lorsqu’un contribuable structure une opération d’une manière fiscalement efficace ou ne structure pas une opération d’une manière qui optimalise l’impôt : voir Jabs Construction Ltd. c. Canada, [1999] 3 C.T.C. 2556 (C.C.I.), au paragraphe 46; Geransky c. Canada (2001), 2001 DTC 243 (C.C.I.), au paragraphe 42.

[137]   Je ne conteste pas le principe énoncé par le juge en chef adjoint Bowman. Toutefois, ce n’est pas ce qui s’est passé en l’espèce et, pour cette raison, il est facile d’établir une distinction entre les deux arrêts invoqués par l’appelante et la présente espèce.

[138]   Dans l’affaire Jabs Construction Ltd., les propriétaires de la compagnie, M. et Mme Jabs, étaient des mécènes bien connus. La compagnie qu’ils contrôlaient détenait unintérêt de 50 p. 100 dans 13 biens. Cet intérêt devait être vendu à un associé dans une coentreprise après la dissolution de la coentreprise par suite d’un conflit acrimonieux. La compagnie avait deux options. Elle pouvait, de son propre chef, vendre les biens à l’associé ou les donner à un organisme de bienfaisance qui s’occuperait de les vendre. M. et Mme Jabs ont choisi la deuxième solution et ont fait des dons à un organisme de bienfaisance conformément au paragraphe 110.1(3) de la Loi.

[139]   La Cour de l’impôt a conclu qu’il n’y avait pas eu d’abus dans l’application du paragraphe 110.1(3) de la Loi car cet article envisage précisément la minimisation des attributs fiscaux découlant de telles donations : voir la décision au paragraphe 46. En outre, la Cour de l’impôt a également conclu qu’il était financièrement plus avantageux pour la compagnie de vendre les biens plutôt que de les faire vendre par l’organisme de bienfaisance. Toutefois, cela n’aurait pas été aussi avantageux pour l’organisme de bienfaisance si la compagnie les avait vendus elle-même : voir la décision, au paragraphe 13. Aussi, la Cour de l’impôt a-t-elle conclu qu’il n’y avait pas eu d’opérations d’évitement dans les circonstances.

[140]   La présente Cour est saisie de l’appel de la décision rendue dans l’affaire Geransky et je vais tout simplement dire ceci de manière à ne pas préjuger de l’appel. Dans cette affaire, la Cour de l’impôt a conclu que le répartiteur avait fait une évaluation et une qualification erronées de l’opération qu’il avait considérée comme une opération d’évitement ainsi qu’une évaluation erronée de l’avantage fiscal. Il y a rien de tel en l’espèce.

[141]   Pour ces motifs, je rejette l’appel avec dépens.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.