[2002] 2 C.F. 430
T-1672-00
2001 CFPI 1115
International Longshore & Warehouse Union (Section maritime), section locale 400 (demandeur)
v.
Helen Oster et Commission canadienne des droits de la personne (défenderesses)
et
Tribunal canadien des droits de la personne (intervenant)
Répertorié : International Longshore & Warehouse Union (Section maritime), section locale 400 c. Oster (1re inst.)
Section de première instance, juge Gibson—Vancouver, 18 septembre; Ottawa, 15 octobre 2001.
Droits de la personne — L’employée soutient que le syndicat a fait montre de discrimination fondée sur le sexe à son endroit, contrairement à l’art. 9 de la LCDP — Elle a tenté d’obtenir un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière par l’entremise du syndicat — Sa demande a été soumise à une société de navigation, mais elle a été refusée en raison de l’absence de lits séparés pour les femmes — Le syndicat n’a pas contesté le refus — La Commission a renvoyé la plainte devant le TCDP malgré le dépôt tardif de celle-ci — Le Tribunal a conclu que le syndicat avait une obligation tant en vertu de la loi que de la convention collective de ne pas être partie à un acte discriminatoire — La norme d’examen que la C.S.C. a établie à l’égard des décisions du TCDP n’a pas été changée par les modifications apportées à la Loi ni par les récents jugements — Le Tribunal n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que la plaignante n’avait pas les compétences requises pour être acceptée au poste en question et que la personne qui l’a été était plus qualifiée qu’elle — Les conclusions de fait que le Tribunal a tirées étaient raisonnables.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Certiorari — Le syndicat a cherché à faire annuler la décision par laquelle le Tribunal a accueilli la plainte de discrimination fondée sur le sexe d’une employée — Celle-ci voulait obtenir un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière, mais la société de navigation a rejeté la demande, parce qu’il n’y avait pas de lits séparés pour les femmes à bord du bateau — La question est de savoir si une norme discriminatoire est justifiable — La norme d’examen applicable aux décisions du Tribunal est la norme de la décision correcte en ce qui a trait aux questions de droit, la norme de la décision raisonnable simpliciter dans le cas de questions mixtes de droit et de fait et la norme de la décision manifestement déraisonnable en ce qui concerne l’appréciation des faits et les décisions dans un contexte de droits de la personne — La norme n’a pas été changée par suite des modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne ni par suite des récents jugements — Le Tribunal a appliqué le critère juridique qui convenait lorsqu’il a conclu que le syndicat avait fait montre de discrimination à l’endroit de la plaignante et n’avait pas accommodé celle-ci — Un tribunal administratif n’est pas tenu de relater dans les motifs de sa décision la totalité de la preuve dont il a été saisi — Les conclusions de fait que le Tribunal a formulées n’étaient pas erronées et n’ont pas non plus été formulées de façon abusive ou arbitraire.
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne, qui a accueilli une plainte de la défenderesse, Helen Oster, qui a soutenu que l’International Longshore & Warehouse Union, avait fait montre de discrimination fondée sur le sexe à son endroit, contrairement à l’article 9 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La défenderesse, qui avait acquis de l’expérience comme matelot de pont sur des bateaux de pêche commerciale, a commencé à s’inscrire en janvier 1992 au bureau du syndicat pour un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière. Le 8 mars 1994, elle se trouvait dans le bureau du président du syndicat alors en poste, David Crain, qui est maintenant décédé, lorsque celui-ci a téléphoné à Norsk Pacific Marine Services pour proposer la candidature de Mme Oster à un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière à bord d’un remorqueur, le Texada Crown. M. Crain a alors été informé que la défenderesse ne serait pas une candidate acceptable, parce que le remorqueur n’avait pas de lits séparés pour les femmes. M. Crain n’a apparemment pas contesté la position qu’a adoptée le représentant de la société, avec lequel il s’est entretenu. La défenderesse avait déjà déposé une plainte contre le syndicat auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en octobre 1994, mais n’a pas fait allusion dans cette plainte à l’incident qui a donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire, laquelle plainte n’a été déposée que le 20 juin 1997. La Commission a demandé au Tribunal de procéder à une investigation, malgré le long délai qui s’est écoulé depuis l’événement ayant donné lieu à ladite plainte et le décès, entre-temps, de M. Crain. Le Tribunal a statué qu’aucune preuve ne soutenait la conclusion qu’il était impossible d’accommoder la plaignante sans imposer une contrainte excessive. Il a conclu que le syndicat avait une obligation tant en vertu de la loi que de la convention collective de ne pas être partie à un acte discriminatoire et qu’il devait réagir d’une façon cohérente avec ses obligations d’accommoder la plaignante. Par conséquent, le Tribunal a accueilli la plainte et condamné le syndicat à prendre des mesures correctives à l’égard de la plaignante. Trois grandes questions ont été soulevées dans la présente demande : 1) la norme d’examen applicable aux décisions du Tribunal, 2) le dépôt tardif de la plainte et 3) la question de savoir si le Tribunal a tiré des conclusions erronées au sujet de la discrimination et de l’accommodement.
Jugement : la demande doit être rejetée.
1) Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, la Cour suprême du Canada a reconnu l’« expertise supérieure » d’un tribunal des droits de la personne en ce qui a trait à l’appréciation des faits et aux décisions dans un contexte de droits de la personne. Dans un autre arrêt récent, la Cour suprême a décrit les facteurs à prendre en compte au cours d’une analyse pragmatique et fonctionnelle visant à déterminer la norme d’examen appropriée. Compte tenu des principes énoncés dans ces arrêts, il est permis de dire que la norme relative aux décisions du Tribunal canadien des droits de la personne est la norme de la décision correcte en ce qui a trait aux questions de droit, la norme de la décision raisonnable simpliciter dans le cas des questions mixtes de droit et de fait et la norme de la décision manifestement déraisonnable en ce qui concerne l’appréciation des faits et les décisions dans un contexte de droits de la personne. La norme d’examen applicable aux questions de droit et aux questions portant sur l’appréciation des faits et sur les décisions du Tribunal dans un contexte de droits de la personne n’a pas changé par suite des modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne après l’arrêt Mossop ou par suite des récents jugements de la Cour suprême du Canada ou de la Section de première instance de la Cour fédérale au sujet de l’analyse pragmatique et fonctionnelle visant à déterminer la norme en question.
2) La Commission a décidé de « statuer » sur la plainte, même si celle-ci, selon le texte de l’alinéa 41(1)e) de la Loi, « a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée ». Les décisions par lesquelles la Commission a prorogé le délai fixé par la Loi pour le dépôt d’une plainte et a renvoyé la plainte en question au Tribunal par suite d’une enquête étaient des décisions susceptibles de révision par la Cour. Aucune demande de contrôle judiciaire n’a été présentée. Le pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission par l’alinéa 41(1)e) de la Loi est incompatible avec l’idée qu’on devrait interpréter l’article 41 comme s’il accordait le droit de ne pas faire l’objet d’une enquête dans des circonstances précises. La position que le Tribunal a adoptée pourrait donner lieu à un résultat plutôt anormal : la Cour fédérale pourrait réviser une prorogation de délai accordée par la Commission et confirmer cette prorogation et, pourtant, cette même décision de la Commission pourrait faire l’objet d’un examen par le Tribunal quant au fond si celle-ci lui soumettait la plainte. Le Parlement ne souhaitait pas ce résultat. Le Tribunal a commis une erreur en disant qu’il avait compétence pour statuer sur les objections préliminaires du syndicat, compte tenu de la norme de la décision correcte. Ayant décidé de ne pas demander devant la Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision discrétionnaire par laquelle la Commission a prorogé le délai prévu à l’alinéa 41(1)e) de la Loi, le syndicat ne pouvait tout simplement pas exercer l’autre recours qu’il a choisi, c’est-à-dire qu’il ne pouvait pas soulever devant le Tribunal les mêmes questions qu’il aurait pu soulever dans une demande de contrôle judiciaire. Même si le Tribunal a commis une erreur en exerçant sa compétence à l’égard des questions relatives au délai, sa décision à ce sujet n’était pas déterminante en l’espèce.
3) Le Tribunal a modifié le critère relatif à la discrimination en matière d’emploi et, eu égard à la norme de la décision correcte, qui est la norme à appliquer au sujet de la détermination du critère juridique, il n’a commis aucune erreur susceptible de révision en modifiant le critère de cette façon. Compte tenu de cette même norme, le Tribunal n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que la défenderesse n’avait pas les compétences requises pour être affectée et n’a pas été affectée et que la personne qui l’a été était plus qualifiée qu’elle tout en n’ayant pas la caractéristique constituant le fondement de la plainte. L’application aux faits de la présente affaire du critère juridique qui convient pour décider s’il y a eu discrimination en matière d’emploi est une question mixte de droit et de fait. Le Tribunal a également conclu que le syndicat appliquait une « norme discriminatoire », c’est-à-dire qu’il avait pour pratique de dissuader les femmes de rechercher des postes à bord de remorqueurs, où les lits étaient « un peu trop rapprochés ». Toutefois, cette conclusion n’a pas été le facteur central qui a incité le Tribunal à conclure que le syndicat avait fait montre de discrimination fondée sur le sexe à l’endroit de la défenderesse. Le Tribunal était conscient du rôle du syndicat par opposition à celui de l’employeur éventuel et de la défenderesse et il a tenu compte des obligations pertinentes de chacun d’eux. Le Tribunal a également reconnu la preuve dont il était saisi au sujet de l’intérêt ou du manque d’intérêt que la défenderesse a manifesté au cours de la période pertinente et n’a pas ignoré cette preuve au cours de son analyse concernant l’exigence professionnelle justifiée. Le Tribunal n’a pas relaté la preuve dont il était saisi au sujet des circonstances dans lesquelles deux matelots de pont-cuisiniers/cuisinières pourraient occuper en même temps la cabine qui leur aurait été attribuée. Cependant, un tribunal administratif n’est pas tenu de relater dans les motifs de sa décision la totalité de la preuve dont il a été saisi. Les conclusions de fait que le Tribunal a tirées étaient raisonnables et n’ont pas été formulées de façon abusive ou arbitraire, ni n’ont été tirées sans égard à l’ensemble de la preuve portée à son attention.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Federal Court Act, R.S.C., 1985, c. F-7, ss. 18 (as am. by S.C. 1990, c. 8, s. 4), 18.1 (as enacted idem, s. 5).
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 7, 9, 41(1) (mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 34; 1995, ch. 44, art. 49), 48.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27), 48.2 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27), 48.4(1) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27), 49(5) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 66; L.C. 1998, ch. 9, art. 27), 50(2) (mod., idem), 53(2) (mod., idem), (3) (mod., idem).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R.1; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Société canadienne des postes c. Barrette, [1999] 2 C.F. 250 (1998), 15 Admin. L.R. (3d) 134; 157 F.T.R. 278 (1re inst.).
DÉCISION NON SUIVIE :
Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Société Radio-Canada (re Vermette) (1996), 120 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.).
DÉCISION EXAMINÉE :
Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social) c. Chander (1997), 131 F.T.R. 301 (C.F. 1re inst.).
DÉCISIONS CITÉES :
Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; [1992] 6 W.W.R. 193; (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 145; 13 B.C.A.C. 245; 141 N.R. 185; Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2000] 1 C.F. 146 (1999), 180 D.L.R. (4th) 95; 176 F.T.R. 161 (1re inst.); Société Radio-Canada c. Graham (1999), 170 F.T.R. 142 (C.F. 1re inst.); Société canadienne des postes c. Commission canadienne des droits de la personne et al. (1997), 130 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.); conf. par (1999), 245 N.R. 397 (C.A.F.); Société canadienne des postes c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. n 245 (1re inst.) (QL); Brine c. Canada (Procureur général) (1999), 19 Admin. L.R. (3d) 1; 48 C.C.E.L. (2d) 121; 175 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); Prinesdomu c. Téléglobe Canada Inc. (1999), 171 F.T.R. 4 (C.F. 1re inst.); Florence Shakes c. Rex Pak Ltd. (1981), 3 C.H.R.R. D/1001; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3; (1999), 176 D.L.R. (4th) 1; [1999] 10 W.W.R. 1; 127 B.C.A.C. 161; 66 B.C.L.R. (3d) 253; 46 C.C.E.L. (2d) 206; 244 N.R. 145.
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le Tribunal canadien des droits de la personne (D.T. 4/00; [2000] D.C.D.P. n 3 (QL)) a accueilli une plainte de la défenderesse Helen Oster, qui soutenait que l’International Longshore & Warehouse Union (section maritime), section locale 400 avait fait montre de discrimination fondée sur le sexe à son endroit, contrairement à l’article 9 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Demande rejetée.
ONT COMPARU :
Leo McGrady, c.r., pour le demandeur.
Philippe Dufresne pour les défenderesses.
Gregory A. Miller pour l’intervenant.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McGrady, Baugh & Whyte, Vancouver, pour le demandeur.
Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour les défenderesses.
Tribunal canadien des droits de la personne, Ottawa, pour l’intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Gibson :
Introduction
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par l’International Longshore & Warehouse Union (section maritime), section locale 400 (le syndicat) à l’encontre d’une décision en date du 9 août 2000 du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) [D.T. 4/00; [2000] D.C.D.P. no 3 (QL)]. Dans sa décision, le Tribunal a accueilli une plainte déposée par Helen Oster (Mme Oster) le 20 juin 1997 et dans laquelle elle a soutenu que le syndicat avait fait montre de discrimination fondée sur le sexe à son endroit, contrairement à l’article 9 de la Loi canadienne sur les droits de la personne[1] (la Loi).
[2] Dans sa plainte, Mme Oster indique qu’en janvier 1992, elle a commencé à s’inscrire au bureau du syndicat pour un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière. Voici un extrait de la plainte :
Le 8 mars 1994, le président du syndicat, David Crain, a téléphoné chez Norsk Pacific pour proposer ma candidature à un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière. On l’a informé que je ne pouvais pas être une candidate à ce poste parce que le bateau en question n’avait pas de lits séparés pour les femmes. Le poste comportait des quarts de travail de six heures et, par conséquent, les membres de l’équipage ne pouvaient se trouver dans la cabine au même moment. Il n’y aurait donc pas eu de problèmes à ce que les hommes et les femmes couchent dans les mêmes lieux.
[3] Le syndicat demande une ordonnance annulant la décision du Tribunal et lui accordant ses frais et les autres réparations que la Cour juge indiquées.
Historique
[4] Sous une rubrique similaire dans les motifs de sa décision en cause, le Tribunal s’est exprimé comme suit [aux paragraphes 3 et 4] :
Dans la preuve qu’elle a déposée, la plaignante [Mme Oster] a affirmé qu’elle a d’abord tenté d’obtenir un poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière en janvier 1992 par l’intermédiaire du bureau de placement de l’intimé [du syndicat]. Elle avait acquis l’expérience de ce travail sur des bateaux de pêche commerciale. C’était un poste pour lequel elle possédait les compétences, puisqu’elle avait suivi un cours de formation au Pacific Marine Training Institute. Elle détenait également un certificat de cuisinière professionnelle en art culinaire du Vancouver Community College. Son expérience sur les bateaux a commencé en 1988 et s’est poursuivie durant trois ans. Elle s’étendait aux tâches reliées aux engins de pêche, au nettoyage et à l’entreposage du poisson ainsi qu’à la timonerie.
Au cours de la période d’environ deux ans et demi qu’a durée son association avec l’intimé, elle a obtenu approximativement soixante-quinze jours de travail, certains à titre de cuisinière et certains autres à titre de matelot de pont-cuisinière ou de matelot de deuxième classe. Durant cette période, elle n’était pas membre du syndicat, titre que l’on ne peut acquérir, selon les modalités de la convention collective, qu’après avoir été inscrite sur une liste de paie pour soixante jours de travail consécutifs. Du fait qu’elle n’était pas membre du syndicat, la plaignante devait se rendre au bureau de placement pour obtenir une affectation, ce qui constitue une reconnaissance que l’on accorde la priorité aux membres du syndicat, à ceux et celles qui ont le plus d’expérience et qui se sont pointés au bureau de placement pour le plus grand nombre de jours accumulés. Il existe une liste séparée que l’on appelle la « liste de nuit » et qui est réservée aux personnes qui ne sont pas membres du syndicat. La plaignante s’est élevée au deuxième rang de cette liste en 1994. Lorsque le bureau de placement syndical reçoit un avis téléphonique qu’il y a un poste à combler, l’on inscrit la description de ce poste sur un tableau ainsi que l’heure où il y aura appel. Pour obtenir le poste, il faut se trouver dans le bureau de placement au moment de l’appel. Les personnes qui veulent le poste lèvent leur main et le choix s’effectue conformément aux règles établies.
[5] Les événements qui sont survenus le 8 mars 1994 et qui font l’objet de la plainte de Mme Oster peuvent être résumés comme suit. Mme Oster se trouvait dans le bureau du président du syndicat alors en poste, David Crain, qui est maintenant décédé, lorsque celui-ci a téléphoné à Norsk Pacific pour proposer la candidature de Mme Oster à un poste de matelot de pont-cuisinier/ cuisinière à bord d’un remorqueur, le Texada Crown, pour une période de 14 jours consécutifs de 24 heures. M. Crain a apparemment été informé par son interlo-cuteur que Mme Oster ne serait pas une candidate acceptable, parce que le Texada Crown n’avait pas de lits séparés pour les femmes. Cela étant dit, le travail que devaient apparemment exécuter Mme Oster et une autre personne comportait des quarts de travail rotatifs de six heures chacun de sorte que, selon la plaignante, les deux membres de l’équipage ne pouvaient se trouver dans la cabine en même temps; par conséquent, le fait que les hommes et les femmes couchent dans les mêmes lieux n’aurait pas causé de problème.
[6] M. Crain n’a apparemment pas contesté la position qu’a adoptée le représentant de Norsk Pacific Marine Services, avec lequel il eu une conversation.
[7] Par suite de la conversation téléphonique, aucune discussion n’a apparemment eu lieu entre M. Crain et Mme Oster au sujet des qualités ou de l’expérience que celle-ci possédait pour occuper le poste. Elle avait déjà travaillé sur un remorqueur à titre de cuisinière au cours d’un long voyage, mais pas en tant que matelot de pont-cuisinière.
[8] Mme Oster n’est pas retournée au bureau de placement pour être témoin de l’affectation au poste sur le Texada Crown ou pour y participer parce que, a-t-elle allégué, elle estimait que ce qui s’était déroulé dans le bureau de M. Crain lui enlevait toute possibilité d’être affectée au poste.
[9] Mme Oster avait déjà déposé une plainte contre le syndicat auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 7 octobre 1994. Dans cette plainte, elle reprochait au syndicat d’avoir fait montre de discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille, contrairement aux articles 7 et 9 de la Loi, au cours de la période allant du 16 février 1994 à la date du dépôt de la plainte. Il convient de souligner que l’incident faisant l’objet de la plainte qui a donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire n’a pas été mentionné dans la plainte précédente. Sur la foi d’un rapport d’enquête daté du 5 septembre 1996, la Commission a recommandé le rejet de la première plainte. Tel qu’il est mentionné plus haut, la plainte visée par la présente demande de contrôle judiciaire a été déposée le 20 juin 1997 seulement.
[10] Par suite d’une enquête qu’elle a menée au sujet de la plainte dont il est question en l’espèce, la Commission a demandé au Tribunal, le 1er septembre 1999, de procéder à une investigation à ce sujet, malgré le long délai qui s’est écoulé depuis l’événement ayant donné lieu à ladite plainte et le décès, entre-temps, de M. Crain, qui était selon le syndicat la seule personne en mesure de témoigner au nom de celui-ci au sujet de toutes les circonstances pertinentes.
La décision en cause
[11] Dans les motifs de sa décision, le Tribunal en est arrivé à la conclusion suivante au sujet du fond de la plainte, aux paragraphes 86 à 91[2] :
Rien dans ces motifs ne devrait conduire à l’interprétation formulée par l’avocate de l’intimé. Cette cause ne consiste pas à imposer une norme en vertu de laquelle les personnes, hommes ou femmes, qui jouissent de la protection du syndicat soient forcées d’accepter de partager des lits avec des membres de l’autre sexe en guise de condition d’embauche. Elle porte plutôt sur la question de savoir si, dans les circonstances données, une norme discriminatoire est justifiable. Ce qui est également en jeu, c’est la conduite du syndicat par rapport à son obligation de défendre la plaignante [Mme Oster]. Je suis d’avis que l’intimé n’a pas présenté de preuve convaincante que la norme, comme il est convenu de l’appeler, a été adoptée pour un objectif ou un but relié directement à l’activité exécutée ni adoptée de bonne foi avec la conviction qu’elle était nécessaire pour l’atteinte de l’objectif ou du but. De plus, aucune preuve ne soutient la conclusion qu’il était impossible d’accommoder la plaignante sans imposer une contrainte excessive. Il n’y a pas de preuve que le fait de permettre à une femme de participer à un autre quart de travail en adoptant des mesures d’accommodement brime les droits des autres employés. L’intimé n’a même pas fait un effort significatif pour contester la proposition soumise à M. Crain par M. Robertson [le représentant de Norsk Pacific avec qui M. Crain a parlé le jour en question] au sujet de l’inaptitude de la plaignante à combler le poste affiché.
L’intimé allègue, dans sa tentative de se dégager de la responsabilité de ce qui s’est passé le 8 mars dans le bureau de M. Crain, qu’il n’y avait aucune obligation de répliquer à la position adoptée par M. Robertson au nom de Norsk, parce qu’aucune femme n’aurait pu être affectée ce jour-là. La plaignante n’a pas cherché à obtenir le poste et n’avait pas les compétences nécessaires. Selon ce qui a été dit, l’intimé compose avec les problèmes de cette nature à mesure qu’ils se présentent ainsi que dans la démarche de négociation qui conduit à une convention collective. Le manquement à affecter la plaignante dans ces circonstances n’était donc pas de la discrimination et n’a pas entaché la répartition. Il n’y avait pas obligation de s’opposer à ce que M. Robertson avait dit et, comme l’a exprimé l’avocate de l’intimé, l’intimé n’a pas la responsabilité d’être le chien de garde des droits de la personne pour l’employeur.
Je ne suis pas d’accord. L’intimé avait une obligation tant en vertu de la loi que de la convention collective de ne pas être partie à un acte discriminatoire. Il avait l’obligation de réagir d’une façon cohérente avec ses obligations d’accommoder la plaignante. Sans doute cela aurait-il pu se faire de plusieurs façons. Premièrement, en n’acceptant pas la teneur de la discussion entre M. Crain et M. Robertson de telle manière que cela paraisse la sanctionner. M. Crain aurait pu s’objecter à la proposition qui lui était présentée et la contester en annonçant son intention de faire en sorte que la plaignante puisse poser sa candidature en suivant la procédure du bureau de placement. Cela aurait pu laisser la possibilité d’appliquer la procédure prévue dans la convention collective, […] même si Mme Oster ne devait pas être choisie ultimement. Cela n’a pas été fait.
Je reporte encore une fois à la preuve présentée par le président du syndicat, M. Engler, qui a déclaré que dans l’éventualité où Mme Oster porterait plainte, le syndicat aurait pu téléphoner chez Norsk pour informer la société des conséquences possibles d’un refus d’accorder un emploi à cette femme. Plutôt que d’agir ainsi, le syndicat a acccepté la raison inadmissible pour refuser l’affectation. Je suis également amené à en arriver à cette conclusion par le fait que le syndicat a apparemment fait peu de cas [d’un article] de la convention collective qui interdit la discrimination fondée sur le sexe à l’égard de toute personne (de la façon dont je le comprends). [L’article en question], plutôt ironiquement, n’a aucun lien avec [un autre article] qui établit que la constitution de l’équipage d’un remorqueur doit être au minimum de « deux (2) hommes ».
Dans l’arrêt Renaud, le juge Sopinka a déclaré que l’atteinte ou l’inconvénient minimes sont le prix à payer « pour la liberté de religion dans une société multiculturelle ». Il est possible de paraphraser ce sentiment dans le contexte de cette cause en disant qu’une telle atteinte ou qu’un tel inconvénient sont le prix à payer pour accorder l’égalité des droits aux femmes. Cela est le cas plus particulièrement parce que l’accommodement était possible pour l’intimé d’une manière relativement simple et directe.
L’intimé ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve en ne fournissant pas une justification raisonnable de la norme. [Les renvois aux clauses précises de la convention collective et au nom d’un représentant du syndicat ont été omis.]
[12] L’arrêt Renaud mentionné dans la citation qui précède est l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud[3].
[13] Finalement, le Tribunal a accueilli la plainte et condamné le syndicat à prendre des mesures correctives à l’égard de la plaignante.
Questions en litige
[14] Voici les questions en litige que le syndicat a formulées dans son mémoire des faits et du droit où il s’agissait de savoir si :
[traduction]
a) le Tribunal a appliqué un critère juridique erroné pour décider si le syndicat avait été lésé par le délai lié au dépôt de la plainte de Mme Oster;
b) le Tribunal a commis une erreur en concluant que le syndicat devrait être privé de la possibilité d’invoquer le délai prescrit à l’alinéa 11e) [sic] de la Loi;
c) le Tribunal a commis une erreur en omettant de décider si la plainte de Mme Oster constituait une procédure abusive;
d) le Tribunal a commis une erreur en concluant que le syndicat avait fait montre de discrimination à l’endroit de Mme Oster;
e) le Tribunal a appliqué un critère juridique erroné au sujet de la discrimination en matière d’emploi;
f) le Tribunal a appliqué un critère juridique erroné en concluant que le syndicat avait omis d’accommoder Mme Oster;
g) le Tribunal a omis de tenir compte des obligations de Mme Oster lorsqu’il a conclu que le syndicat n’a pas accommodé celle-ci;
h) le Tribunal a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées qu’il a tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. Les conclusions de fait en question sont les suivantes :
(i) les deux matelots de pont ne se trouveraient pas dans la cabine en même temps;
(ii) les événements qui sont survenus dans le bureau du président du syndicat le 8 mars 1994 ont dissuadé Mme Oster de participer à la procédure d’affectation.
Analyse
1) Questions préliminaires
a) Norme d’examen
[15] Dans une ordonnance en date du 1er août 2001, la Cour a autorisé le Tribunal à intervenir en l’espèce [traduction] « sur la seule question de la norme d’examen applicable ». Conformément à cette ordonnance, le Tribunal a déposé un dossier de demande volumineux ainsi que des arrêts et ouvrages selon lesquels la norme d’examen que la Cour suprême du Canada avait établie dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop[4] au sujet des conclusions qu’il a tirées en application de la Loi a été touchée considérablement par les modifications apportées à la Loi[5] ainsi que par des jugements plus récents de la Cour suprême du Canada et de la Section de première instance de la Cour fédérale. À cet égard, l’avocat a cité l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[6] ainsi que la décision que la Section de première instance a rendue dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada[7] où, selon l’avocat, « l’analyse fonctionnelle et pragmatique » servant à déterminer la norme d’examen applicable a été étayée et formalisée.
[16] Dans l’arrêt Mossop, le juge en chef Lamer s’est exprimé comme suit aux pages 584 et 585 :
En plus de la retenue habituelle dont elles font preuve à l’égard des questions de fait, les cours de justice sont également disposées à user de retenue si le tribunal administratif a une expertise relative. Toutefois, la position d’un tribunal des droits de la personne n’est pas analogue à celle d’un conseil des relations du travail (ou d’un organisme similaire hautement spécialisé) à l’endroit duquel, même en l’absence d’une clause privative, les cours de justice feront preuve d’une grande retenue relativement à des questions de droit relevant de l’expertise de ces organismes en raison du rôle et des fonctions qui leur sont conférés par leur loi constitutive. La Commission canadienne des droits de la personne remplit certainement de nombreuses fonctions utiles qui visent à sensibiliser, à informer et à conseiller le gouvernement, le public et les cours de justice dans le domaine des droits de la personne […] La Commission a également une procédure de dépôt, d’enquête et de règlement volontaire des plaintes en matière de droits de la personne. Toutefois, je tiens à préciser que la Commission, dans l’exécution de ces rôles, ne rend pas de décisions qui ont force obligatoire. Ce pouvoir appartient seulement au tribunal des droits de la personne dans son rôle décisionnel en vertu de la partie III de la Loi. D’ailleurs, le tribunal n’est pas, simplement en raison de ces autres fonctions de la Commission, à l’abri du contrôle habituel lorsqu’il rend des décisions. Ces tribunaux sont des organismes constitués au besoin pour régler un différend particulier. À ce point de vue, leur situation est semblable à celle d’un arbitre en relations du travail. Toutefois, un tribunal des droits de la personne ne me paraît pas commander le même niveau de retenue qu’un arbitre. En effet, ce dernier oeuvre, en vertu d’une loi, dans un domaine fort restreint, et il est choisi par les parties pour arbitrer un différend entre elles en vertu d’une convention collective qu’elles ont volontairement signée. En outre, la compétence d’un conseil d’arbitrage en vertu de la loi s’étend à la question de savoir si une question est arbitrable. Ce qui est tout à fait différent de la situation d’un tribunal des droits de la personne, dont la décision est imposée aux parties et qui a une incidence directe sur l’ensemble de la société relativement à ses valeurs fondamentales. L’expertise supérieure d’un tribunal des droits de la personne porte sur l’appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne. Cette expertise ne s’étend pas aux questions générales de droit comme celle qui est soulevée en l’espèce. Ces questions relèvent de la compétence des cours de justice et font appel à des concepts d’interprétation des lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever de la compétence des cours de justice. Ces dernières ne peuvent renoncer à ce rôle en faveur du tribunal administratif. Elles doivent donc examiner les décisions du tribunal sur des questions de ce genre du point de vue de leur justesse et non en fonction de leur caractère raisonnable. [Citations omises; non souligné à l’original.]
[17] En ce qui a trait aux modifications législatives apportées à la Loi depuis l’arrêt Mossop, l’avocat m’a mentionné les dispositions suivantes :
- le paragraphe 48.1(1) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27] de la Loi qui, contrairement aux dispositions antérieures de la Loi qui ne restreignaient nullement le nombre de membres, énonce désormais que le nombre maximal de membres du Tribunal s’établit à 15, y compris un président et un vice-président;
- le paragraphe (2) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27] de cette disposition, qui est sans précédent et qui exige que les membres aient de l’expérience et des compétences dans le domaine des droits de la personne, qu’ils soient sensibilisés et qu’ils aient un intérêt marqué pour ce domaine;
- le paragraphe (3) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27] de cette disposition, qui est nouveau lui aussi et qui prévoit que le président et le vice-président doivent être membres en règle du barreau d’une province ou de la Chambre des notaires du Québec depuis au moins 10 ans et qu’au moins deux autres membres du Tribunal doivent l’être;
- le paragraphe 48.2(1) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27] de la Loi, qui prévoit que le président et le vice-président sont nommés à titre inamovible pour un mandat maximal de sept ans et que les autres membres le sont également pour un mandat maximal de cinq ans, sous réserve, quant au président, de la révocation motivée que prononce le gouverneur en conseil et, quant aux autres membres, des mesures correctives ou disciplinaires prévues dans la Loi;
- le paragraphe (3) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27] de cette disposition, qui prévoit la possibilité pour les membres de recevoir un nouveau mandat;
- le paragraphe 48.4(1) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27] de la Loi, qui prévoit que le président et le vice-président sont nommés à temps plein et que les autres membres peuvent être nommés à temps plein ou à temps partiel;
- le paragraphe 49(5) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 66; L.C. 1998, ch. 9, art. 27] de la Loi, qui prévoit que des membres spécialisés doivent faire partie de la formation du Tribunal dans les cas où la plainte met en cause la compatibilité d’une disposition d’une autre loi fédérale ou de ses règlements d’application avec la Loi ou avec les règlements d’application de celle-ci;
- le paragraphe 50(2) [mod., idem], qui accorde de larges pouvoirs au Tribunal au cours d’une audition et lui permet de trancher les questions de droit et de fait;
- les paragraphes 53(2) [mod., idem] et (3) [mod., idem] de la Loi, qui décrivent un large éventail de réparations que le Tribunal peut accorder en vertu de son pouvoir discrétionnaire.
[18] En revanche, le paragraphe 48.1(6) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 65; L.C. 1998, ch. 9, art. 27] prévoit qu’un nombre illimité de vacataires peuvent être nommés au Tribunal pour un mandat maximal de trois ans lorsque le gouverneur en conseil estime que la charge de travail de l’organisme le justifie, mais n’exige pas que ces vacataires possèdent des compétences spéciales.
[19] Je ne suis tout simplement pas convaincu que les modifications apportées à la Loi depuis l’arrêt Mossop justifient en soi un écart par rapport à la norme d’examen que la Cour suprême du Canada a énoncée dans ce jugement. Dans l’extrait précité des motifs du jugement du juge en chef dans l’arrêt Mossop, « l’expertise supérieure » d’un tribunal des droits de la personne en ce qui a trait à l’appréciation des faits et aux décisions dans un contexte de droits de la personne a été reconnue. Selon ce jugement, cette « expertise » ne s’étend pas aux « questions générales de droit » faisant appel à des « concepts d’interprétation des lois et à un raisonnement juridique général ». Je ne vois aucun élément des récentes modifications apportées à la Loi qui m’inciterait à conclure que le Tribunal et ses membres sont désormais plus compétents que les membres de la magistrature pour exercer cette dernière fonction.
[20] Je souligne que, dans l’extrait précité de l’arrêt Mossop, il n’est nullement question de la norme d’examen relative aux questions mixtes de droit et de fait.
[21] Dans l’arrêt Pushpanathan[8], la Cour suprême du Canada a décrit les facteurs à prendre en compte au cours d’une analyse pragmatique et fonctionnelle visant à déterminer la norme d’examen appropriée : d’abord, des indications explicites de l’intention du législateur au sujet de la norme d’examen, notamment des clauses privatives; en deuxième lieu, l’expertise relative du Tribunal au sujet de la question dont il est saisi; en troisième lieu, l’objet de la loi dans son ensemble ainsi que de la disposition en cause et, enfin, la « nature du problème », c’est-à-dire s’il s’agit d’une question de droit, de fait, ou d’une question mixte de droit et de fait.
[22] En me fondant sur les principes que la Cour suprême du Canada a énoncés dans l’arrêt Pushpanathan et, plus récemment, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[9], je suis convaincu que la norme d’examen relative aux décisions du Tribunal en l’espèce est la norme de la décision correcte en ce qui a trait aux questions de droit, la norme de la décision raisonnable simpliciter dans le cas des questions mixtes de droit et de fait et la norme de la décision manifestement déraisonnable en ce qui concerne « l’appréciation des faits et les décisions dans un contexte de droits de la personne ». Compte tenu des faits mis en preuve en l’espèce, j’estime que la norme d’examen applicable aux questions de droit et aux questions portant sur l’appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne n’a pas été modifiée par les récents jugements de la Cour suprême du Canada ou de la Section de première instance de la Cour fédérale au sujet de l’analyse pragmatique et fonctionnelle visant à déterminer la norme en question.
[23] L’avocat du syndicat et celui de la Commission ont tous deux soutenu devant moi que la question de la norme d’examen ne se pose pas en soi dans la présente demande de contrôle judiciaire. Tous deux ont fait valoir que, quelle que soit la norme d’examen applicable, cette norme est respectée. La distinction entre les positions de chacun des avocats réside bien entendu dans le résultat. Selon l’avocat du syndicat, quelle que soit la norme applicable, la présente demande devrait être accueillie alors que l’avocat de la Commission demande tout aussi énergiquement le résultat opposé.
[24] Mme Oster n’a pas comparu dans la présente demande, que ce soit personnellement ou par l’entremise d’un avocat, et n’a déposé aucun document. Par conséquent, elle n’a pris aucune position sur la question de la norme d’examen ou sur les autres questions dont la Cour est saisie.
b) Dépôt tardif de la plainte
[25] Voici le texte du préambule du paragraphe 41(1) [mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 34; 1995, ch. 44, art. 49] de la Loi ainsi que de l’alinéa e) de cette disposition :
41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :
[…]
e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.
[26] Même si la plainte, selon le texte de l’alinéa 41(1)e) de la Loi, « a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée », la Commission a décidé de « statuer » sur cette plainte. Dans une lettre en date du 12 février 1999[10], la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles elle avait décidé d’examiner la plainte malgré l’expiration du délai normal. Voici les explications qu’elle a données :
[traduction] Conformément à l’alinéa 41e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a décidé de statuer sur la plainte pour les raisons suivantes :
la plaignante a communiqué avec la Commission dans les délais, mais n’a déposé une plainte que contre l’employeur;
au cours de l’enquête, il est devenu évident qu’il était nécessaire de demander à la plaignante si elle désirait déposer une plainte contre le syndicat;
la plaignante a informé la Commission qu’elle désirait le faire, mais plus d’un an s’était alors écoulé depuis l’acte discriminatoire reproché;
le défendeur n’a pas prouvé que le retard lié à la signature de la plainte a nui à sa capacité de préparer une défense pour contester les allégations.
[27] À mon avis, les décisions par lesquelles la Commission a prorogé le délai fixé par la Loi pour le dépôt d’une plainte et a renvoyé la plainte en question au Tribunal par suite d’une enquête étaient des décisions susceptibles de révision par la Cour fédérale. Aucune demande de contrôle judiciaire n’a été présentée. Néanmoins, même si la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal, le syndicat a présenté à celui-ci une requête préliminaire portant rejet de la plainte pour les quatre motifs suivants : dépôt hors délai de la plainte; écoulement d’un délai déraisonnable qui a causé préjudice au syndicat; abus de procédure et irrecevabilité de la plainte en raison de la règle de la chose jugée. La décision relative à la requête préliminaire a été reportée à la fin de l’audition complète de la plainte. Cependant, dans des motifs préliminaires au sujet de la requête portant rejet, le Tribunal s’est exprimé comme suit[11] :
L’intimé [syndicat] soulève de sérieuses questions de préjudice qui exigent de bien connaître le contexte factuel.
[28] Dans les motifs de sa décision finale au sujet de la plainte, le Tribunal a examiné le fond de l’objection préliminaire du syndicat; auparavant, il a cependant examiné sa compétence dans les circonstances. Voici comment il s’est exprimé aux paragraphes 94 à 98 de ses motifs[12] :
Il semble clair qu’un tribunal des droits de la personne n’a pas la compétence de revoir par voie judiciaire une décision de la Commission d’exercer sa discrétion en vertu de l’alinéa 41e) de la Loi (Commission canadienne des droits de la personne c. Société Radio-Canada et al. (1996), 120 F.T.R. 81 (Vermette)). Ceci étant dit, la véritable question est de savoir si l’alinéa 41e) bien compris confère à l’intimé le bénéfice de la période de prescription qu’il prévoit. Dans l’arrêt Vermette, le juge Muldoon a été d’avis, en confirmant la décision du Tribunal canadien des droits de la personne, qu’un intimé ne jouit pas du bénéfice de l’alinéa 41e) dans sa défense relative à une plainte. La distinction a été faite entre, d’une part, les pouvoirs accordés à la Commission en vertu de l’alinéa 41e), qui sont un pouvoir préliminaire en matière de procédure de déroger à la période de prescription de base qui est d’un an et de l’étendre à ce « que la Commission estime indiqué dans les circonstances » et, d’autre part, les pouvoirs du tribunal prévus par la loi, à l’alinéa 50(2)a), d’accorder une possibilité pleine et entière de comparaître. À cet égard, le juge Muldoon émet le commentaire qui suit :
« Pourquoi devrait-il s’agir là de la manière dont la Cour doit interpréter l’alinéa 41e) ? Parce que le législateur a adopté le délai d’un an comme un droit de fond dont bénéficient les personnes contre qui une plainte est déposée, mais la Commission ne statue pas sur les plaintes en examinant les droits absolus de chacun. Toutefois, les tribunaux déterminent effectivement des droits de fond en procédant à des examens complets en vertu des pouvoirs prévus à l’article 50, et en concluant si une plainte est fondée, ou non, à l’encontre des intimés, en vertu de l’article 53.
Un examen équitable et complet est un processus dans le cadre duquel les personnes visées par une plainte bénéficient chacune de la possibilité d’opposer une défense pleine et entière aux arguments de la partie plaignante. À l’évidence, dans une défense pleine et entière, le fait d’être privé du bénéfice du délai d’un an peut être invoqué. » (paragraphes 28, 29 - page 97).
L’arrêt Société canadienne des postes c. Barrette (1998), 43 C.H.R.R. D/353 (C.F. 1re inst.), semble aborder différemment l’alinéa 41e). Cette cause comportait une requête en révision judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne d’enquêter relativement à des plaintes de discrimination portées contre Barrette. L’intimé a soulevé les questions du délai pour déposer la plainte et la préclusion en raison des griefs rejetés antérieurement. En réponse à l’argument de l’intimé selon lequel les exceptions à l’obligation de la Commission de traiter une plainte en vertu de l’article 41 devraient être considérées comme ayant été adoptées pour le bénéfice des employeurs et d’autres contre qui des plaintes sont déposées et que la Cour devrait faire preuve de vigilance pour assurer que la Commission n’érode pas ces droits prévus par la loi, le juge Evans a déclaré qu’il ne pouvait pas l’accepter comme une façon pertinente d’interpréter l’article 41. À la page D/360, paragraphe 30, il écrivait :
« D’abord, comme je l’ai mentionné, la rédaction de cette disposition est telle que de nombreuses questions sont laissées à la discrétion de la Commission : cette faculté est incompatible avec l’idée qu’on devrait interpréter cette disposition comme si elle accordait le droit de ne pas faire l’objet d’une enquête dans des circonstances précises. La Commission peut quand même instruire la plainte si elle le veut…
De plus, comme ce texte législatif a pour objet de réduire les inégalités, d’où sa qualification de texte quasi constitutionnel, une cour de justice devrait hésiter à conclure que la Commission a commis une erreur en interprétant trop étroitement les exceptions à l’obligation que lui impose la loi d’instruire les plaintes de discrimination. Par contre, il est discutable qu’un examen judiciaire attentif soit justifié lorsque la Commission décide de ne pas examiner une plainte, puisqu’il s’agit normalement d’une décision définitive. » (Paragraphe 31)
Le 20 avril 2000, la Cour d’appel fédérale a accordé un appel de l’arrêt Barrette et a annulé la décision du juge de première instance. Il n’y a pas de référence particulière aux questions du retard de la plainte et de la préclusion comme en a discuté le juge Evans. L’approche générale de la Cour d’appel va cependant davantage dans le sens de la pensée du juge Muldoon.
La réconciliation de ces deux points de vue se trouve peut-être dans le raisonnement de l’arrêt Vermette. Dans ce cas, le tribunal a été saisi de la plainte et est venu à une conclusion après une audience en bonne et due forme dans le cours de laquelle il y a eu adjudication sur la question du retard, alors que dans l’arrêt Barrette, il s’agissait d’une requête en révision judiciaire traitant directement de la compétence de la Commission telle que décrite à l’article 41.
Dans la présente délibération, c’est donc le principe exprimé dans l’arrêt Vermette qui me guide, principe retenu tant par le tribunal que par la Cour fédérale et selon lequel une cour peut décider, en se fondant sur la preuve qui lui est présentée, si l’intimé a été privé du bénéfice que le législateur lui a accordé relativement à la période de prescription prévue à l’article 41 de la Loi. Une telle preuve peut ne pas faire partie des éléments à considérer par la Commission lorsqu’elle prend sa décision de donner suite à la plainte.
[29] Malgré tout le respect que j’ai pour le membre du Tribunal qui a écrit ces lignes, j’en arrive à une conclusion différente et je préfère la position que le juge Evans a adoptée dans l’arrêt Barrette [Société canadienne des postes c. Barrette, [1999] 2 C.F. 250 (1re inst.), au paragraphe 30], selon laquelle le pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission [au paravant] par l’alinéa 41e) de la Loi « est incompatible avec l’idée qu’on devrait interpréter cette disposition comme si elle accordait le droit de ne pas faire l’objet d’une enquête dans des circonstances précises ». Apparemment, certains de mes collègues appuient également le raisonnement du juge Evans[13]. Si j’ai raison de dire que le pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission par l’alinéa 41(1)e) de la Loi de proroger le délai d’un an relatif au dépôt d’une plainte est susceptible de révision par la Cour fédérale en vertu des articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], et les décisions susmentionnées sembleraient appuyer mon opinion sur ce point, qui ne m’apparaît nullement contredite à première vue par la Loi canadienne sur les droits de la personne ou par la Loi sur la Cour fédérale, la position que le juge Muldoon a privilégiée dans l’arrêt Vermette [Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Société Radio-Canada (re Vermette) (1996), 120 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.)] et que le Tribunal a adoptée en l’espèce pourrait à mon avis donner lieu à un résultat plutôt anormal : la Cour fédérale pourrait réviser une prorogation de délai accordée par la Commission et confirmer cette prorogation et, pourtant, cette même décision de la Commission pourrait faire l’objet d’un examen par le Tribunal quant au fond si celle-ci lui soumettait la plainte. En l’absence de dispositions législatives indiquant clairement que le Parlement souhaitait ce résultat, j’en arrive à la conclusion que telle n’était pas son intention.
[30] Par conséquent, je suis d’avis que le Tribunal a commis une erreur en disant qu’il avait compétence pour statuer sur les objections préliminaires du syndicat, compte tenu de la norme de la décision correcte. Ayant décidé de ne pas demander devant la Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision discrétionnaire par laquelle la Commission a prorogé le délai prévu à l’alinéa 41(1)e) de la Loi, le syndicat ne pouvait tout simplement pas exercer l’autre recours qu’il a choisi, c’est-à-dire qu’il ne pouvait pas soulever devant le Tribunal les mêmes questions qu’il aurait pu soulever dans une demande de contrôle judiciaire.
[31] Les commentaires qui précèdent ont pour effet de trancher les trois premières questions en litige précitées que le syndicat a relevées. Chacune de ces questions découle directement de la décision par laquelle la Commission a prorogé le délai d’un an prévu à l’alinéa 41(1)e) de la Loi. Au même moment, je suis convaincu que l’exercice de la compétence du Tribunal au sujet des trois questions n’a eu aucune incidence sur la décision finale qu’il a rendue, étant donné qu’il a tranché chacune des trois questions en faveur de Mme Oster. En définitive, en se prononçant comme il l’a fait au sujet des trois questions en litige, le Tribunal en est arrivé au même résultat que s’il avait refusé d’exercer sa compétence et d’examiner ces questions, comme il aurait dû le faire à mon sens. En résumé, même si le Tribunal a commis une erreur en exerçant sa compétence au sujet des questions relatives au délai, sa décision à ce sujet n’est tout simplement pas au coeur du litige dans la présente demande de contrôle judiciaire et n’est donc pas déterminante en l’espèce.
[32] J’en arrive maintenant aux autres questions en litige mentionnées plus haut dans les présents motifs.
(2) Autres questions en litige
a) La question de savoir si le Tribunal a commis une erreur en concluant que le syndicat avait fait montre de discrimination à l’endroit de Mme Oster ou s’il a appliqué un critère juridique erroné au sujet de la discrimination en matière d’emploi.
[33] Dans l’arrêt Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social) c. Chander.[14], le juge Muldoon cite le critère énoncé dans Florence Shakes c. Rex Pak Ltd.[15] pour établir une preuve prima facie de discrimination dans des circonstances où une personne autre que le plaignant, en l’occurrence, Mme Oster, a été engagée. Il souligne que, selon l’arrêt Shakes [au paragraphe 35], le critère comprend les trois conditions suivantes :
a) le plaignant avait les compétences requises pour l’emploi;
b) le plaignant n’a pas été engagé; et
c) une personne qui n’était pas mieux qualifiée mais qui ne possédait pas la caractéristique dont il est question dans le principal chef d’accusation de la plainte déposée en matière des droits de la personne a obtenu le poste.
Le Tribunal a conclu que Mme Oster n’avait pas les compétences requises pour occuper le poste en litige à bord du Texada Crown. Il a également conclu que la personne que le syndicat a affectée au poste en question avait les compétences requises. Cette personne, qui était un homme, n’avait pas la caractéristique dont il est question dans le principal chef d’accusation de la plainte déposée en matière des droits de la personne.
[34] L’avocat du syndicat a soutenu qu’en adoptant le critère susmentionné au sujet de la discrimination en matière d’emploi, le Tribunal a commis une erreur de fait, puisque le syndicat n’embauchait pas lui-même les employés, mais agissait plutôt en qualité de bureau de placement et procédait aux affectations à différents emplois. Selon l’avocat, le critère aurait dû être modifié et remplacé par les conditions suivantes :
a) la plaignante avait les compétences requises pour être affectée au poste;
b) la plaignante n’a pas été affectée au poste;
c) la personne qui a subséquemment été affectée n’était pas plus qualifiée que la plaignante, mais ne possédait pas la caractéristique sur laquelle était fondée la plainte en matière des droits de la personne.
[35] Après avoir examiné l’ensemble de la décision du Tribunal, je suis convaincu que celui-ci a modifié le critère en ce sens et que, eu égard à la norme de la décision correcte, qui est selon moi la norme à appliquer à ce sujet, il n’a commis aucune erreur susceptible de révision en modifiant le critère de cette façon.
[36] Je suis également convaincu, compte tenu de cette même norme, que le Tribunal n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que la plaignante n’avait pas les compétences requises pour être affectée et n’a pas été affectée et que la personne qui l’a été était plus qualifiée qu’elle tout en n’ayant pas la caractéristique constituant le fondement de la plainte de Mme Oster. J’en arrive à cette dernière conclusion sur la base de la norme de la décision raisonnable simpliciter qui, comme je l’ai indiqué plus haut dans les présents motifs, me semble être la norme applicable dans le cas des questions mixtes de fait et de droit. À mon sens, l’application aux faits de la présente affaire du critère juridique qui convient pour décider s’il y a eu discrimination en matière d’emploi est une question mixte de droit et de fait. Si j’ai tort sur ce point et que la question est une question de fait pure et simple, il s’ensuivra qu’à plus forte raison, la décision que le Tribunal a rendue en était une qu’il pouvait rendre, compte tenu de la norme de la décision manifestement déraisonnable, soit la norme servant à décider s’il est possible de réviser les conclusions de fait du Tribunal dans un contexte de droits de la personne.
[37] L’avocat du syndicat a également soutenu que le Tribunal avait commis une erreur susceptible de révision en concluant que le syndicat appliquait une « norme discriminatoire », c’est-à-dire qu’il avait pour pratique de dissuader les femmes de rechercher des postes à bord de remorqueurs ou de navires équivalents, où les lits étaient « un peu trop rapprochés ». Il est indubitable que le Tribunal en est arrivé à cette conclusion. Cela étant dit, je suis convaincu que cette conclusion n’a pas été le facteur central qui l’a incité à conclure que le syndicat avait fait montre de discrimination fondée sur le sexe à l’endroit de Mme Oster, quel que soit le critère pertinent à cet égard.
b) La question de savoir si le Tribunal a appliqué un critère juridique erroné pour conclure que le syndicat n’avait pas accommodé Mme Oster et s’il a omis de tenir compte des obligations de celle-ci pour en arriver à cette décision.
[38] Au paragraphe 53 de ses motifs[16], le Tribunal s’est exprimé comme suit :
Le tout commence avec Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (B.C.G.S.E.U.), [1999] 3 R.C.S. 3 (arrêt Meiorin), arrêt dans lequel la Cour suprême du Canada a redéfini le droit au sujet de l’exigence professionnelle justifiée et a énoncé une méthode en trois étapes pour déterminer si la norme établie par un employeur est une exigence professionnelle justifiée. 1) Le but doit être rationnellement lié à l’exécution du travail en cause; 2) l’employeur doit établir qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail; et 3) l’employeur doit établir que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail.
Le Tribunal a conclu que la vie privée ne constituait pas un facteur important pour l’efficacité opérationnelle dans le cas du Texada Crown.
[39] Selon l’avocat du syndicat, lorsqu’il a conclu que la vie privée n’était pas un facteur important pour l’efficacité opérationnelle dans le cas du Texada Crown, le Tribunal a indiqué qu’il considérait le syndicat comme un employeur et qu’il accordait son attention principalement aux préoccupations d’un employeur plutôt qu’à celles des membres du syndicat. L’avocat a ajouté que, dans la présente affaire, l’application du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin [Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3] ne serait efficace que si le critère était perçu avec les yeux du syndicat plutôt qu’avec ceux d’un employeur, que Mme Oster avait l’obligation de trouver un accommodement ou de faciliter la recherche à cette fin et que l’omission de celle-ci à cet égard n’avait tout simplement pas été prise en compte. De plus, l’avocat a fait valoir que le Tribunal a commis une erreur en omettant de tenir compte du manque d’effort raisonnable non seulement de la part de Mme Oster, mais également de l’employeur éventuel, quant à la recherche d’un accommodement. Sur ces deux points, le Tribunal aurait commis, selon l’avocat, une erreur susceptible de révision, quelle que soit la norme d’examen jugée applicable.
[40] Encore là, j’estime que ces arguments du syndicat ne peuvent être retenus, compte tenu de la norme de la décision correcte à appliquer au sujet du critère pertinent quant à l’exigence professionnelle justifiée et compte tenu de la norme de la décision raisonnable simpliciter en ce qui a trait à l’application des faits de la présente affaire à ce critère juridique.
[41] Examinés dans leur ensemble, les motifs du Tribunal indiquent que celui-ci a été conscient, tout au long de son analyse, du rôle du syndicat par opposition à celui de l’employeur éventuel et de Mme Oster et qu’il a tenu compte des obligations pertinentes de chacun d’eux. La Commission avait précédemment rejeté une plainte antérieure déposée contre l’employeur éventuel au sujet des mêmes faits en litige et le Tribunal était conscient de cette réalité. Le Tribunal a également reconnu la preuve dont il était saisi au sujet de l’intérêt ou du manque d’intérêt que Mme Oster a manifesté au cours de la période pertinente et je suis convaincu que le Tribunal n’a pas ignoré cette preuve au cours de son analyse concernant l’exigence professionnelle justifiée.
c) Conclusions de fait erronées
[42] Enfin, l’avocat du syndicat a fait valoir que le Tribunal a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées qu’il a tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. Ces conclusions étaient les suivantes : Mme Oster et l’autre matelot de pont-cuisinier/cuisinière ne se trouveraient pas en même temps dans la cabine qui leur aurait été attribuée à bord du Texada Crown et les événements survenus dans le bureau de M. Crain le 8 mars 1994 ont dissuadé Mme Oster de participer à la procédure d’affectation.
[43] De l’avis de l’avocat, le Tribunal a été saisi d’éléments de preuve indiquant que, dans certaines circonstances, Mme Oster et l’autre matelot de pont-cuisinier/cuisinière pourraient se trouver en même temps dans la cabine qui leur aurait été attribuée. Ainsi, cette situation pourrait se produire en cas de travail supplémentaire à faire ou lors d’une escale. De plus, selon l’avocat, il n’y avait aucun élément de preuve indiquant que Mme Oster a eu l’intention de demander une affectation à bord du Texada Crown, qu’elle ait été ou non dissuadée de participer à la procédure s’y rapportant par les événements survenus dans le bureau de M. Crain le 8 mars 1994.
[44] À ce sujet, le Tribunal a formulé les remarques suivantes [aux paragraphes 42 à 44][17] :
Bien que l’on ne connaîtra jamais entièrement pourquoi la plaignante [Mme Oster] a été convoquée dans le bureau de M. Crain, il est possible de glaner ce qui s’est passé dans ce bureau, comme je l’ai dit, à partir de la preuve. M. Crain était le président de l’intimé et, bien que ce n’était pas sa responsabilité de gérer les affaires quotidiennes du bureau de placement, ce qui est le travail du répartiteur ou de la répartitrice, il avait sans aucun doute un pouvoir et une responsabilité de supervision générale. À mon avis, la conversation qu’il a eue avec M. Robertson, de chez Norsk, avait trait clairement au poste de matelot de pont-cuisinier/cuisinière affiché pour le Texada Crown. À la fin de cette conversation, personne n’aurait pu arriver à une autre conclusion que celle où l’on allait décourager la plaignante de proposer sa candidature parce que les lits ne lui convenaient pas parce qu’elle était une femme. Cela a été la raison et la seule raison mentionnée à ce moment. Dans la mesure où l’on peut discerner une norme ou un objectif de ce qui s’est passé durant l’incident du 8 mars, il faut partir de là pour établir si la norme ou le but est discriminatoire.
Je ne constate aucune preuve d’une norme fondamentale visant un objectif de longue portée; plutôt, l’on peut mieux décrire le tout comme une pratique qui décourage les femmes de poser leur candidature à des postes sur des remorqueurs où les lits sont « un peu trop rapprochés », comme M. Robertson l’a dit. La preuve présentée par l’intimé était qu’il n’y avait jamais eu de demande pour le partage des lits. Cette « norme » était présente dans les détails de cette affaire, quoique les hommes et les femmes n’auraient pas eu à se trouver dans les mêmes lieux en même temps en raison de leurs quarts de travail respectifs de six heures, qui étaient en alternance.
Ce qui s’est passé dans le bureau de M. Crain, à mon avis, constitue une preuve prima facie de pratique discriminatoire fondée sur le sexe en contravention de l’alinéa 9(1)c) de la Loi. L’intimé a agi d’une manière qui a privé la plaignante d’une possibilité d’emploi en s’appuyant sur un fondement discriminatoire qui est interdit. Il n’y a aucune question, à mon avis, que la démarche entière prévue par la procédure de répartition n’a pas été épuisée jusqu’à une conclusion formelle. Ce qui est survenu a découragé la plaignante de participer plus avant à la démarche relativement à cette affectation particulière.
[45] La situation qui précède indique clairement que le Tribunal n’a pas relaté la preuve dont il était saisi au sujet des circonstances dans lesquelles les deux matelots de pont/cuisiniers-cuisinières pourraient occuper en même temps la cabine qui leur aurait été attribuée. De plus, il est également évident que la conclusion du Tribunal selon laquelle Mme Oster aurait été dissuadée de demander une affectation à bord du Texada Crown par les événements survenus dans le bureau de M. Crain n’était pas fondée sur des éléments de preuve directs en ce sens, mais plutôt sur une interprétation de ce qui s’est passé et sur les répercussions probables des événements en question dans le cas de Mme Oster, qui a comparu devant le Tribunal en qualité de témoin et au sujet de laquelle celui-ci était donc en mesure de tirer une conclusion de cette nature.
[46] Il est bien reconnu en droit qu’un tribunal administratif n’est pas tenu de relater dans les motifs de sa décision la totalité de la preuve dont il a été saisi. Encore là, compte tenu de l’ensemble des motifs du Tribunal, je suis convaincu que les conclusions de fait qu’il a tirées étaient raisonnables, notamment les deux conclusions de fait en litige en l’espèce, eu égard à la norme de la décision manifestement déraisonnable qui, à mon avis, est la norme à appliquer au sujet des conclusions de fait de cette nature tirées par un tribunal canadien des droits de la personne. À mon avis, les conclusions de fait que le Tribunal a tirées et qui sont contestées n’étaient ni des conclusions de fait erronées qui auraient été formulées de façon abusive ou arbitraire, ni des conclusions de fait tirées sans égard à l’ensemble de la preuve portée à l’attention du Tribunal.
Conclusion
[47] Compte tenu de l’analyse qui précède, je ne vois aucune raison de modifier la décision du Tribunal sous examen en l’espèce. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
Dépens
[48] Comme je l’ai mentionné plus haut dans les présents motifs, Mme Oster n’a pas comparu devant la Cour dans la présente demande de contrôle judiciaire, que ce soit en personne ou par l’entremise d’un avocat. Ni le syndicat non plus que la Commission n’ont demandé à la Cour d’ordonner que Mme Oster ou le Tribunal leur paie des dépens. Le Tribunal n’a pas demandé de dépens, mais il a soutenu qu’il ne devrait pas être condamné à en payer. Par ailleurs, les avocats du syndicat et de la Commission ont convenu devant moi que les dépens devraient suivre l’issue de la cause.
[49] La Commission a le droit d’obtenir le paiement de ses dépens par le syndicat. À tous autres égards, aucune ordonnance ne sera rendue au sujet des dépens.
[1] L.R.C. (1985), ch. H-6.
[2] Dossier du demandeur, onglet 3, p. 27 à 29.
[3] [1992] 2 R.C.S. 970.
[4] [1993] 1 R.C.S. 554.
[5] L.C. 1998, ch. 9.
[6] [1998] 1 R.C.S. 982.
[7] [2000] 1 C.F. 146 (1re inst.).
[8] Supra, note 6, par. 29 à 38.
[9] [1999] 2 R.C.S. 817.
[10] Dossier du demandeur, onglet 4, p. 53 et 54.
[11] Dossier du demandeur, onglet 2, p. 10.
[12] Dossier du demandeur, onglet 3, p. 30 à 32.
[13] Voir Société Radio Canada c. Graham (1999), 170 F.T.R. 142 (C.F. 1re inst.), juge Pinard; Société canadienne des postes c. Commission canadienne des droits de la personne et al. (1997), 130 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.); conf. par (1999), 245 N.R. 397 (C.A.F.), juge Rothstein, alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale; Société canadienne des postes c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 245 (1re inst.) (QL), juge Tremblay-Lamer; Brine c. Canada (Procureur général) (1999), 175 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), juge Lemieux; et Prinesdomu c. Téléglobe Canada Inc. (1999), 171 F.T.R. 4 (C.F. 1re inst.), juge Nadon.
[14] (1997), 131 F.T.R. 301 (C.F. 1re inst.).
[15] (1981), 3 C.H.R.R. D/1001.
[16] Dossier du demandeur, onglet 3, p. 19.
[17] Dossier du demandeur, onglet 3, p. 15 et 16.