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A-154-13

2014 CAF 85

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)

c.

Nanakmeet Kaur Kandola représentée par son tuteur légal, Malkiat Singh Kandola (intimée)

Répertorié : Kandola c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Noël, Mainville et Webb, J.C.A.—Vancouver, 11 février; Ottawa, 31 mars 2014.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — Appel d’une décision de la Cour fédérale qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimée (Nanakmeet Kaur Kandola) à l’encontre de la décision d’un agent de citoyenneté de rejeter la demande de certificat de citoyenneté canadienne conformément à l’art. 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté — L’agent de citoyenneté a déterminé que le père canadien de l’intimée (tuteur légal) ne pouvait pas transmettre la citoyenneté acquise par filiation conformément à l’art. 3(1)b) de la Loi puisque l’intimée avait été conçue à l’aide d’une technique de procréation assistée et qu'elle n’avait aucun lien génétique avec son père canadien ou avec sa mère née à l’étranger — L’intimée est née en Inde; à sa naissance, le tuteur légal était marié à la mère naturelle de l’intimée — Tous deux sont respectivement inscrits en tant que père et mère sur l’acte de naissance de l’Inde de l’intimée — L’intimée a été conçue par fécondation in vitro — Le tuteur légal de l’intimée a fait une demande de certificat de citoyenneté à deux reprises sans succès pour le compte de l’intimée conformément à l’art. 3(1)b) — Lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a conclu, entre autres, que l’agent de citoyenneté avait commis une erreur de droit en exigeant un lien génétique et en refusant de considérer les parents par légitimation en tant que parents aux fins de l’art. 3(1)b) — La Cour fédérale a également conclu que l’acte de naissance de l’Inde de l’intimée fournissait suffisamment de preuves qu’une relation enfant/parent existait sous le régime du droit indien; elle a rejeté l’interprétation étroite du mot « parent » — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’art. 3(1)b), plus particulièrement, en statuant qu’aucun lien génétique n’était requis pour transmettre la citoyenneté acquise par filiation — Le juge Noël, J.C.A. (le juge Webb, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : Il n’était pas loisible à la Cour fédérale de statuer que la citoyenneté est accordée à l’intimée au motif qu’elle était l’enfant légitimée du tuteur légal — En l’espèce, la conclusion qu’un lien génétique entre l’intimée et le tuteur légal était requis était inévitable — Par conséquent, l’art. 3(1)b) de la Loi exige un lien génétique entre l’intimée et le tuteur légal; puisque ce lien n’existe pas, la citoyenneté acquise par filiation n’a pas été transmise en l’espèce — Appel accueilli — Le juge Mainville, J.C.A. (dissident) : Le terme « parent » à l’art. 3(1)b) de la Loi est utilisé au sens juridique, et non au sens biologique ou génétique — Par conséquent, l’art. 3(1)b) s’appliquait à l’intimée en l’espèce; il conférait la citoyenneté canadienne acquise par filiation.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimée (Nanakmeet Kaur Kandola) déposée en son nom par son tuteur légal à l’encontre de la décision d’un agent de citoyenneté de rejeter sa demande de certificat de citoyenneté canadienne conformément à l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté. L’agent de citoyenneté a déterminé que le père canadien de l’intimée ne pouvait transmettre la citoyenneté acquise par filiation conformément à l’alinéa 3(1)b) de la Loi, étant donné que l'intimée a été conçue à l’aide d’une technique de procréation assistée et qu’elle n’avait aucun lien génétique avec son père canadien ou avec sa mère née à l’étranger.

L’intimée est née en Inde et, au moment de sa naissance, son tuteur légal était un citoyen canadien tandis que sa mère était sur le point de devenir une résidente permanente. Son tuteur légal et sa mère naturelle étaient mariés lorsqu’elle est née et les deux sont respectivement inscrits en tant que père et mère sur l’acte de naissance de l’Inde de l’intimée. L’intimée a été conçue par fécondation in vitro. Le tuteur légal de l’intimée a fait à deux reprises sans succès des demandes de certificat de citoyenneté au nom de l’intimée en vertu de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, mais dans les deux cas, les demandes de l’intimée ont été refusées au motif qu’il n’existait pas de lien entre elle et son père canadien. Le présent appel découlait de la deuxième demande de citoyenneté de l’intimée en vertu de laquelle des observations ont été faites en ce qui a trait au droit indien, plus particulièrement, du fait qu’un enfant né au cours du mariage de sa mère naturelle est présumé être l’enfant légitime du mari de la mère. La seconde demande a été refusée en raison de la preuve par ADN qui établissait que l’intimée n’était pas génétiquement liée à son père canadien, plus précisément son tuteur légal.

La Cour fédérale a conclu, entre autres, que l’agent de citoyenneté avait commis une erreur en exigeant un lien génétique, refusant ainsi de considérer les parents par légitimation comme des parents aux fins de l’alinéa 3(1)b) de la Loi. Elle était également d’avis que l’acte de naissance de l’Inde de l’intimée fournissait suffisamment de preuves qu’il existait une relation enfant/parent sous le régime du droit indien. Enfin, la Cour fédérale a également rejeté l’interprétation étroite du terme anglais « parent » selon la jurisprudence et le régime de la Loi.

L’appelant a fait valoir, en particulier, que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en élargissant l’interprétation du terme « parent » à la version anglaise de l’alinéa 3(1)b) de la Loi pour inclure les parents d’un enfant légitimé avec qui il n’existe pas de lien génétique et en concluant que l’intimée était une enfant « légitimée » au sens de l’article 2 de la Loi malgré que sa mère naturelle et son tuteur légal étaient déjà mariés au moment de sa naissance.

Il s’agissait de savoir principalement si la Cour fédérale a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’alinéa 3(1)b) de la Loi, plus particulièrement en statuant qu’aucun lien génétique n’était requis en vertu de cette disposition pour transmettre la citoyenneté acquise par filiation.

Arrêt (le juge Mainville, J.C.A., dissident) : l’appel doit être accueilli.

Le juge Noël, J.C.A. (le juge Webb, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : L’alinéa 3(1)b) de la Loi a été adopté en 1977 et permettait à un enfant né à l’extérieur du Canada après le 14 février 1977 d’être automatiquement reconnu comme un citoyen canadien s'il était né d’un parent canadien, quel que soit l’état matrimonial du parent au moment de la naissance. Cette disposition rendait le critère de la « légitimité » d’un enfant non pertinent aux fins de la citoyenneté acquise par filiation en vertu de l’alinéa 3(1)b). D’autres modifications ont été ultérieurement apportées à la Loi, qui ont simplifié le traitement des enfants nés d’un parent canadien ou adoptés par celui-ci. La Cour fédérale a statué que l’intimée était l’« enfant légitimée » de sa mère et de son père conformément à son acte de naissance et que, par conséquent, elle était visée par la définition d’« enfant » au sens de l’article 2 de la Loi. La Cour fédérale a estimé que, puisque l’intimée était l’enfant de ses parents en vertu de cette définition, le mot « parent » à la version anglaise de l’alinéa 3(1)b) devait être interprété comme les incluant. La Cour fédérale a d’abord déduit que l’acte de naissance établissait de manière satisfaisante l’existence d’une relation enfant/parent et, ensuite, que cette relation fournissait suffisamment de preuves que l’intimée était l’enfant légitimée de sa mère gestatrice et de son tuteur légal en vertu du droit indien. Toutefois, la deuxième conclusion de la Cour fédérale ne pouvait être maintenue puisque seul un enfant qui est illégitime à la naissance peut être considéré comme pouvant être ensuite « légitimé ». La notion de « légitimation » n’est pas pertinente aux fins de l’application de l’alinéa 3(1)b) étant donné que la citoyenneté acquise par filiation est obtenue sans égard aux questions de légitimité. Il n’était donc pas loisible à la Cour fédérale de statuer que la citoyenneté est accordée à l’intimée au motif qu’elle était l’enfant légitimée de son tuteur légal.

L’argument de l’appelant selon lequel la version française de l’alinéa 3(1)b) de la Loi est claire et sans équivoque (« née d’un père ou d’une mère ») et doit être préférée au mot « parent » de la version anglaise, qui est ambigu, a été accepté. Les mots « née d’un père ou d’une mère » présupposent que le père ou la mère a contribué aux gènes de l’enfant; qu’une adoption ne peut être envisagée lorsque l’enfant est née d’un père ou d’une mère, ce qui explique pourquoi les mots « other than a parent who adopted him » figurant dans la version anglaise ont été omis dans la version française de l’alinéa 3(1)b). Dans la présente cause, la conclusion selon laquelle il devait y avoir un lien génétique entre la demanderesse et son tuteur légal était inévitable. La version française a été adoptée au cours de la révision de la Loi en 1985. La révision avait essentiellement pour but de supprimer la référence aux parents adoptifs et d’ajouter les mots « née d’un/née d’une » avant les mots « père » et « mère ». Tout en étant plus précis, ces mots n’ont rien ajouté à la version française antérieure ni n’ont modifié son sens. De plus, l’exclusion relative à l’adoption dans la version française antérieure était redondante puisque, par définition, les mots « père » et « mère » excluent les parents adoptifs. La version française révisée ne s’écarte pas de la version antérieure et ne fait que la rendre plus lisible d’un point de vue stylistique, faisant ainsi ressortir plus clairement l’intention du législateur. Donner aux mots « père » et « mère » dans la version française antérieure un sens qui exige un lien génétique/gestationnel était compatible avec l’objet de l’alinéa 3(1)b) qui est de conférer la citoyenneté acquise par filiation — une citoyenneté engendrée par application de la loi — lorsqu’un enfant est né à l’extérieur du Canada d’un père ou d’une mère canadien. Puisque la citoyenneté conférée en vertu de l’alinéa 3(1)b) se cristallise au moment de la naissance, les seuls événements qui peuvent avoir des répercussions sur cet octroi sont ceux qui précèdent le moment de la naissance. En outre, on a tenu compte du caractère automatique de l’octroi selon lequel la citoyenneté acquise par filiation conformément à l’alinéa 3(1)b) fonctionne de la même manière que l’attribution automatique de la citoyenneté à un enfant au motif qu’il est né en sol canadien.

Si l’on tient compte de la façon dont l’alinéa 3(1)b) fonctionne, le seul type de lien qui peut conférer la citoyenneté acquise par filiation est le lien génétique/gestationnel. Le tuteur légal de l’intimée n’ayant aucun lien génétique avec celle-ci, il ne pouvait pas lui avoir transmis sa citoyenneté à la naissance.

Selon le bulletin opérationnel relatif à la nationalité des enfants issus des techniques de procréation assistée (TPA), une approche différente est utilisée dans l’évaluation de l’admissibilité à la citoyenneté des enfants nés à l’aide de ces techniques. Ces lignes directrices laissent entendre que, en plus de l’existence d’un lien génétique, il doit y avoir une relation parent/enfant avant que la citoyenneté acquise par filiation puisse être transmise. Toutefois, ce bulletin prévoit clairement qu’en l’absence d’un lien génétique, la citoyenneté acquise par filiation ne peut pas être transmise même dans les cas où il existe une relation juridique parent/enfant, comme c’est le cas en l’espèce. Bien que le bulletin prévoie des conditions différentes et plus contraignantes pour l’octroi de la citoyenneté acquise par filiation aux enfants issus d'une TPA, il n’a aucun fondement juridique. En raison de la nouveauté de la présente cause, plusieurs questions importantes d’intérêt public se sont posées également.

Par conséquent, l’alinéa 3(1)b) exige un lien génétique entre l’intimée et son tuteur légal, et puisque ce lien n’existe pas, la citoyenneté acquise par filiation n’a pas été transmise.

Le juge Mainville, J.C.A. (dissident) : En ce qui concerne l’interprétation de l’alinéa 3(1)b), le terme « parent » est utilisé dans son sens juridique plutôt que dans son sens biologique ou génétique. Les mots qui y sont utilisés sont tous précis et sans ambiguïté, et ces mots, en l’espèce, constituent en soi la meilleure indication que l’intention du législateur était de renvoyer à la notion juridique de « parent ». Ainsi, bien qu’une relation juridique enfant/parent puisse fort bien découler d’un lien biologique ou génétique, elle s’étend également à d’autres situations qui ne sont pas nécessairement fondées exclusivement sur la biologie. Ce point de vue, fondé sur une analyse textuelle, a également été confirmé par une analyse contextuelle et téléologique. En conclusion, en vertu des principes généraux de la common law et du droit civil, l’intimée était réputée être l’enfant de son père canadien. Par conséquent, l’alinéa 3(1)b) de la Loi s’appliquait à l’intimée de façon à lui transmettre la citoyenneté canadienne acquise par filiation.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15(1).

Code civil du Bas-Canada, art. 218, 219, 223.

Indian Evidence Act, 1872, Act No. 1 of 1872, art. 112.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (adoption), L.C. 2007, ch. 24.

Loi portant réforme du droit de l’enfance, S.O. 1977, ch. 41, art. 1, 8.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 2 “enfant”, 3(1)b), 5.1.

Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108, art. 3(1)b), 5(2).

Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15, art. 5.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 17.

Loi sur la révision et la codification des textes législatifs, L.R.C. (1985), ch. S-20, art. 30, 31.

Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 40, art. 3, 4.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] R.C.S. 559; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

décisions examinées :

Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 40, [2013] 4 R.C.F. 155; Keith c. Service correctionnel du Canada, 2012 CAF 117; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23; Takeda Canada Inc. c. Canada (Santé), 2013 CAF 13, [2014] 3 R.C.F. 70, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2013] 2 R.C.S. xiii; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 303 (C.A.); H. v. Minister for Immigration and Citizenship, [2010] FCAFA 119 (Aust.).

décisions citées :

Valois-d’Orleans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1009; Azziz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 663; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mudalige Don, 2014 CAF 4; Yu c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 42; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 614, [2009] 1 R.C.F. 204; Jabour c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 98, [2013] 3 R.C.F. 640; Kinsel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1515, [2014] 2 R.C.F. 421; Rabin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1094; Tobar Toledo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 226, [2015] 1 R.C.F. 215; Prescient Foundation c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 120; Bartlett c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 230; Sheldon Inwentash and Lynn Factor Charitable Foundation c. Canada, 2012 CAF 136; Northern Ontario Compassion Club c. Canada (Procureur général), 2013 CF 700; Hernandez Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324, [2014] 2 R.C.F. 224, autorisation de pourvoi à la C.S.C. accordée [2013] 2 R.C.S. viii; Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; Goodswimmer c. Canada (Procureur général), [1995] 2 C.F. 389 (C.A.); Beothuk Data Systems Ltd., Seawatch Division c. Dean, [1998] 1 C.F. 433 (C.A.); Felipa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 89, [2011] 1 R.C.F. 365, inf. pour d’autres motifs 2011 CAF 272, [2012] 1 R.C.F. 3; Sarvanis c. Canada, 2002 CSC 28, [2002] 1 R.C.S. 921; Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 S.C.R. 433; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Pratten v. British Columbia (Attorney General), 2012 BCCA 480, 357 D.L.R. (4th) 660, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2013] 2 R.C.S. xii; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 1 R.C.S. 606; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439; R. c. Sharpe, 2011 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45.

DOCTRINE CITÉE

Campbell, Angela. « Conceiving Parents Through Law » (2007), 21 Int’l Jl Pol’y & Fam. 242.

Citoyenneté et Immigration Canada. Bulletin opérationnel 381, « Évaluation de la filiation aux fins d’attribution de la citoyenneté dans les cas ou interviennent des techniques de procréation assistée, y compris la maternité de substitution », 8 mars 2012, en ligne : ˂http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/2012/bo381.asp˃

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal : Thémis, 1999.

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 4e éd. Montréal : Thémis, 2009.

de Villers, Marie-Éva. Multidictionnaire de la langue française, 4e éd. Québec Amérique, 2003.

Grand Robert de la langue française : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris : Dictionnaires Le Robert, 1996.

Knoppers, Bartha Maria. « The “Legitimization” of Artificial Insemination: Promise or Problem? ». (1978), 1 Fam. L. Rev. 108.

Mykitiuk, Roxanne. « Beyond Conception : Legal Determinations of Filiation in the Context of Assisted Reproductive Technologies ». (2001), 39 Osgoode Hall L.J. 771.

Petit Larousse illustré. Paris : Larousse, 1999.

Petit Robert de la langue française, 2006. Paris : Le Robert, 2006, « mère », « père ».

« Presumption of Legitimacy of a Child Born in Wedlock » (1919), 33 Harv. L. Rev. 306.

Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Toronto: Lexis Nexis, 2008.

APPEL à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2013 CF 336, [2014] 3 R.C.F. 355) qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimée déposée en son nom par son tuteur légal à l’encontre de la décision d’un agent de citoyenneté de rejeter sa demande de certificat de citoyenneté canadienne conformément à l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté. Demande accueillie, le juge Mainville, J.C.A., étant dissident.

ONT COMPARU

Cheryl D. Mitchell et Kimberly Sutcliffe pour l’appelant.

Charles E. D. Groos pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Charles E. D. Groos, Surrey (Colombie-Britannique) pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Noël, J.C.A. : La Cour est saisie de l’appel d’une décision rendue par le juge Blanchard de la Cour fédérale [2013 CF 336, [2014] 3 R.C.F. 355] (le juge de la Cour fédérale [ou les motifs]), qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Nanakmeet Kaur Kandola (l’intimée), déposée en son nom par son tuteur légal, Malkiat Singh Kandola (M. Kandola ou le tuteur légal); la demande de contrôle judiciaire visait la décision par laquelle un agent de citoyenneté du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (l’appelant ou le ministre) avait refusé la demande de certificat de citoyenneté canadienne présentée par l’intimée, en vertu de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C‑29 (la Loi).

[2]        Le litige porte sur la question de savoir si le père canadien d’un enfant conçu à l’aide d’une technique de procréation assistée — l’enfant n’ayant aucun lien génétique avec lui ou avec sa mère naturelle étrangère — transmet la citoyenneté par filiation en vertu de l’alinéa 3(1)b) de la Loi.

[3]        L’agent de citoyenneté a répondu à cette question par la négative et le juge de la Cour fédérale a tiré la conclusion opposée. Par les motifs énoncés ci‑dessous, je suis d’avis que l’appel doit être accueilli et la décision de l’agent de citoyenneté, rétablie.

DISPOSITIONS LÉGALES

[4]        Voici les dispositions légales qui sont pertinentes dans le cadre de l’analyse :

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C‑29

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

Définitions

« certificat de citoyenneté » Le certificat de citoyenneté délivré en vertu de la présente loi ou accordé en vertu de l’ancienne loi.

[…]

« certificat de citoyenneté » “certificate of citizenship

« enfant » Tout enfant, y compris l’enfant adopté ou légitimé conformément au droit du lieu de l’adoption ou de la légitimation.

[…]

« enfant » “child

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

a) née au Canada après le 14 février 1977;

b) née à l’étranger après le 14 février 1977 d’un père ou d’une mère ayant qualité de citoyen au moment de la naissance;

[…]

Citoyens

5.1 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

b) elle a créé un véritable lien affectif parent‑enfant entre l’adoptant et l’adopté;

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

Cas de personnes adoptées — mineurs

[5]        Il est également utile, à des fins de comparaison, de citer l’alinéa 3(1)b) de la Loi ainsi qu’il était rédigé avant l’entrée en vigueur de la version citée ci‑dessus (Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974‑75‑76, ch. 108 (la Loi de 1977)) :

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, est citoyen toute personne

[…]

b) qui est née hors du Canada après l’entrée en vigueur de la présente loi et dont, au moment de sa naissance, le père ou la mère, mais non un parent adoptif, était citoyen canadien;

Citoyens

LES FAITS

[6]        L’intimée est née en Inde le 3 juin 2009 (dossier d’appel, page 114; motifs, au paragraphe 3). À sa naissance, son tuteur légal et sa mère naturelle (Mme Kandola) étaient mariés (dossier d’appel, page 115). Sur le certificat de naissance indien de l’intimée (dossier d’appel, pages 133 et 257), ils sont désignés à titre de père et de mère de l’enfant. À la naissance de l’intimée, M. Kandola était citoyen canadien, tandis que Mme Kandola avait amorcé une démarche en vue d’obtenir la résidence permanente par la voie du parrainage (motifs, aux paragraphes 3 et 4).

[7]        L’intimée a été conçue au moyen de la fécondation in vitro. Des embryons créés à partir du sperme et d’ovules de deux donneurs anonymes ont été implantés dans le ventre de sa mère naturelle (motifs, au paragraphe 3). M. et Mme Kandola ont eu recours à cette technique parce qu’ils étaient stériles et incapables, chacun de leur côté, d’effectuer une contribution génétique (dossier d’appel, pages 116 à 132). Au lieu d’adopter, ils ont choisi une grossesse par procréation assistée. C’est ainsi que nous avons la situation inhabituelle où l’intimée a été portée par Mme Kandola en vue de lui donner naissance et de l’élever comme l’enfant du couple, sans que l’enfant n’ait de lien génétique avec l’un ou l’autre des parents.

[8]        Dans le cadre des démarches relatives à la demande de parrainage de Mme Kandola, l’appelant a été mis au courant de cette situation (dossier d’appel, pages 51 à 64; motifs, au paragraphe 4). Un test d’ADN a été effectué à la demande des autorités canadiennes de l’immigration et les résultats ont confirmé que l’intimée n’avait aucun lien génétique avec son tuteur légal et sa mère naturelle (dossier d’appel, pages 197 et 198).

[9]        Parallèlement à la demande de parrainage de son épouse, M. Kandola a présenté deux demandes de certificat de citoyenneté pour le compte de l’intimée aux termes de l’alinéa 3(1)b) de la Loi; elles ont été refusées. Dans les deux cas, M. Kandola a coché la case « Père naturel » plutôt que « Père adoptif », la seule autre option que lui proposait le formulaire de citoyenneté pour qualifier sa relation avec l’intimée (dossier d’appel, pages 189 et 244). Toutefois, dans les deux cas, les demandes de l’intimée ont été rejetées au motif qu’elle n’avait aucun lien génétique avec son parent canadien (dossier d’appel, pages 166, 167, 177 et 178).

[10]      Le présent appel découle de la deuxième demande de citoyenneté présentée par M. Kandola le 30 septembre 2011 (dossier d’appel, pages 101 à 109). À l’appui de dette deuxième demande, l’intimée et son avocat ont présenté des observations concernant le droit indien, plus précisément l’article 112 de la Indian Evidence Act, 1872 [Act No. 1 of 1872], qui dispose que l’enfant né durant le mariage de sa mère naturelle est présumé être l’enfant légitime de l’époux de la mère (dossier d’appel, pages 96 à 99).

[11]      Le 25 avril 2012, cette deuxième demande a été refusée sur la base de la preuve ADN attestant que l’intimée n’avait pas de lien génétique avec son parent canadien, soit M. Kandola (dossier d’appel, pages 29 et 30). L’agent de citoyenneté a fourni les explications suivantes :

[traduction] Pour établir la citoyenneté par la naissance d’un enfant né à l’étranger d’un père ou d’une mère de citoyenneté canadienne (citoyenneté acquise par filiation), le droit canadien se fonde sur la preuve d’un lien de sang (ou lien génétique) entre le père ou la mère et l’enfant, lequel peut être prouvé par une analyse de l’ADN. Ce principe du jus sanguinis (le droit du sang) a de profondes racines historiques tant au Canada qu’à l’étranger, et il ressort clairement de l’historique législatif de la [Loi] que l’intention du législateur a toujours été que l’expression « père ou [...] mère » renvoie aux père ou mère génétiques pour la citoyenneté acquise par filiation.

[12]      L’intimée a demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’agent de citoyenneté et la Cour fédérale a accueilli cette demande. En l’espèce, le ministre interjette appel de la décision de la Cour fédérale.

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[13]      Appliquant la norme de la décision correcte, le juge de la Cour fédérale a conclu que l’agent de citoyenneté avait commis une erreur lorsqu’il « a exigé un tel lien génétique, et qu’il a donc refusé de considérer les père ou mère par légitimation comme les père ou mère pour l’application de l’alinéa 3(1)b) de la Loi » (motifs, aux paragraphes 21 et 43).

[14]      Dès le départ, le juge de la Cour fédérale s’est dit d’avis que le certificat de naissance indien de l’intimée, qui désigne son tuteur légal et sa mère naturelle comme étant ses parents, constitue une preuve suffisante de l’existence d’une relation parent‑enfant sous le régime du droit indien, que l’appelant ne conteste pas (motifs, au paragraphe 33). Sur la base de cette preuve, le juge de la Cour fédérale a conclu que « [l’intimée] est l’enfant légitimée de sa mère naturelle et de son tuteur légal canadien sous le régime du droit indien » (motifs, au paragraphe 33).

[15]      Le juge de la Cour fédérale a rejeté l’interprétation étroite de l’expression « père ou [...] mère » (ci‑après « père ou mère ») en se fondant sur la jurisprudence et l’esprit de la Loi. D’après le juge de la Cour fédérale, la présente espèce doit être distinguée des affaires Valois‑d’Orleans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1009, au paragraphe 16; et Azziz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 663 (Azziz), au paragraphe 73, dans lesquelles la notion de « père ou mère » semble être restreinte à une personne ayant des liens du sang avec son enfant; contrairement à l’espèce, il était question dans ces affaires de manœuvres frauduleuses et non d’une situation de légitimation par un État étranger (motifs, aux paragraphes 26 et 27).

[16]      De plus, le juge de la Cour fédérale a rejeté la thèse de l’appelant selon laquelle le législateur avait l’intention de restreindre les mots « père ou mère » aux parents génétiques, comme l’atteste le fait que les enfants adoptés sont expressément exclus dans la version anglaise de l’alinéa 3(1)b) de la Loi (motifs, au paragraphe 31). En effet, « [v]u que le législateur crée une exception uniquement pour les père ou mère adoptifs à cet alinéa, il est possible d’inférer que tout autre type de père ou mère (génétique ou légitimé) suffit à satisfaire aux exigences de l’alinéa 3(1)b) » (motifs, au paragraphe 39).

[17]      Le juge de la Cour fédérale a ensuite examiné la définition du mot « enfant » à l’article 2 de la Loi (motifs, au paragraphe 36). Étant donné que la définition d’« enfant » englobe à la fois les enfants adoptés et légitimés, et qu’il doit y avoir une corrélation entre les notions d’enfant et de parent, le juge de la Cour fédérale a conclu que le parent d’un enfant légitimé doit être reconnu à titre de « père ou mère » aux fins de l’alinéa 3(1)b) de la Loi (motifs, aux paragraphes 37 et 38).

[18]      Selon le juge de la Cour fédérale, les mots « père ou mère » à l’alinéa 3(1)b) « inclu[ent] les père ou mère reconnus légalement d’un enfant légitimé en conformité avec les lois de l’endroit où la légitimation a eu lieu : en l’espèce, il s’agit de l’Inde » (motifs, au paragraphe 41). Vu que l’un des parents de l’intimée, son tuteur légal, était citoyen canadien à la naissance de l’intimée, au termes de l’alinéa 3(1)b) de la Loi, il n’y avait pas de motif de refuser sa demande de citoyenneté sur la base de l’absence de lien génétique (motifs, au paragraphe 42).

POSITION DU MINISTRE

[19]      Le ministre soulève trois principaux motifs d’appel.

[20]      Premièrement, en ce qui concerne la norme de contrôle, le ministre soutient que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en examinant la décision de l’agent de citoyenneté suivant la norme de la décision correcte (mémoire de l’appelant, aux paragraphes 5 et 30). Se fondant sur l’enseignement d’un arrêt rendu par la Cour suprême, Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira), le ministre soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’interprétation par un agent de sa loi constitutive, comme c’est le cas en l’espèce (mémoire de l’appelant, aux paragraphes 33 à 36).

[21]      Deuxièmement, le ministre soutient que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en élargissant la portée des mots « père ou mère » à l’alinéa 3(1)b) de la Loi de manière à inclure le père ou la mère d’un enfant légitimé avec qui le parent n’a aucun lien génétique (mémoire de l’appelant, aux paragraphes 6 et 31). La thèse fondamentale du ministre est que [traduction] « les mots « père ou mère » [à l’alinéa 3(1)b) de la Loi] visent la personne qui a engendré ou porté un enfant et qui a un lien génétique avec l’enfant » (mémoire de l’appelant, au paragraphe 52) (non souligné dans l’original).

[22]      À l’appui de cette thèse, le ministre soutient que la formulation sans ambiguïté de la version française de l’alinéa 3(1)b) de la Loi — qui confirme que le père ou la mère doit avoir contribué au bagage génétique de son enfant — doit prévaloir en vertu de la règle de la signification commune. En effet, alors que le mot anglais « parent » donne lien à une certaine ambiguïté, la formulation française « née […] d’un père ou d’une mère » met clairement en évidence l’exigence d’un lien génétique (mémoire de l’appelant, au paragraphe 56). Cette thèse est étayée par le fait que le législateur n’a pas cru nécessaire d’exclure les enfants adoptés dans la version française de l’alinéa 3(1)b), parce que la formulation a déjà pour effet de viser uniquement la personne qui a engendré ou porté un enfant (mémoire de l’appelant, au paragraphe 57).

[23]      De plus, il ressort de l’évolution législative et de l’historique de la Loi que la parentalité fondée sur un lien génétique demeure une caractéristique essentielle du processus d’acquisition de la citoyenneté par filiation prévu à l’alinéa 3(1)b). Bien que le législateur se soit montré disposé à ouvrir de nouvelles voies par lesquelles un enfant peut acquérir la citoyenneté — par exemple, en faisant en sorte que l’état matrimonial des parents n’ait aucune importance aux fins de l’application de l’alinéa 3(1)b) et en minimisant les distinctions entre les enfants adoptés nés à l’étranger et les enfants nés à l’étranger ayant un lien génétique avec un citoyen canadien — le législateur a toujours cherché à préserver la nature génétique de la notion du jus sanguinis (mémoire de l’appelant, aux paragraphes 58 à 76). Le ministre ajoute que le législateur a, dans d’autres domaines du droit, mis en œuvre des mesures législatives en réponse aux techniques de reproduction et que l’omission de procéder de la même manière dans le domaine de la citoyenneté reflète l’intention claire de laisser tel quel le régime actuel (mémoire de l’appelant, au paragraphe 77).

[24]      Sont conformes à cette thèse les lignes directrices ministérielles (Bulletin opérationnel 381 [« Évaluation de la filiation aux fins d’attribution de la citoyenneté dans les cas où interviennent des techniques de procréation assistée, y compris la maternité de substitution », le 8 mars 2012]) et la jurisprudence canadienne, qui ont réitéré que les mots « père ou mère » à l’alinéa 3(1)b) visent la personne ayant un lien génétique avec son enfant (mémoire de l’appelant, aux paragraphes 82 à 89). De plus, la règle du sens original favorise une interprétation stricte des mots « père ou mère »; les techniques de procréation assistée n’en étaient qu’à leurs débuts au moment de l’entrée en vigueur de la Loi et, par conséquent, le législateur ne pouvait pas en avoir tenu compte (mémoire de l’appelant, au paragraphe 90). Une interprétation dynamique de l’expression « père ou mère » est inappropriée en l’espèce, car elle amènerait la Cour à empiéter indûment sur le rôle du législateur pour ce qui est de délimiter l’application de la citoyenneté acquise par filiation (mémoire de l’appelant, aux paragraphes 92 à 94).

[25]      Troisièmement, le ministre allègue que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que l’intimée était une enfant « légitimée » au sens de l’article 2 de la Loi, malgré le fait que la mère naturelle et le tuteur légal étaient mariés lorsque l’enfant est née (mémoire de l’appelant, aux paragraphes 7 et 32). En effet, il ressort de l’historique législatif de la Loi que le mot « légitimé » vise normalement l’enfant qui est né hors mariage et dont la paternité est reconnue par un mariage subséquent (mémoire de l’appelant, aux paragraphes 95 à 101). Étant donné que l’intimée est née dans les liens du mariage et qu’elle était, par conséquent, légitime à sa naissance, il n’est pas possible d’affirmer qu’elle ait été « légitimée » (mémoire de l’appelant, aux paragraphes 101, 102 et 106).

POSITION DE L’INTIMÉE

[26]      En ce qui concerne la norme de contrôle, l’intimée souscrit à la conclusion du juge de la Cour fédérale selon laquelle la norme de la décision correcte s’applique à l’interprétation par l’agent de citoyenneté des définitions exposées dans la Loi. Elle souligne que dans l’affaire Agraira, la Cour suprême n’a pas écarté les motifs de notre Cour dans l’arrêt Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 40, [2013] 4 R.C.F. 155 (Fondation David Suzuki), au paragraphe 6, où le juge Mainville a refusé de faire preuve de déférence envers les conclusions d’un agent du ministre relativement à une question d’interprétation de la loi (mémoire de l’intimée, au paragraphe 11). L’intimée ajoute que, contrairement à l’affaire Agraira, la controverse en l’espèce ne porte pas sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel, mais plutôt sur l’interprétation d’un article de la Loi et, plus précisément, sur la portée et la définition qu’il convient de donner au mot parent (« père ou mère » dans la version française de la Loi) (mémoire de l’intimée, aux paragraphes 12 et 13).

[27]      L’intimée conteste l’interprétation proposée par le ministre des mots « père ou mère » à l’alinéa 3(1)b) (mémoire de l’intimée, aux paragraphes 15 à 52). Mettant l’accent sur le lien entre la mère et l’enfant, elle soutient que ces mots doivent nécessairement englober [traduction] « la femme de qui cette personne est sortie pour la toute première fois, à moins qu’une nouvelle relation se soit par la suite substituée à cette relation par effet de la loi » (mémoire de l’intimée, au paragraphe 15). D’après l’intimée, le sens ordinaire des mots « père ou mère » et la définition du terme corrélatif « enfant » vont dans le sens de cette interprétation (mémoire de l’intimée, aux paragraphes 20 et 38). L’intimée établit une distinction entre les liens du sang découlant du fait de porter un enfant et les liens du sang découlant d’une contribution génétique, et elle soutient que ni l’un ni l’autre n’est requis aux fins de l’alinéa 3(1)b) de la Loi (mémoire de l’intimée, paragraphes 20 à 23).

[28]      En ce qui concerne la légitimation, l’intimée reconnaît qu’il était erroné de la part du juge de la Cour fédérale de la qualifier d’« enfant légitimée ». L’intimée signale n’avoir jamais été considérée comme étant illégitime (mémoire de l’intimée, au paragraphe 53). Puisque sa mère naturelle et son tuteur légal étaient mariés à sa naissance, elle était présumée légitime sous le régime du droit indien et du droit en vigueur dans la plupart des provinces canadiennes (mémoire de l’intimée, aux paragraphes 53 et 54). Cette présomption est codifiée dans la Indian Evidence Act, 1872, une loi du Parlement impérial que le juge de la Cour fédérale pouvait admettre d’office en vertu de l’article 17 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5 et dont l’applicabilité n’a jamais été mise en doute (mémoire de l’intimée, aux paragraphes 57 et 58).

ANALYSE

La norme de contrôle pertinente

[29]      Le droit est maintenant bien fixé : « [e]n appel d’un jugement concernant une demande de contrôle judiciaire, le rôle de notre Cour consiste à déterminer si le juge de première instance a retenu et appliqué la bonne norme de contrôle et, si tel n’est pas le cas, à examiner la décision attaquée en fonction de la norme de contrôle qui aurait dû être appliquée » (Mudalige Don c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 4[1], au paragraphe 37; Keith c. Service correctionnel du Canada, 2012 CAF 117, au paragraphe 41; et Yu c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 42, au paragraphe 19). Concrètement, « [c]ela signifie en pratique qu’en se “met[tant] à la place” du tribunal d’instance inférieure la cour d’appel se concentre effectivement sur la décision administrative » (non souligné dans l’original [italique dans l’original]) (Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, au paragraphe 247; et Agraira, au paragraphe 46).

[30]      Puisque la norme de contrôle pertinente dépend de la nature de la question à trancher, il faut prendre en considération la décision précise que l’agent de citoyenneté était chargé de prendre dans le dossier. Il n’est pas controversé entre les parties que la question centrale dans le dossier relève de l’interprétation de la loi et, plus précisément, que la Cour est appelée à décider si le tuteur légal de l’intimée est « père » au sens de l’alinéa 3(1)b) de la Loi.

[31]      Il y a controverse entre les parties sur la norme qui joue en ce qui concerne l’interprétation donnée par l’agent de citoyenneté. Se fondant sur la jurisprudence Agraira, l’appelant soutient que la norme applicable lorsqu’un tribunal administratif interprète sa loi constitutive est celle de la décision raisonnable (mémoire de l’appelant, au paragraphe 34). Pour sa part, l’intimée soutient qu’il convient d’opérer une distinction entre la présente affaire et l’affaire Agraira, parce que cette dernière affaire avait trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel qui, de par sa nature, appelle la retenue judiciaire et parce que, de toute manière, la Cour doit suivre la jurisprudence Fondation David Suzuki.

[32]      Il convient de noter d’emblée que l’arrêt Agraira n’a pas modifié l’analyse en deux étapes consacrée à l’occasion de l’affaire Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 62, pour arrêter la norme de contrôle applicable :

Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. [Non souligné dans l’original.]

[33]      Par conséquent, il faut d’abord rechercher si la jurisprudence a fixé de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à l’interprétation de la Loi par le ministre. À cet égard, le juge de la Cour fédérale a fait observer que, par des arrêts récents, la Cour d’appel fédérale semble enseigner que la norme de contrôle applicable aux questions de droit tranchées par le ministre est celle de la décision correcte (motifs, au paragraphe 21, citant Fondation David Suzuki, au paragraphe 6; et Takeda Canada Inc. c. Canada (Santé), 2013 CAF 13, [2014] 3 R.C.F. 70 (Takeda), autorisation de pourvoi refusée, [2013] 2 R.C.S. xiii).

[34]      Dans la même veine, il y a des décisions de la Cour fédérale où la norme de la décision correcte a été appliquée à l’interprétation par un agent de citoyenneté de l’alinéa 3(1)b) de la Loi (Azziz, au paragraphe 27; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 614, [2009] 1 R.C.F. 204, au paragraphe 20) (voir, pour une opinion contraire, les décisions suivantes où la norme de la décision raisonnable a été appliquée à l’interprétation des exigences de la Loi par un agent de citoyenneté : Jabour c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 98, [2013] 3 R.C.F. 640, aux paragraphes 21 à 28; Kinsel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1515, [2014] 2 R.C.F. 421, aux paragraphes 17 à 21; Rabin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1094, aux paragraphes 16 et 17).

[35]      Toutefois indépendamment de l’état de la jurisprudence quant à la norme de contrôle applicable dans des situations similaires, la Cour suprême a formulé une mise en garde concernant l’affaire Agraira : il pourrait s’avérer nécessaire de passer à la deuxième étape de l’analyse si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire (Agraira, au paragraphe 48). Or, l’évolution récente a été marquée par un arrêt par lequel la Cour suprême a conclu qu’il convient de présumer que la norme de contrôle à laquelle est assujettie la décision d’un tribunal administratif qui interprète sa loi constitutive est celle de la décision raisonnable (voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 (Alberta Teachers’), au paragraphe 39).

[36]      L’application de cette présomption à des organismes non-judiciaires et, plus précisément, à des décisions ministérielles, a donné lieu à des avis divergents. Deux tendances principales se dégagent. D’un côté, dans certaines décisions, la Cour souscrit à la thèse selon laquelle la présomption de retenue judiciaire consacrée par la jurisprudence Alberta Teachers’ ne s’applique pas aux décideurs qui n’exercent pas de fonctions judiciaires. Par exemple, aux paragraphes 88 et 96 de l’arrêt Fondation David Suzuki, le juge Mainville, s’exprimant au nom des juges Nadon et Sharlow, a conclu que :

[…] la retenue judiciaire touchant les questions de droit ne sera pas toujours applicable, notamment si l’organisme administratif dont la décision ou les mesures font l’objet du contrôle ne statue pas sur des litiges, n’est pas protégé par une clause privative et n’est pas autorisé par sa législation habilitante à décider avec autorité des questions de droit. Il reste nécessaire d’effectuer une analyse relative à la norme de contrôle dans les cas qui le justifient.

[…]

Il faut replacer ce cadre d’analyse et cette présomption dans le contexte où ils ont été établis : ils s’appliquent aux tribunaux administratifs qui statuent à l’égard d’un litige. La présomption découle de la jurisprudence antérieure, qui avait examiné de manière approfondie la question de la norme de contrôle applicable aux décisions de tels tribunaux. Il est présumé que, en conférant à un tribunal administratif le pouvoir de statuer sur des différends selon une procédure contradictoire, le législateur a restreint le contrôle judiciaire dont est susceptible l’interprétation que donne ce tribunal de sa loi habilitante et des lois étroitement liées à son mandat juridictionnel. [Non souligné dans l’original.]

[37]      Cette approche a été suivie dans de nombreuses affaires (Takeda (motifs du jugement rendus par la juge Dawson, auxquels a souscrit le juge Pelletier); Tobar Toledo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 226, [2015] 1 R.C.F. 215, au paragraphe 43 (motifs du jugement rendus par le juge Pelletier, auxquels ont souscrit les juges Gauthier et Trudel); Prescient Foundation c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 120, au paragraphe 13 (motifs du jugement rendus par le juge Mainville, auxquels ont souscrit les juges Pelletier et Gauthier); Bartlett c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 230, au paragraphe 46 (motifs du jugement rendus par le juge Mainville, auxquels ont souscrit les juges Sharlow et Pelletier); Sheldon Inwentash and Lynn Factor Charitable Foundation c. Canada, 2012 CAF 136, au paragraphe 23 (motifs du jugement rendus par la juge Dawson, auxquels ont souscrit les juges Trudel et Stratas).

[38]      La seconde approche est celle retenue dans l’opinion dissidente du juge Stratas à l’occasion de l’affaire Takeda (retenue par la suite dans l’affaire Northern Ontario Compassion Club c. Canada (Procureur général), 2013 CF 700, aux paragraphes 15 à 17, motifs du jugement rendus par le juge Annis; voir également Hernandez Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324, [2014] 2 R.C.F. 224, motifs du jugement rendus par le juge Evans, auxquels a souscrit la juge Sharlow, motifs concordants rédigés par le juge Stratas, autorisation de pourvoi accordée, [2013] 2 R.C.S. viii). Par ses motifs, le juge Stratas a choisi de suivre les directives données par la Cour suprême par l’arrêt Alberta Teachers’, écrivant ce qui suit au paragraphe 33 de l’arrêt Takeda :

J’hésite à soustraire les décisions administratives de la démarche consacrée par la jurisprudence Alberta Teachers’ Association simplement parce que, dans cette affaire, le décideur administratif est le ministre, comme c’est le cas en l’espèce. D’abord, la démarche fondée sur l’arrêt Alberta Teachers’ Association tient judicieusement compte de toute la teneur des décisions ministérielles, lesquelles se présentent sous différentes formes et sont prises dans des contextes différents à des fins différentes. De plus, le pouvoir décisionnel des ministres est généralement délégué, comme c’est le cas en l’espèce. Il serait arbitraire de suivre la démarche consacrée par la jurisprudence Alberta Teachers’ Association en matière de décisions de membres d’un conseil d’administration nommés par un ministre (ou, à proprement parler, un groupe de ministres sous la forme du gouverneur en conseil), mais de suivre la démarche consacrée par la jurisprudence [Fondation David Suzuki] en matière de décisions prises par les délégués choisis par un ministre. Enfin, même si l’arrêt [Fondation David Suzuki] de notre Cour est plus récent que l’arrêt Alberta Teachers’ Association de la Cour suprême, l’enseignement de celui‑ci s’impose à moi vu l’absence d’autres directives de la part de la Cour suprême : voir Canada c. Craig, 2012 CSC 43, [2012] 2 R.C.S. 489, aux paragraphes 18 à 23; […] [Non souligné dans l’original.]

[39]      Le juge Stratas a toutefois indiqué que la présomption de retenue judiciaire préconisée par la jurisprudence Alberta Teachers’ pouvait être réfutée par l’analyse des facteurs recensés dans l’arrêt Dunsmuir (Takeda, au paragraphe 28). Il a conclu que la présomption pouvait être écartée puisque la question soulevée était de pur droit, qu’il n’y avait pas de clause privative et que le ministre n’avait aucune expertise en matière d’interprétation des lois (Takeda, au paragraphe 29).

[40]      Avec égards, je suis d’avis que la question de savoir si toutes les décisions, y compris celles qu’il convient de qualifier de décisions ministérielles, sont présumées être raisonnables n’avait pas été tranchée avant l’arrêt Agraira, car la Cour suprême n’avait appliqué la présomption qu’en matière de décisions rendues par des tribunaux judiciaires (voir Alberta Teachers’; Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364, la Commission des droits de la personne de la Nouvelle‑Écosse; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, le Tribunal canadien des droits de la personne; Nor‑Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616, un conseil d’arbitrage du travail). Toutefois, il semble maintenant clair que cette présomption s’étend aux décisions ministérielles. Je renvoie en particulier à l’extrait suivant de l’arrêt Agraira, qui avait trait au contrôle d’une décision prise par un agent ministériel (au paragraphe 50) :

L’applicabilité de la norme de la décision raisonnable peut être confirmée en suivant la méthode examinée dans Dunsmuir. Comme notre Cour l’a fait remarquer au par. 53 de cet arrêt, « [e]n présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée ». Puisque la décision du ministre aux termes du par. 34(2) est discrétionnaire, la norme de la décision raisonnable s’applique. En outre, parce qu’une telle décision comporte l’interprétation des termes « intérêt national » figurant au par. 34(2), on peut dire qu’elle se rapporte au cas où le décideur « interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » (Dunsmuir, par. 54). Ce facteur confirme lui aussi que la norme applicable est celle de la décision raisonnable. [Non souligné dans l’original.]

[41]      Fait significatif, les passages cités de l’arrêt Dunsmuir dans l’extrait reproduit ci‑dessus sont ceux qui ont été cités dans l’arrêt Alberta Teachers’ à l’appui de la création de la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique (Alberta Teachers’, au paragraphe 34). La seule différence est que les mots « tribunal administratif » qui précèdent la citation dans l’arrêt Alberta Teachers’ ont été remplacés par le terme plus général « décideur ». La même terminologie de nature plus générale a récemment été utilisée, apparemment dans le même but, dans l’affaire McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895 (McLean), au paragraphe 21; il s’agissait d’une décision rendue par la British Columbia Securities Commission.

[42]      Par conséquent, il semble que l’analyse doit partir du principe selon lequel la norme de la décision raisonnable s’applique à l’examen de l’interprétation de l’alinéa 3(1)b) par l’agent de citoyenneté. Toutefois, comme l’indique l’affaire Takeda (aux paragraphes 28 et 29), cette présomption peut être aisément réfutée (McLean, au paragraphe 22; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283, au paragraphe 16).

[43]      Plus précisément, il n’y a pas de clause privative en jeu et l’agent de citoyenneté était saisi d’une pure question d’interprétation de la loi qui ne comportait aucun élément discrétionnaire. La question sur laquelle il était appelé à se prononcer est difficile et l’agent de citoyenneté ne peut prétendre qu’il possède une expertise supérieure à celle de la Cour d’appel, qui a été créée précisément pour résoudre de telles questions.

[44]      À cet égard, je note que, pour interpréter l’alinéa 3(1)b), il faut prendre en considération la règle de la signification commune lors de l’application de lois bilingues; il faut aussi prendre en considération l’utilisation qui peut être faite du texte français compte tenu du fait qu’il est le fruit d’une révision. Rien n’indique qu’on ait jamais demandé à un agent de citoyenneté de tenir compte de l’une ou de l’autre de ces questions, et il n’y a rien dans la structure ou l’esprit de la Loi qui donne à penser que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision d’un agent de citoyenneté sur une telle question.

[45]      Par conséquent, je conclus que la présomption est réfutée.

Les mots utilisés

[46]      Dans les motifs qui suivent, les mots « mère gestationnelle » visent la personne qui a porté l’intimée durant la grossesse, et les mots « mère génétique », la personne qui a donné des ovules. Le lien entre l’intimée et sa mère gestationnelle est qualifié de « gestationnel » et son lien avec les personnes qui ont donné des ovules et du sperme ayant servi à sa conception est qualifié de « génétique ».

[47]      De plus, bien que l’élément pertinent pour l’acquisition de la citoyenneté par filiation ait été identifié en 1977 en faisant renvoi à la formule latine jus sanguinis (le droit du sang), les moyens de vérifier l’existence de liens du sang ont évolué avec le développement de la génétique. Bien que les motifs de la décision fassent continuellement référence à un « un lien génétique ou connexion », la question fondamentale demeure la même qu’en 1977 : y a‑t‑il des preuves de filiation en vertu de l’alinéa 3(1)b)?

L’interprétation de l’expression « père ou mère » à l’alinéa 3(1)b) de la Loi

[48]      Avant de procéder à l’analyse, il est utile de retracer l’origine de l’alinéa 3(1)b). Il s’agit d’une disposition instaurée par la Loi de 1977, qui est entrée en vigueur le 17 février 1977.

[49]      L’alinéa 3(1)b) permettait à l’enfant né à l’étranger après le 14 février 1977 d’être automatiquement reconnu à titre de citoyen canadien s’il avait un parent canadien, sans égard à l’état matrimonial de ses parents au moment de la naissance. Comme l’appelant le signale, avec cette disposition, la « légitimité » de l’enfant n’avait aucune incidence sur l’acquisition de la citoyenneté par filiation aux termes de l’alinéa 3(1)b) (mémoire de l’appelant, au paragraphe 66). Toutefois, la notion de légitimité n’est pas devenue totalement dépourvue d’importance, car le paragraphe 5(2) de la Loi de 1977 accordait la citoyenneté à un résident permanent qui était l’enfant mineur d’un citoyen, y compris les enfants ayant été adoptés ou « légitimés ».

[50]      De nouvelles modifications ont été apportées à la Loi en 2007 (Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (adoption), L.C. 2007, ch. 24). Ces modifications ont eu pour effet de simplifier le traitement des demandes concernant les enfants nés d’un parent canadien et les enfants adoptés par un parent canadien. Avant ces modifications, l’enfant né d’un parent canadien à l’étranger acquérait automatiquement la citoyenneté canadienne, tandis que l’enfant étranger adopté par un parent canadien ne jouissait pas d’un tel droit. L’article 5.1 de la Loi met tout ce monde sur un pied d’égalité dans une certaine mesure en disposant que le ministre « doit » attribuer la citoyenneté à l’enfant adopté par un parent canadien si l’adoption satisfait à certaines conditions.

[51]      Dans ce contexte, il est compréhensible que le juge de la Cour fédérale ait tenté d’interpréter l’alinéa 3(1)b) de manière à conférer la citoyenneté à l’intimée. Comme il l’a expliqué, la citoyenneté peut maintenant être transmise de plein droit par la parentalité ou par l’adoption (motifs, au paragraphe 40). En l’espèce, du fait d’avoir été portée par sa mère gestationnelle dans le cadre d’un authentique projet familial, l’intimée a un lien plus intime avec ses parents que si elle avait été adoptée. Et pourtant, l’interprétation avancée par l’agent de citoyenneté prive l’intimée de ce droit. Le problème qui découle de cette issue est aggravé par le fait que l’adoption ne constitue peut‑être pas la solution étant donné que l’intimée est présumée être l’enfant de son père (dossier d’appel, aux pages 153 à 156; motifs, au paragraphe 40). Il en résulte que l’intimée ne peut obtenir la citoyenneté autrement que par l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre ou par le processus d’acquisition de la citoyenneté conçu pour les étrangers (dossier d’appel, à la page 30).

[52]      Vu le sens ambigu des mots « père ou mère » à l’alinéa 3(1)b) de la Loi, le juge de la Cour fédérale s’est reporté à la définition corrélative du mot « enfant » à l’article 2 de la Loi, soit « [t]out enfant, y compris l’enfant adopté ou légitimé conformément au droit du lieu de l’adoption ou de la légitimation ». Le noeud du raisonnement du juge de la Cour fédérale est exposé au paragraphe 33 de ses motifs, où il a conclu que l’intimée était « l’enfant légitimée » de sa mère et de son père d’après le certificat de naissance et que, par conséquent, elle répondait à la définition d’un « enfant » au sens de l’article 2 de la Loi. Selon le raisonnement du juge de la Cour fédérale, étant donné que l’intimée était l’enfant de ses parents à la lumière de cette définition, il fallait interpréter les mots « père ou mère » à l’alinéa 3(1)b) de manière à les inclure.

[53]      Pour ainsi conclure, le juge de la Cour fédérale a tiré deux inférences : 1) le certificat de naissance établit de manière satisfaisante l’existence d’un lien parent‑enfant; 2) ce lien constituait la preuve suffisante que l’intimée était l’enfant légitimée de sa mère gestationnelle et de son tuteur légal selon le droit indien.

[54]      Toutefois, cette seconde inférence n’est pas valide puisque seul un enfant qui était illégitime à sa naissance peut être par la suite « légitimé ». À cet égard, l’intimée a reconnu devant nous qu’elle [traduction] « n’a jamais été, en aucun moment de sa vie, un enfant illégitime » et qu’[traduction] « il y a présomption de sa légitimité dès sa naissance, à moins que le contraire ne soit démontré » (mémoire de l’intimée, au paragraphe 53). Pour le même motif, l’intimée souligne que l’utilisation du mot « légitimée » dans les motifs du juge de la Cour fédérale était inappropriée. De plus, comme nous l’avons signalé, la notion de « légitimation » est dépourvue de pertinence aux fins de l’application de l’alinéa 3(1)b), car l’acquisition de la citoyenneté par filiation ne tient pas compte des questions liées à la légitimité (voir les paragraphes 48 et 49, ci‑dessus).

[55]      Par conséquent, il n’était pas loisible au juge de la Cour fédérale de conclure que la citoyenneté était accordée à l’intimée du fait qu’elle était l’enfant légitimée de son tuteur légal.

[56]      La question qu’il reste à trancher, à part celle de la définition du mot « enfant » à des fins d’interprétation, est celle de savoir si le tuteur légal de l’intimée est « père » au sens de l’alinéa 3(1)b) de la Loi. Il s’agit d’une pure question d’interprétation de la loi. Comme toujours dans de telles situations, il faut examiner la question en gardant à l’esprit le principe suivant (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21) :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[57]      L’appelant invite la Cour à appliquer la règle de la signification commune pour l’interprétation des lois bilingues, faisant valoir que la formulation française de l’alinéa 3(1)b) de la Loi est claire et sans équivoque (« née […] d’un père ou d’une mère ») et doit être préférée au mot « parent » utilisé dans la formulation anglaise, qui comporte une ambiguïté latente.

[58]      Selon l’appelant, la formulation « née […] d’un père » ou « née […] d’une mère » présuppose que le père ou la mère a contribué au bagage génétique de l’enfant. Il ajoute que le fait que l’adoption ne peut être envisagée lorsqu’une personne est « née […] d’un père » ou « née […] d’une mère » explique pourquoi le syntagme « other than a parent who adopted him » ([traduction] « mais non un parent adoptif ») qui figure dans le texte anglais a été omis du texte français de l’alinéa 3(1)b).

[59]      Je conviens que cette omission ne peut être expliquée autrement et que le texte français, en raison de sa précision accrue, doit être préféré au texte anglais. Je conviens également que la formulation « née […] d’un père » présuppose que le père — en l’espèce, le tuteur légal de l’intimée — a contribué au bagage génétique de l’enfant, car il n’y a aucune autre signification possible des mots « née […] d’un père ». Dans le cas du père, la conclusion qu’il doit y avoir un lien génétique semble inéluctable.

[60]      Cela étant dit, à l’audience, le tribunal a soulevé la question de savoir s’il l’on pouvait se fonder sur la version française de l’alinéa 3(1)b) pour interpréter l’intention du législateur étant donné qu’il est le produit d’une révision. Nous avons invité les parties à soumettre des observations écrites sur cette question et les parties ont donné suite à cette invitation.

[61]      Le texte français de l’alinéa 3(1)b) a été adopté dans le cadre de la révision de la Loi réalisée en 1985. Les articles 3 et 4 de la Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 40, disposent :

3. À l’entrée en vigueur des lois révisées, les textes mentionnés à l’annexe du corpus des lois sont abrogés dans la mesure indiquée dans celle‑ci.

Abrogation

4. Les lois révisées ne sont pas censées être de droit nouveau; dans leur interprétation et leur application, elles constituent une refonte du droit contenu dans les lois abrogées par l’article 3 et auxquelles elles se substituent.

Effet de la révision

[62]      Le but d’une révision générale est de produire des lois cohérentes et élégantes qui soient claires, harmonieuses, bien rédigées et faciles à lire (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5édition (Toronto: Lexis Nexis, 2008), aux pages 653 et 654; Pierre‑André Côté, Interprétation des lois, 4e édition (Montréal : Thémis, 2009), à la page 58). Il existe une présomption suivant laquelle les modifications terminologiques dans une loi révisée sont de nature technique ou esthétique et ne modifient pas le droit (Côté, à la page 61). Toutefois, je partage l’avis de mon collègue le juge Mainville selon lequel s’il est possible de tirer du droit nouveau du texte législatif adopté au moyen de ce processus de révision, il faut l’ignorer et se fier au texte original (voir Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 303 (C.A.), au paragraphe 42). Je pense que l’appelant n’affirmait rien de plus dans sa soi‑disant « concession » que mon collègue cite au paragraphe 93 de ses motifs [ci-dessous].

[63]      Par conséquent, la question est de savoir si le texte français de l’alinéa 3(1)b) est de droit nouveau au regard du texte qu’il remplace (le texte en question est reproduit au paragraphe 5, ci‑dessus). Comme nous l’avons déjà expliqué, la révision a eu pour effet de supprimer le renvoi aux parents adoptifs (« mais non un parent adoptif ») et d’ajouter la formulation « née […] d’un » et « née […] d’une » avant les mots « père » et « mère ». La révision a aussi eu pour effet de supprimer les mots « hors du Canada » et de les remplacer par l’expression plus idiomatique « à l’étranger ». À mon avis, la formulation « née […] d’un[/née] d’une », bien qu’elle soit plus précise, n’ajoute rien au texte français antérieur. En effet, les mots « père » et « mère », dans le texte précédent, véhiculaient déjà l’idée qu’il devait y avoir un lien génétique ou gestationnel, comme l’atteste la définition principale du mot « père », soit : « Homme qui a engendré, qui a donné naissance à un ou plusieurs enfants », et du mot « mère », soit : « Femme qui a mis au monde un ou plusieurs enfants » (Le Petit Robert de la langue française, Paris : Le Robert, 2006; voir, dans la même veine : Le Grand Robert de la langue française : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris : Dictionnaires Le Robert, 1996; Le Petit Larousse illustré, Paris : Larousse, 1999; Multidictionnaire de la langue française, 4e éd. Québec Amérique, 2003). Pour la même raison, l’exclusion ayant trait à l’adoption dans le texte français précédent, soit : « mais non un parent adoptif », était redondante puisque, par définition, les mots « père » et « mère » excluent les parents adoptifs.

[64]      De tels efforts de simplification linguistique faisaient partie de la mission des réviseurs. La révision a pour effet de préciser le texte français antérieur, sans en modifier le sens. Les réviseurs se sont concentrés sur le sens grammatical des mots « père » et « mère » et ont fait ressortir que le législateur se fondait sur un lien génétique ou gestationnel pour établir qui peut transmettre la citoyenneté par filiation. À mon avis, le texte français ne s’écarte pas de la version précédente. Il ne fait que la rendre plus facile à lire sur le plan stylistique, faisant ainsi ressortir plus clairement l’intention du législateur.

[65]      Il convient d’ajouter qu’attribuer aux mots « père » et « mère » dans le texte français antérieur un sens qui exige un lien génétique ou gestationnel concorde avec l’objectif de l’alinéa 3(1)b), qui est de conférer la citoyenneté par filiation, c’est‑à‑dire la citoyenneté par effet de la loi, lorsqu’un enfant est né à l’étranger d’un père ou d’une mère de citoyenneté canadienne. Étant donné que la citoyenneté conférée en vertu de l’alinéa 3(1)b) se concrétise au moment de la naissance, les seuls événements qui puissent avoir une incidence sur cette attribution de la citoyenneté sont ceux ayant pu survenir avant la naissance. Il s’ensuit, par exemple, que la présomption de légitimité sous le régime du droit indien sur laquelle se fonde l’intimée ne peut avoir aucune incidence sur la citoyenneté acquise par filiation puisque la présomption concernant le statut, qui tire sa source de la common law, vise [traduction] « l’enfant dans les liens du mariage » (non souligné dans l’original) ( « Presumption of Legitimacy of a Child Born in Wedlock » (1919), 33 Harv. Law Rev. 306, aux pages 306 à 308). Par définition, ce statut ne peut être attribué avant que l’enfant ne vienne au monde. Le même raisonnement s’appliquerait à toute présomption équivalente de la common law invoquée au Canada. De la même manière, le fait que l’intimée se trouve dans une relation parentale légitime en vertu du droit canadien ou étranger ne peut avoir aucune incidence, car une relation parentale avec un enfant ne peut s’amorcer avant la venue au monde de cet enfant.

[66]      Il faut également tenir compte de la nature automatique de l’attribution de la citoyenneté. À cet égard, la citoyenneté acquise par filiation en vertu de l’alinéa 3(1)b) fonctionne de la même façon que l’attribution automatique de la citoyenneté conférée à un enfant du fait qu’il est né au Canada, c’est‑à‑dire le jus solis ou droit du sol (alinéa 3(1)a) de la Loi). La mère qui vient au Canada dans le but stratégique d’y accoucher pendant son séjour et de conférer ainsi à son enfant la citoyenneté canadienne et la mère qui donne naissance à son enfant au Canada dans le cours normal des choses confèrent la citoyenneté de la même manière. De même, le parent canadien qui conçoit un enfant sans l’intention de l’élever lui confère la citoyenneté à la naissance tout autant que le parent qui assume ses responsabilités parentales. Bref, l’alinéa 3(1)b), à l’opposé de l’article 5.1 qui a trait à l’adoption, ne tient aucunement compte de considérations relatives au droit de la famille.

[67]      Lorsqu’on tient compte de la manière dont l’alinéa 3(1)(b) opère, il est évident que le seul type de lien qui puisse conférer la citoyenneté par filiation est le lien génétique ou gestationnel. En l’espèce, étant donné que le tuteur légal de l’intimée n’a aucun lien génétique avec l’intimée, il ne peut pas lui avoir conféré la citoyenneté par la naissance.

[68]      En tirant ces conclusions, je suis conscient que, d’après le Bulletin opérationnel 381 intitulé « Évaluation de la filiation aux fins d’attribution de la citoyenneté dans les cas où interviennent des techniques de procréation assistée, y compris la maternité de substitution » [8 mars 2012], une démarche différente est utilisée pour apprécier le droit à la citoyenneté des enfants nés grâce à la procréation assistée. Je note que, malgré la portée générale de son titre, ce bulletin opérationnel ne peut viser les enfants nés grâce à la procréation assistée au Canada, car ces enfants acquièrent la citoyenneté canadienne du fait qu’ils sont nés en sol canadien, sans égard à toute autre considération. Voici les extraits pertinents du bulletin :

Objet

Les enfants nés à l’étranger, au moyen de la procréation assistée et/ou d’accords de maternité de substitution dans lesquels les futurs parents canadiens se sont engagés, ne sont pas admissibles à la citoyenneté canadienne par filiation lorsqu’aucun lien génétique avec le parent canadien ne peut être établi.

[…]

Situation actuelle

L’existence d’un parent génétique – une personne dont l’enfant possède l’information génétique – est l’élément sur lequel se fonde la politique actuelle en matière de citoyenneté pour déterminer qui peut obtenir la citoyenneté par filiation (voir CP 3). En vertu des normes du droit de la famille canadien, la question de savoir si une personne est « parent » ne dépend pas seulement du lien génétique entre le parent biologique et l’enfant, mais se fonde également sur des éléments probants attestant de l’intention d’être parent et la démonstration d’un lien parental comme en témoigne l’existence d’une relation parent légal/enfant. Dans la plupart des cas, lorsqu’il n’y a pas de doute quant à la relation génétique entre le parent et l’enfant, les certificats de naissance sont acceptés comme éléments de preuve valides pour établir qui est le parent.

Toutefois, les cas impliquant des citoyens canadiens qui ont eu recours à la procréation assistée et/ou à des accords de maternité de substitution peuvent résulter en l’absence de lien génétique entre des enfants nés à l’étranger et leurs parents canadiens. Une analyse de l’ADN ne sera pas systématiquement demandée; elle le sera seulement lorsque des éléments probants suggèrent que le parent canadien (par lequel une revendication de citoyenneté par filiation est faite) n’est pas le parent génétique. Voir le modèle de lettre de demande de preuve génétique à l’annexe A ci‑dessous. [Non souligné dans l’original.]

[69]      Bien qu’il ne soit pas facile de suivre ces lignes directrices parce qu’elles mettent l’accent sur les circonstances dans lesquelles une analyse de l’ADN est demandée, une interprétation possible serait que, en plus de l’existence d’un lien génétique, il doit y avoir une relation parent légal‑enfant pour que la citoyenneté par filiation soit conférée. Selon cette interprétation, le premier paragraphe de la section intitulée « Situation actuelle » prévoit que, lorsque l’existence d’un lien génétique ne fait aucun doute, seule la deuxième condition doit être prouvée et que, à cette fin, le certificat de naissance est suffisant.

[70]      Le Bulletin opérationnel 381 précise toutefois également qu’en l’absence d’un lien génétique, la citoyenneté par filiation ne peut être conférée même s’il y a une relation parent légal‑enfant, comme c’est le cas en l’espèce. L’alinéa 3(1)b) va dans ce sens. Par contre, il est clair pour les motifs déjà exposés qu’aucune disposition de la Loi n’établit l’existence d’une relation parent légal‑enfant à titre de condition préalable de l’attribution de la citoyenneté par filiation.

[71]      À la lumière du raisonnement ci‑dessus, on ne peut affirmer qu’une personne est « née […] d’un père » en l’absence d’un lien génétique. Toutefois, la situation n’est pas aussi claire en ce qui a trait à la mère, car le mot « mère » n’exclut pas implicitement ou explicitement la mère génétique ou gestationnelle. Fait à noter, la mère génétique et la mère gestationnelle ont toutes les deux un lien du sang avec leur enfant, bien qu’il s’agisse d’un lien différent. Il s’ensuit qu’il est possible d’affirmer qu’une personne est « née […] d’une mère » en faisant renvoi soit à la mère génétique soit à la mère gestationnelle. La formulation de l’alinéa 3(1)b) était sans équivoque au moment de son adoption en 1977, mais les techniques de procréation assistée actuelles qui permettent à une femme de fournir l’ovule et à une autre de porter l’enfant abolissent entièrement cette clarté. Le Bulletin opérationnel 381 contourne ce problème, car il présume que la mère gestationnelle n’assumera jamais le rôle de mère auprès de l’enfant qu’elle porte.

[72]      De son côté, l’appelant soutient que les mots « père ou mère » visent uniquement [traduction] « la personne qui a engendré (le père) ou porté (la mère) l’enfant et qui a un lien génétique avec l’enfant » (non souligné dans l’original) (mémoire de l’appelant, au paragraphe 52). À l’audience, l’avocat de l’appelant a confirmé que ces deux éléments doivent être réunis pour que la citoyenneté par filiation puisse être conférée.

[73]      En matière de procréation assistée, la réunion de ces deux éléments n’aurait aucune incidence sur le père parce que la contribution génétique, peu importe de quelle façon elle est effectuée, est la seule manière d’engendrer un enfant. Toutefois, en ce qui a trait à la mère, la réunion des deux éléments empêchera tant la mère génétique que la mère gestationnelle de conférer la citoyenneté par filiation.

[74]      Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur le bien‑fondé de l’interprétation avancée par l’appelant, car elle n’a aucune incidence sur le critère applicable au père et la présente affaire ne porte pas sur la citoyenneté par filiation conférée par la mère. Toutefois, je note que cette interprétation donnera lieu à un traitement inégalitaire du père et de la mère, car le père conférera la citoyenneté par filiation sur la base d’un lien génétique, contrairement à la mère. Je note également que cette interprétation est incompatible avec le Bulletin opérationnel 381, qui affirme qu’un lien génétique peut conférer la citoyenneté par filiation, peu importe que ce lien génétique soit avec le père ou la mère.

[75]      La question de politique plus pressante qui ressort de cette analyse est la suivante : le Bulletin opérationnel 381 prévoit des conditions différentes et plus exigentes pour l’attribution de la citoyenneté par filiation aux enfants nés par procréation assistée, mais il est dépourvu de fondement juridique. Bien qu’aucun moyen tiré de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] n’ait été invoqué devant notre Cour, je relève que, selon cette interprétation, les enfants de citoyens canadiens seront traités de façon différente selon la manière dont ils ont été conçus.

[76]      De plus, le caractère inédit de la présente affaire soulève plusieurs questions de politique importantes. Par exemple, étant donné qu’un lien génétique est le seul lien exigé pour conférer la citoyenneté par filiation en vertu de la Loi, le donneur canadien confère ce droit comme tout autre procréateur canadien. En outre, en raison de la nouvelle réalité créée par les techniques de procréation assistée, on ne peut exclure la possibilité que l’enfant qui est « né […] d’une mère » soit né d’une mère gestationnelle et que, dans un tel cas, le lien gestationnel suffise également pour conférer la citoyenneté par filiation. Ces questions méritent un examen plus poussé; si le législateur n’exerce pas sa prérogative de répondre à ces questions par des mesures législatives, on court le risque que les juges soient appelés à y répondre.

[77]      Avant de conclure, il y a lieu de faire de brèves observations au sujet de la conclusion différente à laquelle est arrivé mon collègue. Il conclut, à la lumière d’une analyse axée sur le texte anglais, que l’intention du législateur au moment de l’adoption de l’alinéa 3(1)b) était de faire renvoi à un parent reconnu par la loi. Il ressort clairement de ses motifs que cela n’a pas pour effet de priver le lien génétique de toute importance étant donné que, dans les traditions du droit civil et de la common law, la notion juridique de parent recoupe dans une large mesure celle du lien génétique.

[78]      Je ne conteste pas cette vue. Toutefois, le problème soulevé en l’espèce est qu’il n’y a pas de tel recoupement, si bien qu’il faut chercher à savoir quel facteur précis confère la citoyenneté acquise par filiation : est‑ce le lien génétique, la notion juridique de parent ou les deux? Mon collègue conclut que la notion juridique de parent est le facteur déterminant. Plus précisément, il estime que la citoyenneté par filiation a été conférée et qu’il s’agit du seul facteur qui est en jeu dans la présente affaire.

[79]      Je suis d’avis, comme mon collègue, que la solution qu’il propose réglerait un certain nombre de questions de politique que la présente affaire a mises en lumière. Elle donnerait toutefois lieu à d’autres problèmes. Par exemple, en quoi consiste le droit de la famille vu sous l’angle du droit fédéral, et s’il renvoie aux lois des provinces, quel droit s’appliquera dans le contexte de l’alinéa 3(1)b) étant donné que cette disposition envisage les cas où les parents sont à l’étranger au moment de la naissance de leur enfant?

[80]      Avec égards, je suis d’avis que la solution proposée par mon collègue diffère sensiblement de l’état actuel du droit qui, comme j’ai tenté de le démontrer, prévoit que la citoyenneté par filiation est conférée par les liens du sang. Seul le législateur peut instaurer le type de changement envisagé par mon collègue.

CONCLUSION

[81]      Je conclus que l’alinéa 3(1)b) exige l’existence d’un lien génétique entre l’intimée et son tuteur légal et qu’un tel lien n’existe pas en l’espèce. Par conséquent, la citoyenneté n’a pas été transmise par filiation.

[82]      J’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision du juge de la Cour fédérale et, rendant la décision qui aurait dû être rendue, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

Le juge Webb, J.C.A. : Je suis d’accord.

➲ ➲ ➲

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[83]      Le juge Mainville, J.C.A. (dissident) : J’ai lu les motifs de mon estimé collègue le juge Noël et, avec égards, j’arrive à une autre conclusion. À mon avis, l’appel devrait être rejeté, et ce, pour les motifs qui suivent.

Faits et procédures

[84]      Les faits et l’historique de la présente affaire sont exposés dans les motifs de mon collègue; il n’est pas nécessaire de les répéter. J’ajouterais seulement qu’aucune allégation de fausses déclarations ou de détournement du processus d’attribution de la citoyenneté n’a été formulée en l’espèce. De plus, les parties conviennent que les parents de l’intimée cherchaient de bonne foi à fonder une famille en mettant au monde l’intimée. En outre, il n’est pas controversé que l’intimée est l’enfant de ses parents que ce soit sous le régime des lois de l’Inde, où l’intimée est née, ou sous celui des lois de la Colombie‑Britannique, où la famille s’est établie.

Norme de contrôle

[85]      Comme mon collègue, je suis d’avis que la norme de la décision correcte est la norme pertinente en ce qui concerne l’interprétation par l’agent de citoyenneté de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C‑29.

[86]      Selon la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada, Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 (Agraira), au paragraphe 50; et McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 SCC 67 (McLean), aux paragraphes 20, 21 et 33, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable exposée dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teacher’s Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 [Alberta Teacher’s Association], au paragraphe 39, s’étend à tout décideur administratif (y compris un décideur ministériel) qui interprète sa loi constitutive. Je suis en profond désaccord avec cette approche pour les motifs que j’ai exposés de manière détaillée dans l’arrêt Fondation David Suzuki c. Canada (Pêches et Océans), 2012 CAF 40, [2013] 4 R.C.F. 155, aux paragraphes 65 à 105. Comme je l’ai alors signalé, présumer sans fondement législatif clair que le législateur veut s’en remettre à l’exécutif pour l’interprétation de ses lois constitue, à mon avis, un changement de paradigme touchant la structure constitutionnelle du Canada. Notre Cour est cependant liée par l’enseignement des arrêts Alberta Teacher’s Association et McLean et doit s’y conformer à moins de directives contraires de la Cour suprême.

[87]      Néanmoins, selon l’enseignement de l’arrêt Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283, au paragraphe 16, réitéré par l’arrêt McLean, au paragraphe 22, une analyse contextuelle peut permettre d’écarter la présomption d’assujettissement à la norme de la décision raisonnable des questions qui ont trait à l’interprétation de la loi constitutive. En l’espèce, cette analyse permet d’écarter cette présomption pour les motifs exposés par mon collègue aux paragraphes 42 à 45 de ses motifs.

Analyse

            La disposition législative pertinente

[88]      En l’espèce, la disposition législative pertinente est le texte de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974‑75‑76, ch. 108 (la Loi de 1977). Ce texte est cité dans les motifs de mon collègue et je le reproduis de nouveau par souci de commodité :

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, est citoyen toute personne

[…]

b) qui est née hors du Canada après l’entrée en vigueur de la présente loi et dont, au moment de sa naissance, le père ou la mère, mais non un parent adoptif, était citoyen canadien;

Citoyens

[89]      La version française actuelle de cet alinéa est citée au paragraphe 4 des motifs du juge Noël. Cette version est différente de celle adoptée par le législateur en 1977, car elle ne contient pas l’exclusion expresse des enfants adoptés et elle utilise la formulation « née […] d’un père ou d’une mère ». Ces modifications ne découlent pas d’une modification législative approuvée par le législateur, mais plutôt d’une révision administrative dans le cadre de la Loi sur les lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 40.

[90]      À l’occasion de l’affaire Flota Cubana de Pesca (Flotte de pêche cubaine) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 303 (C.A.) (Flota Cubana), notre Cour s’est penchée sur une divergence similaire entre les versions anglaise et française d’une disposition législative à la suite de modifications apportées au texte français dans le cadre de la codification des lois en 1985. Se fondant sur les principes exposés par notre Cour à l’occasion de l’affaire Goodswimmer c. Canada (Procureur général), [1995] 2 C.F. 389, le juge Stone a conclu au paragraphe 42 de l’arrêt Flota Cubana qu’une modification apportée au texte français d’une disposition législative doit être interprétée uniquement comme une refonte du droit existant avant 1985 et que, par conséquent, il faut attribuer à la version française la signification que le législateur lui avait attribuée au départ. Telle fut l’approche retenue par le juge en chef Isaac à l’occasion de l’affaire Beothuk Data Systems Ltd., Division Seawatch c. Dean, [1998] 1 C.F. 433 (C.A.), aux paragraphes 43 et 44, et reprise récemment par le juge en chef Lutfy dans la décision Felipa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 89, [2011] 1 R.C.F. 365, aux paragraphes 151 à 154, inf. pour d’autres motifs, 2011 CAF 272, [2012] 1 R.C.F. 3.

[91]      Comme le signale Pierre‑André Côté dans son traité Interprétation des lois, 3éd. Montréal : Thémis, 1999, aux pages 67 à 69, les changements terminologiques apportés par une refonte ont un simple caractère technique ou esthétique et n’ont pas pour objet de modifier le droit. M. Côté ajoute que cela est d’autant plus vrai lorsque la refonte ne modifie qu’une des deux versions linguistiques de la disposition, comme en l’espèce : Côté, précité. De plus, étant donné que les lois refondues ne sont qu’une reformulation des lois existantes, il semble raisonnable de se reporter aux formulations précédentes pour clarifier les véritables problèmes d’interprétation : Côté, précité.

[92]      L’approche consacrée par la jurisprudence Flota Cubana a par ailleurs été réitérée aux articles 30 et 31 de la Loi sur la révision et la codification des textes législatifs, L.R.C. (1985), ch. S‑20, libellés comme suit :

30. Les lois codifiées et les règlements codifiés ne sont pas de droit nouveau.

Codification non de droit nouveau

31. […]

(2) Les dispositions de la loi d’origine avec ses modifications subséquentes par le greffier des Parlements en vertu de la Loi sur la publication des lois l’emportent sur les dispositions incompatibles de la loi codifiée publiée par le ministre en vertu de la présente loi.

Incompatibilité — lois

[93]      En conséquence, le ministre appelant a concédé avec raison qu’[traduction] « on ne peut se fonder sur la version refondue du texte français de [l’alinéa] 3(1)b) pour interpréter la version précédente du texte français de [l’alinéa] 3(1)b) dans la Loi de 1977 de manière à modifier le fond du droit énoncé à [l’alinéa] 3(1)b) » : observations additionnelles de l’appelant, au paragraphe 14.

[94]      Cela signifie que la Cour ne doit pas se fonder sur les mots « née […] d’un père ou d’une mère » pour interpréter l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté : Sarvanis c. Canada, 2002 CSC 28, [2002] 1 R.C.S. 921, au paragraphe 13; Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, aux paragraphes 30 et 31.

L’interprétation de l’alinéa 3(1)b)

[95]      L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 27.

[96]      Ayant appliqué une analyse textuelle, contextuelle et téléologique à l’interprétation de l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté — qui est rédigé exactement de la même manière dans les versions française et anglaise adoptées par le législateur dans le cadre de la Loi de 1977 — je conclus que les mots « père ou mère » y sont utilisée au sens juridique, plutôt qu’au sens biologique ou génétique.

[97]      Dans les traditions de la common law et du droit civil, la relation parent‑enfant est essentiellement fondée sur le lien biologique ou génétique entre le parent et l’enfant. Il en résulte que la notion juridique de la parentalité recoupe dans une large mesure le lien biologique ou génétique. Cependant, les traditions de la common law et du droit civil ne confinent pas la relation parent‑enfant à la génétique; au contraire, elles élargissent cette relation de manière à inclure un petit groupe distinct de personnes qui sont des parents par effet de la présomption légale de paternité. Voilà ce qui est en jeu dans le présent appel.

[98]      Par conséquent, même si un père ou une mère au sens juridique sont la plupart du temps les progéniteurs biologiques ou génétiques de l’enfant, dans certains cas distincts les traditions de la common law et du droit civil au Canada reconnaissent à titre de père ou de mère la personne n’ayant pas de lien biologique ou génétique avec l’enfant. En ce sens, la notion juridique de parent n’est pas toujours nécessairement liée à la génétique. En l’espèce, elle englobe la relation qui existe entre l’intimée et son père canadien. Ainsi, je conclus que l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté renvoie à la notion juridique de parent et que l’intimée est, en droit, l’enfant de son père. Par conséquent, je rejetterais le présent appel.

[99]      Je passerai maintenant à l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique qui, à mon avis, appuie cette interprétation de l’alinéa 3(1)b).

i) Analyse textuelle

[100]   Premièrement, en appliquant une analyse textuelle, je relève que si le législateur avait eu l’intention d’utiliser les mots « père ou mère » uniquement au sens biologique ou génétique, il n’aurait pas été nécessaire, dans la version anglaise du texte, d’exclure expressément les parents adoptifs du champ d’application de l’alinéa 3(1)b). En ajoutant les mots « other than a parent who adopted him » (« mais non un parent adoptif » dans la version française de la Loi de 1977), le législateur a clairement signalé que la notion de « père ou mère » qu’il utilise dans cet alinéa renvoie au parent reconnu par la loi. En effet, le parent adoptif n’a aucun lien génétique ou biologique avec son enfant adopté, mais il est néanmoins un « père ou mère » au sens juridique du terme. Si le législateur avait eu l’intention de tenir compte uniquement du lien biologique ou génétique, cette exclusion n’aurait pas été nécessaire ou le législateur aurait utilisé une formulation très différente.

[101]   À mon avis, cette analyse textuelle nous donne une réponse complète à la question dont notre Cour est saisie. Les mots utilisés dans cet alinéa sont tous précis et sans équivoque, et les mots eux‑mêmes révèlent le mieux que l’intention du législateur était de renvoyer à la notion juridique de parent (« père ou mère »). Par conséquent, bien que la relation parent‑enfant puisse découler d’un lien biologique ou génétique, elle englobe aussi d’autres cas qui ne sont pas nécessairement fondés exclusivement sur la biologie.

[102]   Mon opinion est confirmée par les analyses contextuelle et téléologique de la disposition en cause.

ii) Analyse contextuelle

[103]   En passant à l’analyse contextuelle, il est important de noter qu’en 1977, au moment où la Loi sur la citoyenneté a été modifiée de manière à inclure l’alinéa 3(1)b), il était largement admis que la notion juridique de parent englobait un homme qui était légalement présumé être le père biologique de l’enfant même s’il n’avait peut‑être pas de lien génétique avec cet enfant. Le législateur aurait certainement été au courant des présomptions légales bien connues en matière de paternité dans les traditions de la common law et du droit civil au moment de l’adoption de la Loi de 1977. S’il avait voulu exclure de la notion de parent établie à l’alinéa 3(1)b) le père n’ayant aucun lien génétique avec l’enfant, mais qui est néanmoins juridiquement réputé d’office être le père de l’enfant, il aurait utilisé une formulation précise en ce sens, comme il l’a fait pour exclure les parents adoptifs.

[104]   Au moment de l’adoption de la Loi de 1977, la femme qui donnait naissance à un enfant avait nécessairement un lien génétique et biologique (gestationnel) avec son enfant qui donnait lieu à une relation parent‑enfant reconnue par la loi. Cette relation juridique pouvait être rompue si la mère confiait l’enfant à l’adoption. Toutefois, l’approche juridique était différente pour ce qui est du père. Dans les traditions de la common law et du droit civil au Canada, le droit présumait que lorsqu’une femme donnait naissance, son mari était le père.

[105]   Cette présomption de paternité tirait ses origines du droit romain et a été retenue par la common law au seizième siècle : Angela Campbell, « Conceiving Parents through Law » (2007), 21 Int’l JL Pol’y & Fam. 242, à la page 250. Comme l’a expliqué la professeure Mykitiuk [traduction] : « [e]n common law, le lien juridique avec la mère de l’enfant, plutôt que tout autre lien biologique direct avec l’enfant, établissait la paternité […] Même si la présomption pouvait être réfutée par le mari de la mère de l’enfant, elle ne pouvait l’être par aucun autre homme, même s’il pouvait prouver qu’il était le progéniteur biologique. Ainsi, l’ancrage biologique de la paternité juridique était plus insaisissable et illusoire – les vérités juridiques ne correspondaient pas toujours aux faits biologiques » (Roxanne Mykitiuk, « Beyond Conception: Legal Determinations of Filiation in the Context of Assisted Reproductive Technologies » (2001), 39 Osgoode Hall L.J. 771, à la page 780).

[106]   Il s’agit de l’approche suivie par les provinces canadiennes de common law à l’époque de l’adoption de la Loi de 1977, et certaines provinces ont adopté des mesures législatives allant précisément en ce sens. Par exemple, en 1977, l’Assemblée législative de l’Ontario a adopté la Children’s Law Reform Act, S.O. 1977, ch. 41 (Loi portant réforme du droit de l’enfance). L’article 8 de cette loi consacrait une version modifiée de la présomption de paternité en common law. Le paragraphe 8(1) était libellé ainsi :

[traduction]

Présomption de paternité

8.(1) À moins que le contraire ne soit établi par la prépondérance des probabilités, une personne du sexe masculin est présumée le père d’un enfant et est reconnue en droit comme tel dans l’une des circonstances suivantes :

1.   Elle est mariée à la mère de l’enfant à la naissance de celui‑ci.

2.   Elle était unie à la mère de l’enfant par les liens d’un mariage qui a été dissous, soit par un décès ou un jugement de nullité dans les 300 jours qui ont précédé la naissance de l’enfant, soit par un divorce lorsque le jugement conditionnel a été prononcé au cours de cette même période.

3.   Elle épouse la mère de l’enfant après la naissance de celui‑ci et reconnaît en être le père naturel.

4.   Elle cohabitait avec la mère de l’enfant dans une relation d’une certaine permanence à la naissance de cet enfant ou l’enfant est né au cours des 300 jours qui ont suivi la fin de la cohabitation.

5.   Elle et la mère de l’enfant ont déposé une déclaration solennelle en vertu du paragraphe 8 de l’article 6 de la Loi sur les statistiques de l’état civil ou présenté une demande en vertu du paragraphe 5 de l’article 6 de la Loi ou en vertu d’une disposition similaire d’une loi analogue d’une autre compétence législative du Canada.

6.   Le lien de paternité entre elle et l’enfant a été établi ou reconnu de son vivant par un tribunal compétent au Canada.

[107]   Des principes similaires s’appliquaient en vertu du droit civil. À la fin des années 1970, le Code civil en vigueur au Québec [auparavant le Code civil du Bas-Canada] comportait des dispositions explicites qui reflétaient une forte présomption selon laquelle le mari de la mère biologique était l’enfant du père. Par exemple, aux termes de l’article 218, l’enfant conçu pendant le mariage était légitime et avait pour père le mari, et un enfant né le ou après le 180e jour de la célébration du mariage, ou dans les 300 jours après sa dissolution, était tenu pour conçu pendant le mariage. Le mari de la mère biologique ne pouvait réfuter la présomption de paternité que dans des circonstances très précises. Par exemple, l’article 219 du Code civil en vigueur à l’époque prévoyait que le mari ne pouvait désavouer l’enfant, même pour cause d’adultère, à moins que la naissance ne lui ait été cachée. De plus, en vertu de l’article 223, un mari qui était autorisé à désavouer un enfant devait le faire dans les deux mois s’il était sur les lieux lors de la naissance de l’enfant, dans les deux mois après son retour s’il était absent lors de la naissance de l’enfant, ou dans les deux mois après la découverte de la fraude si on lui avait caché la naissance de l’enfant.

[108]   Le législateur était sans doute au courant de ces présomptions bien connues des traditions de la common law et du droit civil au Canada à l’époque où il a initialement adopté l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté. Or, il a choisi de ne pas exclure ces pères non génétiques du champ d’application de l’alinéa, bien qu’il ait exclu les parents adoptifs. Il faut supposer qu’il s’agissait d’un choix délibéré.

[109]   De plus, le législateur aurait été conscient que, dans les années 1970, certaines personnes avaient recours à l’insémination artificielle au moyen de dons de sperme. Il est rapporté que cette façon de concevoir un enfant a d’abord été utilisée au 19e siècle. À l’époque où le législateur a modifié la Loi sur la citoyenneté de façon à y inclure l’alinéa 3(1)b), l’Office de révision du Code civil discutait d’un ensemble de réformes au Code civil du Québec visant explicitement les situations où l’enfant est conçu en utilisant le sperme d’un donneur : Bartha Maria Knoppers, « The “Legitimization” of Artificial Insemination: Promise or Problem? » (1978), 1 Fam. L. Rev. 108, aux pages 108 et 114, note en fin de texte 8. Si l’interprétation génétique des mots « père ou mère » prévaut, il s’ensuit que le Canadien qui fournit une matière génétique à une banque de sperme pourrait conférer la citoyenneté canadienne à tous les enfants nés de sa contribution génétique, y compris les enfants d’étrangers n’ayant aucun lien avec le Canada, tandis que les enfants de citoyens canadiens vivant à l’étranger qui sont nés du sperme donné par un étranger n’auraient pas droit à la citoyenneté. À mon avis, le législateur n’aurait jamais recherché un tel résultat.

[110]   Je crois plutôt que le législateur, à l’alinéa 3(1)b), avait l’intention d’utiliser la notion juridique de père ou de mère. Ainsi, la citoyenneté canadienne peut être conférée par filiation à un enfant qui a un père ou une mère de citoyenneté canadienne et qui est né à la suite d’une technique de fécondation, et ce, peu importe la nationalité des donneurs de matière génétique. Par contre, la citoyenneté par filiation ne peut être conférée à l’enfant qui a des parents étrangers et qui est né à la suite d’une technique de fécondation faisant usage de matériel génétique d’un citoyen canadien, étant donné que dans de telles circonstances, juridiquement, le contributeur génétique n’est pas réputé être parent.

iii) Analyse téléologique

[111]   L’analyse téléologique va également dans le sens de cette interprétation.

[112]   La première loi qui permettait d’accorder à la citoyenneté canadienne un statut distinct de la nationalité britannique était la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1947 (la Loi de 1947). Aux termes de l’article 5 de la Loi de 1947, la personne née à l’extérieur du Canada après l’entrée en vigueur de la Loi était réputée avoir la citoyenneté canadienne si « son père ou, dans le cas d’un enfant né hors du mariage, sa mère, à la naissance de ladite personne, est citoyen canadien […] et si […] le fait de sa naissance est inscrit à un consulat ou au bureau du Ministre, dans les deux années qui suivent cet événement ».

[113]   La Loi de 1947 ne comportait aucun obstacle à la citoyenneté par filiation acquise par l’entremise du père pour un enfant né dans les liens du mariage, et ce, sans égard au lien génétique ou biologique entre le père et l’enfant. Elle exigeait uniquement un lien juridique avec le père, acquis grâce à la naissance dans les liens du mariage.

[114]   Un des objectifs de l’adoption de l’alinéa 3(1)b) dans la Loi de 1977 était manifestement d’élargir la citoyenneté acquise par filiation de façon à y inclure l’enfant né hors du mariage ayant un père ou une mère canadien. Cet élargissement de la citoyenneté par filiation s’inscrivait dans une évolution du droit vers la reconnaissance de droits égaux pour les enfants soi‑disant « illégitimes ». Par exemple, l’article premier de la Loi portant réforme du droit de l’enfance adoptée par l’Ontario en 1977, précitée, abolissait toute distinction entre le statut des enfants nés hors du mariage et celui des enfants nés dans les liens du mariage.

[115]   Par conséquent, un des principaux objectifs de l’insertion de l’alinéa 3(1)b) dans la Loi sur la citoyenneté de 1977 était d’élargir la citoyenneté par filiation en supprimant les restrictions juridiques qui touchaient les enfants illégitimes.

[116]   Vu cet objetif législatif et ma conclusion selon laquelle les mots « père ou mère » ne renvoient pas exclusivement aux parents biologiques, je ne vois pas comment cette disposition pourrait être interprétée de manière à nier la citoyenneté par filiation aux enfants nés dans les liens du mariage et ayant des pères canadiens avec qui ils ont un lien juridique légitime et exécutoire, même s’il n’y a pas de lien génétique entre eux.

[117]   De plus, le législateur a par la suite modifié la Loi sur la citoyenneté de manière à abolir dans une large mesure les distinctions qui visaient les enfants adoptés de citoyens canadiens. La nouvelle disposition, soit l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté, permet à l’enfant né à l’étranger et adopté par un citoyen canadien de présenter une demande de citoyenneté sans d’abord devoir obtenir la résidence permanente, pourvu que l’adoption réponde à certains critères juridiques. Encore une fois, il est clair que l’objectif de cette disposition était d’élargir la citoyenneté par filiation en abolissant dans une large mesure les distinctions juridiques autrefois opérées entre les enfants des citoyens canadiens.

[118]   L’appelant soutient néanmoins que le législateur, bien qu’il ait cherché à supprimer ou à réduire les distinctions juridiques touchant les enfants illégitimes et adoptés, aurait pour une raison ou une autre maintenu une distinction touchant les enfants de citoyens canadiens n’ayant pas de lien génétique avec leurs pères ou mères canadiens. Cette interprétation pourrait exclure du champ d’application de l’alinéa 3(1)b) l’enfant ayant un père ou une mère de citoyenneté canadienne et étant né à l’étranger à la suite de l’utilisation de matériel génétique donné par un étranger — que ce soit par l’entremise d’une banque de sperme, de la fécondation in vitro ou d’une autre technique médicale. Je ne puis retenir l’idée que le législateur ait voulu opérer une telle distinction.

[119]   Il est clair que toutes les modifications de la Loi sur la citoyenneté signalées ci‑dessus avaient pour but d’assurer que tous les enfants de citoyens canadiens soient traités de manière considérablement égale, sans égard aux circonstances de leur naissance. À la lumière de cet objectif, il serait conséquent de traiter l’enfant d’un citoyen canadien qui est conçu à l’aide d’une technique de procréation assistée d’une manière substantiellement égale à l’enfant qui a un lien génétique ou adoptif avec son parent canadien.

[120]   Cette approche concorde en outre avec les lois canadiennes en matière de droits de la personne, notamment la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6, qui interdit la discrimination fondée sur la situation de famille, ce qui inclut sans doute les circonstances de la naissance ou le mode de conception. Il est par ailleurs fort possible que les circonstances de la naissance ou le mode de conception constituent un motif analogue de discrimination en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). À cet égard, il est utile de noter que le [traduction] « mode de conception » a récemment été admis à titre de motif analogue en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte : Pratten v. British Columbia (Attorney General), 2012 BCCA 480, 357 D.L.R. (4th) 660, aux paragraphes 18 et 36, autorisation de pourvoi à la CSC refusée le 30 mai 2013 ([2013] 2 R.C.S. xii).

[121]   Devant des interprétations opposées d’une disposition législative, il faut accorder la préférence à celle qui est conforme au respect des droits fondamentaux de la personne et aux droits garantis par la Charte : Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la page 1078; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, à la page 1010; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, à la page 660; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, au paragraphe 66; R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45, au paragraphe 33.

[122]   Enfin, je note que la Cour fédérale d’Australie s’est récemment penchée sur un contentieux similaire en matière de citoyenneté à l’occasion de l’affaire H v. Minister for Immigration and Citizenship, [2010] FCAFA 119. Cette cour a jugé que le mot [traduction] « parent » dans une disposition législative similaire à l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté devait être interprété suivant son sens ordinaire, rejetant ainsi avec fermeté la position selon laquelle le mot ne pouvait renvoyer qu’à un parent biologique ou génétique.

Conclusions

[123]   En l’espèce, selon les principes généraux de la common law et du droit civil, l’intimée est réputée, à toutes fins que de droit, être l’enfant de son père canadien. De plus, comme je l’ai déjà signalé, il n’est pas controversé entre les parties que l’intimée est réputée être l’enfant de son père canadien selon le droit indien, où elle est née, et selon le droit britanno-colombien, où habite sa famille.

[124]   Par conséquent, je conclus que l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté s’applique à l’intimée de manière à lui conférer la citoyenneté canadienne par filiation.

[125]   Par conséquent, je rejetterais l’appel, avec dépens en faveur de l’intimée.



[1] Note de l’arrêtriste : Cet arrêt sera publié dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

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