T-378-14
2014 CF 1247
Cynthia Knebush (demanderesse)
c.
Ruth Maygard, Clarissa McArthur, Gaylene McArthur et Kathleen McArthur, à titre personnel et en leur qualité de membres du Conseil de bande de la Première Nation Pheasant Rump Nakota et la Première Nation Pheasant Rump Nakota (défenderesses)
Répertorié : Knebush c. Maygard
Cour fédérale, juge Mandamin—Ottawa, 19 décembre 2014.
Pratique — Frais et dépens — Requête visant à obtenir une ordonnance d’adjudication des dépens à l’encontre des défenderesses — La demande de contrôle judiciaire sous-jacente portant sur une question de gouvernance d’une première nation avait été réglée — La demanderesse a fait valoir, entre autres, que la demande était une « cause d’intérêt public », que les frais des conseillères défenderesses avaient été payés par la Première Nation, et que l’adjudication de dépens redresserait le déséquilibre entre la demanderesse et les conseillères défenderesses — Il s’agissait d’établir si des dépens peuvent découler du règlement conclu dans le cadre d’un contrôle judiciaire relativement à un différend en matière de gouvernance d’une première nation — La Cour possède le pouvoir discrétionnaire complet d’adjuger des dépens conformément à la règle 400 des Règles des Cours fédérales — Les litiges vont à l’encontre des valeurs des Premières Nations — Les ententes constituent un moyen par lequel des affaires importantes sont jugées et acceptées par les membres des Premières Nations de façon plus définitive — L’adjudication de dépens sous-tend qu’une partie a eu gain de cause et que l’autre partie a perdu sa cause — Il importe de créer un équilibre dans le processus d’examen des dépens — Ces conclusions au sujet des gagnants et des perdants vont à l’encontre des avantages découlant d’un règlement sous forme d’entente et découragent les tentatives en vue de parvenir à de telles ententes — Il faut tenir compte de l’aspect de l’intérêt public — Dans les cas où le processus de règlement favorise l’observation de la loi sur la gouvernance des Premières Nations, il convient d’examiner la question de savoir si des dépens devraient être adjugés à l’encontre de la Première Nation — Il y a un déséquilibre entre la demanderesse et les défenderesses — Les défenderesses se sont fait rembourser leurs frais juridiques par la Première Nation — Si une demande de contrôle judiciaire traite bel et bien de la question de la loi de la Première Nation, dans l’intérêt public, les demandeurs individuels peuvent eux aussi avoir le même droit de s’adresser à la première nation pour se faire rembourser leurs frais — Dans de telles circonstances, une adjudication raisonnable de dépens fait en sorte qu’aucune conclusion défavorable quant aux perdants ou aux gagnants n’est tirée — L’examen des dépens est approprié dans les règlements de demandes de contrôle judiciaire sur la gouvernance de premières nations — Requête accordée.
Peuples autochtones — Élections — Contrôle judiciaire — Dépens — Bien que des dépens ne soient en général pas adjugés lorsque des règlements sont conclus à la suite d’une entente, la règle 400 des Règles des Cours fédérales n’interdit pas l’adjudication de dépens après le règlement — Il faut tenir compte de l’aspect de l’intérêt public — Il y a un déséquilibre entre un membre d’une première nation qui présente une demande de contrôle judiciaire pour faire respecter les lois de la première nation et les défendeurs qui constituent l’organisme dirigeant de la première nation — Ces défendeurs, généralement les chefs et les conseillers, sont en position de se faire rembourser leurs frais juridiques par la première nation — Si une demande de contrôle judiciaire traite bel et bien de la question de la loi de la première nation, dans l’intérêt public, les demandeurs individuels peuvent eux aussi avoir le même droit de s’adresser à la première nation pour se faire rembourser leurs frais.
Il s’agissait d’une requête visant à obtenir une ordonnance d’adjudication des dépens à l’encontre des défenderesses.
Les parties avaient précédemment réglé la demande de contrôle judiciaire sous-jacente portant sur une question de gouvernance d’une première nation. La demanderesse, qui a engagé des frais pour préparer, signifier et déposer l’avis de demande, pour préparer un affidavit à l’appui, et pour écrire à la Cour en vue de demander la tenue d’une audience de gestion de l’instance, a fait valoir que la demande était une « cause d’intérêt public » qui maintient la primauté du droit au niveau de la gouvernance coutumière des Premières Nations, qu’elle est parvenue à obtenir une élection rapide du chef, que les frais des conseillères défenderesses avaient été payés par la Première Nation, de sorte qu’elles ne seraient pas personnellement responsables de leurs frais juridiques, et que l’adjudication de dépens redresserait le déséquilibre entre la demanderesse et les conseillères défenderesses.
Il s’agissait d’établir si des dépens peuvent découler du règlement conclu dans le cadre d’un contrôle judiciaire relativement à un différend en matière de gouvernance d’une première nation.
Jugement : la requête doit être accordée.
Des dépens, payables par la Première Nation Pheasant Rump Nakota, ont été adjugés à la demanderesse.
La Cour possède le pouvoir discrétionnaire complet d’adjuger des dépens conformément à la règle 400 des Règles des Cours fédérales. Bien que des dépens ne soient en général pas adjugés lorsque des règlements sont conclus à la suite d’une entente, la règle 400 n’interdit pas l’adjudication de dépens après le règlement et la jurisprudence reconnaît la possibilité de telles adjudications. Les litiges vont à l’encontre des valeurs des Premières Nations, lesquelles favorisent l’entente ou le consensus comme principaux moyens de régler des problèmes. Le processus qui consiste à trancher des questions importantes au moyen d’une entente trouve écho dans de nombreuses cultures des Premières Nations. Les ententes constituent un moyen par lequel des affaires importantes sont jugées et acceptées par les membres des Premières Nations de façon plus définitive. D’une part, l’adjudication de dépens sous-tend qu’une partie a eu gain de cause et que l’autre partie a perdu sa cause. Il importe de créer un équilibre dans le processus d’examen des dépens. Ces conclusions au sujet des gagnants et des perdants vont à l’encontre des avantages découlant d’un règlement sous forme d’entente et découragent les tentatives en vue de parvenir à de telles ententes. D’autre part, il faut tenir compte de l’aspect de l’intérêt public. Les parties au processus de règlement acquièrent une meilleure compréhension de l’élément de gouvernance des Premières Nations qui fait l’objet du litige. Cette compréhension favorise le respect de la primauté du droit eu égard aux lois sur la gouvernance des Premières Nations. Dans les cas où le résultat donne lieu à une meilleure compréhension et à un meilleur engagement en ce qui a trait à l’observation de la loi sur la gouvernance des Premières Nations, il convient d’examiner la question de savoir si des dépens devraient être adjugés à l’encontre de la Première Nation. Il y a un déséquilibre entre un membre d’une première nation qui présente une demande de contrôle judiciaire pour faire respecter les lois de la première nation et les défendeurs qui constituent l’organisme dirigeant de la première nation. Ces défendeurs, généralement les chefs et les conseillers, sont en position de se faire rembourser leurs frais juridiques par la première nation. Si une demande de contrôle judiciaire traite bel et bien de la question de la loi de la première nation, dans l’intérêt public, les demandeurs individuels peuvent eux aussi avoir le même droit de s’adresser à la première nation pour se faire rembourser leurs frais. Une adjudication raisonnable de dépens fondée sur l’intérêt public à l’encontre d’une première nation, laquelle a bénéficié d’une clarification à ses lois sur la gouvernance, fait en sorte qu’aucune conclusion défavorable quant aux perdants ou aux gagnants n’est tirée. L’examen des dépens est approprié dans les règlements de demandes de contrôle judiciaire sur la gouvernance de premières nations, plutôt qu’un simple statut d’exception à la pratique générale de ne pas adjuger de dépens dans les règlements.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur les indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2 « conseil de la bande ».
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 400, tarif B, colonne III.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions examinées :
RCP Inc. c. Ministre du Revenu national, [1986] 1 C.F. 485 (1re inst.); Première Nation des Mohawks d’Akwesasne c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2010 CF 754; Commandant c. Hay, 2014 CF 213; Randall c. Première nation Caldwell de la Pointe Pelée et de l’île Pelée, 2006 CF 1054; Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick, 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405; Conseil coutumier de la première Anishinabe de Roseau River c. Nelson, 2013 CF 180; Ratt c. Matchewan, 2010 CF 160.
décisions citées:
Francosteel Canada Inc. c. African Cape (L’), 2003 CAF 119, [2003] 4 C.F. 284; Merck & Co. Inc. c. Novopharm Ltd., 1998 CanLII 8260 (C.F. 1re inst.); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; Gamblin c. Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536; R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771; Bellegarde c. Poitras, 2009 CF 1212.
REQUÊTE visant à obtenir une ordonnance d’adjudication des dépens à l’encontre des défenderesses. Requête accordée.
ONT COMPARU
Sacha R. Paul pour la demanderesse.
Michael P. Hudec pour les défenderesses Ruth Maygard, Gaylene McArthur et Kathleen McArthur, à titre personnel et en leur qualité de membres du Conseil de bande de la Première Nation Pheasant Rump Nakota.
Kirk Goodtrack pour la défenderesse Clarissa McArthur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Thompson Dorfman Sweatman LLP, Winnipeg, pour la demanderesse.
Hudec Law Office, North Battleford, Saskatchewan, pour les défenderesses Ruth Maygard, Gaylene McArthur et Kathleen McArthur, à titre personnel et en leur qualité de membres du Conseil de bande de la Première Nation Pheasant Rump Nakota.
Goodtrack Law, Regina, Saskatchewan, pour la défenderesse Clarissa McArthur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par
Le juge Mandamin :
I. Introduction
[1] Il s’agit d’une question d’adjudication de dépens dans le cadre de laquelle les parties ont réglé la demande de contrôle judiciaire sous-jacente portant sur une question de gouvernance d’une Première Nation. Cela donne donc à la Cour la possibilité d’examiner l’adjudication de dépens dans le règlement de différends touchant les Premières Nations dans le contexte d’un règlement plutôt que d’un litige.
II. Contexte
[2] La Première Nation Pheasant Rump Nakota est située dans le sud-est de la Saskatchewan. Ses membres ont choisi de se gouverner eux-mêmes par leur propre loi, soit le régime électoral coutumier. Le chef de la Première Nation Pheasant Rump Nakota avait démissionné de son poste le 1er août 2013. Le régime électoral coutumier couvre cette situation et exige une élection partielle au poste de chef dans les deux mois suivant la vacance à ce poste. Plus précisément, l’alinéa 2(6)(iv) de la loi sur la gouvernance exige la tenue d’une élection partielle [traduction] « le dernier vendredi du deuxième mois qui suit le mois au cours duquel le poste de chef et (ou) de membre du conseil de bande est devenu vacant ».
[3] En raison des retards dans l’établissement du calendrier d’une élection partielle, la demanderesse, Mme Cynthia Knebush, a présenté le 10 février 2014 une demande d’ordonnance de mandamus pour contraindre les défenderesses, en leur qualité de membres du Conseil, à tenir une élection partielle pour le poste de chef.
[4] La demanderesse était représentée par un avocat. Les conseillères défenderesses, soit Mme Ruth Maygard, Mme Gaylene McArthur et Mme Kathleen McArthur (les conseillères défenderesses), ont retenu conjointement les services d’un avocat. L’autre défenderesse, Mme Clarissa McArthur (la défenderesse McArthur), conseillère qui était en conflit avec les autres membres du Conseil, a retenu les services d’un autre avocat.
[5] Les lignes directrices de pratique de la Cour fédérale sur des différends dans la gouvernance de Premières Nations comportent un mécanisme alternatif de règlement de différends fondé sur la gestion des dossiers et sur un dialogue informel ou formel de règlement des différends. Conformément à ces lignes directrices, j’ai tenu à Winnipeg le 7 mars 2014 une audience de gestion de l’instance avec les avocats de toutes les parties et avec certaines des parties, lesquelles étaient soit présentes en personne, soit par l’intermédiaire d’une conférence téléphonique.
[6] Les parties ont conclu une entente de règlement du conflit en matière de gouvernance de la Première Nation Pheasant Rump. Le règlement prévoyait que l’élection générale pour les postes de chef et de conseillers serait devancée de plusieurs mois et qu’elle aurait lieu le 27 juin 2014. Le protonotaire Roger Lafrenière a confirmé les modalités du règlement au moyen d’une ordonnance sur consentement datée du 19 mars 2014, laquelle fixait l’élection générale au 27 juin 2014.
[7] J’ai accepté d’être saisi de la question des dépens, que j’allais trancher après réception des observations écrites des parties.
III. La question en litige
[8] La question fondamentale en l’espèce consiste à établir si des dépens peuvent découler du règlement conclu dans le cadre d’un contrôle judiciaire relativement à un différend en matière de gouvernance d’une première nation. Dans l’affirmative, la Cour doit établir si la demanderesse et la défenderesse McArthur ont droit à des dépens et le montant de ceux-ci.
IV. Les dispositions applicables
[9] La Cour possède le pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens eu égard aux critères de la règle 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), qui est libellé ainsi :
PARTIE II
DÉPENS
400. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. […] |
Pouvoir discrétionnaire de la Cour |
(3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants : a) le résultat de l’instance; […] e) toute offre écrite de règlement; […] g) la charge de travail; […] h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens; i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance; […] o) toute autre question qu’elle juge pertinente. |
Facteurs à prendre en compte |
(4) La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés. […] |
Tarif B |
(6) Malgré toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut : […] c) adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat-client; |
Autres pouvoirs discrétionnaires de la Cour |
V. Les observations
A. Les observations de la demanderesse Cynthia Knebush
[10] La demanderesse réclame conjointement ou solidairement aux conseillères défenderesses, sauf la défenderesse McArthur, le montant de 10 000 $ à titre de dépens, incluant les débours.
[11] La demanderesse a engagé des frais pour préparer, signifier et déposer l’avis de demande, pour préparer un affidavit à l’appui, et pour écrire à la Cour en vue de demander la tenue d’une audience de gestion de l’instance, en plus des frais liés à l’obtention de services juridiques dans une communauté rurale éloignée. Les débours de la demanderesse se sont élevés à 794,90 $ et ses frais juridiques ont été calculés de la manière suivante : 19 000 $ de dépens avocat-client, ou si l’on se sert de la grille du tarif, 5 880 $ sous la colonne III [du tarif B], ou 10 220 $ sous la colonne V [du tarif B]. La moyenne des trois montants s’établit à 11 700 $.
[12] La demanderesse fait valoir trois arguments pour réclamer des dépens :
a. la demande était une « cause d’intérêt public » qui maintient la primauté du droit au niveau de la gouvernance coutumière des Premières Nations; la demanderesse n’en tire pas directement un avantage;
b. la demanderesse est parvenue à obtenir une élection rapide du chef;
c. les frais des conseillères défenderesses sont vraisemblablement payés par la Première Nation, de sorte qu’elles ne seraient pas personnellement responsables de leurs frais juridiques. La demanderesse fait valoir que son avocat a agi à titre bénévole ou presque, mais qu’elle a néanmoins engagé des frais personnels, parce qu’elle a déjà versé une avance sur honoraires;
d. l’adjudication de dépens redresserait le déséquilibre entre la demanderesse et les conseillères défenderesses dont les frais juridiques, l’on présume, sont couverts par la Première Nation.
B. Les observations de la défenderesse McArthur
[13] La défenderesse McArthur soutient qu’il existe une division entre elle-même et les autres conseillères et elle demande des dépens avocat-client complets à l’encontre de la Première Nation. Elle prétend que sa demande de dépens avocat-client repose sur l’intérêt public.
[14] La défenderesse McArthur fait valoir trois arguments pour lesquels la Cour devrait, dans l’intérêt public, examiner la présente demande de dépens :
a. L’intérêt public en l’espèce est fondé sur l’accès à la justice. Le différend en l’espèce a eu une incidence sur tous les membres de la Première Nation. La demande a été faite au profit de l’ensemble de la communauté;
b. Elle affirme qu’elle est démunie, que la demande était nécessaire et qu’elle nécessitait l’intervention des avocats pour exiger que les conseillères défenderesses déclenchent une élection; le fait de ne pas adjuger de dépens équivaut à une approbation tacite de l’inaction des conseillères défenderesses;
c. Elle fait également valoir qu’à titre de conseillère, elle se trouve dans la même position que les autres conseillères et qu’elle devrait être indemnisée par la Première Nation de la même façon que les conseillères défenderesses.
[15] La défenderesse McArthur soutient que les conseillères défenderesses lui ont enlevé son pouvoir et elle n’a pas pris part à la décision de ne pas déclencher d’élection, déclenchement exigé par le régime électoral coutumier. Elle prétend que son salaire de conseillère a été réduit, ce qui a mis en péril sa capacité de retenir les services d’un avocat. En tant que défenderesse, elle était exposée à la même responsabilité que les autres défenderesses. Elle a consenti à la réparation demandée par la demanderesse et elle prétend qu’il n’existe donc pas de motif valable de ne pas la dédommager intégralement pour ses frais juridiques.
[16] Le montant des dépens demandé par la défenderesse McArthur est incertain. Elle demande au paragraphe 9 de ses observations écrites des dépens avocat-client complets, lesquels s’élèvent à 4 845,65 $. Toutefois, elle réclame, au paragraphe 45, le montant de 5 985,65 $ à titre de dépens.
[17] Enfin, la défenderesse McArthur prétend que les dépens devraient incomber à la Première Nation Pheasant Rump, qui tiré un avantage du résultat de la demande.
C. Les observations des conseillères défenderesses Ruth Maygard, Gaylene McArthur et Kathleen McArthur
[18] Les conseillères défenderesses font valoir que l’entente des parties a été conclue dans l’intérêt non seulement d’épargner à la Première Nation le coût d’un litige sur les questions, mais également de régler des différends entre les membres de la Première Nation.
[19] Elles soutiennent que la demanderesse n’a eu gain de cause et elles soulignent que l’entente conclue était un règlement fondé sur un compromis de toutes les parties. Par exemple, les conseillères défenderesses ont un manque à gagner au niveau du revenu qu’elles auraient reçu à titre de conseillères, n’eût été l’élection anticipée du 27 juin.
[20] Les conseillères défenderesses affirment que le conseil de la Première Nation a fonctionné sans chef en poste par le passé pendant de longues périodes et que des facteurs légitimes ont occasionné le retard dans l’établissement d’une date d’élection. Elles soutiennent qu’elles ont bien agi et qu’elles n’ont pas fait preuve de mauvaise foi. Si des dépens sont adjugés à leur encontre, les conseillères défenderesses prétendent que ceux-ci devraient être symboliques et non contre elles à titre personnel.
[21] Les conseillères défenderesses prétendent que les dépens réclamés par la demanderesse sont excessifs dans les circonstances, compte tenu des efforts qu’elles ont déployés pour régler l’affaire.
[22] En ce qui concerne la réclamation de dépens avocat-client de la défenderesse McArthur, les défenderesses principales soutiennent que les frais engagés par cette dernière n’étaient pas nécessaires, car sa seule participation se résumait à la présence de son avocat lors d’audience de gestion de l’instance. Les conseillères défenderesses prétendent que la défenderesse McArthur devrait assumer ses propres frais.
VI. Analyse
[23] La règle 400 des Règles des Cours fédérales énonce le principe fondamental selon lequel la Cour possède un pouvoir discrétionnaire complet en matière d’adjudication de dépens. Le paragraphe 400(3) énonce les facteurs dont la Cour peut tenir compte pour adjuger des dépens, mais la Cour peut prendre en compte des facteurs supplémentaires, comme le mentionne l’alinéa 400(3)o). La Cour possède un pouvoir discrétionnaire complet relativement au montant des dépens à adjuger eu égard aux facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles. (Voir Francosteel Canada Inc. c. African Cape (L’), 2003 CAF 119, [2003] 4 C.F. 284, au paragraphe 20.)
A. Les dépens relativement à un règlement
[24] Dans une instance litigieuse, selon la règle générale, les dépens doivent suivre l’issue de la cause, c’est-à-dire que la partie qui a gain de cause se voit adjuger les dépens, à moins qu’il existe un motif pour déroger à la règle générale. Le résultat de l’instance a une grande valeur dans l’examen effectué par la Cour en ce qui concerne l’adjudication de dépens. (Voir l’alinéa 400(3)a); voir également Merck & Co. Inc. c. Novopharm Ltd., 1998 CanLII 8260 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 24.)
[25] À l’opposé, des dépens ne sont en général pas adjugés lorsque des règlements ont été conclus à la suite d’une entente. Toutefois, la règle 400 des Règles n’interdit pas l’adjudication de dépens après le règlement et la jurisprudence reconnaît la possibilité de telles adjudications.
[26] Dans la décision RCP Inc. c. Ministre du Revenu national, [1986] 1 C.F. 485 (1re inst.), le juge Paul Rouleau s’est penché sur la question de savoir si des dépens pourraient être adjugés en l’absence d’une ordonnance ou sans qu’une décision ne soit rendue quant aux questions en litige. Il a statué que rien n’interdisait l’adjudication de dépens lorsqu’un demandeur obtenait la réparation demandée sous forme de règlement. Il a décidé d’adjuger des dépens, parce que l’équité exigeait que les défendeurs ne puissent se soustraire aux dépens en réglant l’affaire une fois qu’il était devenu évident que la demanderesse aurait gain de cause au procès.
[27] Dans la décision Première nation des Mohawks d’Akwesasne c. Canada (Ressources humaines et Développement social), 2010 CF 754 (Mohawks d’Akwesasne), le juge François Lemieux a mentionné ce qui suit (au paragraphe 26) :
C’est une affaire où les parties ont pris part volontairement à la médiation et en sont arrivées à un règlement. Dans de telles affaires, il n’y a habituellement pas de perdants, seulement des gagnants. D’après la jurisprudence, à laquelle je souscris, chacune des parties doit, à moins qu’elles n’en aient convenu autrement, acquitter ses propres dépens dans le cadre d’une médiation, sauf si le comportement des parties au cours du litige n’amène à en décider différemment.
[28] De même, dans la décision Commandant c. Hay, 2014 CF 213 (Première nation des Mohawks de Wahta), le juge Douglas R. Campbell a opiné (aux paragraphes 9 et 10) :
Un facteur peu commun milite toutefois en l’espèce en faveur du règlement d’un tel différend : la volonté de respecter la valeur culturelle voulant que l’équilibre dans la collectivité soit rétabli. Compte tenu de ce principe supérieur, il ne serait pas opportun de faire se prolonger un tel litige après l’obtention d’un règlement par une demande de dépens, puisque le différend sur la gouvernance qui vient d’être réglé ne le serait alors plus, et l’équilibre ne serait pas recouvré.
Je suis donc d’avis qu’en raison de la nature particulière d’un différend sur la gouvernance concernant les Premières Nations, chaque partie devrait payer ses propres dépens après l’obtention d’un règlement, que ce soit par médiation ou au moyen de négociations directes, à moins qu’il n’existe une raison claire et sérieuse qui justifie l’adjudication de dépens. Comme l’a constaté la Cour dans la décision Mohawks d’Akwesasne, les raisons sérieuses peuvent être très variées : en effet, elles peuvent aller des actions déraisonnables et des erreurs commises au cours du litige jusqu’aux comportements répréhensibles et inacceptables.
B. L’entente quant à l’examen de la question des dépens par la Cour
[29] Bien que le processus de règlement puisse traiter de la question de l’adjudication de dépens par la Cour, il existe certaines limites à l’inclusion de telles dispositions dans les ententes de règlement.
[30] Dans la décision Mohawks d’Akwesasne, après la conclusion d’un règlement quant aux questions en litige, le juge Lemieux a choisi de se pencher sur les observations concernant les dépens comme s’il était un arbitre dont la décision lierait les parties et ne pourrait être portée en appel. Il a toutefois formulé la mise en garde suivante (au paragraphe 27) :
L’autre facteur important dont la Cour tient compte, c’est l’effet de douche froide qu’auraient des dépens adjugés contre une partie après la réussite d’une médiation, même lorsque, comme en l’espèce, le règlement conclu prévoit que des dépens puissent être accordés.
[31] Dans la décision Première nation des Mohawks de Wahta, le juge Campbell a accepté de traiter de la question des dépens à la suite du règlement du différend en matière de gouvernance de la Première Nation. Bien que l’entente de règlement ait prévu que les dépens payables aux défendeurs devaient être établis par la Cour, le juge Campbell a apporté une nuance considérable à la question des dépens, en énonçant ce qui suit (au paragraphe 4) :
Comme les parties sont parvenues à cette entente, aucune conclusion sur le fond n’a été tirée dans le cadre de la demande. On a lu les conditions de l’entente à l’audience, dont la suivante : [traduction] « La demande sera rejetée avec dépens, qui devront être adjugés par la Cour ». Pour clarifier les choses, les parties conviennent que ce n’est pas ce qui est écrit dans l’entente, libellée comme suit : [traduction] « La demande est rejetée avec dépens, payables aux défendeurs, qui devront être adjugés par la Cour ». La différence entre les deux énoncés soulève la question de savoir si j’ai le pouvoir discrétionnaire d’adjuger ou non les dépens.
C. Les résultats
[32] Dans la décision Randall c. Première nation Caldwell de Pointe-Pelée et de l’île Pelée, 2006 CF 1054 (Randall), au paragraphe 18, le protonotaire Lafrenière a fait observer que les tribunaux ne devraient pas émettre des hypothèses sur le résultat probable qui aurait découlé du litige :
Si les demandeurs ne reconnaissent pas que le conseil de bande aurait obtenu gain de cause si les procédures s’étaient rendues à l’audience, la Cour ne devrait pas émettre des hypothèses sur le résultat probable. Elle peut toutefois adjuger des dépens en fonction de la conduite des parties pendant le litige, en se demandant par exemple : (1) s’il était raisonnable pour une partie de soulever, poursuivre ou contester une allégation ou une question; (2) si une partie a poursuivi ou défendu sa cause ou une allégation ou question particulière comme il convenait; (3) si une partie a exagéré ses prétentions ou soulevé une défense sans fondement; et (4) si une partie a à juste titre concédé certains points ou abandonné des allégations au cours de la communication préalable.
[33] Les demandeurs n’avaient pas demandé de dépens dans la décision Randall. C’est plutôt le Conseil de la Première Nation, qui avait qualité de défendeur, qui demandait des dépens à l’encontre des demandeurs après le règlement. Le protonotaire Lafrenière a énoncé ce qui suit (aux paragraphes 22 et 23) :
Le litige entre les demandeurs et le conseil de bande a forcé une décision sur un certain nombre de questions latentes et a résulté en un règlement négocié, qui sans aucun doute contribuera à améliorer l’environnement et l’harmonie dans la communauté, ce qui est à l’honneur de toutes les parties.
En ayant à l’esprit l’ensemble du dossier devant la Cour, je ne suis pas convaincu qu’il conviendrait d’adjuger des dépens contre les demandeurs qui, en fin de compte, ne faisaient qu’essayer de faire entendre leur voix. De plus, adjuger des dépens serait plus néfaste que bénéfique puisque cela compromettrait le progrès accompli au cours des six dernières années pour rassembler la communauté.
[34] Le protonotaire Lafrenière, ayant à l’esprit les avantages obtenus dans le résultat final, dont un certain succès des demandeurs pour régler le différend qui sévissait dans la communauté, a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens au défendeur.
D. La conduite des parties
[35] Dans la décision Mohawks d’Akwesasne, les parties ont rapidement convenu de la gestion de cas et de la médiation judiciaire. Toutefois, les négociations ont nécessité beaucoup de temps. Une fois que les principaux éléments d’une entente de règlement ont été conclus, les parties ont convenu que les dépens pourraient être établis par la Cour d’après les observations écrites. Le demandeur a alors exigé des dépens du défendeur.
[36] Le juge Lemieux [dans Mohawks d'Akwesasne] connaissait bien la décision rendue dans Randall et y souscrivait. Il a mentionné ce qui suit à cet égard (aux paragraphes 14 et 29) :
Finalement, les commentaires du protonotaire Lafrenière sur la question du règlement et des dépens ont trouvé leur écho dans les décisions d’autres cours. Je citerai à cet égard le paragraphe 19 des motifs supplémentaires du juge R. A. Blair (alors juge à la Cour de justice de l’Ontario, Division générale, rôle commercial) dans l’affaire Naneff c. Con-crete Holdings Ltd., [1993] O.J. n° 1756 :
[TRADUCTION]
19. Je le fais principalement pour le motif que je vais maintenant exposer. Les parties se sont engagées dans un long processus de médiation présidé par le juge Farley. Elles se sont véritablement efforcées d’en arriver à un règlement, ce qui mérite nos éloges même si, en fin de compte, les efforts consentis n’ont pas été couronnés de succès. À mon avis, les dépens liés au processus de médiation – un effort volontaire pour en arriver à règlement hors cour convenable – devraient être assumés à parts égales par les parties qui y recourent. Sinon les parties pourraient renoncer à un exercice donnant souvent en soi de bons résultats, de crainte que, si cela devait aboutir à un échec et que la procédure s’en trouve prolongée, elles devraient assumer des dépens plus élevés. [Souligné par le juge Lemieux.]
[…]
Il est manifeste, selon moi, que les demandeurs ont obtenu par la médiation bien plus qu’ils auraient pu si avait été poursuivie la procédure judiciaire. Une bonne part du règlement amiable reposait, par exemple, sur l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de renonciation aux sommes dues. Or, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour ne peut imposer l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire; elle ne peut qu’en contrôler la légalité. Ce facteur est d’importance.
[37] Le juge Lemieux a souligné que le gain de cause des demandeurs reposait notamment sur le comportement du défendeur, c’est-à-dire la volonté du ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de favoriser le règlement des questions. La conduite des parties dans les négociations a donc également constitué un facteur.
[38] La question de la conduite s’applique aussi dans les instances judiciaires en ce qui a trait aux dépens avocat-client. Le principe général a été énoncé dans l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405 (Mackin), au paragraphe 86 :
Il est établi que la question des dépens est laissée à la discrétion du juge de première instance. La règle générale en la matière veut que des dépens entre avocat et client ne soient accordés qu’en de rares occasions, par exemple lorsqu’une partie a fait preuve d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante (Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, p. 134). Des raisons d’intérêt public peuvent également fonder une telle ordonnance (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, p. 80).
[39] Cette conduite constituait un facteur dans l’adjudication de dépens dans la décision Conseil coutumier de la première nation Anishinabe de Roseau River c. Nelson, 2013 CF 180 (Conseil coutumier de la première nation Anishinabe de Roseau River). Le juge James Russell a accordé des dépens à l’encontre du défendeur Nelson ainsi que du chef et des conseillers précédents, en faveur du demandeur et des autres défendeurs, soit le chef et les conseillers en poste.
[40] Le juge Russell a conclu que la preuve soumise à la Cour a établi que les défendeurs Nelson se sont livrés à une conduite répréhensible, scandaleuse et outrageante qui méritait l’attribution de dépens avocat-client à leur encontre. Il y a lieu de signaler que le juge Russell a traité de la conduite des défendeurs lors des faits ayant mené à la demande de contrôle judiciaire plutôt que lors du litige au cours duquel les parties se représentaient elles-mêmes.
E. L’intérêt public
[41] Comme il a été mentionné précédemment, l’intérêt public peut également justifier le prononcé d’une ordonnance relative aux dépens : Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3 (Friends of the Oldman River Society), à la page 80.
[42] Le juge Russell a mentionné ce qui suit dans la décision Conseil coutumier de la première nation Anishinabe de Roseau River (PNARR) lorsqu’il a adjugé des dépens avocat-client (au paragraphe 76) :
Il y a également ici une puissante raison d’intérêt public à adjuger des dépens avocat-client. Si la Constitution de la PNARR se trouve ainsi méconnue et violée par pur opportunisme, il n’y aura jamais de fin aux différends tels que le présent, ce qui va nécessairement à l’encontre de l’intérêt de la PNARR.
F. Les questions de gouvernance des Premières Nations
[43] Les Premières Nations sont uniques, en ce sens qu’elles peuvent établir leurs propres lois de gouvernance conformément au droit autochtone de déterminer leur structure de gouvernance « selon la coutume de [la bande] ». Ce droit autochtone unique est confirmé par l’article 2 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, qui prévoit ce qui suit :
2. (1) L[a] définition […] qui sui […] s’applique […] à la présente loi : […] |
Définitions |
« conseil de la bande » […] b) dans le cas d’une bande à laquelle l’article 74 n’est pas applicable, le conseil choisi selon la coutume de la bande ou, en l’absence d’un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci. |
« conseil de la bande » “council…” |
[44] Le juge Robert Mainville a traité de la nature de ce droit autochtone dans la décision Ratt c. Matchewan, 2010 CF 160 (Matchewan), au paragraphe 101 :
Les processus de sélection coutumiers constituent l’un des rares droits de gouvernance autochtones qui bénéficient d’une reconnaissance législative explicite dans une loi fédérale, la Loi sur les Indiens. Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin est lui-même une expression contemporaine du système de sélection traditionnel des dirigeants des Algonquins de Lac-Barrière. Cette coutume est explicitement reconnue par la Loi sur les Indiens.
[45] Les questions de la légitimité ou de l’observation des lois de gouvernance des Premières Nations ont été soumises à la Cour fédérale dans des demandes de contrôle judiciaire de décisions ou de mesures prises par des chefs, des conseils, des dirigeants ou des tribunaux des Premières Nations. (Voir Gamblin c. Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536, aux paragraphes 55 à 61.)
[46] La Cour fédérale, lorsqu’elle étudie la question, tranche généralement en interprétant les lois des Premières Nations en matière de gouvernance ou en appliquant les principes d’équité procédurale. Ces décisions contribuent à clarifier les lois de gouvernance des Premières Nations et leur application appropriée. Il en découle que les membres des Premières Nations comprennent mieux leurs lois, ce qui favorise l’observance des lois sur la gouvernance et la compatibilité des mesures avec celles-ci. Ce processus fait en sorte que les lois sur la gouvernance des Premières Nations bénéficient, au même titre que les lois fédérales ou provinciales, des éclaircissements découlant de l’interprétation judiciaire.
[47] Toutefois, l’examen des litiges qui touchent la gouvernance des Premières Nations comporte une difficulté unique pour les Premières Nations. Une première nation est une communauté de membres possédant des liens historiques et familiaux de longue date. La nature contradictoire du processus judiciaire peut exacerber les divergences d’opinions dans la communauté et nuire aux relations actuelles entre les membres des Premières Nations.
[48] En outre, les litiges deviennent de plus en plus coûteux. Les dépens adjugés dans les litiges serrés peuvent atteindre des dizaines de milliers de dollars. Ces coûts peuvent détourner les ressources des Premières Nations qui auraient été sinon été affectées à d’autres priorités importantes, comme des initiatives éducatives, sociales et économiques.
[49] Enfin, j’estime que les litiges vont à l’encontre des valeurs des Premières Nations, lesquelles favorisent l’entente ou le consensus comme principaux moyens de régler des problèmes. Il est clair que si la question de la gouvernance se rapporte à l’interprétation appropriée d’une loi de la première nation, celle-ci doit être tranchée par les tribunaux. Toutefois, bon nombre des questions sont liées à des faits au sujet desquels les parties ne s’entendent pas. Dans d’autres cas, il est possible d’en venir à un règlement en procédant autrement. Un règlement négocié constitue alors une solution de rechange au litige. Règle générale, les parties comprennent ce que serait un résultat équitable pour tous. Les avocats chevronnés sont bien informés et peuvent généralement évaluer les résultats probables. Les règlements sont fondés sur ces prémisses et sur ces connaissances et ils permettent de résoudre de telles questions sans qu’il soit nécessaire de poursuivre le litige.
[50] Les demandes de contrôle judiciaire peuvent prévoir des modes alternatifs de règlement des différends. Les Règles des Cours fédérales sont souples et elles permettent que les questions soumises au contrôle judiciaire soient abordées au moyen de la gestion de l’instance et du règlement des différends; cela ne signifie pas que le règlement des différends ne nécessite pas d’engagement et d’efforts. La conclusion d’une entente satisfaisante et équitable pour toutes les parties requiert du travail, de la souplesse et une volonté de faire des compromis.
[51] Il existe plusieurs avantages à conclure un règlement satisfaisant dans les cas de différends en matière de gouvernance des Premières Nations : parmi les plus importants, mentionnons l’apaisement de tensions au sein des communautés des Premières Nations, l’obtention de résultats favorables qui vont au-delà des résultats possibles du contrôle judiciaire, et un règlement plus fondamental des questions.
[52] La Cour fédérale a constaté à maintes reprises les avantages du règlement des litiges au moyen d’une entente entre les parties. En résumé :
Le litige entre les demandeurs et le conseil de bande a forcé une décision sur un certain nombre de questions latentes et a résulté en un règlement négocié, qui sans aucun doute contribuera à améliorer l’environnement et l’harmonie dans la communauté, ce qui est à l’honneur de toutes les parties. (Randall, au paragraphe 22.)
C’est une affaire où les parties ont pris part volontairement à la médiation et en sont arrivées à un règlement. Dans de telles affaires, il n’y a habituellement pas de perdants, seulement des gagnants. (Mohawks d’Akwesasne, au paragraphe 26.)
Un facteur peu commun milite toutefois en l’espèce en faveur du règlement d’un tel différend : la volonté de respecter la valeur culturelle voulant que l’équilibre dans la collectivité soit rétabli. Compte tenu de ce principe supérieur, il ne serait pas opportun de faire se prolonger un tel litige après l’obtention d’un règlement par une demande de dépens, puisque le différend sur la gouvernance qui vient d’être réglé ne le serait alors plus, et l’équilibre ne serait pas recouvré. (Première nation des Mohawks de Wahta, au paragraphe 9.)
[53] J’ajouterais que le processus qui consiste à trancher des questions importantes au moyen d’une entente trouve écho dans de nombreuses cultures des Premières Nations. Les ententes constituent un moyen par lequel des affaires importantes sont jugées et acceptées par les membres des Premières Nations de façon plus définitive. Cette caractéristique se manifeste de différentes façons, notamment à un niveau élevé, comme le respect des traités indiens, décrit dans l’arrêt R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, ou encore à un niveau individuel, comme dans les initiatives en matière de justice des Premières Nations qui visent la conciliation ou les cercles de détermination de la peine.
[54] D’une part, l’adjudication de dépens sous-tend qu’une partie a eu gain de cause et que l’autre partie a perdu sa cause. Il importe de créer un équilibre dans le processus d’examen des dépens. Dans Randall, le protonotaire Lafrenière estimait que l’adjudication de dépens était contre-productive, car elle saperait les progrès réalisés au sein de la communauté. Dans Matchewan, le juge Mainville a refusé de rendre une ordonnance sur les dépens, parce que l’adjudication de dépens exacerberait les tensions dans la communauté.
[55] J’estime que ces conclusions au sujet des gagnants et des perdants vont à l’encontre des avantages découlant d’un règlement sous forme d’entente et découragent les tentatives en vue de parvenir à de telles ententes.
[56] D’autre part, il faut tenir compte de l’aspect de l’intérêt public. Les parties au processus de règlement acquièrent une meilleure compréhension de l’élément de gouvernance des Premières Nations qui fait l’objet du litige au fur et à mesure qu’elles progressent vers la conclusion d’une entente (voir, par exemple, Mohawks d’Akwesasne, au paragraphe 30). Je devrais penser que cette compréhension favorise le respect de la primauté du droit eu égard aux lois sur la gouvernance des Premières Nations.
[57] La certitude dans la loi sur la gouvernance des Premières Nations constitue un avantage important pour une communauté des Premières Nations. À cet égard, dans les cas où le résultat donne lieu à une meilleure compréhension et à un meilleur engagement en ce qui a trait à l’observation de la loi sur la gouvernance des Premières Nations, il convient d’examiner la question de savoir si des dépens devraient être adjugés à l’encontre de la première nation.
[58] Tout d’abord, des dépens ont été adjugés à l’encontre de la première nation dans une situation où le défendeur a, dans les faits, agi pour le compte de la première nation (Bellegarde c. Poitras, 2009 CF 1212). Dans cette décision, le juge Russell Zinn était convaincu que la Première Nation avait acquitté certains frais juridiques des défendeurs. Il a conclu que la Cour avait compétence pour adjuger des dépens à l’encontre d’un tiers (voir le paragraphe 9).
[59] Il faut également tenir compte du déséquilibre entre un membre d’une première nation qui présente une demande de contrôle judiciaire pour faire respecter les lois de la première nation et les défendeurs qui constituent l’organisme dirigeant de la première nation. Ces défendeurs, généralement les chefs et les conseillers, sont en position de se faire rembourser leurs frais juridiques par la première nation. Si une demande de contrôle judiciaire traite bel et bien de la question de la loi de la première nation, il me semble que, dans l’intérêt public, les demandeurs individuels peuvent eux aussi avoir le même droit de s’adresser à la première nation pour se faire rembourser leurs frais.
[60] J’estime que l’adjudication raisonnable de dépens fondée sur l’intérêt public à l’encontre d’une première nation, laquelle a bénéficié d’une clarification à ses lois sur la gouvernance, fait en sorte qu’aucune conclusion défavorable quant aux perdants ou aux gagnants n’est tirée. Le règlement de la question d’une manière conforme aux valeurs de la première nation servirait l’intérêt public.
[61] Eu égard à ce qui précède, j’estime que l’examen des dépens est approprié dans les règlements de demandes de contrôle judiciaire sur la gouvernance de premières nations, plutôt qu’un simple statut d’exception à la pratique générale de ne pas adjuger de dépens dans les règlements.
VII. Les dépens
[62] Dans l’examen de la question des dépens, j’ai tenu compte des éléments suivants :
a. les Règles s’appliquent à l’examen des dépens adjugés à la suite de règlements;
b. la promotion de l’observation de la loi sur la gouvernance de la Première Nation et le rétablissement des liens constituent des facteurs importants;
c. la conduite des parties au cours de l’établissement du règlement est un facteur important;
d. les dépens avocat-client sont réservés aux cas de conduite répréhensible et scandaleuse et aux cas qui soulèvent des questions d’intérêt public importantes.
[63] La demanderesse Cynthia Knebush a demandé l’adjudication de dépens à l’échelon supérieur, mais non des dépens avocat-client complets. Elle demandait le respect de la loi de la Première Nation Pheasant Rump Nakota exigeant une élection partielle pour pourvoir le poste vacant de chef. Cet objectif a été atteint par l’inscription au calendrier d’une date d’élection générale anticipée.
[64] De plus, la demanderesse ne s’est pas contentée de déposer son avis de demande et un affidavit à l’appui. Elle a également rempli le dossier de la demanderesse, qui comportait ses prétentions, et elle était prête à ce qu’une audience ait lieu, avant la tenue de la conférence de gestion de l’instance.
[65] La défenderesse McArthur participait nécessairement au processus, en sa qualité de conseillère défenderesse. Toutefois, elle a assimilé ses propres problèmes avec les autres conseillères défenderesses à l’instance qui nous occupe. En outre, son avocat et elle ont peu participé; ce sont la demanderesse et les conseillères défenderesses principales qui ont traité de l’ensemble des questions.
[66] À leur crédit, les conseillères défenderesses ont tout de suite commencé à prendre part à des discussions quant à un règlement et elles ont consenti à un règlement par lequel elles acceptaient de renoncer à l’exécution entière de leur propre mandat, alors que ce mandat n’était pas en cause dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire.
[67] Puisque les conseillères défenderesses siégeaient au conseil de la Première Nation de Pheasant Rump Nakota, je conclus que la présomption selon laquelle leurs frais juridiques étaient couverts par la Première Nation n’a pas été réfutée par une preuve à l’effet contraire.
[68] Comme les conseillères défenderesses et la défenderesse McArthur sont les conseillères de la Première Nation Pheasant Rump Nakota, je ne vois pas pourquoi je ne considérerais pas la Première Nation devant être représentée en l’instance comme une partie désignée. Toutes les parties ont fait référence directement ou implicitement à la Première Nation Pheasant Rump Nakota comme s’il s’agissait d’une partie. Par conséquent, je la traiterai comme une partie aux fins de la présente adjudication de dépens.
VIII. Conclusion
[69] Compte tenu de ce qui précède et dans le cadre de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je conclus que :
a. La Première Nation Pheasant Rump Nakota doit être ajoutée comme partie désignée;
b. Le montant de 10 000 $, payable par la Première Nation Pheasant Rump Nakota, est adjugé à la demanderesse Cynthia Knebush à titre de dépens, frais compris;
c. Les dépens ne sont pas adjugés à l’encontre des conseillères défenderesses Ruth Maygard, Gaylene McArthur, et Kathleen McArthur à titre personnel;
d. Le montant forfaitaire de 1 500 $, payable par la Première Nation Pheasant Rump Nakota, est adjugé à la défenderesse Clarissa McArthur.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La Première Nation Pheasant Rump Nakota doit être ajoutée comme partie désignée.
2. Le montant de 10 000 $, payable par la Première Nation Pheasant Rump Nakota, est adjugé à la demanderesse Cynthia Knebush à titre de dépens, frais compris.
3. Les dépens ne sont pas adjugés à l’encontre des conseillères défenderesses Ruth Maygard, Gaylene McArthur, et Kathleen McArthur à titre personnel.
4. Le montant forfaitaire de 1 500 $, payable par la Première Nation Pheasant Rump Nakota, est adjugé à la défenderesse Clarissa McArthur.