[2002] 2 C.F. 85
IMM-4211-00
2001 CFPI 1096
Syed Safdar Ali Baqri (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Baqri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)
Section de première instance, juge en chef adjoint Lutfy—Toronto, 2 mai; Ottawa, 9 octobre 2001.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Contrôle judiciaire de la décision de la SSR selon laquelle le demandeur n’était pas admissible comme réfugié au sens de la Convention en vertu de l’art. 1Fa), stipulant que la Convention n’est pas applicable aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime contre l’humanité — Le Mouvement Mohajir Quami (MMQ) est un parti politique du Pakistan accusé de torture, d’exécution de membres dissidents et d’adversaires — Le demandeur a été élu membre du MMO à l’assemblée législative du MMQ — Le refus du demandeur d’admettre sa participation à des crimes contre l’humanité n’a pas été mis en doute pendant le contre-interrogatoire — La SSR a conclu que le demandeur avait connaissance de la violence commise par le MMQ pendant qu’il était engagé dans le MMQ, qu’il occupait un poste de direction et partageait une intention commune du MMQ — Inférence de complicité de crimes contre l’humanité — Demande accueillie — Le ministre a le fardeau de la preuve dans les affaires relevant de l’art. 1Fa) — L’emploi du mot « commis » comporte un élément moral — En tentant d’établir qu’il y a eu complicité, le ministre est tenu de démontrer la connaissance des crimes et l’intention commune — Un poste de direction peut soutenir l’idée implicite d’une participation consciente — La SSR a commis des erreurs de droit en raison de sa conclusion vague touchant la crédibilité; l’absence de motifs clairs et explicites concernant la crédibilité; le fait de ne pas avoir exposé expressément les crimes dont le demandeur se serait rendu complice; le fait de ne pas avoir questionné le demandeur au sujet de ces crimes.
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié (SSR) selon laquelle le demandeur n’était pas admissible comme réfugié au sens de la Convention en vertu de l’alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, en raison de sa participation au Mouvement Mohajir Quami (MMQ) qui aurait illégalement détenu, torturé et parfois exécuté des membres dissidents et des adversaires politiques. L’alinéa 1Fa) dispose que la Convention n’est pas applicable aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime contre l’humanité au sens des instruments internationaux. La SSR s’est reportée au Statut du Tribunal militaire international qui donne une définition de « crimes contre l’humanité » et qui traite de la responsabilité des « dirigeants ». L’article 6 dispose que les dirigeants qui ont pris part à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté pour commettre des crimes contre l’humanité sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes, en exécution de ce plan. Entre 1990 et 1992, le demandeur était un membre élu de l’assemblée législative du MMQ de la province du Sind au Pakistan et il avait été nommé ministre provincial des Industries. En 1992, le MMQ a été la cible d’une opération conjointe de l’armée et de la police à la suite de laquelle le demandeur a démissionné de son poste et fui le Pakistan. Il a été reconnu coupable in absentia dans une affaire d’enlèvement qui avait retenu l’attention du public, mais l’appel a été accueilli et il a été acquitté. Après six ans aux États-Unis, sa demande d’asile a été refusée. Il est venu au Canada où il a présenté une demande de statut de réfugié. La SSR a déclaré que le demandeur avait reconnu qu’il était au courant des actes de violence commis par le MMQ mais qu’il avait nié que la direction du MMQ ait toléré ces actes. Elle a estimé qu’il n’était pas crédible que le demandeur n’ait pas eu connaissance des atrocités commises par le MMQ. Ayant conclu que le demandeur était un dirigeant du MMQ et que son rôle de dirigeant était lié à la violence attribuée au MMQ, la SSR a statué que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité.
Jugement : la demande est accueillie.
C’est au ministre qu’incombe le fardeau de la preuve dans les affaires relevant de l’alinéa 1Fa). L’emploi du mot « commis » à l’alinéa 1Fa) comporte un élément moral. En l’absence d’une conclusion selon laquelle l’organisation visait principalement des fins limitées et brutales, le ministre qui tente d’établir qu’il y a eu complicité est tenu de démontrer que l’intéressé en cause avait connaissance des crimes en question et qu’il partageait, lors de la perpétration de ces crimes, les buts retenus par l’organisation. Un poste de direction, bien qu’il ne justifie pas nécessairement une conclusion de complicité, peut soutenir l’idée implicite d’une participation consciente dans l’objectif de l’organisation de commettre des crimes internationaux.
La SSR a commis une erreur de droit dans la façon dont elle a conclu que la demande entrait dans le cadre de l’alinéa 1Fa) quant à l’appréciation de la crédibilité du demandeur et en n’identifiant pas expressément les crimes contre l’humanité pour lesquels le demandeur a été jugé complice.
La conclusion négative portant sur la crédibilité n’a pas été expliquée en termes clairs et explicites. Le refus du demandeur d’admettre sa participation à des crimes contre l’humanité n’a pas été mis en cause en contre-interrogatoire. Il n’y avait ni conclusion négative quant à son témoignage ni conclusion exprimée en termes clairs et explicites. Dans ces circonstances, le poste de direction qu’occupait le demandeur en 1992 ne constituait pas un motif suffisant pour conclure que celui-ci a été complice de crimes contre l’humanité, sans qu’il ait été interrogé de façon plus approfondie sur sa connaissance des atrocités et sur son rôle dans leur planification.
Les motifs du tribunal n’ont pas révélé les actes criminels dont le demandeur est censé être complice. Le tribunal parle en termes généraux d’un large éventail d’actes violents et criminels. Sa conclusion voulant que le demandeur ait été au courant de la violence est tout aussi générale et ne peut être reliée à aucune des allégations spécifiques évoquées dans la preuve documentaire. L’omission est d’autant plus significative compte tenu de l’absence de contre-interrogatoire du demandeur sur son refus de reconnaître sa participation.
Les erreurs de droit commises par la SSR en ce qui a trait à sa conclusion vague touchant la crédibilité, l’absence de motifs clairs et explicites concernant la crédibilité, le fait de ne pas avoir exposé expressément les crimes dont le demandeur se serait rendu complice et de ne pas avoir questionné le demandeur au sujet de ces crimes précis exigent que la conclusion quant à l’inadmissibilité en vertu de l’alinéa 1Fa) soit annulée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa).
Statut du Tribunal Militaire International, Annexe de l’Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances europé-ennes de l’Axe, 8 août 1945, 82 R.T.N.U. 279, art. 6.
JURISPRUDENCE
Décisions appliquées :
Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (1993), 163 N.R. 197 (C.A.); Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; 135 N.R. 390 (C.A.); Cardenas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 74 F.T.R. 214; 23 Imm. L.R. (2d) 244 (C.F. 1re inst.).
Décision citée :
Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199; 130 N.R. 236 (C.A.F.).
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la section du statut de réfugié selon laquelle le demandeur n’était pas admissible comme réfugié au sens de la Convention en vertu de l’alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés en raison de son poste de direction dans le Mouvement Mohajir Quami (MMQ) et de l’inférence de complicité tirée de sa connaissance admise des actes de violence commis par les membres du MMQ, même s’il nie que ces actes résultaient d’un projet de la hiérarchie du partie ou que cette dernière y ait participé. Demande accueillie.
ONT COMPARU :
Lorne Waldman pour le demandeur.
I. John Loncar pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge en chef adjoint Lutfy : La section du statut de réfugié a statué que le demandeur, Syed Safdar Ali Baqri, un citoyen du Pakistan, s’était rendu complice de crimes contre l’humanité en raison de sa participation au Mouvement Mohajir Quami (MMQ) et, conséquemment, qu’il n’était pas admissible comme réfugié au sens de la Convention en vertu de l’alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6].
[2] Le tribunal a également conclu que le demandeur s’exposerait à plus qu’une simple possibilité de persécution s’il retournait au Pakistan. Même si la décision du tribunal ne le dit pas aussi directement, on peut raisonnablement déduire que celui-ci aurait décidé que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention s’il n’avait pas conclu à son inadmissibilité.
L’historique du MMQ
[3] Le tribunal a souligné que Mohajir signifie « réfugié » en urdu, la langue nationale du Pakistan. Les musulmans de langue urdu ayant immigré au Pakistan à la suite de la partition de 1947 étaient des Mohajirs. Il y a plus de 30 millions de Mohajirs au Pakistan et ils représentent environ 50 % de la population de la province du Sind. Le plus grand centre urbain du Sind est la ville côtière de Karachi.
[4] En 1984, le Mouvement Mohajir Quami a été constitué sous la direction de Altaf Hussain. Ses objectifs étaient de représenter les intérêts des Mohajirs et de défendre leurs droits en opposition avec ceux des autres partis du Sind. Selon le rapport de 1993 d’Amnistie internationale, le MMQ occupait le troisième rang des partis les plus puissants du Pakistan. Le demandeur a témoigné qu’au début des années 1990, il y avait quelque 35 000 militants du MMQ à Karachi. Amnistie internationale a décrit le MMQ comme étant [traduction] « un parti bien organisé et qui posséderait une aile militante qui a été tenue responsable de nombreuses infractions ».
[5] Selon les termes utilisés par le tribunal, le MMQ a remporté « beaucoup de succès » aux élections de la province du Sind en 1988, 1990 et 1997.
[6] En 1991, des dissensions sont survenues au sein du MMQ et un groupe dissident du nom de MMQ Haqiqi (MMQ-H) a été constitué. Peu après, le MMQ original, sous l’autorité de Altaf Hussain a changé son nom pour celui de Mouvement Muttahidda Quami (Faction Altaf) (MMQ(A)).
[7] Amnistie internationale a décrit le MMQ comme étant l’auteur autant que la victime de violations des droits de la personne :
[traduction] Le MMQ, avant et pendant la durée de son mandat comme partenaire de coalition du gouvernement au Sind, aurait maintenu des chambres de torture dans lesquelles il a, illégalement, détenu, torturé et parfois exécuté des membres dissidents et des adversaires politiques du MMQ. Depuis juin 1992, des activistes du MMQ tout comme les amis et les familles des membres du MMQ auraient fait l’objet de détention illégale et de torture en étant sous la garde de la police et de l’armée; certains de ces prisonniers seraient décédés à la suite de torture et certains peuvent avoir été tués de façon délibérée.
Antécédents du demandeur
[8] Syed Safdar Ali Baqri est né en 1964 à Karachi où il a résidé jusqu’à ce qu’il s’enfuie du Pakistan. En 1982, le demandeur se joint au All Pakistan Mohajir Student Organization. Pendant ses études en médecine il était actif au sein de ce groupe, participant aux manifestations politiques et aidant le parti au moment des élections municipales de 1987. Lors des élections provinciale et nationale de 1988, il a assumé de plus grandes responsabilités pour le parti. En juin 1990, le demandeur a terminé ses études supérieures en médecine.
[9] Pendant sa résidence en médecine, le demandeur a travaillé pour le comité des soins médicaux du MMQ en fournissant des soins médicaux aux Mohajirs ainsi qu’à d’autres groupes ethniques. À la même époque, il a également travaillé et résidé pendant quatre mois au siège social du parti à Karachi qui était également la résidence de Altaf Hussain.
[10] Entre octobre 1990 et juillet 1992, le Dr Baqri était un membre élu de l’assemblée législative du MMQ du Sind et il avait été nommé ministre provincial des Industries. En 1991, pendant une période d’environ deux ou trois semaines, il a été nommé chef d’une zone MMQ à Karachi.
[11] En juin 1992, le MMQ était la cible d’une opération conjointe de l’armée et de la police. Le Dr Baqri a, par suite de cette opération, démissionné du gouvernement du Sind et fui le Pakistan quelque cinq mois plus tard. En 1994, le demandeur a été reconnu coupable in absentia dans l’affaire de l’enlèvement du « major Kaleem » qui avait retenu l’attention du public et il a été condamné à 27 ans d’emprisonnement. Il a été déclaré coupable conjointement avec Altaf Hussain et quelque 15 autres dirigeants du MMQ. En février 1998, le tribunal de grande instance du Sind a accueilli l’appel inter jeté à l’égard de ces condamnations et acquitté le demandeur et ses coaccusés.
[12] À la fin de 1992, étant ciblé avec d’autres membres du MMQ par les autorités gouvernementales, le demandeur a quitté le Pakistan pour les États-U nis d’Amérique. Sa demande d’asile aux É.-U. a été refusée au début de l’année 1998. Il est alors venu au Canada où il a présenté une demande de statut de réfugié.
[13] Lorsqu’il était aux États-Unis, le Dr Baqri a été membre d’un petit comité d’organisation centrale dont l’objectif était de consolider et d’accroître la présence du MMQ en Amérique du Nord. Il a poursuivi cette activité politique au Canada. Il a organisé des manifestations à Ottawa et à Toronto contre le gouvernement du Pakistan. Environ 9000 partisans font partie du MMQ au Canada. Les fonds recueillis auprès de ces personnes ont seulement servi à des activités organisationnelles au Canada.
[14] Depuis 1992, le Dr Baqri a voyagé à cinq reprises entre l’Amérique du Nord et le Royaume-Uni pour rencontrer le dirigeant du MMQ, Altaf Hussain à Londres. Les éléments de preuve ne relient pas les rencontres du demandeur avec M. Hussain lors de ces visites et les actes de violence attribués au MMQ après 1992. Les échanges entre le Dr Baqri et M. Hussain ont porté sur le rôle du premier à titre de représentant du parti au Canada.
La décision du tribunal
[15] Dans sa décision, le tribunal a conclu que le demandeur [traduction] « était au courant des atrocités commises par le MMQ Altaf pendant les années où il était présent au Pakistan et engagé dans le MMQ ». Après avoir souligné l’absence de preuve sérieuse établissant que le MMQ avait publiquement condamné les actes de violence commis par ses militant s, le tribunal a ajouté : [traduction] « Il n’est pas crédible que, compte tenu de son profil politique particulier, [le demandeur] ait ignoré la participation du MMQ aux atrocités et aux violations des droits de la personne commises pendant les années où il était actif au sein du MMQ au Pakistan ». [Non souligné dans l’original.] En l’espèce, le tribunal devait faire allusion aux atrocités et aux violations des droits de la personne commises avant que le demandeur n’ait fui le Pakistan en 1992.
[16] Le tribunal a rendu les conclusions suivantes :
[traduction] Le tribunal conclut que le demandeur avait connaissance de la violence commise par le MMQ. Le tribunal conclut qu’il continue à être actif au sein du MMQ à l’extérieur de son pays, le Pakistan […] Le tribunal conclut que le demandeur occupait un poste de direction et partageait une intention commune du MMQ. [Non souligné dans l’original.]
[17] Précédemment dans ses motifs, le tribunal a analysé la connaissance qu’avait le demandeur des actes de violence commis et son rôle de direction au sein du MMQ. Le tribunal s’est exprimé dans ces termes :
[traduction] Le demandeur reconnaît qu’il était au courant des actes violents commis par le MMQ mais il nie que la direction du MMQ ait toléré ces actes. Il a affirmé que le MMQ avait pris des mesures pour expulser les membres qui étaient impliqués dans ces actes de violence. Cependant, il n’a présenté aucune preuve sérieuse visant à établir que le MMQ n’était pas complice de la violence politique et que le MMQ avait systématiquement expulsé les membres ayant commis ces actes. Il n’a été capable de nommer que deux ou trois membres du MMQ ayant été expulsés par Altaf Kussein.
Le demandeur était membre du cabinet du Pakistan Sindh Provincial Assembly et occupait un poste de pouvoir et de confiance au sein de la direction du MMQ. Il n’est pas crédible que le demandeur n’ait pas eu connaissance des atrocités commises par le MMQ. Il a affirmé qu’il assistait aux manifestations et aux grèves du MMQ et qu’il avait vu des membres et des militants du MMQ porter des armes. Il a nié avoir vu des militants ou des membres utiliser des armes. Il a reconnu que les propriétaires d’entreprises auraient été menacés ou battus s’ils n’avaient pas fermé leurs établissements pendant les grèves et les manifestations. Aucune preuve sérieuse établissant que le demandeur avait pris des mesures pour prévenir cette violence n’a été fournie et il n’existe aucune preuve qu’il s’était dissocié du MMQ-Altaf.
[18] À mon avis, il était loisible au tribunal de conclure que le Dr Baqri était et est toujours un dirigeant du MMQ. Toutefois, le lien établi par le tribunal entre son rôle de dirigeant et « la violence », « les actes de violence » ou la « violence politique » attribués au MMQ invite à analyser à nouveau la conclusion voulant qu’il s’était rendu complice de crimes contre l’humanité.
Analyse
[19] L’alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés dispose :
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes; [Non souligné dans l’original.]
Le tribunal a conclu en l’espèce que, parmi les crimes auxquels renvoie l’alinéa 1Fa), le demandeur était complice de crimes contre l’humanité.
[20] Le Statut du Tribunal Militaire International [Annexe de l’Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe, 8 août 1945, 82 N.U.R.T. 279] de 1945 est l’un des instruments internationaux visés par l’alinéa 1Fa). Le tribunal militaire a été mis en place pour « la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre ». Le tribunal s’est reporté à la définition de crimes contre l’humanité énoncée à l’alinéa 6c) du Statut :
Article 6
[…]
c) Les Crimes contre l’Humanité : c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.
[21] Le tribunal a également jugé pertinent le dernier paragraphe de l’article 6 du Statut qui traite de la responsabilité des « dirigeants » :
Article 6
[…]
Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté ou d’un complot pour commettre l’un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes, en exécution de ce plan. [Non souligné dans l’original.]
[22] Dans l’arrêt Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), le juge Linden a aussi examiné le rôle des « dirigeants », tel qu’il est défini dans l’article 6, dans le contexte des procès de Nuremberg (à la page 441) :
Ce principe a été appliqué durant les procès de Nuremberg aux dirigeants de l’Allemagne nazie, qui étaient au courant des crimes commis par d’autres agents du régime. Par exemple le procès de Erhard Milch, United States Military Tribunal à Nuremberg, Law Reports of Trials of War Criminals, Vol. VII, page 27, concernait un inspecteur-général et maréchal de l’aviation allemande, qui était accusé d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sous forme d’expériences illégales et atroces sur des citoyens allemands, comme sur des militaires et civils de pays en guerre contre l’Allemagne. Bien que déclaré coupable d’un autre chef d’accusation, il a été acquitté à l’égard de ces expériences par ce motif que si celles-ci avaient été effectuées par ses subordonnés, Milch n’y avait pas participé personnellement, ni ne les avait instituées, ni ne savait qu’elles avaient lieu.
[23] C’est au ministre qu’incombe sans conteste le fardeau de la preuve dans les affaires relevant de l’alinéa 1Fa) : Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.) à la page 314.
[24] Dans l’affaire Ramirez, le juge MacGuigan a dit que l’emploi du mot « commis » à l’alinéa 1Fa) de la Convention comporte un élément moral. Selon ses termes (à la page 317), « personne ne peut avoir « commis » des crimes internationaux sans qu’il n’y ait eu un certain degré de participation personnelle et consciente. »
[25] Le juge MacGuigan a dit en outre qu’une personne associée à l’auteur principal d’une infraction peut elle-même être qualifiée de complice lorsque les éléments de preuve établissent (à la page 318) « l’existence d’une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont. »
[26] Dans l’arrêt Sivakumar, la complicité d’une personne pouvant être qualifiée de « dirigeant » d’une organisation coupable de crimes internationaux a été examinée par le juge Linden en ces termes (aux pages 440 et 442) :
Tout en gardant à l’esprit que chaque cas d’espèce doit être jugé à la lumière des faits qui le caractérisent, on peut dire que plus l’intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l’organisation, plus il est vraisemblable qu’il était au courant du crime commis et partageait le but poursuivi par l’organisation dans la perpétration de ce crime. En conséquence, peut être jugé complice celui qui demeure à un poste de direction de l’organisation tout en sachant que celle-ci a été responsable de crimes contre l’humanité.
[…]
[…] plus l’intéressé occupe les échelons de direction ou de commandement au sein de l’organisation, plus on peut conclure qu’il était au courant des crimes et a participé au plan élaboré pour les commettre.
[27] En l’absence d’une conclusion selon laquelle l’organisation visait principalement des fins limitées et brutales, « le Ministre qui tente d’établir qu’il y a eu complicité est tenu de démontrer que l’intéressé en cause avait connaissance des crimes en question et qu’il partageait, lors de la perpétration de ces crimes, les buts retenus par l’organisation » : Cardenas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 74 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 13. Dans Cardenas (aux paragraphes 16 et suivants), le juge en chef adjoint Jerome avait à l’esprit la connaissance par avance de crimes commis contre l’humanité attribuables à l’organisation. Dans Cardenas, le demandeur était décrit comme quelqu’un chez qui on ne pouvait (au paragraphe 18) « au maximum, trouver, entre lui et les activités criminelles qu’on reproche à la faction dissidente de son organisation, qu’un lien très ténu. »
[28] En résumé, la complicité exige une preuve d’intention commune. Un poste de direction, bien qu’il ne justifie pas nécessairement une conclusion de complicité, peut soutenir l’idée implicite d’une participation consciente dans l’objectif de l’organisation de commettre des crimes internationaux.
[29] En tenant compte de ces principes et du dossier de cette procédure, je suis convaincu que le tribunal a commis une erreur de droit dans la façon dont il a conclu que la demande entrait dans le cadre de l’alinéa 1Fa). Mes motifs sont fondés sur deux des principaux arguments du demandeur.
i) L’appréciation de la crédibilité du demandeur par le tribunal
[30] Le défendeur reconnaît que le tribunal n’a pas qualifié le MMQ d’organisation « visant principalement des fins limitées et brutales ». De même, le défendeur admet que ni la preuve ni la décision du tribunal ne semblent indiquer que le demandeur a personnellement participé à la perpétration d’actes violents. La conclusion que ce dernier est inadmissible au titre de l’alinéa 1Fa) est uniquement liée au rôle de direction qu’il a joué dans le MMQ et de l’inférence de complicité tirée de sa connaissance admise des actes de violence commis par les membres du MMQ même s’il nie que ces actes résultent d’un projet de la hiérarchie du partie ou que cette dernière y ait participé.
[31] Au sujet de la connaissance qu’aurait eu le demandeur des atrocités, i l est utile de répéter les deux déclarations faites par le tribunal au sujet de la crédibilité du demandeur (supra, paragraphe 17) : a) [traduction] « [l]e demandeur reconnaît qu’il était au courant des actes de violence commis par le MMQ mais il nie que la direction du MMQ ait toléré ces actes »; et b) « [i]l n’est pas crédible que le demandeur n’ait pas eu connaissance des atrocités commises par le MMQ. » Il est difficile d’admettre que la deuxième déclaration représente une conclusion négative cohérente touchant la crédibilité à la lumière de l’admission faite par le demandeur dans la première déclaration. Quoi qu’il en soit, une telle conclusion n’a pas été expliquée en « termes clairs et explicites » : Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).
[32] En réponse à une question directe de son avocat, le demandeur a déclaré qu’il n’avait rien à voir avec l’enlèvement et les actes de torture. En l’occurrence, le témoignage portait sur l’enlèvement dans l’affaire du « major Kaleem », supra, au paragraphe 11, et sur la divulgation faite par l’armée en 1992 de sa découverte de 23 chambres de torture à Karachi. Selon le rapport d’Amnistie Internationale de 1993 [traduction], « le MMQ aurait torturé et parfois tué des dissidents et des adversaires politiques du MMQ; le porte-parole militaire a dit que ces chambres avaient été retrouvées dans les bureaux, les écoles et les hôpitaux du MMQ. »
[33] Le demandeur a été contre-interrogé par le représentant du ministre, par l’agent chargé de la revendication et par les membres du tribunal. Le contre-interrogatoire a été deux fois plus long que l’interrogatoire principal. Toutefois, jamais le refus du demandeur d’admettre qu’il avait participé à l’enlèvement et aux actes de torture n’a été mis en doute. Aucune des quatre personnes ayant contre-interrogé le demandeur n’a posé de question à ce sujet. Leur interrogatoire a porté essentiellement sur son rôle de direction, explorant peu la question, si tant est qu’elle l’ait été, de sa connaissance des crimes contre l’humanité ou de ses projets ou de sa participation à cet égard.
[34] Le refus du demandeur d’admettre sa participation à des crimes contre l’humanité n’a pas été mis en cause pendant son témoignage. À mon avis, il n’y a ni conclusion négative quant à son témoignage ni conclusion exprimée en termes clairs et explicites. Dans ces circonstances, le poste de direction qu’occupait le demandeur en 1992 ne constituait pas un motif suffisant pour conclure que celui-ci a été complice de crimes contre l’humanité, sans qu’il ait été interrogé de façon plus approfondie sur sa connaissance des atrocités et sur son rôle dans leur planification.
ii) Le tribunal n’a pas identifié expressément les crimes contre l’humanité pour lesquels le demandeur a été jugé complice
[35] Il était également loisible au tribunal, en se fondant sur la preuve documentaire, de statuer que les membres du MMQ avaient participé à la perpétration d’actes violents et criminels. Quelques-uns d’entre eux, tels que l’utilisation de chambres de torture, répondent à la définition de crimes contre l’humanité.
[36] Le tribunal s’est également fondé sur l’utilisation par le MMQ [traduction] « de méthodes fortes et d’éléments criminels afin d’imposer sa volonté et percevoir le bhatta (paiement de protection) des entreprises dans tout le Sind ». Ces actes, bien que répréhensibles et répugnants, ne constituent pas nécessairement des crimes contre l’humanité.
[37] Dans ses motifs, le tribunal a également souligné, supra, au paragraphe 17, que le demandeur [traduction] « a reconnu que les propriétaires d’entreprises auraient été menacés ou battus s’ils n’avaient pas fermé leurs établissements pendant les grèves et les manifestations. Aucune preuve sérieuse établissant que le revendicateur avait pris des mesures pour prévenir cette violence n’a été fournie. » De nouveau, le tribunal n’a pas fait d’analyse ou donné d’explications tendant à montrer que ces actes violents en particulier non seulement sont criminels, mais tiennent de la nature des crimes contre l’humanité.
[38] Les motifs ne révèlent pas les actes criminels dont le demandeur est censé être complice. Dans l’arrêt Cardenas, précité, le juge en chef adjoint a dit (au paragraphe 22) :
[…] la Commission ne s’est guère attachée à expliciter les liens pouvant exister entre le requérant et certains actes criminels précis. Elle a, plutôt, choisi de n’évoquer qu’en termes généraux les attaques à l’arme à feu et à la bombe menées par la faction militaire. Étant donné les graves conséquences que cette application de la clause d’exclusion peut avoir pour [le revendicateur du statut de réfugié] la Commission aurait dû s’efforcer de cerner avec soin les actes criminels qu’elle considère avoir été « commis » par le demandeur.
[39] De même, dans Sivakumar, précité, le juge Linden a souligné l’importance qu’il y a à articuler les conclusions sur les faits, c’est-à-dire sur les crimes contre l’humanité spécifiques que le demandeur aurait commis (à la page 449) :
Vu la gravité des conséquences éventuelles du rejet, fondé sur la section Fa) de l’article premier de la Convention, de la revendication de l’appelant et la norme de preuve relativement peu rigoureuse à laquelle doit satisfaire le ministre, il est crucial que la section du statut rapporte dans ses motifs de décision les crimes contre l’humanité dont elle a des raisons sérieuses de penser que le demandeur les a commis. On peut dire que faute d’avoir tiré les conclusions nécessaires sur les faits, la section du statut a commis une erreur de droit.
[40] Dans ses motifs, le tribunal parle en termes généraux d’un large éventail d’actes violents et criminels. Sa conclusion voulant que le demandeur ait été au courant de la violence est tout aussi générale et ne peut être reliée à aucune des allégations spécifiques invoquées dans la preuve documentaire. L’omission est d’autant plus significative compte tenu de l’absence de contre -interrogatoire du demandeur sur la question de son refus de reconnaître sa participation.
[41] Il ne revient pas à notre Cour d’établir que le demandeur est complice de crimes contre l’humanité à cause de son poste de direction. Cependant, les erreurs de droit commises par le tribunal en ce qui a trait à sa conclusion vague touchant la crédibilité, l’absence de motifs clairs et explicites concernant la crédibilité, le fait de ne pas avoir exposé expressément les crimes dont le demandeur se serait rendu complice et de ne pas avoir questionné le demandeur au sujet de ces crimes précis exigent que la conclusion quant à l’inadmissibilité en vertu de l’alinéa 1Fa) soit annulée. En conséquence, cette affaire est renvoyée devant un tribunal différemment composé pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l’affaire. Les parties peuvent formuler une question à être certifiée dans les sept jours des présents motifs.