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A-764-99

2002 CAF 166

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (demanderesse

c.

Association canadienne des fournisseurs Internet, Association canadienne de télévision par câble, AT&T Canada Long Distance Services Company, MCI Communications Corporation, Bell/Expressvu, Association canadienne des radiodiffuseurs, Telus Communications Inc., Bell Canada, Société Radio-Canada, Association canadienne des distributeurs de films, Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement, Time Warner Inc., Aliant Inc., MTS Communications Inc. et Saskatchewan Telecommunications (défendeurs)

et

Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement et Société canadienne de gestion des droits voisins (intervenantes)

Répertorié: Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet (C.A.)

Cour d'appel, juges Linden, Evans et Sharlow, J.C.A. -- Ottawa, 25 et 26 septembre 2001 et 1er mai 2002.

Droit d'auteur -- Violation -- La Commission du droit d'auteur a, en vertu de l'art. 2.4(1)b) de la Loi sur le droit d'auteur, soustrait la plupart des intermédiaires Internet à l'obligation de verser des redevances pour les oeuvres musicales protégées par le droit d'auteur diffusées sur Internet -- Il s'agissait de savoir si les intermédiaires Internet «communiquent» au public la musique transmise à l'utilisateur final -- L'art. 2.4(1)b) énonce les conditions qui doivent être réunies pour que l'activité d'un intermédiaire ne rende pas ce dernier responsable de la violation du droit d'auteur pour avoir communiqué une oeuvre au public par télécommunication -- La Commission a correctement inter-prété les mots «moyens de communication» et «nécessaires» contenus à l'art. 2.4(1)b) de la Loi, mais a commis une erreur de droit en jugeant qu'un intermédiaire Internet qui met des données en antémémoire fournit ainsi les moyens nécessaires pour permettre à un tiers de les communiquer -- Les activités habituelles des exploitants de serveurs hôtes et de fournisseurs d'accès à Internet tombent sous le coup de l'art. 2.4(1)b) de la Loi.

Télécommunications -- La Commission du droit d'auteur a jugé que les activités habituelles des intermédiaires Internet ne constituent pas une communication par télécommunication au sens de la Loi sur le droit d'auteur et qu'elles ne violent donc les droits de communication exclusifs des titulaires du droit d'auteur -- Les exploitants de serveurs hôtes et les fournisseurs d'accès Internet ne contrôlent pas le contenu de ce qu'ils transmettent et jouent un rôle passif, étant donné que leurs activités habituelles consistent uniquement à assurer les moyens de télécommunication au sens de l'art. 2.4(1)b) de la Loi -- Il n'était pas loisible à la Commission de conclure qu'il est nécessaire de recourir à une antémémoire pour permettre à autrui de communiquer par télécommunication -- Lorsqu'ils s'acquittent de leurs fonctions essentielles, les fournisseurs d'accès Internet n'autorisent pas les fournisseurs de contenu à communiquer des données provenant du site Web à la demande de leurs clients -- Le lieu où se trouve l'utilisateur final revêt une importance particulière lorsqu'il s'agit de décider si une communication Internet a des liens réels et importants avec le Canada.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- La décision que la Commission du droit d'auteur a rendue au sujet de l'obligation éventuelle des parties de verser des redevances est une «décision» au sens de l'art. 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale -- Examen de la jurisprudence sur la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions de la Commission -- La Cour doit se livrer à une analyse pragmatique ou fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable aux questions tranchées par la Commission -- Distinction entre l'interprétation d'une disposition législative et son application aux faits d'une affaire déterminée -- Les décisions de la Commission du droit d'auteur ne sont protégées par aucune clause limitative et elles ne sont assujetties à aucun droit d'appel -- Elles peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire pour l'un ou l'autre des motifs énumérés à l'art. 18.1(4) -- La norme de la décision correcte s'applique à l'interprétation par la Commission des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur qui ne relèvent pas de son domaine de compétence exclusif -- La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer en l'espèce à la décision de la Commission est celle de la décision déraisonnable parce que cette décision portait sur l'application de la loi.

Il s'agit d'une demande visant à faire annuler la décision par laquelle la Commission du droit d'auteur a soustrait la plupart des intermédiaires Internet à l'obligation de verser des redevances pour les oeuvres musicales protégées par le droit d'auteur diffusées sur Internet. La demanderesse, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), est chargée de gérer collectivement au Canada les droits d'exécution et de communication de ses membres et ceux de compositeurs, auteurs et éditeurs étrangers. En 1995, elle a soumis le premier projet de tarif de redevances à percevoir pour la musique diffusée sur Internet. Ce tarif, connu sous le nom de tarif 22, visait les années 1996 à 1998 inclusivement. À l'issue de la première phase de l'instance visant à déterminer le montant et la répartition des redevances payables aux titulaires de droit d'auteur pour la communication d'oeuvres musicales sur l'Internet, la Commission du droit d'auteur a conclu que des redevances peuvent être exigées de ceux qui rendent de la musique disponible sur un serveur situé au Canada auquel les internautes ont accès, mais que des redevances ne pouvaient être imposées à ceux dont le rôle dans la chaîne de transmission d'Internet se borne à exploiter le serveur sur lequel de la musique est stockée ou à assurer l'accès Internet aux destinataires. La Commission a également conclu que les activités habituelles des intermédiaires Internet ne constituent pas une communication au sens de la Loi sur le droit d'auteur, et qu'elles ne violent donc les droits de communication exclusifs des titulaires du droit d'auteur. SOCAN a contesté chacune de ces conclusions et soulevé cinq questions litigieuses en appel: 1) quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission? 2) la Commission a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation de l'alinéa 2.4(1)b) de la Loi sur le droit d'auteur? 3) la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les services et l'équipement habituellement fournis par les exploitants de serveurs hôtes et les fournisseurs d'accès Internet ne constituaient que les moyens de télécommunication nécessaires pour permettre à un tiers de communiquer? 4) la Commission a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas qu'en fournissant leurs services et leur équipement essentiels, les intermédiaires Internet «autorisent» la communication des données demandées par les utilisateurs finaux à partir de leurs serveurs hôtes? 5) la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la Loi sur le droit d'auteur ne s'applique pas aux communications par télécommunication, notamment par Internet, qui proviennent de l'extérieur du Canada?

Arrêt (le juge Sharlow, J.C.A. dissidente en partie): la demande est rejetée en partie.

Le juge Evans, J.C.A.: 1) La décision que la Commission du droit d'auteur a rendue au sujet du Tarif 22 en ce qui a trait à l'obligation éventuelle des parties de verser des redevances était une «décision» susceptible d'un contrôle judiciaire en vertu de l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur la Cour fédérale et qui pouvait être annulée pour cause d'erreur de droit en vertu de l'alinéa 18.1(4)c) de cette Loi. L'analyse pragmatique ou fonctionnelle constitue désormais la méthode généralement acceptée pour fixer la norme en fonction de laquelle une cour de justice procède au contrôle judiciaire des décisions rendues par un organisme administratif spécialisé sur des questions de droit. Ce n'est plus le concept de compétence qui est déterminant en matière de norme de contrôle en droit administratif. La Cour doit se livrer à une analyse pragmatique ou fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable aux questions tranchées par la Commission. La Commission exerce un pouvoir discrétionnaire très large lorsqu'elle détermine qui devrait verser des redevances et de quelle façon celles-ci devraient être calculées. La même norme de contrôle ne s'appliquera pas nécessairement aux conclusions tirées par un tribunal administratif au sujet de chacune des dispositions de sa loi habilitante. Les tribunaux saisis d'une demande de contrôle judiciaire doivent établir une distinction entre l'interprétation d'une disposition législative et son application aux faits d'une affaire déterminée. Les incidences des décisions de la Commission sur les droits que la loi reconnaît aux parties sont limitées. Bien que le règlement des questions juridiques soulevées dans l'affaire du Tarif 22 présentât un intérêt commercial non négligeable pour les parties et pour les utilisateurs finaux de l'Internet, la nature des intérêts en jeu était surtout monétaire. On ne saurait prétendre que la décision de la Commission du droit d'auteur empiète sur des droits constitutionnels ou quasi-constitutionnels. La durée de vie limitée des tarifs homologués par la Commission contribue par ailleurs à limiter la portée des décisions de la Commission sur les droits des parties. Ainsi, ni la nature des droits visés par la décision de la Commission, ni la gravité de ses incidences sur les droits en question ne permettent de penser que la Cour devrait procéder au contrôle judiciaire des décisions de la Commission sur des points de droit en fonction de la norme de la décision correcte. Les décisions de la Commission du droit d'auteur ne sont protégées par aucune clause limitative de recours et elles ne sont assujetties à aucun droit d'appel. Le fait que l'interprétation par la Commission du droit d'auteur des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur en litige ne relève pas de son domaine de compétence exclusif mais qu'elle puisse se faire dans une instance judiciaire autre qu'une instance en contrôle judiciaire fait pencher la balance en faveur de la norme de la décision correcte. La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer en l'espèce à la décision de la Commission est celle de la décision simplement déraisonnable dans la mesure où cette décision porte sur l'application de la loi plutôt que sur son interprétation.

2) Trois conditions doivent être réunies pour que l'activité d'un intermédiaire tombe sous le coup de l'alinéa 2.4(1)b) de la Loi sur le droit d'auteur et ne donne pas lieu à la violation du droit d'auteur résultant de la communication d'une oeuvre au public par télécommunication. En premier lieu, les activités de l'intermédiaire doivent équivaloir à la fourniture des «moyens de télécommunication»; deuxièmement, ces moyens doivent être «nécessaires» pour permettre à un tiers de communiquer une oeuvre au public et troisièmement, les activités en question doivent constituer la seule chose que l'intermédiaire fait relativement à la communication. La Loi sur le droit d'auteur ne vise pas exclusivement à défendre les intérêts des auteurs, compositeurs, artistes et autres créateurs. Ses dispositions devraient donc être examinées dans le but d'essayer de trouver un juste équilibre entre, d'une part, la promotion, dans l'intérêt du public, de la création et de la diffusion des oeuvres artistiques et intellectuelles et, d'autre part, l'obtention d'une juste rétribution pour les créateurs. C'est à bon droit que la Commission a conclu que le terme «moyens» est susceptible de désigner une gamme de services et d'équipements plus vaste que ceux que fournissent les entreprises de télécommunications traditionnelles. En conséquence, on ne doit pas donner à ce terme l'interprétation étroite que préconise la demanderesse. La question suivante est celle de savoir si la Commission a mal interprété le mot «nécessaires» lorsqu'elle a statué qu'il englobait les activités qui ne visent qu'à améliorer la qualité de la communication sur l'Internet. Compte tenu du contexte dans lequel se situe l'alinéa 2.4(1)b), il n'y a pas lieu d'accorder au terme «nécessaires» un sens qui contredirait son acception la plus courante. En conséquence, une personne ne fait que fournir à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour lui permettre de communiquer lorsque, sans son intervention, la communication par ce moyen de télécommunication ne serait pas réalisable ou, selon toute vraisemblance, n'aurait pas eu lieu. La question de savoir si des moyens de télécommunication sont «nécessaires» au sens de l'alinéa 2.4(1)b) doit être tranchée au moment où se produit la transmission des données provenant du serveur, et non lorsque le fournisseur de contenu choisit le moyen de communication. La Commission n'a pas commis d'erreur de droit sur cette question. Elle a cependant commis une erreur de droit en jugeant qu'un intermédiaire Internet qui met des données en antémémoire fournit ainsi les moyens nécessaires pour permettre à un tiers de les communiquer. Le fait que l'antémémoire accélère la vitesse de transmission et qu'elle permet de réduire les coûts du fournisseur d'accès Internet ne rend pas obligatoire le recours à une antémémoire pour qu'il y ait communication. Celui qui exploite une antémémoire communique par télécommunication à des utilisateurs finaux les données qui leur sont transmises à partir de l'antémémoire, violant ainsi le droit exclusif de l'auteur ou du compositeur de communiquer une oeuvre musicale au public. Il ne se contente donc pas de transmettre passivement des données. Finalement, c'est à bon droit que la Commission a jugé qu'un intermédiaire Internet ne fait que fournir des moyens de télécommunication lorsque ces moyens sont accessoires à la fourniture par cet intermédiaire des moyens de télécommunication nécessaires à la transmission de données d'autrui, à condition que ces activités supplémentaires ne constituent pas elles-mêmes une communication. Ainsi, les exploitants de serveurs hôtes ne sont pas privés de la protection de l'alinéa 2.4(1)b) lorsqu'ils fournissent leurs installations et services habituels.

3) Les éléments de preuve soumis à la Commission justifiaient amplement sa conclusion que les exploitants de serveurs hôtes et les fournisseurs d'accès Internet ne contrôlent pas effectivement le contenu de ce qu'ils transmettent, que leur rôle est passif et que, par conséquent, leurs activités habituelles consistent uniquement à assurer les moyens de télécommunication au sens de l'alinéa 2.4(1)b). En revanche, la conclusion de la Commission suivant laquelle il est nécessaire de recourir à une antémémoire pour permettre à autrui de communiquer reposait sur une interprétation erronée de l'alinéa 2.4(1)b).

4) La demanderesse faisait valoir que les intermédiaires Internet autorisent les fournisseurs de contenu à communiquer des oeuvres protégées par le droit d'auteur à partir de serveurs hôtes. Autoriser une communication par télécommunication constitue une violation flagrante du droit d'auteur protégé par le paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d'auteur. Il était loisible à la Commission de conclure que, lorsqu'ils s'acquittent de leurs fonctions essentielles, les fournisseurs d'accès Internet n'autorisent pas les fournisseurs de contenu à communiquer des données provenant du site Web à la demande de leurs clients, les utilisateurs finaux. Les tribunaux ont de façon générale rejeté l'argument que l'autorisation de communiquer peut s'inférer simplement de la fourniture de l'équipement permettant à un tiers de communiquer ou d'exécuter une oeuvre. Comme les exploitants de serveurs hôtes ne fournissent à autrui qu'un moyen passif de communiquer, on ne peut logiquement considérer qu'ils approuvent la communication de données, qu'ils consentent à cette communication ou qu'ils revendiquent le droit de permettre aux fournisseurs de contenus de communiquer les données stockées sur leur serveur. La Commission était justifiée de conclure que, dans le cadre de leurs activités habituelles, les exploitants de serveurs hôtes n'autorisent pas implicitement les fournisseurs de contenu à communiquer les données qu'ils ont rendues disponibles sur le serveur.

5) La demanderesse n'a droit à des redevances que pour les violations de son droit d'auteur qui se produisent au Canada. Étant donné que la principale violation du droit d'auteur invoquée en l'espèce est celle de communiquer des oeuvres protégées par le droit d'auteur au public par télécommunication, la Commission ne pouvait homologuer que les redevances payables pour des communications ayant lieu au Canada. En statuant qu'une communication par télécommunication se produit au lieu d'où provient la transmission, la Commission se prononçait sur une question de droit générale qui ne se limitait pas aux faits de l'affaire dont elle était saisie et, partant, sa décision était révisable en fonction de la norme de la décision correcte. Le lieu de la communication ne devrait pas être déterminé exclusivement en fonction de l'emplacement du serveur hôte, d'autant plus que les communications Internet en l'espèce ne se produisent qu'à la demande de l'utilisateur final. La principale activité qui constitue une violation du droit d'auteur en l'espèce était la communication d'information par le fournisseur de contenu; les données protégées par le droit d'auteur ne sont communiquées que lorsque l'utilisateur final les reçoit dans son ordinateur, et l'emplacement du serveur hôte ne suffit pas à lui seul à déterminer le lieu où la communication se produit. Le versement d'une redevance peut être exigé au Canada à l'égard de communications par télécommunication qui ont un rattachement réel et important avec le Canada. La Commission du droit d'auteur a commis une erreur de droit en ignorant tous les facteurs de rattachement autres que celui de l'emplacement du serveur hôte pour déterminer quelles communications ont lieu au Canada et sont par conséquent susceptibles d'engendrer l'obligation de verser des redevances à la demanderesse. Comme la Loi a pour objet de protéger le droit d'auteur sur le marché canadien, le lieu où se trouve l'utilisateur final revêt une importance particulière lorsqu'il s'agit de décider si une communication Internet a des liens réels et importants avec le Canada.

Le juge Sharlow, J.C.A. (dissidente en partie): C'est à bon droit que la Commission a qualifié la mise en antémémoire d'activité accessoire aux communications Internet et qu'elle a conclu qu'un intermédiaire Internet dont la seule activité consiste à assurer la mise en antémémoire a droit à la protection de l'alinéa 2.4(1)b) de la Loi sur le droit d'auteur. Il faut interpréter le mot «nécessaires» que le législateur a inséré dans la Loi pour qualifier la technologie utilisée pour la communication avec suffisamment de souplesse pour reconnaître les progrès technologiques constants en la matière. Dans le contexte de l'alinéa 2.4(1)b), une chose devrait être considérée comme nécessaire à la communication si elle rend cette communication réalisable ou plus pratique, ce qui correspond à l'interprétation que la Commission a implicitement donnée à ce terme.

lois et règlements

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, les gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des Étatis-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2.

Copyright Amendment (Digital Agenda) Act 2000, No. 110, 2000 (Aust.).

Digital Millennium Copyright Act, 17 U.S.C. § 512 (1998).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(3)b) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), (4) (édicté, idem), 28 (mod., idem, art. 8).

Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch.C-42, art. 2 «télécommunication» (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 61), 2.4(1)b) (édicté par L.C. 1997, c. 24, art. 2), 3(1)f) (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62; 1997, ch. 24, art. 3), 66 (mod. par. L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 12), 66.4(3) (édicté, idem), 66.6(1) (édicté idem), 66.7 (édicté, idem), 67 (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 45), 67.1 (mod., idem), 67.2(1)b) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 12; L.C. 1993, ch. 23, art. 4), 68 (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 45), 79 (mod., idem, art. 50).

Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8, art. 279 (mod. par L.O. 1993, ch. 10, art. 1, 32; 1996, ch. 31, art. 34), 280 (mod. par L.O. 1993, ch. 10, art. 1; 1996, ch. 21, art. 35), 281 (mod. par L.O. 1993, ch. 10, art. 1; 1996, ch. 21, art. 37), 282 (mod. par L.O. 1993, ch. 10, art. 1, 33; 1996, ch. 21, art. 38), 283 (mod. par L.O. 1993, ch. 10, art. 34; 1996, ch. 21, art. 39).

Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur. Genève, le 20 décembre 1996.

Traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, Genève, le 20 décembre 1996.

jurisprudence

décisions appliquées:

Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793; (1997), 144 D.L.R. (4th) 577; 8 Admin. L.R. (3d) 89; 210 N.R. 101; Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100; (2001), 199 D.L.R. (4th) 598; 29 Admin. L.R. (3d) 56; 12 C.P.R. (4th) 417; 270 N.R. 153; Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467; (1990), 72 D.L.R. (4th) 97; 31 C.P.R. (3d) 394; 111 N.R. 376; Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain inc., (2002), 210 D.L.R. (4th) 385; 23 B.L.R. (3d) 1; 17 C.P.R. (4th) 161; 285 N.R. 267 (C.S.C.); Goldman c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 976; (1979), 108 D.L.R. (3d) 17; 51 C.C.C. (2d) 1; 13 C.R. (3d) 228; 16 C.R. (3d) 330; 30 N.R 453.

décision non suivie:

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Association canadienne des radiodiffuseurs, (1999), 1 C.P.R. (4th) 80; 239 N.R. 119 (C.A.F.).

décisions examinées:

AVS Technologies Inc. c. Canadian Mechanical Reproduction Rights Agency, (2000), 7 C.P.R. (4th) 68; 257 N.R. 283 (C.A.F.); Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 208 D.L.R. (4th) 107; 18 Imm. L.R. (3d) 93 (C.S.C.); Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (1994), 58 C.P.R. (3d) 190; 175 N.R. 341 (C.A.F.); Kirkham v. State Farm Mutual Automobile Insurance Co., [1998] O.J. No. 6459 (C. div.) (QL); autorisation d'appel refusée [1998] O.J. No. 2872 (C.A.) (QL); Braintech, Inc. v. Kostiuk (1999), 171 D.L.R. (4th) 46; [1999] 9 W.W.R. 133; 63 B.C.L.R. (3d) 156; 120 B.C.A.C. 1 (C.A.); Gutnick v. Dow Jones & Co. Inc., [2001] V.S.C. 305 (Sup. Ct. Vic.); WIC Premium Television Ltd. v. General Instrument Corp. (2000), 266 A.R. 142; [2001] 2 W.W.R. 431; 86 Alta. L.R. (3d) 184; 8 C.P.R. (4th) 1 (C.A.); Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; (1998), 157 D.L.R. (4th) 385; 6 Admin. L.R. (3d) 1; 22 C.P.C. (4th) 1; 224 N.R. 241.

décisions citées:

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Halifax Longshoremen's Assn., section locale 269 c. Offshore Logistics Inc. (2000), 25 Admin. L.R. 224; 257 N.R. 338 (C.A.F.); VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, [2001] 4 C.F. 139; (2001), 270 N.R. 237 (C.A.); Réseaux Premier Choix Inc. c. Assoc. canadienne de télévision par câble (1997), 80 C.P.R. (3d) 203; 223 N.R. 43 (C.A.F.); Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756; (1993), 105 D.L.R. (4th) 385; 15 Admin. L.R. (2d) 1; 49 C.C.E.L. 1; 154 N.R. 104; 55 Q.A.C. 241; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 50 Admin. L.R. (2d) 199; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282; (2000), 20 Admin. L.R. (3d) 159; 252 N.R. 364 (C.A.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Ivanhoe Inc. c. TUAC, section locale 500, [2001] 2 R.C.S. 565, (2001), 201 D.L.R. (4th) 557; 272 N.R. 201; Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l'énergie), [1998] 1 R.C.S. 322; (1998), 156 D.L.R. (4th) 456; 3 Admin. L.R. (3d) 163; 22 N.R. 241; Housen c. Nikolaisen (2002), 211 D.L.R. (4th) 577, [2002] 7 W.W.R. 1; 219 Sask. R. 1; 10 C.C.L.T. (3d) 157; 286 N.R. 1 (C.S.C.); Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460; (2001), 201 D.L.R. (4th) 193; 34 Admin. L.R. (3d) 163; 10 C.C.E.L. (3d) 1; 7 C.P.C. (5th) 199; 272 N.R. 1; 149 O.A.C. 1; Federation Insurance Co. of Canada v. Vineski (1997), 48 C.C.L.I. (2d) 102; 31 M.V.R. (3d) 134; 108 O.A.C. 200 (C. div. Ont.); H'ng v. Allstate Insurance Co. of Canada (2000), 23 C.C.L.I. (3d) 252 (C. div. Ont.); Luu v. Zurich Insurance Co. (1997), 32 O.R. (3d) 807; 41 C.C.L.I. (2d) 274; [1997] I.L.R. 1-3434; 25 M.V.R. (3d) 195; 98 O.A.C. 344 (C. div.); Luu v. Zurich Insurance Co. (1999), 43 O.R. (3d) 484; [1999] I.L.R. 1-3736; 45 M.V.R. (3d) 197 (C.A.); Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357; (1979), 105 D.L.R. (3d) 249; 45 C.P.R. (2d) 1; 29 N.R. 296; Vigneux v. Canadian Performing Right Society Ld., [1945] A.C. 108 (P.C.); Muzak Corporation v. Composers, Authors, and Publishers Assocation of Canada Ltd., [1953] 2 R.C.S. 182; (1953), 19 C.P.R. 1; Apple Computer Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 C.F. 173; (1986), 28 D.L.R. (4th) 178; 8 C.I.P.R. 153; 10 C.P.R. (3d) 1; 3 F.T.R. 118 (1re inst.); conf. par [1990] 2 R.C.S. 209; (1990), 71 D.L.R. (4th) 95; 30 C.P.R. (3d) 257; 110 N.R. 66; C.B.S. Inc. v. Ames Records & Tapes Ltd., [1981] 2 W.L.R. 973 (Ch. D.); Moran c. Pyle National (Canada) Ltd., [1975] 1 R.C.S. 393; (1973), 43 D.L.R. (3d) 239; [1974] 2 W.W.R. 586; 1 N.R. 122; Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077; (1990), 76 D.L.R. (4th) 256; [1991] 2 W.W.R. 217; 52 B.C.L.R. (2d) 160; 46 C.P.C. (2d) 1; 122 N.R. 81; 15 R.P.R. (2d) 1; R. c. Libman, [1985] 2 R.C.S. 178; (1985), 21 D.L.R. (4th) 174; 21 C.C.C. (3d) 206; 62 N.R. 161; 12 O.A.C. 33.

doctrine

Black's Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1990, «necessary».

Document de consultation sur les questions de droit d'auteur à l'ère numérique. Direction de la politique de la propriété intellectuelle, Industrie Canada et Direction de la politique du droit d'auteur, Patrimoine canadien, 22 juin 2001.

New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles. Oxford: Clarendon Press, 1993. «necessary».

Nouveau Petit Robert: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris: Dictionnaire Le Robert, 1996, «nécessaire».

DEMANDE d'annulation d'une décision par laquelle la Commission du droit d'auteur ((1999), 1 C.P.R. (4th) 417) a soustrait la plupart des intermédiaires Internet à l'obligation de verser des redevances pour les oeuvres musicales protégées par le droit d'auteur diffusées sur Internet. Demande rejetée en partie.

ont comparu:

Y. A. George Hynna, C. Paul Spurgeon et S. Ashley Dent pour la demanderesse.

Mark S. Hayes pour les défendeurs.

Glen A. Bloom pour l'intervenante, l'Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement.

David R. Collier et Dominic Gourgues pour l'intervenante, la Société canadienne de gestion des droits voisins.

avocats inscrits au dossier:

Gowling Lafleur Henderson LLP, Ottawa, pour la demanderesse.

Davies Ward Phillips & Vineberg LLP, Toronto, pour les défendeurs.

Osler, Hoskin & Harcourt LLP, Ottawa, pour l'intervenante, l'Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement.

Ogilvy, Renault S.E.N.C., Montréal, pour l'intervenante, la Société canadienne de gestion des droits voisins.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A.:

A. INTRODUCTION

[1]Dans un laps de temps remarquablement court, l'Internet est devenu un moyen de communication universel qui ne connaît pas de frontières. Au fur et à mesure que les difficultés techniques ont été surmontées, la transmission d'oeuvres musicales--le plus souvent enregistrées, mais parfois en direct ou par la voix des ondes--est devenue une façon de plus en plus populaire d'utiliser l'Internet. En l'espèce, le débat tourne autour de la question de savoir qui peut être tenu de verser des redevances aux titulaires de droit d'auteur pour la musique diffusée sur Internet.

[2]À l'issue de la première phase de l'instance visant à déterminer le montant et la répartition des redevances payables aux titulaires de droit d'auteur pour la communication d'oeuvres musicales sur l'Internet, la Commission du droit d'auteur a conclu que des redevances peuvent être exigées de ceux qui rendent de la musique disponible sur un serveur situé au Canada auquel les internautes ont accès. La Commission a également statué que des redevances ne pouvaient être imposées à ceux dont le rôle dans la chaîne de transmission d'Internet se borne à exploiter le serveur sur lequel de la musique est stockée ou à assurer l'accès Internet aux destinataires. Elle a conclu que les activités habituelles des intermédiaires Internet ne constituent pas une communication au sens de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, et qu'elles ne violent donc pas les droits de communication exclusifs des titulaires du droit d'auteur.

[3]La décision de la Commission a été rendue le 27 octobre 1999. Elle est publiée sous l'intitulé Tarif des droits à percevoir par la SOCAN pour l'exécution publique d'oeuvres musicales 1996, 1997, 1998 (Tarif 22, Internet) (Re) (1999), 1 C.P.R. (4th) 417 (la décision relative au Tarif 22). Le texte bilingue de cette décision est également publié sur le site Web de la Commission du droit d'auteur à l'adresse suivante: www.cb-cda.gc.ca/decisions/music-f.html. Comme les paragraphes de la décision de la Commission ne sont pas numérotés, je renvoie dans les présents motifs aux numéros de page de la version imprimée de la décision.

[4]La Cour est saisie en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire introduite en vertu de l'article 28 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, en vue de faire annuler la décision par laquelle la Commission a soustrait la plupart des intermédiaires Internet à l'obligation de verser des redevances pour les oeuvres musicales protégées par le droit d'auteur qui sont diffusées sur Internet. La demanderesse est la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (la SOCAN). La SOCAN est chargée de gérer collectivement au Canada les droits d'exécution et de communication de ses membres et ceux de compositeurs, auteurs et éditeurs étrangers. La demanderesse est soutenue en l'espèce par des intervenants qui représentent des interprètes d'oeuvres musicales enregistrées et des maisons de disque. Les défendeurs comprennent une association de fournisseurs d'accès Internet, des associations de câblodistributeurs, des distributeurs de films et des radiodiffuseurs, de même que des radiodiffuseurs privés et des compagnies de téléphone.

[5]La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions de fond. En premier lieu, lorsque du contenu est diffusé sur Internet, l'exploitant du serveur sur lequel ce contenu est stocké et l'entité qui fournit au destinataire final l'accès à Internet ne font-ils que «fournir à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour que celui-ci l'effectue [cette communication]» au sens de l'alinéa 2.4(1)b) [édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 2] de la Loi sur le droit d'auteur? Dans l'affirmative, le fait d'exploiter un serveur hôte et de fournir l'accès à l'Internet ne constitue pas une communication de données par télécommunication et il n'engendre en conséquence pas l'obligation de verser des redevances.

[6]Deuxièmement, lorsque les données auxquelles un internaute cherche à accéder au Canada sont stockées sur un serveur situé à l'extérieur du Canada, la communication de ces données ne s'effectue-t-elle qu'à l'endroit où se trouve le serveur à partir duquel elles sont transmises? Dans l'affirmative, il n'y a pas de violation du droit d'auteur au Canada lorsque ces données sont transmises d'un serveur étranger à un destinataire situé au Canada, et la Commission du droit d'auteur ne peut réclamer de redevances de la personne qui les a rendues disponibles.

[7]Troisièmement, les intermédiaires Internet peuvent-ils être assujettis au paiement de redevances au motif qu'ils «autorisent» la communication d'oeuvres musicales sur Internet? En particulier, celui qui exploite un serveur hôte autorise-t-il la communication de la musique qui est stockée sur son serveur ou le fournisseur d'accès Internet autorise-t-il la communication de la musique qui est demandée par ses abonnés et qui leur est transmise?

[8]Or, avant de pouvoir décider si les conclusions que la Commission a tirées sur ces questions sont erronées en droit, la Cour doit déterminer la norme de contrôle applicable.

B. RAPPEL DES FAITS

[9]Se fondant sur la preuve abondante qui lui a été soumise, la Commission a, dans les motifs de sa décision, donné un exposé solide et étoffé des caractéristiques essentielles du fonctionnement du réseau Internet. Aucune des conclusions de fait de la Commission n'a été contestée dans le cadre de la présente instance. En conséquence, les faits qui se rapportent aux questions en litige dans la présente demande peuvent être relatés assez brièvement.

[10]Le World Wide Web et le courrier électronique (ou courriel) sont les applications les plus courantes de l'Internet. D'ailleurs, la plupart des gens considèrent l'Internet et le World Wide Web comme des synonymes. Dans les présents motifs, j'emploierai le terme «Internet». L'Internet est un réseau d'ordinateurs et un réseau de réseaux d'ordinateurs qui permet à ceux qui y sont branchés d'accéder à des données stockées sur des ordinateurs situés partout dans le monde qui sont eux-mêmes connectés à l'Internet et qui reçoivent une adresse de protocole Internet ou adresse IP où ils peuvent être retrouvés.

[11]Les données auxquelles on peut accéder sur Internet revêtent plusieurs formes--textes, images, vidéos et musique. Ces données sont transmises en «paquets» d'impulsions électriques. Elles sont stockées sur des pages Web auxquelles est attribuée une «adresse URL» (Universal Resource Locator) qui peut être convertie en l'adresse IP du serveur où les pages en question sont enregistrées. Un site Web est une série de pages auxquelles on peut accéder à la même adresse URL générale.

[12]Les noeuds terminaux servant à la communication de données sur l'Internet sont, d'une part, les ordinateurs des fournisseurs de contenu qui rendent des fichiers disponibles sur un serveur hôte et, d'autre part, les utilisateurs finaux qui demandent et reçoivent les fichiers en question.

[13]Les fichiers sont transmis par le fournisseur de contenu à l'utilisateur final en passant par plusieurs autres ordinateurs, et notamment par des routeurs, qui forment la «dorsale» ou l'«infrastructure de base» d'Internet. Les routeurs «interprètent» l'adresse figurant sur les paquets de données qui leur sont transmis et ils s'assurent que ces paquets leur ont été acheminés dans le bon ordre. Ils trouvent ensuite le routeur à qui les paquets doivent être envoyés avant d'atteindre leur destination finale. Le routeur final, qui est exploité par le fournisseur d'accès Internet de l'utilisateur final, achemine les paquets à l'abonné qui a demandé l'information. Lorsque le fournisseur d'accès Internet exploite aussi un serveur hôte, comme c'est le cas pour la plupart des fournisseurs d'accès Internet, seul le routeur du fournisseur d'accès Internet est utilisé pour la transmission de l'information que l'utilisateur final a demandée à ce serveur. Le logiciel de l'ordinateur de l'utilisateur final rassemble les paquets d'impulsions électriques sous une forme qui lui permet de lire, de consulter ou d'écouter les données que le fournisseur de contenu a mis à la disposition des internautes sur l'Internet.

[14]Les fournisseurs de contenu peuvent être des entreprises commerciales ou des particuliers qui disposent d'un ordinateur à la maison, du logiciel approprié et d'un accès à l'Internet. Le contenu est téléchargé sur un serveur hôte qui est exploité soit par le fournisseur de contenu, soit, le plus souvent, par une autre personne avec laquelle le fournisseur de contenu a conclu un contrat pour offrir de l'espace disque sur le serveur pour stocker des données et les rendre accessibles sur l'Internet. En plus de fournir de l'espace disque pour des sites Web, les exploitants des serveurs hôtes fournissent souvent d'autres services, comme l'enregistrement du nombre de visiteurs que reçoit un site et l'authentification des utilisateurs.

[15]Dans leurs rapports avec les fournisseurs de contenu, les exploitants de serveurs hôtes peuvent interdire la diffusion de certains types d'information, comme la pornographie ou les documents ou objets protégés par le droit d'auteur. Si un fournisseur de contenu télécharge malgré cette interdiction du contenu illicite, l'exploitant du serveur peut supprimer ce contenu dès qu'il en découvre la présence, à la suite d'une plainte, par exemple. Sinon, l'exploitant n'est pas au courant du contenu qui est présenté sur le serveur et il ne prétend pas exercer de contrôle sur ce contenu, étant donné que le serveur hôte est programmé pour envoyer automatiquement sur demande l'information qu'il contient.

[16]Pour pouvoir accéder au monde merveilleux du Web, il faut recourir aux services d'un fournisseur d'accès Internet, en l'occurrence la compagnie de téléphone locale ou une entreprise, grande ou petite, qui offre l'accès Internet dans le cadre de ses activités. Parmi les services de «connectivité» habituellement offerts par les fournisseurs d'accès Internet signalons: l'attribution d'une adresse de protocole Internet et d'un nom de domaine pour permettre à l'abonné d'envoyer et de recevoir de l'information; l'installation dans l'ordinateur de l'abonné du logiciel nécessaire pour pouvoir se brancher sur l'Internet; l'interconnexion de l'ordinateur de l'abonné à l'Internet par fil, dispositif sans fil ou satellite; et l'exploitation d'un routeur qui a pour objet de recevoir des paquets de données en vue de les acheminer à l'utilisateur final et de déterminer comment les faire parvenir à l'utilisateur final ou au routeur suivant avant qu'elles n'atteignent leur destination finale.

[17]La vitesse à laquelle les routeurs peuvent lire et acheminer des données revêt une importance critique pour les internautes. La haute vitesse n'est possible qu'en limitant la quantité d'informations que le routeur doit traiter. Bien que cela soit en principe techniquement possible, il existe pour le moment des difficultés d'ordre pratique trop importantes pour que le fournisseur d'accès Internet puisse prendre connaissance du contenu des donnés qui transitent par son routeur. De plus, le fournisseur d'accès Internet qui annoncerait qu'il vérifie le contenu des données reçues et envoyées par ses abonnés ferait probablement fuir ses clients. En conséquence, les routeurs se contentent normalement de «regarder» l'adresse du destinataire final, ainsi que le numéro et l'ordre des paquets de données sous leur forme électronique.

[18]Les fournisseurs d'accès Internet peuvent, comme d'autres personnes, exploiter des serveurs «antémémoires» qui emmagasinent temporairement les données que l'utilisateur final demande au serveur hôte. Les données qu'un abonné demande au serveur hôte peuvent être mises en antémémoire automatiquement sur le serveur du fournisseur d'accès Internet, de sorte que lorsqu'elle est demandée de nouveau, l'information provient de l'antémémoire et non du serveur hôte d'origine. L'utilisateur final ne pourra pas savoir si l'information demandée provient du serveur hôte d'origine ou d'une antémémoire. Le fournisseur de contenu peut toutefois contrôler ou même empêcher la mise en antémémoire en insérant des données invisibles sur les pages Web. Et, pour s'assurer de recevoir la version la plus récente, l'utilisateur final peut régler son navigateur de manière à faire en sorte que l'information provient toujours du serveur hôte d'origine et non d'une antémémoire.

[19]Les antémémoires peuvent être utilisées pour repérer, dans l'entourage de l'abonné, des données stockées sur un serveur situé à une grande distance (en Europe ou en Australie, par exemple). Elles sont également utilisées lorsqu'un document ou fichier déterminé fait l'objet d'une forte demande. La mise en antémémoire réduit les coûts de transmission du fournisseur d'accès Internet en diminuant la largeur de la bande passante requise pour la transmission et en accélérant la transmission des données vers l'utilisateur final.

[20]Un dernier trait de l'Internet qui revêt une certaine importance dans le présent appel est l'utilisation d'hyperliens servant à donner accès d'une page Web à d'autres pages du même site ou à des pages d'autres sites situés sur le même serveur ou sur un autre serveur. Lorsqu'un hyperlien est intégré à une page d'un site Web, l'accès aux autres pages est automatique, en ce sens qu'ayant obtenu accès à la première page, l'utilisateur final n'a rien d'autre à faire pour pouvoir consulter les pages chaînées.

[21]Dans les motifs de sa décision (précitée, à la page 441), la Commission a donné le résumé utile suivant des éléments essentiels de la transmission de données par Internet:

Pour qu'il y ait transmission, les conditions qui suivent doivent être réunies. Premièrement, le fichier est enregistré sur un serveur accessible sur l'Internet. Deuxièmement, à la demande du destinataire et au moment fixé par celui-ci, le fichier est divisé en paquets et transmis du serveur hôte au serveur du destinataire, à travers un ou plusieurs routeurs. Troisièmement, le destinataire, habituellement à l'aide d'un ordinateur, peut reconstituer et ouvrir le fichier dès réception ou l'enregistrer en vue de son ouverture ultérieure; dans l'un et l'autre cas, il y a reproduction du fichier, encore une fois au sens courant de ce terme.

C. LA DÉCISION DE LA COMMISSION DU DROIT D'AUTEUR

[22]En 1995, la SOCAN a soumis le premier projet de tarif de redevances à percevoir pour la musique diffusée sur Internet. Ce tarif, connu sous le nom de tarif 22, vise les années 1996 à 1998 inclusivement. En raison du grand nombre de personnes susceptibles d'être intéressées à participer à l'instance relative à l'examen du tarif proposé et à cause de la portée et de la complexité des questions soulevées, la Commission a décidé de scinder l'instance en deux.

[23]La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la phase I de l'instance. Cette phase visait à établir quelles activités des divers intervenants de l'Internet portaient atteinte au droit d'auteur, rendant ainsi ces intervenants susceptibles de devoir verser des redevances et, en particulier, si les intermédiaires Internet «communiquent» au public la musique qui est transmise à l'utilisateur final. Seuls les intervenants dont la Commission conclurait au terme de la phase I que les activités violent le droit d'auteur seraient tenus de participer à la phase II, au cours de laquelle la Commission déterminerait qui d'entre eux devrait être tenu de verser des redevances, selon quelle formule les redevances devraient être calculées et à quel taux elles devraient être fixées. L'instruction de la phase II n'a pas encore commencé.

[24]L'instruction de la phase I a duré 11 jours, au cours desquels la Commission a entendu le témoignage d'experts chevronnés au sujet de la nature et du fonctionnement de l'Internet. En outre, les intéressés ont présenté des observations écrites fouillées au sujet des questions en litige. La Commission a publié une longue décision motivée dans les deux langues officielles.

[25]Les motifs de la Commission correspondent aux trois principales catégories de questions et de réponses qui ont été examinées. En premier lieu, la Commission a énuméré les activités qui sont susceptibles de donner lieu à une violation du droit d'auteur au sens de l'alinéa 3(1)f) [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62; 1997, ch. 24, art. 3] de la Loi sur le droit d'auteur, en l'occurrence la communication d'une oeuvre au public par télécommunication. Deuxièmement, la Commission a examiné les activités qui ne répondent pas à la définition du mot «communication» aux termes de l'alinéa 2.4(1)b) de la Loi, lequel prévoit que n'effectue pas une communication au public la personne qui ne fait que fournir à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour que celui-ci l'effectue. Troisièmement, la Commission s'est penchée sur les circonstances dans lesquelles une communication Internet se produit au Canada, donnant ainsi lieu à l'imposition de redevances.

[26]Dans le cadre de son analyse de ces questions, la Commission a tiré d'autres conclusions importantes sur l'application de la Loi sur le droit d'auteur à la transmission d'oeuvres musicales sur l'Internet. Sur ces questions, la Commission s'est dite pour l'essentiel d'accord avec la SOCAN et les défendeurs n'ont pas contesté les conclusions qu'elle a tirées. La SOCAN ne conteste pas la conclusion de la Commission suivant laquelle (précitée, aux pages 446 à 448) une oeuvre musicale qui est diffusée sur l'Internet est communiquée par télécommunication au sens de la Loi, même si, après qu'elle a été demandée à un serveur, elle est découpée en petits paquets de données sous une forme numérique qui ne contient que des fragments des données originales qui ne sont reconnaissables comme des oeuvres musicales qu'une fois qu'elles sont reconstituées par l'ordinateur de l'utilisateur final.

[27]La SOCAN ne conteste pas non plus la conclusion de la Commission (précitée, aux pages 450, 455 et 456) suivant laquelle la personne qui offre de la musique sur un serveur en autorise de ce fait la communication et la communique lorsqu'en réponse à la demande formulée par un utilisateur final, elle la transmet à partir du serveur hôte sur lequel elle l'a emmagasinée. Même lorsqu'elles sont transmises à partir d'une antémémoire ou d'un serveur miroir sur lequel le contenu d'autres sites Web a été copié, les données sont quand même communiquées par le fournisseur de contenu (précitée, à la page 459). Toutefois, les fournisseurs de contenu ne communiquent pas au Canada des données qui ont été diffusées sur des serveurs situés dans d'autres pays, à moins, peut-être, que les données soient expressément destinées à être consultées par des destinataires situés au Canada (précitée, aux pages 459 et 460). En outre, l'obligation faite par la loi que la communication qui constitue une violation du droit d'auteur soit une communication «au public» est satisfaite chaque fois qu'un fournisseur de contenu télécharge des données sur un serveur dans l'intention que le public ou un segment du public y ait accès, même si des membres du public n'ont jamais demandé ou reçu les données simultanément, et ils peuvent les recevoir individuellement en privé (précitée, aux pages 445 et 446).

[28]La SOCAN conteste toutefois la conclusion de la Commission suivant laquelle les activités habituelles des exploitants de serveurs hôtes et des fournisseurs d'accès Internet ne constituent pas une communication par télécommunication au sens de la Loi sur le droit d'auteur et n'engendrent donc pas l'obligation de verser des redevances. Les services et l'équipement qu'ils fournissent habituellement pour permettre aux abonnés d'accéder à des oeuvres musicales les font tomber sous le coup de l'alinéa 2.4(1)b). En d'autres termes, les intermédiaires Internet ne communiquent pas par télécommunication parce que le seul acte qu'ils accomplissent qui s'apparente à une communication est celui de fournir les moyens de télécommunication nécessaires pour permettre à un tiers d'effectuer une telle communication. Toutefois, si les exploitants de serveurs hôte mettent aussi de la musique à la disposition du public sur leur serveur ou si les fournisseurs d'accès Internet collaborent avec des fournisseurs de contenu ou offrent eux-mêmes de la musique, ils perdent la protection de l'alinéa 2.4(1)b). L'analyse que la Commission a faite de ces questions se trouve aux pages 451 à 453 de sa décision.

[29]La Commission a également jugé (aux pages 458 et 459 de sa décision) que la transmission de musique à partir d'une antémémoire ou d'un site miroir ne constitue habituellement pas une communication. Celui qui rend des données disponibles sur son serveur demeure celui qui les communique et la communication se produit à l'emplacement du serveur d'où provient la transmission. En revanche, la personne qui rend d'autres pages ou sites Web accessibles par un utilisateur final au moyen d'un hyperlien intégré autorise ainsi la communication du contenu présenté sur les sites en question. La SOCAN maintient toutefois que, tout comme les transmissions provenant du serveur hôte d'origine, les transmissions provenant d'une antémémoire ou d'un site miroir constituent une communication par télécommunication.

[30]La SOCAN soutient que la décision par laquelle la Commission a soustrait les intermédiaires Internet à l'obligation de verser des redevances risque de lui rendre plus difficile sa tâche de protéger efficacement ses membres contre les communications sur Internet qui risquent de porter atteinte à leur droit d'auteur au Canada, parce que, dans sa décision, la Commission limite aux fournisseurs de contenu et à leurs collaborateurs l'éventail d'intervenants de l'Internet qui peuvent être tenus de verser des redevances. Or, les fournisseurs de contenu sont nombreux, ils sont anonymes et ils disposent souvent de moyens financiers limités, de sorte que la SOCAN risque d'avoir de la difficulté à se faire payer par eux. La SOCAN explique aussi que la décision de la Commission risque de nuire aux intérêts de ses membres parce qu'elle soustrait les fournisseurs de contenu à l'obligation de verser des redevances à l'égard des données transmises à partir d'un serveur hôte situé à l'extérieur du Canada.

D. CADRE LÉGISLATIF

[31]Voici les dispositions de la Loi sur le droit d'auteur qui sont les plus importantes pour décider du sort de la présente demande de contrôle judiciaire:

Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 [article «télécommunication» (mod. par L.C. 1988,

ch. 65, art. 61)]

2. [. . .]

«télécommunication» vise toute transmission de signes, signaux, écrits, images, sons ou renseignements de toute nature par fil, radio, procédé visuel ou optique, ou autre système électromagnétique.

[. . .]

2.4 (1) Les règles qui suivent s'appliquent dans les cas de communication au public par télécommunication:

[. . .]

b) n'effectue pas une communication au public la personne qui ne fait que fournir à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour que celui-ci l'effectue;

[. . .]

3. (1) Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, sous une forme matérielle quelconque, d'en exécuter ou d'en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l'oeuvre n'est pas publiée, d'en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif:

[. . .]

f) de communiquer au public, par télécommunication, une oeuvre littéraire, dramatique, oeuvres musicales ou artistique;

[. . .]

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d'autoriser ces actes. [Soulignement ajouté.]

[32]La Loi sur le droit d'auteur constitue également la Commission du droit d'auteur et en définit les pouvoirs et les attributions. La Commission a tenu l'audience relative au tarif 22 en vertu du paragraphe 68(1) [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 45], qui l'autorise à approuver les projets de tarifs de redevances à percevoir qui lui sont soumis par les sociétés de gestion chargées de «percevoir des redevances pour l'exécution en public ou la communication au public par télécommunication [. . .] d'oeuvres musicales» (article 67 [mod., idem]). La Commission ne pouvait donc pas approuver l'imposition de redevances à une personne qui ne contrevenait pas à l'alinéa 3(1)f) en communiquant des oeuvres musicales au public par voie de télécommunication. D'autres dispositions législatives relatives à la Commission qui sont moins importantes en l'espèce sont mentionnées plus loin dans les présents motifs.

E. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

[33]Les parties conviennent que la Cour a compétence pour examiner la décision que la Commission a rendue au cours de la phase I au sujet des activités des intermédiaires Internet pour lesquelles la Commission pouvait les obliger à verser des redevances, même si elle n'a pas encore décidé qui sera tenu d'en verser, ni le montant total des redevances exigibles ni même la méthode à utiliser pour les répartir entre ceux qui sont tenus de les verser.

[34]Je suis persuadé que les parties ont raison sur ce point. La vaste compétence que l'alinéa 18.1(3)b) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale confère à notre Cour pour examiner et annuler «toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte» d'un office fédéral vaut également pour les décisions des offices fédéraux qui sont soumises au contrôle judiciaire de notre Cour en première instance en vertu du paragraphe 28(1), comme par exemple les décisions de la Commission du droit d'auteur (paragraphe 28(2)).

[35]Ainsi, la compétence de notre Cour en matière de contrôle judiciaire ne se limite pas aux décisions des tribunaux administratifs, et encore moins aux décisions qui ont pour effet de trancher définitivement un litige. La décision que la Commission a rendue au sujet du Tarif 22 en ce qui a trait à l'obligation éventuelle des parties de verser des redevances est de toute évidence une «décision» qui est susceptible d'un contrôle judiciaire en vertu de l'alinéa 18.1(3)b) et qui peut être annulée pour cause d'erreur de droit en vertu de l'alinéa 18.1(4)c) [édicté, idem].

Question 1: La norme de contrôle applicable

[36]La SOCAN affirme que, pour déterminer si la décision de la Commission est entachée d'une erreur de droit, la Cour doit décider elle-même si la Commission a tranché correctement les questions de droit en litige. Les défendeurs soutiennent en revanche que la Cour devrait faire preuve d'une certaine réserve envers la décision de la Commission et n'intervenir que si la décision et les conclusions de la Commission sont manifestement déraisonnables ou simplement déraisonnables. Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que l'interprétation que la Commission a donnée des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur qui nous intéressent en l'espèce est susceptible d'un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte, alors qu'il y a lieu de faire preuve de réserve en ce qui concerne l'application que la Commission a faite de ces dispositions aux faits de l'espèce.

I La jurisprudence existante

[37]On encouragerait un gaspillage effarant de ressources et on créerait de l'incertitude dans une analyse déjà nuancée et contextuelle du contrôle judiciaire si l'on obligeait les tribunaux saisis de demandes de contrôle judiciaire à élaborer de nouveau la norme de contrôle appropriée pour chaque article ou mot de la loi qu'un organisme est chargé d'appliquer. Une fois que le tribunal s'est prononcé sur la norme de contrôle applicable à l'interprétation qu'un organisme a donné d'une des dispositions de sa loi habilitante, cette norme devrait en règle générale être appliquée à l'interprétation, par le même organisme, d'autres dispositions de sa loi habilitante lorsqu'une de ses décisions est contestée par voie de contrôle judiciaire.

[38]Normalement, le tribunal saisi d'une demande de contrôle judiciaire devrait appliquer une norme différente seulement si le demandeur le convainc que la norme antérieurement retenue ne convient pas ou que la nature des dispositions législatives en litige dans le cas soumis au tribunal sont à ce point manifestement différentes de celles qui ont été examinées auparavant pour que l'analyse pragmatique ou fonctionnelle commande l'application d'une norme de contrôle différente. Ainsi, par exemple, si un tribunal judiciaire a déjà fait preuve de réserve à l'égard de l'interprétation qu'un organisme a donnée d'une des dispositions de sa loi habilitante, la même norme régit en principe l'interprétation des autres dispositions de la loi, à moins que, par exemple, ces dispositions ne fassent pas entrer en jeu la compétence spécialisée de l'office en question, qu'elles fassent l'objet d'une définition législative tellement restrictive qu'il n'y a plus de place pour l'exercice d'un pouvoir d'interprétation de la part de l'organisme en question ou qu'elles portent atteinte aux droits d'une personne de diverses façons.

[39]Comme la norme de contrôle applicable à l'interprétation donnée à la Loi sur le droit d'auteur par la Commission du droit d'auteur a récemment fait l'objet d'une étude comparative de la part de notre Cour, je vais d'abord examiner la jurisprudence de notre Cour pour voir si elle propose une solution aux questions soulevées dans la présente demande.

(i) AVS Technologies Inc. c. Canadian Mechanical Reproduction Rights Agency

[40] Les défendeurs tablent fortement sur l'arrêt AVS Technologies Inc. c. Canadian Mechanical Reproduc-tion Rights Agency (2000), 7 C.P.R. (4th) 68 (C.A.F.) (AVS) pour affirmer que, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision dans laquelle la Commission a interprété la Loi sur le droit d'auteur, notre Cour doit impérativement appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[41]La question en litige dans l'affaire AVS, précitée, était celle de savoir si une redevance pouvait être perçue sur certains disques compacts (CD) auprès des fabricants et des importateurs au motif que ces CD seraient probablement utilisés pour faire des copies privées d'oeuvres musicales enregistrées protégées par le droit d'auteur. L'obligation de verser une redevance dépendait de la réponse à la question de savoir si les CD constituaient ou non un «support audio» au sens de l'article 79 [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 50] de la partie VIII de la Loi sur le droit d'auteur, en ce sens qu'ils étaient «habituellement utilisé par les consommateurs» pour reproduire des enregistrements sonores.

[42]La Commission du droit d'auteur a décidé que, pour l'application de l'article 79, les CD sont «habituellement» utilisés par des consommateurs pour reproduire des oeuvres protégées par le droit d'auteur. La Commission a estimé qu'à condition que l'utilisation de ces oeuvres à d'autres fins ne soit pas négligeable, il est sans importance que la copie ne soit pas le seul ou même le principal but dans lequel les consommateurs utilisent les CD. En rejetant l'argument que l'expression «habituellement utilisé» signifie «le plus fréquemment utilisé», la Commission se prononçait de toute évidence sur une question d'interprétation de la loi, parce que la question en litige était suffisamment générale pour pouvoir être soulevée de nouveau dans d'autres instances introduites devant la Commission et dans des actions en justice pour violation du droit d'auteur.

[43]Saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission, notre Cour a, sous la plume du juge Linden, déclaré ce qui suit (AVS, précité, au paragraphe 5) au sujet de la norme de contrôle applicable à l'interprétation que la Commission avait donnée des mots «habituellement utilisé par les consommateurs»:

À notre avis, il s'agit principalement d'une question de droit, c'est-à-dire de l'interprétation de la loi que la Commission administre. Une telle détermination relève manifestement de la compétence de la Commission. C'est dans son champ d'expertise. Il s'agit d'une question polycentrique qui traite des intérêts des artistes, des fabricants, des importateurs, des consommateurs qui font des enregistrements sonores, des consommateurs qui ne le font pas et ainsi de suite. Le but de la Partie VIII de la Loi est principalement économique--c'est-à-dire qu'il vise à rémunérer de façon juste les artistes et autres créateurs pour leur travail en établissant des redevances justes et équitables. Ce sont des questions qui relèvent de l'expertise de la Commission à qui on a confié le pouvoir de décider, notamment, de la manière de fixer les redevances, des personnes qui doivent les acquitter, du montant de ces redevances, ainsi que des conditions de paiement (voir le paragraphe 83(8)). Par conséquent, la Commission doit connaître l'industrie qu'elle réglemente mieux que la Cour. Donc, en appliquant le critère «fonctionnel et pragmatique» de l'arrêt Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, et après avoir examiné les facteurs énoncés, la norme de contrôle appropriée sur cette question, même en l'absence d'une clause privative, est la norme de la décision manifestement déraisonnable, étant donné qu'il faut faire preuve d'une très grande retenue judiciaire à l'égard de la Commission sur cette question. [Non souligné dans l'original].

[44]L'avocat de la SOCAN affirme qu'il y a lieu d'établir une distinction entre la présente espèce et l'affaire AVS, précitée, étant donné que les questions de droit en litige dans l'affaire du Tarif 22 étaient des questions «de compétence», étant donné que la Commission était appelée à déterminer pour quelles activités une personne pouvait être tenue en droit de verser des redevances avant de passer à la phase II de son examen. La SOCAN en déduit que la décision que la Commission a rendue au sujet de la phase I est susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire en vue de déterminer, en fonction de la norme de la décision correcte, si sa décision est entachée d'une erreur de droit.

[45]J'estime toutefois que, suivant ce raisonnement, l'interprétation de l'expression «support audio» dans l'affaire AVS, précitée, aurait tout aussi bien pu être qualifiée de question «de compétence». En d'autres termes, la Commission ne pouvait passer à l'étape consistant à décider quelle redevance elle imposerait aux fabricants et importateurs de CD tant qu'elle n'avait pas décidé que les CD répondaient à la définition de «support audio» et qu'une redevance pouvait par conséquent être légalement imposée sur ces produits. Je ne suis donc pas d'accord pour dire qu'il y a lieu d'établir entre l'affaire AVS et la présente espèce la distinction préconisée par l'avocat de la SOCAN.

[46]Il importe surtout de souligner que l'analyse pragmatique ou fonctionnelle constitue désormais la méthode généralement acceptée pour fixer la norme en fonction de laquelle une cour de justice procède au contrôle judiciaire des décisions rendues par un organisme administratif spécialisé sur des questions de droit. À mon avis, nous sommes presque parvenus, dans l'évolution de droit canadien en matière de contrôle judiciaire des actes des administrations publiques, à une étape où il nous est désormais permis de reléguer sans risque d'erreur au second plan le concept de compétence en tant que moyen utile de trouver la norme de contrôle applicable à l'interprétation ou à l'application par un organisme administratif spécialisé de la loi habilitante sur laquelle cet organisme a fondé sa décision.

[47]La défaveur dans laquelle le concept de compétence est tombé dans ce contexte a été expressément reconnue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 28, et par notre Cour dans l'affaire Halifax Longshoremen's Assn., section locale 269 c. Offshore Logistics Inc. (2000), 25 Admin. L.R. 224 (C.A.F.), au paragraphe 15, et l'arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Cairns, [2001] 4 C.F. 139 (C.A.) au paragraphe 36. La disposition législative en litige fait par conséquent partie de celles qu'il est permis à l'organisme d'interpréter et d'appliquer pour pouvoir rendre une décision, l'invocation de la compétence ne le dispense pas de la nécessité de procéder à une analyse pragmatique ou fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable. Néanmoins, la Cour suprême ne semble pas encore prête à abandonner le concept de compétence en tant qu'outil d'analyse permettant de déterminer la norme de contrôle applicable (Pushpanathan, précité, au paragraphe 28). Il semble que la Cour suprême l'ait plutôt relégué au rang des facteurs dont il y a lieu de tenir compte dans le cadre de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle (voir l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 208 D.L.R. (4th) 107 (C.S.C.)), au paragraphe 24, sur lequel je reviendrai plus loin aux paragraphes 63 à 65.

[48]J'estime donc qu'il n'y a pas lieu d'établir une distinction entre l'affaire AVS, précitée, et la présente espèce, du moins dans la mesure où les questions tranchées par la Commission dans les deux cas portent sur l'interprétation de la Loi sur le droit d'auteur. Un tribunal judiciaire pourrait être appelé à interpréter les dispositions législatives en question dans les deux décisions dans le cadre d'une action en violation du droit d'auteur. De plus, je ne vois rien dans le libellé des expressions «les moyens de télécommunication nécessaires» et «habituellement utilisé par les consommateurs» qui justifie l'application de normes de contrôle différentes en ce qui concerne l'interprétation que la Commission a donnée de ces expressions.

[49]Néanmoins, à mon humble avis, le raisonnement que la Cour a suivi pour appliquer l'analyse pragmatique ou fonctionnelle à l'interprétation par la Commission du droit d'auteur de la Loi dans l'arrêt AVS, précité, est critiquable pour les trois raisons suivantes.

[50]En premier lieu, lorsqu'on l'applique à l'interprétation que les organismes administratifs donnent des dispositions de leur loi habilitante qui ne sont pas à première vue de nature discrétionnaire, la norme de la décision manifestement déraisonnable semble être rarement utilisée en l'absence d'une solide clause limitative de recours. Le contrôle judiciaire de l'interprétation des conventions collectives par des arbitres constitue en quelque sorte une exception à ce principe général, en ce sens que les décisions arbitrales de cette nature sont normalement assujetties au contrôle judiciaire en fonction de la norme de la décision déraisonnable, bien qu'elles soient normalement protégées uniquement par des clauses de compétence exclusive et des clauses d'irrévocabilité. Cette stricte ligne de conduite en matière de réserve s'explique par une foule de considérations de principe propres à la réglementation des relations de travail, de même que par la place spéciale qu'occupe l'arbitrage des conflits de travail, qui se situe à la limite entre le droit public et le droit privé.

[51]En deuxième lieu, il semble que dans l'arrêt AVS, précité, la Cour a trouvé un appui en faveur de la norme de la décision manifestement déraisonnable dans des affaires portant sur l'exercice par la Commission de ses pouvoirs discrétionnaires en vue d'établir le mode de calcul et le montant d'une redevance. Ainsi, la Cour renvoie (au paragraphe 5 de sa décision, précitée) aux décisions suivantes «dans lesquelles cette norme [celle de la décision manifestement déraisonnable] a été appliquée à la Commission sur d'autres questions techniques: Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (1994), 58 C.P.R. (3d) 190 (C.A.F.); Réseaux Premier Choix Inc. c. Assoc. canadienne de télévision par câble (1997), 80 C.P.R. (3d) 203 (C.A.F.); Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Association canadienne des radiodiffuseurs (1999), 1 C.P.R. (4th) 80 (C.A.F.) (ACR (1999)).

[52]Ces affaires portaient cependant sur le contrôle judiciaire de la façon dont la Commission avait exercé les pouvoirs manifestement discrétionnaires dont elle était investie. En invoquant ces décisions pour justifier sa conclusion dans l'arrêt AVS, il est possible que, dans l'arrêt AVS, la Cour ait méconnu la possibilité qu'une norme de contrôle appelant une plus grande retenue judiciaire devrait être appliquée à l'interprétation et à l'application par la Commission des dispositions de la Loi qui ne confèrent pas de pouvoir discrétionnaire à première vue.

[53]En troisième lieu--et c'est probablement là le plus important--dans l'arrêt AVS, précité, la Cour n'a pas mentionné le fait que les questions de droit tranchées par la Commission devront peut-être aussi être jugées par une cour de justice dans l'exercice de sa compétence en première instance en cas de poursuites pour violation du droit d'auteur. Le fait que la Commission n'ait pas le pouvoir exclusif d'interpréter une disposition de la Loi sur le droit d'auteur permet selon toute vraisemblance de penser que la Commission n'est pas mieux placée que la Cour pour trancher les questions au sujet desquelles il y a tout lieu de croire que le législateur a voulu assujettir ses décisions à la norme de contrôle qui appelle le plus grand degré de retenue judiciaire.

[54]À mon humble avis, l'autorité de l'arrêt AVS, précité, est sérieusement ébranlée en raison du fait que la Cour ne semble pas avoir tenu compte de ce dernier facteur. Elle semble plutôt avoir réduit la norme de contrôle applicable à l'exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle fixe et répartit des redevances et avoir limité la portée de la norme de contrôle régissant son interprétation des dispositions qui définissent les actes constituant une violation du droit d'auteur.

[55]Pour ces motifs, je ne puis considérer que, dans l'arrêt AVS, la Cour a fixé la norme de contrôle applicable à l'interprétation par la Commission des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire.

(ii) Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR (1999))

[56]La demanderesse invoque l'arrêt ACR (1999), précité, à l'appui de la proposition que les dispositions législatives qui définissent une responsabilité légale sont des dispositions relatives à la compétence et que la norme de la décision correcte devrait s'appliquer à l'interprétation que la commission en donne.

[57]Ainsi, le juge Robertson a statué (ACR (1999), précité, au paragraphe 10) que la question de savoir si la Commission pouvait délivrer une licence générale multiple en vertu des larges pouvoirs qui lui permettent, en vertu de la loi, de fixer les tarifs et d'assortir sa décision des «modalités y afférentes» en vertu de l'alinéa 67.2(1)b) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 12; L.C. 1993, ch. 23, art. 4] de la Loi sur le droit d'auteur était une question «de compétence». Ainsi, comme la portée des pouvoirs de réparation de la Commission était une question «de compétence», la Cour pouvait contrôler le bien-fondé de l'interprétation que la Commission avait donnée des dispositions législatives applicables. Or, le juge Robertson a conclu que la Commission avait satisfait à cette norme dans cette affaire.

[58]Je ne comprends pas très bien, si ce raisonnement est valable, pourquoi il ne s'appliquerait pas également aux questions soumises à la Commission dans l'affaire du Tarif 22, et notamment à la définition de ce qui est susceptible en droit de constituer «les moyens de télécommunication nécessaires» au sens de la Loi.

[59]En toute déférence, je ne puis considérer que le raisonnement suivi dans l'arrêt ACR (1999), précité, a établi de façon convaincante que la norme de la décision correcte (ou norme du bien-fondé) constitue la norme de contrôle applicable à l'interprétation que la Commission du droit d'auteur donne de toute disposition de la Loi. Ayant qualifié l'interprétation des pouvoirs de réparation de la Commission de question «de compétence» et, partant, de question susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte, le juge Robertson n'a selon toute vraisemblance pas jugé nécessaire de procéder à une analyse fonctionnelle ou pragmatique pour déterminer la norme de contrôle applicable. Toutefois, comme la Commission était de toute évidence tenue d'interpréter l'alinéa qui lui conférait ses pouvoirs de réparation pour pouvoir statuer sur la demande dont elle était saisie, je ne suis pas d'accord pour dire que la norme de contrôle peut être déterminée en accolant l'étiquette de «compétence» à la question contestée que le tribunal a été appelé à trancher.

[60]En plus des raisons que j'ai évoquées aux paragraphes 46 et 47 pour conclure que ce n'est plus le concept de compétence qui est déterminant en matière de norme de contrôle en droit administratif, la Cour suprême du Canada a expressément écarté l'idée que les dispositions législatives qui définissent les pouvoirs de réparation d'un organisme doivent toujours être considérées comme limitatives de compétence et que leur interprétation doit inéluctablement être assujettie au contrôle judiciaire en fonction de la norme de la décision correcte. S'exprimant au nom de la Cour dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793 (SCFP, section locale 301), le juge L'Heureux-Dubé a estimé que l'analyse pragmatique ou fonctionnelle est tout aussi utile pour déterminer la norme de contrôle applicable à l'interprétation qu'un organisme administratif fait de ses pouvoirs de réparation que toute autre disposition de sa loi habilitante. Voici les propos que le juge L'Heureux-Dubé a tenus (précité, au paragraphe 44):

Se fondant sur l'arrêt Acadie, précité [Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412], de notre Cour, la Cour d'appel a considéré comme limitatives de compétence les dispositions réparatrices concernant le Conseil. L'ordonnance était donc susceptible de révision judiciaire par une cour de justice selon la norme de la décision correcte. Cette application de la jurisprudence relative aux questions de compétence était une erreur. Comme je l'ai dit, l'arrêt Bibeault, précité [U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048], de notre Cour impose l'application d'une démarche pragmatique et fonctionnelle pour interpréter la législation habilitante. Cette démarche doit s'appliquer même aux dispositions qui semblent limiter la compétence d'un tribunal administratif. [Non souligné dans l'original.]

[61]À mon avis, le raisonnement que la Cour a suivi dans l'arrêt ACR (1999), précité, pour déterminer la norme de contrôle applicable à l'interprétation par la Commission de ses pouvoirs de réparation n'est compatible ni avec la philosophie à la base de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle en général, ni avec l'analyse à laquelle s'est livrée le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt SCFP, section locale 301, précité, en particulier.

[62]Je n'irais pas jusqu'à dire que l'arrêt SCFP, section locale 301, précité, permet nécessairement de penser que, dans l'affaire ACR (1999), précitée, la Cour aurait dû procéder au contrôle judiciaire de l'interprétation que la Commission du droit d'auteur avait fait de ses pouvoirs de réparation en appliquant une norme de contrôle fondée sur la réserve judiciaire. D'abord, à la différence de la Loi sur le droit d'auteur, la loi qui était examinée dans l'affaire SCFP, section locale 301, précitée, renfermait une clause limitative. Ce que je dis toutefois, c'est que l'arrêt SCFP, section locale 301, précité, montre bien que le débat autour de la question de la compétence ne permet pas à une cour de justice de déterminer la norme de contrôle applicable aux pouvoirs de réparation d'un organisme sans avoir d'abord procédé à une analyse pragmatique ou fonctionnelle.

[63]Je tiens seulement à signaler que, plus récemment, dans l'arrêt Chieu, précité, la Cour suprême du Canada a considéré comme une question de compétence l'interprétation des dispositions législatives conférées à la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour autoriser l'appel d'une mesure de renvoi prise contre un résident permanent dans un cas où «eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, il [. . .] ne devrait pas être renvoyé du Canada».

[64]Pour décider si la Commission avait commis une erreur de droit dans son interprétation de cette disposition en considérant qu'elle l'empêchait de tenir compte des difficultés auxquelles l'appelant serait susceptible d'être confronté à l'étranger s'il était expulsé du Canada, le juge Iacobucci a estimé qu'il s'agissait d'une question touchant à la compétence de la Commission et il a déclaré (au paragraphe 24): «En règle générale, les organismes administratifs doivent déterminer correctement la portée de leur mandat délégué puisqu'ils sont entièrement créés par la loi» (non souligné dans l'original).

[65]La Cour a ensuite examiné d'autres éléments de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle avant de conclure que la norme de contrôle appropriée était celle de la décision correcte. La nouveauté qu'apporte cet arrêt au droit est le fait que la Cour n'a pas considéré que le caractère «juridictionnel» de la question tranchée par la Commission n'était pas nécessairement déterminant en ce qui concerne la norme de contrôle applicable: elle a plutôt estimé que cet aspect ne constituait qu'un facteur qui militait en faveur de la norme de la décision correcte.

[66]Compte tenu du fait que le concept de la compétence a été relégué au second plan en tant que facteur analytique déterminant pour décider de la norme de contrôle applicable, il serait inopportun de considérer l'arrêt ACR (1999), précité, comme un précédent appuyant le principe que la norme de la décision correcte s'applique en règle générale à l'interprétation que la Commission donne des dispositions de la Loi, y compris celles qui sont en cause en l'espèce. L'autorité de l'arrêt ACR (1999), précité, comme précédent appuyant cette proposition est à mon avis ébranlée en raison du fait que la Cour s'est fondée sur le concept de la compétence sans procéder à une analyse pragmatique ou fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable à l'interprétation par la Commission de ses pouvoirs de réparation.

(iii) Conclusion

[67]En résumé, la solidité du raisonnement suivi tant dans la décision AVS, précitée, que dans l'arrêt ACR (1999), précité, est suffisamment problématique pour qu'en l'espèce, la Cour doive se livrer à une analyse pragmatique ou fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable aux questions tranchées par la Commission qui sont en litige dans la présente instance en contrôle judiciaire.

II L'analyse pragmatique ou fonctionnelle

[68]Avant d'examiner les divers éléments de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle judiciaire applicable, le tribunal saisi d'une demande de contrôle judiciaire ne devrait pas perdre de vue la question fondamentale à laquelle cette méthode d'analyse est censée répondre: le législateur voulait-il que la question en litige soit tranchée par un tribunal administratif ou par une cour de justice? La réponse à cette question dépend à son tour en dernière analyse de la réponse à la question de savoir qui, de la cour de justice ou du tribunal administratif, est le mieux placé pour trancher les questions en litige (Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756, aux pages 772 et 773).

[69]L'analyse de ces questions suppose l'examen des facteurs suivants: (i) la portée de la compétence spécialisée de la Commission; (ii) la nature des questions tranchées par la Commission, y compris les incidences de la compétence spécialisée de la Commission sur leur solution; (iii) les dispositions législatives relatives au contrôle judiciaire des décisions de la Commission.

(i) Compétence spécialisée du tribunal administratif

[70]La Commission du droit d'auteur est un tribunal administratif indépendant. Les commissaires sont nommés à titre inamovible par le gouverneur en conseil pour un mandat maximal de cinq ans, renouvelable une seule fois, sous réserve d'une révocation motivée (Loi sur le droit d'auteur, paragraphes 66(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 10, art. 12], (4) [mod., idem] et (5) [mod., idem]). Bien que les commissaires soient nommés à temps plein ou à temps partiel (paragraphe 66(2) [mod., idem]), la Commission devrait être considérée comme un organisme permanent et non, comme la plupart des tribunaux d'arbitrage, comme une structure temporaire créée pour les besoins de la cause.

[71]La Loi garantit également que la Commission possède la compétence juridique nécessaire en prévoyant que son président doit être un juge, en fonction ou à la retraite, d'une cour supérieure ou de district (paragraphe 66(3) [mod., idem]). Le poste de président était vacant au moment où l'affaire du Tarif 22 a été instruite. La Loi ne précise pas les qualités que doivent posséder les autres commissaires, dont le nombre maximal est de quatre, en tenant compte du vice-président (paragraphe 66(1)). La Commission peut, à titre temporaire, retenir les services d'experts pour assister les commissaires dans l'exercice de leurs fonctions (paragraphe 66.4(3) [édicté, idem]).

[72]La fonction spécialisée de la Commission consiste à se prononcer sur l'opportunité d'homologuer les projets de tarif de redevances soumis par des sociétés de gestion chargées d'octroyer des licences ou de percevoir des redevances pour l'exécution en public ou la communication au public par télécommunication des oeuvres musicales ou dramatico-musicales de leurs membres (articles 67 [mod., idem] et 68 [mod., idem]).

[73]Sur réception d'un projet de tarif, la Commission publie celui-ci dans la Gazette du Canada et donne un avis indiquant que tout utilisateur éventuel intéressé, ou son représentant, peut y faire opposition en déposant auprès d'elle une déclaration en ce sens dans les 60 jours suivant la publication (paragraphe 67.1(5) [mod., idem]). La Commission communique à la société de gestion en cause copie des oppositions et aux opposants les réponses éventuelles de celle-ci (paragraphe 68(1)). La Commission a, pour faciliter le déroulement de ses audiences, les attributions générales d'une cour supérieure d'archives (paragraphe 66.7(1) [édicté, idem]). La procédure suivie par la Commission est exposée plus en détail dans une directive qu'elle publie, bien qu'avec l'approbation du gouverneur en conseil, la Commission puisse donner à sa procédure un fondement législatif en prenant des règlements (paragraphe 66.6(1) [édicté, idem]).

[74]Dans l'ensemble, la procédure de la Commission possède beaucoup des caractéristiques d'une audience sur le fond. En l'espèce, la Commission a entendu le témoignage des parties, qui ont cependant formulé leurs observations par écrit. La procédure de la Commission fournit amplement l'occasion aux intéressés de participer efficacement au processus décisionnel.

[75]La Commission exerce un pouvoir discrétionnaire très large lorsqu'elle détermine qui devrait verser des redevances et de quelle façon celles-ci devraient être calculées. Ainsi, en plus de certains critères précis que la loi l'oblige à prendre en considération, la Commission «peut tenir compte de tout facteur qu'elle estime indiqué» (alinéa 68(2)b)). Elle se voit ainsi confier la tâche polycentrique de fixer les redevances de manière à trouver un équilibre raisonnable entre les intérêts divergents des divers intervenants du processus réglementaire.

[76]En résumé, l'argument que la Commission possède le genre de compétence spécialisée qui appelle une réserve judiciaire est renforcé par son indépendance, son caractère permanent, les compétences spécialisées -- juridiques ou autres--dont elle dispose, sa procédure participative et le vaste pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en matière de répartition du coût d'utilisation d'oeuvres protégées par le droit d'auteur.

(ii) Nature des questions tranchées par la Commission

[77]Les différents types de questions qu'un tribunal administratif est appelé à trancher dans l'exécution de son mandat législatif ne sont pas nécessairement assujettis à la même norme de contrôle. Ainsi, par exemple, comme l'interprétation qu'un tribunal administratif fait de sa loi habilitante est susceptible de faire jurisprudence, cette interprétation peut donner lieu à une réserve judiciaire moindre que s'il s'agissait d'une simple application de la loi aux faits de l'espèce qui n'est pas censée trancher une question de droit générale (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux paragraphes 36 et 37). En revanche, les conclusions de fait que tire un tribunal administratif et la façon dont il exerce son pouvoir discrétionnaire feront normalement l'objet d'un contrôle judiciaire uniquement pour vérifier si sa décision était rationnelle ou non (Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282 (C.A.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 66).

[78]Par ailleurs, la même norme de contrôle ne s'appliquera pas nécessairement aux conclusions tirées par un tribunal administratif au sujet de chacune des dispositions de sa loi habilitante. Ainsi que le juge Major l'a fait remarquer dans l'arrêt Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 27 (Mattel): «des normes de contrôle différentes s'appliquent à des questions de droit différentes, selon la nature de la question à trancher et l'expertise relative du tribunal administratif sur ces questions particulières». La Cour suprême a statué qu'alors que les conclusions tirées par le Tribunal canadien du commerce extérieur sur des questions de droit «très technique[s]» sont susceptibles d'être contrôlées en vue de déterminer si elles sont raisonnables (Mattel, précité, au paragraphe 32), d'autres questions «qui commandent l'application de principes d'interprétation législative et d'autres concepts inhérents au droit commercial» (Mattel, précité, au paragraphe 33) feront l'objet d'un contrôle judiciaire pour en vérifier le bien-fondé (norme de la décision correcte).

[79]La Cour suprême a toutefois aussi déclaré que la familiarité du tribunal administratif avec un concept juridique général appliqué dans un contexte législatif déterminé peut convaincre la cour saisie d'une demande de contrôle judiciaire de faire preuve de réserve à l'égard des décisions de ce tribunal (Ivanhoe Inc. c. TUAC, section locale 500, [2001] 2 R.C.S. 565, au paragraphe 26).

a)     Question de droit ou question mixte?

[80]Ainsi que je l'ai déjà signalé, dans l'arrêt Southam, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré que la décision interprétative rendue par un tribunal administratif qui ne constitue pas une décision d'espèce mais qui fera probablement jurisprudence constitue un facteur qui milite en faveur de l'application de la norme de la décision correcte. Ces questions sont considérées comme des questions de droit. En revanche, la décision qui suppose principalement l'application de la loi aux faits constatés par le tribunal administratif peut être qualifiée de question mixte de fait et de droit qui appelle en tant que telle une norme de contrôle judiciaire axée sur la réserve judiciaire (Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l'Énergie), [1998] 1 R.C.S. 322, au paragraphe 38). De plus, lorsqu'il est évident que le tribunal administratif a bien interprété la disposition législative en question, l'application de celle-ci aux faits de l'espèce peut elle-même ne constituer qu'une pure question de droit (Housen c. Nikolaisen (2002), 211 D.L.R. (4th) 577 (C.S.C.). Il semblerait donc dans ces conditions que, lorsque la cour de justice est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, elle ne peut réviser la façon dont le tribunal administratif a appliqué la loi aux faits qu'en vertu de l'alinéa 18.1(4)b) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale.

[81]Certes, la distinction entre l'interprétation d'une disposition législative et son application aux faits d'une affaire déterminée est une question de degré: les tribunaux saisis d'une demande de contrôle judiciaire doivent décider où se situe la question en litige qui leur est soumise sur une échelle allant de «pure» interprétation à «simple» application. Par exemple, dans le cas qui nous occupe, la Commission se prononçait sur une question d'interprétation lorsqu'elle a statué que les «moyens de télécommunication» visés à l'alinéa 2.4(1)b) ne se limitent pas aux installations matérielles, telles que les poteaux de téléphone, mais qu'ils peuvent également englober des services.

[82]Par contre, la Commission se prononçait sur une question qui s'apparentait davantage à une question d'application lorsqu'elle a conclu, d'après la preuve qui lui avait été soumise, que les intermédiaires Internet jouent un rôle passif essentiel dans les communications Internet, parce que les exploitants des serveurs hôtes et les fournisseurs d'accès Internet exercent un contrôle si restreint sur le contenu de ce qu'ils diffusent qu'ils ne fournissent en fait qu'un moyen de télécommunication et qu'ils ne communiquent rien par eux-mêmes. La présentation d'éléments de preuve différents portant notamment sur des progrès technologiques qui permettraient aux fournisseurs d'accès Internet de contrôler le contenu de l'information demandée par leurs abonnés pourrait donner lieu à une décision différente dans le cadre d'une instance portant sur la fixation de redevances pour une autre année.

[83]La Commission a énoncé un autre principe juridique général lorsque, se fondant sur une décision antérieure de notre Cour, elle a conclu qu'il n'y a pas de violation du droit d'auteur au Canada lorsque le lieu d'où provient la communication est situé à l'extérieur du Canada. L'application de l'Internet à ce principe, tiré d'une décision relative à la radiodiffusion, soulève par ailleurs une question d'ordre très général. La question de savoir si le fait qu'un serveur hôte soit situé à l'extérieur du Canada fait en sorte que l'information qui en provient et qui est communiquée à l'utilisateur final situé au Canada qui en a fait la demande est en règle générale communiquée à l'extérieur du Canada et n'est de ce fait pas assujettie aux redevances imposées par la Commission n'est pas une question dont la portée se limite aux faits de la présente espèce.

b)     Question de droit générale ou spécifique?

[84]Un second aspect de l'élément de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle portant sur la nature de la question qui a été tranchée par le tribunal administratif est celui de savoir si la question en litige fait partie de celles que les cours de justice connaissent bien parce qu'elle est susceptible de leur être soumise dans d'autres contextes juridiques. Dans l'affirmative, la question ne relève pas du domaine exclusif de compétence du tribunal administratif, ce qui affaiblit sa prétention qu'il est mieux placé que les cours de justice pour trancher cette question.

[85]Dans le cas qui nous occupe, les questions en litige ont été soulevées dans le contexte de l'examen par la Commission du projet de tarif soumis par la SOCAN pour le versement de redevances pour la communication sur l'Internet d'oeuvres musicales protégées par le droit d'auteur. L'établissement de redevances relève de la compétence exclusive de la Commission. Toutefois, la question de savoir si les activités principales des fournisseurs d'accès Internet ou des exploitants des serveurs hôte violent le droit d'auteur en raison de la communication de l'information aux utilisateurs finaux pourrait également se poser dans le cadre d'une instance en violation du droit d'auteur introduite en vertu de la Loi sur le droit d'auteur, soit devant la Cour fédérale, soit devant la cour supérieure d'une province.

[86]Ainsi, si la décision rendue par la Commission du droit d'auteur dans l'affaire du Tarif 22 était confirmée, un titulaire de droit d'auteur pourrait par la suite intenter des poursuites pour violation du droit d'auteur contre un fournisseur d'accès Internet en alléguant que le défendeur communique par télécommunication des données protégées par le droit d'auteur lorsqu'il assure la «connectivité» à l'Internet à ses abonnés. En pareil cas, la Cour serait appelée à décider si les activités du fournisseur d'accès Internet sont protégées par l'alinéa 2.4(1)b). De fait, toutes les questions en litige dans la présente demande pourraient être soulevées dans le cadre d'un procès pour violation du droit d'auteur.

[87]Il est donc inexact de considérer comme relevant de la compétence exclusive de la Commission l'interprétation des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur qui peuvent aussi être en cause dans un procès pour violation du droit d'auteur. Sur ces questions, la Commission et les tribunaux judiciaires occupent le même champ de compétence. Qui plus est, il n'y a aucune raison qui justifierait de conclure que le sens des dispositions performatives de la loi dépend de la question de savoir si la question en litige est soulevée dans le cadre d'une instance administrative portant sur la fixation d'une redevance ou dans celui d'une action en violation du droit d'auteur.

c)     Incidences de la décision de la Commission sur les droits des parties

[88]En l'espèce, le caractère juridique «général» des questions que la Commission a tranchées comporte des éléments communs avec les incidences de la décision de la Commission sur les droits légaux des parties. Par conséquent, il convient d'examiner ce dernier aspect de l'analyse pragmatique ou fonctionnelle sous la rubrique générale de la nature des questions tranchées par la Commission.

[89]En premier lieu, bien que le règlement des questions juridiques soulevées dans l'affaire du Tarif 22 présente incontestablement un intérêt commercial non négligeable pour les parties et pour les utilisateurs finaux de l'Internet, la nature des intérêts en jeu est surtout monétaire. On ne saurait prétendre que la décision que la Commission du droit d'auteur a rendue en l'espèce empiète sur des droits constitutionnels ou quasi constitutionnels et qu'elle donne par conséquent lieu à un contrôle judiciaire moins rigoureux que, par exemple, les décisions rendues par les organismes chargés d'appliquer la législation en matière de droits de la personne ou du statut de réfugié.

[90]En second lieu, les incidences des décisions de la Commission sur les droits que la loi reconnaît aux parties sont limitées. Par exemple, une décision de la Commission suivant laquelle un participant n'est pas tenu de verser de redevances parce que ses activités ne portent pas atteinte au droit d'auteur n'a pas d'effet déterminant sur les droits légaux de la SOCAN et de ses membres. Sous réserve de l'exercice du pouvoir discrétionnaire que possède une cour de justice d'appliquer la doctrine de l'irrecevabilité (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460), le titulaire du droit d'auteur peut intenter une action en violation du droit d'auteur, même si la Commission a décidé dans le cadre d'une instance portant sur un tarif de redevances que le défendeur ne s'est livré à aucune activité qui appartient en exclusivité au titulaire du droit d'auteur.

[91]La durée de vie limitée des tarifs homologués par la Commission contribue par ailleurs à limiter la portée des décisions de la Commission sur les droits des parties. Ainsi, le tarif 22 ne s'applique qu'aux années 1996 à 1998 inclusivement. Bien que la Commission puisse hésiter dans le cadre d'une instance relative à d'autres années à revenir sur les questions qui ont été tranchées au cours de la phase I de l'instance relative au Tarif 22, elle n'est pas nécessairement liée par ses décisions antérieures. D'ailleurs, elle serait tenue, de par son obligation d'agir avec équité, d'examiner tous les nouveaux éléments de preuve que les parties désireraient lui soumettre pour l'amener à tirer une conclusion différente au sujet de l'application de la loi aux faits ou, sous réserve du principe de l'autorité de la chose jugée, de présenter un nouveau moyen de droit sur une question de droit qui n'a pas encore été tranchée par les tribunaux.

[92]Il ne s'agit pas de banaliser les incidences négatives qu'une décision de la Commission pourrait avoir en l'espèce sur les membres de la SOCAN. Le régime de gestion collective du droit d'auteur par l'entremise du système de redevances régi par la Commission est sans doute un mécanisme d'application de la loi beaucoup plus alléchant pour la plupart des titulaires de droit d'auteur qu'un procès au civil intenté par un particulier pour des actes déterminés constituant une violation du droit d'auteur. Si la SOCAN n'était pas en mesure d'obliger les fournisseurs d'accès Internet ou les exploitants de serveurs hôte à verser des redevances pour la diffusion d'oeuvres qui violent le droit d'auteur, les intérêts financiers de ses membres pourraient en souffrir grandement.

[93]Ainsi, ni la nature des droits visés par la décision de la Commission, ni la gravité de ses incidences sur les droits en question ne permettent de penser que la Cour devrait procéder au contrôle judiciaire des décisions rendues par la Commission sur des points de droit en fonction de la norme de la décision correcte.

(iii) Ouverture au contrôle judiciaire

[94]Les décisions de la Commission du droit d'auteur ne sont protégées par aucun genre de clause limitative de recours et elles ne sont assujetties à aucun droit d'appel. La Commission relève plutôt du pouvoir de contrôle de notre Cour en vertu de l'alinéa 28(1)j) de la Loi sur la Cour fédérale et, aux termes du paragraphe 28(2), ses décisions peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire pour l'un ou l'autre des motifs énumérés au paragraphe 18.1(4). Le fait qu'il soit loisible à la Cour d'annuler la décision d'un tribunal administratif dans le cadre d'une instance en contrôle judiciaire pour cause d'erreur de droit ne signifie évidemment pas nécessairement que la Cour devrait décider si le tribunal administratif a commis une erreur de droit en appliquant la norme de la décision correcte aux décisions que le tribunal administratif a rendues sur des questions de droit.

[95]Compte tenu de l'émoussement des distinctions entre les droits d'appel sur des questions de droit et les demandes de contrôle judiciaire qui ne sont pas limitées par des clauses limitatives de recours, je ne puis considérer l'absence, dans la Loi sur le droit d'auteur, de disposition législative expresse régissant l'accès à la Cour comme autre chose qu'un faible indice de la volonté du législateur fédéral que la Cour fasse preuve de réserve lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission.

(iv) Conclusions

[96]Si la loi habilitante d'un organisme administratif ne comporte ni de droit d'appel ni de solide clause limitative de recours, il semble que la norme de la décision raisonnable constitue de plus en plus la norme que les cours de justice appliquent «par défaut» lorsqu'elles procèdent au contrôle judiciaire de l'interprétation et de l'application de sa loi habilitante par un organisme administratif indépendant spécialisé qui est doté d'une procédure participative. Compte tenu du fait que la Commission du droit d'auteur répond de façon générale à cette définition, qu'elle possède une compétence juridique spécialisée et qu'elle rend des décisions qui ont des incidences limitées sur les droits légaux de nature économique, la question qu'il nous reste à trancher est celle de savoir s'il existe des raisons d'appliquer une autre norme que celle du caractère déraisonnable aux conclusions que la Commission a tirées au sujet des questions faisant l'objet du présent contrôle judiciaire.

[97]La décision du législateur de confier tant à la Commission qu'aux cours de justice la charge d'interpréter les mêmes dispositions de la Loi sur le droit d'auteur, dans le contexte d'une instance différente, il est vrai, permet de réfuter l'argument que ces questions relèvent de la compétence spécialisée unique de la Commission, même lorsqu'elles sont soulevées dans le cadre d'une instance qui relève de la compétence exclusive de la Commission. En d'autres termes, si l'on compare la compétence spécialisée de la Commission et celle de la Cour, on ne peut prétendre que celle de la Commission est supérieure. Les cours de justice en général, et la Cour fédérale en particulier, rendent depuis longtemps des décisions en matière de droit d'auteur et les questions d'interprétation en litige en l'espèce relèvent de toute évidence de la compétence des tribunaux judiciaires.

[98]L'essence de la compétence spécialisée de la Commission se situe dans l'application des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur qui ont trait à l'établissement et au calcul des redevances. Bien qu'elles soient nécessaires pour lui permettre de remplir cette fonction, les décisions par lesquelles la Commission définit les activités qui constituent une violation du droit d'auteur ont des répercussions qui «s'écartent du domaine d'expertise fondamental du tribunal» (Pushpanathan, précité, au paragraphe 38).

[99]De plus, il pourrait s'avérer inefficace pour la Cour de ne pas se prononcer elle-même sur les questions d'interprétation en litige en l'espèce, parce que la Cour pourrait avoir à décider elle-même si ces questions ont par la suite été soulevées dans une instance en violation du droit d'auteur. Pourquoi la Cour devrait-elle éluder des questions lorsqu'elles sont formulées dans le cadre d'une instance en contrôle judiciaire et permettre qu'elles soient débattues dans le cadre d'une instance portant sur la violation du droit d'auteur? Pourquoi ne pas les trancher dès maintenant au lieu d'attendre à plus tard? Limiter l'intensité du contrôle judiciaire pour favoriser une prise de décision accélérée dans ce contexte ne semble pas être une raison suffisante d'adopter une norme de contrôle moins exigeante que celle de la décision correcte. Les instances en fixation de redevances ont tendance à être complexes et à nécessiter beaucoup de temps, et dans la plupart des cas, ceux qui participent à ces instances disposent de moyens financiers considérables.

[100]La norme de contrôle applicable dans le cas des questions susceptibles d'être tranchées dans le cadre d'une instance introduite devant un tribunal administratif ou une cour de justice a également été examinée en fonction du régime créé par la Loi sur les assurances de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. I.8, articles 279 [mod. par L.O. 1993, ch. 10, art. 1, 32; 1996, ch. 31, art. 34], 280 [mod. par L.O. 1993, ch. 10, art. 1; 1996, ch. 21, art. 35], 281 [mod. par L.O. 1993, ch. 10, art. 1; 1996, ch. 21, art. 37], 282 [mod. par L.O. 1993, ch. 10, art. 1, 33; 1996, ch. 21, art. 38], 283 [mod. par L.O. 1993, ch. 10, art. 34, 1996, ch. 21, art. 39], pour l'administration des prestations d'assurance accordées par la loi aux personnes ayant subi des lésions corporelles lors d'un accident d'automobile. Après avoir recouru à la médiation obligatoire, les parties peuvent choisir de s'adresser au tribunal ou à un arbitre ou elles peuvent soumettre une question de droit au tribunal.

[101]La question qui nous intéresse en l'espèce relativement à ce régime est la norme de contrôle qui s'applique dans le cas de l'appel de la décision d'un arbitre, en tenant compte du fait que, si les parties avaient choisi de s'adresser directement au tribunal, ou si une question avait été soumise au tribunal, la norme applicable aurait été celle de la décision correcte. Bien que certaines décisions aillent dans le sens contraire (voir, en particulier, le jugement Federation Insurance Co. of Canada v. Vineski (1997), 48 C.C.L.I. (2d) 102 (C. div. Ont.)), la jurisprudence prépondérante favorise la norme de la décision correcte comme norme de contrôle judiciaire des décisions rendues sur un point de droit par un arbitre en vertu de la Loi sur les assurances.

[102]Ainsi, dans le jugement Kirkham v. State Farm Mutual Automobile Insurance Co., [1998] O.J. no 6459 (C. div.) (QL), 31 mars 1998, non publié; autorisation d'appel refusée à [1998] O.J. no 2872 (C.A.) (QL), le juge O'Leary a déclaré, dans son jugement, au paragraphe 5:

[traduction] Bien que le délégué du directeur en soit venu à la bonne décision en ce qui concerne le délai de prescription créé par le paragraphe 281(5) nous tenons à signaler que, s'il n'avait pris la bonne décision, celle-ci n'aurait pas été protégée par le principe de la retenue judiciaire. Le législateur a offert à l'assuré le choix de présenter sa demande d'indemnité au tribunal ou à l'arbitre en vertu de la Loi sur les assurances. Le législateur ne pouvait avoir l'intention de permettre au délai de prescription prévu au paragraphe 281(5) de changer selon le lieu où la demande d'indemnisation est présentée. Lorsqu'il interprète la disposition créant le délai de prescription, le tribunal est limité à la norme de la décision correcte. Pour des raisons d'uniformité et d'équité, la Commission des assurances de l'Ontario doit être assujettie à la même norme. [Non souligné dans l'original.]

[103]Ce raisonnement a été suivi dans l'affaire H'ng v. Allstate Insurance Co. of Canada (2000), 23 C.C.L.I. (3d) 252 (C. div. Ont.). De plus, dans l'affaire Luu c. Zurich Insurance Co. (1997), 32 O.R. (3d) 807 (C. div.), le juge Saunders, sans exprimer d'opinion définitive sur le sujet, a déclaré (aux pages 809 et 810) que, pour des raisons d'uniformité, il y a lieu de retenir la norme de la décision correcte. Il est vrai que la Cour d'appel a infirmé ce jugement et qu'elle a confirmé la sentence de l'arbitre, mais elle a ajouté qu'elle le faisait [traduction] «indépendamment du fait que la norme de contrôle soit celle de la décision manifestement déraisonnable ou celle de la décision correcte» (1999), 43 O.R. (3d) 484 (C.A.), le juge Finlayson, au paragraphe 1.

[104]À mon avis, le fait que l'interprétation que la Commission du droit d'auteur a donnée des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur en litige ne relève pas de son domaine de compétence exclusif mais qu'elle puisse se faire dans une instance judiciaire autre qu'une instance en contrôle judiciaire fait décidément pencher la balance en faveur de la norme de contrôle judiciaire axée sur le bien-fondé de la décision (ou norme de la décision correcte) et ce, parce qu'on ne saurait prétendre que la compétence spécialisée de la Commission sur ces questions est plus grande que celle de la Cour et parce que, dans le contexte de l'application de la présente loi, il est peu probable que la réserve judiciaire favorise l'uniformité de même que l'efficacité et l'économie des ressources judiciaires.

[105]En conséquence, à mon humble avis, la Cour a eu tort, dans l'arrêt AVS, précité, de prescrire la norme de la décision manifestement déraisonnable comme norme de contrôle à appliquer dans le cas de l'interprétation par la Commission des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur qui ne relèvent pas du domaine de compétence exclusif de la Commission. Dans l'ensemble, il ressort de l'économie de la Loi sur le droit d'auteur que, saisie d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour devrait appliquer la norme de la décision correcte à l'interprétation par la Commission des dispositions de la Loi sur le droit d'auteur qui pourraient également donner ouverture à une action en violation du droit d'auteur devant les tribunaux judiciaires.

[106]La présente demande de contrôle judiciaire peut donc être accueillie au motif qu'une erreur de droit a été commise si la SOCAN démontre que la Commission a eu tort de conclure qu'aux termes de l'alinéa 2.4(1)b), les principales activités des intermédiaires Internet ne constituent pas une communication de données transmises. Il en va de même pour la conclusion de la Commission suivant laquelle la portée territoriale de la Loi sur le droit d'auteur ne s'étend pas aux communications par télécommunication qui sont transmises à partir de serveurs hôte situés à l'extérieur du Canada.

[107]En revanche, il est préférable de laisser à la Commission le soin de se prononcer sur les questions relatives à l'application de la loi aux faits et de les assujettir à une norme de contrôle judiciaire qui appelle une plus grande retenue. Il faut décider si la Loi s'applique à un cas déterminé, comme la Commission l'a fait, en fonction des éléments de preuve relatifs à ces questions pour savoir s'il est possible pour les exploitants de serveurs hôte de contrôler et d'intercepter l'information demandée par les utilisateurs finaux ou envoyée à ces derniers. L'absence de clause limitative de recours, de même que l'aspect juridique de la décision à rendre me convainquent que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer en l'espèce à la décision de la Commission est celle de la décision simplement déraisonnable, plutôt que celle de la décision manifestement déraisonnable, dans la mesure où cette décision porte essentiellement sur l'application de la loi plutôt que sur son interprétation.

Question 2:     La Commission a-t-elle commis une erreur de droit dans son interprétation de l'alinéa 2.4(1)b) de la Loi sur le droit d'auteur?

[108]Indépendamment du moyen employé, les communications au public par télécommunication sont régies au Canada par des dispositions relativement laconiques et en apparence simples de la Loi sur le droit d'auteur. Par contraste, aux États-Unis, des dispositions législatives détaillées ont été édictées pour traiter expressément des obligations des intermédiaires Internet (voir la Digital Millennium Copyright Act, 17 U.S.C. §512 (1998)).

[109]L'alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d'auteur ne définit pas les mots «communiquer [. . .] par télécom-munication». On trouve cependant une définition négative à l'alinéa 2.4(1)b) de l'article de la Loi consacré aux définitions. Cet alinéa a pour effet de soustraire à l'application de l'alinéa 3(1)f) les activités des intermédiaires qui auraient autrement pu constituer des communications par télécommunication.

[110]En conséquence, la réponse à la question de savoir si les activités habituelles des fournisseurs d'accès Internet et des exploitants de serveurs hôtes constituent des communications par télécommunication dépend de l'interprétation de l'alinéa 2.4(1)b) que, par souci de commodité, je reproduis à nouveau:

2.4 (1) Les règles qui suivent s'appliquent dans les cas de communication au public par télécommunication:

[. . .]

b) n'effectue pas une communication au public la personne qui ne fait que fournir à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour que celui-ci l'effectue; [Non souligné dans l'original.]

[111]Il faut donc trois conditions pour que l'activité d'un intermédiaire tombe sous le coup de l'alinéa 2.4(1)b) et ne rende pas cet intermédiaire responsable de la violation du droit d'auteur pour avoir communiqué une oeuvre au public par télécommunication. En premier lieu, les activités de l'intermédiaire doivent équivaloir à la fourniture des «moyens de télécommunication»; deuxièmement, ces moyens doivent être «nécessaires» pour permettre à un tiers de communiquer une oeuvre au public et troisièmement, les activités en question doivent constituer la seule chose que l'intermédiaire fait relativement à la communication («ne fait que»). Je vais examiner à tour de rôle chacun des éléments de cette définition.

(i) «Moyens de télécommunication»

[112]La SOCAN affirme que la Commission du droit d'auteur a commis une erreur de droit en statuant que les activités principales des exploitants de serveurs hôtes et des fournisseurs d'accès Internet ne constituent pas une communication d'oeuvres par télécommunication à des utilisateurs finaux au sens de l'alinéa 3(1)f) de la Loi. Plus particulièrement, la SOCAN explique que ces intermédiaires Internet ne peuvent invoquer l'alinéa 2.4(1)b) en défense, parce que l'expression «les moyens de télécommunication» ne sauraient englober le genre de services et d'équipement actif qu'ils fournissent.

[113]La principale difficulté que soulève la thèse de la SOCAN est le fait qu'elle oblige la Cour à interpoler dans le libellé de l'alinéa 2.4(1)b) de la Loi sur le droit d'auteur des mots qui ne s'y trouvent pas, à savoir «installations» et «matérielles», alors que le législateur a employé un terme plus large et général, en l'occurrence «moyens». Ni le libellé de cet alinéa ni sa raison d'être sous-jacente ne permettent de savoir avec certitude pourquoi ceux qui fournissent l'équipement et les services nécessaires pour permettre à d'autres personnes d'accéder à de la musique sur Internet ne fournissent pas ainsi les moyens de télécommunication nécessaires pour permettre au fournisseur de contenu de communiquer la musique en question aux utilisateurs finaux.

[114]Quoi qu'il en soit, la SOCAN fait valoir deux moyens à l'appui de sa thèse que, s'il est interprété correctement, l'alinéa 2.4(1)b) ne peut inclure des installations et de services comme ceux que fournissent les intermédiaires Internet.

[115]En premier lieu, elle reproche à la Commission de s'être attaquée directement à l'interprétation de l'alinéa 2.4(1)b) sans avoir d'abord déterminé si, sans cet alinéa, les activités habituelles des exploitants de serveurs hôtes et des fournisseurs d'accès Internet constituent une communication d'oeuvres musicales au public par télécommunication au sens de l'alinéa 3(1)f). L'avocat de la SOCAN soutient que la Commission devait d'abord franchir cette étape préliminaire parce que, si elle concluait que les intermédiaires Internet en question communiquaient de l'information en contravention de l'alinéa 3(1)f), elle était tenue d'interpréter étroitement l'alinéa 2.4(1)b), étant donné que cette disposition dispense du versement de redevances les personnes dont les activités constitueraient autrement une violation du droit d'auteur.

[116]Je ne suis pas de cet avis. L'alinéa 2.4(1)b) fait à mon avis tout simplement partie de la définition de l'expression «communiquer par télécommunication» et il vise à clarifier l'incertitude qui pourrait autrement exister au sujet de la portée du mot «communiquer». Même si cet alinéa n'existait pas, on aurait pu soutenir que le mot «communiquer» exclut implicitement le fait de simplement fournir à quelqu'un les moyens de communiquer. Le fait que l'alinéa 2.4(1)b) devrait être considéré comme un article de définition plutôt que comme une disposition d'exemption ressort également du fait qu'il se retrouve dans l'article des définitions de la Loi sur le droit d'auteur. L'alinéa 2.4(1)b) ne devrait donc pas recevoir une interprétation étroite et il ne devrait pas être considéré comme accordant une exonération de responsabilité pour violation du droit d'auteur.

[117]En tout état de cause, même si l'alinéa 2.4(1)b) pouvait à juste titre être considéré comme une disposition d'exonération de la responsabilité imposée par l'alinéa 3(1)f), on ne serait quand même pas justifié de remplacer le mot «installations», qui a un sens plus étroit, par le terme plus large «moyens» ou d'interpoler dans l'alinéa 2.4(1)b) l'adjectif «matériels» qui modifierait le substantif «moyens».

[118]L'avocat de la SOCAN affirme que, comme l'objet essentiel de la législation sur le droit d'auteur est d'offrir aux auteurs et aux artistes une protection juridique qui n'existe pas en common law, toute restriction apportée à ce droit devrait être interprétée de façon restrictive. J'estime toutefois que l'existence de cet objet ne justifie pas d'interpréter des dispositions législatives d'une manière qui soit incompatible avec leur libellé. Ainsi que le juge McLachlin (qui n'était pas encore juge en chef) l'a fait remarquer, à la page 480, de l'arrêt Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, qui portait aussi sur le sens d'une disposition de la Loi sur le droit d'auteur: «[l]'interprétation des lois doit toujours commencer par le sens ordinaire des mots employés».

[119]En tout état de cause, bien qu'elle ait été à l'origine adoptée pour accorder une protection légale aux droits en matière de propriété intellectuelle que la common law ne reconnaissait pas, la Loi sur le droit d'auteur ne vise pas exclusivement à défendre les intérêts des auteurs, compositeurs, artistes et autres créateurs. Comme le juge Binnie l'a expliqué dans l'arrêt Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain inc. (2002), 210 D.L.R. (4th) 385 (C.S.C.), au paragraphe 30:

La Loi [sur le droit d'auteur] est généralement présentée comme établissant un équilibre entre, d'une part, la promotion, dans l'intérêt du public, de la création et de la diffusion des oeuvres artistiques et intellectuelles et, d'autre part, l'obtention d'une juste récompense pour le créateur (ou, plus précisément, l'assurance que personne d'autre que le créateur ne pourra s'approprier les bénéfices qui pourraient être générés).

Ses dispositions devraient donc être examinées dans le but d'essayer de trouver un juste équilibre entre ces intérêts divergents.

[120]En deuxième lieu, l'avocat de la SOCAN soutient que l'alinéa 2.4(1)b) devrait être interprété en tenant compte du fait qu'il vise à exonérer les entreprises de télécommunications traditionnelles de toute responsabilité en ce qui concerne le contenu des communications qu'ils transmettent. Il est très peu probable que les intermédiaires Internet fournissent des services et des installations matérielles purement passives comme celles que fournissent les entreprises de télécommunications traditionnelles, tels que des poteaux, des câbles et des fils. En revanche, l'avocat de la SOCAN est prêt à admettre que les routeurs, qui constituent la «dorsale» ou l'infrastructure de base de l'Internet, sont analogues aux moyens matériels de télécommunication que l'alinéa 2.4(1)b) est censé viser. L'avocat de la SOCAN soutient en outre que les activités des exploitants de serveurs hôtes et des fournisseurs d'accès Internet consistent à vendre leurs services à des abonnés. Le fait de connaître le contenu de l'information diffusée sur Internet, et notamment des oeuvres musicales «gratuites» et d'être au courant de l'intérêt des utilisateurs finaux à y accéder constituent des éléments qui sont susceptibles d'inciter fortement les utilisateurs finaux à s'abonner auprès des fournisseurs d'accès et d'encourager les fournisseurs de contenus à s'abonner auprès des exploitants de serveurs hôtes.

[121]Il peut fort bien exister des différences entre l'équipement et les services offerts par les fournisseurs de service Internet et les installations matérielles de télécommunications qu'on associe généralement aux entreprises de télécommunications traditionnelles. Toutefois, la question qui se pose est celle de savoir si ces différences sont pertinentes sur le plan juridique dans ce contexte.

[122]Certes, la SOCAN a raison d'affirmer que le législateur a inséré l'alinéa 2.4(1)b) dans la Loi en pensant aux entreprises de télécommunications traditionnelles. Cette situation s'explique toutefois par le fait que, lorsque cet alinéa a été inséré dans la Loi en 1997, on ne saisissait pas encore pleinement le potentiel de l'Internet en tant que moyen de diffusion d'oeuvres musicales et d'autres oeuvres protégées par le droit d'auteur. Lorsque son libellé et son objet fondamental le permettent, un texte de loi devrait être interprété de manière à tenir compte des progrès technologiques.

[123]Pour leur part, les fournisseurs de services Internet soutiennent que les services et l'équipement qu'ils fournissent pour permettre à des personnes de rendre du contenu disponible sur l'Internet et d'y accéder sont analogues aux installations matérielles traditionnelles nécessaires aux autres formes de télécommunication. Ils affirment en particulier que le rôle des intermédiaires Internet est passif, parce qu'ils n'ont pas la capacité pratique nécessaire pour exercer un contrôle sur le contenu de l'information qui est diffusée. En conséquence, leurs activités devraient être considérées comme constituant uniquement des moyens de télécommunication.

[124]À mon avis, c'est à bon droit que la Commission a conclu que le terme «moyens» est susceptible de désigner une gamme de services et d'équipements plus vaste que ceux que fournissent les entreprises de télécommunications traditionnelles. En conséquence, on ne doit pas donner à ce terme l'interprétation étroite que préconise la SOCAN. Un indice révélateur qui permet de conclure qu'une personne fournit les moyens de télécommunication nécessaires pour permettre à d'autres personnes de communiquer par télécommunication est le fait que l'intéressé ne dispose pas des moyens techniques pour exercer un contrôle sur le contenu qui est diffusé et qu'il ne joue donc qu'un rôle passif dans la communication.

[125]Ayant jugé à bon droit que l'alinéa 2.4(1)b) l'obligeait à tenir compte de la question de la passivité, la Commission devait ensuite décider, à la lumière des éléments de preuve portés à sa connaissance, si l'équipement et les services habituellement fournis par les exploitants des serveurs hôtes et les fournisseurs d'accès Internet jouent un rôle suffisamment passif dans la transmission des données pour que leur seule fonction consiste à fournir les moyens nécessaires pour permettre à d'autres personnes de communiquer par télécommunication. Comme la décision que la Commission a rendue sur cette question est une décision d'espèce qui ne vaut que pour les parties en présence, elle s'apparente à une question d'application de la loi et est par conséquent susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire uniquement en fonction de la norme du caractère raisonnable.

(ii) «Nécessaires»

[126]À l'instar du législateur fédéral, la Commission n'a pas précisé les cas dans lesquels une activité constitue un moyen nécessaire pour permettre à une personne de communiquer une oeuvre. Cependant, dans les motifs de sa décision (précitée, à la page 452), la Commission a déclaré:

[. . .] un intermédiaire Internet n'est pas empêché d'invoquer l'alinéa 2.4(1)b) simplement parce qu'il assure des services qui sont accessoires à la fourniture des moyens de communication ou parce qu'il prend certains moyens ou suit certaines méthodes (comme la mise en antémémoire) pour améliorer la performance.

[127]La question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si la Commission a mal interprété le mot «nécessaires» lorsqu'elle a statué qu'il englobait les activités qui ne visent qu'à améliorer la qualité de la communication sur l'Internet. Il ressort d'une consultation rapide de quelques dictionnaires que le mot «nécessaire» comporte divers sens.

[128]Ainsi, The New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles (Oxford: Clarendon Press, 1993) atteste un sens relativement étroit en ce qui concerne le mot «nécessaire»; parmi les synonymes qu'il recense, mentionnons «indispensable» («indispensable»), «requisite» («requis») et «essential» («essentiel»). Toutefois, le Black's Law Dictionary, 6e éd. (St. Paul, Minn.: West Publishing, 1990) précise que le mot «necessary» («nécessaire») [traduction] «doit être examiné en fonction du contexte dans lequel il est employé, étant donné qu'il s'agit d'un terme qui est susceptible de comporter diverses acceptions», allant de [traduction] «nécessité physique absolue» à [traduction] «raisonnablement utile» et [traduction] «d'une utilité ou d'une commodité plus ou moins grande». Étant donné que le dictionnaire Black's s'emploie à donner le sens des mots en contexte juridique, on pourrait penser qu'il est revêtu d'une grande autorité en la matière. Cependant, l'entrée relative au mot «necessary» («nécessaire») a disparu de la septième édition publiée en 1999.

[129]Le terme équivalent dans la version française de l'alinéa 2.4(1)b) est «nécessaires». Parmi les synonymes de «nécessaire» que donne Le Nouveau Petit Robert: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (Paris: Dictionnaires Le Robert, 1996), il y a lieu de mentionner «indispensable» et «essentiel», qui ont le même sens que les synonymes du terme anglais «necessary» dans le Shorter Oxford. Toutefois, Le Petit Robert signale aussi le mot «utile», ce qui permet de penser que l'adjectif «nécessaire» peut être employé dans un sens moins rigoureux, ce qui correspond aux synonymes recensés par le Black's pour le mot «necessary» qui, selon le contexte juridique précis dans lequel il apparaît, peut correspondre à «useful» («utile») ou à «of benefit» («d'une utilité (plus ou moins grande)»).

[130]Compte tenu du fait qu'il ressort de la sixième édition du Black's Law Dictionary et du Petit Robert que les mots «necessary »et «nécessaires» peuvent être utilisés pour exprimer un sens moins fort que les adjectifs «essentiel» ou «indispensable», il faut se reporter au texte de la loi pour y déceler des indices au sujet de la connotation précise que le législateur fédéral donne à ces mots à l'alinéa 2.4(1)b).

[131]Suivant un des arguments invoqués en faveur de l'adoption d'une interprétation plus libérale, compte tenu du développement rapide et récent des communications par Internet, la Loi ne devrait pas être interprétée de manière à faire obstacle à l'amélioration de la qualité des communications sur l'Internet ou à la réduction du prix auquel des données peuvent être mises à la disposition des internautes, réductions qui sont rendues possibles grâce aux progrès technologiques fondamentaux et accélérés qui sont réalisés. En revanche, il y a peut-être lieu de s'en tenir à une interprétation relativement stricte du mot «nécessaires» compte tenu du fait que l'alinéa 2.4(1)b) réduit la gamme de sources potentielles desquelles les auteurs et les compositeurs peuvent obtenir des redevances pour la communication non autorisée de leurs oeuvres en supprimant les entités qui bénéficient sur le plan commercial de la diffusion sur l'Internet d'oeuvres musicales protégées par le droit d'auteur, à toutes fins utiles sans frais pour l'utilisateur final.

[132]Compte tenu de toutes ces considérations, j'en suis arrivé à la conclusion que les mots «necessary» et «nécessaire» sont normalement interprétés dans le langage courant dans un sens relativement strict, mais que, dans certains contextes, ils peuvent avoir un sens plus large. À mon avis, compte tenu des considérations de principe concurrentes déjà exposées et du contexte dans lequel se situe l'alinéa 2.4(1)b), il n'y a pas lieu d'accorder au terme «nécessaires» un sens qui contredirait son acception la plus courante. En conséquence, une personne ne fait que fournir à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour lui permettre de communiquer lorsque, sans son intervention, la communication par ce moyen de télécommunication ne serait pas réalisable ou, selon toute vraisemblance, n'aurait pas eu lieu.

[133]La question de savoir si des moyens de télécommunication sont «nécessaires» au sens de l'alinéa 2.4(1)b) doit être tranchée au moment où se produit la transmission des données provenant du serveur, et non lorsque le fournisseur de contenu choisit le moyen de communication. Lorsque le fournisseur de contenu a diffusé des oeuvres musicales sur un serveur hôte, l'exploitant du serveur hôte fournit alors les moyens nécessaires pour permettre au fournisseur de contenu de communiquer par télécommunication avec des utilisateurs finaux, parce que, sans l'espace disque fourni par l'exploitant du serveur hôte, il ne pourrait répondre à la demande de l'utilisateur final. Il est sans importance que le fournisseur de contenu aurait pu choisir d'autres moyens, peut-être moins commodes, tels que la radio ou la télévision, pour diffuser une oeuvre musicale, ou qu'il aurait pu rendre l'oeuvre musicale disponible sur le disque dur de son propre ordinateur lui donnant accès Internet. En conséquence, je ne suis pas persuadé que la Commission a commis une erreur de droit sur cette question.

[134]La Commission a cependant commis selon moi une erreur de droit en jugeant (précitée, à la page 452) qu'un intermédiaire Internet qui met des données en antémémoire fournit ainsi les moyens nécessaires pour permettre à un tiers de les communiquer. Pour justifier cette conclusion, la Commission a déclaré que l'antémémoire sert à améliorer le rendement de l'Internet et que son exploitation par un intermédiaire constitue une activité accessoire à la communication de contenus par le fournisseur.

[135]J'estime toutefois que le fait que l'antémémoire accélère la vitesse de transmission et qu'elle permet de réduire les coûts que doit supporter le fournisseur d'accès Internet ne rend pas obligatoire le recours à une antémémoire pour qu'il y ait communication. Aussi avantageux qu'elles puissent être, les caractéristiques de l'antémémoire ne justifient pas de donner au mot «nécessaires» un sens plus large que celui qu'il comporte normalement, surtout lorsqu'une telle extension de sens aurait pour effet d'affaiblir encore plus le droit des titulaires du droit d'auteur de toucher une rémunération pour l'utilisation de leurs oeuvres par autrui. La Commission a mieux cerné le sens véritable du mot «nécessaires» lorsqu'elle a dit (précitée, à la page 452) que l'alinéa 2.4(1)b) englobe non seulement les routeurs, mais également toutes les installations et tous les services «sans lesquels la communication [sur l'Internet] n'aurait pas lieu».

[136]De plus, même si la Commission ne s'était pas clairement méprise sur le sens du mot «nécessaires» que l'on trouve à l'alinéa 2.4(1)b), conclure que l'utilisation d'une antémémoire est nécessaire aurait constitué une application déraisonnable de la loi aux faits et, partant, une erreur de droit. La preuve ne permettait pas de conclure que, sans antémémoire, la transmission d'oeuvres musicales à partir de certains sites Web aurait été tellement lente que les utilisateurs finaux n'auraient probablement pas demandé que des oeuvres musicales leur soient communiquées, ou tellement dispendieuse que les coûts assumés par les fournisseurs d'accès Internet pour transmettre les oeuvres musicales qu'ils fournissent auraient été trop onéreux. Il ressort au contraire de la preuve qu'on ne recourt qu'à l'occasion aux antémémoires pour transmettre des oeuvres musicales.

[137]Finalement, l'utilisation d'une antémémoire ne pourrait constituer une nécessité pratique pour permettre à des tiers de communiquer parce que, même après que des fichiers fréquemment demandés ont été mis en antémémoire, l'utilisateur final peut toujours régler le navigateur de son ordinateur de manière à s'assurer que les fichiers réclamés d'un site Web sont transmis directement à partir du serveur hôte d'origine et non à partir de l'antémémoire. Les utilisateurs finaux peuvent utiliser ce moyen pour s'assurer de recevoir la version la plus récente. Lorsque de nouveaux renseignements sont ajoutés sur une page Web, l'antémémoire n'est pas nécessairement mise elle aussi à jour.

[138]Si l'utilisation d'une antémémoire n'est pas protégée par l'alinéa 2.4(1)b), il reste à savoir si celui qui l'exploite communique par télécommunication à des utilisateurs finaux les données qui leur sont transmises à partir de l'antémémoire, violant ainsi le droit exclusif de l'auteur ou du compositeur de communiquer une oeuvre musicale au public. À mon avis, il faut répondre par l'affirmative à cette question, parce que celui qui exploite l'antémémoire choisit les données qui seront mises en antémémoire et programme l'ordinateur pour qu'il les transmette à partir de l'antémémoire lorsque ces données sont demandées. Celui qui exploite l'antémémoire ne se contente donc pas de transmettre passivement des données.

[139]La mise en antémémoire est indubitablement un ajout relativement mineur aux activités de base des fournisseurs de service Internet, qui, comme la Commission l'a jugé à bon droit, ne constituent pas une violation du droit d'auteur. Par conséquent, il serait loisible à la Commission de tenir compte de ce facteur lors de la phase II de l'instruction de l'affaire du Tarif 22 lorsqu'elle fixera le montant des redevances à verser relativement à des activités déterminées qui constituent une violation du droit d'auteur. Ainsi, si un fournisseur d'accès Internet ne met en mémoire qu'un pour cent des données auxquelles ses clients ont accès, il pourrait être tenu de verser des redevances qui tiennent compte du fait que seulement une infime fraction de l'ensemble de ses activités de communication sur Internet constitue une violation du droit d'auteur.

(iii) «ne fait que»

[140]La troisième condition à remplir pour qu'un intermédiaire puisse tomber sous le coup de l'alinéa 2.4(1)b) est que l'intéressé ne fait que fournir à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour qu'une communication ait lieu. Ainsi, si un fournisseur d'accès Internet agit de concert avec des fournisseurs de contenu ou exploite une antémémoire, les activités qu'il exerce relativement à ces communications seraient soustraites à la protection accordée par l'alinéa 2.4(1)b).

[141]La Commission a jugé qu'un intermédiaire Internet ne fait que fournir des moyens de télécommunication lorsque ces moyens sont accessoires à la fourniture par cet intermédiaire des moyens de télécommunication nécessaires à la transmission de données d'autrui, à condition que ces activités supplémentaires ne constituent pas elles-mêmes une communication. Ainsi, les exploitants de serveurs hôtes ne sont pas privés de la protection de l'alinéa 2.4(1)b) lorsqu'ils fournissent leurs installations et services habituels, tels que l'hébergement et la maintenance des serveurs, et lorsqu'ils vérifient le nombre de «visites» d'un site Web déterminé, parce que ces activités sont simplement accessoires à la fourniture d'espace disque et qu'elles ne constituent pas une communication, indépendamment de la définition étroite que cet alinéa donne au mot «communication». J'abonde dans le sens de la Commission sur ce point.

[142]En revanche, l'exploitation d'une antémémoire ne tombe pas sous le coup de l'alinéa 2.4(1)b), parce que, comme nous l'avons vu, il n'est pas nécessaire de recourir à une antémémoire pour permettre à un tiers de communiquer. Qui plus est, lorsqu'elle est exploitée par un fournisseur d'accès Internet, une antémémoire est également susceptible de soustraire celui qui l'exploite à la protection de cet alinéa parce qu'exploiter une antémémoire, c'est communiquer, et que les activités exercées par le fournisseur d'accès Internet relativement à cette communication déterminée ne se rapportent plus uniquement qu'à la fourniture des moyens de télécommunication nécessaires pour permettre à autrui de communiquer.

Question 3:     La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant, d'après les éléments de preuve portés à sa connaissance, que, pour l'application de l'alinéa 2.4(1)b), les services et l'équipement habituellement fournis par les exploitants de serveurs hôtes et les fournisseurs d'accès Internet ne constituaient que les moyens de télécommunication nécessaires pour permettre à un tiers de communiquer?

[143]La SOCAN affirme qu'il ressort des éléments de preuve dont disposait la Commission que l'équipement et les services fournis par les exploitants de serveurs hôtes et les fournisseurs d'accès Internet leur permettent d'exercer un certain contrôle sur le contenu de l'information transmise. La Commission aurait donc commis une erreur lorsqu'elle a jugé que l'équipement et les services habituellement fournis par les intermédiaires Internet étaient essentiellement les fils utilisés par les compagnies de téléphone pour permettre aux communications téléphoniques d'avoir lieu.

[144]À mon avis, les éléments de preuve soumis à la Commission justifiaient amplement sa conclusion que les exploitants de serveurs hôtes et les fournisseurs d'accès Internet ne contrôlent pas effectivement le contenu de ce qu'ils transmettent, que leur rôle est passif et que, par conséquent, leurs activités consistent habituellement uniquement à assurer les moyens de télécommunication au sens de l'alinéa 2.4(1)b), si tant est que celui-ci est interprété comme il se doit.

[145]Par exemple, suivant certains éléments de preuve non contredits, compte tenu de l'état actuel de la technologie, il n'est pas faisable sur le plan économique d'empêcher la transmission de données sur serveur chaque fois que ces données sont demandées. Les serveurs sont programmés pour transmettre sur demande l'information demandée. Il est vrai que, dans leurs contrats, les exploitants de serveurs hôtes et les fournisseurs de contenu peuvent stipuler que certains types de données, tels que celles qui sont protégées par le droit d'auteur, ne peuvent être diffusées sur le serveur et que les fichiers répréhensibles peuvent être retirés lorsqu'ils sont portés à l'attention de l'exploitant du serveur. Cependant, ce genre de contrôle contractuel ultérieur n'est pas suffisant pour qu'on puisse prétendre que la conclusion de la Commission était dépourvue de fondement rationnel.

[146]Il ressort par ailleurs de la preuve que, les fournisseurs d'accès Internet ne peuvent, en pratique-- même si, en théorie, ils pourraient y parvenir--, «lire» et, en fait, bloquer les demandes présentées par des utilisateurs finaux en vue d'obtenir des données protégées par le droit d'auteur, et qu'il ne leur est pas loisible de filtrer les données en question et d'empêcher qu'elles soient transmises par l'intermédiaire de leurs routeurs à l'utilisateur final, sans ralentir de façon inacceptable la transmission des données. Bien que les fournisseurs d'accès Internet soient en mesure de bloquer l'accès à certaines adresses, cette façon d'éliminer les oeuvres musicales protégées par le droit d'auteur est dispendieuse et inefficace en raison de la facilité avec laquelle on peut changer l'adresse des serveurs qui stockent ces oeuvres musicales. De plus, ce n'est même pas le routeur du fournisseur d'accès Internet qui reconstitue les paquets d'informations en lesquels une oeuvre musicale déterminé est découpée en vue d'être par la suite diffusée sur l'Internet. Cette opération est effectuée par l'ordinateur de l'utilisateur final.

[147]Ainsi, d'après les faits constatés, il était loin d'être déraisonnable--et à plus forte raison, loin d'être manifestement déraisonnable--de la part de la Commission de conclure que les activités habituelles des exploitants des serveurs hôtes et des fournisseurs d'accès Internet tombent sous le coup de l'alinéa 2.4(1)b).

[148]En revanche, pour les motifs déjà exposés, la conclusion de la Commission suivant laquelle il est nécessaire de recourir à une antémémoire pour permettre à autrui de communiquer reposait sur une interprétation erronée de l'alinéa 2.4(1)b), ce qui a influencé la conclusion de la Commission suivant laquelle la transmission de musique à partir d'une antémémoire ne constitue pas une communication au sens de la Loi sur le droit d'auteur (Housen c. Nikolaisen, précité, aux paragraphes 33 à 35). Suivant ce qui constitue selon moi la bonne interprétation du mot «nécessaires» à l'alinéa 2.4(1)b), il n'était pas loisible à la Commission, vu la preuve dont elle disposait, de conclure que l'exploitation d'une antémémoire était nécessaire pour permettre à des tiers de communiquer par télécommunication.

Question 4:     La Commission a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas qu'en fournissant leurs services et leur équipement essentiels, les intermédiaires Internet «autorisent» la communication des données demandées par les utilisateurs finaux à partir de leurs serveurs hôtes?

[149]La SOCAN invoque un moyen subsidiaire pour le cas où la Cour confirmerait la conclusion de la Commission que fournir l'accès à l'Internet ne constitue pas une «communication» au sens de l'alinéa 2.4(1)b). Elle fait valoir que les intermédiaires Internet autorisent les fournisseurs de contenu à communiquer des oeuvres protégées par le droit d'auteur à partir des serveurs hôtes.

[150]Autoriser une communication par télécom-munication constitue une violation flagrante du droit d'auteur protégé par le paragraphe 3(1) de la Loi (Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357, à la page 373). De plus, l'alinéa 2.4(1)b) ne s'applique pas au fait d'autoriser l'un ou l'autre des actes énumérés au paragraphe 3(1), y compris la communication par télécommunication d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur. Ainsi, même si leurs activités principales ne constituent pas une communication au sens de l'alinéa 2.4(1)b), les exploitants de serveurs et les fournisseurs d'accès Internet peuvent quand même être tenus de verser des redevances si l'on peut dire qu'ils autorisent le fournisseur de contenu à communiquer les oeuvres en question.

[151]J'ai du mal à suivre l'analyse que la Commission a faite de la question de l'autorisation. La Commission a d'abord statué qu'en rendant des données disponibles sur Internet, le fournisseur de contenu en autorise la communication à l'utilisateur final qui les a demandées (décision de la Commission, précitée, aux pages 455 à 457). Cette conclusion n'a pas été contestée. Néanmoins, comme il a été jugé que le fournisseur de contenu communique les données lorsque celles-ci sont demandées et reçues par l'utilisateur final, il est sans intérêt de savoir si, en rendant les données disponibles sur l'Internet, le fournisseur de contenu est également tenu d'en autoriser la communication.

[152]La Commission ne s'est pas longuement attardée sur la seconde question relative à l'autorisation, en l'occurrence celle de savoir si, en leur fournissant les moyens de communication, les intermédiaires Internet autorisent les fournisseurs de contenu à communiquer les données aux utilisateurs finaux. La Commission n'a pas tiré de conclusion définitive sur cette question, en expliquant qu'on abordait la question par «le mauvais bout de la lorgnette» (précitée, à la page 458), ce qui ne revêtait selon elle aucune importance compte tenu de son interprétation de l'alinéa 2.4(1)b). Si j'ai bien compris, en parlant du «mauvais bout de la lorgnette», la Commission voulait dire qu'elle estimait que la bonne question à se poser est celle de savoir si le fournisseur de contenu autorise les intermédiaires Internet à communiquer, et non le contraire.

[153]En revanche, je ne comprends pas comment la Commission a pu croire que son analyse de l'alinéa 2.4(1)b) la dispensait d'examiner à fond la question de savoir si l'on peut dire que les intermédiaires Internet autorisent les fournisseurs de contenu à communiquer. L'alinéa 2.4(1)b) ne protège ni les fournisseurs de contenu ni ceux qui, sans communiquer eux-mêmes, autorisent d'autres personnes à communiquer au public. Ainsi, si les activités des fournisseurs d'accès Internet ou des exploitants de serveurs hôtes constituent une autorisation de communiquer donnée par le fournisseur de contenu, créant ainsi une obligation de verser des redevances, les titulaires de droit d'auteur auraient ainsi accès à une importante source de rémunération.

[154]Je vais d'abord examiner la situation des fournisseurs d'accès Internet. Je ne vois pas comment on pourrait prétendre qu'un fournisseur d'accès Internet, qui n'a habituellement aucun lien contractuel ou économique avec le fournisseur de contenu, autorise implicitement celui-ci à communiquer l'information demandée à un serveur hôte exploitée par un tiers, du simple fait qu'il assure à ses clients une connectivité à l'Internet. Comme je l'ai déjà fait remarquer, suivant la preuve soumise à la Commission, il n'est pas possible pour des raisons techniques pour le fournisseur d'accès Internet de surveiller et de contrôler de façon systématique le contenu qui est transmis à ses abonnés. Il était donc, de toute évidence, loisible à la Commission de conclure que, lorsqu'ils s'acquittent de leurs fonctions essentielles, les fournisseurs d'accès Internet n'autorisent pas les fournisseurs de contenu à communiquer des données provenant du site Web à la demande de leurs clients, les utilisateurs finaux.

[155]La situation des exploitants des serveurs hôtes à partir desquels les éléments illicites sont transmis est quelque peu différente, étant donné qu'ils entretiennent des rapports contractuels avec celui qui communique les données en question, en l'occurrence le fournisseur de contenu. De plus, comme le rôle des serveurs hôtes ne consiste pas à acheminer des données jusqu'à l'utilisateur final, mais plutôt à les stocker pour une période de temps parfois considérable, la vitesse ne constitue pas un élément essentiel de leur travail. Ainsi, plus longtemps l'information demeure sur le serveur, plus fréquentes sont les occasions qui sont offertes à l'exploitant de la retirer. On pourrait donc croire que les exploitants sont en mesure d'exercer un contrôle suffisant sur l'utilisation qui est faite de leur équipement pour pouvoir être considérés comme autorisant implicitement les fournisseurs de contenu à communi-quer l'information stockée sur les serveurs.

[156]Il semble toutefois illogique de conclure qu'une personne qui procure le moyen nécessaire pour permettre à une autre de communiquer des données en autorise de ce fait--par opposition à, par exemple, en faciliter--la communication à cette autre personne. Le concept d'«autorisation» suppose que la personne qui aurait accordé l'autorisation a le droit de donner toute permission nécessaire. Nous sommes donc en présence d'une notion différente de celle de la responsabilité du fait d'autrui qui est utilisée aux États-Unis dans le domaine de la violation du droit d'auteur.

[157]Comme on pouvait s'y attendre, les tribunaux ont de façon générale rejeté l'argument que l'autorisation de communiquer peut s'inférer simplement de la fourniture de l'équipement permettant à un tiers de communiquer ou d'exécuter une oeuvre (voir, par exemple, Vigneux v. Canadian Performing Right Society Ld., [1945] A.C. 108 (P.C.); Muzak Corporation c. Composers, Authors, and Publishers Association of Canada Ltd., [1953] 2 R.C.S. 182 (Muzak)). L'incapacité de celui qui fournit l'équipement de contrôler l'utilisation qui est faite de son équipement permet de penser que le fournisseur n'autorise pas implicitement la communication ou l'exécution d'une oeuvre.

[158]Comme les exploitants de serveurs hôtes ne fournissent à autrui qu'un moyen passif de communiquer, on ne peut logiquement considérer qu'ils approuvent la communication de données, qu'ils consentent à cette communication ou qu'ils revendiquent le droit de permettre aux fournisseurs de contenus de communiquer les données stockées sur leur serveur (Apple Computer Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 C.F. 173 (1re inst.), à la page 211; confirmé par [1990] 2 R.C.S. 209). Ainsi, comme on ne peut inférer de leurs activités que les intermédiaires Internet [traduction] «autorisent, approuvent ou tolèrent» (Muzak, précité, à la page 193, le juge Kellock) la communication des données stockées par d'autres personnes sur leur serveur, on ne peut normalement dire qu'ils autorisent les fournisseurs de contenu à communiquer des données qui portent atteinte au droit d'auteur.

[159]Sans doute, l'insertion, dans le contrat conclu entre l'exploitant du serveur hôte et le fournisseur de contenu, d'une stipulation interdisant la diffusion de données répréhensibles contribuerait à bien préciser que l'exploitant n'«autorise, n'approuve et ne tolère» pas la communication d'informations protégées par le droit d'auteur. J'estime toutefois qu'on ferait preuve d'un trop grand formalisme si l'on concluait qu'en omettant une telle stipulation, l'exploitant du serveur hôte autorise le fournisseur de contenu à communiquer les données qu'il a stockées sur le serveur de l'exploitant. Il serait également abusif de considérer l'insertion d'une telle disposition contractuelle comme une preuve irréfutable que l'exploitant du serveur hôte n'a pas autorisé la communication des informations protégées par le droit d'auteur.

[160]Par ailleurs, comme il est loisible aux exploitants de serveurs hôtes de prendre connaissance du contenu des données diffusées sur leur serveur et d'en retirer les éléments inconvenants, on pourrait conclure qu'ils accordent l'autorisation implicite de communiquer des données répréhensibles s'ils omettent de les supprimer après avoir été avisés de leur présence sur le serveur et après avoir eu une possibilité suffisante de les retirer. Ainsi, dans la décision Apple Computer, précitée, à la page 208, la Cour a cité un extrait de l'arrêt C.B.S. Inc. v. Ames Records & Tapes Ltd., [1981] 2 W.L.R. 973 (Ch. D.) où il est dit, aux pages 987 et 988, que [traduction] «l'indifférence démontrée par des actes, de la nature d'une exécution ou d'une omission, peut être telle qu'on peut l'interpréter comme une autorisation ou une permission constitue une question de fait dans chaque cas». La Commission n'a toutefois pas examiné ces situations, étant donné que la SOCAN ne cherchait pas expressément à contraindre les exploitants de serveurs hôtes à verser des redevances sur un fondement aussi ténu.

[161]La question de savoir si un acte déterminé constitue une autorisation est, comme nous venons de le signaler, en grande partie une question de fait et, comme la Commission n'a pas commis d'erreur de droit en adoptant un critère erroné, sa conclusion que, dans le cadre de leurs activités habituelles, les exploitants des serveurs hôtes et les fournisseurs d'accès Internet n'«autorisent» pas la communication de données--y compris de données répréhensibles--à l'utilisateur final ne peut être annulée que si sa décision est déraisonnable. À mon avis, la preuve soumise à la Commission était suffisante pour la justifier de conclure de façon raisonnable que, dans le cadre de leurs activités habituelles, les exploitants de serveurs hôtes n'autorisent pas implicitement les fournisseurs de contenu à communiquer les données qu'ils ont rendues disponibles sur le serveur.

[162]Je tiens à signaler à cet égard que, dans certains pays, dont l'Australie, l'Union européenne, le Japon et les États-Unis, des mesures législatives ont été prises pour mettre les intermédiaires Internet à l'abri de toute responsabilité pour violation du droit d'auteur en ce qui concerne les données enregistrées sur leurs serveurs, à moins qu'après avoir été avisés de l'existence de données qui portent atteinte au droit d'auteur, l'exploitant ne prenne pas les mesures qui s'imposent pour les retirer. Le défaut de retirer les données en question est susceptible d'engager la responsabilité de l'exploitant du serveur hôte (voir aussi Document de consultation sur les questions de droit d'auteur à l'ère numérique, Direction de la politique de la propriété intellectuelle, Industrie Canada, et Direction générale de la politique du droit d'auteur, Patrimoine canadien, 22 juin 2001, aux pages 21 à 28).

Question 5:     La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la Loi sur le droit d'auteur ne s'applique pas en règle générale aux communications par télécommunication, notamment par Internet, qui proviennent de l'extérieur du Canada, parce qu'une communication se produit au lieu d'où provient la transmission?

[163]Il est acquis aux débats que la SOCAN n'a droit à une redevance que pour les violations de son droit d'auteur qui se produisent au Canada. Étant donné que la principale violation du droit d'auteur invoquée en l'espèce est celle de communiquer des oeuvres protégées par le droit d'auteur au public par télécommunication, la Commission peut seulement homologuer une redevance payable pour les communications qui ont lieu au Canada. En outre, lorsque la responsabilité peut être imputée à une autorisation de communiquer, il se peut qu'on doive établir à quel endroit cette autorisation a été donnée.

[164]Dans sa brève analyse de la question du lieu de la violation du droit d'auteur (à la page 459), la Commission s'est appuyée sur l'arrêt Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (1994), 58 C.P.R. (3d) 190 (C.A.F.) (ACR (1994)), pour affirmer qu'une communication ne se produit qu'à l'endroit d'où provient la transmission. L'affaire ACR (1994) faisait suite à une audience en fixation de redevances pour l'exécution en public d'oeuvres musicales par des télédiffuseurs.

[165]S'appuyant sur cette décision, la Commission a affirmé qu'une communication sur l'Internet a lieu au Canada si elle provient d'un serveur situé au Canada. Ainsi, le fournisseur de contenu est assujetti au paiement de la redevance homologuée par la Commission si-- mais seulement si--, il rend disponible du contenu sur un serveur situé au Canada.

[166]La Commission a également statué que le fournisseur de contenu doit obtenir une licence de la SOCAN pour autoriser la communication d'une oeuvre musicale lorsqu'il l'a rend disponible sur un serveur hôte situé au Canada, mais pas autrement. Cependant, comme je l'ai déjà expliqué, le fournisseur de contenu ne peut être tenu responsable d'avoir autorisé la communication que lorsque la personne qui a reçu cette autorisation se livre à des activités qui peuvent équivaloir en droit à une communication. À cause de l'alinéa 2.4(1)b), les activités en question ne comprennent pas les activités principales des fournisseurs d'accès Internet ou des exploitants de serveurs hôtes.

[167]La Commission a en outre conclu que, lorsque des informations qui violent le droit d'auteur sont stockées sur un serveur hôte d'origine situé à l'extérieur du Canada, leur transmission à partir d'un site miroir situé au Canada peut également engendrer l'obligation de verser des redevances approuvées par la Commission. Il en va de même dans le cas de l'hyperlien qui est intégré sur une page Web diffusée par un serveur situé à l'extérieur du Canada qui dirige l'utilisateur final vers le site d'un serveur situé au Canada. La transmission provenant de ce site chaîné constitue une communication au Canada. Inversement, le raisonnement suivi par la Commission permet selon toute vraisemblance de conclure que, si le site d'origine se trouve au Canada et que le site chaîné est situé à l'étranger, une transmission effectuée à partir du site chaîné ne constituerait pas une communication au Canada.

[168]La Commission a par ailleurs conclu que l'exploitation d'une antémémoire par un fournisseur d'accès Internet n'a rien à voir avec la provenance d'une communication, qui dépend dans tous les cas de l'emplacement du serveur hôte d'origine ou du site miroir. À la différence d'un site miroir, une antémémoire peut être utilisée à l'insu du fournisseur de contenu ou sans son consentement, mais le fournisseur de contenu peut empêcher la mise en antémémoire en insérant les données appropriées sur la page Web. La Commission a expliqué qu'en conséquence, lorsque des données publiées sur une page Web d'un serveur hôte situé à l'extérieur du Canada sont temporairement stockées sur une antémémoire située au Canada, le fournisseur de contenu n'en a pas de ce fait autorisé leur communication au Canada. De plus, lorsque l'information demandée par un utilisateur final à partir d'un site Web situé sur un serveur hôte se trouvant à l'extérieur du Canada est transmise à partir d'une antémémoire située au Canada, cette information n'est pas communiquée au Canada et elle ne saurait donner lieu au versement de redevances à la SOCAN.

[169]La Commission a toutefois exprimé une réserve. Elle a en effet déclaré (à la page 460) que la question de savoir si le contenu stocké sur un serveur hôte situé à l'extérieur du Canada dans le but d'être communiqué expressément à des destinataires situées au Canada constitue une communication au Canada demeurait ouverte. La Commission ne disposait toutefois d'aucun élément de preuve permettant de conclure à l'existence de pareilles situations.

[170]À mon avis, en statuant qu'une communication par télécommunication se produit au lieu d'où provient la transmission, la Commission se prononçait sur une question de droit générale qui ne se limitait pas aux faits de l'affaire dont elle était saisie et, partant, notre Cour peut procéder au contrôle judiciaire de sa décision en fonction de la norme de la décision correcte.

[171]La Commission s'est également prononcée sur une question de droit générale lorsqu'elle a déclaré que le principe qu'une communication se produit au lieu de sa transmission fait en sorte que la communication sur l'Internet a lieu sur le site Web du serveur hôte où les données communiquées sont stockées. En tirant cette conclusion, la Commission prétendait de toute évidence trancher une question qui ne se limitait pas aux éléments de preuve qui avaient été portés à sa connaissance dans ce cas particulier. Comme pour les autres questions générales de droit tranchées par la Commission, la norme de contrôle applicable en l'occurrence est celle de la décision correcte.

[172]Ainsi que je l'ai déjà signalé, le seul précédent que la Commission a cité au soutien de la proposition que les communications par télécommunication se produisent à l'endroit d'où provient la transmission est l'arrêt ACR (1994), précité, qui portait sur des télédiffuseurs. J'estime toutefois que cet arrêt n'appuie pas la conclusion de la Commission.

[173]Tout d'abord, dans l'affaire ACR (1994), la Commission avait jugé que l'exécution en public d'une oeuvre a lieu lors de sa transmission, peu importe qu'il y ait ou non quelqu'un qui regarde l'émission et indépendamment du moment où quelqu'un regarde l'émission. Dans le cas qui nous occupe, le débat tourne autour du lieu de la communication, et non du moment où elle se produit. C'est une question que la Cour n'a tout simplement pas abordée dans l'arrêt ACR (1994), précité. La question de savoir s'il y a lieu de considérer que, dans l'arrêt ACR (1994), précité, la Cour s'est indirectement prononcée sur le lieu où se produit une communication Internet ne peut être tranchée qu'après un examen plus approfondi de la question fondamentale en litige.

[174]En second lieu, une exécution, notion sur laquelle portait l'affaire ACR (1994), précitée, n'est pas nécessairement la même chose qu'une communication, qui est l'activité sur laquelle tout le débat porte en l'espèce. Dans l'affaire du Tarif 22, la Commission a expliqué (précitée, à la page 449) que, tout comme une exécution peut exister même s'il n'y a personne pour la regarder, de même une communication peut avoir lieu sur l'Internet même si le destinataire ne la voit pas ou ne l'entend pas. Cette explication n'est pas fausse, en ce sens que même lorsque les utilisateurs finaux reçoivent des données sous une forme qui les oblige à ouvrir le fichier pour écouter une oeuvre musicale après l'avoir téléchargée sur leur disque dur, l'oeuvre musicale en question est communiquée lorsque l'utilisateur final qui en a demandé la transmission la reçoit dans son ordinateur, qu'il l'écoute ou non par la suite.

[175]J'estime toutefois que la notion même de communication exige la présence d'une personne qui communique et d'un destinataire éventuel, c'est-à-dire, dans le cas qui nous occupe, l'utilisateur final qui a demandé et a reçu les données dans son ordinateur. Ainsi que le juge McIntyre l'a déclaré dans l'arrêt Goldman c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 976, à la page 995: «Une communication comprend la transmission de pensées, d'idées, de mots ou de renseignements d'une personne à l'autre». Par contraste, une exécution ne suppose pas nécessairement un auditoire distinct de ceux qui exécutent l'oeuvre. L'exécution d'une oeuvre musicale pour le seul plaisir de celui qui l'exécute n'a rien d'inusité.

[176]Ainsi, outre le fait qu'il n'existe pas de précédent qui appuie la conclusion de la Commission, ces considérations donnent fortement à penser que le lieu de la communication ne devrait pas être déterminé exclusivement en fonction de l'emplacement du serveur hôte, d'autant plus que, comme la Commission l'a elle-même constaté, les communications Internet en l'espèce ne se produisent qu'à la demande de l'utilisateur final.

[177]De plus, un critère qui fixerait le lieu où se produit une communication Internet sans égard au fait que l'utilisateur final de données protégées par le droit d'auteur se trouve lui-même au Canada semblerait contredire un des motifs pour lesquels la Loi sur le droit d'auteur protège les titulaires du droit d'auteur contre la violation de leurs droits au Canada, en l'occurrence la protection de la valeur économique des oeuvres des auteurs sur le marché canadien. Cela tient au fait que l'utilisateur final canadien qui reçoit de la musique protégée par le droit d'auteur sur l'Internet serait peut-être moins porté à en acheter une copie enregistrée. Ainsi, comme il n'y a pas violation du droit d'auteur au Canada lorsque le serveur ne se trouve pas au Canada, la décision de la Commission offre aux membres de la SOCAN une indemnité relativement limitée en cas de pertes de vente d'oeuvres musicales sur le marché canadien par suite de la réception sur Internet au Canada d'oeuvres musicales protégées par le droit d'auteur.

[178]Pour ces motifs, je ne suis pas disposé à inférer de l'arrêt ACR (1994), précité, le principe qu'une communication Internet ne se produit qu'au lieu où se trouve le serveur sur lequel les données qui portent atteinte au droit d'auteur sont stockées.

[179]La conclusion de la Commission suivant laquelle une communication Internet ne se produit qu'au lieu où se trouve le serveur hôte n'a pas nécessairement pour effet de nier aux compositeurs canadiens le droit à des redevances pour les oeuvres musicales transmises à un utilisateur final résidant au Canada à partir d'un serveur situé, par exemple, aux États-Unis. Cela s'explique par le fait que la SOCAN a conclu des ententes réciproques avec des organismes apparentés qui se trouvent à l'étranger, et notamment aux États-Unis, avec lesquels elle peut convenir de la fixation de certaines redevances relativement aux transmissions transfrontalières Internet.

[180]La décision de la Commission risque cependant d'avoir pour effet de nier le droit à des redevances aux titulaires de droits en matière de propriété intellectuelle. Par exemple, les droits des interprètes et des producteurs d'enregistrements sonores sont reconnus au Canada, mais pas universellement. Suivant la théorie élaborée par la Commission au sujet du lieu des communications Internet, ces personnes seraient privées du droit de recevoir des redevances relativement aux oeuvres musicales diffusées sur des serveurs situés dans un pays qui ne reconnaît pas leurs droits en matière de propriété intellectuelle. Faute de moyen ou de mécanisme universellement reconnu en ce qui concerne la perception et la répartition des redevances sur les oeuvres musicales transmises à l'échelle planétaire sur Internet, tout critère adopté dans un pays risque de conduire à l'imposition de doubles redevances ou d'aucune redevance.

[181]La Commission a d'ailleurs elle-même reconnu le risque de double imposition de redevances lorsqu'elle a dit (à la page 466, note 53) qu'une communication qui provient du Canada--et qui, suivant l'analyse de la Commission, donne lieu au versement d'une redevance au Canada--peut également constituer une violation du droit de communication exclusive dans le pays où elle est reçue. De plus, si des oeuvres musicales sont diffusées sur un serveur situé dans un pays qui n'accorde aucune protection en matière de droit d'auteur, suivant le critère adopté par la Commission pour localiser les communications sur l'Internet, aucune redevance ne serait payable nulle part pour les oeuvres transmises à des utilisateurs finaux situés au Canada. En fin de compte, pour résoudre de façon satisfaisante ces problèmes transfrontaliers, il faudra que les gouvernements ou l'industrie, ou les deux, trouvent des solutions transnationales qui dépassent les frontières des États.

[182]Le législateur jugera peut-être nécessaire de modifier la Loi sur le droit d'auteur pour y insérer une disposition traitant expressément de ce problème et d'autres problèmes de droit d'auteur que soulève l'avènement de l'Internet, comme il l'a fait dans le passé en réponse à d'autres progrès technologiques, innovations commerciales et ententes internationales, telles que la télévision par câble ou par satellite, la vente de bandes vierges et de disques compacts et l'Accord de libre-échange nord-américain [Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des Éats-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2]].

[183]D'ailleurs, le gouvernement a commencé à examiner sérieusement certaines des répercussions en droit interne de deux importants traités sur le droit d'auteur qui ont été conclus en 1996 par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, à savoir le Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur [adopté à Genève le 20 décembre 1996] (WCT) et le Traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes [adopté à Genève le 20 décembre 1996] (WPPT). Ces traités abordent de nombreuses questions liées au droit d'auteur et aux droits connexes, et renferment des dispositions spéciales visant à répondre aux défis posés par les technologies de réseaux dans le domaine du droit d'auteur (voir Document de consultation sur les questions de droit d'auteur à l'ère numérique, précité). Des réformes législatives des règles de droit relatives au droit d'auteur ont déjà été adoptés aux États-Unis (Digital Millennium Copyright Act [17 U.S.C. § 512 (1998)]), en Australie (Copyright Amendment (Digital Agenda) Act 2000 [No. 110, 2000]) et au sein de l'Union européenne (Directive 2001/29/CE).

[184]Dans l'intervalle, faute de décision juridictionnelle ou de disposition législative portant directement sur la question et en l'absence de balises nettement définies de la Commission sur une question qui ne revêtait pas une importance capitale lorsqu'elle a statué sur le tarif 22, la Cour doit se livrer à sa propre analyse et élaborer de son mieux un principe qui tienne compte de l'esprit de la Loi sur le droit d'auteur et d'autres contextes juridiques qui soulèvent des questions quelque peu analogues.

[185]Ainsi que je l'ai déjà précisé, la principale activité qui constitue une violation du droit d'auteur en l'espèce est la communication d'information par le fournisseur de contenu. Or, les données protégées par le droit d'auteur ne sont communiquées que lorsque l'utilisateur final les reçoit dans son ordinateur, et l'emplacement du serveur hôte ne suffit pas à lui seul à déterminer le lieu où la communication se produit. La question demeure la même: quel critère serait le plus compatible avec l'esprit de la Loi sur le droit d'auteur et d'autres principes juridiques pour déterminer le lieu où se produit la communication?

[186]À mon avis, le versement d'une redevance peut être exigé au Canada à l'égard de communications par télécommunication qui ont un rattachement réel et important avec le Canada. J'appliquerais aussi le critère de rattachement réel et important au repérage de l'activité illicite consistant à autoriser la communication qui se produit lorsqu'un fournisseur de contenu rend disponibles sur un serveur hôte des éléments qui sont protégés par le droit d'auteur.

[187]On utilise aussi un critère de rattachement réel et important dans d'autres contextes juridiques pour trancher des questions mettant en présence plusieurs pays. Ce critère est par exemple utilisé pour déterminer si un tribunal peut connaître d'une demande découlant d'un délit qui comporte des éléments étrangers et s'il exercera cette compétence (Moran c. Pyle National (Canada) Ltd., [1975] 1 R.C.S. 393; Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077).

[188]Ainsi, dans l'arrêt Braintech, Inc. c. Kostiuk (1999), 171 D.L.R. (4th) 46 (C.A. C.-B.), la Cour a refusé d'exécuter le jugement d'un tribunal du Texas qui avait accordé des dommages-intérêts relativement à des renseignements publiés sur un babillard électronique, en l'absence d'éléments de preuve permettant de conclure à l'existence de liens réels et importants entre l'action en justice et le Texas. La Cour a notamment fait remarquer que la preuve ne permettait pas de penser que les informations qui portaient atteinte au droit d'auteur avaient été consultées par qui que ce soit au Texas. De même, dans l'arrêt Gutnick c. Dow Jones & Co. Inc., [2001] V.S.C. 305 (Cour sup. Vic.), la Cour suprême de Victoria a appliqué un critère de rattachement réel et important pour conclure qu'elle était la juridiction compétente pour statuer sur une action en diffamation portant sur des données que la défenderesse avait téléchargées sur son serveur au New Jersey et qui avaient ensuite été téléchargées par des utilisateurs finaux à Victoria.

[189]Ce critère a également été utilisé dans l'affaire WIC Premium Television Ltd. c. General Instrument Corp. (2000), 266 A.R. 142 (C.A.), dans laquelle la demanderesse affirmait notamment dans sa déclaration que les transmissions effectuées par les défendeurs depuis les États-Unis et qui parvenaient au Canada portaient atteinte au droit d'auteur de la demanderesse. La Cour a permis à la demanderesse de signifier sa déclaration aux défendeurs situés à l'étranger au motif que l'action de la demanderesse comportait des liens suffisamment réels et importants avec l'Alberta pour la justifier d'exercer sa compétence sur les défendeurs.

[190]Un critère de rattachement réel et important a été utilisé pour décider si une opération criminelle ressortissait à la compétence territoriale du Canada (R. c. Libman, [1985] 2 R.C.S. 178). Par ailleurs, dans l'arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, la Cour suprême du Canada a appliqué un critère de «lien réel et important avec le Canada» pour décider si la Commission canadienne des droits de la personne était compétente pour statuer sur une affaire dans laquelle un message enregistré au Canada invitait les personnes qui appelaient à composer un numéro de téléphone de New York où des messages présumément haineux pouvaient être entendus.

[191]J'estime donc que la Commission du droit d'auteur a commis une erreur de droit en ignorant tous les facteurs de rattachement autres que celui de l'emplacement du serveur hôte pour déterminer quelles communications ont lieu au Canada et sont par conséquent susceptibles d'engendrer l'obligation de verser des redevances à la SOCAN. Il convient sans doute d'accorder une certaine latitude à la Commission pour lui permettre de décider, au cas par cas, comment il convient d'appliquer le critère des liens réels et importants. J'imagine que, normalement, les facteurs de rattachement les plus importants seront la situation du fournisseur de contenu, de l'utilisateur final et des intermédiaires, et en particulier le lieu où se trouve le serveur hôte. Toutefois, un tel lien existera sûrement lorsque chacun des noeuds terminaux, à savoir le fournisseur de contenu, celui qui communique les données et l'utilisateur final se trouvent tous au Canada.

[192]En fait, j'irais jusqu'à dire que, comme la Loi a pour objet de protéger le droit d'auteur sur le marché canadien, le lieu où se trouve l'utilisateur final revêt une importance particulière lorsqu'il s'agit de décider si une communication Internet a des liens réels et importants avec le Canada. En revanche, en l'absence d'utilisateur final, l'emplacement du serveur constituera un facteur qui aura plus de poids pour déterminer si l'autorisation d'une communication comporte des liens réels et importants avec le Canada. Le critère de l'existence de liens réels et importants s'applique aussi aux communications à partir d'antémémoires et d'hyperliens. L'emplacement de l'antémémoire ou du site chaîné à partir duquel sont transmises les données est susceptible de constituer un facteur de rattachement supplémentaire.

F. CONCLUSIONS

[193]Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter la demande, sauf en ce qui concerne les passages de sa décision dans laquelle la Commission a jugé que la transmission de données à partir d'une antémémoire est protégée par l'alinéa 2.4(1)b) et qu'une communication par télécommunication ne se produit au Canada que si elle provient d'un serveur hôte situé au Canada. Je suis d'avis d'annuler ces passages de la décision de la Commission et d'ordonner à la Commission d'agir en conformité avec les présents motifs lorsqu'elle fixera les redevances au cours de la phase II de l'affaire du Tarif 22.

[194]Compte tenu de la nouveauté, de la complexité et de l'importance publique des questions soulevées par la présente demande et vu le fait que les parties ont chacune obtenu en partie gain de cause, je n'adjugerais aucuns dépens.

Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[195]Le juge Sharlow, J.C.A. (dissidente en partie): Je souscris aux motifs de mon collègue le juge Evans, sauf en ce qui concerne le sens du mot «nécessaires» à l'alinéa 2.4(1)b) de la Loi sur le droit d'auteur. Je reproduis cette disposition par souci de commodité:

2.4 (1) Les règles qui suivent s'appliquent dans les cas de communication au public par télécommunication:

[. . .]

b) n'effectue pas une communication au public la personne qui ne fait que fournir à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour que celui-ci l'effectue;     

[196]Il ressort de la preuve soumise à la Commission que les capacités de l'Internet sont vastes mais pas illimitées. La mise en antémémoire vise à augmenter la vitesse et à améliorer l'efficacité des communications sur Internet. Ainsi, la mise en antémémoire améliore les communications Internet, même s'il y a certaines communications Internet qui se produisent sans qu'il y ait mise en antémémoire parce qu'un choix est effectué par l'expéditeur ou le destinataire. Sur le fondement de ces éléments de preuve, la Commission a qualifié la mise en antémémoire d'activité accessoire aux communications Internet et elle a conclu qu'un intermédiaire Internet dont la seule activité consiste à assurer la mise en antémémoire a droit à la protection de l'alinéa 2.4(1)b). À mon avis, cette conclusion est bien fondée.

[197]Il faut interpréter le mot «nécessaires» que le législateur a inséré dans la Loi pour qualifier la technologie utilisée pour la communication avec suffisamment de souplesse pour reconnaître les progrès technologiques constants en la matière. Il me semble que, dans le contexte de l'alinéa 2.4(1)b) de la Loi sur le droit d'auteur, quelque chose devrait être considéré nécessaire à la communication si elle rend cette communication réalisable ou plus pratique, ce qui correspond à l'interprétation que la Commission a implicitement donnée à ce terme. En insistant pour dire, comme le juge Evans le fait au paragraphe 135 de ses motifs, qu'un dispositif est nécessaire pour qu'une communication ait lieu uniquement si, sans ce dispositif, la communication sur Internet n'aurait pas lieu, on place la barre trop haute. 

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