[2002] 3 C.F. 24
T-1770-98
2001 CFPI 1350
Dr Giorgio Copello (demandeur)
c.
Le ministre des Affaires étrangères et le Procureur général du Canada (défendeurs)
Répertorié : Copello c. Canada (Ministre des Affaires étrangères) (1re inst.)
Section de première instance, juge Heneghan —Ottawa, 11 juin et 10 décembre 2001.
Couronne — Prérogatives — L’expulsion des diplomates relève de la prérogative royale et échappe au contrôle judiciaire.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — L’expulsion des diplomates relève de la prérogative royale et échappe au contrôle judiciaire — Une déclaration de persona non grata n’est pas une question juridique, mais demeure dans l’arène politique — Une note diplomatique n’est pas une décision — Le demandeur était au Canada uniquement en tant que représentant et n’avait aucun statut indépendant — Il n’avait pas la qualité nécessaire pour contester les mesures prises par le ministre — L’expulsion n’est pas une décision administrative; le demandeur n’est pas expulsé et aucune obligation d’équité ne lui est due.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Expulsion d’un diplomate — Étant donné que l’art. 9 (avis qu’un membre de la mission est persona non grata) de la Convention de Vienne n’a jamais été adopté par une loi canadienne, il ne fait pas partie du droit interne — L’exclusion de l’art. 9 ne peut que signifier que le législateur avait l’intention que l’expulsion des diplomates demeure une question de prérogative royale et échappe au contrôle judiciaire — La déclaration de persona non grata n’est pas une question juridique, mais demeure dans l’arène politique.
Le demandeur, diplomate auprès du ministère des Affaires étrangères de l’Italie, a été impliqué dans un incident désagréable dans un motel du Yukon (expression de son mécontentement à l’égard du personnel du motel), à la suite de quoi une employée du motel a porté plainte à l’ambassadeur d’Italie. Un autre incident s’est produit à l’aéroport de Vancouver, où il a refusé d’être fouillé après le déclenchement du détecteur de métal et il aurait déclaré qu’il n’avait pas de bombe sur lui, mais qu’il en transporterait une vraie la prochaine fois. La GRC a établi un rapport. Le ministère des Affaires étrangères a envoyé une série de notes diplomatiques et a finalement demandé que le demandeur et sa famille quittent le Canada. Le demandeur a sollicité une entrevue avec le ministre des Affaires étrangères, mais cette demande n’a pas eu de suite. L’ambassade italienne a rappelé le demandeur à Rome. Ce dernier a alors déposé la présente demande afin que soit infirmée la décision du ministre demandant qu’il soit rappelé à Rome.
La présente demande soulève trois questions : la Cour avait-elle compétence; le demandeur avait-il qualité pour agir; si la décision peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire, y a-t-il obligation de respecter l’équité procédurale?
Jugement : la demande doit être rejetée.
Il ne s’agit pas d’un différend justiciable. Généralement, l’exercice de la prérogative royale échappe au domaine du contrôle judiciaire. Dans Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, la Cour suprême du Canada a statué que lorsque l’exercice de la prérogative royale porte atteinte aux droits d’un individu qui sont garantis par la Charte, alors l’exercice de ce pouvoir en vertu de la prérogative peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. La question primordiale qu’il convient de poser pour déterminer si l’exercice d’un pouvoir en vertu de la prérogative peut être assujetti au contrôle judiciaire porte sur son objet et non sur sa source. L’objet de la présente instance est la demande du ministre adressée à la République italienne de rappeler le demandeur. Le demandeur ne doit sa présence au Canada qu’au fait de sa nomination en tant que membre du personnel de l’ambassade d’Italie. La demande de rappel équivaut à une déclaration de persona non grata.
La question est donc de savoir si cette demande a été présentée en vertu de l’exercice de la prérogative royale ou aux termes d’une loi nationale. L’article 9 de la Convention de Vienne, qui accorde à l’État le droit de déclarer tout membre du personnel diplomatique d’un pays persona non grata, sans avoir à fournir d’explication, n’a pas été intégré au droit canadien. L’exclusion de l’article ne peut que signifier que le législateur avait l’intention que l’expulsion des diplomates demeure dans la sphère de la prérogative royale dans la conduite des affaires étrangères par le Canada, et échappe au contrôle judiciaire. Une déclaration de persona non grata n’est pas une question juridique mais demeure dans l’arène politique. La décision n’est pas justiciable. La décision elle-même ne peut faire l’objet d’un contrôle et la Cour n’interviendra pas dans ce qui est essentiellement une question de prérogative.
Pour ce qui est de la qualité pour agir, la note diplomatique n’est pas une « décision », mais une communication entre États. Le demandeur était au Canada uniquement en tant que représentant et, à ce titre, il n’avait aucun statut indépendant. Il n’avait donc pas la qualité nécessaire pour contester les mesures prises par le ministre.
Pour ce qui concerne l’allégation de manquement à l’obligation d’équité, la déclaration de persona non grata n’est pas une fonction administrative exercée par le ministre aux termes de la Loi. Il ne s’agit pas d’une mesure d’expulsion. Le degré d’équité procédurale qui lui est dû dépend de la question de savoir s’il s’agit d’un droit ou d’un privilège qui est en cause. Il ressort clairement qu’en l’espèce il s’agit de la perte d’un privilège et non d’un droit. Aucune obligation d’équité n’était due au demandeur et, par conséquent, il n’y a pas eu manquement à cette obligation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].
Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, [1966] R.T. Can. no 29 art. préambule, 4, 9, 32.
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 17.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) « office fédéral » (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18(1)a) (mod., idem, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 18.2 (édicté, idem), 28 (mod., idem, art. 8; 1992, ch. 33, art. 69; ch. 49, art. 128; 1993, ch. 34, art. 70; 1996, ch. 10, art. 229; ch. 23, art. 187; 1998, ch. 26, art. 73).
Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, L.C. 1991, ch. 41, art. 3, 4(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25(1)n)).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, [1985] 1 A.C. 374 (H.L.); Black v. Canada (Prime Minister) (2001), 54 O.R. (3d) 215; 199 D.L.R. (4th) 228; 147 O.A.C. 141 (C.A.); Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1.
DÉCISIONS CITÉES :
Attorney-General v. DeKeyser’s Royal Hotel, [1920] A.C. 508 (H.L.); Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694; (1995), 125 D.L.R. (4th) 559; 184 N.R. 260 (C.A.); Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.); Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d) 315; 30 N.R. 119; Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753; (1981), 34 Nfld. & P.E.I.R. 1; 125 D.L.R. (3d) 1; [1981] 6 W.W.R. 1; 95 A.P.R. 1; 11 Man.R. (2d) 1; 39 N.R. 1; Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 326 (P.C.); Blackburn v. Attorney-General, [1971] 2 All ER 1380 (C.A.); Francis v. The Queen, [1956] R.C.S. 618; (1956), 3 D.L.R. (2d) 641; 56 DTC 1077; Renvoi : Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; (1976), 68 D.L.R. (3d) 542; 9 N.R. 541; Reference as to Powers to Levy Rates on Foreign Legations and High Commissioners, Residences, [1943] R.C.S. 208; [1943] 2 D.L.R. 481; [1943] C.T.C. 157; Rose v. The King, [1947] 3 D.L.R. 168; (1946), 88 C.C.C. 114; 3 C.R. 277 (B.R. Qué.); Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190; 17 Admin. L.R. (2d) 243; 67 F.T.R. 98 (C.F. 1re inst.); Société Inuvialuit régionale c. Canada, [1992] 2 C.F. 502; (1992), 5 Admin. L.R. (2d) 66; 53 F.T.R. 1 (1re inst.).
DOCTRINE
Brown, Donald J. M. and John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, looseleaf ed. Toronto : Canvasback Publishing, 1998.
Woolf, Harry. De Smith, Woolf & Jowell’s Principles of Judicial Review, new abridged ed. London : Sweet and Maxwell, 1999.
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une note diplomatique du ministre des Affaires étrangères demandant que le demandeur soit rappelé en Italie. Demande rejetée.
ONT COMPARU :
Dr Giorgio Copello en son propre nom.
Linda J. Wall pour les défendeurs.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par
Le juge Heneghan :
INTRODUCTION
[1] Le Dr Giorgio Copello (le demandeur) réclame une ordonnance annulant la décision du ministre des Affaires étrangères et du Commerce international (le ministre) communiquée dans la note diplomatique XDC-2317 (la note), en date du 5 août 1998, par laquelle il demandait à la République italienne de faire en sorte que le demandeur quitte le Canada.
LES FAITS
[2] Le demandeur est un diplomate de carrière auprès du ministère des Affaires étrangères de l’Italie depuis plus de 20 ans. Il a fait des études en sciences politiques et a obtenu le titre de « docteur ». Par la suite, il a fait des études militaires spécialisées au Royal Military College de Shrivenham, à Londres (Angleterre). Il a occupé des postes diplomatiques en Inde, en Allemagne, dans les Émirats arabes unis et en Norvège. Il a été affecté à Ottawa en tant que conseiller à l’immigration et aux affaires sociales en août 1995. Sa carrière diplomatique s’est déroulée sans incident jusqu’en avril 1998, date à laquelle l’ambassadeur d’Italie au Canada a reçu une lettre de plainte à son sujet.
[3] La lettre, datée du 24 avril 1998, a été envoyée par Mme Lynn Smith, une employée du motel Stratford à Whitehorse (territoire du Yukon).
[4] Mme Smith allègue que certains échanges désagréables ont eu lieu entre le demandeur et le personnel du motel quand le demandeur et son épouse se sont enregistrés à leur arrivée le 17 avril 1998. La lettre fait également référence à un autre incident où le demandeur, en présence de son épouse, a manifesté sa mauvaise humeur à leur départ le lendemain. Plus particulièrement, la lettre signale que le demandeur a fait référence à son statut de diplomate italien au Canada et exprimé son mécontentement sur la manière dont son épouse et lui ont été traités par le personnel du motel à leur arrivée, c’est-à-dire quand on lui a demandé de produire sa carte de crédit.
[5] Après leur départ de Whitehorse, le demandeur et son épouse ont transité par l’Aéroport international de Vancouver en route vers Ottawa le 19 avril 1998. Sa présence à l’aéroport a été portée à l’attention du ministre et de l’Ambassade italienne après le dépôt d’un rapport par le détachement de Richmond (Colombie-Britannique) de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
[6] Par la suite, le 22 avril 1998, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le Ministère) du gouvernement du Canada a rédigé une note diplomatique, portant le numéro XCC-1134. Cette note, datée du 22 avril 1998, se lit en partie comme suit :
[traduction] […] L’attitude et l’agressivité de M. Copello à l’égard des agents de sécurité de l’aéroport et des membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont été inacceptables. Un résumé du rapport de police est joint à la présente. Le ministère s’attend que tous les représentants étrangers collaborent avec le personnel de sécurité des aéroports et avec les agents de la GRC. [Dossier de la demande, à la page 26.]
[7] Ce rapport de police fait état de la réponse de la GRC à une demande du service de contrôle de sécurité de l’Aéroport de Vancouver concernant le demandeur. Selon le rapport, le détecteur de métal s’est déclenché quand le demandeur est passé dans le tunnel. Quand le personnel de sécurité lui a posé des questions et a demandé à fouiller le sac de plastique qu’il transportait, ainsi que lui-même, le demandeur aurait refusé la fouille et passé le sac à son épouse qui l’accompagnait.
[8] Le rapport poursuit en indiquant que le demandeur, sans aucune incitation du personnel, a déclaré que le sac ne contenait pas de bombe. Quand l’agent de sécurité a répété qu’il souhaitait examiner l’intérieur du sac, le demandeur serait devenu agressif et aurait déclaré qu’il [traduction] « transporterait une vraie bombe la prochaine fois ».
[9] Quand la GRC est arrivée sur les lieux, le demandeur a été informé que, s’il souhaitait monter à bord, le sac devait être vérifié. Le demandeur a donc ouvert le sac et montré que celui-ci contenait quelques branches de saule discolore. En réponse à la demande d’identification de la police, le demandeur a produit son passeport italien. Le rapport de police indique que le demandeur avait un comportement agité et agressif.
[10] Après avoir reçu la note diplomatique du 22 avril 1998, le demandeur a communiqué avec la GRC au sujet de l’incident qui s’était produit à l’Aéroport de Vancouver. Il a reçu une lettre de l’inspecteur A. L. MacIntyre. La lettre, datée du 1er juin 1998, confirmait que le demandeur n’avait commis aucune infraction et précisait également que le premier rapport de police utilisait des termes vagues :
[traduction]
Monsieur,
La présente fait suite à votre lettre adressée au Caporal Jim Allen concernant un incident qui s’est produit le 28 avril 1998 au contrôle de sécurité au pré-embarquement à l’aérogare du trafic intérieur de l’Aéroport international de Vancouver. Pour être en mesure de répondre à vos questions, nous avons fait des vérifications auprès de l’agent enquêteur, le gendarme Mike Liu. Il déclare que, bien qu’il ait utilisé les termes « agressif et menaçant » dans son rapport, ces termes ont été utilisés dans un sens large. Il a en fait indiqué que vous étiez perturbé et peu coopératif et que ce sont là des mots qu’il aurait été préférable d’employer. Veuillez accepter mes excuses pour cette erreur.
Concernant votre déclaration selon laquelle vous « transporteriez une vraie bombe la prochaine fois », il s’agit d’une allégation faite par le garde de sécurité au poste de contrôle. Cette déclaration n’a pas été communiquée aux agents de police à leur arrivée, mais dans une déclaration écrite subséquente et elle ne peut être corroborée. Il est bien connu que, dans les grands aéroports, des observations mentionnant des bombes ou d’autres dispositifs semblables, quelle que soit la façon dont elles sont proférées, sont traitées avec le plus grand sérieux.
Après avoir examiné cette affaire, le caporal Allen n’a pas estimé qu’il y avait eu infraction et, par conséquent, il a fermé le dossier. Il convient de noter que l’intérêt que nous avons porté à cette plainte nous est dicté par la loi canadienne et que nous sommes tenus de faire une enquête approfondie sur toutes les plaintes de ce genre. De même, dans les cas où un représentant officiel d’une ambassade est en cause, notre politique est de signaler ces questions à l’administration centrale à Ottawa pour l’informer et pour que des mesures soient prises au besoin.
Pour ce qui est de confirmer l’exactitude de votre déclaration, dans un sens ou dans l’autre, je ne peux le faire étant donné que je n’étais pas présent au moment de l’incident. Ce que je peux dire, c’est que vous avez manifestement causé un esclandre à un poste de contrôle avant votre embarquement dans un avion de ligne commercial.
Vous avez fait des observations inappropriées et votre façon de traiter le personnel de sécurité et la police appelée sur les lieux a été moins que satisfaisante. Ces personnes ont un travail à accomplir, savoir assurer un environnement sécuritaire pour les passagers et l’appareil. C’est un travail sérieux dont ils s’acquittent d’une manière tout aussi sérieuse.
Nous regrettons que cet incident vous ait causé du souci ou des embarras, mais vous devez reconnaître que vous êtes à l’origine de la situation qui a entraîné une réponse de la police. [Dossier de la demande, aux pages 28 et 29.]
[11] Le demandeur a envoyé une copie de cette lettre au Ministère accompagné d’une lettre de son ancien avocat le 22 juin 1998.
[12] Peu après, il a reçu une copie de la lettre de Mme Smith et a préparé une déclaration en réponse. Selon la déclaration du demandeur, les événements de Whitehorse ne se sont pas produits de la façon décrite par Mme Smith. Sa déclaration se termine sur les observations suivantes :
[traduction] Depuis les trois dernières années, mon épouse et moi avons passé nos vacances au Canada afin de mieux connaître ce pays, visitant l’Ontario, le Québec, l’Alberta, le Yukon et la Colombie-Britannique et nous avons toujours trouvé, dans tous les hôtels et dans toutes les villes, une grande courtoisie et un grand sens de l’hospitalité.
Je n’ai pas répondu plus tôt aux faussetés vulgaires et monstrueuses contenues dans la lettre de l’Hôtel Stratford parce que des affaires importantes ont retenu mon attention dans le cadre de mon emploi.
Compte tenu du sérieux de ces allégations, et de leurs répercussions sur mon épouse et moi-même, au niveau tant personnel que professionnel, mon épouse et moi devons envisager la possibilité de poursuivre en diffamation la personne qui en est l’auteur. [Dossier de la demande, à la page 25a]
[13] Une copie de cette déclaration a été expédiée à M. William Bowden, chef adjoint du protocole au Ministère, accompagnée d’une lettre rédigée le 24 juin 1998 par un ancien avocat du demandeur. Cette lettre exprime l’opinion selon laquelle les déclarations faites par Mme Smith sont fausses et diffamatoires à l’égard du demandeur. De même, cette lettre mentionne la possibilité que le demandeur et son épouse puissent intenter une action civile en diffamation. [Dossier de la demande, aux pages 30 et 31.]
[14] Le 13 juillet 1998, une deuxième note diplomatique, portant le numéro XDC-2034, a été rédigée par le Ministère au sujet du demandeur. Cette note indique ce qui suit :
[traduction] Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international présente ses hommages à l’ambassade de la République italienne et a l’honneur de faire référence à des événements récents concernant M. Georgio Copello et à la récente conversation entre l’ambassadeur d’Italie et le chef du protocole du Canada concernant M. Copello.
Les événements qui se sont produits à Vancouver et à Whitehorse, et le fait que M. Copello semble envisager d’intenter une poursuite contre la plaignante de Whitehorse sont quelque peu perturbants et indiqueraient que l’affectation de M. Copello au Canada n’est pas des plus heureuses et devrait peut-être être reconsidérée.
Le Bureau du protocole reconnaît que ces incidents sont le fait de M. Copello et qu’ils ne reflètent en rien les excellentes relations et l’esprit de collaboration qui existent entre le ministère et l’ambassade d’Italie.
Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international profite de l’occasion pour réitérer à l’ambassade d’Italie l’assurance de sa très haute considération. [Dossier de la demande, à la page 32.]
[15] Le 5 août 1998, une troisième note diplomatique, portant le numéro XDC-2317, a été rédigée par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Voici la teneur de cette note :
[traduction] Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international présente ses hommages à l’ambassade de la République italienne et a l’honneur de faire référence à la note du ministère portant le numéro XDC-2034 du 13 juillet 1998, concernant M. Georgio COPELLO, et aux entretiens qui ont suivi entre l’ambassadeur d’Italie et le chef du protocole du Canada.
Le Ministère avise l’ambassade que le comportement de M. Copello est inacceptable. Étant donné que M. Copello n’a démontré aucune intention de quitter le Canada de son propre gré, le Ministère demande par la présente que M. Copello et sa famille quittent le Canada au plus tard le 15 septembre 1998.
Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international profite de l’occasion pour réitérer à l’ambassade d’Italie l’assurance de sa très haute considération. [Dossier de la demande, à la page 55.]
[16] Après l’envoi de la note diplomatique en date du 5 août 1998, le demandeur a écrit au ministre le 16 août 1998, lui demandant une audience afin de lui présenter sa version des événements qui s’étaient produits à Whitehorse et à Vancouver. Cette lettre déclare ce qui suit :
[traduction]
Monsieur Lloyd Axworthy
Ministre des Affaires étrangères
Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international
Ottawa ON K1A OG2
Monsieur,
Concernant la note XDC-2317 du Ministère, en date du 5 août 1998, et le fait que le Protocole ne m’a accordé aucune audience, malgré mes demandes répétées, je demande respectueusement à vous rencontrer personnellement, le plus rapidement possible, afin qu’il me soit permis d’exposer ma position concernant les deux événements en cause qui ont mené à mon expulsion, ce qui représente une décision inutile et injuste qui touche gravement ma famille et moi-même, et de vous demander respectueusement de prendre les mesures pour que votre bureau reconsidère la question et retire la note.
Veuillez croire, Monsieur, à l’expression de mes sentiments les plus distingués,
Giorgio Copello [Dossier de la demande, à la page 45.]
[17] Cette demande n’a pas donné lieu à une réunion avec le ministre et, le 24 août 1998, le demandeur a reçu la réponse suivante de M. Bowden, le chef adjoint du protocole :
[traduction]
Monsieur,
Votre lettre du 6 août 1998 adressée à M. Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères, m’a été transmise pour que j’y réponde.
Je ne suis pas en mesure de discuter du maintien de votre accréditation diplomatique au Canada, étant donné que cette question doit être déterminée entre l’État accréditant (Italie) et l’État accréditaire (le Canada) aux termes de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
Toutefois, je vous suggère de consulter votre ambassadeur pour connaître l’opinion du gouvernement de l’Italie sur cette question. [Dossier de la demande, à la page 46.]
[18] Le demandeur n’a pas réussi à obtenir une audience auprès du ministre ni à rencontrer les responsables du protocole. Le Ministère n’a aucune politique écrite concernant l’examen de la décision d’expulser un diplomate ou des circonstances associées à cette décision. (Référence : affidavit de William Bowden, dossier de la demande, aux pages 99 et 100.)
[19] Des lettres d’appui, en faveur du requérant, ont été rédigées par des membres du Comites Ciroscrizione Consolare Toronto et le Congresso Nazionale Degli Italo-Canadesi (Congrès national des Italo-canadiens) a écrit en son nom au ministre et au premier ministre, demandant que la décision de l’expulser soit réexaminée. (Dossier de la demande, aux pages 34 à 44.)
[20] Le 10 septembre 1998, l’ambassade d’Italie a fait parvenir une note diplomatique au Ministère, l’informant que le ministre des Affaires étrangères d’Italie avait rappelé le demandeur à Rome où il reprendrait ses fonctions le 15 septembre 1998. (Dossier de la demande, à la page 72.)
[21] Le demandeur a déposé la présente demande le 10 septembre 1998 et demandé une suspension de la décision l’obligeant à quitter le Canada au plus tard le 15 septembre 1998. Il a obtenu un sursis le 11 septembre 1998.
[22] Le demandeur a intenté des procédures en Italie pour faire cesser les démarches en vue de son rappel à Rome. Bien que le tribunal administratif régional lui ait au départ refusé une injonction, son appel au Conseil d’État a été accueilli. Aux termes d’un arrêté en date du 11 novembre 1998, le Conseil d’État a rendu une injonction en faveur du demandeur. (Dossier de la demande, aux pages 80 et 81.)
MOYENS DU DEMANDEUR
[23] Le demandeur fait valoir que la décision du ministre énoncée dans la note diplomatique XDC-2317 a été prise aux termes du paragraphe 4(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25(1)n)] de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, L.C. 1991, ch. 41, et ses modifications (la Loi). À ce titre, il s’agit d’une décision prise par un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, qui est susceptible de contrôle aux termes de l’alinéa 18(1)a) [mod., idem, art. 4] de cette Loi. À cet égard, il s’appuie sur la décision Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694 (C.A.).
[24] De toute façon, un ministre qui invoque un pouvoir qui découle de la prérogative royale reste assujetti à la supervision des tribunaux dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Le demandeur s’appuie sur la décision Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, [1985] 1 A.C. 374 (C.L.), à la page 418.
[25] Next, the applicant submits that the Minister’s actions in declaring a diplomat persona non grata do not constitute an exercise of the Crown’s prerogative. Where the Crown prerogative is replaced by statute, the Crown may no longer act pursuant to its prerogative but must act under the statutory conditions. If a prerogative power has been overtaken by a statutory power, then the exercise of that statutory power is subject to review.
[25] Ensuite, le demandeur fait valoir que la décision du ministre de déclarer un diplomate persona non grata ne constitue pas un exercice de la prérogative royale. Lorsque la prérogative royale est remplacée par une loi, la Couronne ne peut plus agir en vertu de sa prérogative, et elle doit se soumettre aux dispositions de la loi. Si un pouvoir en vertu de la prérogative a été supplanté par un pouvoir d’origine législative, alors l’exercice de ce pouvoir d’origine législative peut faire l’objet d’un contrôle.
[26] Le demandeur prétend que la demande l’obligeant à quitter le Canada équivaut à déclarer qu’il est persona non grata. L’article 9 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, [1966] R.T. Can. no 29 [reproduite à l’annexe I de la Loi] en vigueur depuis 1966, accorde à l’État accréditant le pouvoir discrétionnaire de déclarer qu’un diplomate étranger est persona non grata sans avoir à motiver cette décision.
[27] La Loi [article 3] incorpore les articles 1, 22 à 24 et 27 à 40 de la Convention de Vienne et donne à ces articles force de loi au Canada. L’article 9 de la Convention n’a pas été incorporé. Le demandeur prétend que si le législateur souhaitait priver les diplomates étrangers de la possibilité de contester les déclarations les désignant comme persona non grata, l’article 9 de la Convention aurait été incorporé dans la Loi. Il soutient que l’absence de cet article signifie que le Canada n’avait pas l’intention de priver les diplomates étrangers de cette possibilité.
[28] Troisièmement, le demandeur soutient qu’il ne s’est pas rendu coupable d’une conduite qui pourrait justifier son renvoi du Canada à titre de diplomate. En vertu de la Loi, les seules infractions envisagées sont celles qui ont trait aux fautes commises par les représentants dans le cadre d’une mission diplomatique, d’un poste consulaire ou à l’emploi d’un État étranger. Même en pareil cas, le consentement du procureur général du Canada est nécessaire pour engager des procédures contre une personne soupçonnée d’une telle infraction.
[29] Il prétend que l’article 9 de la Convention indique clairement qu’il n’est pas nécessaire de fournir de motif pour qu’une personne soit déclarée non grata et ensuite expulsée. Toutefois, il soutient qu’il est important de distinguer entre le fait que des motifs sont offerts à l’État accréditant, et l’existence réelle des motifs pour la déclaration et l’expulsion.
[30] Quatrièmement, le demandeur soutient qu’aucun obstacle juridique n’empêche un diplomate expulsé d’intenter une action dans le ressort de l’État accréditaire. Par analogie, il fait référence à l’article 32 de la Convention de Vienne qui indique clairement qu’un agent diplomatique qui engage une procédure juridique ne peut par la suite invoquer l’immunité de juridiction à l’égard de toute demande reconventionnelle directement liée à la demande principale.
[31] Il soutient également qu’il est bien établi dans la jurisprudence canadienne en matière de droits de la personne que tout être humain qui se trouve au Canada peut intenter une poursuite devant les tribunaux canadiens et, à cet égard, il s’appuie sur l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177. Par extension, il prétend que si un étranger bénéficie de tous les droits découlant de l’application régulière de la loi, ce droit limite dans les faits le pouvoir de l’État de l’expulser.
[32] Le demandeur fait ensuite valoir que la décision du ministre aurait dû se conformer aux principes de l’équité procédurale. Il soutient que si une décision touche de façon défavorable une personne, le décideur est tenu de respecter l’équité procédurale, comme en fait foi l’arrêt Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.), qui a été suivi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, à la page 623.
[33] Le demandeur fait valoir que l’obligation d’assurer l’équité procédurale s’accroît en fonction de la gravité des conséquences que la décision peut avoir. Les décisions qui ont un effet défavorable sur les moyens de subsistance et le potentiel de sources de revenu d’une personne doivent, à tout le moins, être prises équitablement.
[34] Le demandeur affirme que la demande présentée par le ministre des Affaires étrangères pour qu’il quitte le pays s’adressait précisément à lui. Toutefois, cette décision touchera également son épouse. La décision était finale en ce sens qu’elle entraînera inévitablement le rappel du demandeur par le gouvernement de l’Italie, ce qui aura des répercussions profondes sur ses moyens de subsistance, sa santé et ses sources de revenu.
[35] Le demandeur fait valoir qu’étant donné l’effet de la décision, l’équité procédurale exige qu’il puisse être entendu d’une façon ou d’une autre. La note diplomatique rédigée le 5 août 1998 offre, comme motif de l’expulsion, ce qui suit : [traduction] « les événements qui se sont produits à Vancouver et à Whitehorse et le fait que M. Copello semble envisager d’intenter des poursuites contre la plaignante de Whitehorse ».
[36] Le demandeur soutient qu’il n’a commis aucune infraction à Vancouver et que la police lui a présenté des excuses. Ces faits n’ont pas été pris en compte par le ministre et ce dernier n’a pas donné au demandeur la possibilité de lui présenter sa version des événements.
LES MOYENS DES DÉFENDEURS
[37] Les défendeurs font d’abord valoir que cette question ne peut être soumise à la compétence des tribunaux parce qu’il s’agit de l’exercice de la prérogative royale et d’une question de droit international, non pas interne. La conduite des relations diplomatiques est un exercice de la prérogative royale; voir à ce sujet Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753, à la page 877.
[38] Les défendeurs soutiennent que, même si les tribunaux ont le pouvoir de déterminer l’existence et l’étendue d’un pouvoir fondé sur la prérogative, historiquement, ils n’ont pas le pouvoir de réglementer l’exercice de ce pouvoir.
[39] Les défendeurs font référence au pouvoir de l’exécutif de conclure des traités et soutiennent que l’exercice de la prérogative royale de conclure ces traités ne relève pas de la compétence des tribunaux; voir Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 326 (C.P.), à la page 347; et Blackburn v. Attorney-General, [1971] 2 All ER 1380 (C.A.). En l’absence d’une mesure législative confirmant son application, un traité ne fait pas partie du régime juridique du Canada et les tribunaux ne peuvent le faire respecter; voir Francis v. The Queen, [1956] R.C.S. 618, à la page 621; et Renvoi : Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, à la page 432.
[40] Les défendeurs soutiennent que l’acceptation comme l’expulsion d’agents diplomatiques est un exercice de la prérogative, qui équivaut au pouvoir de conclure des traités et qui, de même, échappe au contrôle judiciaire.
[41] En outre, les défendeurs soutiennent que la présente affaire n’est pas un conflit justiciable au motif que la décision est une question de droit international et non interne. Dans l’arrêt Reference as to Powers to Levy Rates on Foreign Legations and High Commissioners’ Residences, [1943] R.C.S. 208, la Cour suprême du Canada a statué que les privilèges et immunités des diplomates reconnus par le droit international coutumier sont incorporés dans le droit national du Canada.
[42] En 1962, le Canada a signé la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. La Convention est entrée en vigueur au Canada en 1966. L’article 9 de la Convention codifie le droit international coutumier relatif à l’expulsion des agents diplomatiques jugés inacceptables par l’État accréditaire ou persona non grata.
[43] Les défendeurs notent que la Convention a été incorporée sous l’Annexe I de la Loi, mais que l’article 4 de la Convention concernant l’accréditation des chefs de mission, et l’article 9 concernant les expulsions, ne figurent pas à l’article 3 de la Loi comme ayant force de loi au Canada. Néanmoins, ces articles reflètent et réaffirment le droit international en vigueur, tel qu’il a été accepté par le Canada.
[44] Les défendeurs soutiennent que le législateur avait l’intention que l’objet de ces parties de la Convention, qui n’ont pas été adoptées par voie législative, continue d’être régi par les règles du droit international coutumier. Par conséquent, les accréditations tout comme les expulsions demeurent du domaine du droit international pur et ne sont pas des questions pouvant être débattues devant les tribunaux canadiens.
[45] Deuxièmement, les défendeurs font valoir que le demandeur n’a pas qualité pour demander le contrôle judiciaire d’une décision qui relève des relations entre États. À cet égard, ils font référence à la décision Rose v. The King, [1947] 3 D.L.R. 618 (B.R. Qué.), à la page 640.
[46] La décision contestée en l’espèce a été exprimée dans une note diplomatique qui est une communication entre États. La question de la demande de rappel du demandeur et le fait que la République italienne se soit conformée à cette demande est une question de relations entre États. Les défendeurs prétendent que le demandeur, en tant que membre rattaché à la mission, n’avait aucun statut ou privilège individuel, à l’exception de ceux qu’il a en sa capacité de représentant. Il n’y a pas de droits individuels dans le contexte d’un régime administratif canadien. Il n’y a pas de litige entre parties qui puisse être reconnu par un tribunal d’appel; voir l’arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 747.
[47] Les défendeurs prétendent que le demandeur peut se pourvoir devant les tribunaux de son propre pays concernant les questions qui touchent son statut individuel en tant que représentant de la République d’Italie. Le dossier indique qu’il l’a déjà fait. Son rappel relève du droit italien.
[48] Les défendeurs soutiennent que, contrairement aux prétentions du demandeur, sa simple présence physique au Canada ne lui donne pas le droit d’invoquer le droit canadien, étant donné que la présence d’un agent diplomatique dans un pays accréditaire est autorisée précisément en raison du statut qui le rattache à une mission diplomatique.
[49] Le troisième argument avancé par les défendeurs fait valoir que le ministre n’est pas un office fédéral, et que l’attribution de la responsabilité des relations internationales au ministre des Affaires étrangères reconnaît simplement le partage fonctionnel des responsabilités au sein du pouvoir exécutif, et ne constitue pas une dérogation à la prérogative. L’article 4 de la Loi énonce simplement les pouvoirs du ministre.
[50] Le ministre, en agissant par l’entremise de son bureau du protocole pour demander à un État étranger de rappeler un membre de sa mission, agit en vertu de la prérogative, et non pas en vertu d’un arrêté pris aux termes de cette prérogative. Dans ces circonstances, le Ministère n’est pas un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale, précitée. À cet égard, les défendeurs s’appuient sur la décision Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190 (C.F. 1re inst.); et Société Inuvialuit régionale c. Canada, [1992] 2 C.F. 502 (1re inst.). Par conséquent, la décision en l’espèce ne constitue pas l’exercice d’un pouvoir de décision d’origine législative, ni un arrêté pris en vertu de la prérogative.
[51] Subsidiairement, les défendeurs soutiennent que si la Cour devait conclure que la décision peut faire l’objet d’un contrôle, la norme de contrôle applicable consiste simplement à se demander s’il y a des conditions préalables à l’exercice du pouvoir de décision. La Cour doit ensuite décider si, d’après une interprétation correcte de la loi applicable, le législateur avait l’intention que le principe d’équité procédurale s’applique : voir Inuit Tapirisat, précité, à la page 748.
[52] Les défendeurs soutiennent que, d’après une interprétation correcte des pouvoirs du ministre aux termes de la Loi, il n’existe aucune obligation de recevoir des observations du diplomate touché, de lui accorder une audience, ou même d’accuser réception des observations. Les pouvoirs du ministre sont exercés dans le cadre du droit international. Sa responsabilité à l’égard des décisions prises concernant l’acceptabilité des agents diplomatiques est une question de réciprocité et de relations entre États.
[53] En conclusion, les défendeurs prétendent que la compétence de la Cour est limitée à l’examen de la nature de la prérogative et de ses conditions d’exercice, et que la demande devrait être rejetée.
QUESTIONS EN LITIGE
[54] Les questions suivantes découlent de la présente demande.
1. La Cour fédérale a-t-elle compétence pour entendre la présente demande de contrôle judiciaire?
2. Le demandeur a-t-il qualité pour demander un contrôle judiciaire?
3. Si la décision peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire, y a-t-il obligation de respecter le principe d’équité procédurale?
ANALYSE
[55] La présente demande a trait à une note diplomatique rédigée le 5 août 1998 et réclame une ordonnance annulant la décision du ministre par laquelle celui-ci demandait que le demandeur soit rappelé par le gouvernement italien.
[56] La première question à examiner est de savoir s’il s’agit d’un différend justiciable. En d’autres mots, la Cour a-t-elle compétence pour entendre la demande du demandeur et accorder le redressement recherché?
[57] Le demandeur fonde sa demande sur les paragraphes 2(1) et 18(1), et les articles 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], 18.2 [édicté, idem] et 28 [mod., idem, art. 8; 1992, ch. 33, art. 69; ch. 49, art. 128; 1993, ch. 34; art. 70; 1996, ch. 10, art. 229, ch. 23, art. 187; 1998, ch. 26, art. 73] de la Loi sur la Cour fédérale, précitée. Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes :
2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
[…]
« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.
[…]
18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour :
a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;
b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.
[…]
18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.
[…]
18.2 La Section de première instance peut, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu’elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.
[…]
28. (1) La Cour d’appel a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant les offices fédéraux suivants :
a) le conseil d’arbitrage constitué par la Loi sur les produits agricoles au Canada;
b) la commission de révision constituée par cette loi;
c) le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes constitué par la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes;
d) la Commission d’appel des pensions constituée par le Régime de pensions du Canada;
e) le Tribunal canadien du commerce extérieur constitué par la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;
f) l’Office national de l’énergie constitué par la Loi sur l’Office national de l’énergie;
h) le Conseil canadien des relations industrielles au sens du Code canadien du travail;
i) la Commission des relations de travail dans la fonction publique constituée par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique;
j) la Commission du droit d’auteur constituée par la Loi sur le droit d’auteur;
k) l’Office des transports du Canada constitué par la Loi sur les transports au Canada;
l) la Cour canadienne de l’impôt constituée par la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt;
m) les juges-arbitres nommés en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi;
n) le Tribunal de la concurrence constitué par la Loi sur le Tribunal de la concurrence;
o) les évaluateurs nommés en application de la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada;
p) le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs constitué par le paragraphe 10(1) de la Loi sur le statut de l’artiste.
(2) Les articles 18 à 18.5 s’appliquent, exception faite du paragraphe 18.4(2) et compte tenu des adaptations de circonstance, à la Cour d’appel comme si elle y était mentionnée lorsqu’elle est saisie en vertu du paragraphe (1) d’une demande de contrôle judiciaire.
(3) La Section de première instance ne peut être saisie des questions qui relèvent de la Cour d’appel.
[58] Il s’appuie également sur l’alinéa 4(1)c) de la Loi qui stipule comme suit :
4. (1) Le ministre des Affaires étrangères peut, par arrêté, afin d’assurer l’équivalence de traitement entre, d’une part, la mission diplomatique ou un poste consulaire canadiens dans un État étranger ou toute personne ayant un lien avec l’un ou l’autre et, d’autre part, les mission, poste ou personne correspondants de cet État étranger au Canada :
[…]
c) leur retirer, en tout ou en partie, ces privilèges, immunités ou avantages;
[59] Le demandeur allègue que la demande de rappel était une « décision » prise par le ministre aux termes des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi. À ce titre, la demande était le résultat de l’exercice par le ministre du pouvoir « prévu par une loi fédérale » et qu’elle peut donc faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Le demandeur s’appuie sur la décision dans Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), précitée, pour appuyer son argument selon lequel une décision prise dans l’exercice d’un pouvoir d’origine législative peut faire l’objet d’un contrôle, même si la décision est prise par le ministre.
[60] Historiquement, la portée de la prérogative royale comporte la délivrance et le refus de délivrer des passeports, l’octroi d’honneurs, la signature de traités, la conduite des affaires étrangères et le détachement des forces armées (voir Brown & Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (édition en feuilles mobiles, Toronto : Canvasback Publishing, 1998), à la page 13 :1110).
[61] La notion de prérogative royale a récemment été examinée par la Cour d’appel de l’Ontario dans Black v. Canada (Prime Minister) (2001), 54 O.R. (3d) 215, dans laquelle la Cour dit ceci aux paragraphes 25 et 26 :
[traduction] Pour remettre ces observations en contexte, j’examinerai brièvement la nature du pouvoir conféré en vertu de la prérogative royale. Selon le professeur Dicey, la prérogative royale est « le résidu d’un pouvoir discrétionnaire ou arbitraire qui, à quel que moment que ce soit, est laissé aux mains de la Couronne » : Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10e éd. (Londres : Macmillan, 1959) à la page 424. La définition large de Dicey a été explicitement adoptée par la Cour suprême du Canada et la Chambre des lords. Voir Reference re Effect of Exercise of Royal Prerogative of Mercy Upon Deportation Proceedings, [1933] R.C.S. 269, aux pages 272 et 273, 59 C.C.C. 301, et Attorney General c. DeKeyser’s Royal Hotel, [1920] A.C. 508, à la page 526, [1920] All E.R. Rep. 80 (H.L.). Voir également Peter Hogg et Patrick Monahan, Liability of the Crown, 3e éd. (Toronto : Carswell, 2000), à la page 15.
La prérogative est une branche de la common law parce que les décisions des tribunaux déterminent à la fois son existence et sa portée. En résumé, la prérogative se compose des « pouvoirs et privilèges accordés par la common law à la Couronne » : Peter Hogg, Constitutional Law in Canada, édition à feuilles mobiles (Toronto : Carswell, 1995), à 1.9. Voir également Proclamations Case (1611), 12 Co. Rep. 74, 77 E.R. 1352 (K.B.). La prérogative royale est passée de l’Angleterre au Commonwealth. Comme le professeur Cox le faisait récemment observer, « il est clair que les principales prérogatives s’appliquent dans tout le Commonwealth, et que cette application constitue une pure question de droit » : N. Cox, « The Dichotomy of Legal Theory and Political Reality : The Honours Prerogative and Imperial Unity », 14 Australian Journal of Law and Society (1998-99) 15, à la page 19.
[62] Généralement, l’exercice de la prérogative royale échappe au domaine du contrôle judiciaire. La Cour peut déterminer s’il existe un pouvoir en vertu de la prérogative et, dans l’affirmative, l’étendue de ce pouvoir et aussi déterminer s’il a été supplanté par une loi. Une fois qu’un tribunal a établi l’existence et l’étendue d’un pouvoir en vertu de la prérogative, il ne peut pas en contrôler l’exercice. Voir H. Woolf, De Smith, Woolf & Jowell’s Principles of Judicial Review, Londres : Sweet and Maxwell, 1999, à la page 175; et Attorney-General v. DeKeyser’s Royal Hotel, [1920] A.C. 508 (C.L.). Dans Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, la Cour suprême du Canada a statué que lorsque l’exercice de la prérogative royale porte atteinte aux droits d’un individu qui sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], alors l’exercice de ce pouvoir en vertu de la prérogative peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire.
[63] Dans l’arrêt Council of Civil Service Unions, précité, la Chambre des lords s’est dit d’avis que la question primordiale qu’il convient de poser pour déterminer si l’exercice d’un pouvoir en vertu de la prérogative peut être assujetti au contrôle judiciaire porte sur son objet et non sur sa source. Dans son allocution, lord Roskill dit ceci à la page 417 :
[traduction] Si l’exécutif, dans l’exercice d’un pouvoir d’origine législative, adopte une loi qui porte atteinte aux droits du citoyen, il va sans dire qu’en principe la manière dont ce pouvoir est exercé peut aujourd’hui être contestée pour l’un des trois motifs, ou même davantage, que j’ai déjà mentionnés plus tôt dans mon allocution. Si l’exécutif, au lieu d’agir en vertu d’un pouvoir prévu par la loi, agit en vertu d’une prérogative et, en particulier, une prérogative délégué aux défendeurs en vertu de l’article 4 de l’arrêté en conseil de 1982, et qu’il porte atteinte aux droits du citoyen, je suis incapable de concevoir, sous réserve de ce que je m’apprête à dire, qu’une quelconque raison logique, expliquant que la source du pouvoir est la prérogative et non la loi, puisse aujourd’hui priver le citoyen de ce droit de contester la manière dont le pouvoir est exercé, droit qu’il posséderait si la source du pouvoir était législative. Dans un cas comme dans l’autre, l’acte en question est l’acte de l’exécutif.
[64] Lord Diplock a également examiné la question et a dit ceci à la page 408 :
[traduction] Pour pouvoir faire l’objet d’un contrôle judiciaire, la décision doit avoir des conséquences qui touchent une personne (ou un groupe de personnes) autre que le décideur, bien qu’elle puisse aussi avoir des effets sur ce dernier. Elle doit toucher cette autre personne soit :
a) en portant atteinte à ses droits ou obligations qui peuvent être exercés par ou contre elle en droit privé; ou
b) en la privant de quelque avantage (i) que le décideur lui avait accordé dans le passé et qu’elle peut légitimement s’attendre à conserver jusqu’à ce qu’on lui communique des motifs rationnels pour le supprimer, motifs sur lesquels elle aura l’occasion de se prononcer; ou (ii) que le décideur lui a donné l’assurance [que l’avantage] ne lui sera pas retiré sans qu’elle ait d’abord l’occasion de fournir des raisons de prétendre que cet avantage ne devrait pas lui être retiré.
[65] Ce [traduction] « critère de l’objet » a été suivi par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Black, précité. Le juge Laskin, s’exprimant au nom de la Cour, a lié le critère de l’objet à l’idée d’assujettissement à la compétence des tribunaux et a poursuivi en disant ceci [aux paragraphes 50 et 51] :
[traduction] La notion d’assujettissement à la compétence des tribunaux a trait à l’opportunité pour les tribunaux de décider d’une question particulière, ou alors d’en déférer à d’autres instances décisionnelles comme le législateur […] Seuls ces exercices de la prérogative qui sont justiciables peuvent faire l’objet d’un contrôle. La Cour doit décider « si la question est de nature purement politique et devrait, par conséquent, être décidée devant une autre instance ou s’il y a un élément juridique suffisant pour justifier l’intervention du pouvoir judiciaire » : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (Colombie-Britannique), [1991] 2 R.C.S. 525, à la page 545, 58 B.C.L.R. (2d) 1.
En vertu du critère énoncé par la Chambre des lords, l’exercice de la prérogative sera justiciable, ou pourra être assujetti au processus judiciaire, si son objet porte atteinte aux droits ou aux attentes légitimes d’une personne. Lorsqu’il est porté atteinte aux droits ou aux attentes légitimes d’une personne, la Cour est à la fois compétente et qualifiée pour examiner judiciairement l’exercice de la prérogative.
[66] L’objet de la présente instance est la demande du ministre adressé à l’État d’origine, c’est-à-dire la République italienne, de rappeler le demandeur. Le demandeur ne doit sa présence au Canada qu’au fait de sa nomination en tant que membre du personnel de l’ambassade d’Italie. Il n’y a rien dans le dossier qui indique qu’il a un autre statut au Canada. La demande de rappel équivaut à une déclaration de persona non grata. La question est donc de savoir si cette demande a été présentée en vertu de l’exercice de la prérogative royale ou aux termes d’une loi nationale.
[67] Il est clair que le législateur peut déplacer l’exercice du pouvoir en vertu de la prérogative, en principe et aux termes de l’article 17 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, et ses modifications, qui stipule ce qui suit :
17. Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet sur ses droits et prérogatives.
[68] La Convention de Vienne, précitée, est un traité international concernant la nomination et le rappel des envoyés diplomatiques. Le préambule de la Convention est rédigé dans les termes suivants :
Les États Parties à la présente Convention,
Rappelant que, depuis une époque reculée, les peuples de tous les pays reconnaissent le statut des agents diplomatiques,
Conscients des buts et des principes de la Charte des Nations Unies concernant l’égalité souveraine des États, le maintien de la paix et de la sécurité internationales et le développement de relations amicales entre les nations,
Persuadés qu’une convention internationale sur les relations, privilèges et immunités diplomatiques contribuerait à favoriser les relations d’amitié entre les pays, quelle que soit la diversité de leurs régimes constitutionnels et sociaux,
Convaincus que le but desdits privilèges et immunités est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentant des États,
Affirmant que les règles du droit international coutumier doivent continuer à régir les questions qui n’ont pas été expressément réglées dans les dispositions de la présente Convention,
[69] Certaines parties de la Convention ont force de loi au Canada du fait de l’adoption de la Loi, c’est-à-dire plus précisément les articles 1, 22 à 24 et 27 à 40. La Loi ne dit rien de l’article 9 de la Convention qui accorde à l’État le droit de déclarer tout membre du personnel diplomatique d’un pays persona non grata, sans avoir à fournir d’explication. L’article 9 stipule ce qui suit :
Article 9
1. L’État accréditaire peut, à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, informer l’État accréditant que le chef ou tout autre membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grata ou que tout autre membre du personnel de la mission n’est pas acceptable. L’État accréditant rappellera alors la personne en cause ou mettra fin à ses fonctions auprès de la mission, selon le cas. Une personne peut être déclarée non grata ou non acceptable avant d’arriver sur le territoire de l’État accréditaire.
[70] Dans l’arrêt Operation Dismantle, précité, le juge Wilson dit ceci à la page 484 :
Un traité donc peut avoir force et effet internationalement sans mise en œuvre législative et, en l’absence de celle-ci, il ne fait pas partie du droit interne du Canada. Une loi n’est requise que si une modification quelconque du droit interne est nécessaire à sa mise en œuvre : voir R. St. J. Macdonald : « The Relationship between International Law and Domestic Law in Canada » dans Canadian Perspectives on International Law and Organization (1974), eds. Macdonald, Morris et Johnston, p. 88.
[71] En l’absence d’une application d’origine législative par le Canada, l’article 9 ne fait pas partie du droit interne. L’exclusion de cet article ne peut que signifier que le législateur avait l’intention que l’expulsion des diplomates demeure dans la sphère de la prérogative royale dans la conduite des affaires étrangères par le Canada, et échappe au contrôle judiciaire. À mon avis, une déclaration de persona non grata n’est pas une question juridique mais demeure dans l’arène politique. La décision n’est pas justiciable.
[72] La décision elle-même ne peut faire l’objet d’un contrôle et la Cour n’interviendra pas dans ce qui est essentiellement une question de prérogative. Je conclus que la Cour n’a pas compétence pour entendre cette demande et, pour cette raison, la demande doit être rejetée.
[73] Le demandeur fait valoir que, malgré l’omission de l’article 9, la Loi supplante la prérogative royale d’expulser un membre du personnel diplomatique sans fournir de motif. Il soutient que la Loi, plus particulièrement le paragraphe 4(1), limite l’expulsion d’un diplomate par le ministre aux situations énoncées dans cet article et à ces situations où le diplomate visé a commis une faute ou une infraction quelconque.
[74] Je n’accepte pas cette prétention. Le paragraphe 4(1) de la Loi est une déclaration de principe général. Il énonce simplement le pouvoir du ministre de contrôler la présence des envoyés étrangers au Canada. Il est compatible avec les principes coutumiers du droit international. Il n’accorde pas au demandeur de droit plus étendu que celui dont jouissent tous les membres de la communauté diplomatique assujettie au droit international.
[75] Bien que la présente demande doive être rejetée au motif que la décision à l’étude est une question de prérogative, je propose, toutefois, de traiter brièvement des questions connexes à la qualité pour agir du demandeur et à la question de savoir si l’obligation d’équité s’applique à son cas.
[76] Pour ce qui est de la qualité pour agir, il est reconnu que les diplomates ont toute liberté pour intenter une action devant les tribunaux civils ou administratifs. Toutefois, la décision en l’espèce a été exprimée dans une note diplomatique. Une note diplomatique n’est pas une « décision » mais plutôt une communication entre États. Voir Operation Dismantle, précité, à la page 485.
[77] La demande portait sur le rappel du demandeur par la République italienne. Bien que cette demande touche le demandeur, elle n’en reste pas moins une question de relations entre États. Le Canada a demandé à ce qu’il soit rappelé et le gouvernement italien a acquiescé à cette demande. Le demandeur était au Canada uniquement en tant que représentant et, à ce titre, il n’avait aucun statut indépendant. Il n’a donc pas la qualité nécessaire pour contester les mesures prises par le ministre.
[78] Finalement, le demandeur se plaint qu’il a été privé de la possibilité de présenter sa version des événements qui ont mené à la demande de rappel. Il prétend que ce refus équivaut à un manquement à l’obligation d’équité.
[79] À mon avis, cet argument ne peut être retenu. La déclaration de persona non grata n’est pas une fonction administrative exercée par le ministre aux termes de la Loi. Le demandeur avait la possibilité de présenter sa cause devant le gouvernement italien, avant que la note diplomatique en question soit envoyée. De même, il y a eu des discussions entre l’ambassadeur d’Italie et le chef du protocole, comme en font foi les notes du 22 avril 1998 et du 13 juillet 1998. La position du demandeur était représentée par le gouvernement italien.
[80] Comme il a été noté ci-dessus, il ne s’agit pas d’une décision administrative. Cela n’équivaut pas à une décision du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de prendre une mesure d’expulsion. Le demandeur n’est pas « expulsé » (deported). Il se trouvait au Canada uniquement en tant que représentant du gouvernement italien et bénéficiait de l’immunité et des privilèges diplomatiques qui sont attachés à ce poste. Le degré d’équité procédurale qui lui est dû dépend de la question de savoir s’il s’agit d’un droit ou d’un privilège qui est en cause. Il ressort clairement qu’en l’espèce il s’agit de la perte d’un privilège et non d’un droit.
[81] Dans les circonstances de cette affaire, je conclus qu’aucune obligation d’équité n’était due au demandeur et, par conséquent, qu’il n’y a pas eu de manquement à l’obligation d’agir équitablement.
[82] La demande est rejetée avec dépens à la charge des défendeurs.
ORDONNANCE
La demande est rejetée avec dépens à la charge des défendeurs.