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A-475-12

2014 CAF 143

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Spruce Credit Union (intimée)

Répertorié : Canada c. Spruce Credit Union

Cour d’appel fédérale, juges Dawson, Trudel et Near, J.C.A.—Vancouver, 11 décembre 2013; Ottawa, 30 mai 2014.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Dividendes — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) qui a accueilli l’appel interjeté par l’intimée de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) qui a refusé la déduction d’un dividende intersociétés, conformément à l’art. 112(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) — L’intimée, actionnaire de la Stabilization Central Credit Union of British Columbia (la STAB), avait demandé auprès de la STAB la déduction d’un dividende intersociétés, aux termes de l’art. 112(1) de la LIR — L’intimée a payé sa cotisation à la Credit Union Deposit Insurance Corporation (la CUDIC) et a demandé une déduction équivalente aux termes de l’art. 137.1(11) de la LIR — Le ministre avait refusé la déduction, après avoir conclu qu’il fallait inclure le dividende dans le revenu de l’intimée aux termes de l’art. 137.1(10)a) de la LIR ou, subsidiairement, que la disposition générale anti-évitement (la DGAE) s’appliquait et faisait obstacle à la déduction du dividende — La C.C.I. a conclu que ni l’art. 137.1(10) de la LIR, ni la DGAE, ne s’appliquaient de manière à faire obstacle à la déduction, que le montant du dividende n’avait pas été « proportionnel aux cotisations », qu’« une opération d’évitement » n’a pas été utilisée pour obtenir un avantage fiscal — Il s’agissait de savoir si la C.C.I. a mal interprété l’art. 137.1(10)a) de la LIR — La C.C.I. n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que l’art. 137.1(10)a) ne visait pas le dividende — Même si la C.C.I. avait commis une erreur, cette erreur n’aurait eu aucune importance puisque la conclusion de la C.C.I. selon laquelle le dividende a été versé proportionnellement au nombre d’actions détenues a été acceptée aux présentes — Le dividende n’est pas visé par l’art. 137.1(10)a) de la LIR, s’il a été versé proportionnellement au nombre d’actions détenues — Les mots « nombre d’actions détenues » et le mot « cotisations » ne sont pas des synonymes — La C.C.I. n’a pas commis d’erreurs manifestes et dominantes en concluant que la STAB a versé le dividende à chacun de ses actionnaires proportionnellement au nombre d’actions qu’ils détenaient — La C.C.I. n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’art. 245 de la LIR ou dans l’application de la DGAE aux faits de l’espèce — Appel rejeté.

Impôt sur le revenu — Évitement fiscal — La Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) a accueilli l’appel interjeté par l’intimée de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) qui a refusé la déduction d’un dividende intersociétés, conformément à l’art. 112(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) — L’intimée, actionnaire de la Stabilization Central Credit Union of British Columbia (la STAB), avait demandé auprès de la STAB la déduction d’un dividende intersociétés, aux termes de l’art. 112(1) de la LIR — L’intimée a payé sa cotisation à la Credit Union Deposit Insurance Corporation (la CUDIC) et a demandé une déduction équivalente aux termes de l’art. 137.1(11) de la LIR — Le ministre a conclu que la disposition générale anti-évitement (la DGAE) s’appliquait et faisait obstacle à la déduction du dividende par l’intimée — Il s’agissait de savoir si la C.C.I. a commis une erreur en concluant que la DGAE ne s’appliquait pas de manière à exclure, par l’intimée, la déduction du dividende aux termes de l’art. 112(1) de la LIR — La C.C.I. n’a pas commis d’erreur dans son interprétation de l’art. 245 de la LIR ou dans l’application de la DGAE aux faits de l’espèce — La C.C.I. a expliqué, à juste titre, que l’existence d’une autre opération possible n’était qu’un facteur parmi d’autres à prendre en compte pour rechercher si étaient réunies les conditions d’une opération d’évitement — La C.C.I. a relevé une autre opération qui aurait permis d’atteindre un résultat équivalent, mais n’aurait pas suffi pour démontrer l’existence d’une opération d’évitement — Si le recours possible à une autre opération aux conséquences fiscales plus importantes devait servir de critère décisif quant à l’existence d’une opération d’évitement, la jurisprudence Commissioners of Inland Revenue v. Duke of Westminster perdrait tout son sens — Le fait d’obtenir un avantage fiscal ne constitue pas nécessairement une opération d’évitement — Il n’existe aucune preuve que le recours au dividende était une opération effectuée à des fins principalement fiscales — Le dividende a été déclaré et versé de bonne foi ou pour de véritables objets non fiscaux.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) qui a accueilli l’appel interjeté par l’intimée de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) qui a refusé la déduction d’un dividende intersociétés, conformément au paragraphe 112(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR).

L’intimée, membre et actionnaire de la Stabilization Central Credit Union of British Columbia (la STAB), avait demandé auprès de la STAB la déduction d’un dividende intersociétés, aux termes du paragraphe 112(1) de LIR relativement à un dividende (le dividende B) qu’elle avait reçu de la Credit Union Deposit Insurance Corporation (la CUDIC). Pour ce qui est du contexte, afin de satisfaire aux obligations légales de la CUDIC, des fonds avaient été transférés de la STAB à la CUDIC pour éviter d’imposer un fardeau financier inutile aux caisses de crédit. La CUDIC a alors perçu des cotisations d’assurance-dépôts auprès des caisses de crédit. La STAB a déclaré le versement de deux dividendes à ses actionnaires, pour leur permettre d’acquitter la cotisation de la CUDIC. La STAB a prélevé le dividende B sur le total de son revenu de cotisation cumulatif. L’intimée a payé sa cotisation à la CUDIC et a demandé une déduction équivalente aux termes du paragraphe 137.1(11) de la LIR. Elle a également inclus les deux dividendes dans son revenu suivant l’alinéa 12(1)j) et s’est prévalue d’une déduction en application du paragraphe 112(1) de la LIR. Le ministre a autorisé la déduction d’un dividende, mais pas du dividende B, à titre de dividende intersociétés, après avoir conclu qu’il fallait inclure le dividende B dans le revenu de l’intimée aux termes de l’alinéa 137.1(10)a) de la LIR et faisait ainsi obstacle à la déduction demandée par l’intimée aux termes du paragraphe 112(1) de la LIR. Le ministre a conclu subsidiairement que la disposition générale anti-évitement (la DGAE) s’appliquait et empêchait l’intimée de déduire le dividende. La C.C.I. a accueilli l’appel de l’intimée, après avoir conclu que le dividende B donnait droit à la déduction pour dividende intersociétés prévue au paragraphe 112(1) de la LIR. La C.C.I. a conclu que ni le paragraphe 137.1(10) de la LIR, ni la DGAE, ne s’appliquaient de manière à faire obstacle à la déduction. La C.C.I. a expliqué que, pour que le paragraphe 137.1(10) s’applique, le montant du dividende payé par la STAB à l’intimée devait être « proportionnel aux cotisations » payées par l’intimée à la STAB. Il a expliqué en outre que la STAB avait versé les dividendes à chacun de ses membres proportionnellement au nombre d’actions qu’il détenait, et que ce nombre « était fonction de la taille de l’actif à court terme de chaque caisse de crédit membre ». La C.C.I. a ainsi conclu que la STAB n’avait pas versé les dividendes « proportionnellement aux [allocations] reçues » de ses membres. La C.C.I. a également rejeté la thèse subsidiaire portant que la DGAE excluait l’application du paragraphe 112(1) de la LIR, ayant conclu qu’il n’y avait pas eu d’« opération d’évitement » pour l’obtention de cet avantage fiscal.

Il s’agissait de savoir si la C.C.I. a mal interprété l’alinéa 137.1(10)a) de la LIR et si elle a appliqué le bon critère pour décider s’il existait une opération d’évitement, et qu’elle a donc conclu erronément que la DGAE ne s’appliquait pas de manière à exclure, par l’intimée, la déduction du dividende B aux termes du paragraphe 112(1) de la LIR.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La C.C.I. n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que l’alinéa 137.1(10)a) ne visait pas le dividende B. Il n’était pas nécessaire de rechercher en l’espèce si la C.C.I. a mal interprété les mots « allocations proportionnelles ». Le dividende B était manifestement, en fait et en droit, un dividende. Même si la C.C.I. avait mal interprété le mot « proportionnelles », cette erreur n’aurait eu aucune importance puisque la Cour a souscrit à la conclusion de la C.C.I. selon laquelle le dividende B a été versé proportionnellement au nombre d’actions détenues. En effet, si le dividende B a été versé proportionnellement au nombre d’actions détenues, il n’a pu être payé de manière « proportionnelle aux cotisations », et il ne serait manifestement pas visé par l’alinéa 137.1(10)a) de la LIR. Les mots « nombre d’actions détenues » et le mot « cotisations » ne sont pas des synonymes. La C.C.I. n’a pas commis d’erreurs manifestes et évidentes pour tirer la conclusion selon laquelle la STAB avait versé le dividende B à chacun de ses actionnaires proportionnellement au nombre d’actions qu’ils détenaient, et non en proportion des cotisations reçues de ses membres.

La C.C.I. n’a pas commis une erreur dans son interprétation de l’article 245 de la LIR ou dans l’application de la DGAE aux faits de l’espèce. La question était donc celle de savoir si la C.C.I. a commis une erreur en ne concluant pas à l’existence d’une opération d’évitement faisant jouer la DGAE. Le ministre a mal interprété la déclaration de la C.C.I. quant à l’opportunité d’une analyse comparative de l’opération choisie par le contribuable et d’autres structures possibles. La C.C.I. n’a pas conclu qu’il était totalement inapproprié, dans la recherche de l’existence d’une opération d’évitement, d’établir des comparaisons avec d’autres opérations que celle choisie. Elle a plutôt expliqué, à juste titre, que l’existence d’une autre opération possible n’était qu’un facteur parmi d’autres à prendre en compte pour rechercher si étaient réunies les conditions d’une opération d’évitement. Bien que relever une autre opération qui aurait permis d’atteindre un résultat équivalent puisse aider à établir l’existence d’un avantage fiscal au premier volet de l’analyse relative à la DGAE, une telle comparaison ne suffit pas pour démontrer l’existence d’une opération d’évitement. Si le recours possible à une autre opération aux conséquences fiscales plus importantes devait servir de critère décisif quant à l’existence d’une opération d’évitement, la jurisprudence Commissioners of Inland Revenue v. Duke of Westminster selon laquelle il est permis aux contribuables de faire des opérations qui leur feront payer moins d’impôt, perdrait tout son sens. Si les conséquences fiscales ont joué un rôle dans le choix de l’opération, il ne s’ensuit pas nécessairement que son objet principal était d’obtenir un avantage fiscal et qu’il s’agissait d’une opération d’évitement. L’appelante n’a pas établi l’existence d’une erreur manifeste ou dominante. La preuve n’a pas établi que le recours au dividende B était une opération effectuée à des fins principalement fiscales. Les éléments de preuve vont plutôt dans le sens de la conclusion selon laquelle on a principalement déclaré et versé le dividende B de bonne foi ou pour de véritables objets non fiscaux.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Credit Union Incorporation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 82, art. 85(2).

Financial Institutions Act, R.S.B.C. 1996, ch. 141, art. 261.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 12(1)j), 112, 137.1, 245.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Commissioners of Inland Revenue v. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1 (H.L.); Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721.

décisions examinées :

Civil Service Co-operative Credit Society, Ltd. c. Canada, [2001] A.C.I. no 515 (QL); Consumers’ Co-operative Refineries Ltd. c. Canada, [1987] A.C.F. no 931 (C.A.) (QL); Canada c. Landrus, 2009 CAF 113.

décisions citées :

65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804; MacKay c. Canada, 2008 CAF 105, [2008] 4 R.C.F. 616; 1207192 Ontario Limited c. Canada, 2012 CAF 259.

DOCTRINE CITÉE

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.

appel à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2012 CCI 357) qui a accueilli l’appel interjeté par l’intimée de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national qui a refusé la déduction d’un dividende intersociétés, conformément au paragraphe 112(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Robert Carvalho, Bruce Senkpiel et David Everett pour l’appelante.

Robert Kopstein, Peter Rubin et Edward Rowe pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Blake, Cassels & Graydon LLP, Vancouver, pour l’intimée.

Table des matières

                                                                                                                                     Paragraphe

I.          Vue d’ensemble                                                                                                1

A. Faits                                                                                                                     6

B. Nouvelle cotisation du ministre                                                                        22

C. Décision de la Cour de l’impôt                                                                       30

D. Analyse                                                                                                        39

1)      Questions en litige et norme de contrôle                                                   39

2)      Première question – Dividende B et l’article 137.1 de la LIR                   43

3)      Deuxième question – La DGAE                                                               52

II.         Décision proposée                                                                                               66

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

La juge Trudel, J.C.A. :

I.          Vue d’ensemble

[1]        La Cour est saisie de l’appel d’une décision par laquelle un juge de la Cour canadienne de l’impôt (le juge) a accueilli l’appel interjeté par Spruce Credit Union (Spruce ou l’intimée) de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) à l’égard de son année d’imposition se terminant le 31 décembre 2005 (2012 CCI 357 (les motifs)).

[2]        Spruce avait demandé la déduction d’un dividende intersociétés, aux termes du paragraphe 112(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la LIR), relativement à un dividende (le dividende B) reçu d’une compagnie d’assurance-dépôts au cours de l’année d’imposition 2005. Le ministre avait refusé la déduction, après avoir conclu qu’il fallait inclure le dividende B dans le revenu de Spruce aux termes de l’alinéa 137.1(10)a) de la LIR ou, subsidiairement, que la disposition générale anti-évitement (la DGAE) s’appliquait et faisait obstacle à la déduction du dividende.

[3]        Par une décision datée du 15 octobre 2012, le juge a accueilli l’appel de Spruce avec dépens, après avoir conclu que le dividende B donnait droit à la déduction pour dividende intersociétés prévue au paragraphe 112(1) de la LIR. Sa Majesté la Reine (l’appelante) a ensuite interjeté de cette décision le présent appel devant notre Cour.

[4]        Une quarantaine d’autres caisses de crédit de la Colombie-Britannique ayant interjeté appel ou fait opposition, dans des affaires de même nature que celle des parties en l’espèce, sont intéressées par l’issue du présent appel et ont convenu d’être liées par son issue définitive (motifs, au paragraphe 1).

[5]        Après avoir examiné avec soin le dossier ainsi que les observations écrites et orales des parties, je propose que l’appel soit rejeté. Le juge n’a commis aucune erreur qui appellerait l’intervention de notre Cour. Spruce n’était pas tenue d’inclure le dividende B dans son revenu en vertu de l’alinéa 137.1(10)a) de la LIR, et la DGAE ne s’applique pas. Par conséquent, Spruce peut déduire le dividende B de son revenu en vertu du paragraphe 112(1) de la LIR.

A.    Faits

[6]        Pour bien comprendre le différend opposant les parties, il faut d’abord exposer les circonstances qui ont conduit à la distribution du dividende B.

[7]        Depuis 1989, la Credit Union Deposit Insurance Corporation (la CUDIC) et la Stabilization Central Credit Union of British Columbia (la STAB) sont chargés d’assurer les dépôts des caisses de crédit de la Colombie-Britannique qui en sont membres. Il n’est pas controversé entre les parties que tant la CUDIC que la STAB sont des « compagnies d’assurance-dépôts » aux fins de la LIR.

[8]        La CUDIC est une société canadienne imposable contrôlée et exploitée par la Financial Institutions Commission (la Commission), un organisme du gouvernement de la Colombie-Britannique. La CUDIC protège les consommateurs contre les pertes qu’ils pourraient subir à l’égard de leurs dépôts et de leurs actions non-participatives. La Financial Institutions Act, R.S.B.C. 1996, ch. 141 (la FIA) de la Colombie-Britannique exige que la CUDIC tienne un fonds d’assurance-dépôts garantissant les dépôts et les actions non-participatives en cas de défaillance ou de défaut d’une caisse de crédit.

[9]        La STAB, aussi une société canadienne imposable, est une caisse de crédit centrale assujettie à la Credit Union Incorporation Act, R.S.B.C. 1996, ch. 82 (la CUIA) de la Colombie-Britannique, ainsi qu’un organisme de stabilisation désigné aux termes de la FIA. Elle est tenue de superviser les caisses de crédit, une mission que lui délègue la Commission, afin d’assurer la stabilité des caisses et éviter les retraits massifs, les défaillances ou les défauts. Chaque caisse de crédit de la Colombie-Britannique doit être membre de la STAB et détenir les actions de catégorie A que détermine le conseil d’administration de celle-ci.

[10]      En 2005, 54 caisses de crédit de la Colombie-Britannique, dont Spruce, étaient membres et actionnaires de la STAB. Les actions de la STAB étaient des actions participatives aux termes du paragraphe 85(2) de la CUIA et des actions avec privilège entier de participation quant au versement de dividendes et au partage des biens en cas de liquidation de la STAB (exposé conjoint partiel des faits, dossier d’appel, vol. 7, onglet 8, aux pages 000980 et 000981). La part proportionnelle des cotisations annuelles de la STAB de chaque caisse de crédit changeait chaque année en fonction du rendement relatif ainsi que de la consolidation du secteur. À l’occasion, en outre, la STAB rééquilibrait le nombre d’actions détenues par ses membres afin qu’il corresponde à la taille relative de ces derniers à ce moment-là.

[11]      La CUDIC et la STAB étaient principalement financées par les cotisations que leur versaient les caisses de crédit de la Colombie-Britannique. Les cotisations de la CUDIC étaient perçues de temps à autre en fonction de la taille des comptes de dépôt tenus et des actions non-participatives émises par chaque caisse de crédit, alors que celles de la STAB l’étaient en fonction de la taille de l’actif de chaque caisse de crédit. Entre 1989 et la fin de 2002, la STAB avait perçu un montant total de cotisations d’environ 82 900 000 $ auprès des caisses de crédit de la Colombie-Britannique, dont la somme de 205 493 $ payée par la Spruce Credit Union.

[12]      Suivant l’article 261 de la FIA, la CUDIC était seule chargée d’administrer et de gérer le fonds d’assurance-dépôts prévu par la loi. De 1989 à 2005, toutefois, la CUDIC et la STAB ont ensemble tenu le fonds et perçu les cotisations connexes, à la connaissance et du consentement de la Commission. En 1991, la CUDIC et la STAB ont convenu de détenir le fonds à parts égales. Les années suivantes, les cotisations annuelles de la STAB et de la CUDIC ont fait l’objet de discussions et ont été coordonnées. Certaines années, la CUDIC et la STAB percevaient toutes deux des cotisations auprès des caisses de crédit de la Colombie-Britannique; d’autres années, seule la CUDIC percevait des cotisations, et non la STAB.

[13]      En avril 1997, puis de nouveau en juin 2002, la STAB et la CUDIC ont signé des conventions de protection des dépôts, aux termes desquelles la STAB s’engageait à mettre une partie de son fonds d’assurance-dépôts à la disposition de la CUDIC si celle-ci devait manquer de ressources financières pour s’acquitter de ses obligations légales de rembourser les dépôts garantis auprès d’une caisse de crédit ou les actions non participatives d’une caisse de crédit (dossier d’appel, vol. 2, onglet 4, à la page 000087; onglet 18, à la page 000140). Plus particulièrement, ces conventions, ainsi que les conventions connexes relatives aux cotisations et aux remboursements pour la protection des dépôts, prévoyaient que, si le niveau de l’avoir de la CUDIC devenait inférieur à 0,30 p. 100 des dépôts auprès des caisses de crédit et des actions non-participatives des caisses de crédit (mises à part les caisses de crédit centrales), la STAB apporterait son concours financier afin de regarnir à hauteur de ce 0,30 p. 100 le fonds de la CUDIC avant que celle-ci n’ait à demander des cotisations aux caisses de crédit.

[14]      En 2003, la Commission a décidé qu’il fallait que la CUDIC, pour satisfaire à ses obligations légales, exerce le contrôle exclusif sur 85 points de base (ou 0,85 p. 100) du fonds d’assurance-dépôts. Ce pourcentage correspondait à près du double du montant du fonds dont la CUDIC disposait à ce moment-là. Il a été reconnu que, pour satisfaire à cette obligation, on devait transférer des fonds de la STAB à la CUDIC, soit directement, soit indirectement, si l’on voulait éviter d’imposer un fardeau financier inutile aux caisses de crédit.

[15]      La Commission, la CUDIC, la STAB et un comité mixte ont envisagé le transfert direct de fonds de la STAB à la CUDIC. Toutefois, la CUDIC n’exerçait aucun contrôle sur la STAB et n’avait aucun droit légitime relativement à ses éléments d’actif. À son tour, la CUDIC n’étant ni actionnaire ni membre de la STAB, celle-ci n’était aucunement obligée de transférer ses éléments d’actif à la CUDIC, sauf en ce qui concerne l’engagement pris par elle par les conventions de protection des dépôts. Vraisemblablement, le transfert direct aurait pu être fait avec l’accord de la CUDIC et de la STAB, ainsi que de leurs membres, ou si le gouvernement de la Colombie-Britannique avait présenté un projet de loi en ce sens. Cela ne s’est toutefois pas produit. En outre, le transfert direct entre la STAB et la CUDIC, deux compagnies d’assurance-dépôts sous le régime de la LIR, aurait eu d’importantes répercussions fiscales pour la CUDIC, qui aurait dû acquitter l’essentiel de la dette fiscale résultant du transfert d’environ 83 millions de dollars. Une fois l’impôt à payer soustrait de cette somme, il était très probable que la CUDIC aurait toujours moins que les 85 points de base requis, ce qui l’aurait obligée à imposer à nouveau des cotisations à Spruce et aux autres caisses de crédit.

[16]      Ils ont également envisagé un transfert indirect de fonds de la STAB à la CUDIC, et finalement opté pour cette solution. Si la loi n’accordait pas à la CUDIC le pouvoir d’imposer des cotisations à la STAB, il lui était permis d’imposer d’autres cotisations aux caisses de crédit de la Colombie-Britannique. La STAB avait le pouvoir, à son tour, de procéder à des distributions en faveur de ses caisses de crédit membres — par voie de dividendes ou de remboursement de primes.

[17]      Lorsqu’il est devenu évident que la CUDIC imposerait aux caisses de crédit des cotisations correspondant au montant requis, la STAB a commencé à rechercher de quelle manière elle pourrait réduire son fonds de protection des dépôts du montant approprié et quelle serait la meilleure formule pour avancer cet argent aux caisses de crédit pour leur permettre de payer les cotisations nouvelles de la CUDIC.

[18]      Le 8 septembre 2005, le conseil d’administration de la CUDIC a adopté une résolution en vue de percevoir des cotisations d’assurance-dépôts auprès des caisses de crédit et de satisfaire ainsi à ses nouvelles obligations légales (dossier d’appel, vol. 4, onglet 68, à la page 000463). Spruce s’est vu imposer une cotisation de 198 859,34 $.

[19]      Le 21 septembre 2005, le conseil d’administration de la STAB a déclaré le versement de deux dividendes à ses actionnaires, pour leur permettre d’acquitter la cotisation de la CUDIC (dossier d’appel, vol. 4, onglet 76, à la page 000482). Une imputation a été faite sur le compte des bénéfices non répartis de la STAB, constitué des revenus bruts générés par ses placements au fil des ans et par les cotisations versées par ses membres. La STAB a prélevé le dividende A sur le total de son revenu de placement cumulatif, et le dividende B sur le total de son revenu de cotisation cumulatif. La STAB a versé à ses actionnaires un montant total de dividendes de 83 131 145 $. Spruce a reçu un dividende A de 78 557 $ et un dividende B de 114 466 $, soit un montant total de dividendes de 193 023 $.

[20]      Spruce a payé sa cotisation à la CUDIC et a demandé une déduction équivalente aux termes du paragraphe 137.1(11) de la LIR. Par ailleurs, aux fins du calcul de son revenu imposable pour l’année d’imposition 2005, Spruce a inclus les deux dividendes dans son revenu suivant l’alinéa 12(1)j) et s’est prévalue, pour eux, d’une déduction en application du paragraphe 112(1) de la LIR.

[21]      La déduction dite « pour dividendes intersociétés », prévue au paragraphe 112(1), autorise la société qui a reçu un dividende imposable d’une société canadienne imposable au cours d’une année d’imposition à déduire de son revenu, dans le calcul de son revenu imposable pour l’année, une somme égale à ce dividende :

112. (1) Lorsqu’une société a reçu au cours d’une année d’imposition, un dividende imposable :

a) soit d’une société canadienne imposable;

b) soit d’une société résidant au Canada (autre qu’une société de placement appartenant à des non-résidents et une société exonérée d’impôt en vertu de la présente partie) et dont elle a le contrôle,

une somme égale au dividende peut être déduite du revenu pour l’année de la société qui le reçoit, dans le calcul de son revenu imposable.

Déduction des dividendes imposables reçus par une société résidant au Canada

B.    Nouvelle cotisation du ministre

[22]      Le 16 mars 2009, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour Spruce, par laquelle il autorisait la déduction du dividende A, mais pas du dividende B, à titre de dividende intersociétés.

[23]      Le ministre a conclu que le paragraphe 137.1(10) de la LIR s’appliquait au dividende B et faisait ainsi obstacle à la déduction demandée par Spruce aux termes du paragraphe 112(1) de la LIR. L’alinéa 137.1(10)a) de la LIR dispose, de concert avec l’alinéa 137.1(4)c) et le paragraphe 137.1(2), que le contribuable qui est une institution membre doit inclure dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition tout montant reçu au cours de l’année d’une compagnie d’assurance-dépôts à titre d’allocation proportionnelle à toute prime ou cotisation versée par l’institution membre à la compagnie d’assurance-dépôts au cours de l’année d’imposition. Selon le paragraphe 137.1(5), l’ « institution membre » est une caisse de crédit qui remplit les conditions requises pour obtenir une aide d’une compagnie d’assurance-dépôts ou une société dont le passif afférent aux dépôts est assuré par une compagnie d’assurance-dépôts.

[24]      Les dispositions pertinentes de la LIR sont les suivantes :

137.1 […]

(2) Les sommes ci-après ne sont pas à inclure dans le calcul du revenu d’une compagnie d’assurance-dépôts pour une année d’imposition :

a) toute prime ou cotisation reçue ou à recevoir par elle au cours de l’année de ses institutions membres;

b) toute somme reçue par elle, au cours de l’année, d’une autre compagnie d’assurance-dépôts dans la mesure où il est raisonnable de considérer qu’elle a été payée sur des sommes visées à l’alinéa a) que l’autre compagnie a reçues au cours d’une année d’imposition.

[…]

Sommes exclues du revenu

(4) Aucune déduction ne peut être faite, dans le calcul du revenu, pour une année d’imposition, d’un contribuable qui est une compagnie d’assurance-dépôts, à l’égard :

[…]

c) de tout montant versé à ses institutions membres à titre d’allocations proportionnelles aux montants visés au paragraphe (2);

[…]

Restrictions

(10) Le contribuable qui est une institution membre au cours d’une année d’imposition doit inclure dans le calcul de son revenu pour cette année le total des montants suivants :

a) tout montant visé à l’un des alinéas (4)a) à c) et qu’il a reçu au cours de l’année d’une compagnie d’assurance-dépôts, dans la mesure où il n’a pas remboursé ce montant à la compagnie au cours de l’année;

Sommes versées par une compagnie d’assurance-dépôts

[25]      Le ministre a conclu subsidiairement que le paragraphe 245(2) de la LIR, la DGAE, s’appliquait et empêchait de déduire le dividende B suivant le paragraphe 112(1) de la LIR. Selon l’article 245, en cas d’opération d’évitement — c.-à-d. s’il s’agit d’une opération dont l’objet principal est l’obtention d’un avantage fiscal —, l’avantage fiscal qui en résulte est supprimé, à moins qu’il n’en découle pas un abus dans l’application des dispositions de la LIR.

[26]      Voici les dispositions législatives applicables :

PARTIE XVI

ÉVITEMENT FISCAL

245. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

Définitions

« attribut fiscal » S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

« attribut fiscal » “tax consequences

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal.

« avantage fiscal » “tax benefit

« opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

« opération » “transaction

(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

Disposition générale anti-évitement

(3) L’opération d’évitement s’entend :

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

Opération d’évitement

(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

(i) la présente loi,

[…]

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

Application du par. (2)

[27]      En établissant la nouvelle cotisation de Spruce, le ministre a tenu pour acquis que la déclaration et le versement du dividende B s’inscrivaient dans une série d’opérations ayant permis à l’intimée d’obtenir un avantage fiscal et que les opérations n’avaient pas été effectuées principalement pour un objet véritable, autre que la volonté d’éviter ou de réduire l’impôt sur le revenu. Plus particulièrement, le ministre a tenu pour acquis qu’on avait visé avec ces « opérations d’évitement » à éviter l’application de l’alinéa 137.1(10)a) de la LIR et à obtenir une deuxième déduction à l’égard de montants déjà déduits à titre de primes d’assurance-dépôts au cours d’années antérieures à 2005. En outre, selon le ministre, il était [traduction] « raisonnable de considérer que [les opérations] avaient entraîné, directement ou indirectement, un abus dans l’application des articles 112 et 137.1 de la [LIR] » ou de la LIR dans son ensemble (dossier d’appel, vol. 1, onglet 4, à la page 000061; les lettres des avocats de l’appelante confirment que ces opérations sont considérées être la série d’opérations aux fins de la DGAE, dossier d’appel, vol. 7, onglet B, à la page 001049).

[28]      Le ministre a, par conséquent, conclu que les critères imposés par l’alinéa 137.1(10)a) de la LIR et de la DGAE étaient réunis, et que Spruce ne pouvait donc déduire le dividende B de son revenu en vertu du paragraphe 112(1) de la LIR.

[29]      Spruce a interjeté appel de la nouvelle cotisation du ministre devant la Cour canadienne de l’impôt.

C.   Décision de la Cour de l’impôt

[30]      Le juge a accueilli l’appel de Spruce, par une décision s’appuyant sur des motifs étoffés. Il a conclu que ni le paragraphe 137.1(10) de la LIR, ni la DGAE, ne s’appliquaient de manière à faire obstacle à la déduction. Il a plutôt conclu que toutes les exigences que comporte le paragraphe 112(1) de la LIR pour la déduction d’un dividende intersociétés étaient réunies (motifs, au paragraphe 41).

[31]      Le juge a expliqué que, pour que le paragraphe 137.1(10) s’applique, le montant du dividende payé par la STAB à Spruce devait être « proportionnel aux cotisations » payées par Spruce à la STAB. Il a précisé qu’une « proportion est un rapport comparatif, c’est-à-dire une partie considérée par rapport à un tout » et que « [p]our que deux choses soient proportionnelles l’une à l’autre, il faut qu’il y ait une égalité de rapports » (motifs, au paragraphe 49). En d’autres termes, le juge recherchait l’équivalence mathématique. En l’espèce, l’apport de Spruce correspondait à 0,26 p. 100 du montant total des cotisations de la STAB, tandis que les cotisations restituées à Spruce correspondaient à 0,23 p. 100 de son apport à ce montant. Comme les montants en cause ne constituaient pas des pourcentages équivalents, ils n’étaient pas « proportionnels » et ainsi, selon le juge, ils ne satisfaisaient pas aux exigences de l’alinéa 137.1(10)a).

[32]      Le juge a conclu que les éléments de preuve qui lui avaient été produits n’allaient pas dans le sens de la thèse de la Couronne selon lequel le paragraphe 137.1(10) s’appliquait et excluait la déduction du dividende B. Il a expliqué que la STAB avait versé les dividendes à chacun de ses membres proportionnellement au nombre d’actions qu’il détenait, et que ce nombre « était fonction de la taille de l’actif à court terme de chaque caisse de crédit membre (et ce nombre avait été récemment rééquilibré en vue de refléter la taille de cet actif) » (motifs, au paragraphe 47). Le juge a ainsi conclu [au paragraphe 48] que la STAB n’avait pas versé les dividendes « proportionnellement aux [allocations] reçues » de ses membres, étant donné que « [l]a taille relative de l’actif à court terme était différente du total cumulatif relatif des cotisations payées pour un certain nombre de raisons, les plus évidentes étant des taux de cotisation annuels différents, un rendement relatif annuel différent, ainsi qu’une consolidation et d’autres changements intervenus dans le secteur ». En conséquence, le juge a conclu qu’il n’avait pas à décider si les montants de dividende étaient, ou non, des « allocations », ni à examiner si l’article 137.1 était un « code complet qui régit les montants payés à titre d’allocations proportionnelles aux cotisations reçues » (motifs, aux paragraphes 52 et 53).

[33]      Le juge a également rejeté la thèse subsidiaire portant que la DGAE excluait l’application du paragraphe 112(1) de la LIR. Après examen approfondi du cadre juridique de la DGAE, il a précisé que pour que celle-ci s’applique, trois critères fondamentaux devaient être réunis : 1) il doit y avoir eu un avantage fiscal; 2) l’opération ayant donné lieu à l’avantage fiscal doit avoir été une opération d’évitement; 3) l’opération d’évitement doit avoir été abusive. Ayant souligné que Spruce avait concédé avoir tiré un avantage fiscal de la déduction pour dividendes intersociétés visée au paragraphe 112(1), le juge a conclu que le premier critère était rempli. Toutefois, contrairement au ministre, il a conclu qu’il n’y avait pas eu « opération d’évitement » pour l’obtention de cet avantage fiscal.

[34]      Le juge a expliqué que, pour être qualifiée d’« opération d’évitement », l’opération doit principalement avoir été effectuée à des fins fiscales. Or il a conclu, au vu des éléments de preuve qu’on lui avait produits, que la STAB avait versé des dividendes à ses caisses de crédit membres pour leur permettre de payer la cotisation extraordinaire de la CUDIC, et afin de réduire son propre fonds de stabilisation et de protection des dépôts. Le juge a conclu qu’il s’agissait manifestement là d’un objet non-fiscal véritable ou de bonne foi, et a fait observer que la Couronne avait reconnu l’existence « d’un [traduction]  “objectif non-fiscal général consistant à transférer des fonds de la STAB à la CUDIC” » (motifs, au paragraphe 91).

[35]      Le juge a en outre conclu que la décision de procéder à la distribution par le versement de dividendes plutôt que par la restitution de cotisations ne constituait pas une opération, même compte tenu de la définition inclusive et élargie de l’opération figurant au paragraphe 245(1) de la LIR (motifs, au paragraphe 100). Il a fait remarquer que « [l]’acte consistant à faire un choix parmi un éventail de structures ou d’opérations disponibles en vue d’accomplir un objet non fiscal, en se fondant en tout ou en partie sur les résultats fiscaux différents de chacune, n’est pas une opération » (motifs, au paragraphe 93). En choisissant le mode de transfert de fonds permettant aux caisses de crédit membres de payer le moins d’impôt possible, la STAB a pris une décision concordant avec l’enseignement consacré par la jurisprudence Duke of Westminster [Commissioners of Inland Revenue v. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1 (H.L)] — les contribuables sont en droit d’opter pour les avenues propres à réduire leur obligation fiscale —, et elle n’a pas effectué une opération d’évitement. Le juge a formulé ces observations en réponse à l’hypothèse du ministre selon laquelle la première étape de la série d’opérations présumée était [traduction] « la décision de [la STAB] de restituer des primes à ses caisses de crédit membres sous forme de dividendes » (réponse du ministre devant la Cour canadienne de l’impôt, dossier d’appel 1, onglet 4, à la page 000060).

[36]      Le juge n’a pu relever une étape ou une opération qui n’avait pas été exécutée pour un objet principalement non-fiscal, et qui aurait ainsi fait jouer la DGAE (motifs, au paragraphe 101). Il a en particulier souligné que, le fait pour la STAB d’avoir scindé les dividendes en deux, le dividende A et le dividende B, et d’avoir rééquilibré le nombre d’actions détenues par ses membres en 2005 n’avait pas modifié les conséquences fiscales du dividende B. Cette scission a simplement procuré à Spruce et aux autres caisses de crédit la possibilité d’éviter un contentieux avec l’ARC et de déclarer, à leur gré, le dividende B dans leur revenu, tandis qu’on procédait au rééquilibrage de manière « périodique, […] pour faire en sorte que les actions détenues par les caisses de crédit correspondent à la taille relative de leur actif à court terme » (motifs, au paragraphe 102).

[37]      Le juge a conclu qu’à défaut d’avoir conclu à l’existence d’une opération d’évitement, il n’avait pas à se pencher sur le troisième volet de l’analyse relative à la DGAE et à rechercher si la déduction avait donné lieu à un abus des articles 137.1 ou 112 de la LIR.

[38]      La Couronne interjette maintenant appel de la décision du juge devant la Cour.

D.   Analyse

1) Questions en litige et norme de contrôle

[39]      L’appelante soulève deux moyens d’appel. Premièrement, elle soutient que le juge a mal interprété l’alinéa 137.1(10)a) de la LIR, et qu’il a donc conclu à tort que l’intimée n’avait pas à inclure le dividende B dans son revenu en vertu de cette disposition. Deuxièmement, elle soutient que le juge n’a pas appliqué le bon critère pour décider s’il existait une opération d’évitement, et qu’il a donc conclu erronément que la DGAE ne s’appliquait pas de manière à exclure, par l’intimée, la déduction du dividende B aux termes du paragraphe 112(1) de la LIR.

[40]      Il convient de souligner qu’à l’audience, l’appelante a précisé qu’elle n’attaquait aucune conclusion de fait tirée par le juge.

[41]      Les erreurs alléguées sont assujetties à la norme de contrôle consacrée par la jurisprudence Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen). Les questions de droit appellent la norme de la décision correcte. Les questions de fait ou mixtes de fait et de droit ne sont susceptibles de contrôle qu’en cas d’erreur manifeste et dominante, à moins qu’elles ne contiennent une question de droit isolable, auquel cas la norme de la décision correcte lui est applicable (Housen, aux paragraphes 8, 10 et 26).

[42]      Par les motifs qui suivent, j’estime que le juge n’a commis aucune erreur de droit justifiant l’intervention de notre Cour, ou encore qu’il n’a commis aucune erreur manifeste et dominante lorsqu’il a appliqué le droit aux faits de l’espèce.

2) Première question – Dividende B et l’article 137.1 de la LIR

[43]      Il découle des dispositions des alinéas 137.1(10)a) et 137.1(4)c) et du paragraphe 137.1(2), dans leur ensemble, que lorsque le contribuable est une institution membre, il doit inclure dans son revenu pour une année d’imposition donnée tout montant reçu cette année-là d’une compagnie d’assurance-dépôts à titre d’allocation proportionnelle aux primes ou aux cotisations payées pendant l’année par l’institution membre à la compagnie d’assurance-dépôts. À titre corollaire, lorsque l’institution membre paie des primes ou des cotisations à une compagnie d’assurance-dépôts, elle a le droit de déduire les montants ainsi versés de son revenu en vertu de l’alinéa 137.1(11)a). Autrement dit, si Spruce avait payé des primes ou des cotisations à la STAB pendant une année d’imposition, ce paiement lui aurait donné droit à une déduction. Si par la suite la STAB devait verser à Spruce des allocations proportionnelles à ces primes ou cotisations, Spruce devait inclure dans son revenu pour l’année d’imposition en cause les montants ainsi reçus de la STAB.

[44]      Le dividende B ayant été versé par prélèvement sur le total du revenu de cotisation cumulatif de la STAB, Spruce et les autres institutions membres ont vraisemblablement obtenu des déductions pour les cotisations qu’elles ont payées pour constituer ce compte. L’essentiel de l’argumentation de l’appelante est qu’à son tour Spruce doit devoir inclure le dividende B dans son revenu, pour éviter qu’elle ne conserve une déduction à l’égard de cotisations finalement restituées et qu’elle devrait normalement inclure dans son revenu en vertu de l’article 137.1.

[45]      L’appelante attaque tout particulièrement la définition donnée par le juge aux mots « allocations proportionnelles », et critique son interprétation des dispositions pertinentes de la LIR. L’appelante explique ainsi que, à l’occasion de l’affaire Civil Service Co-operative Credit Society, Ltd. c. Canada, [2001] A.C.I. no 515 (QL), la Cour de l’impôt a conclu qu’il ressortait du mot « allocation » à l’alinéa 137.1(4)c) que l’institution membre ne recouvre pas nécessairement en totalité le montant qu’elle a payé au départ à titre de prime ou de cotisation. Ainsi, selon l’appelante, le montant restitué à une caisse de crédit devrait être inclus dans son revenu aux termes de l’alinéa 137.1(10)a) de la LIR, peu importe s’il correspond à la totalité ou à une partie seulement des primes qu’elle avait versées. L’appelante s’appuie également sur la jurisprudence Consumers’ Co-operative Refineries Ltd. c. Canada, [1987] A.C.F. n° 931 (C.A.) (QL), pour soutenir qu’il ne faut pas interpréter le mot « proportionnelles » comme exigeant un rapport mathématique pour que soit imposable une restitution de primes. L’appelante relève que, si l’interprétation par le juge du mot « proportionnelles » était exacte, il en découlerait des résultats absurdes étant donné que l’alinéa 137.1(10)a) ne s’appliquerait jamais dans le cas de primes restituées à une seule caisse de crédit.

[46]      L’appelante soutient que le juge a commis une erreur en ne se livrant qu’à une interprétation textuelle des dispositions de la LIR. Suivant la « méthode moderne » d’interprétation des lois, [traduction] « il faut lire les mots d’une loi au regard du contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Elmer A. Driedger, The Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), à la page 87; cité et approuvé par les arrêts 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, au paragraphe 50, et Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 (Trustco Canada), au paragraphe 10). Lorsque le libellé d’une loi est sans ambigüité, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans l’interprétation des lois; lorsque les mots utilisés sont ambigus, il faut accorder moins d’importance à leur sens ordinaire.

[47]      L’appelante soutient que le législateur a voulu faire de l’article 137.1 un code complet du traitement fiscal réservé aux cotisations et aux primes des caisses de crédit et des compagnies d’assurance-dépôts, qui exclut l’application des dispositions générales de la LIR concernant la réception et la déductibilité des dividendes. L’appelante soutient ainsi que [traduction] « [p]our qu’elle soit conforme à l’objet de la disposition et compatible avec le reste du régime législatif, il faut considérer que le mot “proportionnelles” à l’alinéa 137.1(4)c) exige uniquement que les allocations correspondent à une proportion des primes ou des cotisations payées dans le passé par les caisses de crédit » (souligné dans l’original) (mémoire des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 41). Essentiellement, il suffit de remonter à la source des revenus pour engager, en ce qui concerne le dividende B, le régime législatif adopté à l’intention des caisses de crédit. Dans la mesure où le dividende B tire son origine des cotisations mises en commun, il doit être déclaré comme revenu en vertu de l’alinéa 137.1(10)a).

[48]      L’appelante soutient par conséquent que la somme de 114 466 $ restituée par la STAB à Spruce sous forme de dividende B réunit les conditions des « allocations proportionnelles » aux primes ou aux cotisations versées par Spruce à la STAB au cours de l’année d’imposition. Le dividende B provenait du total du revenu de cotisation cumulatif de la STAB et correspondait tout simplement à [traduction] « une proportion des primes ou des cotisations payées dans le passé ». Spruce devait par conséquent inclure le dividende B dans son revenu pour l’année d’imposition, et ne pouvait invoquer le paragraphe 112(1) de la LIR pour en demander la déduction. Le dividende A pouvait toutefois être déduit en vertu de cette disposition, comme il avait été versé par prélèvement sur le total du revenu de placement cumulatif de la STAB.

[49]      Je retiens la thèse de l’appelante portant que l’interprétation d’une disposition législative doit s’appuyer sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique, et être conforme à la jurisprudence antérieure. J’estime toutefois que je n’ai pas à rechercher en l’espèce si le juge a mal interprété les mots « allocations proportionnelles ». L’appelante admet que le dividende B était manifestement, en fait et en droit, un dividende. L’appelante doit admettre aussi qu’elle a concédé lors de l’instruction du présent appel que, même si le juge avait mal interprété le mot « proportionnelles », cette erreur n’aurait aucune importance si la Cour devait souscrire à la conclusion du juge selon laquelle le dividende B a été versé proportionnellement au nombre d’actions détenues. Vu les faits de l’espèce, si le dividende B a été versé proportionnellement au nombre d’actions détenues, il n’a pu être payé de manière « proportionnelle aux cotisations », et il ne serait manifestement pas visé par l’alinéa 137.1(10)a) de la LIR. Les mots « nombre d’actions détenues » et le mot « cotisations » ne sont pas des synonymes et ainsi, comme le juge le souligne, pour que la thèse de l’appelante soit retenue, il faudrait que les mots « nombre d’actions détenues » remplace le mot « cotisations » à l’article 137.1.

[50]      Le juge a conclu que la STAB avait versé le dividende B à chacun de ses actionnaires proportionnellement au nombre d’actions qu’ils détenaient, et non en proportion des cotisations reçues de ses membres (motifs, aux paragraphes 47 et 48). C’est là une conclusion de fait à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve de retenue, et l’appelante ne m’a pas convaincue que le juge avait commis des erreurs manifestes et évidentes pour tirer cette conclusion. J’estime, au contraire, que les éléments de preuve versés aux débats confirment plus que suffisamment la conclusion de fait du juge selon laquelle la STAB a versé le dividende B à chacun de ses actionnaires proportionnellement au nombre d’actions qu’ils détenaient.

[51]      Par conséquent, je conclus que le juge n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que l’alinéa 137.1(10)a) ne visait pas le dividende B. J’examinerai maintenant les arguments de l’appelante concernant l’interprétation et l’application de la DGAE.

3)    Deuxième question – La DGAE

[52]      L’article 245 de la LIR autorise le ministre à refuser au contribuable les avantages fiscaux d’opérations qui respectent les dispositions pertinentes qu’il invoque, mais qui ne se sont pas conformes à l’objet ou à l’esprit de la LIR (Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721 (Copthorne), au paragraphe 66; Trustco Canada, au paragraphe 16). Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a expliqué à l’occasion de l’affaire Trustco Canada, trois conditions sont nécessaires pour que la DGAE joue. Premièrement, il doit exister un avantage fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations (aux paragraphes 245(1) et 245(2)). Deuxièmement, l’une des opérations donnant lieu à l’avantage fiscal doit être une opération d’évitement, en ce sens qu’il n’est pas raisonnable d’affirmer qu’elle est effectuée pour un objet non-fiscal véritable (au paragraphe 245(3)). Troisièmement, l’avantage fiscal doit résulter d’un abus dans l’application des dispositions en cause, contraire à leur objet ou à leur esprit, invoquées par le contribuable (au paragraphe 245(4)). Il incombe au contribuable d’établir l’inexistence des deux premières conditions, et au ministre d’établir l’existence de la troisième (Trustco Canada, au paragraphe 66).

[53]      Spruce a concédé qu’elle avait tiré un avantage fiscal en obtenant la déduction relative au dividende intersociétés en vertu du paragraphe 112(1). La question que doit trancher la Cour est donc celle de savoir si le juge a commis une erreur en ne concluant pas à l’existence d’une opération d’évitement faisant jouer la DGAE. Élément important, l’appelante n’attaque pas la conclusion du juge selon laquelle le transfert direct entre la STAB et la CUDIC n’était pas une solution viable; la STAB devait plutôt distribuer des fonds à ses institutions membres pour l’atteinte des objectifs non fiscaux consistant à acquitter la cotisation extraordinaire de la CUDIC et à réduire les fonds de stabilisation et de protection des dépôts (motifs, au paragraphe 91).

[54]      L’appelante soutient que le juge a commis deux erreurs de droit principales. Premièrement, elle soutient qu’il a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu qu’[traduction] « il ne convenait pas de rechercher si le contribuable avait choisi l’opération en cause parmi d’autres principalement pour des objectifs fiscaux » afin de rechercher, au deuxième volet de l’analyse relative à la DGAE, si l’on est en présence d’une opération d’évitement (mémoire des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 88). L’appelante relève à cet égard que, selon la jurisprudence antérieure de notre Cour, l’une des façons d’établir si l’opération a été effectuée principalement en vue d’un objectif non-fiscal consiste à rechercher si l’objectif aurait pu être atteint sans cette opération ou par recours à une autre opération (MacKay c. Canada, 2008 CAF 105, [2008] 4 R.C.F. 616; 1207192 Ontario Limited c. Canada, 2012 CAF 259). Autrement dit, selon l’appelante, si l’opération n’était pas requise pour atteindre un objectif non-fiscal véritable, il est raisonnable de tenir pour acquis qu’on l’a principalement effectuée pour obtenir un avantage fiscal et qu’ainsi il s’agit d’une opération d’évitement.

[55]      Deuxièmement, l’appelante soutient que la conclusion du juge [au paragraphe 71] selon laquelle les considérations fiscales « peuvent jouer un rôle de premier plan dans le choix que fait un contribuable parmi les options de structuration possibles […] sans faire nécessairement en sorte que l’opération elle-même vise principalement un objet fiscal » est incompatible avec l’enseignement de la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Trustco Canada [au paragraphe 28] portant que le paragraphe 245(3) requiert « une évaluation objective de l’importance relative des motivations auxquelles obéissait l’opération » (mémoire des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 90).

[56]      L’appelante soutient également que le juge a conclu à tort que le versement par la STAB de dividendes à ses caisses de crédit membres avait « principalement pour objet » de permettre à celles-ci d’acquitter la cotisation extraordinaire de la CUDIC, tout en réduisant ses propres fonds de stabilisation et de protection des dépôts. Il ressort plutôt des éléments de preuve versés aux débats, selon l’appelante, que l’objet principal de la déclaration et du versement du dividende B était de disposer de l’avantage fiscal reconnu tiré de l’obtention d’une déduction en vertu du paragraphe 112(1) de la LIR.

[57]      À l’appui de cette thèse, l’appelante relève d’abord l’existence des conventions susmentionnées de protection des dépôts et relatives aux cotisations et aux remboursements pour la protection des dépôts, dont il ressort, selon elle, que la STAB n’était pas tenue, pour transférer des fonds à la CUDIC, de déclarer et de verser des dividendes. Ces conventions stipulaient expressément que, si la STAB devait transférer de l’argent à la CUDIC pour satisfaire à son engagement de regarnir les fonds de cette dernière, cela se réaliserait par [traduction] « la restitution par la STAB de primes aux caisses de crédit, suivie de l’imposition aux caisses par la CUDIC de cotisations d’un même montant » (mémoire des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 85). Le recours au dividende B n’était donc pas, selon l’appelante, une [traduction] « opération requise » pour réaliser un objet non fiscal véritable. L’appelante soutient que la STAB, la CUDIC et les caisses de crédit ont plutôt envisagé la possibilité d’une restitution de primes, mais rejeté cette solution parce qu’elle n’aurait pas procuré les mêmes avantages fiscaux qu’une déclaration de dividendes.

[58]      L’appelante attire également notre attention sur une requête, présentée à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, et l’affidavit connexe signé par M. Corsbie, chef de la direction de la STAB en 2005; il est soutenu que ces éléments tendent à prouver que la décision de déclarer et verser des dividendes a principalement été prise pour des raisons fiscales. Après avoir versé les dividendes A et B à ses caisses de crédit membres, la STAB a appris que, comme elle n’avait pas modifié ses règles en vue d’éliminer le prix de remboursement fixe des actions de catégorie A, ce versement de dividendes pouvait avoir comme conséquence non-souhaitée l’obligation de payer environ 17 à 20 millions de dollars en impôts. Le conseil d’administration de la STAB a convoqué une réunion le 19 décembre 2005 pour un vote sur l’adoption de deux résolutions spéciales visant à corriger cette omission, mais a aussi sollicité par la requête susmentionnée un jugement déclarant que ses règles étaient réputées avoir été modifiées rétroactivement à compter du 20 septembre 2005, soit avant la déclaration des dividendes A et B (dossier d’appel, vol. 5, onglet 92, aux pages 000631 et 000632). Il est signalé dans la requête que, lorsqu’on a eu à décider du meilleur mode de transfert d’une partie du fonds de stabilisation de la STAB aux caisses de crédit membres, pour leur permettre de payer la cotisation de la CUDIC, [traduction] « la considération primordiale dans la structuration de l’opération projetée a été la réduction de toute conséquence fiscale défavorable éventuelle pour la STAB et ses membres » (dossier d’appel, vol. 5, onglet 92, au paragraphe 14 de la page 000630). On explique également par la requête que [traduction] « la STAB a jugé que la façon la plus avantageuse sur le plan fiscal d’effectuer l’opération projetée et de distribuer la partie excédentaire du fonds de stabilisation consistait à verser des dividendes à ses membres » (non souligné dans l’original) (dossier d’appel, vol. 5, onglet 92, au paragraphe 15 de la page 000630). On ajoute dans la requête que, lorsqu’il s’est agi de monter et de mettre en œuvre l’opération de restitution aux caisses de crédit membres d’une partie du fonds de stabilisation, [traduction] « le but primordial tant de la STAB que de ses membres a été de réduire toute conséquence fiscale défavorable éventuelle » de l’opération (dossier d’appel, vol. 5, onglet 92, au paragraphe 23 de la page 000631). Monsieur Corsbie atteste au paragraphe 3 de son affidavit la véracité des faits exprimés aux paragraphes 1 à 30 de la requête (dossier d’appel, vol. 5, onglet 93, à la page 000635).

[59]      L’appelante ne m’a pas convaincue que le juge a commis une erreur dans son interprétation de l’article 245 de la LIR ou dans l’application de la DGAE aux faits de l’espèce.

[60]      Premièrement, l’appelante interprète mal la déclaration du juge quant à l’opportunité d’une analyse comparative de l’opération choisie par le contribuable et d’autres structures possibles. Le juge fait remarquer, au paragraphe 69 de ses motifs, que, par les arrêts Trustco Canada et Copthorne, la Cour suprême « ne laisse pas entendre qu’il est valable, au stade “opération d’évitement” de l’analyse, de comparer l’opération ou la série d’opérations choisies par le contribuable à d’autres structures possibles afin de vérifier si le contribuable a fait son choix parmi ces options en se fondant principalement sur des conséquences ou des considérations d’ordre fiscal ». Il ressort toutefois de l’examen des paragraphes qui précèdent et qui suivent que le juge ne concluait pas qu’il était totalement inapproprié, dans la recherche de l’existence d’une opération d’évitement, d’établir des comparaisons avec d’autres opérations que celle choisie. Le juge expliquait plutôt, à juste titre, que l’existence d’une autre opération possible n’était qu’un facteur parmi d’autres à prendre en compte pour rechercher si étaient réunies les conditions d’une opération d’évitement. Au paragraphe 68, le juge explique que, bien que la Cour suprême ait déclaré que relever une autre opération qui aurait permis d’atteindre un résultat équivalent, mais se serait soldée par un montant d’impôt supérieur, pouvait aider à établir l’existence d’un avantage fiscal au premier volet de l’analyse relative à la DGAE (Trustco Canada, au paragraphe 20; Copthorne, au paragraphe 35), une telle comparaison ne suffisait pas pour démontrer l’existence d’une opération d’évitement (Trustco Canada, au paragraphe 30). Le juge fait ensuite remarquer que cela est logique, au paragraphe 69, puisqu’en vertu de la jurisprudence Duke of Westminster, il est permis aux contribuables de faire des opérations qui leur feront payer moins d’impôt (Commissioners of Inland Revenue v. Duke of Westminster, [1936] A.C. 1 (H.L.) [précité]; cité, approuvé et appliqué dans les arrêts Trustco Canada, au paragraphe 11, et Copthorne, au paragraphe 65). Par conséquent, si le recours possible à une autre opération aux conséquences fiscales plus importantes devait servir de critère décisif quant à l’existence d’une opération d’évitement, la jurisprudence Duke of Westminster perdrait tout son sens.

[61]      Deuxièmement, le juge n’a pas non plus eu tort de déclarer que les considérations fiscales pouvaient jouer un rôle de premier plan dans les choix faits par le contribuable, sans faire nécessairement en sorte que l’opération choisie vise elle-même « principalement » un objet fiscal. Cette observation n’est pas incompatible avec la nécessité pour le juge de faire une appréciation objective de l’importance relative des motivations auxquelles obéissait l’opération. Aux fins d’application de la DGAE, le juge doit rechercher non seulement s’il est raisonnable de considérer qu’une série d’opérations ont été effectuées de bonne foi ou pour de véritables objets non-fiscaux, mais également si chacune des opérations de la série a été effectuée pour ces objets précis, ou encore si l’une des opérations visait principalement des objets fiscaux (MacKay, au paragraphe 21). L’examen est axé sur l’objet principal, la raison d’être, de chaque opération. Il ressort de la nécessité d’établir l’objet « principal » que la coexistence de multiples objets est possible, et que des objets fiscaux et non-fiscaux peuvent être mélangés. Par exemple, comme notre Cour l’a expliqué à l’occasion de l’affaire Canada c. Landrus, 2009 CAF 113, au paragraphe 74, « si une opération a été effectuée principalement pour des raisons d’affaires, le fait qu’elle procure également un ou plusieurs avantages fiscaux ne change rien à cet objet ». Si les conséquences fiscales ont joué un rôle, même éventuellement important, dans le choix de l’opération, il ne s’ensuit pas nécessairement que son objet principal était d’obtenir un avantage fiscal et qu’il s’agissait d’une opération d’évitement.

[62]      La Cour suprême a expliqué à l’occasion de l’affaire Trustco Canada que, lorsque le juge de la Cour de l’impôt recherche s’il y a eu une opération d’évitement, il doit analyser et soupeser objectivement l’ensemble des éléments de preuve versés aux débats et les différentes interprétations possibles des événements en vue de rechercher s’il était « raisonnable de conclure que l’opération n’a pas été principalement effectuée pour un objet non fiscal ». Cette recherche porte sur les faits, et appelle la retenue (Trustco Canada, au paragraphe 29). C’est pourquoi « [s]i le juge de la Cour de l’impôt s’est fondé sur une interprétation correcte des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et sur des conclusions étayées par la preuve, les tribunaux d’appel ne doivent pas intervenir en l’absence d’erreur manifeste et dominante » (Trustco Canada, au paragraphe 66).

[63]      À mon avis, l’appelante n’a pas établi l’existence d’une erreur manifeste ou dominante qui justifierait l’intervention de notre Cour. Je rejette la thèse de l’appelante portant qu’il ressort des conventions de protection des dépôts, de la requête ou de l’affidavit de M. Corsbie que le recours au dividende B était une opération effectuée à des fins principalement fiscales. Ainsi que nous l’avons signalé ci-dessus, la Cour suprême a précisé que la simple existence d’une autre opération possible qui se serait traduite par des impôts plus élevés ne suffit pas à démontrer qu’il y a opération d’évitement, et que les contribuables ont le droit, conformément à la jurisprudence Duke of Westminster, d’organiser leurs affaires de manière à payer le moins d’impôt possible (Trustco Canada, aux paragraphes 30 et 31).

[64]      Ces documents n’étaient qu’une partie des éléments de preuve que le juge devait prendre en compte et, après avoir apprécié tous les éléments dont il disposait, il n’a manifestement pas été convaincu que les documents prouvaient qu’on avait « principalement » déclaré le dividende B pour des raisons fiscales. Ces documents ne parviennent pas non plus à me convaincre, et je conclus au contraire que les éléments de preuve vont dans le sens de la conclusion du juge selon laquelle on a principalement déclaré et versé le dividende B de bonne foi ou pour de véritables objets non-fiscaux. Par exemple, M. Corsbie a déclaré, lorsqu’il a témoigné au procès, que la STAB n’aurait pas versé les dividendes si la CUDIC n’avait pas imposé une cotisation aux caisses de crédit (dossier d’appel, vol. 7, onglet 10, aux lignes 1 à 7 de la page 001196), ajoutant qu’on avait choisi de déclarer des dividendes parce que cela correspondait davantage à l’imposition de cotisations par la CUDIC à chacune des caisses de crédit qu’une restitution de cotisations. D’après M. Corsbie, si la STAB avait choisi le recours à une restitution de cotisations, l’écart aurait été plus grand entre les montants restitués et les cotisations de la CUDIC (dossier d’appel, vol. 7, onglet 10, aux lignes 1 à 15 de la page 001204). D’ailleurs, Spruce a payé à la STAB le montant total de cotisations de 205 493 $, tandis qu’elle a reçu au total 193 023 $ à titre de dividendes (dossier d’appel, vol. 4, onglet 74, à la page 000474). Le montant reçu par Spruce se rapprochait ainsi davantage de la cotisation de 198 859,34 $ que la CUDIC lui a imposée (ibidem, onglet 72, à la page 000469).

[65]      L’appelante ne m’ayant pas convaincue que le juge avait conclu erronément à l’absence d’une opération d’évitement, ce dernier avait raison d’affirmer qu’il n’avait pas à passer au troisième volet de l’analyse relative à la DGAE et d’ainsi se pencher sur la question de l’abus.

II.         Décision proposée

[66]      Par ces motifs, je propose que l’appel soit rejeté, avec dépens.

La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.

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