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[2002] 3 C.F. 221

T-2016-99

2001 CFPI 1264

AB Hassle et AstraZeneca Canada Inc. (demanderesses)

c.

Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et Apotex Inc. (défendeurs)

Répertorié : AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1re inst.)

Section de première instance, juge O’KeefeOttawa, 15 octobre; Toronto, 16 novembre 2001.

Brevets — Contrefaçon — Les demanderesses cherchent à interdire au ministre de délivrer un ADC à Apotex Inc. pour des gélules d’oméprazole avant l’expiration du brevet — Le brevet contient des revendications relatives à l’utilisation de l’oméprazole dans le traitement des infections dues à la bactérie Campylobacter — Apotex allègue que les revendications énoncées au brevet ne seront pas contrefaites advenant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente par elle de gélules d’oméprazole génériques — Il n’a pas été démontré qu’Apotex contrefera directement le brevet si un ADC est délivré — Le litige porte sur l’interprétation de l’art. 5(1)b)(iv) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) — La contrefaçon visée à l’art. 5(1)b)(iv) se limite à celle commise par cette personne, en l’occurrence le fabricant de produits pharmaceutiques génériques qui présente l’avis d’allégation (ADA) — Le Règlement a pour but d’empêcher le ministre de délivrer un ADC lorsque cela entraîne une contrefaçon par une seconde personne — La contrefaçon par quiconque n’est pas pertinente pour les fins du Règlement — Le lien entre la seconde personne et la contrefaçon résultant de la délivrance d’un ADC n’a pas été établi — Une partie qui incite une autre partie à contrefaire un brevet est elle-même responsable de contrefaçon — Il n’a pas été démontré qu’Apotex a incité ou amené les pharmaciens, médecins ou autres tiers à contrefaire le brevetLes demanderesses n’ont pas prouvé que l’allégation de non-contrefaçon d’Apotex est injustifiée — Il incombait aux demanderesses de prouver que l’allégation n’avait aucun fondement en fait et en droit — L’ADA d’Apotex était justifié en fait et en droit.

Il s’agissait d’une demande faite en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) visant à interdire au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à la défenderesse, Apotex Inc. pour des gélules d’oméprazole, avant l’expiration du brevet canadien no 2025668 appartenant à la demanderesse, AB Hassle. Apotex Inc., fabricant canadien de produits pharmaceutiques génériques, cherche à obtenir du ministre qu’il lui délivre un avis de conformité pour la fabrication et la vente de l’oméprazole. Le brevet '668 contient des revendications relatives à l’utilisation de l’oméprazole dans le traitement des infections dues à la bactérie Campylobacter. Dans son avis d’allégation (ADA), Apotex a affirmé qu’aucune des revendications énoncées au brevet ʹ668 ne serait contrefaite advenant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente par elle de gélules d’oméprazole génériques. Cinq questions ont été examinées : 1) les demanderesses ont-elles démontré qu’Apotex contrefera directement le brevet '668 si un ADC est délivré? 2) comment convient-il d’interpréter le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement? 3) les demanderesses ont-elles démontré qu’il y aura contrefaçon en général du brevet '668? 4) les demanderesses ont-elles démontré qu’Apotex incitera ou amènera à commettre une contrefaçon du brevet '668 si un ADC est délivré? et 5) les demanderesses ont-elles réussi à démontrer que l’ADA présenté par Apotex n’était pas fondé en fait ou en droit?

Jugement : la demande doit être rejetée.

1) Le brevet ʹ668 ne confère des droits exclusifs d’utilisation de l’oméprazole qu’à l’égard du traitement des infections à Campylobacter. La revendication 1 accorde un droit exclusif d’utilisation de l’oméprazole pour la fabrication d’un médicament à des fins de traitement des infections à Campylobacter. Les demanderesses n’ont pas allégué de façon spécifique que la revendication 1 était directement contrefaite par Apotex, et elles n’ont pas réussi à fournir la preuve d’une contrefaçon de cette revendication. En outre, Apotex n’a pas contrefait et ne contrefera pas directement la revendication 2. La revendication 3 concerne une préparation pharmaceutique d’oméprazole « destinée à être utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter ». Elle est limitée par les mots « destinée à être utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter » de sorte que les préparations pharmaceutiques d’oméprazole qui ne sont pas utilisées pour le traitement des infections à Campylobacter ne contreferaient pas le brevet '668. Les demanderesses n’ont pas démontré, vu l’ensemble de la preuve, qu’Apotex entend fabriquer, utiliser ou vendre la préparation pharmaceutique pour le traitement des infections à Campylobacter ou que, si un ADC est délivré, Apotex contrefera directement le brevet 668.

2) Le paragraphe 5(1) du Règlement sur les ADC énonce les conditions qui doivent être remplies pour déclencher son application. Le litige porte sur les mots « par elle » que l’on retrouve au sous-alinéa 5(1)b)(iv) et sur la question de savoir si ces mots doivent être interprétés comme si le sous-alinéa se lisait « aucune revendication […] ne seraient contrefaites par cette personne » ou comme s’il se lisait « aucune revendication […] ne seraient contrefaites par quiconque ». Selon l’interprétation des demanderesses, une personne demandant un ADC devrait inclure dans son ADA une allégation portant que personne au monde ne contreferait le brevet advenant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente du médicament par cette personne. Selon l’interprétation proposée par la défenderesse, la personne demandant un ADC n’aurait qu’à inclure dans son ADA une allégation portant que ses propres actions ne contreferaient pas le brevet. Un tel engagement serait nécessairement limité aux contrefaçons sous la responsabilité de cette personne. La contrefaçon visée au sous-alinéa 5(1)b)(iv) se limite à celle commise par cette personne, en l’occurrence le fabricant de produits pharmaceutiques génériques qui présente l’ADA. Le libellé du Règlement n’impose aucune limite quant à la nature de la contrefaçon commise par la seconde personne : il vise autant la contrefaçon que la seconde personne a incité ou aidé à commettre que celle qu’elle a commise directement. Le Règlement a pour but d’empêcher le ministre de délivrer un ADC lorsqu’en résultera une contrefaçon commise par une seconde personne. La contrefaçon par quiconque n’est pertinente pour les fins du Règlement que s’il est possible d’établir un lien impliquant la seconde personne dans la contrefaçon soit directement, soit indirectement par le biais d’une incitation. L’interdiction de délivrer un ADC ne constitue pas le seul recours ouvert aux demanderesses en cas de contrefaçon de brevet.

3) Dans la mesure où il est possible que des personnes autres qu’Apotex contrefassent le brevet, la question de la contrefaçon en général est pertinente dans le cadre des présentes procédures, intentées en vertu de l’article 6 du Règlement afin de contester l’ADA présenté par Apotex, si la participation de cette dernière permet à la Cour de conclure que ses activités équivalaient à une contrefaçon directe ou à une incitation à commettre une contrefaçon. Apotex a allégué que sa demande d’approbation ne visait pas l’utilisation de l’oméprazole qui est protégée par un brevet. L’ADA n’a pas été contredit par la preuve. Le lien entre la seconde personne et la contrefaçon pouvant résulter de la délivrance d’un ADC n’a pas été établi.

4) La partie qui incite ou amène une autre partie à contrefaire un brevet est elle-même responsable de contrefaçon. Le breveté qui désire invoquer la doctrine de l’incitation à la contrefaçon doit alléguer et prouver que : a) l’acte de contrefaçon a été exécuté par le contrefacteur directement; b) l’exécution de l’acte de contrefaçon a été influencée par le vendeur; et c) l’influence a été sciemment exercée par le vendeur. En ce qui concerne la partie a) du critère, pour qu’Apotex incite ou amène à contrefaire le brevet ʹ668, il faut qu’une contrefaçon directe soit commise par une autre partie. Les témoins des demanderesses n’ont fourni aucune preuve d’un acte réel de contrefaçon directe commis par un contrefacteur direct. Selon la preuve prépondérante, les demanderesses n’ont donc pas prouvé la partie a) du critère tripartite applicable à l’incitation à la contrefaçon. Il était impossible d’affirmer qu’Apotex a fait ou fera quelque chose qui incite ou amène les pharmaciens, médecins ou autres tiers à contrefaire le brevet '668. Les demanderesses n’ont pas réussi à démontrer qu’une contrefaçon directe sera forcément commise par les pharmaciens, médecins, patients et autres tiers si un ADC est délivré à Apotex, et que l’allégation de non-contrefaçon d’Apotex était injustifiée.

5) Il incombait aux demanderesses de prouver que l’avis d’allégation n’avait aucun fondement en fait et en droit. Le Règlement ne tient compte de l’utilisation que font les patients du médicament que lorsqu’il existe un lien suffisant avec la seconde personne permettant d’affirmer que celle-ci a commis une contrefaçon. Le cadre réglementaire n’est pas censé interdire au ministre de délivrer un ADC dans les cas où aucun acte de contrefaçon par la seconde personne (le fabricant de produits génériques) ne peut être établi selon la preuve prépondérante. Les demanderesses ne se sont pas acquittées du fardeau de convaincre la Cour que l’allégation d’Apotex n’était pas justifiée en fait et en droit. L’avis d’allégation d’Apotex était justifié parce que les demanderesses n’ont pas établi qu’il y aura contrefaçon directe de leur brevet si un ADC est délivré, ou qu’Apotex contreferait indirectement leur brevet en incitant ou en amenant des patients à contrefaire ledit brevet.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 55.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4).

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.002 (mod. par DORS/93-202, art. 24; 95-411, art. 4).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 2 « avis de conformité », « médicament », « revendication pour le médicament en soi », « revendication pour l’utilisation du médicament », 5 (mod. par DORS/98-166, art. 4; 99-379, art. 2), 6 (mod. par DORS/98-166, art. 5; 99-379, art. 3).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 15 C.P.R. (4th) 498 (C.F. 1re inst.); Catapano c. Wyeth Ayerst Pharmaceuticals, Inc., 88 F.Supp.2d 27 (E.D.N.Y. 2000).

distinction faite d’avec :

Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 61 C.P.R. (3d) 190; 96 F.T.R. 189 (C.F. 1re inst.); Windsurfing International Inc. et al. c. Trilantic Corporation (1985), 8 C.P.R. (3d) 241; 63 N.R. 281 (C.A.F.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 99; 166 F.T.R. 67 (C.F. 1re inst.); AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 9 C.P.R. (4th) 79; 195 F.T.R. 23 (C.F. 1re inst.); Valmet Oy c. Beloit Canada Ltée (1988), 20 C.P.R. (3d) 1; 82 N.R. 235 (C.A.F.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302; 160 N.R. 342 (C.A.F.).

DÉCISION CITÉE :

SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (1999), 3 C.P.R. (4th) 22; 179 F.T.R. 109 (C.F. 1re inst.).

DEMANDE présenté en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et visant à interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à un fabricant de produits génériques pour des gélules d’oméprazole avant l’expiration du brevet canadien de la demanderesse. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Gunars A. Gaikis, J. Sheldon Hamilton et Yoon Kang pour les demanderesses.

Rick Woyiwada pour le défendeur ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

Harry B. Radomski et Andrew R. Brodkin pour la défenderesse Apotex Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar, Toronto, pour les demanderesses.

Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

Goodmans, Toronto, pour la défenderesse Apotex Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge O’Keefe : Il s’agit d’une demande faite en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié [DORS/98-166, art. 5; 99-379, art. 3], visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. pour des gélules d’oméprazole en différentes doses administrées par voie orale, avant l’expiration du brevet canadien no 2025668.

Les faits

[2]        La demanderesse AB Hassle est propriétaire du brevet canadien no 2025668 (ʹ668), intitulé [traduction] « Utilisation de l’oméprazole comme agent antibactérien ».

[3]        La demanderesse AstraZeneca Canada Inc. (Astra) est une société canadienne s’occupant de fabrication, de commercialisation et de vente de divers produits pharmaceutiques. AB Hassle et Astra sont des sociétés liées.

[4]        La défenderesse Apotex Inc. (Apotex) est un fabricant canadien de produits pharmaceutiques génériques qui cherche à obtenir du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (le ministre) qu’il lui délivre un avis de conformité (ADC) pour la fabrication et la vente de l’oméprazole.

[5]        Le ministre défendeur a compétence pour délivrer un ADC, s’il y a lieu, lorsqu’une demande a été faite en ce sens et que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement sur les ADC), précité, a été respecté.

[6]        Le brevet '668 contient des revendications relatives à l’utilisation de l’oméprazole dans le traitement des infections dues à la bactérie Campylobacter. Ces revendications sont les suivantes :

1.    Utilisation du 5-méthoxy-2-[[(4-méthoxy-3,5- diméthyl-2-pyridinyl)méthyl)-sulfinyl-1H-benzi-midazole ou d’un de ses sels acceptables en pharmacie pour la fabrication d’un médicament pour le traitement des infections à Campylobacter.

2.    Utilisation du 5-méthoxy-2-[[(4-méthoxy-3,5- diméthyl-2-pyridinyl)méthyl]-sulfinyl]-1H- benzimi-dazole ou d’un de ses sels acceptables en pharmacie pour le traitement des infections à Campylobacter.

3.    Une préparation pharmaceutique destinée à être utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter, où la substance active est le 5-méthoxy-2-[[(4-méthoxy-3, 5-diméthyl-2-pyridinyl) méthyl]-sulfinyl]-1H- benzimidazole ou un de ses sels acceptables en pharmacie.

[7]        Les demanderesses et Apotex conviennent que dans le cadre de la présente instance, la Cour devrait lire la nomenclature chimique apparaissant aux revendications 1 à 3, soit « 5-méthoxy-2- [[(4-méthoxy-3,5-diméthyl-2-pyridinyl)méthyl]-sulfinyl]-1H-benzimidazole », comme si elle se lisait « oméprazole ». Les parties conviennent également que les termes Campylobacter et H.pylori sont des termes scientifiques synonymes désignant le type d’infection mentionné dans le brevet.

[8]        Dans l’avis d’allégation (ADA) qui a donné lieu à la présente instance, il est notamment allégué :

[traduction] S’agissant du brevet 2 025 668, nous alléguons qu’aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites par la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente par nous de gélules d’oméprazole administrées par voie orale en doses de 10 mg, 20 mg et 40 mg.

Cette allégation est fondée sur le droit et les faits suivants :

Les revendications du brevet concernent l’utilisation du médicament dans le traitement des infections à Campylobacter. Notre produit ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à Campylobacter et, plus précisément, nous ne cherchons pas à obtenir d’autorisation pour cet usage et cet usage ne sera pas inclus dans notre monographie de produit.

[9]        L’ADA a été signifié à Astra par une lettre d’Apotex en date du 4 octobre 1999.

[10]      Les demanderesses soutiennent que si elles ne réussissent pas à démontrer par une preuve prépondérante que la délivrance d’un ADC entraînera une contrefaçon du brevet ʹ668 par Apotex, cela ne sera pas fatal à leur demande. Les demanderesses prétendent qu’elles doivent uniquement démontrer, par une preuve prépondérante, qu’il y aura contrefaçon en général à la suite de la délivrance d’un ADC à Apotex. La valeur de cet argument subsidiaire dépendra de l’interprétation qui sera faite du sous-alinéa 5(1)b)(iv) [mod. par DORS/98-166, art. 4; 99-379, art. 2] du Règlement sur les ADC.

Les arguments des demanderesses

[11]      Dans les actes de procédure, les demanderesses ont fait valoir qu’Apotex ne s’était pas conformée aux exigences du Règlement sur les ADC, dont le respect constitue une condition préalable à la présentation d’une allégation. Elles ont contesté l’allégation qu’une présentation de drogue nouvelle (PDN) d’Apotex était en cours d’examen à la date pertinente et que la présente instance était sans objet. Cependant, les demanderesses ont décidé de ne pas soulever cette question à l’audience, affirmant que la Section de première instance était tenue de présumer de la véracité des faits énoncés dans l’ADA. Elles n’ont pas voulu rayer formellement cet argument de leurs actes de procédure et se sont réservées le droit de débattre la question en appel. Cet argument n’ayant pas été avancé devant notre Cour, il ne sera pas examiné davantage dans le présent jugement.

[12]      Les demanderesses soutiennent que l’ADA présenté par Apotex n’était pas justifié d’après les faits et le droit sur lesquels il se fonde. Les questions soulevées par les demanderesses à cet égard se résument ainsi :

a) Les faits allégués justifient-ils une conclusion de non-contrefaçon?

b) Y aura-t-il contrefaçon du brevet '668?

c) Apotex elle-même contrefera-t-elle directement le brevet '668?

d) Apotex incitera-t-elle ou amènera-t-elle à commettre une contrefaçon du brevet ʹ668?

[13]      Les demanderesses prétendent qu’Apotex doit s’en tenir, sur les plans factuel et juridique, à ce qu’elle a déclaré dans l’ADA.

[14]      Les demanderesses soutiennent que le motif particulier invoqué par Apotex, à savoir qu’elle ne cherche pas à obtenir l’approbation de son produit aux fins du traitement des infections à Campylobacter, même s’il est vrai, ne justifie pas la conclusion de non-contrefaçon. Par conséquent, elles allèguent que le motif particulier invoqué par Apotex n’est pas fondé ou justifié en fait et en droit en ce qui a trait à la conclusion générale de non-contrefaçon.

[15]      L’avocat des demanderesses affirme que la présente affaire repose sur la preuve que des patients utiliseront le produit d’Apotex dans le traitement des infections à Campylobacter si un ADC est délivré.

[16]      Les demanderesses allèguent qu’Apotex admet expressément dans son ADA la pertinence de la question relative à la contrefaçon par des tiers lorsqu’elle indique ce qu’elle entend faire de l’approbation qu’elle cherche à obtenir. Elles affirment que, ce faisant, la défenderesse a formulé la question de la contrefaçon générale en déclarant qu’il n’y aurait pas de contrefaçon par quiconque si un ADC était délivré à Apotex.

[17]      Les demanderesses soutiennent que la déclaration d’Apotex portant que [traduction] « notre produit ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à Campylobacter » n’a aucune incidence sur la question de savoir s’il y aura effectivement contrefaçon sur le marché dans l’éventualité où Apotex obtiendrait l’autorisation de commercialiser son produit.

[18]      En ce qui concerne la revendication 2 du brevet, les demanderesses font observer qu’Apotex, en tant que société, ne peut souffrir d’une infection à Campylobacter et qu’elle ne pourra jamais utiliser l’oméprazole pour le traitement de cette infection. L’avocat des demanderesses ajoute que cette revendication est un exemple typique de revendication pour l’utilisation d’un médicament, revendication qui ne pourra jamais être contrefaite que par des patients. Les demanderesses estiment donc que le régime général établi par le Règlement sur les ADC doit nécessairement s’étendre à la contrefaçon commise par quelqu’un d’autre que la seconde personne, sans quoi le régime n’aurait pas de sens.

[19]      Les demanderesses font valoir que si la Cour arrive à la conclusion que le Règlement sur les ADC s’applique en cas de contrefaçon commise tant directement qu’indirectement par les patients, elle n’a plus besoin alors d’examiner la question de l’incitation à la contrefaçon. La Cour n’aurait à se pencher sur cette question que si elle est d’avis que les demanderesses doivent, pour avoir gain de cause, fournir la preuve d’une contrefaçon par Apotex elle-même.

Les arguments de la défenderesse Apotex

[20]      La défenderesse Apotex soutient que l’allégation est justifiée et qu’elle est conforme aux exigences du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les ADC. Elle fait valoir qu’étant donné qu’elle a été empêchée de produire (tardivement) une preuve par affidavit par suite d’une ordonnance du juge McKeown, l’omission de produire une telle preuve ne devrait pas donner lieu à des conclusions défavorables.

[21]      Apotex prétend que la seule question valablement soumise à la Cour consiste à déterminer si l’une ou l’autre des revendications énoncées dans le brevet '668 risque d’être contrefaite [traduction] « par la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente » par Apotex de ses gélules d’oméprazole.

[22]      Apotex allègue que le vendeur d’un article de commerce qui ne contrefait pas lui-même un brevet ne peut être tenu responsable des actes de contrefaçon commis par un tiers que s’il collabore ou complote avec ce tiers, sciemment, activement et directement, dans le but de contrefaire le brevet. La défenderesse soutient qu’un breveté qui désire invoquer la doctrine de l’incitation à la contrefaçon doit alléguer et prouver chacun des éléments suivants :

a) l’acte de contrefaçon a été exécuté par le contrefacteur directement;

b) l’exécution de l’acte de contrefaçon a été influencée par le vendeur, à un point tel que sans cette influence la contrefaçon n’aurait pas été commise par l’acheteur;

c) l’influence a été sciemment exercée par le vendeur, c’est-à-dire que le vendeur savait que son influence entraînerait l’exécution de l’acte de contrefaçon.

[23]      Les demanderesses ont convenu qu’il s’agissait du critère tripartite applicable dans les cas d’incitation à la contrefaçon d’un brevet.

[24]      Apotex prétend que les demanderesses n’ont pas réussi à établir, d’après la preuve, qu’une contrefaçon directe sera commise. En outre, Apotex soutient que, même si une contrefaçon directe était commise par un tiers, elle n’a pas influencé et n’influencera pas sciemment le contrefacteur direct de façon à l’inciter ou à l’amener à commettre la contrefaçon. En résumé, Apotex affirme qu’aucune des revendications énoncées au brevet '668 ne sera contrefaite advenant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente par elle de gélules d’oméprazole génériques.

Les arguments du ministre défendeur

[25]      Le ministre ne se prononce pas sur la question de savoir si une ordonnance d’interdiction devrait être rendue sur le fond. Il a fait valoir dans ses observations écrites que, du moins, en ce qui concerne le moyen invoqué par les demanderesses, l’instance n’est pas sans objet. Étant donné que les demanderesses ont renoncé à ce moyen lors de l’audience, le ministre n’a fait aucune observation de vive voix.

Les questions en litige

[26]      Je propose d’examiner les questions en litige de la façon suivante :

1. Les demanderesses ont-elles démontré, compte tenu de la preuve, qu’Apotex contrefera directement le brevet '668 si un ADC est délivré?

2. Comment doit-on interpréter le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), précité?

3. Les demanderesses ont-elles démontré, compte tenu de la preuve, qu’il y aura contrefaçon en général du brevet '668?

4. Les demanderesses ont-elles démontré, compte tenu de la preuve, qu’Apotex incitera ou amènera à commettre une contrefaçon du brevet '668 si un ADC est délivré?

5. Les demanderesses ont-elles réussi à démontré que l’ADA présenté par Apotex n’était pas fondé en fait ou en droit?

Les dispositions législatives

[27]      Les définitions pertinentes de l’article 2 du Règlement sur les ADC sont les suivantes :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

« avis de conformité » Avis délivré au titre de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues….

[…]

« médicament » Substance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes.

[…]

« revendication pour le médicament en soi » S’entend notamment d’une revendication, dans le brevet, pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes.

[…]

« revendication pour l’utilisation du médicament » Revendication pour l’utilisation du médicament aux fins du diagnostic, du traitement, de l’atténuation ou de la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes…2. In these Regulations,

[28]      Le paragraphe 5(1) du Règlement sur les ADC dispose :

5. (1) Lorsqu’une personne dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d’après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l’égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

a) soit une déclaration portant qu’elle accepte que l’avis de conformité ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l’alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n’est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité.

[29]      L’article 6 du Règlement sur les ADC prescrit :

6. (1) La première personne peut, dans les 45 jours après avoir reçu signification d’un avis d’allégation aux termes des alinéas 5(3)b) ou c), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration du brevet visé par l’allégation.

(2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée.

(3) La première personne signifie au ministre, dans la période de 45 jours visée au paragraphe (1), la preuve que la demande visée à ce paragraphe a été faite.

(4) Lorsque la première personne n’est pas le propriétaire de chaque brevet visé dans la demande mentionnée au paragraphe (1), le propriétaire de chaque brevet est une partie à la demande.

(5) Lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter la demande si, selon le cas :

a) il estime que les brevets en cause ne sont pas admissibles à l’inscription au registre ou ne sont pas pertinents quant à la forme posologique, la concentration et la voie d’administration de la drogue pour laquelle la seconde personne a déposé une demande d’avis de conformité;

b) il conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure.

(6) Aux fins de la demande visée au paragraphe (1), lorsque la seconde personne a fait une allégation aux termes des sous-alinéas 5(1)b)(iv) ou (1.1)b)(iv) à l’égard d’un brevet et que ce brevet a été accordé pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes, la drogue que la seconde personne projette de produire est, en l’absence d’une preuve contraire, réputée préparée ou produite selon ces modes ou procédés.

(7) Sur requête de la première personne, le tribunal peut, au cours de l’instance :

a) ordonner à la seconde personne de produire les extraits pertinents de la demande d’avis de conformité qu’elle a déposée et lui enjoindre de produire sans délai tout changement apporté à ces extraits au cours de l’instance;

b) enjoindre au ministre de vérifier que les extraits produits correspondent fidèlement aux renseignements figurant dans la demande d’avis de conformité.

(8) Tout document produit aux termes du paragraphe (7) est considéré comme confidentiel.

(9) Le tribunal peut, au cours de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), rendre toute ordonnance relative aux dépens, notamment sur une base avocat-client, conformément à ses règles.

(10) Lorsque le tribunal rend une ordonnance relative aux dépens, il peut tenir compte notamment des facteurs suivants :

a) la diligence des parties à poursuivre la demande;

b) l’inscription, sur la liste de brevets qui fait l’objet d’une attestation, de tout brevet qui n’aurait pas dû y être inclus aux termes de l’article 4;

c) le fait que la première personne n’a pas tenu à jour la liste de brevets conformément au paragraphe 4(6).

[30]      Les paragraphes 55.2(4) et (5) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 [édictés par L.C. 1993, ch. 2, art. 4], édictent :

55.2 […]

(4) Afin d’empêcher la contrefaçon de brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :

a) fixant des conditions complémentaires nécessaires à la délivrance, en vertu de lois fédérales régissant l’exploitation, la fabrication, la construction ou la vente de produits sur lesquels porte un brevet, d’avis, de certificats, de permis ou de tout autre titre à quiconque n’est pas le breveté;

b) concernant la première date, et la manière de la fixer, à laquelle un titre visé à l’alinéa a) peut être délivré à quelqu’un qui n’est pas le breveté et à laquelle elle peut prendre effet;

c) concernant le règlement des litiges entre le breveté, ou l’ancien titulaire du brevet, et le demandeur d’un titre visé à l’alinéa a), quant à la date à laquelle le titre en question peut être délivré ou prendre effet;

d) conférant des droits d’action devant tout tribunal compétent concernant les litiges visés à l’alinéa c), les conclusions qui peuvent être recherchées, la procédure devant ce tribunal et les décisions qui peuvent être rendues;

e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d’un titre visé à l’alinéa a) lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.

(5) Une disposition réglementaire prise sous le régime du présent article prévaut sur toute disposition législative ou réglementaire fédérale divergente.

this section or the regulations made under this section shall prevail to the extent of the inconsistency or conflict.

[31]      Les dispositions pertinentes du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 sont les suivantes [mod. par DORS/93-202, art. 24; 95-411, art. 4] :

C.08.002. (1) Il est interdit de vendre ou d’annoncer une drogue nouvelle, à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

a) le fabricant de la drogue nouvelle a, relativement à celle-ci, déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle que celui-ci juge acceptable;

b) le ministre a, aux termes de l’article C.08.004, délivré au fabricant de la drogue nouvelle un avis de conformité relativement à la présentation de drogue nouvelle ou à la présentation abrégée de drogue nouvelle;

c) l’avis de conformité relatif à la présentation n’a pas été suspendu aux termes de l’article C.08.006;

d) le fabricant de la drogue nouvelle a présenté au ministre, sous leur forme définitive, des échantillons des étiquettesy compris toute notice jointe à l’emballage, tout dépliant et toute fiche sur le produitdestinées à être utilisées pour la drogue nouvelle, ainsi qu’une déclaration indiquant la date à laquelle il est prévu de commencer à utiliser ces étiquettes.

(2) La présentation de drogue nouvelle doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle, notamment :

a) une description de la drogue nouvelle et une mention de son nom propre ou, à défaut, de son nom usuel;

b) une mention de la marque nominative de la drogue nouvelle ou du nom ou code d’identification projeté pour celle-ci;

c) la liste quantitative des ingrédients de la drogue nouvelle et les spécifications relatives à chaque ingrédient;

d) la description des installations et de l’équipement à utiliser pour la fabrication, la préparation et l’emballage de la drogue nouvelle;

e) des précisions sur la méthode de fabrication et les mécanismes de contrôle à appliquer pour la fabrication, la préparation et l’emballage de la drogue nouvelle;

f) le détail des épreuves qui doivent être effectuées pour contrôler l’activité, la pureté, la stabilité et l’innocuité de la drogue nouvelle;

g) les rapports détaillés des épreuves effectuées en vue d’établir l’innocuité de la drogue nouvelle, aux fins et selon le mode d’emploi recommandés;

h) des preuves substantielles de l’efficacité clinique de la drogue nouvelle aux fins et selon le mode d’emploi recommandés;

i) la déclaration des noms et titres professionnels de tous les chercheurs à qui la drogue nouvelle a été vendue;

j) une esquisse de chacune des étiquettes qui doivent être employées relativement à la drogue nouvelle;

k) la déclaration de toutes les recommandations qui doivent être faites dans la réclame pour la drogue nouvelle, au sujet

(i) de la voie d’administration recommandée pour la drogue nouvelle,

(ii) de la posologie proposée pour la drogue nouvelle,

(iii) des propriétés attribuées à la drogue nouvelle,

(iv) des contre-indications et les effets secondaires de la drogue nouvelle;

l) la description de la forme posologique proposée pour la vente de la drogue nouvelle;

m) les éléments de preuve établissant que les lots d’essai de la drogue nouvelle ayant servi aux études menées dans le cadre de la présentation ont été fabriqués et contrôlés d’une manière représentative de la production destinée au commerce;

n) dans le cas d’une drogue nouvelle destinée à être administrée à des animaux producteurs de denrées alimentaires, le délai d’attente applicable.

Analyse

[32]      Question 1

Les demanderesses ont-elles démontré, compte tenu de la preuve, qu’Apotex contrefera directement le brevet '668 si un ADC est délivré?

Le brevet '668 ne confère des droits exclusifs d’utilisation de l’oméprazole qu’à l’égard du traitement des infections à Campylobacter. Le brevet '668 ne contient aucune revendication à l’égard du composé chimique de l’oméprazole lui-même et ne contient aucune revendication se rapportant aux préparations pharmaceutiques ou à l’utilisation de l’oméprazole à des fins autres que le traitement des infections à Campylobacter.

[33]      La revendication 1 accorde un droit exclusif d’utilisation de l’oméprazole pour la fabrication d’un médicament à des fins de traitement des infections à Campylobacter. En l’espèce, Apotex cherche à obtenir le droit d’utiliser l’oméprazole pour fabriquer un médicament. Toutefois, le médicament fabriqué par Apotex ne relèvera du domaine exclusif du breveté que si ce médicament est fabriqué aux fins de traitement des infections à Campylobacter. Apotex allègue dans l’ADA, ce que la Cour doit tenir pour véridique, qu’elle ne fabrique pas le médicament à des fins de traitement des infections à Campylobacter. Les demanderesses n’ont pas allégué de façon spécifique que la revendication 1 était directement contrefaite par Apotex, et je suis d’avis qu’elles n’ont pas réussi à fournir la preuve d’une contrefaçon de la revendication 1.

[34]      Les demanderesses ont admis qu’Apotex, en tant que société, ne peut utiliser l’oméprazole pour traiter une infection à Campylobacter. Apotex ne contrefait et ne contrefera pas directement la revendication 2.

[35]      Les demanderesses soutiennent qu’Apotex contrefera directement la revendication 3, laquelle revendication concerne une préparation pharmaceutique d’oméprazole destinée à être utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter. Elles prétendent qu’il s’agit d’une revendication pour le médicament en soi selon le Règlement sur les ADC. La Cour note que la revendication 3 est limitée par les mots « destinée à être utilisée dans le traitement des infections à Campylobacter » de sorte que les préparations pharmaceutiques d’oméprazole qui ne sont pas utilisées pour le traitement des infections à Campylobacter ne contreferaient pas le brevet ʹ668. Il s’agit d’une limitation et d’une dérogation importante à une revendication absolue pour le médicament.

[36]      Pour établir avec succès qu’Apotex contrefait la revendication 3, les demanderesses doivent démontrer, compte tenu de la preuve, qu’Apotex a l’intention de fabriquer et de vendre ladite préparation pharmaceutique pour le traitement des infections à Campylobacter. À mon avis, les demanderesses n’ont pas démontré, vu l’ensemble de la preuve, qu’Apotex entend fabriquer, utiliser ou vendre la préparation pharmaceutique pour le traitement des infections à Campylobacter.

[37]      Dans SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 99 (C.F. 1re inst.), le juge McGillis affirme [au paragraphe 39] :

Dans son avis d’allégation, Apotex soutient que ses comprimés n’emporteront pas la contrefaçon du brevet 060. Cette allégation est tenue pour véridique « sauf dans la mesure que [SmithKline] prouve le contraire ». (Voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), à la p. 319). Selon moi, les éléments de preuve présentés par SmithKline, y compris les résultats des deux expériences, ne soulèvent qu’une possibilité de contrefaçon par Apotex et n’établissent pas, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation de non-contrefaçon formulée par Apotex est non fondée. Je suis également convaincue que le témoignage de M. Petrov, pour le compte d’Apotex, n’étaye pas la thèse de SmithKline, comme le prétend son avocat. À mon avis, M. Petrov a simplement confirmé qu’il était d’accord avec les conclusions du Dr Apperley et de M. Ward tirées à l’issue des expériences qu’ils ont effectuées.

[38]      Les demanderesses n’ont fait aucune allégation portant qu’une contrefaçon avait déjà été commise. Compte tenu de l’ADA présenté par Apotex, je suis d’avis qu’il n’a pas été établi, selon la preuve prépondérante, que si un ADC est délivré, Apotex contrefera directement le brevet '668.

[39]      Pour les raisons susmentionnées, je ne crois pas qu’Apotex contrefera directement le brevet '668 si un avis de conformité est délivré.

[40]      Question 2

Comment doit-on interpréter le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), précité?

Le paragraphe 5(1) du Règlement sur les ADC énonce les conditions qui doivent être remplies pour déclencher l’application du règlement. En l’espèce, les avocats des demanderesses et de la défenderesse ont proposé deux interprétations différentes de la condition figurant au sous-alinéa 5(1)b)(iv). Sans qu’il soit besoin de répéter le libellé commun à l’ensemble de l’alinéa 5(1)b), le sous-alinéa 5(1)b)(iv) dispose :

5. (1)b) […]

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité.

[41]      Le litige porte sur les mots « par elle » et sur la question de savoir si ces mots doivent être interprétés comme si le sous-alinéa se lisait « aucune revendication […] ne seraient contrefaites par cette personne » ou comme s’il se lisait « aucune revendication […] ne seraient contrefaites par quiconque ». Par souci de clarté, les deux interprétations proposées sont ci-dessous reproduites en entier.

[42]      Les demanderesses proposent l’interprétation non limitative suivante :

Aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites [par quiconque] advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité.

[43]      La défenderesse propose l’interprétation plus stricte suivante :

Aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites [par cette personne] advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité.

[44]      Selon l’interprétation des demanderesses, une personne demandant un ADC devrait inclure dans son ADA une allégation portant que personne au monde ne contreferait le brevet advenant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente du médicament par cette personne. Une telle interprétation exigerait de la personne qu’elle allègue que personne d’autre n’utiliserait le médicament, après sa mise en marché, à des fins qui contreferaient le brevet. Cette interprétation aurait pour effet d’imposer un lourd fardeau à la personne, d’autant plus que cette dernière serait obligée de faire une déclaration s’étendant à des contrefaçons possibles pouvant être totalement indépendantes de sa volonté.

[45]      Selon l’interprétation proposée par la défenderesse, la personne demandant un ADC n’aurait qu’à inclure dans son ADA une allégation portant que ses propres actions ne contreferaient pas le brevet. Une telle allégation se limiterait nécessairement aux contrefaçons sous la responsabilité de cette personne.

[46]      Les demanderesses prétendent que l’interprétation plus stricte ne saurait correspondre à l’intention que le législateur avait en rédigeant le Règlement sur les ADC parce que l’objet de ce Règlement est de s’assurer que le ministre ne délivre pas d’ADC dans les cas où cette délivrance pourrait entraîner une contrefaçon, peu importe l’identité du contrefacteur.

[47]      Pour interpréter le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les ADC, il faut examiner la nature du Règlement. Tout d’abord, l’alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets, précitée, dispose :

55.2 […]

(4) Afin d’empêcher la contrefaçon de brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :

[…]

e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d’un titre visé à l’alinéa a) lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.

Le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, précitée, est la disposition qui habilite le ministre à adopter le Règlement sur les ADC. Le texte commun à l’ensemble du paragraphe 55.2(4) contient l’autorisation de prendre des règlements « [a]fin d’empêcher la contrefaçon de brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée » (non souligné dans l’original). Le texte spécifique de l’alinéa e) contient les mots « lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet ». Considérées simultanément, ces dispositions semblent indiquer que le pouvoir conféré au gouverneur en conseil en vertu de cet article l’habilite à prendre des règlements visant tant les contrefaçons directes que les contrefaçons indirectes commises par la seconde personne.

[48]      Pour revenir à la législation subordonnée, l’alinéa 5(1)b) du Règlement sur les ADC énonce les conditions qui doivent être remplies par la seconde personne dans un ADA. Le sous-alinéa 5(1)b)(iv) exige que cette dernière allègue qu’«aucune revendication […] ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle ». La ressemblance de construction avec la législation habilitante est notable. Le paragraphe 55.2(4) habilite le ministre à prendre des règlements visant à empêcher la contrefaçon par les personnes qui fabriquent, construisent, utilisent ou vendent une invention brevetée, et par le truchement du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les ADC, le ministre a pris un tel règlement. Je suis d’avis que ces phrases, lorsqu’on les combine, indiquent la façon dont le sous-alinéa 5(1)b)(iv) doit être interprété.

[49]      Le pouvoir conféré par la loi habilitante, de même que mon interprétation littérale de la disposition, m’amènent à conclure que la contrefaçon visée au sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les ADC se limite à cette personne, en l’occurrence le fabricant de produits pharmaceutiques génériques qui présente l’ADA. La seconde personne pourrait violer les droits du titulaire du brevet de façon directe ou indirecte, selon le cas. Le libellé du Règlement n’impose aucune limite quant à la nature de la contrefaçon commise par la seconde personne, et le droit de prendre des règlements conféré par l’alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets, précité, permet la prise d’un tel règlement. Nul n’est besoin d’ajouter des mots dans le Règlement. Les Règlements visent autant la contrefaçon que la seconde personne a incité ou aidé à commettre que celle qu’elle a commise directement.

[50]      Le juge des requêtes [(2000), 9 C.P.R. (4th) 79 (C.F. 1re inst.)] a affirmé, au paragraphe 22 de sa décision rendue dans le cadre d’une requête visant le rejet de la demande, que « [l]’intention du Règlement est d’interdire au ministre de délivrer un avis de conformité qui aurait pour effet la contrefaçon du brevet en général, sans égard à l’identité de l’auteur de la contrefaçon ». Selon moi, le juge des requêtes a voulu dire que dans les cas d’incitation à la contrefaçon, celle-ci serait commise directement par quelqu’un d’autre que la seconde personne.

[51]      Après avoir reçu des observations exhaustives et avoir examiné le fond de l’affaire, je suis d’avis que le Règlement a pour but d’empêcher le ministre de délivrer un ADC lorsqu’une telle délivrance risque d’entraîner une contrefaçon par une seconde personne. Comme nous le verrons plus loin, la contrefaçon par un tiers, comme l’utilisation d’un médicament par un patient, peut s’avérer pertinente pour les fins du Règlement sur les ADC lorsqu’il peut être prouvé que la seconde personne a incité ou aidé à commettre la contrefaçon. Cependant, la contrefaçon par quiconque n’est pertinente pour les fins du Règlement sur les ADC que s’il est possible d’établir un lien impliquant la seconde personne dans la contrefaçon soit directement, soit indirectement par le biais d’une incitation.

[52]      Dans l’intervalle entre la date de l’audience et le prononcé des présents motifs, les demanderesses ont déposé en preuve une copie des motifs de l’ordonnance du juge McKeown dans Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2001), 15 C.P.R. (4th) 498 (C.F. 1re inst.). Il s’agit d’une affaire de délivrance d’un avis de conformité où l’on alléguait, entre autres choses, la déficience de l’ADA.

[53]      Dans l’affaire Procter & Gamble, précitée, les revendications 17 à 37 du brevet 376 constituaient des revendications relatives à l’utilisation d’un médicament. La défenderesse a omis d’alléguer dans l’ADA qu’elle ne contreferait pas, directement ou indirectement, les revendications relatives à l’utilisation contenues dans le brevet '376. Sur cette question, le juge McKeown affirme aux paragraphes 22 et 23 :

Par conséquent, l’absence dans l’énoncé, de faits précis se rapportant à l’utilisation ou à la non-utilisation du médicament dans le traitement de l’ostéoporose ou à l’utilisation qui pourrait être faite du GEN-ÉTIDRONATE pour traiter cette affection en recourant à un kit ou à un schéma posologique cyclique, constitue un vice fatal. Ainsi, si la première personne, c’est-à-dire la société fabriquant les médicaments d’origine qui est demanderesse dans l’instance en interdiction, peut démontrer l’insuffisance de l’avis d’allégation et de l’énoncé détaillé, elle s’acquitte du fardeau qui lui incombe, et il n’est pas nécessaire d’aller plus loin et d’examiner les faits […]

Les demanderesses P & G ont démontré, comme la loi l’exigeait, que l’avis d’allégation et l’énoncé détaillé souffraient d’un vice fatal parce qu’ils ne faisaient pas état de la revendication du brevet relative à l’utilisation et qu’ils n’indiquaient pas l’utilisation ou le traitement visés par le GEN-ÉTIDRONATE, la substance en cause en l’espèce.

Le juge McKeown a conclu dans cette affaire que l’ADA était déficient.

[54]      Je présume que les demanderesses ont invoqué cette affaire en raison de l’affirmation, qu’y fait le juge McKeown au paragraphe 18, selon laquelle « Le Règlement vise fondamentalement à prévenir la contrefaçon de brevets ». Pour étayer cette affirmation, le juge McKeown a cité le paragraphe 16 des motifs du juge McGillis dans SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (1999), 3 C.P.R. (4th) 22 (C.F. 1re inst.).

[55]      Je suis d’accord avec cette affirmation, mais j’y apporterai la restriction suivante. Cette proposition ne confirme ni n’infirme que la contrefaçon doit se limiter aux contrefaçons directes ou indirectes commises par la seconde personne. Je ne suis pas certain que le juge McKeown ou le juge McGillis, cités précédemment, se soient penchés sur la question de savoir si le Règlement sur les ADC avait pour but d’empêcher la délivrance d’un ADC lorsqu’il ne peut être établi que l’une quelconque des revendications d’un brevet serait contrefaite, directement ou indirectement (par le biais d’une incitation, par exemple), par la seconde personne. Le fait d’empêcher la délivrance d’un ADC à la seconde personne sur la base de contrefaçons possibles lorsqu’il est impossible d’établir, selon la preuve prépondérante, que cette dernière a commis une contrefaçon équivaudrait à assujettir la seconde personne à une norme plus élevée que celle imposée dans les procès en contrefaçon de brevet, ce qui serait assurément incompatible avec le caractère sommaire des instances relatives aux ADC.

[56]      Étant donné qu’aucune jurisprudence contraire traitant de cette question ne m’a été présentée, je ne suis pas convaincu de devoir m’écarter de mon interprétation du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les ADC, énoncée ci-dessus.

[57]      Il convient de noter que la demande d’interdiction de délivrer un ADC ne constitue pas le seul recours ouvert aux demanderesses en cas de contrefaçon de brevet. Mon interprétation du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les ADC n’a pas pour effet de laisser une première personne sans recours ni protection. Lorsqu’une compagnie pharmaceutique innovatrice ne réussit pas à établir de façon satisfaisante une contrefaçon par le fabricant de médicaments génériques dans le cadre de procédures intentées en vertu du Règlement sur les ADC, cette compagnie dispose toujours de toute la gamme des recours judiciaires (à l’exception de l’interdiction de déposer un ADC par préemption) ouverts en cas de contrefaçon.

[58]      Question 3

Les demanderesses ont-elle démontré, compte tenu de la preuve, qu’il y aura contrefaçon en général du brevet '668?

Pour les raisons susmentionnées, dans la mesure où il est possible que des personnes autres qu’Apotex contrefassent le brevet, la question de la contrefaçon en général est pertinente dans le cadre des présentes procédures, intentées en vertu de l’article 6 du Règlement sur les ADC afin de contester l’ADA présenté par Apotex, si la participation de cette dernière est telle que ses activités équivalent à une contrefaçon directe ou à une incitation à commettre une contrefaçon.

[59]      Bien que je ne sois pas tenu d’expliquer mes motifs, j’aborderai expressément l’argument des demanderesses sur cette question. Celles-ci ont invoqué la décision du juge Richard (tel était son titre) dans Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 61 C.P.R. (3d) 190 (C.F. 1re inst.), à l’appui de la proposition selon laquelle la contrefaçon par des tiers est visée par le Règlement sur les ADC.

[60]      Selon moi, la situation factuelle existant dans Zeneca, précitée, est manifestement différente de celle de la présente espèce. Dans Zeneca, la seconde personne a reconnu avoir demandé l’approbation du gouvernement en vue du traitement de l’insuffisance cardiaque globale, utilisation qui faisait l’objet d’une revendication expresse dans le brevet. Dans cette affaire, la preuve établissait clairement que la seconde personne (c.-à-d. Apotex) était suffisamment impliquée dans les contrefaçons commises par les tiers (c.-à-d. les patients) pour être reconnue coupable de contrefaçon du brevet. Que la décision finale ait qualifié la contrefaçon commise par la seconde personne de contrefaçon directe ou indirecte, ou qu’elle ait déclaré l’ADA déficient, l’article 6 trouvait application dans cette affaire.

[61]      Dans Zeneca, précité, le juge Richard a écrit à la page 203 :

Toutefois, comme il a été indiqué ci-dessus, Apotex reconnaît que les utilisations pour lesquelles elle demande l’approbation gouvernementale englobent le traitement de l’insuffisance cardiaque globale. En me fondant sur les documents dont je suis saisi, je conclus qu’Apotex a l’intention d’utiliser les comprimés de lisinopril, qui peuvent servir à cette fin, pour le traitement de l’insuffisance cardiaque globale. Il est indifférent qu’un médecin et un pharmacien agissent comme intermédiaires pour prescrire et vendre le médicament au consommateur. L’alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets prévoit spécifiquement l’adoption de règlements régissant la délivrance d’un avis lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon d’un brevet. Dans ces circonstances, la revendication concernant l’utilisation énoncée dans le brevet 351 serait contrefaite, si ce n’est directement, du moins très certainement indirectement. [Non souligné dans l’original.]

[62]      Les demanderesses ont fait valoir que les mots « directly or indirectly » employés par le juge Richard indiquent que la contrefaçon en général, comme celle commise par des tiers qui n’ont aucun lien de dépendance, est visée par la loi. Ces mots ont été tirés de l’alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets, précitée. Considérer l’alinéa 55.2(4)e) dans son ensemble nous permet de situer les propos du juge Richard dans leur contexte. Pour plus de commodité, je reproduis le texte de l’alinéa 55.2(4)e) de la Loi sur les brevets, précitée :

55.2 […]

(4) Afin d’empêcher la contrefaçon de brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) ou (2), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :

[…]

e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d’un titre visé à l’alinéa a) lorsque celle-ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.

[63]      Comme je l’ai dit en examinant la question 2, le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, précitée, habilite le gouverneur en conseil à prendre des règlements ayant pour objet d’empêcher les contrefaçons directes et indirectes par la seconde personne.

[64]      Dans Zeneca, précitée, le juge Richard a estimé que l’intention de la seconde personne (Apotex), et ce pourquoi elle cherchait à obtenir une approbation, était que les patients puissent utiliser le médicament dans le traitement de l’insuffisance cardiaque globale, ce qui contrefaisait le brevet. Le juge Richard a conclu que « [d]ans ces circonstances, la revendication concernant l’utilisation énoncée dans le brevet 351 serait contrefaite, si ce n’est directement, du moins très certainement indirectement ». Cette conclusion est conforme à mon interprétation de la loi habilitante et du régime de réglementation.

[65]      Ce sont les actions et la connaissance de la seconde personne dans l’affaire Zeneca, précitée, qui ont rendu pertinente la question des contrefaçons possibles par des tiers (les patients) dans les instances relatives au Règlement sur les ADC. Le juge Richard a clairement établi ce lien lorsqu’il a écrit : «En me fondant sur les documents dont je suis saisi, je conclus qu’Apotex a l’intention d’utiliser les comprimés de lisinopril, qui peuvent servir à cette fin, pour le traitement de l’insuffisance cardiaque globale ». Bien que le juge Richard n’ait pas, en définitive, qualifié les actions de la seconde personne (Apotex) de contrefaçon directe ou indirecte, ou d’incitation à la contrefaçon, le lien nécessaire entre la seconde personne et la contrefaçon a clairement été établi.

[66]      Pour en revenir à la présente espèce, Apotex allègue que sa demande d’approbation ne vise pas l’utilisation de l’oméprazole qui est protégée par un brevet. L’ADA n’est pas contredit par la preuve. Le lien entre la seconde personne et la contrefaçon pouvant résulter de la délivrance d’un ADC n’a pas été établi. En outre, je ne crois pas que ma décision et celle du juge Richard entrent en conflit.

[67]      Question 4

Les demanderesses ont-elles démontré, compte tenu de la preuve, qu’Apotex incitera ou amènera à commettre une contrefaçon du brevet '668 si un ADC est délivré?

Une partie qui incite ou amène une autre partie à contrefaire un brevet est elle-même responsable de contrefaçon. Ainsi, les actes de contrefaçon d’une tierce partie peuvent devenir pertinents aux fins du Règlement sur les ADC lorsque le demandeur (la première personne) est en mesure d’établir que la seconde personne a incité ou aidé une autre personne à contrefaire le brevet en question.

[68]      Le breveté qui désire invoquer la doctrine de l’incitation à la contrefaçon doit alléguer et prouver chacun des éléments suivants :

a) l’acte de contrefaçon a été exécuté par le contrefacteur directement;

b) l’exécution de l’acte de contrefaçon a été influencée par le vendeur, à un point tel que sans cette influence la contrefaçon n’aurait pas été commise par l’acheteur; et

c) l’influence a été sciemment exercée par le vendeur, c’est-à-dire que le vendeur savait que son influence entraînerait l’exécution de l’acte de contrefaçon.

[69]      En ce qui concerne la partie a) du critère, pour qu’Apotex incite ou amène à commettre une contrefaçon du brevet 668, il faut qu’une contrefaçon directe soit commise par une autre partie. Les demanderesses ont le fardeau de prouver, selon la preuve prépondérante, qu’une contrefaçon pourrait vraisemblablement se produire si un ADC était délivré.

[70]      La thèse que les demanderesses tentent d’établir au moyen d’affidavits veut que le pharmacien ne connaisse généralement pas la raison ou l’utilisation particulière pour laquelle le médecin a prescrit un médicament. Par conséquent, même s’il savait que l’oméprazole produit par Apotex n’a pas été formellement approuvé pour le traitement des infections à Campylobacter, le pharmacien ne saurait généralement pas pourquoi l’oméprazole a été prescrit au patient et aurait donc tendance à délivrer le produit générique, qui coûte vraisemblablement moins cher.

[71]      Les demanderesses ont déposé trois affidavits en preuve. Le premier a été établi sous serment par Mme Murphy, dirigeante de la demanderesse Astra. Le second a été fait sous serment par le Dr Pinto, médecin et le troisième par Mme Samuel, pharmacienne.

[72]      Dans leurs affidavits, les déclarants ont tous trois exprimé l’opinion qu’un médecin prescrirait vraisemblablement le médicament oméprazole sous sa forme générique pour le traitement des infections à Campylobacter, et qu’un pharmacien aurait tendance à délivrer au patient le produit générique à moindre coût, ce qui entraînerait une contrefaçon du brevet '668.

[73]      Cette thèse paraît certes constituer une proposition raisonnable, mais malheureusement pour les demanderesses, elle n’est pas étayée par la preuve au dossier, compte tenu du contre-interrogatoire des déclarants relativement à leurs affidavits.

[74]      Mme Murphy a déclaré lors de son contre-interrogatoire (dossier de demande révisé et modifié, à la page 224, question 106) :

Q. Et vous seriez d’accord avec moi pour dire que lorsqu’un produit a été approuvé par le gouvernement fédéral pour des utilisations limitées, le gouvernement provincial pourrait convenir de considérer le produit comme interchangeable en fonction des limitations et d’assimiler les limitations à des utilisations.

R. Oui.

Et à la page 218, question 80 :

Q. Certainement. Vous n’avez aucune raison de croire que lorsque le fabricant d’un médicament a déposé une demande d’approbation pour certaines utilisations seulement, le gouvernement accorderait néanmoins une approbation pour d’autres utilisations?

R. Je n’ai aucune raison de croire cela, non.

[75]      Mme Murphy a également admis en contre-interrogatoire n’avoir jamais travaillé pour un fabricant de médicaments génériques, ce qui voudrait dire qu’elle n’a aucune connaissance réelle des méthodes utilisées par ces fabricants pour faire la promotion de leurs produits.

[76]      De plus, Mme Murphy n’est ni médecin ni pharmacienne. En fait, tout ce que je sais de Mme Murphy, c’est qu’elle a été vice-présidente aux affaires médicales chez Astra après avoir occupé les postes de gérante, directrice, directrice générale et vice-présidente des affaires réglementaires chez Astra. De même, elle a un B. Sc., une M. Sc. et une M.B.A.

[77]      Puisque Mme Murphy n’est pas qualifiée pour rendre un témoignage d’opinion, je ne peux accepter aucune des opinions exprimées aux paragraphes 13, 14, 15, 16, 17, 19 et 20 de son affidavit. Même si je pouvais considérer Mme Murphy comme un expert, j’accorderais moins d’importance à son témoignage parce qu’elle travaille pour Astra.

[78]      Lors du contre-interrogatoire de la pharmacienne, Mme Samuel (dossier de demande révisé et modifié, à la page 200, question 66), M. Brodkin a posé la question suivante :

Q. Si le gouvernement excluait expressément une utilisation particulière d’un médicament, je présume que vous, Mme Samuel, ne délivreriez pas le médicament pour cette utilisation, n’est-ce pas?

R. Non, je ne le ferais pas.

[79]      Mme Samuel a le droit de témoigner sur son expérience dans l’exercice de la pharmacie. Elle ne pouvait autrement être considérée comme un témoin expert. Elle n’aurait pas l’expertise nécessaire pour témoigner, par exemple, du comportement général des médecins, comme l’a fait Mme Murphy dans son affidavit.

[80]      Le Dr Pinto est autorisé à exercer la médecine en Ontario depuis 1975. Le Dr Pinto ne pouvait être considéré comme un expert autrement que pour établir qu’il était un médecin dûment autorisé à exercer en Ontario. Par conséquent, son témoignage au sujet du comportement des autres médecins n’est pas admissible et s’il le devenait, à titre subsidiaire, il faudrait lui accorder une très faible valeur probante puisque rien ne prouve le bien-fondé de ses conclusions. A-t-il, par exemple, interrogé d’autres médecins? Le Dr Pinto a déclaré lors de son contre-interrogatoire (dossier de demande révisé et modifié, à la page 148, question 55) :

Q. Vous n’auriez aucune raison, n’est-ce pas, Dr Pinto, de penser que le gouvernement fédéral accorderait une approbation pour certaines utilisations qui n’auraient pas fait l’objet d’une demande d’approbation par un fabricant de médicament?

R. Je ne pense pas qu’il devrait le faire ou qu’il le ferait.

[81]      La preuve des demanderesses établit que si la défenderesse ne demandait pas d’approbation pour l’utilisation de l’oméprazole dans le traitement des infections à Campylobacter, le gouvernement fédéral n’accorderait pas une telle approbation de sa propre initiative. La pharmacienne, Mme Samuel, ne délivrerait pas l’oméprazole générique à des fins de traitement des infections à Campylobacter si le médicament n’était pas approuvé pour cette utilisation. Les affidavits versés au dossier n’ont fourni aucune preuve d’un acte réel de contrefaçon directe exécuté par un contrefacteur direct. Je suis donc d’avis, selon la preuve prépondérante, que les demanderesses n’ont pas prouvé la partie a) du critère tripartite applicable à l’incitation à la contrefaçon.

[82]      Bien que cela ne soit pas nécessaire pour trancher l’affaire, je vais poursuivre l’analyse comme s’il y avait eu contrefaçon directe, ne serait-ce que pour vider la question. Pour déterminer si l’acte de contrefaçon a été influencé par Apotex, la Cour doit interpréter les règles applicables en cas d’incitation à la contrefaçon, pour ensuite décider, sur la seule foi de la preuve présentée, si une telle contrefaçon a été commise.

[83]      La défenderesse Apotex cite une affaire américaine à l’appui de la proposition voulant que, même si elle savait que son produit serait erronément prescrit par les médecins ou délivré par les pharmaciens pour le traitement des infections à Campylobacter, une telle connaissance ne suffirait pas en soi à établir la contrefaçon par Apotex. L’affaire Catapano v. Wyeth Ayerst Pharmaceuticals, Inc., 88 F.Supp.2d 27 (E.D.N.Y. 2000), traite de l’incitation à la contrefaçon au sens de l’alinéa 271b) du titre 35 du U.S.C.A. Dans cette affaire, le juge Spatt de la Cour de district des États-Unis pour le district est de New York, déclare, aux paragraphes 4 et 5 :

[traduction] L’incitation à la contrefaçon au sens de l’alinéa 271b) se produit lorsqu’une partie « activement et sciemment amène et incite une autre partie à commettre une contrefaçon directe ». National Presto Industries v. West Bend Co., 76 F.3d 1185, 1194-95 (Fed. Cir. 1996) citant Water Technologies Corp. v. Calco, Ltd., 850 F.2d 660, 668 (Fed. Cir. 1988). Le plaignant qui allègue l’incitation à la contrefaçon doit établir que le défendeur avait l’intention spécifique d’encourager le tiers à commettre la contrefaçon et qu’il savait ou aurait dû savoir que ses actes inciteraient à de réelles contrefaçons. Manville Sales Corp. v. Paramount Systems, Inc., 917 F.2d 544, 553 (Fed. Cir. 1990). Évidemment, il faut d’abord arriver à la conclusion qu’une revendication a été contrefaite avant de pouvoir conclure à l’existence d’un acte constituant une incitation à contrefaire au sens de l’alinéa 271b). Zenith Laboratories v. Bristol-Myers Squibb Co., 19 F.3d 1418, 1423 n. 5 (Fed. Cir. 1994).

En l’espèce, la Cour présume, sans nécessairement conclure, que l’allégation de Catapano portant que « les médecins, les hôpitaux et autres acteurs du domaine médical » utilisent le vaccin à des fins de stimulation du système immunitaire en violation de son brevet est suffisamment spécifique pour constituer une allégation de contrefaçon réelle contre ces anonymes tiers «médecins, hôpitaux et autres acteurs du domaine médical ». La plainte de Catapano toutefois, même considérée sous son jour le plus favorable à ce dernier, n’allègue pas que les défendeurs avaient l’intention spécifique d’encourager le comportement de ces tiers. Même si les défendeurs sont au courant que les médecins et les hôpitaux utilisent le vaccin pour stimuler le système immunitaire des patients en violation du brevet de Catapano, une telle connaissance ne suffit pas en soi à tenir les défendeurs responsables d’incitation à la contrefaçon. R2 Medical Systems, Inc. v. Katecho, Inc., 931 F.Supp. 1397, 1440 (N.D.I11.1996) (le simple fait de savoir que ses clients utilisent ses produits de manière à contrefaire un brevet ne suffit pas à démontrer l’intention requise dans une allégation d’incitation à la contrefaçon), citant Oak Industries Inc. v. Zenith Electronics Corp., 697 F. Supp. 988, 992-94 (N.D.I11.1988).

Catapano n’a pas allégué que les défendeurs avaient affirmé ou recommandé à quiconque, implicitement ou explicitement, que le vaccin pouvait être utilisé à des fins de stimulation du système immunitaire. Comparer avec Biacore v. Thermo Bioanalysis Corp., 79 F.Supp. 2d 422, 459 (D.Del. 1999) (le fabricant qui a activement commercialisé un produit en l’accompagnant d’instructions d’utilisation de façon à contrefaire le brevet du plaignant a été tenu responsable d’incitation à la contrefaçon). Même en en faisant une lecture très large, la plainte de Catapano n’allègue rien de plus qu’une simple connaissance des défendeurs que les médecins et les hôpitaux contrefont son brevet. Par conséquent, Catapano n’a pas allégué l’incitation à la contrefaçon suivant l’alinéa 271b). [Non souligné dans l’original.]

[84]      Étant donné que l’affaire Catapano, précitée, est une affaire américaine qui relève de la législation américaine sur les brevets, elle ne lie pas la Cour. Elle est néanmoins convaincante pour analyser s’il y a incitation à la contrefaçon dans un contexte factuel semblable à celui de l’espèce.

[85]      Dans la présente affaire, Apotex allègue qu’elle n’a pas demandé que l’utilisation de l’oméprazole soit approuvée pour le traitement des infections à Campylobacter, et qu’elle ne le commercialisera pas à cette fin. Si la Cour décidait de suivre la décision rendue dans l’affaire Catapano, précitée, à moins que les demanderesses réussissent à démontrer qu’Apotex encouragera l’utilisation de son oméprazole pour le traitement des infections à Campylobacter, même la simple connaissance du fait que les pharmaciens et les médecins prescrivent le médicament à cette fin ne suffirait pas à tenir Apotex responsable d’incitation à la contrefaçon.

[86]      Pour en revenir à la jurisprudence canadienne, le juge Pratte, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale dans Valmet Oy c. Beloit Canada Ltée (1988), 20 C.P.R. (3d) 1, a affirmé [aux pages 15 et 16] :

Pour inciter ou amener une autre personne à contrefaire un brevet, on doit faire quelque chose qui conduit cette personne à le faire. Si on ne fait rien, il ne saurait y avoir lieu à incitation ni à violation d’une injonction de ne pas faire. Il a été interdit à Valmet d’accomplir certains actes; elle ne pouvait violer cette injonction en restant simplement inactive.

Je ne suis donc pas d’accord avec la conclusion du juge de première instance selon laquelle la simple passivité de Valmet équivalait à inciter V.D.I. à contrefaire le brevet de Beloit.

Compte tenu des éléments de preuve, il est impossible de dire que Valmet ou son représentant Pesonen a fait quelque chose qui incite ou amène V.D.I. à contrefaire le brevet de Beloit. Au contraire, il ressort de la preuve que, après le 10 février 1986, tant Valmet que Pesonen ont veillé à ne rien faire qui puisse inciter V.D.I. à contrefaire le brevet de Beloit. La preuve ne montre pas qu’ils aient participé à la décision de V.D.I de continuer de fabriquer et de vendre des presses Tri-Nip.

J’estime donc que Valmet n’a pas violé l’injonction en fournissant des pièces à V.D.I. [Note de bas de page omise.]

[87]      La situation factuelle en l’espèce diffère de celle rencontrée par le juge Richard dans Zeneca, précitée, ou par le juge Urie dans Windsurfing International Inc. et al. c. Trilantic Corporation (maintenant BIC Sports Inc.) (1985), 8 C.P.R. (3d) 241 (C.A.F.). Dans Zeneca, précitée, Apotex demandait l’approbation gouvernementale pour diverses utilisations, dont le traitement de l’insuffisance cardiaque globale, laquelle était protégée par le brevet des demanderesses. Dans Windsurfing, précitée, la seule utilisation connue des pièces était leur assemblage dans la fabrication d’une planche à voile. Dans la présente affaire, la défenderesse ne demande pas l’autorisation d’utiliser l’oméprazole dans le traitement des infections à Campylobacter, qui constitue l’utilisation protégée par le brevet. L’oméprazole peut être utilisé à d’autres fins que celle visée par le brevet des demanderesses. En fait, l’ADA contient l’allégation que [traduction] « notre produit ne sera pas fabriqué, utilisé ou vendu pour le traitement des infections à Campylobacter et, plus précisément, nous ne cherchons pas à obtenir d’autorisation pour cet usage et cet usage ne sera pas inclus dans notre monographie de produit ». Je suis d’avis que les demanderesses n’ont pas réussi à réfuter cette allégation. Celles-ci ont fait valoir que la Cour doit tenir cette allégation pour véridique. Ainsi, compte tenu de la preuve présentée devant cette Cour, il est impossible d’affirmer qu’Apotex a fait ou fera quelque chose qui incite ou amène les pharmaciens, médecins ou autres tiers à contrefaire le brevet 668.

[88]      Étant donné la conclusion selon laquelle Apotex n’a pas incité à une contrefaçon directe en l’espèce, il n’est pas nécessaire de se demander si Apotex exercerait sciemment une influence sur le contrefacteur direct. En définitive, les demanderesses n’ont pas réussi à démontrer, compte tenu de la preuve, qu’une contrefaçon directe sera forcément commise par les pharmaciens, médecins, patients et autres tiers si un ADC est délivré à Apotex. Par conséquent, les demanderesses n’ont pas prouvé que l’allégation de non-contrefaçon d’Apotex est injustifiée.

[89]      Question 5

Les demanderesses ont-elle réussi à démontré que l’ADA présenté par Apotex n’était pas fondé en fait et en droit?

Le juge des requêtes a écrit au paragraphe 18 :

Apotex prétend donc que son produit ne sera pas utilisé, entre autres usages, pour le traitement des infections à Campylobacter, sur le fondement qu’elle ne cherche pas à obtenir d’autorisation pour cet usage et que cet usage ne sera pas compris dans son produit. À mon avis, l’autorisation dont fait mention Apotex n’a aucun rapport de fait ou de droit avec l’allégation de non-contrefaçon. Par exemple, le Règlement ne prévoit pas qu’il n’y a pas contrefaçon à l’égard de l’« utilisation » si le producteur du générique ne cherche pas à obtenir une « autorisation » de cet usage. De plus, il est établi que le produit d’oméprazole d’Apotex sera utilisé par les patients pour le traitement des infections à H.pylori, sans égard aux indications autorisées. À mon sens, le Règlement doit certainement prendre en compte l’usage des médicaments par les patients. Aussi, le droit et les faits sur lesquels se fonde Apotex ne me semblent pas justifier, dans les faits, l’allégation de non-contrefaçon.

[90]      Il est vrai que le simple fait qu’aucune approbation n’ait été demandée ou délivrée pour une utilisation, ou qu’aucune commercialisation de cette utilisation ne soit prévue, ne fournit pas en soi un fondement factuel et légal suffisant pour conclure qu’aucune utilisation contrefaisant le brevet n’aura lieu sur le marché à la suite de la délivrance d’un ADC. Il incombe aux demanderesses de prouver que l’allégation n’a aucun fondement en fait et en droit.

[91]      Le juge des requêtes, n’ayant pas eu le privilège d’entendre l’affaire au fond, a souligné que la preuve des demanderesses établissait que les patients utiliseraient l’oméprazole d’Apotex dans le traitement des infections à Campylobacter, sans égard aux indications à l’égard desquelles il a été approuvé. Cependant, après avoir entendu l’affaire au fond, je ne suis pas convaincu que la preuve étaye cette conclusion. En outre, comme je l’ai déjà mentionné, je suis d’avis que le Règlement sur les ADC ne tient compte de l’utilisation que font les patients du médicament que lorsqu’il existe un lien suffisant avec la seconde personne permettant d’affirmer que celle-ci a commis une contrefaçon.

[92]      Comme je le disais plus haut en analysant la question 2, le régime de réglementation créé par les dispositions habilitantes de la Loi sur les brevets, précitée, et le Règlement sur les ADC, qui en a résulté, vise surtout la contrefaçon par la seconde personne (le fabricant de produits pharmaceutiques génériques). La contrefaçon d’un médicament par un utilisateur final n’est visée par le règlement que lorsque la première personne (l’innovateur) réussit à démontrer que la seconde personne (le fabricant de produits génériques) est impliquée dans la contrefaçon soit directement, soit indirectement par incitation. Le cadre réglementaire n’est pas censé interdire au ministre de délivrer un ADC dans les cas où aucun acte de contrefaçon par la seconde personne (le fabricant de produits génériques) ne peut être établi selon la preuve prépondérante.

[93]      Le juge Hugessen, J.C.A. (tel était son titre) a affirmé dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), à la page 320 :

Le fait que la demande fondée sur l’art. 6 n’est pas une action ordinaire en contrefaçon signifie encore que ni l’une ni l’autre partie n’a droit à la communication, verbale ou documentaire. Dans le cas où une partie dépose des affidavits, il est possible à la partie adverse de la contre-interroger à ce sujet, mais puisqu’il n’y a aucune disposition prévoyant que l’avis d’allégation doit être fait sous forme d’affidavit, ou que l’intimé doit déposer aucun affidavit, le requérant ne saurait compter sur les déclarations de l’intimé pour prouver ses propres prétentions. Même quand il y a possibilité de contre-interrogatoire, ce contre-interrogatoire a une portée bien plus limitée que l’interrogatoire préalable et, à part les questions visant à mettre à l’épreuve la crédibilité du témoin, il est limité aux questions qui ressortent de l’affidavit lui-même. [Note de bas de page omise.]

[94]      La Cour d’appel fédérale a statué que dans une instance engagée en vertu du Règlement sur les ADC, une seconde personne, telle Apotex, n’est pas tenue de présenter une preuve et que les demanderesses ne peuvent « compter sur les déclarations de l’intimé » pour prouver leurs propres prétentions (Merck Frosst, précité).

[95]      Règle générale, dans une instance relative au Règlement sur les ADC, il incombe au demandeur de convaincre la Cour que l’allégation du fabricant de médicaments génériques n’est pas fondée en fait et en droit. La demanderesse affirme que le fabricant de médicaments génériques peut avoir le fardeau de la preuve dans les cas où il possède de l’information à laquelle le demandeur n’a pas accès, et se trouver ainsi dans l’obligation de prouver les faits qu’il allègue. En l’espèce, Apotex allègue qu’elle ne demande pas une approbation pour une utilisation constituant une contrefaçon et qu’une telle utilisation ne sera pas associée à son produit lors de sa commercialisation. Il ne s’agit pas d’une situation où Apotex a la charge de présenter une preuve à l’appui des faits qu’elle allègue puisque les demanderesses ne sont pas dans une situation où elles n’ont pas accès à cette information. En tout état de cause, les demanderesses pouvaient recourir au paragraphe 6(7) du Règlement sur les ADC.

[96]      Il reste à examiner le libellé de l’ADA présenté par Apotex. Compte tenu de mon interprétation ci-dessus du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les ADC, et de la structure de phrase semblable figurant dans l’ADA, il me semble que l’ADA d’Apotex est fondé en fait et en droit.

[97]      L’ADA ne contient aucune allégation relative à des contrefaçons possibles par des tiersà moins qu’il existe avec Apotex un lien susceptible d’impliquer cette dernière directement ou indirectement dans la contrefaçon. L’allégation contenue dans l’ADA satisfait aux exigences du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les ADC.

[98]      Les demanderesses ont le fardeau de convaincre la Cour que l’allégation d’Apotex n’est pas justifiée en fait et en droit. Je ne suis pas convaincu que les demanderesses se sont acquittées de ce fardeau et, par conséquent, je ne suis pas disposé à tirer une conclusion portant que l’allégation d’Apotex n’est pas justifiée en fait et en droit.

[99]      Subsidiairement, en supposant que j’aie tort de conclure que la contrefaçon visée par le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les ADC fait référence à une contrefaçon commise, directement ou indirectement, par la seconde personne, je conclurais néanmoins que l’ADA d’Apotex était justifié. J’arrive à cette conclusion parce que les demanderesses n’ont pas établi, selon la preuve prépondérante, qu’il y aura contrefaçon directe de leur brevet si l’ADC est délivré. Les demanderesses ne m’ont pas convaincu non plus, selon la preuve prépondérante, qu’Apotex contreferait indirectement leur brevet en incitant ou en amenant des patients à contrefaire ledit brevet. Cette conclusion est fondée sur mon analyse antérieure.

Conclusion

[100]   Je ne suis pas convaincu, selon la preuve prépondérante, que la délivrance d’un ADC entraînerait une contrefaçon du brevet '668, plus particulièrement par Apotex. Par conséquent, je ne peux accueillir la demande visant à interdire au ministre de délivrer un ADC.

[101]   Pour avoir gain de cause, les demanderesses devaient démontrer, selon la preuve prépondérante, que l’allégation d’Apotex portant qu’aucune revendication du brevet ʹ668 ne serait contrefaite par Apotex était injustifiée. À mon avis, les demanderesses ne l’ont pas fait, et la demande doit donc être rejetée.

[102]   La défenderesse a droit aux dépens de demande.

ORDONNANCE

La Cour ordonne :

1.         La demande des demanderesses est rejetée.

2.         La défenderesse a droit aux dépens de la demande.

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