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[1994] 1 C.F. 353

T-2251-92

Le gendarme spécial Arthuro Nuosci (requérant)

c.

La Gendarmerie royale du Canada et le commissaire N. D. Inkster (intimés)

Répertorié : Nuosci c. Canada (Gendarmerie royale du Canada) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson—Ottawa, 30 juin; Vancouver, 17 septembre 1993.

GRC — Manquements graves au devoir — Gendarme spécial accusant faussement un autre membre d’avoir consommé de la drogue — Demande de contrôle judiciaire du refus du commissaire de modifier la décision par laquelle il avait rejeté l’appel de la recommandation du tribunal de juridiction pénale et disciplinaire de licencier le requérant — L’art. 45.16(8) de la Loi sur la GRC permet au commissaire d’annuler ou de modifier sa décision si de nouveaux faits lui sont soumis ou s’il existe une erreur de fait ou de droit — Nouveaux faits allégués : (1) la GRC n’avait pas communiqué au requérant en temps opportun une plainte reçue contre une personne qui avait témoigné contre ce dernier à l’audience tenue par le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire, accusant le témoin d’avoir offert de la drogue à une femme en échange de relations sexuelles; (2) l’avocat du requérant n’avait pas informé, comme facteur atténuant, le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire du fait que son client était séropositif — Le commissaire a eu raison de juger que les faits n’étaient pas nouveaux — Le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire était au courant de la plainte portée contre le témoin — Le requérant savait qu’il était séropositif, même si son avocat ne le savait pas — Aucune erreur de fait ou de droit.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, il a été jugé que le droit de présenter une défense pleine et entière reconnu par la common law avait acquis une nouvelle vigueur par suite de son inclusion à l’art. 7 de la Charte — Question de savoir si l’arrêt Stinchcombe s’appliquait à l’audience disciplinaire tenue à la suite d’un manquement grave au devoir en vertu de la Loi sur la GRC, comportant une peine d’emprisonnement maximal d’un an — Application du critère énoncé dans l’arrêt R. c. Wigglesworth aux fins de la détermination de la question de savoir si l’instance est de nature criminelle ou pénale — Étant donné qu’en l’espèce, il y avait de véritables conséquences pénales, il a été tenu compte de l’application des principes énoncés dans l’arrêt Stinchcombe — Question de savoir si le requérant a été privé de la meilleure protection qu’offre le droit en matière de procédure — L’obligation de divulgation n’est pas absolue, mais le pouvoir discrétionnaire que possède la Couronne de déterminer la pertinence est assujetti au contrôle judiciaire — Le commissaire a correctement jugé que les renseignements ne se rapportaient pas à l’affaire dont le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire était saisi.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le commissaire de la GRC avait refusé d’annuler ou de modifier la décision par laquelle il avait rejeté l’appel interjeté par le requérant contre la recommandation qu’avait faite le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire de le licencier. Le requérant était gendarme spécial au sein de la GRC. En 1988, il avait été accusé d’avoir commis un manquement grave au devoir, à savoir d’avoir eu une conduite honteuse, en violation de l’alinéa 25o) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Il avait faussement accusé un autre membre, le gendarme spécial Divito, d’avoir consommé de la drogue. Les peines qui pouvaient être infligées à la suite d’une condamnation pour un manquement grave au devoir étaient notamment l’emprisonnement maximal d’un an; l’imposition d’une amende; la perte de solde; la rétrogradation; la perte de l’ancienneté ou la réprimande. L’affaire a été entendue par le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire. Après un long ajournement visant à permettre au requérant d’obtenir l’accès à certains renseignements en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire a reconnu la culpabilité du requérant, a recommandé son licenciement, et a imposé une amende et une réprimande. Le requérant a interjeté appel au commissaire, qui a renvoyé l’affaire au Comité externe d’examen de la GRC. Le Comité a recommandé le rejet de l’appel et l’inscription d’une condamnation à l’égard de l’accusation de conduite honteuse; il a en outre recommandé de ne pas imposer d’amende si la recommandation relative au licenciement était suivie. Le commissaire a accepté cette recommandation, ainsi que la conclusion tirée par l’officier président au sujet de la crédibilité. Le requérant a été licencié en 1989. Il a déposé, devant la Commission canadienne des droits de la personne, une plainte dans laquelle il alléguait que la GRC avait commis un acte discriminatoire qui le privait de chances d’emploi en raison d’une déficience, à savoir la séropositivité pour le virus du sida. Il a allégué qu’on avait établi un sérodiagnostic positif à son égard en juin 1987 et que ce renseignement avait été porté à l’attention de son superviseur peu de temps après par l’entremise de M. Divito. Le requérant a allégué que cet état constituait le véritable motif de son licenciement. La GRC a affirmé qu’au moment de la suspension et du licenciement, elle ne savait pas que le requérant était séropositif. La plainte a été rejetée et une demande fondée sur l’article 18, visant à l’obtention d’une réparation par suite de cette décision, a été rejetée. Le requérant a alors demandé au commissaire d’annuler ou de modifier sa décision conformément au paragraphe 45.16(8), disposition qui permettait au commissaire d’annuler ou de modifier sa décision si de nouveaux faits lui était soumis ou s’il constatait avoir fondé sa décision sur une erreur de fait ou de droit. Les nouveaux faits allégués étaient (1) que la GRC n’avait pas communiqué au requérant en temps opportun des renseignements au sujet d’une plainte qu’elle avait reçue, selon laquelle Divito avait offert de la drogue à une femme en échange de relations sexuelles; et (2) que l’avocat du requérant n’avait pas porté à l’attention du tribunal de juridiction pénale et disciplinaire le fait que son client était séropositif, comme facteur atténuant, avant la détermination de la peine, parce qu’il n’était pas au courant de ce fait. Dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, la Cour suprême du Canada a statué que le droit de présenter une défense pleine et entière reconnu par la common law avait acquis une nouvelle vigueur par suite de son inclusion à l’article 7 de la Charte. Le requérant a soutenu que l’arrêt Stinchcombe et l’article 7 de la Charte lui donnaient droit à la divulgation des documents qui impliquaient Divito, parce qu’ils se rapportaient à la crédibilité de ce dernier, et que le témoignage de M. Divito avait une importance cruciale dans la décision du tribunal de juridiction pénale et disciplinaire. L’intimé a soutenu que l’arrêt Stinchcombe (dans lequel un avocat avait été inculpé de vol, d’abus de confiance et de fraude) ne s’appliquait pas aux audiences disciplinaires.

Il s’agissait de savoir (1) si la Gendarmerie devait de plein gré produire, en temps opportun, les documents en sa possession, sans obliger le requérant à avoir recours aux procédures prévues par la Loi sur l’accès à l’information et par la Loi sur la protection des renseignements personnels pour présenter une défense pleine et entière; (2) si le commissaire avait omis de reconnaître l’effet atténuant de la déficience médicale du requérant lorsqu’il avait imposé la peine.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Le commissaire a correctement conclu que les faits allégués n’étaient pas nouveaux. La question de la plainte portée contre Divito avait été soulevée lorsque le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire avait tenu sa première audience. Que l’avocat du requérant ait ou non été au courant de l’état de santé de son client avant la reprise de l’audience devant le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire, le requérant savait qu’il était séropositif. Le commissaire a également eu raison de conclure qu’il n’avait fondé sa décision sur aucune erreur de fait ou de droit.

Dans l’arrêt R. c. Wigglesworth, on avait formulé un critère à double volet permettant de déterminer si l’instance était de nature criminelle ou pénale, à savoir : (1) si l’affaire était de nature publique et visait à promouvoir l’ordre et le bien-être publics; et (2) si l’affaire entraînait de « véritables conséquences pénales ». En cas de conflit, le critère relatif aux « véritables conséquences pénales » doit l’emporter sur le critère relatif à la « nature ». Si une personne est assujettie à des conséquences pénales telles que l’emprisonnement, elle doit avoir droit à la meilleure protection qu’offre le droit en matière de procédure. Le fait que cette personne est passible d’un emprisonnement maximal d’un an satisfait au critère relatif aux « véritables conséquences pénales » et il faut tenir compte de l’application des principes énoncés dans l’arrêt Stinchcombe. Dans l’arrêt Stinchcombe, il a été jugé que l’obligation de divulgation n’était pas absolue, mais que le pouvoir discrétionnaire que possédait la Couronne de déterminer la pertinence demeurait assujetti au contrôle judiciaire. Le commissaire a conclu que les renseignements demandés ne se rapportaient pas directement à l’affaire dont était saisi le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire, mais visaient plutôt à remettre en question la crédibilité. Il a tenu compte du fait que la plainte avait fait l’objet d’une enquête, qu’aucune accusation n’avait été portée ni aucune mesure disciplinaire prise, et que le requérant ne s’était pas prévalu de la possibilité que lui donnait la loi d’avoir accès aux documents, et ce, bien que l’audience eût été ajournée de façon à lui permettre de le faire. Le fait que le requérant n’a pas contesté efficacement, au moyen du contrôle judiciaire ou autrement, la décision du tribunal de juridiction pénale et disciplinaire ou la première décision du commissaire militait contre une conclusion selon laquelle le commissaire avait commis une erreur dans sa décision ultérieure, particulièrement lorsqu’aucun nouveau fait n’avait été soumis et lorsque l’erreur alléguée n’était pas fondée sur de nouveaux renseignements, si ce n’est l’arrêt Stinchcombe, dont les faits ne correspondaient pas exactement à ceux de l’espèce.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 11d).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, ch. R-9.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 25o), 36(1), 45.14(1) (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16), 45.15 (édicté, idem), 45.16(8) (édicté, idem).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

Police Act, L.R.O. 1980, ch. 381.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1618 (édictée par DORS/92-43, art. 19).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; (1987), 45 D.L.R. (4th) 235; [1988] 1 W.W.R. 193; 61 Sask. R. 105; 37 C.C.C. (3d) 385; 60 C.R. (3d) 193; 81 N.R. 161.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Trimm c. Police régionale de Durham, [1987] 2 R.C.S. 582; Colledge v. Niagara Regional Police Commission (1983), 40 O.R. (2d) 340; 142 D.L.R. (3d) 655; 21 M.P.L.R. 19 (C. div.).

DÉCISION EXAMINÉE :

R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; (1991), 120 A.R. 161; [1992] 1 W.W.R. 97; 83 Alta. L.R. (2d) 193; 68 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 277; 130 N.R. 277; 8 W.A.C. 161.

DÉCISION CITÉE :

Nuosci c. Canada (Commission des droits de la personne), T-2396-91, juge en chef adjoint Jerome, ordonnance en date du 17-12-91, C.F. 1re inst., encore inédite.

DEMANDE de contrôle judiciaire du refus du commissaire de la GRC d’annuler ou de modifier la décision par laquelle il avait rejeté l’appel interjeté par le requérant contre la recommandation qu’avait faite le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire de le licencier. Demande rejetée.

AVOCATS :

Douglas A. Quirt pour le requérant.

Dogan Akman pour les intimés.

PROCUREURS :

Flannagan, Greenwood, Quirt, Associates, Milton (Ontario), pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française de l’ordonnance rendus en français par

Le juge Gibson :

RÉPARATION DEMANDÉE

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (le « commissaire »), rendue en application du paragraphe 45.16(8) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada[1] (la « Loi »). Dans cette décision, datée du 3 juin 1992, le commissaire a rejeté une demande d’annulation ou de modification de sa décision antérieure rendue dans le même dossier, en date du 13 octobre 1989. Le paragraphe 45.16(8) a été ajouté à la Loi par l’article 16 de L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8. Ce paragraphe dispose :

45.16….

(8) Par dérogation au paragraphe (7), le commissaire peut annuler ou modifier sa décision à l’égard d’un appel interjeté en vertu de l’article 45.14 si de nouveaux faits lui sont soumis ou s’il constate avoir fondé sa décision sur une erreur de fait ou de droit.

Le requérant cherche à obtenir une ordonnance qui le réintégrerait dans ses fonctions de gendarme spécial de la Gendarmerie royale du Canada (la « Gendarmerie ») ou, à titre subsidiaire, une ordonnance de nouvelle audition; il demande également une ordonnance pour que lui soient adjugés ses dépens en l’instance sur la base procureur-client.

LES FAITS

Le requérant était gendarme spécial dans la Gendarmerie. Le 14 janvier 1988, il a été accusé d’avoir commis un manquement grave au devoir, c’est-à-dire avoir eu une conduite honteuse, entre le 10 juillet et le 18 août 1987, à Toronto ou dans ses environs, contrairement à l’alinéa 25o) de la Loi. Voici les détails de la conduite honteuse comme ils sont décrits dans une annexe à l’acte d’accusation :

[traduction] a) Le 10 juillet 1987, vous êtes entré en rapport avec le sergent d’état-major William HILL de la Section de recrutement du corps de police régional d’York. Vous avez informé le sergent d’état-major HILL que le gendarme spécial Gabriel DIVITO, un postulant du corps de police régional d’York avait été en possession de deux cigarettes de marijuana, le 9 juillet 1987, et qu’il vous en avait offert une. Vous saviez que ce renseignement était faux et vous avez faussement accusé le gendarme spécial Gabriel DIVITO d’avoir consommé de la drogue.

b) Le 29 juillet 1987, pendant une entrevue menée par le gendarme Frank TAYLOR, du corps de police régional d’York, vous avez affirmé que Gabriel DIVITO avait produit deux cigarettes de marijuana pendant qu’il se trouvait dans votre voiture dans la soirée du 9 juillet 1987 et qu’il vous en avait offert une. Vous saviez que ce renseignement était faux et vous avez répété la fausse accusation que vous aviez initialement portée contre Gabriel DIVITO le 10 juillet 1987.

c) Le 18 août 1987, vous avez porté une fausse accusation contre le gendarme spécial Gabriel DIVITO au cours d’un interrogatoire que vous a fait subir le sergent Robert HENDERSON relativement à une enquête interne; à savoir :

Q.  Avez-vous déjà vu un autre membre commettre une infraction criminelle ou une autre infraction à la loi?

R.   Oui.

Q.  Quelle infraction?

R.   Fumer de la marijuana.

Q.  Quand s’est produite cette infraction?

R.   Dans mon véhicule.

Q.  Je n’ai pas demandé « où? », j’ai demandé « quand? ».

R.   La première semaine de juillet, le 9 ou le 10 peut-être, je sais que c’était un soir de semaine.

Q.  Qui était le membre?

R.   Le gendarme Divito.

Q.  Quelle a été votre réaction?

R.   J’étais surpris.

Q.  A-t-il effectivement fumé la marijuana ou l’avait-il simplement en sa possession?

R.   Non, non, il l’a fumée.

Q.  Vous en a-t-il offert?

R.   Oui …

d) Le 7 juillet 1987, votre superviseur immédiat, le caporal M. KENNY, vous a ordonné de ne pas vous rendre dans des postes de garde ou de vous y trouver lorsque votre service ne l’exigeait pas. Le 6 août 1987, vous êtes allé à un poste de garde, appelé « Bravo primaire », contrairement à l’ordre que vous avait donné le caporal M. KENNY.

Les parties pertinentes de l’article 25 de la Loi, à l’époque en cause, disposaient :

25. Commet un manquement grave au devoir et s’expose de ce fait aux sanctions disciplinaires et pénales prévues par la présente partie le membre qui, selon le cas :

o) a une conduite scandaleuse, infâme, honteuse, impie ou immorale;

Les peines pour les manquements graves au devoir étaient prévues au paragraphe 36(1) de la Loi qui disposait alors :

36. (1) Les manquements graves au devoir sont passibles d’une ou de plusieurs des peines suivantes :

a) emprisonnement maximal d’un an;

b) amende maximale de cinq cents dollars;

c) perte de solde pendant au plus trente jours;

d) rétrogradation;

e) perte de l’ancienneté;

f) réprimande[2].

Le requérant a comparu pour la première fois devant un tribunal de juridiction pénale et disciplinaire, présidé par un surintendant nommé Thivierge, le 9 mai 1988. L’affaire a été ajournée le jour même pour permettre au requérant d’obtenir l’accès à certains documents sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information[3] et de la Loi sur la protection des renseignements personnels[4], documents qu’il considérait essentiels à sa défense. Plus de cinq ans plus tard, l’une des questions en litige dont je suis saisi, demeure celle de savoir si ces documents en la possession de la Gendarmerie auraient dû être volontairement produits en temps voulu pour permettre au requérant, sans qu’il n’ait à recourir aux formalités prévues dans la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, de présenter une défense pleine et entière à l’encontre des accusations portées contre lui.

L’audience n’a repris que le 17 janvier 1989. Elle a pris fin le lendemain et un verdict de culpabilité a été rendu le 19 janvier 1989. La sentence a été prononcée le 8 février suivant. Le surintendant Thivierge a recommandé le licenciement du requérant et il a imposé une amende de cinq cents dollars et une réprimande.

Le 10 mars 1989, le requérant a interjeté appel au commissaire de la décision du tribunal de juridiction pénale et disciplinaire, conformément au paragraphe 45.14(1) [édicté, idem] de la Loi qui dispose :

45.14 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, toute partie à une audience tenue devant un comité d’arbitrage peut en appeler de la décision de ce dernier devant le commissaire :

a) soit en ce qui concerne la conclusion selon laquelle est établie ou non, selon le cas, une contravention alléguée au code de déontologie;

b) soit en ce qui concerne toute peine ou mesure imposée par le comité après avoir conclu que l’allégation visée à l’alinéa a) est établie[5].

L’appel a été renvoyé au Comité externe d’examen de la Gendarmerie royale du Canada le 21 juillet 1989, conformément au paragraphe 45.15(1) [édicté, idem] de la Loi qui dispose :

45.15 (1) Avant d’étudier l’appel visé à l’article 45.14, le commissaire le renvoie devant le Comité.

Les conclusions et recommandations du président du Comité sont datées du 1er septembre 1989. À la page 26 de ses conclusions et recommandations, le président a recommandé au commissaire de [traduction] « rejeter l’appel et d’inscrire une condamnation à l’égard de l’accusation de conduite honteuse fondée sur la fausse accusation. [Le président a] en outre [recommandé] de ne pas imposer d’amende si la recommandation de licenciement était suivie ».

Le commissaire a tranché l’appel en ces termes, le 13 octobre 1989 :

[traduction] Pour commencer, j’accepte le conseil du président du CEE de scinder l’accusation. Je m’intéresse donc uniquement à la preuve relative à la fausse accusation, présentée au soutien de l’accusation de conduite honteuse. J’accepte également la décision de l’officier président en ce qui a trait à la crédibilité des témoins. Il avait la possibilité d’observer leur comportement à la barre et de porter des jugements sur la véracité et je suis convaincu qu’il a fondé ses décisions sur la preuve reçue. En l’absence d’erreur manifeste, je ne suis donc pas disposé à substituer mon jugement au sien. Ayant ainsi accepté la crédibilité du gendarme spécial Divito, je n’ai aucun doute sur ce qui s’est produit en l’espèce.

En l’espèce, les actes du gendarme spécial Nuosci étaient prémédités et malveillants. Bien que son mobile profond demeure obscur, je suis convaincu qu’il a délibérément tenté de salir la réputation de son collègue et que le préjudice qui s’en est ensuivi est certainement encore ressenti.

Indépendamment de la manière dont on définit la notion de conduite honteuse—et je suis convaincu que l’on ne peut qualifier un comportement de honteux qu’en considérant les faits de chaque cas—vu la preuve en l’espèce, je n’ai aucune difficulté à conclure que les actes du gendarme spécial Nuosci, c’est-à-dire d’avoir porté des fausses accusations de consommation et de possession de marijuana contre son collègue sont, en fait, honteux. Je confirme donc la condamnation inscrite.

Bien que le gendarme spécial Nuosci n’aie pas appelé de la recommandation de licenciement, je dois quand même statuer sur la question puisque l’officier président saisi d’une affaire née avant le 30 juin 1988 ne peut faire que des recommandations.

Plusieurs membres cités comme témoins ont attesté ne plus vouloir travailler avec M. Nuosci, et j’estime que leur conclusions sont tout à fait justifiées, compte tenu des circonstances en l’espèce. J’ai moi aussi perdu confiance en lui. Comme l’a affirmé le président du CEE : « l’infraction commise est grave et a exigé de la préméditation et de la malveillance. Elle constitue une attaque contre l’intégrité de particuliers et mine la confiance. Le préjudice causé est presque irréparable et l’on ne peut confier à ceux qui font preuve d’une telle malveillance envers d’autres la charge d’agent de la paix ».

Un membre de la Gendarmerie royale du Canada occupe un poste de confiance, dont dépend le bien-être de ses collègues et des citoyens en général. Dans certains cas, le fait d’abuser sciemment de cette confiance amènera nécessairement à conclure que le membre fautif n’est pas digne de continuer à faire partie de la Gendarmerie.

Il n’y a aucun facteur en l’espèce qui suffise à atténuer la mauvaise conduite ou à faire contrepoids au comportement manifesté. J’accepte donc la recommandation de licenciement.

L’appel est rejeté et j’ordonne au gendarme spécial Nuosci de démissionner de la Gendarmerie dans les quatorze jours de la signification d’une copie de la présente décision. S’il n’a pas donné sa démission dans le délai imparti, il doit être licencié sur le champ à l’expiration des quatorze jours. Compte tenu des circonstances, j’estime opportun d’annuler l’amende de 500 $ qui avait également été imposée par l’officier président.

Les conclusions, dans le premier paragraphe cité, à l’égard de la crédibilité des témoins qui ont comparu devant le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire, surtout en ce qui a trait au gendarme spécial Divito[6] (M. Divito), méritent d’être signalées.

Le requérant n’a pas démissionné de la Gendarmerie dans le délai imparti au dernier paragraphe cité. Par conséquent, comme l’a ordonné le commissaire, il a été licencié de la Gendarmerie le 24 octobre 1989.

Entre la date de son licenciement et le 21 août 1990, le requérant a tenté, sans succès, d’obtenir, devant la Cour d’appel fédérale et la Section de première instance de la Cour fédérale, le contrôle judiciaire des décisions prises par la Gendarmerie à son égard.

Le 7 septembre 1990, le requérant a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, dans laquelle il alléguait avoir des motifs raisonnables de croire que la Gendarmerie avait commis un acte discriminatoire, contrairement à la Loi canadienne sur les droits de la personne[7], c’est-à-dire qu’elle avait appliqué des lignes de conduite susceptibles d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement du requérant et d’une catégorie de personnes dans la même situation en raison d’une déficience, savoir la séropositivité pour le virus du sida. Au soutien de sa plainte, le requérant a allégué que l’on avait établi un sérodiagnostic positif à son égard pour le virus du sida le 17 juin 1987 et que ce renseignement avait été porté à l’attention de son supérieur immédiat peu de temps après par l’entremise de M. Divito. Le requérant a allégué en outre que cet état était le véritable motif de son licenciement de la Gendarmerie et que [traduction] « l’incident concernant le gendarme Divito n’était qu’un prétexte pour dissimuler les véritables motifs de la GRC ».

Dans une lettre datée du 24 septembre 1991, la Commission canadienne des droits de la personne a informé le commissaire qu’elle avait décidé de rejeter la plainte [traduction] « parce que, vu la preuve, l’allégation de discrimination (était) non fondée ».

Il est intéressant de noter que dans sa réponse à la plainte portée devant la Commission canadienne des droits de la personne, la Gendarmerie a affirmé à la Commission qu’à l’époque où elle avait suspendu, puis licencié le requérant, elle ignorait sa séropositivité alléguée.

Par un avis de requête daté du 19 septembre 1991, le requérant a présenté une demande fondée sur l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale[8] pour obtenir une réparation à l’encontre de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne rejetant sa plainte susmentionnée. Dans une ordonnance datée du 17 décembre 1991 [Nuosci c. Canada (Commission des droits de la personne), T-2396-91, C.F. 1re inst., encore inédite], le juge en chef adjoint a rejeté la demande. La décision du juge en chef adjoint fait l’objet d’un appel.

Dans une lettre adressée au commissaire en date du 29 novembre 1991, l’avocat du requérant a attiré l’attention du commissaire sur le paragraphe 45.16(8) de la Loi, précité.

L’avocat du requérant a demandé au commissaire d’exercer son pouvoir prévu dans ce paragraphe pour annuler ou modifier, pour les deux motifs suivants, sa propre décision rendue le 13 octobre 1989 à l’égard du requérant : premièrement, parce que la Gendarmerie avait omis de communiquer des renseignements au requérant en temps voulu, des renseignements qui, allègue son avocat, étaient essentiels pour que le requérant puisse présenter une défense pleine et entière à l’encontre des accusations portées contre lui devant le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire; deuxièmement, parce qu’à l’époque de l’instance devant ce tribunal, l’avocat du requérant ne savait pas que son client était séropositif. L’avocat du requérant a affirmé que s’il avait connu l’état de son client, il l’aurait porté à l’attention du tribunal. Selon lui, [traduction] « ce fait aurait été un facteur atténuant très important dont le tribunal aurait dû tenir compte pour fixer la sentence appropriée pour notre client ».

Dans une décision datée du 3 juin 1992, le commissaire a rejeté la demande d’annulation ou de modification de sa décision antérieure. C’est cette décision du commissaire, datée du 3 juin 1992, qui fait l’objet du présent examen.

LES QUESTIONS EN LITIGE

Les questions en litige sont énoncées de la manière suivante dans le mémoire du requérant :

[traduction] M. Inkster[9] s’est trompé en ne reconnaissant pas l’effet atténuant de la déficience médicale du requérant (sa séropositivité pour le virus de l’immunodéficience humaine) lorsqu’il a imposé la peine.

M. Inkster s’est trompé en ne reconnaissant pas l’obligation imposée à la Gendarmerie royale du Canada de fournir à la défense les détails d’une allégation selon laquelle le gendarme spécial Divito aurait offert de la drogue à une femme en échange de relations sexuelles et de donner à la défense l’occasion de présenter toute la preuve. Ce manquement a privé le requérant de la possibilité de présenter une défense pleine et entière.

L’officier président s’est trompé en concluant qu’il y avait une preuve hors de tout doute raisonnable selon laquelle les actes allégués avaient effectivement été commis, eu égard au défaut de la GRC d’avoir informé la défense des allégations portées contre le gendarme spécial Divito.

À l’audience tenue devant moi, la troisième question en litige n’a pas été plaidée séparément. J’ai cru comprendre que l’avocat du requérant reconnaissait que la troisième question était en fait un élément de la deuxième. Ainsi, les questions en litige sont essentiellement celles que l’avocat du requérant, dans sa lettre du 29 novembre 1991, avait demandé au commissaire d’examiner, conformément au paragraphe 45.16(8) de la Loi.

ANALYSE

Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire du 3 juin 1992. L’examen ne porte ni sur la décision du commissaire du 13 octobre 1989, ni sur la décision du tribunal de juridiction pénale et disciplinaire du 19 janvier 1989. Ces décisions ne sont pertinentes, en l’espèce, que dans la mesure où elles constituent le fondement de la décision ultérieure du commissaire et dans la mesure où celle-ci a une incidence sur elles. En vertu du paragraphe 45.16(8), le commissaire peut annuler ou modifier sa décision antérieure si de nouveaux faits lui sont soumis ou « s’il constate avoir fondé sa décision sur une erreur de fait ou de droit ». La décision dont il est question est la décision antérieure du commissaire et non la décision du tribunal de juridiction pénale et disciplinaire. À une autre époque, il aurait peut-être été possible d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision antérieure du commissaire, voire la décision du tribunal de juridiction pénale et disciplinaire. Quoi qu’il en soit, il est maintenant impossible de le faire.

Premièrement, donc, a-t-on soumis de nouveaux faits au commissaire dans la lettre que l’avocat du requérant lui a adressée le 29 novembre 1991 et dans une autre lettre, non mentionnée ci-dessus, du 10 décembre 1991?

Les nouveaux faits allégués seraient les suivants : premièrement, l’on avait accusé M. Divito d’avoir offert de la drogue (vraisemblablement de la marijuana) à une femme en échange de rapports sexuels, cette femme s’était plainte à la Gendarmerie à cet égard et celle-ci n’avait pas communiqué au requérant, en temps voulu, ces renseignements sur cette accusation et cette plainte; deuxièmement, à l’époque de l’audition devant le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire, l’avocat du requérant ignorait que son client était séropositif.

Dans sa décision, le commissaire évalue soigneusement ces nouveaux faits allégués. Il signale que la question de l’accusation contre M. Divito a été soulevée lorsque le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire a siégé pour la première fois, le 9 mai 1988. À cette époque, la Gendarmerie avait refusé de communiquer les renseignements au requérant en invoquant la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information. Le tribunal a ajourné l’audience jusqu’en janvier 1989, expressément pour permettre au requérant de tenter d’obtenir ces documents sous le régime de ces lois. Pour une raison quelconque, le requérant n’a pas tenté d’obtenir ces renseignements.

Que l’avocat du requérant ait été au courant ou non de la séropositivité alléguée de son client avant la reprise de l’audience devant le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire, en janvier 1989, le requérant allègue qu’il a lui-même appris cette nouvelle le 10 juin 1987, ou vers cette date.

Le commissaire conclut que ni l’un ni l’autre des nouveaux faits ou situations de fait allégués ne sont, en fait, nouveaux. Je suis d’accord avec cette conclusion.

En outre, le commissaire examine assez longuement la question de savoir s’il a fondé sa décision antérieure sur une erreur de fait ou de droit. Ce faisant, le commissaire, à bon droit à mon avis, limite son analyse aux questions soulevées pour le requérant dans les lettres de son avocat du 29 novembre et du 10 décembre 1991. Le commissaire conclut qu’il n’a pas fondé sa décision antérieure sur une erreur de fait ou de droit. Sous réserve de ce qui suit, je suis encore une fois d’accord avec le commissaire.

L’avocat du requérant s’est appuyé sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Stinchcombe[10] pour faire valoir que le représentant de la Gendarmerie devant le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire aurait dû communiquer complètement, en temps voulu, les renseignements sur l’accusation portée contre M. Divito selon laquelle ce dernier aurait offert de la drogue en échange de rapports sexuels et ce, sans obliger le requérant d’avoir recours aux réparations prévues dans la Loi sur l’accès à l’information et dans la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Dans l’affaire Stinchcombe, il s’agissait d’un avocat qui avait été inculpé de vol, d’abus de confiance et de fraude, dont les détails ne sont pas pertinents en l’espèce. Le ministère public possédait des documents favorables à la thèse de la défense. L’existence des documents a été révélée à la défense, mais non leur contenu. Dans ses motifs rédigés au nom de la Cour unanime, M. le juge Sopinka a estimé que les arguments en faveur de la communication l’emportaient sur les arguments contre. À la page 336, il a affirmé ce qui suit :

Cet examen des arguments militant pour ou contre la communication de la preuve par le ministère public révèle l’absence de toute raison pratique valable de retenir le point de vue des opposants à une obligation générale de divulguer. Outre les avantages d’ordre pratique déjà évoqués, il y a surtout la crainte prépondérante que la non-divulgation n’empêche l’accusé de présenter une défense pleine et entière. Ce droit reconnu par la common law a acquis une nouvelle vigueur par suite de son inclusion parmi les principes de justice fondamentale visés à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le requérant a soutenu que l’arrêt Stinchcombe et l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]][11] lui donnent le droit à la divulgation des documents qui, allègue-t-il, impliquent M. Divito dans une affaire où ce dernier aurait offert de la drogue à une femme en échange de rapports sexuels. Le requérant prétend que ces documents sont pertinents à son égard puisqu’ils intéressent la crédibilité de M. Divito, dont le témoignage avait été critique pour ce qui est de la décision que le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire a rendue à son égard.

Pour tenter de faire une distinction avec l’arrêt Stinchcombe, les intimés invoquent un arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Trimm c. Police régionale de Durham[12]. Les intimés prétendent qu’à la lumière de l’arrêt Trimm, l’arrêt Stinchcombe, sur lequel s’appuie le requérant, n’est pas pertinent à la poursuite disciplinaire dont le requérant a fait l’objet.

La question dont la Cour suprême du Canada était saisie dans l’affaire Trimm était de savoir si l’alinéa 11d)[13]de la Charte s’appliquait aux procédures disciplinaires contre les policiers, intentées sous le régime de la Police Act[14] de l’Ontario et ses règlements d’application. Aux pages 586 à 589 de ses motifs rédigés au nom de la Cour unanime, Madame le juge Wilson a conclu que l’alinéa 11d) ne s’appliquait pas à de telles procédures qui n’étaient pas de nature criminelle et n’emportaient pas de menace de conséquences pénales. À la page 589, elle a fait siens les commentaires suivants du juge Eberle, de la Cour divisionnaire de l’Ontario, dans le jugement Colledge v. Niagara Regional Police Commission[15] :

[traduction] Les principaux aspects des procédures dont il est question en l’espèce relèvent entièrement des procédures disciplinaires internes du corps de police. L’obligation que l’on cherche à faire exécuter en l’espèce en est une qui découle directement du code de discipline de la police énoncé dans la Police Act. Par conséquent, les questions visées par les procédures sont essentiellement de nature privée entre l’agent et ses supérieurs.

Madame le juge Wilson a ensuite ajouté ce qui suit [aux pages 589 et 590] :

Contrairement à la situation dans l’arrêt Wigglesworth, l’appelant n’est pas susceptible d’être emprisonné aux termes de la Police Act. En l’espèce, il n’y a pas de « véritables conséquences pénales ». Par conséquent, je suis d’avis de répondre par la négative à la première question constitutionnelle. [C’est-à-dire que, l’alinéa 11d) de la Charte ne s’appliquait pas à l’instance dont il était question dans l’affaire Trimm.]

Les conclusions de l’arrêt Trimm ne semblent pas avoir d’incidence sur l’applicabilité de l’arrêt Stinchcombe en l’espèce. Ici, le requérant risquait de véritables conséquences pénales à son audience devant le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire. Il s’ensuit que l’arrêt R. c. Wigglesworth[16] serait peut-être plus pertinent en l’espèce que l’arrêt Trimm. Dans l’affaire Wigglesworth, un agent de la GRC avait commis des voies de fait contre une personne sous sa garde et il a été déclaré coupable d’un manquement grave au devoir en application du paragraphe 25(1) de la Loi [S.R.C. 1970, ch. R-9]. Il faisait également face à une poursuite devant la cour provinciale de la Saskatchewan à la suite du même incident. Wigglesworth a soutenu que ses droits garantis par l’alinéa 11h) de la Charte, c’est-à-dire de ne pas être puni deux fois pour la même infraction, avaient été violés.

Au nom d’une majorité de six juges contre un, Madame le juge Wilson, aux pages 560 et 561 de ses motifs, a formulé un critère en deux parties permettant de savoir si l’instance était une affaire criminelle ou pénale bénéficiant de la protection prévue à l’article 11 de la Charte. Le premier élément du critère était de savoir si l’affaire était de nature publique, et visait à promouvoir l’ordre et le bien-être publics. La deuxième partie du critère portait sur la question de savoir si l’affaire entraînait de « véritables conséquences pénales »[17].

Appliquant ce critère, Madame le juge Wilson a conclu que le Code de discipline de la GRC ne satisfaisait pas au critère dit de la « nature même »; cependant, parce qu’il y avait la possibilité d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an, le critère de la « véritable conséquence pénale » était rempli. Toutefois, après avoir conclu que Wigglesworth se trouvait dans les conditions d’application de l’article 11 de la Charte, le juge a conclu que la poursuite intentée sous le régime du Code de discipline de la GRC était une affaire interne, tandis que la poursuite criminelle intéressait la société en général. Par conséquent, il n’y avait aucune violation de l’article 11[18].

Malgré cette conclusion, pour l’espèce, le commentaire le plus important qu’a fait Madame le juge Wilson dans l’arrêt Wigglesworth est peut-être celui qui figure à la page 562, où elle affirme :

Je doute fortement qu’un organisme ou une personne responsable qui est chargé d’atteindre un certain but administratif ou en matière de discipline privée puisse jamais imposer une peine d’emprisonnement à un particulier. Une telle privation de liberté ne semble justifiée comme étant conforme au principe de justice fondamentale énoncé à l’art. 7 de la Charte que lorsqu’un méfait public ou une faute contre la société ont été commis par opposition à un tort interne. Toutefois, comme ce point n’a pas été soulevé devant nous dans le présent pourvoi, je vais présumer qu’il est possible de ne pas satisfaire au critère de la « nature même », mais de satisfaire à celui de la « véritable conséquence pénale ». À supposer que cela soit possible, il me semble que dans les cas où il y a conflit entre les deux critères, le critère de la « nature même » doit céder devant celui de la « véritable conséquence pénale ». Si une personne doit subir des conséquences pénales comme l’emprisonnement, qui constitue la privation de liberté la plus grave dans notre droit, j’estime alors qu’elle doit avoir droit à la meilleure protection qu’offre notre droit en matière de procédure.

Lorsque le requérant a comparu pour la première fois devant le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire, il risquait une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an. Il est clair que le critère de la « véritable conséquence pénale », énoncé dans l’arrêt Wigglesworth, a été rempli.

Bien que l’arrêt Stinchcombe ait été rendu à l’égard d’un acte criminel prévu au Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], la possibilité d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an, en l’espèce, oblige la Cour à examiner l’application des principes énoncés dans cet arrêt. Au fond, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, en vigueur lorsque le requérant a été accusé d’une infraction grave, était une loi pénale au même titre que le Code criminel[19]. Par conséquent, il faut maintenant examiner l’arrêt Stinchcombe pour savoir si, en l’espèce, le requérant a été injustement privé de la « meilleure protection qu’offre notre droit en matière de procédure », comme il est dit dans la citation qui précède.

L’arrêt Stinchcombe a mis en évidence le droit reconnu par la common law de présenter une défense pleine et entière, droit à qui on a donné « une nouvelle vigueur[20] » par suite de son inclusion parmi les principes de justice fondamentale visés à l’article 7 de la Charte. Néanmoins, à la page 339 de l’arrêt Stinchcombe, M. le juge Sopinka a conclu que l’obligation de divulgation n’était pas absolue. À cette page, il a affirmé ce qui suit :

Un pouvoir discrétionnaire doit être également exercé relativement à la pertinence de renseignements. Si le ministère public pèche, ce doit être par inclusion. Il n’est toutefois pas tenu de produire ce qui n’a manifestement aucune importance.

Le juge a clairement affirmé que l’exercice d’un tel pouvoir discrétionnaire part le ministère public pouvait et devait faire l’objet d’un contrôle par le juge du procès. Il ressort des commentaires du juge Sopinka, aux pages 340 et 341, que le juge du procès qui effectue un contrôle.

 … doit se laisser guider par le principe général selon lequel il ne faut refuser de divulguer aucun renseignement s’il existe une possibilité raisonnable que la non-divulgation porte atteinte au droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière …

Je suis convaincu que des différends relatifs à la communication de la preuve ne surgiront que rarement du moment qu’on fait bien comprendre aux substituts du procureur général qu’ils ont l’obligation générale de divulguer tous les renseignements pertinents.

Pour ce qui est de savoir si un renseignement est pertinent ou non, la Cour a affirmé ce qui suit, aux pages 345 et 346 :

Selon moi, sous réserve du pouvoir discrétionnaire dont j’ai traité précédemment, toute déclaration obtenue de personnes qui ont fourni des renseignements pertinents aux autorités devrait être produite, même si le ministère public n’a pas l’intention de citer ces personnes comme témoins à charge. Lorsqu’il n’existe pas de déclarations, il faut produire d’autres renseignements tels que des notes et, en l’absence de notes, il faut divulguer, outre les nom, adresse et occupation du témoin, tous les renseignements que possède la poursuite au sujet de tous les éléments de preuve pertinents pouvant être fournis par la personne en question … En effet, si les renseignements sont inutiles, on peut supposer qu’ils n’ont aucune pertinence et qu’ils seront en conséquence écartés par le ministère public dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Si les renseignements présentent une certaine utilité, alors ils sont pertinents et c’est à la défense et non à la poursuite de décider s’il s’agit d’une utilité suffisante pour qu’ils soient produits en preuve.

Dans sa décision datée du 3 juin 1992, le commissaire traite des documents en question, de leurs effets sur la question de la crédibilité de M. Divito et de l’arrêt Stinchcombe. À la page 3 de sa décision, le commissaire a conclu ce qui suit :

[traduction] Bien que l’arrêt Stinchcombe se rapporte à la non-divulgation de documents d’enquête qui ont directement trait à l’objet du témoignage d’une personne citée comme témoin à l’enquête préliminaire et qui pouvait éventuellement témoigner au procès, la demande en l’espèce a pour objet des documents de nature très différente. Les documents demandés pour M. Nuosci ne se rapportaient pas directement à l’affaire dont était saisi le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire. Il s’agissait plutôt de renseignements concernant une plainte contre un témoin. La raison pour laquelle on voulait obtenir ces renseignements était peut-être pour savoir s’ils pouvaient servir à attaquer la crédibilité du gendarme spécial Divito.

… l’allégation résultait d’un appel téléphonique anonyme fait à « Crimestoppers », provenant d’une femme qui s’est simplement présentée comme étant « Martha ». Celle-ci a allégué qu’elle se trouvait avec une amie et que deux personnes l’ont abordée. Il s’agissait peut-être de M. Nuosci et du gendarme spécial Divito. La G.R.C. a reçu un appel semblable par la suite. L’enquête n’a pas permis d’obtenir d’autres éléments de preuve pour appuyer l’allégation. Cette enquête comprenait des interrogatoires de M. Nuosci et du gendarme spécial Divito. Aucune accusation ou autre mesure disciplinaire n’a résulté de l’allégation et de l’enquête subséquente.

Apparemment, le commissaire est d’avis que les renseignements n’étaient pas pertinents aux procédures devant le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire. Il mentionne l’enquête de la Gendarmerie concernant l’allégation portée contre M. Divito et que celui-ci n’a fait l’objet d’aucune accusation ou autre mesure disciplinaire. Comme il a été noté ci-dessus, le tribunal de juridiction pénale et disciplinaire a ajourné longtemps son instruction pour permettre au requérant d’obtenir les documents sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le requérant ne s’est pas prévalu de la possibilité qui lui a été offerte.

Pareillement, le requérant a omis de contester efficacement, par voie de contrôle judiciaire ou autrement, la première décision du tribunal de juridiction pénale et disciplinaire, rendue le 9 mai 1988 (décision qui lui a refusé l’accès aux documents), la décision finale de ce tribunal, rendue le 19 janvier 1989 ou la première décision du commissaire, datée du 13 octobre 1989, en appel de la décision du tribunal. Ces omissions militent contre une conclusion selon laquelle le commissaire aurait commis une erreur dans sa décision ultérieure. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’aucun nouveau fait n’est soumis et lorsque l’« erreur de fait ou de droit » sur laquelle le commissaire aurait censément fondé sa première décision ne découle pas elle-même de nouveaux renseignements, si ce n’est, peut-être, l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Stinchcombe, dont les faits, comme le signale à juste titre le commissaire, ne correspondent pas exactement à ceux sur lesquels devaient se prononcer le tribunal et le commissaire.

En me fondant sur l’analyse qui précède, je ne suis pas convaincu que l’arrêt Stinchcombe m’autorise à modifier la deuxième décision du commissaire de la manière préconisée pour le requérant, à cette étape d’un processus très long et exhaustif.

Le requérant demande que lui soient adjugés ses frais en l’instance sur la base procureur-client. La Règle 1618 des Règles de la Cour fédérale[21] dispose :

Règle 1618. Il n’y aura pas de frais à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire, à moins que la Cour n’en ordonne autrement pour des raisons spéciales.

L’avocat du requérant a plaidé devant moi que le défaut d’avoir communiqué les renseignements susmentionnés constituait des « raisons spéciales » qui justifiaient une ordonnance condamnant les intimés aux dépens. Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé sur la question de la communication, je rejette cet argument et conclus qu’il n’y a aucune « raison spéciale » qui justifie une ordonnance quant aux dépens.

CONCLUSION

Pour les motifs qui précèdent, j’ai rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada en date du 3 juin 1992, en application du paragraphe 45.16(8) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.



[1] L.R.C. (1985), ch. R-10.

[2] Les art. 25 et 36 faisaient partie de la Partie II de la Loi, abrogée et remplacée par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16, sanctionné le 26 mars 1986 et, pour ce qui intéresse l’espèce, proclamé en vigueur le 30 juin 1988.

[3] L.R.C. (1985), ch. A-1.

[4] L.R.C. (1985), ch. P-21.

[5] Voir la note 2, ci-dessus. Dans cet article, le « conseil d’arbitrage », un mécanisme qui a remplacé les tribunaux de juridiction pénale et disciplinaire en vertu des modifications apportées à la Loi par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8 comprenait, pendant la période transitoire, les tribunaux de juridiction pénale et disciplinaire.

[6] Dans l’ensemble des documents dont j’ai pris connaissance, le nom du gendarme spécial Divito est orthographié de diverses manières. J’ai adopté l’orthographe utilisée régulièrement par le commissaire dans les deux décisions qu’il a rendues en l’espèce.

[7] L.R.C. (1985), ch. H-6.

[8] L.R.C. (1985), ch. F-7.

[9] « M. Inkster » désigne le commissaire Normand D. Inkster, de la Gendarmerie royale du Canada.

[10] [1991] 3 R.C.S. 326.

[11] L’art. 7 de la Charte dispose :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[12] [1987] 2 R.C.S. 582.

[13] L’art. 11d) de la Charte dispose :

11. Tout inculpé a le droit :

d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;

[14] L.R.O. 1980, ch. 381.

[15] (1983), 40 O.R. (2d) 340 (C. div.), à la p. 342.

[16] [1987] 2 R.C.S. 541.

[17] À la p. 561, Madame le juge Wilson a décrit les « véritables conséquences pénales » comme l’emprisonnement ou une amende qui, par son importance, serait imposée dans le but de réparer un tort causé à la société, par opposition à une simple mesure de discipline interne.

[18] [1987] 2 R.C.S. 541, aux p. 564, 566 et 567.

[19] Voir l’arrêt Wigglesworth, à la p. 563.

[20] Voir la citation tirée de la p. 336 de l’arrêt Stinchcombe, ci-dessus.

[21] C.R.C., ch. 663 [édictée par DORS/92-43, art. 19].

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