[2002] 1 C.F. 379
IMM-5678-00
2001 CFPI 1026
Yong Qin Zhu (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Zhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)
Section de première instance, juge Dawson— Vancouver, 28 août; Ottawa, 18 septembre 2001.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Contrôle judiciaire d’une décision de la SSR selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié — Le demandeur est arrivé de Chine par bateau — Il a allégué une crainte justifiée d’être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier; il a affirmé qu’il était devenu réfugié sur place parce qu’il avait donné à des agents de la GRC des renseignements au sujet de personnes liées au passage de réfugiés clandestins et qu’il craignait que les « snakeheads » de la Chine le tuent s’il y retournait — La SSR a estimé que le nœud de la question était de savoir si les actes du demandeur, le fait qu’il avait identifié les membres coréens de l’équipage et avait donné des renseignements sur eux, pourraient être portés à la connaissance des autorités chinoises et des accusés eux-mêmes, et quelle serait leur réaction à cet égard — Requête accueillie — 1) La SSR pouvait décider que le demandeur n’était pas membre d’un groupe social — Selon la jurisprudence, les personnes qui dénoncent des activités criminelles ne constituent pas un groupe social au sens de la Convention — Ces renseignements fournis involontairement ne sont pas pertinents, sauf en ce qui concerne l’existence d’une crainte subjective d’être persécuté — 2) Une fois établie la preuve que les renseignements fournis par le demandeur avaient été transmis à l’avocat des accusés et déposés en preuve dans un procès public et dans un dossier de la Cour accessible au public, il était manifestement déraisonnable que la SSR suggère qu’une preuve additionnelle était nécessaire pour établir que les renseignements auraient pu être portés à l’attention d’un agent de persécution potentiel — En outre, en se demandant seulement si les gestes en cause seraient perçus par les autorités chinoises comme opposés à leurs opinions et en restreignant l’opinion imputée à ce qui constitue une remise en question de l’appareil gouvernemental, la SSR a donné une interprétation trop limitée des termes « opinion politique » — Dans l’arrêt Klinko c. Canada (M.C.I.), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.), il a été déclaré qu’une opinion politique pouvait comprendre une opinion donnant lieu à de la persécution, même lorsque le gouvernement partageait officiellement l’opinion en cause — La SSR devait examiner si le gouvernement chinois « peut être engagé » dans la contrebande d’êtres humains de façon à fournir le lien essentiel avec un motif prévu par la Convention — La SSR n’a pas procédé à l’analyse nécessaire, car elle n’a pas fait de lien entre le fait que la Chine déclare publiquement ne pas appuyer le passage de clandestins, que des représentants officiels locaux peuvent être complices du passage de clandestins et que le gouvernement a pris des mesures de répression contre les complices détenteurs de l’autorité publique, et le fait pour l’État d’être « engagé ».
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire portant sur une décision de la section du statut de réfugié (SSR) selon laquelle M. Zhu n’était pas un réfugié au sens de la Convention. M. Zhu est arrivé au Canada par bateau en provenance de la République populaire de Chine. Il a allégué une crainte justifiée d’être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier et il a affirmé qu’il était devenu réfugié sur place parce qu’il avait identifié certaines personnes accusées d’infractions liées au passage de réfugiés clandestins et qu’il avait donné à des agents de la GRC des renseignements sur eux et que, pour cette raison, il craignait que les « snakeheads » de la Chine le tuent s’il y retournait. La SSR a estimé que le « nœud de la question » était de savoir si les actes du demandeur, le fait qu’il avait identifié les membres coréens de l’équipage et avait donné des renseignements sur eux, pourraient être portés à la connaissance des autorités chinoises et des accusés eux-mêmes, et quelle serait leur réaction à cet égard. Elle a conclu que les dépositions du demandeur ont été transmises aux avocats de la défense et qu’elles ont été versées au dossier de la Cour qui est accessible au public. Elle a par contre ajouté que rien n’indiquait que ces informations auraient été divulguées à quiconque d’autre que le tribunal, la Couronne et la défense. La SSR a conclu que les « actes du demandeur n’[étaient] pas perçus comme une opinion politique si opposée à la politique ou aux opinions des autorités chinoises qu’ils pourraient être perçus comme une remise en question de l’appareil gouvernemental ».
Il s’agissait de savoir 1) si la SSR a commis une erreur dans sa définition d’un groupe social; et 2) si la SSR a commis une erreur en déterminant le « nœud » de la revendication sur place.
Jugement : la demande est accueillie.
1) La SSR pouvait décider que M. Zhu n’était pas membre d’un groupe social. En appliquant la définition que la Cour suprême du Canada a donné de l’expression « groupe social » dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 », notre Cour a conclu que les personnes qui dénoncent des activités criminelles ne constituent pas un groupe social au sens de la Convention. Le fait qu’un individu n’ait pas témoigné volontairement ne constitue pas une distinction utile. Les personnes qui donnent des renseignements involontairement ne seraient pas dans une meilleure situation que celles qui dénoncent volontairement la commission d’activités illégales à la police. La seule pertinence rattachée à la motivation pour témoigner ou pour renseigner les policiers se retrouverait dans la mesure où cette motivation a un lien avec une crainte subjective d’être persécuté.
2) (i) Bien que la SSR n’ait pas tenu compte des renseignements que le demandeur lui avait fournis au sujet des snakeheads en décrivant le « nœud de la question », elle avait déjà mentionné ces renseignements et conclu qu’il ne deviendrait pas réfugié sur place parce qu’il avait été assigné à comparaître pour témoigner contre les citoyens chinois accusés d’infractions liées au passage de réfugiés clandestins. Même si la description par la SSR du nœud de la question aurait pu être plus précise, elle a tenu compte de toutes les actions du demandeur qui fondaient prétendument la revendication sur place.
(ii) Une fois que la preuve avait établi que les renseignements fournis par le demandeur avaient été transmis à l’avocat des accusés et déposés en preuve dans un procès public et dans un dossier de la Cour accessible au public, il était manifestement déraisonnable que la SSR suggère qu’une preuve additionnelle était nécessaire pour établir que les renseignements auraient pu être portés à l’attention d’un agent de persécution potentiel.
(iii) Dans l’arrêt Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.), il a été déclaré qu’une opinion politique pouvait comprendre une opinion exprimée ou réputée donnant lieu à de la persécution, même lorsque le gouvernement partageait officiellement l’opinion en cause. En se demandant seulement si les gestes en cause seraient perçus par les autorités chinoises comme opposés à leurs opinions et en restreignant l’opinion imputée à ce qui constitue une « remise en question de l’appareil gouvernemental », la SSR a donné une interprétation trop limitée des termes opinion politique. La SSR a déclaré distinguer l’arrêt Klinko au motif que l’information du demandeur ne visait pas les « autorités ou […] aucun de ses représentants ». Cette distinction n’était pas utile. Elle ne reconnaissait pas le fait que dans l’arrêt Klinko la Cour appliquait le rejet que la Cour suprême du Canada avait opposé à une définition étroite des termes opinion politique dans l’arrêt Ward. Il fallait donc en droit que la SSR reconnaisse le fait que l’opinion politique, exprimée ou imputée, ne devait pas nécessairement viser l’État. Par la suite, elle devait examiner si le gouvernement chinois « peut être engagé » dans la contrebande d’êtres humains de façon à fournir le lien essentiel avec un motif prévu par la Convention. L’exigence voulant que l’appareil étatique peut être engagé doit recevoir une interprétation large. Ceci découle du fait que, dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a conclu que l’appareil de l’État était engagé même s’il n’existait aucun conflit entre les opinions de M. Ward et celles de l’État. La SSR n’a pas fait de lien entre le fait que la Chine déclare publiquement ne pas appuyer le passage de clandestins, que des représentants officiels locaux peuvent être complices du passage de clandestins et que le gouvernement a pris des mesures de répression contre les complices détenteurs de l’autorité publique et le fait pour l’État d’être « engagé ». Elle n’a semblé tenir compte de cette preuve que pour démontrer que les gestes du demandeur correspondaient au point de vue de l’État au sujet du problème des clandestins. La SSR n’a pas procédé à l’analyse nécessaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6.
JURISPRUDENCE
décisions appliquées :
Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 153 N.R. 321; Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327 (2000), 184 D.L.R. (4th) 14; 251 N.R. 388 (C.A.).
décisions citées :
Serrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 166 F.T.R. 227 (C.F. 1re inst.); Suarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1036 (1re inst.) (QL); Mason c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] A.C.F. no 815 (1re inst.) (QL).
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la SSR selon laquelle le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention (M.I.I. (Re), [2000] D.S.S.R. no 402 (QL)). Demande accueillie.
ONT COMPARU :
Arlene R. Rimer pour le demandeur.
Kimberly G. Shane pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Rimer & Company, Vancouver, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par
[1] Le juge Dawson : M. Zhu est un citoyen de la République populaire de Chine âgé de 38 ans. Sa demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SSR) rendue le 11 octobre 2000 [M.I.I. (Re), [2000] D.S.S.R. no 402 (QL)], qui déclare que M. Zhu n’est pas un réfugié au sens de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6].
[2] M. Zhu est arrivé au Canada par bateau le 12 août 1999, en provenance de la province de Fujian en République populaire de Chine. Sa revendication de statut de réfugié est décrite comme suit par la SSR [au paragraphe 4] :
Le revendicateur allègue une crainte justifiée d’être persécuté s’il retournait en Chine en raison de ses opinions politiques ou de ce qui est perçu de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier. Il affirme en outre qu’il est devenu réfugié sur place parce qu’il a identifié certaines personnes accusées d’infractions liées au passage de réfugiés clandestins et qu’il a donné aux agents de la GRC chargés d’enquête des renseignements sur eux et, pour cette raison, il craint que les « snakeheads » de la Chine le tuent s’il y retournait. Il affirme aussi qu’il subirait de sévères représailles, à un point qui pourrait constituer de la persécution, s’il retournait en Chine parce qu’il a quitté le pays illégalement.
[3] Bien que M. Zhu a soulevé plusieurs questions relativement à la décision de la SSR, l’essentiel de sa contestation porte sur le traitement accordé à sa revendication de réfugié sur place.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[4] Pour l’essentiel, M. Zhu soutient que :
1. la SSR a commis une erreur dans sa définition d’un groupe social; et
2. la SSR a commis une erreur en déterminant le « nœud » de sa revendication sur place.
LA DÉCISION DE LA SSR
[5] Voici la partie pertinente de la décision de la SSR [aux paragraphes 27 à 29, 40 à 46] :
Le revendicateur affirme aussi être devenu réfugié sur place depuis son arrivée au Canada parce qu’il a identifié des participants au passage de réfugiés clandestins qui l’ont amené, avec d’autres, au Canada, et qu’il a fourni des renseignements sur eux. Il prétend aussi que ses actes ont été portés à l’attention des passeurs de clandestins et du gouvernement chinois parce qu’il a renseigné les agents d’enquête de la GRC sur des citoyens coréens et chinois qui étaient accusés d’infractions liées au passage de réfugiés clandestins. Il n’a pas témoigné en audience publique au procès institué contre les Coréens qui ont été mis en accusation. Il a aussi été assigné à comparaître pour témoigner contre les citoyens chinois qui ont été accusés d’infractions liées au passage de réfugiés clandestins. Le procès des citoyens chinois est prévu pour novembre 2000. Pour ces raisons, le revendicateur craint, s’il retournait en Chine, d’être sévèrement puni par les autorités chinoises et, selon lui, ce genre de représailles constitue de la persécution. De plus, il allègue craindre que les passeurs de réfugiés clandestins de la Chine s’en prennent sérieusement à lui, s’ils ne le tuent pas, et que les autorités chinoises ne seraient pas en mesure de le protéger.
Le guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés intitulé Guide de procédure et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié indique ce qui suit :
Une personne peut devenir un réfugié « sur place » de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu’elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou des opinions politiques qu’elle a exprimées dans le pays où elle réside. La question de savoir si de tels actes suffisent à établir la crainte fondée de persécution doit être résolue à la suite d’un examen approfondi des circonstances. En particulier il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d’origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elles.
Un facteur qui revêt une importance particulière pour le règlement de cette question est de savoir s’il est vraisemblable que les actes du revendicateur puissent être portés à la connaissance des autorités chinoises, et comment celles-ci les jugeraient. Est-ce que le fait qu’il ait identifié les personnes suspectées de participer au passage de réfugiés clandestins et qu’il ait renseigné les autorités qui enquêtent et poursuivent ces personnes est une expression de ses opinions politiques, ou pourrait-ce être perçu par les autorités chinoises comme une opinion politique contraire aux leurs?
[…]
Le nœud de la question est de savoir si les actes du revendicateur, le fait qu’il a identifié les membres coréens de l’équipage et a donné des renseignements sur eux ont été portés à la connaissance des autorités chinoises et des accusés eux-mêmes, et quelle aura été leur réaction à cet égard.
Les preuves présentées donnent à penser que les informations fournies par le revendicateur aux agents de la GRC, ainsi que ses dépositions, sur bande vidéo ou audio, ont été transmises aux avocats de la Couronne et de la défense des accusés. Elles ont été versées dans le dossier judiciaire, qui est ouvert au public et dont une transcription peut être obtenue des sténographes judiciaires. Les preuves indiquent en outre que les registres du tribunal peuvent indiquer la politique relativement à possibilité de consulter les preuves. Rien n’indique que les renseignements relatifs au revendicateur aient été divulgués à quiconque d’autre que le tribunal, l’avocat-conseil de la Couronne ou celui de la défense. Bien que l’avocat de la défense puisse raisonnablement conférer avec les accusés et leur divulguer les renseignements fournis par le revendicateur, celui-ci n’a jamais témoigné contre eux en audience publique. Ceci réduit le risque d’une réaction négative contre lui de la part des autorités chinoises ou des accusés.
Je suis aussi d’avis que le fait de témoigner en audience publique, à titre de témoin, contre des gens qui ont été accusés d’infractions relatives au passage de clandestins n’est pas une expression d’opinions politiques et ne pourrait pas être perçu comme tel par les autorités chinoises. L’État déclare publiquement ne pas appuyer ni tolérer le passage de clandestins. Selon les preuves documentaires, il pourrait y avoir des représentants officiels locaux complices du passage de clandestins. Cependant, le gouvernement chinois a pris des mesures de répression contre les complices de passage de clandestins, même s’ils sont détenteurs de l’autorité publique. Une telle activité est perçue comme un acte criminel plutôt que comme une opinion politique.
Je cite la décision de la Cour fédérale d’appel dans l’affaire Klinko, dans lequel le tribunal a répondu par l’affirmative à la question certifiée qui suit :
Le dépôt d’une plainte publique au sujet des agissements corrompus largement répandus de douaniers et de policiers relevant d’une autorité gouvernementale régionale et la persécution dont le plaignant est par la suite victime en raison du dépôt de cette plainte alors que ces agissements corrompus ne sont pas officiellement sanctionnés, tolérés ou appuyés par l’État constituent-ils l’expression d’une opinion politique au sens où cette expression est employée dans la définition du réfugié au sens de la Convention au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration?
Le cas de ce revendicateur-ci est différent de celui de l’affaire Klinko. Le revendicateur, ici, ne s’est pas plaint aux autorités de la conduite des autorités ou d’aucun de ses représentants. Le revendicateur, bien qu’il ait donné des renseignements à la GRC, n’a pas témoigné contre les autorités chinoises ni aucun de ses représentants, ni contre les accusés, en audience publique. Même s’il l’avait fait, et bien qu’il soit possible que les autorités chinoises aient été averties des actes du revendicateur, j’ai conclu que ses actes ne sont pas perçus comme une opinion politique si opposée à la politique ou aux opinions des autorités chinoises qu’ils pourraient être perçus comme une remise en question de l’appareil gouvernemental. L’opposition à la corruption ou à la criminalité n’est pas perçue comme une opinion politique à moins qu’elle puisse être considérée comme une remise en question de l’appareil gouvernemental.
Le revendicateur n’a pas exprimé de conviction contre le passage ou le trafic de clandestins. C’est un fait qu’il l’a encouragé en acceptant de payer une somme aussi élevée que 36 000 $US aux passeurs. Ce n’est pas là une manifestation de désaveu de la part du revendicateur contre le passage de clandestins. Même si ce l’était, rien ne me permet de conclure qu’il a des convictions politiques contre le passage de clandestins. Dans l’affaire Ward, la Cour suprême du Canada a décrété que le fait d’être en désaccord avec une organisation ne peut à lui seul ouvrir les portes de l’asile; le désaccord doit être enraciné dans la conviction politique.
Le fait de témoigner dans un procès au criminel ne signifie pas nécessairement que quelqu’un ait une opinion politique particulière. Dans l’affaire Suarez, Jairo c. M.C.I., le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de contenu ou de motivation politique lorsque le revendicateur avait fourni des renseignements sur les caïds de la drogue. Dans l’affaire Marvin, Mejia Espinoza c. M.C.I., le tribunal avait conclu que le fait de signaler des trafiquants de drogue aux autorités costaricaines n’était pas une expression d’opinion politique. Les témoins ou les informateurs sur les actes criminels n’appartiennent pas non plus à un groupe social particulier, comme l’a prétendu la conseillère dans ce cas-ci. Dans l’affaire Mason, Rawlson c. S.S.C., le tribunal a conclu qu’un revendicateur qui craignait d’être tué par les hommes de main du « monde de la drogue » parce qu’il s’opposait au trafic de drogue et avait fourni des renseignements et témoigné contre son frère devant un tribunal pénal n’était pas un membre d’un groupe social particulier. Il a déclaré qu’une « personne qui a un grand sens moral et qui s’oppose au trafic de drogue » ne faisait pas partie d’un groupe social particulier parce que ce n’est pas un groupe existant, dont les membres sont persécutés pour ces raisons. C’est la même chose pour les témoins contre les complices de passage de réfugiés clandestins. [Les notes de bas de page ne sont pas reproduites.]
ANALYSE
(i) La SSR a-t-elle commis une erreur dans sa définition d’un groupe social?
[6] Pour les motifs que j’expose ci-après, je suis arrivée à la conclusion que la SSR pouvait décider que M. Zhu n’était pas membre d’un groupe social.
[7] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 739, la Cour suprême du Canada a défini comme suit l’expression « groupe social » :
Le sens donné à l’expression « groupe social » dans la Loi devrait tenir compte des thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés. Les critères proposés dans Mayers, Cheung et Matter of Acosta, précités, permettent d’établir une bonne règle pratique en vue d’atteindre ce résultat. Trois catégories possibles sont identifiées :
(1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;
(2) les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et
(3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.
La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d’être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l’orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d’intentions historiques, quoiqu’elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d’une personne constitue une partie immuable de sa vie.
[8] En appliquant Ward, notre Cour a conclu par le passé que les personnes qui dénoncent des activités criminelles ne constituent pas un groupe social au sens de la Convention. Voir, par exemple : Serrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 166 F.T.R. 227 (C.F. 1re inst.); Suarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1036 (1re inst.) (QL); Mason c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] A.C.F. no 815 (1re inst.) (QL).
[9] M. Zhu a cherché à distinguer son affaire de cette jurisprudence, au motif qu’il n’avait pas témoigné volontairement. Il a soutenu que la GRC l’avait « trompé » pour l’amener à faire une déclaration. Je ne considère pas que cette distinction soit utile.
[10] Si les personnes qu’on dit avoir un grand sens moral et qui dénoncent volontairement la commission d’activités illégales à la police ne sont pas membres d’un groupe social, comme on l’a décidé dans Mason, précité, il serait anormal que des personnes qui se trouvent par accident ou de façon involontaire à craindre des représailles par suite de renseignements qu’elles ont donnés aux policiers soient placées dans une meilleure situation sur le plan juridique.
[11] Le statut de réfugié au sens de la Convention est tributaire d’une crainte justifiée d’être persécuté pour un motif prévu à la Convention. Dans l’application de ce critère, la seule pertinence rattachée à la motivation pour témoigner ou pour renseigner les policiers se retrouverait dans la mesure où cette motivation a un lien avec une crainte subjective d’être persécuté.
(ii) La SSR a-t-elle commis une erreur en déterminant le « nœud » de la revendication sur place?
[12] Quant à la revendication sur place, les motifs de la SSR sont problématiques.
[13] Premièrement, M. Zhu fait remarquer qu’en déclarant que le « nœud de la question » consistait à savoir si les actes de M. Zhu en identifiant les Coréens membres de l’équipage et en donnant des renseignements sur eux avaient été portés à la connaissance des autorités chinoises et des accusés eux-mêmes, la SSR n’a pas tenu compte des renseignements que M. Zhu lui avait fournis au sujet des snakeheads.
[14] Nonobstant cette omission, la SSR avait déjà, dans ses motifs, mentionné le fait que M. Zhu avait identifié les snakeheads et donné des renseignements à leur sujet et elle a finalement conclu qu’il n’était pas devenu réfugié sur place, notamment parce qu’il avait été assigné à comparaître pour témoigner contre les citoyens chinois accusés d’infractions liées au passage de réfugiés clandestins. Par conséquent, même si la description par la SSR du « nœud de la question » aurait pu être plus précise, je suis convaincue qu’elle a tenu compte de toutes les actions de M. Zhu qui fondaient prétendument la revendication sur place. En elle-même, cette omission ne constitue pas une erreur susceptible de révision.
[15] Deuxièmement, en traitant de la revendication sur place, la SSR a considéré dans le cadre du « nœud de la question » la question de savoir si les actes de M. Zhu « ont été portés à la connaissance des autorités chinoises et des accusés eux-mêmes ». La SSR a conclu que les informations fournies à la GRC par M. Zhu, ainsi que ses dépositions, ont été transmises aux avocats de la défense et qu’elles ont été versées au dossier de la Cour qui est accessible au public. La SSR a par contre ajouté que rien n’indique que ces informations auraient été divulguées à quiconque d’autre que le tribunal, la Couronne et la défense.
[16] Une fois que la preuve avait établi que les renseignements fournis par M. Zhu avaient été transmis à l’avocat des accusés et déposés en preuve dans un procès public et dans un dossier de la Cour accessible au public, il était, selon moi, manifestement déraisonnable que la SSR suggère qu’une preuve additionnelle était nécessaire pour établir que les renseignements auraient pu être portés à l’attention d’un agent de persécution potentiel. Cette exigence est beaucoup trop élevée lorsqu’il s’agit de démontrer une simple possibilité de persécution.
[17] Troisièmement, le dernier aspect de ce que la SSR a décrit comme étant le « nœud de la question » était son analyse au sujet de la réaction des autorités chinoises et des accusés aux gestes posés par M. Zhu.
[18] À ce sujet, la SSR s’est posé la question de savoir si le geste de M. Zhu pourrait « être perçu par les autorités chinoises comme une opinion politique contraire aux leurs » et elle a répondu à cette question en déclarant qu’elle avait « conclu que ses actes ne sont pas perçus comme une opinion politique si opposée à la politique ou aux opinions des autorités chinoises qu’ils pourraient être perçus comme une remise en question de l’appareil gouvernemental ».
[19] Dans l’arrêt Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.), la Cour d’appel a examiné la question de savoir ce qui constitue une opinion politique et confirmé que les termes « opinion politique » doivent recevoir une interprétation large. La Cour d’appel a déclaré qu’une opinion politique pouvait comprendre une opinion exprimée ou réputée donnant lieu à de la persécution, même lorsque le gouvernement partageait officiellement l’opinion en cause.
[20] Par conséquent, en se demandant seulement si les gestes en cause seraient perçus par les autorités chinoises comme opposés à leurs opinions et en restreignant l’opinion imputée à ce qui constitue une « remise en question de l’appareil gouvernemental », la SSR a donné une interprétation trop limitée des termes opinion politique.
[21] J’ai fait remarquer que la SSR a mentionné la décision de la Cour d’appel dans Klinko, mais qu’elle a déclaré la distinguer au motif que l’information de M. Zhu ne visait pas les « autorités ou … aucun de ses représentants ». Selon moi, cette distinction n’est pas utile. Il s’agit d’une distinction qui ne reconnaît pas le fait que dans l’arrêt Klinko la Cour appliquait le rejet que la Cour suprême du Canada avait opposé à une définition étroite des termes opinion politique dans l’arrêt Ward, précité. Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême a déclaré que la persécution consécutive à l’expression d’une opinion politique pouvait exister sans la complicité de l’État. Par conséquent, une « opinion politique » comprenait « toute opinion dans laquelle l’appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé ».
[22] Il fallait donc en droit que la SSR reconnaisse le fait que l’opinion politique, exprimée ou imputée, ne devait pas nécessairement viser l’État. Par la suite, la SSR devait examiner si le gouvernement chinois ou son appareil « peut être engagé » dans la contrebande d’êtres humains de façon à fournir le lien essentiel avec un motif prévu par la Convention.
[23] L’exigence voulant que l’appareil étatique soit engagé doit recevoir une interprétation large. Ceci découle du fait que dans l’arrêt Ward, précité, la Cour suprême a conclu que l’appareil de l’État était engagé dans des circonstances où il n’existait aucun conflit entre les opinions de M. Ward et celles de l’État.
[24] En l’instance, la SSR a tenu compte du fait que la Chine déclare publiquement ne pas appuyer ni tolérer le passage de clandestins, du fait que des représentants officiels locaux peuvent être complices du passage de clandestins, et du fait que le gouvernement a pris des mesures de répression contre les complices détenteurs de l’autorité publique. Toutefois, la SSR n’a pas fait de lien entre ces constatations et le fait pour l’État d’être « engagé ». Elle n’a semblé tenir compte de cette preuve que pour démontrer que les gestes de M. Zhu correspondaient à l’opinion politique ou au point de vue de l’État au sujet du problème des clandestins. Au vu de l’interprétation large donnée à ce critère dans l’arrêt Ward, je ne suis pas convaincue que la SSR a procédé à l’analyse nécessaire.
[25] Il se peut que la conclusion tirée par la SSR ait été la bonne au vu de la preuve présentée, mais elle n’est pas appuyée par l’analyse qu’elle a faite, pour les motifs que je viens d’énoncer.
[26] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question est renvoyée pour nouvelle décision par une formation différente de la SSR.
[27] M. Zhu a demandé la certification des questions suivantes :
[traduction]
1. Lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié donne des renseignements à la GRC à la condition expresse qu’ils soient gardés confidentiels et qu’ils ne soient pas diffusés, en déclarant expressément que le revendicateur n’a pas l’intention de témoigner dans un procès criminel, et que sans que la chose ne soit imputable au revendicateur les renseignements donnés sont diffusés aux gens qui sont à la source de leur crainte et rendus publics, et que le revendicateur fait l’objet d’une citation à comparaître dans un procès criminel contre son gré, qu’il soit appelé ou non à témoigner, le revendicateur et les autres dans la même situation constituent-ils un groupe social dans le cadre de la définition d’un réfugié au sens de la Convention et dans le contexte d’une revendication sur place?
2. Lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié acquiesce à contrecoeur à la demande de la GRC qu’ils fournissent des renseignements au sujet des contrebandiers chinois et de l’équipage du navire transportant les passagers clandestins, à la condition et avec l’assurance que ces renseignements resteront confidentiels et qu’ils ne seront pas diffusés, et qu’il indique qu’il n’a pas l’intention de témoigner quelles que soient les circonstances, nonobstant le fait qu’il craint des représailles et que les contrebandiers l’ont spécifiquement averti de ne pas parler, comme leur interprète, le fait d’acquiescer à la demande d’aide de la GRC constitue-t-il une opinion ou une action politique dans le cas de la définition de réfugié au sens de la Convention et dans le contexte d’une revendication sur place?
[28] Selon moi, ces deux questions exposent des faits très particuliers et elles ne soulèvent pas une question de portée générale.
ORDONNANCE
[29] Pour les motifs susmentionnés, la Cour ordonne que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SSR) en date du 11 octobre 2000 est annulée. La question est renvoyée pour nouvelle décision par une formation différente de la SSR.