2002 CAF 187
A-806-99 ( T-1618-93 )
CCH Canadienne Limitée (appelante) (demande-resse)
c.
Le Barreau du Haut-Canada (intimé) (défendeur)
A-807-99 ( T-1619-93 )
Thomson Canada Limitée, faisant affaire sous la raison sociale de Carswell publications spécialisées Thomson (appelante) (demanderesse)
c.
Le Barreau du Haut-Canada (intimé) (défendeur)
A-808-99 ( T-1620-93 )
Canada Law Book Inc. (appelante) (demanderesse)
c.
Le Barreau du Haut-Canada (intimé) (défendeur)
Répertorié: CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada (C.A.)
Cour d'appel, juges Linden, Rothstein et Sharlow, J.C.A.--Toronto, 23, 24, 25 octobre 2001; Ottawa, 14 mai 2002.
Droit d'auteur -- Violation -- Appel interjeté à l'encontre du jugement rendu par le juge de première instance qui a conclu qu'il n'existait pas de droit d'auteur sur les décisions judiciaires publiées, les sommaires, les résumés jurisprudentiels et l'index analytique des appelantes; appel incident des conclusions rejetant les moyens de défense fondés sur l'ordre public et l'equity -- Le Barreau du Haut-Canada (le Barreau) exploite la Grande bibliothèque d'Osgoode Hall à Toronto -- À la demande des usagers de la bibliothèque, il fait des photocopies d'ouvrages juridiques qui sont envoyées aux usagers par la poste ou par télécopieur ou dont ceux-ci peuvent passer prendre livraison -- Il met aussi à la disposition des usagers des photocopieuses individuelles, affichant au-dessus de chaque appareil un avis portant que certaines reproductions peuvent constituer une violation du droit d'auteur et que la bibliothèque n'assume aucune responsabilité -- Appel accueilli en partie; appel incident rejeté -- Le juge Linden, J.C.A. (avec l'appui du juge Sharlow, J.C.A.): 1) Existe-t-il un droit d'auteur? -- L'art. 5 de la Loi sur le droit d'auteur prévoit que le droit d'auteur existe sur toute oeuvre littéraire originale -- Signification du terme «originale» -- L'arrêt Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information Inc. n'a pas modifié le critère traditionnel anglo-canadien de l'originalité: une oeuvre, créée de façon indépendante et qui, par les choix dont elle résulte et par son arrangement, dénote un degré minimal de talent, de jugement et de travail -- Le juge de première instance a erronément adopté la norme américaine pour la protection du droit d'auteur, qui comporte des exigences à la fois d'originalité et de créativité, et qui repose sur des conceptions du droit d'auteur fondamentalement différentes -- L'oeuvre doit être plus qu'une simple copie pour être originale -- Définition de l'«oeuvre» -- L'art. 3(1) dispose que le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, y compris le droit exclusif de communiquer, par télécommunication, une oeuvre «au public» et le droit exclusif d'autoriser ces actes -- Les ouvrages juridiques en cause peuvent exister en dehors du contexte dans lequel ils sont publiés; un droit d'auteur existe sur ces ouvrages -- 2) Y a-t-il eu violation du droit d'auteur? -- L'art. 27(1) pose que constitue une violation du droit d'auteur le fait d'accomplir, sans le consentement du titulaire de ce droit, un acte que seul ce titulaire a la faculté d'accomplir -- L'art. 3(1) constitue le fondement des allégations de violation du droit d'auteur -- a) Les reproductions en cause ont été faites à partir d'oeuvres entières, il y a donc eu violation prima facie du droit d'auteur -- b) La communication doit être destinée à un groupe de personnes, c.-à-d. plus qu'une personne mais pas nécessairement tout le public en général -- On ne peut répondre qu'au cas par cas à la question de savoir si les destinataires de la communication constituent le public -- Les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure que la transmission de photocopies par télécopieur constitue une «communication au public par télécommunication» (art. 3(1)f)) -- c) Le Barreau a implicitement autorisé l'utilisation de photocopieuses à des fins illégitimes en fournissant des photocopieuses et une vaste collection des oeuvres des éditeurs dans un milieu qu'il contrôle -- Il n'a exercé aucun contrôle pour empêcher la violation du droit d'auteur, violant de ce fait le droit des éditeurs d'autoriser les reproductions de leurs oeuvres -- Il n'existait pas suffisamment de preuve pour décider si les exemptions relatives à l'utilisation équitable s'appliquaient à toute allégation particulière de violation -- En ce qui concerne la violation à une étape ultérieure, les juges formant la majorité n'ont pas souscrit à l'opinion du juge Rothstein et du juge de première instance, sur la question de la vente -- La présence d'un profit n'est pas un élément nécessaire à une vente -- Il n'était pas clair que le Barreau vendait des copies -- La violation à une étape ultérieure n'est pas une disposition de responsabilité stricte -- La croyance que les copies ne violeraient pas le droit d'auteur doit être sincère et raisonnable -- 3) Exemption relative à l'utilisation équitable -- L'art. 29 prévoit que l'utilisation équitable d'une oeuvre à des fins de recherche et d'étude privée ne constitue pas une violation du droit d'auteur -- a) Domaine de chaque fin admissible -- La décision du législateur de qualifier l'«étude» et non la «recherche» indique une intention de permettre toute recherche équitable -- Les copies de la bibliothèque ont pour but d'aider les usagers à faire leurs recherches -- Le Barreau considère cette fin comme la sienne -- b) Les modifications récentes de la Loi édictent des exemptions relatives à la violation du droit d'auteur à l'égard des actes accomplis par les bibliothèques, musées et services d'archives pour une personne qui peut elle-même les accomplir -- La Grande bibliothèque entre dans la définition de «bibliothèque, musée ou service d'archives» -- c) Appréciation de l'équité -- Il existe un certain nombre de facteurs identifiables susceptibles d'influencer cette appréciation, mais l'équité dépend des faits de chaque espèce -- d) La Politique d'accès à l'information juridique du Barreau -- Le fait que les copies sont faites conformément à la politique ne suffit pas à établir une utilisation équitable -- e) Le fait d'avoir des photocopieuses individuelles constitue prima facie une violation du droit des éditeurs d'autoriser la reproduction de leurs oeuvres -- La bibliothèque ne peut s'appuyer sur l'exemption prévue par l'art. 30.3(1) puisque les exigences énumérées à l'art. 30.3(2) n'ont pas été respectées -- Les moyens de défense fondés sur la constitution, l'ordre public et l'equity sont rejetés -- 4) Réparation -- L'injonction permanente n'a pas été accordée parce qu'il ne pouvait être déterminé de façon universelle si les exemptions relatives à l'utilisation équitable s'appliqueraient dans l'avenir -- Les éditeurs avaient droit à une déclaration portant qu'un droit d'auteur existe sur leurs oeuvres et le Barreau a violé le droit d'auteur sur les oeuvres qui ont été reproduites -- Le juge Rothstein, J.C.A. (souscrivant au résultat) -- Son approche analytique sur les questions d'originalité et de violation diffère -- 1) La question de savoir si l'oeuvre est originale sera guidée par les principes suivants: l'essentiel consiste dans l'expression et non pas dans les idées ou les faits; l'oeuvre doit être produite par l'auteur et ne pas être copiée; il faut un certain effort intellectuel, mais le degré nécessaire d'effort intellectuel variera selon les circonstances -- Les sommaires, les résumés et les décisions judiciaires publiées attestent d'un effort intellectuel suffisant pour être des originaux, et les éditeurs ont droit à la protection du droit d'auteur -- 2) La reproduction en totalité des décisions judiciaires publiées, des sommaires, des résumés et de la monographie constitue une violation prima facie du droit exclusif des éditeurs de reproduire leurs oeuvres -- Bien que l'index analytique ne forme, sur le plan quantitatif, qu'une partie relativement petite du volume, il en forme une partie si intégrante en termes qualitatifs que de le copier dans sa totalité constitue une reproduction d'une partie importante du volume -- Il y a donc eu violation prima facie du droit d'auteur -- Puisque le mot «public» à l'art. 3(1)f) désigne plus qu'un destinataire, la transmission par télécopieur à un destinataire individuel ne constitue pas une violation du droit d'auteur -- Le fait de placer des photocopieuses dans un endroit rempli d'oeuvres protégées sans prendre de mesures pour en empêcher la reproduction constituait une autorisation implicite de la reproduction constituant une violation -- Trois éléments doivent être établis pour prouver la violation à une étape ultérieure: 1) l'oeuvre doit être le produit d'une violation initiale du droit d'auteur; 2) le présumé auteur de la violation à une étape ultérieure doit savoir que la copie est le produit d'une violation initiale du droit d'auteur; 3) la vente ou la mise en circulation doit être établie -- Le premier élément a été établi puisqu'il a déjà été conclu que les copies sont le produit d'une violation initiale -- Lorsque l'auteur de la violation initiale et le présumé auteur de la violation à une étape ultérieure sont la même personne, cette personne connaît les faits donnant lieu à la violation initiale -- L'existence d'une vente ne dépend pas de la réalisation d'un profit, mais du transfert de la propriété et du paiement d'une contrepartie -- Ces deux éléments sont présents dans les transactions intervenues entre le Barreau et ses clients -- Les éditeurs ont subi un préjudice -- Une violation ultérieure prima facie a été établie -- 3) L'application des principes de droit relatifs à l'exemption relative à l'utilisation équitable était impossible en l'absence de faits pour l'étayer -- L'exemption des bibliothèques s'appliquait -- 4) Il devrait être déclaré qu'un droit d'auteur existe et qu'il y a eu violation de ce droit.
Avocats -- Organisme directeur -- Le Barreau du Haut-Canada (le Barreau) est poursuivi par trois des plus importants éditeurs d'ouvrages juridiques pour violation du droit d'auteur -- Le Barreau fait des photocopies de publications juridiques à la Grande bibliothèque d'Osgoode Hall -- Il offre un service de photocopie conformément à la Politique d'accès à l'information juridique du Barreau -- Il met également des photocopieuses individuelles à la disposition des usagers de la bibliothèque -- Le Barreau avait une raison de soupçonner que ce ne sont pas tous les clients qui utilisent les photocopieuses individuelles à des fins ne comportant pas une violation du droit d'auteur -- Le fait d'afficher des avis portant que la bibliothèque n'assume aucune responsabilité n'est pas suffisant -- Il ne suffit pas au Barreau d'invoquer sa Politique d'accès à l'information juridique pour être absout de toute responsabilité -- Le fait de maintenir des photocopieuses individuelles constitue prima facie une violation du droit des éditeurs d'autoriser la reproduction de leurs oeuvres -- La Cour a également rejeté les autres moyens de défense du Barreau fondés sur l'ordre public, l'equity et l'accès à la justice -- La protection du droit d'auteur n'est pas incompatible avec l'intérêt public dans la bonne administration de la justice et avec le maintien de la primauté du droit -- Il faut reconnaître aussi équitablement les droits des éditeurs pour les inciter à toujours fournir des publications juridiques.
Droit constitutionnel -- Principes fondamentaux -- Les appelantes prétendent que le Barreau du Haut-Canada (le Barreau) viole leur droit d'auteur sur les ouvrages juridiques qu'elles publient en offrant un service de photocopie et en fournissant des photocopieuses dans la Grande bibliothèque d'Osgoode Hall -- Le Barreau a invoqué des motifs fondés sur la constitution et l'equity -- L'intérêt public dans la bonne administration de la justice, le maintien de la primauté du droit et la promotion des valeurs constitutionnelles fondamentales garanties par un accès à la loi relativement égal et libre ne sont pas gravement compromis par la reconnaissance et le respect du droit d'auteur -- Les valeurs invoquées par le Barreau ont été implicitement considérées dans la pondération des droits des éditeurs et de l'intérêt public -- Les conclusions constitutionnelles ne doivent pas être faites sans référence à un cadre factuel.
Couronne -- Prérogatives -- Les appelantes prétendent que le Barreau du Haut-Canada (le Barreau) viole leur droit d'auteur sur les ouvrages juridiques qu'elles publient en offrant un service de photocopie et en fournissant des photocopieuses dans la Grande bibliothèque d'Osgoode Hall -- Le Barreau soutient qu'il a le droit exclusif de publier les décisions de tribunaux ontariens en vertu de la délégation de la prérogative royale -- Selon lui, les éditeurs ne peuvent pas alléguer la violation de toute oeuvre qui inclut ces décisions -- Le Barreau n'a pas établi, selon la prépondérance de la preuve, l'existence ou la propriété du droit d'auteur sur ces décisions sous-jacentes, ou le droit d'exclure autrui de la publication de ces décisions judiciaires publiées.
Il s'agissait de l'appel du jugement rendu par le juge de première instance qui a conclu qu'il n'existait pas de droit d'auteur sur les décisions judiciaires publiées, les sommaires, les résumés jurisprudentiels et l'index analytique des appelantes, et de l'appel incident des conclusions rejetant les moyens de défense fondés sur l'ordre public et l'equity. Les appelantes publient des ouvrages juridiques. L'intimé est une société sans but lucratif qui réglemente la profession juridique en Ontario. Dans le cadre de son mandat, il exploite la Grande bibliothèque d'Osgoode Hall à Toronto. À la demande des usagers, le Barreau fait des photocopies des ouvrages de la collection de la Grande bibliothèque. Les usagers de la bibliothèque peuvent venir y prendre livraison de leurs photocopies ou demander à ce qu'elles leur soient envoyées par la poste ou par télécopieur. Le service de photocopie procède conformément à la Politique d'accès à l'information juridique du Barreau, qui prévoit que des copies uniques peuvent être obtenues à des fins précises, soit à des fins de recherche, de compte-rendu, d'étude privée ou de critique ou aux fins d'une instance judiciaire ou d'une audience devant un organisme gouvernemental. Le Barreau met aussi à la disposition des clients de la Grande bibliothèque des photocopieuses individuelles qui fonctionnent à l'aide de pièces de monnaie ou de cartes prépayées. Le Barreau ne surveille pas l'utilisation de ces photocopieuses, mais il a affiché au-dessus de chaque appareil un avis portant que certaines reproductions peuvent constituer une violation du droit d'auteur et que la bibliothèque n'assume aucune responsabilité en cas de violations susceptibles d'être commises par les utilisateurs des photocopieuses. Les éditeurs ont affirmé qu'il existe un droit d'auteur sur leurs documents, et que le Barreau viole ce droit en offrant son service de photocopie et en mettant des photocopieuses individuelles à la disposition des usagers dans la Grande bibliothèque. Le Barreau a nié toute responsabilité.
Il s'agissait de savoir: 1) s'il existe un droit d'auteur sur les oeuvres des éditeurs; 2) si oui, s'il y a eu violation du droit d'auteur; 3) si oui, si l'exemption relative à l'utilisation équitable en vertu de la Loi sur le droit d'auteur a pour effet d'exempter le Barreau de toute responsabilité; et 4) quelle est la forme de réparation appropriée.
Arrêt: l'appel doit être accueilli en partie et l'appel incident doit être rejeté.
Le juge Linden, J.C.A. (avec l'appui du juge Sharlow, J.C.A.): 1) L'article 5 de la Loi sur le droit d'auteur stipule que le droit d'auteur existe sur toute oeuvre littéraire originale. Dans l'arrêt Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information Inc., [1998] 2 C.F. 22 (C.A.), le critère traditionnel anglo-canadien de l'originalité a été décrit comme une oeuvre que son auteur a créée de façon indépendante et qui, par les choix dont elle résulte et par son arrangement, dénote un degré minimal de talent, de jugement et de travail. La présente Cour a aussi signalé que l'expression «talent, jugement ou travail» devait se lire au sens conjonctif. La décision rendue dans l'affaire Télé-Direct ne visait pas à modifier la jurisprudence anglo-canadienne en ce qui concerne l'interprétation de l'originalité. Par contre, la norme américaine pour la protection du droit d'auteur, que le juge Gibson a erronément adoptée, comporte effectivement des exigences à la fois d'originalité et de créativité. La jurisprudence américaine doit être analysée avec prudence car la loi américaine repose sur des conceptions du droit d'auteur fondamentalement différentes des nôtres. Le juge de première instance a omis de procéder à une analyse de fond de la norme américaine d'originalité. En statuant que l'«imagination» ou l'«étincelle de créativité» sont essentielles à une conclusion d'«originalité», il a donc, par inadvertance, entremêlé la norme américaine avec la pierre angulaire de l'originalité qui caractérise le droit canadien. Il n'y a pas d'exigence universelle d'«étincelle de créativité» ou d'«imagination» en droit d'auteur anglo-canadien. Il est clair que l'exigence essentielle à une conclusion d'originalité est que l'oeuvre soit plus qu'une simple copie.
Il s'agissait ensuite de déterminer si les documents des éditeurs sont, de fait, des oeuvres originales. À titre préliminaire, les éditeurs ont produit des certificats d'enregistrement pour certaines de leurs productions, y compris des certificats séparés pour les sommaires et les décisions judiciaires publiées, dont la plupart ont été obtenus quelques mois avant l'instruction de la présente affaire. Le fait que ces certificats ont été obtenus uniquement en vue d'un litige diminue leur force persuasive. Par conséquent, même si les certificats peuvent permettre de conclure à l'existence d'un droit d'auteur sur les oeuvres des éditeurs (paragraphe 53(2)), ils ne sont pas particulièrement convaincants.
Le paragraphe 3(1) dispose que le «droit d'auteur» sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une «partie importante» de l'oeuvre. Toute oeuvre peut être découpée en ses parties constituantes. À un certain point de la fragmentation, cependant, l'élément cesse de devenir une oeuvre et constitue plutôt une partie d'une autre oeuvre. Sans cette distinction, l'expression «une partie importante de l'oeuvre» serait dénuée de sens puisque le demandeur pourrait toujours affirmer qu'une reproduction faite par le défendeur était la reproduction d'une «oeuvre» toute entière. Il faut établir si l'oeuvre en question peut exister en dehors du contexte dans lequel elle est publiée, communiquée, exposée, exécutée ou autrement diffusée. La production qui est distinctive et peut raisonnablement exister en tant que telle peut être considérée comme une oeuvre en soi plutôt qu'une partie d'une autre oeuvre. Mais la production qui dépend tellement des éléments qui l'entourent qu'elle perd tout son sens sans eux, ou dont l'utilité disparaît en grande partie lorsqu'elle est séparée du contexte dans lequel elle est diffusée ne sera en revanche qu'une simple partie d'une oeuvre.
a) Les décisions judiciaires publiées, y compris les sommaires qui les accompagnent, peuvent certainement exister en dehors des volumes ou des collections de recueils dans lesquels elles figurent. L'originalité émane, en partie, du choix que les éditeurs ont fait parmi les éléments de chaque décision judiciaire publiée et de leur arrangement. Contrairement aux compilations de données habituelles, ces décisions publiées portent la marque du style ou du mode d'expression de leur auteur. Il a été pris connaissance d'office du fait que, dans le passé, des sommaires au Canada ont été rédigés par certains des plus grands esprits juridiques de notre pays. Des érudits aussi éminents n'auraient probablement pas consacré du temps et des efforts à de banales copies. Les caractéristiques composées de façon indépendante sont plus que de simples copies de motifs de jugement. Il n'est pas pertinent que les idées exprimées dans ces éléments des décisions judiciaires publiées ne sont peut-être pas originales, puisque la législation sur le droit d'auteur ne s'intéresse qu'à l'originalité de l'expression, et non à celle des idées. Les éditeurs ne monopolisent pas l'information au sens où ils peuvent empêcher les autres éditeurs de produire indépendamment des documents semblables; ils acquièrent simplement le droit d'empêcher les autres éditeurs de copier leurs oeuvres. Le droit d'auteur existe sur chacune de ces décisions judiciaires publiées. b) Les sommaires peuvent être indépendants des motifs de jugement qu'ils accompagnent. Ils sont originaux et ils remplissent les conditions nécessaires pour pouvoir bénéficier de la protection indépendante du droit. Les sommaires sont même essentiels pour établir l'originalité de la décision judiciaire publiée dans son ensemble. c) Le résumé de l'affaire est tout aussi significatif, avec ou sans le livre publié dans lequel il se trouve. Bien que l'information contenue dans ce résumé soit nécessairement dérivée de l'affaire qu'il résume, cette information aurait pu être exprimée de plusieurs manières. Ce condensé de motifs judiciaires exige un degré important d'habileté et de jugement. Il est suffisamment original pour être protégé en vertu de l'article 5. d) L'index analytique est publié à titre d'annexe à un livre, bien qu'il ait pu l'être indépendamment de ce livre. Il vise à permettre au lecteur de décider s'il est nécessaire de consulter la décision judiciaire publiée complète, qui peut être publiée ailleurs que dans le livre. L'index analytique a un caractère original. Par la sélection des affaires à inclure, la composition indépendante de résumés de décision extrêmement brefs, l'agencement des sujets et l'établissement des renvois, les éditeurs ont démontré que l'index analytique est une oeuvre originale. e) La monographie est une oeuvre indépendante du livre dans lequel elle apparaît. Bien que le livre puisse être considéré comme une compilation ou un recueil, le droit à la protection du droit d'auteur pour une contribution à l'oeuvre plus large n'est pas de ce fait réduite. La définition de «recueil» sous-entend que le droit d'auteur peut exister sur les «oeuvres d'auteurs différents» qui y sont incorporées. La monographie est une oeuvre distincte, et est originale.
2) Le paragraphe 27(1) pose que constitue une violation du droit d'auteur le fait d'accomplir, sans le consentement du titulaire de ce droit, un acte que seul ce titulaire a la faculté d'accomplir. Le paragraphe 3(1) définit le «droit d'auteur» sur une oeuvre comme un droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, y compris le droit exclusif de communiquer, par télécommunication, une oeuvre littéraire au public (alinéa 3(1)f)) et le droit exclusif d'autoriser ces actes. La «violation à une étape ultérieure» est décrite au paragraphe 27(2). Elle se produit si une personne, qui a ou n'a pas personnellement fait une des choses énumérées au paragraphe 3(1), utilise d'une certaine manière un exemplaire contrefait dont elle savait, ou aurait dû savoir, qu'il constituait une violation du droit d'auteur. a) Une photocopie constitue une reproduction. Photocopier une oeuvre toute entière, c'est «reproduire la totalité [. . .] de l'oeuvre», au sens du paragraphe 3(1). La personne qui reproduit une oeuvre entière aura donc violé prima facie un droit d'auteur. Les reproductions précises en cause ont été faites à partir d'oeuvres entières. Dans certaines circonstances, un petit nombre de pages très importantes peut être important, alors que dans d'autres, un grand nombre de pages peu importantes peut être insignifiant. Il est impossible de déterminer quel pourcentage distingue ce qui est important de ce qui est insignifiant Une telle détermination ne peut être faite que dans le contexte d'une reproduction donnée. b) Pour être faite «au public», une communication doit être destinée à un groupe de personnes, ce qui est plus qu'une personne mais pas nécessairement tout le public en général. Une série de transmissions séquentielles peut violer le droit de communiquer au public, mais on ne peut répondre qu'au cas par cas à la question de savoir si un groupe de destinataires est suffisamment grand pour constituer le public, et la Cour ne disposait pas de suffisamment d'éléments de preuve pour trancher ce point. Les oeuvres des éditeurs ne sont pas communiquées par le Barreau si ce dernier doit prendre des mesures pour faciliter la communication avant que toute personne puisse recevoir ces oeuvres, et il conserve en pratique la faculté d'examiner chaque demande individuellement et de l'accepter ou de la refuser. c) Pour «autoriser» un acte que seul le titulaire du droit d'auteur a la faculté d'accomplir, il faut faire plus que de seulement fournir des moyens pour exécuter l'acte protégé. Bien qu'une personne puisse initialement présumer que l'acte protégé est exécuté conformément au droit, une telle hypothèse est déraisonnable lorsque la preuve indique le contraire. Le Barreau avait une raison suffisante de soupçonner que ce ne sont pas tous les clients qui utilisent les photocopieuses individuelles à des fins légitimes. Il «autorise ces actes» implicitement en fournissant des photocopieuses facilement utilisables et une vaste collection des oeuvres des éditeurs dans un milieu qu'il contrôle. Au lieu de s'efforcer d'exercer un tel contrôle pour empêcher la violation du droit d'auteur, le Barreau s'est contenté d'afficher un avis indiquant qu'il n'est pas responsable et, de ce fait, il sanctionne, appuie ou soutient implicitement les reproductions. En conséquence, le Barreau viole le droit des éditeurs d'autoriser les reproductions de leurs oeuvres.
Le juge de première instance a estimé que le Barreau n'a pas vendu, mais a mis en circulation des copies des oeuvres des éditeurs. Le Barreau a plaidé qu'il ne pouvait être tenu responsable d'une violation à une étape ultérieure parce qu'il croyait raisonnablement que les copies faites par son service de photocopie ne violeraient pas le droit d'auteur. Cet argument soulevait deux considérations: il fallait d'abord déterminer si les dispositions relatives à l'utilisation équitable s'appliquent, auquel cas les copies faites par le service de photocopie du Barreau ne violent pas le droit d'auteur des éditeurs de sorte qu'il ne peut y avoir de violation à une étape ultérieure; il s'agissait ensuite de savoir si une croyance raisonnable mais erronée que les copies ne violent pas le droit d'auteur est suffisante pour écarter toute responsabilité pour violation à une étape ultérieure. Il n'existait pas suffisamment de preuve pour permettre à la Cour de décider de manière définitive si les exemptions relatives à l'utilisation équitable s'appliquaient à toute allégation particulière de violation. Il était donc impossible de déterminer la responsabilité du Barreau pour violation à une étape ultérieure. Il était impossible de souscrire à l'analyse du juge Rothstein sur la question de la vente, ni à celle du juge de première instance. La présence d'un profit n'est pas un élément nécessaire à une vente. Néanmoins, il n'était pas clair que le Barreau «vendait» des copies des oeuvres des éditeurs. De plus, la Loi semble indiquer que la violation à une étape ultérieure n'est pas une disposition de responsabilité stricte. Puisqu'une faute est nécessaire, il faudrait généralement, pour conclure à une violation, que la croyance soit sincère et raisonnable. Cela atténuerait toute inquiétude de voir un contrefacteur secondaire échapper à la responsabilité du fait qu'il invoque simplement sa propre croyance subjective.
3) L'article 29 prévoit que l'utilisation équitable d'une oeuvre ou de tout autre objet du droit d'auteur aux fins d'étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d'auteur. Le juge de première instance a commis une erreur lorsqu'il a posé que les exceptions à la violation du droit d'auteur doivent être «interprétée[s] restrictivement». Les tribunaux doivent appliquer les règles modernes habituelles d'interprétation en fonction de l'objet en contexte. a) La première tâche était de définir le domaine de chaque fin admissible. Les catégories de fins admissibles établies dans la Loi sont fermées. La décision du législateur de qualifier expressément l'«étude» et non pas la «recherche» indique une intention de permettre toute recherche équitable, que ce soit dans un cadre privé ou non. Par conséquent, la recherche à des fins commerciales, dont la recherche juridique effectuée dans un but lucratif par des entités comme des cabinets d'avocats, n'est pas automatiquement exclue de cette exemption. L'étude non privée n'est pas une fin admissible. Le service de photocopie a pour but d'aider les usagers de la bibliothèque à faire de la recherche. Le Barreau a considéré cette fin comme la sienne. En dépit du fait qu'il n'a pas personnellement entrepris la recherche ou l'étude privée, le Barreau partage les fins des clients individuels de la Grande bibliothèque. b) Les modifications récentes de la Loi, édictant expressément des exemptions relatives à la violation du droit d'auteur à l'égard des actes accomplis par les bibliothèques, musées et services d'archives pour une personne qui peut elle-même les accomplir, ne vont pas à l'encontre de la conclusion selon laquelle, quand on examine l'exemption relative à l'utilisation équitable dans le contexte des copies produites par une bibliothèque, un musée ou un service d'archives, la fin pertinente est celle que poursuit le client. Même si les exemptions à l'égard des bibliothèques sont entrées en vigueur après les premières audiences en l'espèce, elles ont été examinées afin d'aider les parties pour l'avenir. La Grande bibliothèque entre dans la définition de «bibliothèque, musée ou service d'archives». Par conséquent, si un client peut faire pour lui-même une copie des oeuvres des éditeurs à titre d'utilisation équitable pour une fin admissible, le Barreau ne viole pas le droit d'auteur s'il fait la copie pour le compte de la personne qui présente la demande. c) Si la fin est admissible, l'équité de l'utilisation peut faire l'objet d'une enquête. L'équité dépend du contexte et des faits de chaque espèce. Il existe un certain nombre de facteurs identifiables susceptibles d'influencer l'appréciation de l'équité, dont aucun n'est déterminant ou contraignant. Ces facteurs sont les suivants: le but de l'utilisation, la nature de l'utilisation, l'ampleur de l'utilisation, les solutions de rechange à l'utilisation, la nature de l'oeuvre en question et l'effet de l'utilisation sur cette oeuvre. d) Le Barreau sollicite une déclaration portant que le fait de répondre aux demandes, conformément à sa Politique d'accès à l'information juridique, constitue une utilisation équitable. Il est impossible de généraliser en ce qui concerne les utilisations faites par le Barreau à cause de la variété des fins que poursuivent les clients de la Grande bibliothèque, et parce qu'on ne pourrait catégoriquement affirmer que toutes les utilisations des clients sont équitables. La détermination du caractère équitable d'une utilisation donnée est complexe et est liée aux faits. Le Barreau doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il s'appuie par substitution sur l'exemption relative à l'utilisation équitable du client chaque fois qu'une violation est alléguée. Par conséquent, il ne suffit pas au Barreau d'invoquer de bonne foi sa Politique d'accès à l'information juridique pour être absout de toute responsabilité potentielle. Si le Barreau adhère strictement à sa politique, on n'accédera vraisemblablement que rarement à une demande douteuse. e) Le fait d'avoir des photocopieuses individuelles dans la Grande bibliothèque constitue prima facie une violation du droit des éditeurs d'autoriser la reproduction de leurs oeuvres. Le paragraphe 30.3(1) établit une exemption relative à la violation du droit d'auteur à l'égard des bibliothèques pourvu que les exigences énumérées au paragraphe 30.3(2) soient respectées. Puisqu'il n'y a aucune preuve que les exigences énumérées au paragraphe 30.3(2) ont été respectées, le Barreau ne peut pas s'appuyer sur cette exemption.
À titre subsidiaire, le Barreau a plaidé qu'il ne devrait pas être responsable à cause de différents moyens de défense fondés sur l'ordre public, l'equity et la constitution, tels le principe de la primauté du droit, l'égalité et l'accès à la justice. L'intérêt public dans la bonne administration de la justice, le maintien de la primauté du droit et la promotion des valeurs constitutionnelles fondamentales garanties par un accès à la loi relativement égal et libre ne serait pas gravement compromis par la reconnaissance et le respect de tout droit d'auteur dont les demanderesses sont susceptibles de jouir sur les oeuvres en litige. Le Barreau pourrait remplir son mandat de permettre l'accès à la justice en photocopiant seulement les motifs de jugement, ce qui pourrait ne constituer qu'une partie négligeable de certaines décisions judiciaires publiées. De plus, les valeurs invoquées par le Barreau ont été considérées dans la pondération des droits des éditeurs et de l'intérêt public. Il faut reconnaître aussi équitablement les droits des éditeurs pour les inciter à toujours fournir des publications juridiques originales pour l'avancement des valeurs que décrit le Barreau. Un examen explicite plus approfondi de ces questions n'était pas justifié, les conclusions constitutionnelles ne devant pas être faites sans référence à un cadre factuel.
Le Barreau a soutenu qu'il avait le droit exclusif de publier les décisions judiciaires de tribunaux ontariens en vertu de la délégation de la prérogative royale. Toutefois, le Barreau n'a pas établi, selon la prépondérance de la preuve, l'existence ou la propriété du droit d'auteur sur ces décisions sous-jacentes, ou le droit d'exclure autrui de la publication de ces décisions judiciaires publiées.
4) Il ne s'agissait pas d'une affaire qui se prête au prononcé d'une injonction permanente. À cause de la diversité des fins et du degré variable d'équité dans les utilisations que fait le Barreau au nom des clients de la Grande bibliothèque, il ne pouvait être déterminé de façon universelle si les exemptions relatives à l'utilisation équitable s'appliqueront au Barreau dans l'avenir. Les éditeurs avaient droit à une déclaration portant qu'un droit d'auteur existe sur leurs oeuvres et que le Barreau a violé le droit d'auteur sur les oeuvres qui ont été reproduites. Le Barreau n'avait pas droit à une déclaration portant qu'il n'a pas violé le droit d'auteur des éditeurs sur les oeuvres en cause en l'espèce. Il n'était pas possible de conclure, d'après la preuve, que les pratiques actuelles du Barreau ne violent pas ou ne violeront pas le droit d'auteur dans l'avenir. Qu'il y ait utilisation équitable dans la vaste majorité des cas ne permet pas d'établir que l'utilisation de chacun des clients est équitable.
Le juge Rothstein, J.C.A.: 1) Aux fins de l'espèce, on pouvait dire que la question de savoir si l'oeuvre est originale sera guidée par les principes suivants: 1) l'essentiel consiste dans l'expression et non pas dans les idées ou les faits; 2) l'oeuvre doit être produite par l'auteur et ne pas être copiée; 3) il faut un certain effort intellectuel, mais le degré nécessaire d'effort intellectuel variera selon les circonstances.
Les sommaires copient les idées exprimées dans les motifs judiciaires, mais ils n'en copient pas la forme. Leur préparation fait intervenir énormément d'habileté, de jugement et de travail, ce qui est suffisant pour établir l'originalité. Le résumé, qui présente les mêmes caractéristiques que les sommaires, est aussi original. Le juge de première instance a conclu qu'il y avait énormément de talent, de jugement et de travail dans les décisions judiciaires publiées. Elles attestent donc nécessairement d'un effort intellectuel suffisant pour être originales. En conséquence, les éditeurs devraient bénéficier d'un droit d'auteur sur les sommaires, les résumés et les décisions judiciaires publiées. Les éditeurs ne pourraient pas obtenir de droits d'auteur indépendants sur les seuls motifs judiciaires révisés. En accordant un droit d'auteur sur les décisions judiciaires publiées dans leur ensemble, l'objectif d'ordre public qui vise à garantir l'accès libre du public aux motifs des décisions judiciaires n'en souffrira pas.
2) Une photocopie constitue une reproduction. Comme le Barreau a reproduit dans leur totalité les décisions judiciaires publiées, les sommaires, les résumés et la monographie, il a violé prima facie le droit exclusif des éditeurs de les reproduire. L'index analytique ne pouvait être qualifié d'oeuvre, puisqu'il n'était pas certain qu'il était complet et utilisable en soi. Bien que l'index analytique ne forme, sur le plan quantitatif, qu'une partie relativement petite du volume, il en forme une partie si intégrante en termes qualitatifs que de le copier dans sa totalité constitue une reproduction d'une partie importante du volume [1997] G.S.T.C., qui est original. En conséquence, le Barreau a violé prima facie le droit exclusif des éditeurs de reproduire une partie importante du volume.
Le terme «au public» doit limiter la portée par ailleurs illimitée de l'alinéa 3(1)f). La seule conclusion possible était que le terme «au public» limite le type de destinataire d'une communication, et qu'il peut avoir une incidence sur le nombre de destinataires. L'alinéa 3(1)f) a été édicté par le paragraphe 62(1) de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis afin de mettre en oeuvre une disposition particulière de l'Accord de libre-échange. Les deux textes devraient être interprétés de façon cohérente, ce qui donne à penser que le mot «public» à l'alinéa 3(1)f) désigne plus qu'un destinataire unique d'une télécommunication. Les communications par le Barreau du résumé et de la monographie à des clients individuels ne sont pas visées à l'alinéa 3(1)f). Le Barreau n'a pas violé le droit exclusif des éditeurs en vertu de l'alinéa 3(1)f) de communiquer leurs oeuvres au public par télécommunication.
Il a été conclu que les utilisateurs des photocopieuses individuelles ont le même intérêt pour les ouvrages des éditeurs que ceux qui font une demande au service de photocopie et que, par conséquent, ils y accèdent aussi. Le fait de placer des photocopieuses dans un endroit rempli d'oeuvres protégées aura inévitablement pour résultat la reproduction des ouvrages des éditeurs en violation du droit d'auteur. L'omission de donner un avertissement plus explicite contre la reproduction d'oeuvres protégées et l'omission de prendre toute autre mesure démontrent l'indifférence du Barreau, en raison de laquelle le Barreau a implicitement autorisé les activités de reproduction de ses clients constituant une violation. Par conséquent, le Barreau a violé prima facie le droit exclusif conféré aux éditeurs par le paragraphe 3(1) d'autoriser toute production ou reproduction de leurs oeuvres. Cela ne signifie pas que le simple fait de contrôler les moyens de commettre une violation constitue automatiquement l'autorisation de cette violation. Il est aussi nécessaire, dans chaque cas, de faire la preuve des actes ou omissions explicites ou implicites qui équivalent à accorder ou sont censés accorder le droit de commettre la violation.
Le juge de première instance a commis une erreur dans son analyse de la violation à une étape ultérieure, en particulier quant à la question de savoir si le Barreau a «vendu» des copies contrefaites. Trois éléments doivent être établis pour prouver la violation à une étape ultérieure: 1) l'oeuvre dont il est fait usage doit être le produit d'une violation initiale du droit d'auteur, c.-à-d. qu'il doit d'abord s'agir d'une contrefaçon; 2) le présumé auteur de la violation à une étape ultérieure doit savoir que la copie dont il fait usage est le produit d'une violation initiale du droit d'auteur; et 3) l'utilisation à une étape ultérieure, c.-à-d. la vente ou la mise en circulation, doit être établie. Le premier élément a été établi puisqu'il a déjà été conclu que les copies pouvant faire l'objet de la violation à une étape ultérieure sont le produit d'une violation initiale. Le Barreau était la partie responsable de la violation initiale du droit d'auteur. En ce qui concerne la violation à une étape ultérieure, lorsque l'auteur de la violation initiale et le présumé auteur de la violation à une étape ultérieure sont la même personne, cette personne connaît les faits donnant lieu à la violation initiale du droit d'auteur puisque c'est elle-même qui l'a commise. Puisque la connaissance pertinente en matière de violation à une étape ultérieure est la connaissance des faits, la perception que le Barreau avait, de bonne foi, de la façon dont la loi s'appliquerait aux faits de l'espèce n'est pas pertinente. Quoi qu'il en soit, le Barreau devait savoir que son recours à l'exemption relative à l'utilisation équitable serait contestable. Le Barreau ne pouvait invoquer la défense d'absence de connaissance et il avait la connaissance requise pour qu'on puisse conclure à la violation à une étape ultérieure. L'existence d'une «vente» ne dépend pas de la réalisation d'un profit. En général, les éléments essentiels de la vente sont le transfert de la propriété et le paiement d'une contrepartie sous une forme ou sous une autre. Ces éléments sont présents dans les transactions intervenues entre le Barreau et ses clients. L'objet premier de la transaction était le transfert en faveur du client de la propriété d'une copie d'une oeuvre des éditeurs. Les activités du service de photocopie équivalent à la «vente» de copies contrefaites. La distribution a porté préjudice aux éditeurs. Une violation ultérieure prima facie a été établie.
3) L'absence de faits pour étayer l'utilisation équitable rendait impossible l'application des principes de droit relatifs à cette exemption. Cependant, la preuve présentée était suffisante pour trancher la question de savoir si l'exemption des bibliothèques s'appliquait à la Grande bibliothèque.
4) Il devrait être déclaré qu'un droit d'auteur existe en faveur des éditeurs sur les décisions judiciaires publiées, les sommaires, le résumé, la monographie et le recueil [1997] G.S.T.C., et que le Barreau a violé ce droit d'auteur. Il n'y a pas lieu d'accorder l'injonction recherchée. L'appel incident doit être rejeté.
lois et règlements
Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, L.C. 1988, ch. 55, annexe, partie A, art. 2006.
Accord de libre-échange nord-américan entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2, art. 1705. |
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]. |
Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques (Acte de Paris du 2 juillet 1971 modifié le 28 septembre 1979) (avec annexe), [1998] R.T. Can. no 18, art. 2. |
Copyright Act 1968, no 63, 1968 (Aust.). |
Copyrights Act, 17 U.S.C.§ 107 (1994). |
Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions de tribunaux de constitution fédérale, TR/97-5. |
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Loi sur le droit d'auteu, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2 «compilation» (édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 53), «recueil», «toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale» (mod., idem), «une bibliothèque, un musée ou un service d'archives» (édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 1), «oeuvre musicale» (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 53), «télécommunication» (édicté par L.C. 1988, ch. 65, art. 61), 2.1(2) (édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 54), 2.4(1)a) (édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 2), 3(1) (mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62; 1993, ch. 44, art. 55; 1997, ch. 24, art. 3), 5 (mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 57), 27(1) (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 15), (2) (mod., idem), (4), 29 (mod., idem, art. 18), 29.1 (édicté, idem), 29.2 (édicté, idem), 29.3 (édicté, idem), 30.2 (édicté, idem), 30.3 (édicté, idem), 53(2) (mod., idem, art. 30). |
U.S. Constitution, art. 1,§ 8, cl. 8. |
jurisprudence
décisions appliquées:
Sayre and Others v. Moore (1785), 102 E.R. 139; Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467; [1990] 72 D.L.R. (4th) 97; 31 C.P.R. (3d) 394; 111 N.R. 376; U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada Inc. (1995), 62 C.P.R. (3d) 257; 97 F.T.R. 259 (C.F. 1re inst.); Hager c. ECW Press Ltd., [1999] 2 C.F. 287; (1998), 85 C.P.R. (3d) 289 (1re inst.); Édutile Inc. c. Assoc. pour la protection des automobilistes, [2000] 4 C.F. 195; (2000) 188 D.L.R. (4th) 132; 6 C.P.R. (4th) 211; 255 N.R. 47 (C.A.); inf. (1997), 81 C.P.R. (3d) 338; 143 F.T.R. 210 (C.F. 1re inst.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2001] 1 R.C.S. vi; Hubbard v. Vosper, [1972] 2 Q.B. 84 (C.A.); Matthewson v. Stockdale (1806), 33 E.R. 103 (Ch. D.); National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R. (4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81.
distinction faite d'avec:
Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc., [1998] 2 C.F. 22; (1997), 154 D.L.R. (4th) 328; 37 B.L.R. (2d) 101; 76 C.P.R. (3d) 296; 221 N.R. 113 (C.A.); Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information Inc. (1996), 27 B.L.R. (2d) 1; 113 F.T.R. 123 (C.F. 1re inst.); Vigneux et al. v. Canadian Performing Right Society Ltd., [1945] 2 D.L.R. 1; (1945), 4 C.P.R. 65 (C.P.); inf. [1943] R.C.S. 348; [1943] 3 D.L.R. 369; Muzak Corp. v. Composers, Authors, etc., [1953] 2 R.C.S. 182; (1953), 19 C.P.R. 1; Falcon v. Famous Players Film Co., [1926] 2 K.B. 474 (C.A.); De Tervagne c. Beloeil (Ville), [1993] 3 C.F. 227; (1993), 50 C.P.R. (3d) 419; 65 F.T.R. 247 (1re inst.); CBS Songs Ltd v Amstrad Consumer Electronics plc, [1988] 2 All ER 484 (H.L.); Sillitoe and Others v. McGraw-Hill Book Co. (U.K.) Ltd., [1983] F.S.R. 545 (Ch. D.); De Garis v. Neville Jeffress Pidler Pty. Ltd. (1990), 37 F.C.R. 99 (F.C. Aust.); Longman Group Ltd. v. Carrington Technical Institute Board of Governors, [1991] 2 NZLR 574 (H.C.); SOCAN Tarif des redevances, l'éxécution en publique d'oeuvres musicales 1996, 1997, 1998 (Tarif 22, Internet) (Re) (1999), 1 C.P.R. (4th) 417 (Commission du droit d'auteur).
décisions examinées:
Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 C.F. 173; (1986), 28 D.L.R. (4th) 178; 8 C.I.P.R. 153; 10 C.P.R. (3d) 1; 3 F.T.R. 118 (1re inst.); conf. par [1988] 1 C.F. 673; (1987), 44 D.L.R. (4th) 74; 16 C.I.P.R. 15; 18 C.P.R. (3d) 129; 81 N.R. 3 (C.A.); conf. par Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd.; Apple Computer, Inc. c. 115778 Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 209; (1990), 71 D.L.R. (4th) 95; 30 C.P.R. (3d) 257; 110 N.R. 66; Matthew Bender & Co., Inc. v. West Pub. Co., 158 F.3d 674 (2nd Cir. 1998); University of London Press v. University Tutorial Press, [1916] 2 Ch. 601; Interlego A.G. v. Tyco Industries Inc., [1989] A.C. 217 (P.C.); Ladbroke (Football), Ltd. v. William Hill (Football) Ltd., [1964] 1 All E.R. 465 (H.L.); Slumber-Magic Adjustable Bed Co. v. Sleep-King Adjustable Bed Co., [1985] 1 W.W.R. 112; (1984), 3 C.P.R. (3d) 81 (C.S.C.-B.); Harper & Row, Publishers, Inc. v. Nation Enterprises, 471 U.S. 539 (1985); Feist Publications, Inc. v. Rural Telephone Service Co., 499 U.S. 340 (1991); Walter v. Lane, [1900] A.C. 539 (H.L.); Moorhouse v. University of New South Wales, [1976] R.P.C. 151 (Aust. H.C.); Compagnie Générale des Établissements Michelin--Michelin & Cie c. Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), [1997] 2 C.F. 306; (1996), 71 C.P.R. (3d) 348; 124 F.T.R. 192 (1re inst.); Allen v. Toronto Star Newspapers Ltd. (1997), 36 O.R. (3d) 201; 152 D.L.R. (4th) 518; 78 C.P.R. (3d) 115; 105 O.A.C. 191 (Div. gén.); CBS Inc. v. Ames Records & Tapes Ltd., [1981] 2 W.L.R. 973 (Ch. D.); de Montigny v. Cousineau, [1950] R.C.S. 297; (1950), 12 C.P.R. 45; Clark, Irwin & Co. Ltd. v. C. Cole & Co. Ltd. (1960), 33 C.P.R. 173 (H.C. Ont.); Telstra Corporation Ltd. v. Australasian Performing Right Association Ltd. (1997), 146 ALR 649 (Aust. H.C.).
décisions mentionnées:
Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357; (1979), 105 D.L.R. (3d) 249; 45 C.P.R. (2d) 1; 29 N.R. 296; Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain inc. (2002), 210 D.L.R. (4th) 385; 23 B.L.R. (3d) 1; 17 C.P.R. (4th) 161; 285 N.R. 267 (C.S.C.); Cramp (G.A.) & Sons, Ltd. v. Frank Smythson, Ltd., [1944] 2 All E.R. 92 (H.L.); Macmillan and Co., Limited v. Cooper (1923), 40 T.L.R. 186 (P.C.); Langlois v. Vincent (1874), 18 L.C. Jur. 160 (C.S. Qué.); Canadian Admiral Corpn. Ltd. v. Rediffusion Inc., [1954] R.C.É. 382; (1954), 20 C.P.R. 75; Kilvington Bros. Ltd. v. Goldberg et al. (1957), 8 D.L.R. (2d) 768; 28 C.P.R. 13; 16 Fox Pat. C. 164 (H.C. Ont.); Horn Abbot Ltd. c. W.B. Coulter Sales Ltd. (1984), 1 C.I.P.R. 97; 77 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.); Lifestyle Homes Ltd. v. Randall Homes Ltd. (1991), 70 Man. R. (2d) 124; 44 C.L.R. 113; 34 C.P.R. (3d) 505 (C.A.); Trade-Mark Cases, 100 U.S. 82 (1879); Burrow-Giles Lithographic Co. v. Sarony, 111 U.S. 53 (1884); Bleistein v. Donaldson Lithographing Company, 188 U.S. 239 (1903); Circle Film Enterprises Inc. v. Canadian Broadcasting Corporation, [1959] R.C.S. 602; (1959), 20 D.L.R. (2d) 211; 31 C.P.R. 57; Prism Hospital Software v. Hospital Medical Records Institute, [1994] 10 W.W.R. 305; (1994), 97 B.C.L.R. (2d) 201; 57 C.P.R. (3d) 129 (C.S.C.-B.); Assoc. canadienne de télévision par câble c. Canada (Commission du droit d'auteur), [1993] 2 C.F. 138; (1993), 46 C.P.R. (3d) 359; 151 N.R. 59 (C.A.); conf. (1991), 34 C.P.R. (3d) 521 (C.F. 1re inst.); Réseau de Télévision CTV Ltée c. Canada (Commission du droit d'auteur), [1993] 2 C.F. 115; (1993), 99 D.L.R. (4th) 216; 46 C.P.R. (3d) 343; 149 N.R. 363 (C.A.); Television New Zealand Ltd. v. Newsmonitor Services Ltd., [1994] 2 NZLR 91 (H.C.); Pro Sieben Media AG v. Carlton UK Television Ltd., [1999] 1 W.L.R. 605 (C.A.); Hyde Park Residence Ltd. c. Yelland, [2000] 3 W.L.R. 215 (C.A.); Campbell v. Acuff-Rose Music, 114 S. Ct. 1164 (1994); Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.S.C. 358; (1997), 143 D.L.R. (4th) 577; 42 C.R.R. (2d) 1; 37 Imm. L.R. (2d) 195; 208 N.R. 81; Hy and Zel's Inc. c. Ontario (Procureur général); Paul Magder Furs Ltd. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675; (1993), 107 D.L.R. (4th) 634; 18 C.R.R. (2d) 99; 160 N.R. 161; 67 O.A.C. 81; MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357; [1989] 6 W.W.R. 351; (1989), 61 Man. R. (2d) 270; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; (1992), 93 D.L.R. (4th) 1; 92 CLLC 14,036; 10 C.R.R. (2d) 1; 139 N.R. 1; Redwood Music Ltd. c. Chappell & Co. Ltd., [1982] R.P.C. 109 (Q.B.); Deeks v. Wells, [1931] O.R. 818; [1931] 4 D.L.R. 533 (Div. app.); conf. par [1933] 1 D.L.R. 353 (C.P.); Zamacoïs, v. Douville, et al., [1944] R.C.É. 208 (fr.); (1943), 3 Fox Pat. C. 44 (ang.); Kelly v. Morris (1866), 1 L.R. Eq. 697; Morris v. Ashbee (1868), 7 L.R. Eq. 34; Morris v. Wright (1870), 5 L.R. Ch. App. 279; Telstra Corporation Ltd. v Desktop Marketing Systems Pty Ltd (2001), 181 ALR 134 (Aust. F.C.); Warwick Film Productions Ltd. v. Eisinger, [1969] 1 Ch. 508; Rank Film Production Ltd. v. Dodds (1983), 2 I.P.R. 113 (N.S.W.S.C.); RCA Corporation v. John Fairfax & Sons Ltd., [1982] R.P.C. 91 (N.S.W.S.C.); Van Dusen v. Kritz, [1936] 2 K.B. 176.
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York, E. R. «Warren Publishing Inc. v. Microdos Data Corp.: Continuing the Stable Uncertainty in Factual Compilations» (1999), 74 Notre Dame L. Rev. 565.
APPEL du jugement rendu par le juge de première instance qui a conclu qu'il n'existait pas de droit d'auteur sur les décisions judiciaires publiées, les sommaires, les résumés jurisprudentiels et l'index analytique, et appel incident des conclusions rejetant les moyens de défense fondés sur l'ordre public et l'equity (CCH Canadienne Ltée. c. Le Barreau du Haut-Canada, [2000] 2 C.F. 451; (1999), 179 D.L.R. (4th) 609; 2 C.P.R. (4th) 129 (1re inst.)). Appel accueilli en partie et appel incident rejeté.
ont comparu:
Roger T. Hughes, c.r., Elizabeth Valentina, Glen A. Bloom et David S. Morritt pour les appelantes.
R. Scott Jolliffe, Andrew Kelly Gill, Kevin J. Sartorio et Navin Katyal pour l'intimé.
avocats inscrits au dossier:
Sim, Hughes, Ashton & McKay LLP, Toronto, pour les appelantes.
Gowling Lafleur Henderson LLP, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Linden, J.C.A.:
I. INTRODUCTION
[1]CCH Canadienne Ltée, Thomson Canada Ltée (qui fait affaire sous la raison sociale Carswell publications spécialisées Thomson) et Canada Law Book Inc. (ci-après les éditeurs) publient des ouvrages juridiques. Le Barreau du Haut-Canada (ci-après le Barreau) est une société sans but lucratif, constituée en vertu d'une loi, qui réglemente la profession juridique dans la province d'Ontario. Dans le cadre de son mandat de service d'assistance à l'endroit de ses membres et d'autres personnes qui font de la recherche, le Barreau exploite la Grande bibliothèque d'Osgoode Hall à Toronto. La Grande bibliothèque comporte l'une des plus grandes collections d'ouvrages juridiques du Canada.
[2]À la demande d'avocats, de stagiaires en droit, de membres de la magistrature et d'autres personnes autorisées qui font de la recherche, le personnel du Barreau fait des photocopies des ouvrages de la collection de la Grande bibliothèque. Les usagers de la bibliothèque peuvent venir y prendre livraison de leurs photocopies, ou demander à ce qu'elles leur soient envoyées par la poste ou par télécopieur. Le service de photocopie est censé procéder conformément à la Politique d'accès à l'information juridique du Barreau du Haut-Canada dont voici les termes:
Politique d'accès à l'information juridique*
Le Barreau du Haut-Canada et la Grande bibliothèque sont au service de l'administration de la justice et de la primauté du droit en Ontario. Les membres du Barreau et de la magistrature, les stagiaires en droit et autres personnes autorisées qui font de la recherche peuvent se servir du vaste catalogue de sources d'information juridique primaires et secondaires, sur support papier ou électronique, constitué par la Grande bibliothèque. Les usagers de la Grande bibliothèque peuvent obtenir une seule copie des documents faisant partie de sa collection à des fins de compte rendu, d'étude privée, de recherche ou de critique ou aux fins d'une instance judiciaire ou d'une audience devant un organisme gouvernemental.
Le service d'accès à l'information juridique respecte le droit d'auteur des éditeurs des divers documents faisant partie de la collection de la Grande bibliothèque, conformément aux principes d'utilisation équitable énoncés à l'article 27 de la Loi sur le droit d'auteur du Canada.
Lignes directrices du service d'accès
1. Le service d'accès à l'information juridique fournit une seule copie des documents demandés à des fins précises, à condition que celles-ci soient communiquées d'avance au personnel de la Grande bibliothèque. |
2. Les fins visées sont la recherche, le compte-rendu, l'étude privée ou la critique, de même que l'utilisation lors d'une instance judiciaire ou d'une audience devant un organisme gouvernemental. En cas de doute, les bibliothécaires de référence décideront si la demande est légitime. |
3. Quiconque présente une demande doit faire connaître son identité et préciser à quelles fins la copie est destinée. Le personnel de la Grande bibliothèque transcrit alors ces renseignements sur un formulaire de demande. |
*Cet énoncé de politique reflète la politique suivie par la Grande bibliothèque depuis de nombreuses années et n'est pas considéré comme un changement dans l'approche du Barreau en ce qui concerne cette question.
4. Le nombre de documents que le service d'accès à l'information juridique acceptera de photocopier varie. Aucune copie ne sera faite à des fins autres que celles énoncées sur le formulaire de demande. En général, le personnel accepte de photocopier une décision, un article ou un court extrait de la loi. Par contre, les demandes portant sur un large extrait d'une source secondaire (plus de 5 pour 100 d'un volume par exemple ou plus de deux citations ou extraits d'un même volume) seront soumises aux bibliothécaires de référence, qui sont en droit de les refuser. |
5. Ce service est à but non lucratif. Les frais facturés correspondent uniquement aux coûts encourus par le Barreau. |
Le 28 janvier 1996
[3]Lorsque la politique a été rédigée en 1996, elle n'était pas censée déroger aux principes existants, bien qu'elle ait effectivement modifié quelque peu les pratiques de surveillance et de conformité. Le Barreau affirme que ses lignes directrices sont maintenant appliquées de façon stricte.
[4]Le Barreau met aussi à la disposition des clients de la Grande bibliothèque des photocopieuses individuelles qui fonctionnent à l'aide de pièces de monnaie ou de cartes prépayées. Le Barreau ne surveille pas l'utilisation de ces photocopieuses, quoique l'avis suivant soit affiché au-dessus de chaque appareil:
[traduction] La législation sur le droit d'auteur au Canada s'applique aux photocopies et autres reproductions qui sont faites de documents protégés. Certaines reproductions peuvent constituer une violation du droit d'auteur. La bibliothèque n'assume aucune responsabilité en cas de violations susceptibles d'être commises par les utilisateurs des photocopieuses.
[5]Les éditeurs connaissaient l'existence du service de photocopie de la Grande bibliothèque, mais ne s'y sont jamais opposés avant 1993, année au cours de laquelle ils ont, après envoi d'une mise en demeure, intenté la présente action. Essentiellement, les éditeurs affirment qu'il existe un droit d'auteur sur leurs documents, et que le Barreau viole ce droit en offrant son service de photocopie et en mettant des photocopieuses individuelles à la disposition des usagers dans la Grande bibliothèque. Fait à noter toutefois, les éditeurs autorisent la reproduction de leurs ouvrages par certaines personnes, à certaines fins. Par exemple, ils concèdent expressément une licence autorisant les avocats à faire des copies pour les produire dans les instances judiciaires, les juges à les utiliser dans les instances judiciaires et quiconque à les utiliser dans les débats parlementaires. Le Barreau nie toute responsabilité.
[6]En temps et lieu, j'exposerai les faits de l'espèce de manière plus détaillée. De plus, les motifs étoffés du juge de première instance contiennent un exposé des faits conjointement déposé par les parties à l'instruction (voir CCH Canadienne Ltée c. Le Barreau du Haut-Canada, [2000] 2 C.F. 451 (version abrégée).
II. QUESTIONS EN LITIGE
A. Existence d'un droit d'auteur
[7]À l'instruction, les éditeurs ont présenté 11 éléments précis sur lesquels ils affirment détenir un droit d'auteur. La présente affaire porte sur l'existence d'un droit d'auteur sur ces seuls documents. Toutefois, je suis conscient qu'elle aura une incidence sur l'issue d'affaires semblables à l'avenir, et c'est dans cet esprit que j'ai abordé les questions en litige.
[8]Premièrement, les éditeurs font valoir leur droit d'auteur sur les trois décisions judiciaires publiées suivantes:
a. Meyer v. Bright (1992), publiée dans 94 D.L.R. (4th) 648, par Canada Law Book,
b. R. v. CIP Inc. (1992), publiée dans 71 C.C.C. (3d) 129, par Canada Law Book,
c. Hewes v. Etobicoke (1993), publiée dans CLLC ¶ 14,042, par CCH Canadienne Ltée.
[9]Chaque décision judiciaire contient des motifs de jugement, qui sont écrits par un ou des juges, mais révisés par les éditeurs selon leurs exigences particulières. Chacune des décisions judiciaires publiées comprend aussi des textes rédigés par les éditeurs, dont un résumé des faits, des motifs et des conclusions qui se trouvent dans la décision, des «mots clés» en abrégé qui font ressortir les sujets et points en litige examinés dans l'affaire, un «exposé de l'affaire» qui expose très brièvement la ou les questions abordées par la Cour et l'intitulé sous lequel l'affaire est répertoriée qui indique succinctement les parties en cause. De plus, les décisions judiciaires publiées contiennent des renseignements sur les motifs donnés à l'appui, comme la date du jugement, la Cour et les noms du ou des juges qui ont tranché l'affaire et des avocats de chaque partie, des listes des décisions, lois, règlements et règles cités, des références parallèles et d'autres notes concernant les décisions ou l'état des appels. Plusieurs décisions judiciaires publiées sont habituellement compilées dans des volumes publiés qui font eux-mêmes généralement partie d'une série de décisions judiciaires publiées. Ce ne sont toutefois pas les volumes ni les séries de décisions judiciaires publiées qui sont en cause en l'espèce. Le juge de première instance a conclu qu'il n'existe aucun droit d'auteur sur l'une quelconque de ces décisions judiciaires publiées, et les éditeurs en appellent de cette conclusion.
[10]Deuxièmement, les éditeurs font valoir leur droit d'auteur sur trois sommaires qui accompagnent les trois décisions judiciaires publiées suivantes, mais sont soumis à titre indépendant:
a. Meyer v. Bright (1992), publiée dans 94 D.L.R. (4th) 648 par Canada Law Book,
b. R. v. CIP Inc. (1992), publiée dans 71 C.C.C. (3d) 129 par Canada Law Book,
c. Hewes v. Etobicoke (1993), publiée dans CLLC ¶ 14,042 par CCH Canadienne Ltée.
[11]Il m'est difficile de déterminer avec précision ce que les éditeurs entendent par le terme «sommaire». Ils utilisent parfois ce terme pour ne désigner qu'un résumé des faits, des motifs et des conclusions d'une affaire. En général, cependant, les éditeurs indiquent que le sommaire comprend aussi des «mots clés» et un «exposé de l'affaire». Selon cette dernière utilisation, le sommaire comprend tout ce qui se trouve dans une décision judiciaire publiée à l'exception des motifs de la décision révisés, tel le résumé, les mots clés, l'exposé de l'affaire, le titre répertorié et d'autres renseignements relatifs aux motifs du jugement. C'est dans cette optique que j'ai examiné ces sommaires. Selon le juge de première instance, il n'existe pas de droit d'auteur sur les sommaires, quels qu'ils soient. Les éditeurs en appellent de cette conclusion. Le Barreau ne soutient pas qu'un droit d'auteur ne peut jamais exister sur un sommaire, mais il allègue qu'il n'existe pas de droit d'auteur sur ces sommaires en particulier.
[12]Troisièmement, les éditeurs font valoir leur droit d'auteur sur le résumé jurisprudentiel de l'arrêt Confederation Life v. Shepherd (1992), publié dans 37 A.C.W.S. (3d) 141 par Canada Law Book. Le résumé jurisprudentiel est un résumé concis, en forme abrégée, des faits, des motifs et des conclusions de la décision sur laquelle il est fondé. Le juge de première instance a conclu qu'il n'existe pas de droit d'auteur sur le résumé, et les éditeurs contestent cette conclusion.
[13]Quatrièmement, les éditeurs font valoir leur droit d'auteur sur l'index analytique général qui se trouve dans Canada GST Cases, [1997] G.S.T.C., publié par Carswell publications spécialisées Thomson. L'index analytique énumère les sujets et fait des renvois entre les sujets avec des résumés extrêmement courts des questions en litige ou des conclusions dans des affaires portant sur la taxe sur les produits et services (TPS). Le juge de première instance a refusé d'accorder la protection du droit d'auteur à l'index analytique du volume [1997] G.S.T.C., et les éditeurs en appellent de cette conclusion.
[14]Les éditeurs font aussi valoir leur droit d'auteur sur une loi annotée, soit E. L. Greenspan et M. Rosenberg, Martin's Ontario Criminal Practice 1999 (Aurora: Canada Law Book, 1998), le manuel de B. Feldthusen, Economic Negligence: The Recovery of Pure Economic Loss, 2e éd. (Toronto: Carswell, 1989), et la monographie de S. L. Kogon, «Dental Evidence», publiée au chapitre 13 de l'ouvrage de G. M. Chayko, E. D. Gulliver et D. V. Macdougall, Forensic Evidence in Canada (Aurora: Canada Law Book, 1991). Le juge de première instance a conclu à l'existence d'un droit d'auteur sur la loi annotée, le manuel et la monographie. Il n'en a pas été appelé de ces conclusions. Le Barreau conteste toutefois la qualification de la monographie comme une «oeuvre» en soi, distincte du livre dans lequel elle se trouve.
[15]La Cour doit donc décider si le juge de première instance a commis une erreur quand il a conclu que le droit d'auteur n'existe pas sur les décisions judiciaires publiées, les sommaires, les résumés jurisprudentiels et l'index analytique. S'il existe un droit d'auteur sur ces oeuvres, la conclusion du juge de première instance selon laquelle l'éditeur de chaque oeuvre respective en serait le titulaire n'est pas contestée.
B. Violation du droit d'auteur
[16]Les éditeurs allèguent que, par son service de photocopie, le Barreau viole leur droit exclusif de reproduire leurs oeuvres et de les communiquer au public par télécommunication. Les éditeurs allèguent aussi qu'en offrant les services de photocopieuses individuelles, le Barreau viole leur droit exclusif d'autoriser d'autres personnes à reproduire leurs oeuvres. Enfin, les éditeurs allèguent que le Barreau a engagé sa responsabilité en vendant, en mettant en circulation et en ayant en sa possession des copies contrefaites de leurs oeuvres.
[17]The Trial Judge found that the Law Society did infringe the Publishers' copyrights in the works in which copyright subsists by reproducing those works. The Law Society's primary objection in this regard relates to the characterization of the "works" in question, which necessarily affects the issue of substantiality. This Court must, therefore, define the Publishers' works, so as to decide whether any reproductions were substantial. The Trial Judge also held that the Law Society did not communicate works to the public by telecommunication via fax transmissions. The Publishers appeal from this conclusion. The Trial Judge held that the Law Society did not sell, but did knowingly distribute and possess infringing copies of the Publishers' works. The Publishers object to the Trial Judge's finding that the Law Society did not sell any works. The Law Society, on the other hand, argues the Trial Judge failed to properly consider the knowledge requirement and asserts that a reasonable, good faith belief that the copies it distributed and possessed did not infringe copyright is sufficient to avoid liability for those activities. Alternatively, the Law Society objects to the Trial Judge's finding that it distributed works so as to affect prejudicially the owners of the copyright. Neither party has taken serious issue with the conclusion that the Law Society did possess copies of the Publishers' works.
[17]Le juge de première instance a conclu que le Barreau a effectivement violé le droit d'auteur des éditeurs sur des oeuvres protégées par un droit d'auteur, du fait qu'il a reproduit ces oeuvres. La principale contestation du Barreau à cet égard porte sur la qualification des «oeuvres» en cause, qui influe nécessairement sur la question de l'«importance». La Cour doit donc définir les oeuvres des éditeurs pour pouvoir décider si toute reproduction était importante. Le juge de première instance a aussi conclu que le Barreau n'a pas communiqué les oeuvres au public par télécommunication quand il a fait ses transmissions par télécopieur. Les éditeurs en appellent de cette conclusion. Le juge de première instance a conclu que le Barreau n'avait pas vendu de copies contrefaites des oeuvres des éditeurs, mais qu'il les avait sciemment eues en sa possession et mises en circulation. Les éditeurs contestent la conclusion du juge de première instance selon laquelle le Barreau n'avait pas vendu d'oeuvre. De son côté, le Barreau soutient que le juge de première instance a omis d'examiner, comme il se doit, la question de la connaissance requise et affirme qu'une croyance raisonnable et de bonne foi que les copies qu'il mettait en circulation et qu'il possédait ne violaient pas le droit d'auteur suffit à écarter sa responsabilité relativement à ces activités. À titre subsidiaire, le Barreau conteste la conclusion du juge de première instance selon laquelle il a mis les oeuvres en circulation de façon à porter préjudice aux titulaires du droit d'auteur. Aucune des parties n'a contesté sérieusement la conclusion selon laquelle le Barreau était en possession de copies des oeuvres des éditeurs.
C. Exemptions de la violation
[18]Le Barreau soutient que ses activités sont couvertes par l'exemption relative à l'utilisation équitable et qu'il ne viole donc aucun droit d'auteur qui pourrait exister sur les oeuvres des éditeurs. Les éditeurs ne sont pas de cet avis. Le juge de première instance n'a pas traité ce point sur le fond puisqu'il a conclu que l'utilisation faite par le Barreau ne constituait pas une utilisation personnelle à des fins admissibles. Le Barreau en appelle des cette conclusion et, par conséquent, la Cour doit examiner la question.
[19]Le Barreau soutient aussi que divers moyens de défense fondés sur l'ordre public et l'equity devraient permettre d'empêcher l'action des éditeurs d'aboutir. Le juge de première instance a rejeté tous les arguments du Barreau à cet égard, et le Barreau en appelle de ces conclusions.
D. Réparations demandées
[20]Les éditeurs et le Barreau sollicitent un certain nombre de réparations. Les éditeurs cherchent à obtenir une injonction permanente, ainsi que des déclarations générales visant à établir que leurs documents sont protégés par le droit d'auteur, et que le Barreau viole ces droits d'auteur en offrant son service de photocopie et des photocopieuses libre-service dans le cadre de ses pratiques actuelles. Le Barreau cherche à obtenir un certain nombre de déclarations qui visent à établir le contraire.
[21]Le juge de première instance a prononcé une déclaration restreinte portant qu'il existe un droit d'auteur sur certaines des oeuvres des éditeurs mais sans faire de déclaration générale, et il n'a pas accordé d'injonction permanente. Le juge de première instance n'a pas non plus fait de déclaration comme le demandait le Barreau. Les éditeurs et le Barreau contestent la réparation accordée par le juge de première instance et, par conséquent, la Cour doit trancher la question.
III. ANALYSE
[22]Le droit d'auteur est régi par un texte législatif, la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, et ses modifications pertinentes (la Loi) (voir Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357, pages 372 et 373 (Compo)). Cependant, la jurisprudence, tant étrangère que canadienne, guide la Cour dans son interprétation de la Loi. La Cour pourrait s'appuyer sur la jurisprudence britannique, puisque le droit d'auteur canadien est historiquement fondé sur le droit britannique et lui ressemble encore beaucoup (voir J. S. McKeown, Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 3e éd. (Scarborough: Carswell, 2000), aux pages 38 et 39 (Fox). En revanche, la Cour suprême du Canada a précisé que la jurisprudence américaine devait être analysée avec prudence à cause des différences importantes qui existent entre la législation et la politique américaines en matière de droit d'auteur et les nôtres (Compo, précité, à la page 367). Les tribunaux canadiens doivent toujours veiller à ne pas modifier l'équilibre des droits que ménage la Loi canadienne.
[23]Généralement parlant, le droit d'auteur canadien vise à favoriser les auteurs en leur accordant un monopole, pendant un certain temps, tout en encourageant la publication d'oeuvres pour le bienfait de la société en général (voir Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 C.F. 173 (1re inst.), à la page 200 (version abrégée), mod. sur d'autres points par [1988] 1 C.F 673 (C.A.), conf. par [1990] 2 R.C.S. 209 (Apple Computer); voir aussi Théberge c. Galerie d'Art du Petit Champlain inc. (2002), 210 D.L.R. (4th) 385 (C.S.C.), au paragraphe 30). Le droit d'auteur devrait reconnaître l'intérêt de la diffusion des oeuvres, en ce qui concerne l'avancement de la science et du savoir, la mise en valeur de l'utilité commerciale, la stimulation des arts et du spectacle et la promotion d'autres fins souhaitables pour la société. Pour que ces bienfaits se réalisent, il faut toutefois que les créateurs soient à l'abri de l'exploitation non autorisée de leurs oeuvres afin qu'ils soient suffisamment encouragés à produire des oeuvres nouvelles et originales. On doit permettre à celui qui sème de récolter le fruit de ses efforts, mais la récolte doit se faire de façon à ce que la société ne soit pas privée de certains de ses bienfaits. C'est peut-être lord Mansfield qui a le mieux expliqué le problème, il y a plus de deux siècles, lorsqu'il a déclaré ce qui suit dans la décision Sayre and Others v. Moore (1785), 102 E.R. 139 [à la page 140]:
[traduction] [. . .] nous devons nous garder de deux positions extrêmes tout aussi nocives: l'une voulant que les gens de talent qui ont mis leur temps au service de la collectivité ne peuvent être privés de leur juste mérite non plus que de la récompense de leur ingéniosité et de leur travail, et l'autre, qu'on ne saurait priver le monde d'améliorations et que le progrès des arts ne peut souffrir de retard.
Le défi pour la présente Cour, et pour le droit d'auteur en général, consiste à trouver un juste équilibre qui permettra d'atteindre ces deux objectifs.
A. Existe-t-il un droit d'auteur sur les oeuvres des éditeurs?
1. La norme d'originalité
[24]L'article 5 [mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 57] de la Loi énonce ainsi la plus importante condition préalable à l'existence du droit d'auteur:
5. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le droit d'auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci-après, sur toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale [. . .] [Non souligné dans l'original.]
[25]Le juge de première instance a conclu que les décisions judiciaires publiées, les sommaires, le résumé jurisprudentiel et l'index analytique n'étaient pas «originaux». Il a dit (au paragraphe 139, non souligné dans l'original, renvois omis):
Bien qu'il ressorte manifestement de la preuve soumise à la Cour que la préparation des décisions judiciaires publiées, incluant les sommaires, les mots clés, les références parallèles, les titres courants et d'autres points ajoutés par l'éditeur, en ce qui concerne les trois décisions en question, comporte énormément d'efforts, d'habileté et de jugement, je suis convaincu que l'ensemble du processus, et plus particulièrement les éléments qui demandent de l'habileté et du jugement, sont dépourvus de l'«imagination» ou de l'«étincelle de créativité» que je juge jusqu'à maintenant essentielles à une conclusion d'originalité. J'estime qu'il convient d'évaluer le caractère intellectuel et créateur des décisions judiciaires enrichies en vue d'une publication pour décider si elles donnent naissance à un droit d'auteur, de la même manière qu'il est possible de dire qu'il faut évaluer les compilations de données suivant l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Télé-Direct. L'article 2 de la Convention de Berne, 1971, j'en suis convaincu, vise manifestement la sorte de transformations des oeuvres littéraires que représentent les recueils de jurisprudence en litige en l'espèce, mais ceux-ci sont dépourvus de l'«expression originale» et ne parviennent pas à constituer des «créations intellectuelles» envisagées par cet article, et plus particulièrement par l'article 1705 de l'ALÉNA tel qu'il est reproduit dans l'arrêt Télé-Direct [à la page 31]. Pour reprendre, encore une fois non sans une certaine appréhension, les propos tirés de l'affaire Matthew Bender [à la page 688] qui, j'en suis persuadé, s'appliquent tout aussi bien, sous le régime de la loi canadienne, aux faits de la présente affaire:
[26]La première question qui se pose à la Cour est de savoir si l'«imagination ou l'étincelle de créativité» sont effectivement «essentielles à une conclusion d'originalité» et s'«il convient d'évaluer le caractère intellectuel et créateur» des oeuvres des éditeurs «pour décider si elles donnent naissance à un droit d'auteur».
[27]À mon avis, le juge de première instance a mal interprété l'arrêt rendu par la présente Cour dans l'affaireTélé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc., [1998] 2 C.F. 22 (C.A.) (Télé-Direct), et d'autres jugements quand il y a vu une dérogation à la conception anglo-canadienne classique de ce qu'est la norme d'originalité. Ni l'article 2 de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques (Acte de Paris du 2 juillet 1971 modifié le 28 septembre 1979) (avec annexe), [1998] R.T. Can. no 18 (la Convention de Berne), ni l'article 1705 de l'Accord de libre échange nord-américain entre le gouvernment du Canada, le gouvernement des États-Unis d'Amérique et le gouvernment des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2 (l'ALÉNA), n'imposent une norme plus rigoureuse pour la protection du droit d'auteur que celle qui existait déjà dans la Loi. De plus, il y a des différences importantes entre le droit d'auteur anglo-canadien et la norme américaine d'originalité qui a été appliquée dans la décision Matthew Bender & Co., Inc. v. West Pub. Co., 158 F.3d 674 (2nd Cir. 1998). La qualification des oeuvres des éditeurs comme étant «originales» ou non dépend du sens que l'on donne à ce terme dans son contexte législatif, comme l'expliquent les principes actuels de la jurisprudence anglo-canadienne.
[28]Comme le juge en chef McLachlin (tel est son titre maintenant) l'a dit dans l'arrêt Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, à la page 477, il s'agit «d'abord et avant tout [. . .] [d']une question d'interprétation des lois». La Loi ne contient aucune exigence explicite d'étincelle de créativité ou d'imagination; la seule condition préalable à la protection (pertinente quant à la présente analyse) est que l'oeuvre soit originale. En fait, la Loi, qui a été la seule source de protection du droit d'auteur au Canada depuis sa mise en vigueur en 1921 (voir Fox, précité, aux pages 34 à 56), ne contient aucune mention, quelle qu'elle soit, d'une exigence autre que celle qui concerne l'originalité. La Cour suprême du Canada a refusé de conclure à l'existence d'exemptions autres que celles que le Parlement a expressément choisi d'inclure dans la Loi (voir Bishop c. Stevens, précité, aux pages 480 et 481). De la même manière, notre Cour ne devrait pas ériger d'obstacles à la protection du droit d'auteur alors que le Parlement lui-même a refusé de le faire. Par conséquent, la Cour n'ajoutera pas une exigence supplémentaire d'étincelle de créativité ou d'imagination dans la Loi et s'appuiera plutôt sur la seule condition préalable de la Loi qui soit pertinente en l'espèce, savoir que l'oeuvre soit «originale».
[29]Il faut convenir qu'il est difficile, voire impossible, de déterminer l'originalité en l'absence d'un certain cadre d'interprétation. C'est pourquoi l'interprétation du mot «original» a fait l'objet de nombreux débats dans la jurisprudence.
[30]L'affaire britannique University of London Press, Ltd. v. University Tutorial Press, [1916] 2 Ch. 601 (University of London Press), est peut-être l'une des causes les plus anciennes et les plus fréquemment citées en matière d'originalité dans le droit d'auteur anglo-canadien. En ce qui concerne le droit d'auteur d'un professeur sur les copies d'examen, cette décision a établi (aux pages 608 et 609) que [traduction] «la loi n'exige pas que l'expression soit présentée sous une forme originale ou nouvelle, mais que l'oeuvre ne soit pas copiée sur une autre oeuvre, qu'elle émane de son auteur». En l'espèce, le mot «original» a été interprété comme signifiant créé de façon indépendante et non copié.
[31]Les tribunaux britanniques ont étoffé ces principes et adopté diverses formes des expressions «habileté, jugement ou efforts», «savoir, efforts, jugement ou habileté» et «habileté, efforts et capital» pour aider à appliquer la notion d'originalité. Ces expressions leur ont permis de trancher la question fondamentale, à savoir si l'oeuvre est quelque chose de nouveau ou simplement la copie d'une autre oeuvre. Comme lord Oliver of Aylmerton l'explique dans la décision Interlego A.G. v. Tyco Industries Inc., [1989] A.C. 217 (P.C.) (Interlego), il faut beaucoup d'habileté, de jugement et d'efforts pour exécuter une bonne copie d'une peinture, mais nul ne pourrait raisonnablement prétendre que la seconde peinture est originale. Il déclare (aux pages 262 et 263, non souligné dans l'original): [traduction] «[l']habileté, les efforts ou le jugement utilisés simplement pour copier ne peuvent conférer d'originalité».
[32]On a souvent fait référence aux expressions susmentionnées dans le contexte des compilations, qui sont un type d'oeuvre distinct. Cela s'explique sans doute par le fait qu'une compilation, par définition, peut contenir un élément qui a été créé par quelqu'un d'autre. La question sous-jacente dans ce cas-là consiste à savoir si la compilation est originale ou si elle est simplement une copie réarrangée d'oeuvres existantes (voir, par exemple, Ladbroke (Football), Ltd. v. William Hill (Football) Ltd., [1964] 1 All E.R. 465 (H.L.) (Ladbroke); Cramp (G.A.) & Sons, Ltd. v. Frank Smythson, Ltd., [1944] 2 All E.R. 92 (H.L.); et Macmillan and Co., Limited v. Cooper (1923), 40 T.L.R. 186 (P.C.)).
[33]D'une façon générale, les tribunaux canadiens ont suivi l'approche britannique. La norme traditionnelle canadienne a été résumée de la façon suivante:
[traduction] L'exigence relative à l'originalité signifie que le produit doit émaner de l'auteur en ce sens qu'il est le produit d'un degré important d'habileté, d'application ou d'expérience employés par l'auteur [. . .] La vraie signification de l'exigence d'originalité est que l'oeuvre ne doit pas être la copie d'une autre oeuvre [. . .]
(voir Fox, pricité, à la page 118, non souligné dans l'original, citant Langlois v. Vincent (1874), 18 L.C. Jur. 160 (C.S. Qué.); Canadian Admiral Corpn. Ltd. v. Rediffusion Inc., [1954] R.C.É. 382 (Canadian Admiral); Kilvington Bros. Ltd. v. Goldberg et al. (1957), 8 D.L.R. (2d) 768 ( H.C. Ont.); Horn Abbot Ltd. c. W.B. Coulter Sales Ltd. (1984), 1 C.I.P.R. 97 (C.F. 1re inst.); Lifestyle Homes Ltd. v. Randall Homes Ltd. (1991), 70 Man. R. (2d) 124 (C.A.)).
[34]Appelée à examiner l'exigence d'originalité quand elle était juge de première instance en Colombie-Britannique, le juge en chef McLachlin a conclu à l'existence d'un droit d'auteur sur l'arrangement d'une brochure publicitaire portant sur des lits ajustables. Dans l'affaire Slumber-Magic Adjustable Bed Co. v. Sleep-King Adjustable Bed Co., [1985] 1 W.W.R. 112 (C.S.C.-B.), à la page 115 (Slumber-Magic), elle a suivi la jurisprudence britannique concernant l'originalité relativement aux compilations, ajoutant le commentaire suivant:
[traduction] Du moment que la composition renvoie à un travail, à un goût, à des décisions précises, il y a originalité. Dans le cas d'une compilation, l'originalité justifiant le droit d'auteur est une question de degré, selon l'importance du talent, du jugement ou du travail en cause dans la ladite compilation [. . .] La Cour devrait plutôt évaluer l'importance du travail, du talent ou du jugement en jeu dans l'arrangement général.
Le juge en chef du Canada a notamment reconnu que la notion d'originalité est intrinsèquement vaste, et elle a utilisé différents termes pour la décrire, dont les termes travail, goût, décisions, habileté, jugement, application et efforts. Elle a conclu que ces idées étaient utiles pour évaluer l'originalité mais n'a pas laissé supposer que l'une ou l'autre de ces expressions était le critère exclusif.
[35]Le juge Richard, maintenant juge en chef de la Cour, a déclaré ce qui suit dans l'arrêt U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada Inc. (1995), 62 C.P.R. (3d) 257 (C.F. 1re inst.), à la page 264 (renvoi omis):
Un travail industrieux («à la sueur de son front») suffit à conférer à une oeuvre suffisamment d'originalité pour qu'elle puisse faire l'objet du droit d'auteur. Le juge Cameron donne une définition succincte du terme «original» dans la décision Canadian Admiral Corp. v. Rediffussion Inc.: [. . .] «Pour qu'une oeuvre soit «originale», elle doit émaner de l'auteur; elle doit être le fruit de son travail et de son expression de sa pensée».
Ce qui est important, c'est que le travail fourni «à la sueur de son front» par le U & R Tax Services pour créer son formulaire d'impôt visait à en choisir le contenu à partir de formulaires antérieurs du gouvernement, d'avant-projets et d'autres renseignements, et à en organiser la mise en page, pas simplement à copier des éléments existants. Comme lord Oliver l'a fait remarquer, celui qui verse sa sueur pour produire ce qui est, en fait, une copie ne peut être récompensé par la protection du droit d'auteur. Le juge Richard n'a non plus pas soutenu que le travail fourni «à la sueur de son front» rendrait une oeuvre originale s'il était seulement fourni pour copier une oeuvre existante. L'expression «à la sueur de son front» faisait plutôt référence à l'effort requis pour qu'une oeuvre soit considérée comme originale et non pas comme une simple copie. Le juge Richard a fait la distinction entre la «sueur de son front» et la «créativité», puisque, comme il en sera question plus loin, ce dernier terme fait référence à la nouveauté, qualité dont la loi relative au droit d'auteur ne tient pas compte.
[36]Ainsi, la condition préalable traditionnelle pour qu'il existe un droit d'auteur en droit anglo-canadien est qu'une oeuvre soit produite de façon indépendante et non copiée de quelqu'un d'autre. Lorsqu'une oeuvre, comme une compilation, est produite par le choix et l'agencement d'éléments existants, l'originalité peut être démontrée si la nouvelle oeuvre est plus qu'une copie réarrangée d'éléments existants. La production d'une oeuvre qui essentiellement n'est pas la copie d'éléments existants exige un effort qu'on désigne le plus souvent comme l'habileté, le jugement ou le travail. Dans la présente espèce, le juge de première instance a interprété l'arrêt Télé-Direct comme ayant modifié la norme d'originalité anglo-canadienne traditionnelle et ajouté de nouvelles exigences d'«imagination» et d'«étincelle de créativité». En ce sens, il a fait erreur.
[37]La première remarque à faire sur l'arrêt Télé-Direct est qu'il concernait des sous-compilations de données courantes, alors que la présente espèce porte sur des données beaucoup plus complexes. Télé-Direct revendiquait la protection du droit d'auteur pour des renseignements concernant les abonnés puisés chez Bell Canada, et d'autres renseignements, comme les numéros de télécopieur, les marques de commerce et le nombre d'années d'exploitation, qu'elle avait compilés dans un annuaire de Pages jaunes. Il était convenu que l'annuaire dans son ensemble était protégé par un droit d'auteur, mais la question était de savoir si un droit d'auteur existait sur les «inscriptions en colonnes», que l'on désignait comme des «sous-compilations» de renseignements. À l'instruction, Mme le juge McGillis a statué que Télé-Direct n'avait fait preuve que d'un minimum de talent, de jugement et de travail dans la compilation des sous-compilations et qu'elle n'avait donc pas réussi à établir le degré d'originalité requis pour justifier la protection du droit d'auteur. La présente Cour a maintenu cette conclusion.
[38]Dans l'arrêt Télé-Direct, la présente Cour a examiné la question de savoir si, du fait de l'ALÉNA, précité, nous devions changer notre conception de la protection du droit d'auteur sur les compilations de données. Pour évaluer cette possibilité, la Cour a procédé à une analyse approfondie de l'accord et de ses répercussions sur les compilations (aux paragraphes 14, 15 et 17, renvois omis):
La définition de «compilation» doit s'interpréter en tenant compte du contexte dans lequel elle a été introduite. En termes simples, cette définition a été ajoutée par suite de la signature de l'Accord du libre-échange nord-américain (l'ALENA), dans le but précis de mettre en oeuvre cet accord. Il n'est que naturel, alors, pour tenter d'interpréter cette définition de se tourner vers le texte de la disposition pertinente de l'ALENA que la modification vise à mettre en oeuvre. Cette disposition est l'article 1705, dont voici le texte:
Article 1705: Droit d'auteur
1. Chacune des Parties protégera les oeuvres visées par l'article 2 de la Convention de Berne, ainsi que toutes autres oeuvres d'expression originale au sens de ladite convention. Ainsi, notamment,
a) tous les genres de programmes d'ordinateur sont des oeuvres littéraires au sens de la Convention de Berne, et chacune des Parties les protégera à ce titre, et
b) les compilations de données ou d'autres éléments, qu'elles soient reproduites sur support exploitable par machine ou sous toute autre forme, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles, seront protégées à ce titre.
La protection assurée par une Partie en vertu de l'alinéa b), qui ne s'étendra pas aux données ou éléments eux-mêmes, sera sans préjudice de tout droit d'auteur subsistant pour ces données ou éléments.
De toute évidence, les parties à l'ALÉNA voulaient protéger les compilations de données qui constituent des «oeuvres d'expression originale au sens de ladite convention [de Berne]» et des «créations intellectuelles». L'emploi de ces deux derniers mots est très significatif: les compilations de données doivent être évaluées en fonction de leur caractère intellectuel et créateur. Ces caractéristiques étant déjà reconnues par la jurisprudence anglo-canadienne -- comme nous le verrons plus tard -- je ne puis que présumer que le gouvernement du Canada, lorsqu'il a signé l'Accord, et le Parlement, lorsqu'il a adopté les modifications de 1993 visant la Loi sur le droit d'auteur, s'attendaient à ce que la Cour adopte la thèse de la «créativité» plutôt que celle du «travail industrieux».
[. . .]
[. . .] je suis [. . .] parvenu à la conclusion que les modifica-tions de 1993 n'ont pas changé l'état du droit en matière de droits d'auteur en ce qui concerne les compilations. Ces modifications n'ont fait que confirmer de façon claire quel était ou quel aurait dû être l'état du droit: le choix ou l'arrangement de données ne produit une compilation protégée que si celle-ci constitue une création originale et intellectuelle.
[39]Une lecture attentive de ce passage révèle que la Cour s'est concentrée sur l'ajout de la définition de «compilation» à l'article 2 [édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 53] de la Loi, en particulier en ce qui concerne les compilations de données. Cette partie des motifs de la Cour ne fait aucunement mention de la signification appropriée du mot «original», qui figure à l'article 5 de la Loi, et que la Cour doit maintenant interpréter.
[40]Comme le démontre le débat concernant la mise en oeuvre des modifications apportées à l'ALÉNA, l'objectif visé était d'assurer, dans les pays signataires, la protection pour des formes d'expression, comme les compilations d'oeuvres littéraires et de données, et non pas de modifier la norme selon laquelle ces formes d'expression sont protégées (voir Canada, Débats de la Chambre des communes (31 mars 1993); Canada, Débats de la Chambre des communes (27 mai 1993), Canada, Comité législatif chargé d'étudier le projet de loi C-115, Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le Projet de loi C-115, Loi portant mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange nord-américain (5 novembre 1993) et les observations y afférentes; et Fox, précité, aux pages 44 à 46). Par conséquent, les dispositions de l'ALÉNA concernant le droit d'auteur ne visaient pas à modifier la norme d'originalité en droit d'auteur canadien. Ni l'ALÉNA ni la Convention de Berne, précitée, n'imposent une norme d'originalité plus rigoureuse que celle qui existait déjà en droit canadien.
[41]Comme l'explique le Guide de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques (Acte de Paris, 1971) de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Genève, O.M.P.I., 1978), passage repris dans Fox:
[. . .] le concept même du droit d'auteur, d'un point de vue philosophique, théorique et pragmatique, diffère selon les pays car il s'inscrit dans un contexte juridique propre à chacun d'entre eux et il peut aussi être influencé par des contingences d'ordre économique ou social. Le définir sous forme d'un principe conventionnel opposable à tous serait trop difficile ou guère possible.
On reconnaît ainsi expressément que chacun des pays signataires de la Convention de Berne peut accorder le droit d'auteur selon ses propres normes.
[42]Même si l'ALÉNA et la Convention de Berne avaient d'une façon ou d'une autre pour objet de modifier les conditions préalables à la protection du droit d'auteur dans les pays membres, ces actes établiraient des normes minimales (voir Fox, précité, à la page 138). Une norme d'originalité plus sévère prive les titulaires du droit d'auteur d'une protection que les pays signataires de ces ententes avaient l'intention de garantir. En trouvant implicitement dans la Loi des exigences supplémentaires de créativité, d'imagination ou d'étincelle de créativité, comme l'a fait le juge de première instance, on fait échec à la réalisation de leur objet plutôt que de le promouvoir.
[43]Qui plus est, ni l'article 2 de la Convention de Berne ni l'article 1705 ne mentionnent quoi que ce soit au sujet de l'«étincelle de créativité» ou de l'«imagination». Ils exigent seulement que les États membres reconnaissent les compilations comme des «créations intellectuelles» et les protègent. À mon sens, l'utilisation de l'expression «création intellectuelle» n'impose pas nécessairement un critère d'originalité impliquant une «étincelle de créativité» ou de l'«imagination». Tant dans l'article 2 de la Convention de Berne que dans la définition de «toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique original» à l'article 2 [mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 53] de la Loi, on trouve le mot «production», ce qui écarte toute idée qu'une étincelle de créativité est exigée. En fait, même si la «création intellectuelle» impliquait effectivement une exigence d'«étincelle de créativité», le législateur a choisi de ne pas inclure ces mots dans la définition de «compilation» énoncée à l'article 2, ni dans quelqu'autre article de la Loi. Si le législateur avait eu l'intention d'apporter quelque changement à la norme de protection du droit d'auteur, il aurait pu le faire.
[44]Il importe de signaler que, dans l'arrêt Télé-Direct, le critère traditionnel anglo-canadien de l'originalité a été décrit (au paragraphe 28, non souligné dans l'original) comme suit:
[. . .] la compilation, pour être originale, doit être une oeuvre que son auteur a créée de façon indépendante et qui, par les choix dont elle résulte et par son arrangement, dénote un degré minimal de talent, de jugement et de travail.
À mon avis, il s'agit d'un excellent résumé et d'une description exacte de la norme canadienne, qui a, en fait, réglé la question. La Cour a simplement confirmé (au paragraphe 7) la conclusion de fait du juge McGillis (le juge de première instance dans cette affaire) [(1996), 27 B.L.R. (2d) 1, à la page 26] selon laquelle Télé-Direct «n'a fait preuve que d'un minimum de talent, de jugement et de travail dans l'organisation globale des éléments, ce qui ne suffit pas pour établir que la compilation dénote une originalité suffisant pour justifier la protection du droit d'auteur».
[45]La présente Cour, dans l'arrêt Télé-Direct, a aussi signalé que l'expression «talent, jugement ou travail» devait se lire au sens conjonctif plutôt que disjonctif. La Cour a fait remarquer (au paragraphe 29) qu'«[i]l n'est pas certain qu'une somme importante de travail alliée à un degré négligeable de talent et de jugement suffirait, la plupart du temps, à conférer un caractère original à une compilation». Cette remarque rappelle notamment l'opinion de lord Oliver of Aylmerton dans la décision Interlego, précitée, où il conclut que les efforts déployés simplement pour copier sont insuffisants pour prouver l'originalité. Je ne suis pas non plus d'avis que le travail seul suffise à prouver l'originalité, puisque l'apport du travail sans rien d'autre est souvent la marque d'une copie servile. Si quelqu'un emploie son travail seulement, sans faire preuve de talent ou de jugement, le résultat sera, en général, essentiellement une simple copie et, pour cette raison, dénué d'originalité.
[46]Dans la décision Hager c. ECW Press Ltd., [1999] 2 C.F. 287 (1re inst.) (Hager), Mme le juge Reed a fait observer que la décision rendue dans l'affaire Télé-Direct ne visait pas à modifier la jurisprudence anglo-canadienne en ce qui concerne l'interprétation de l'originalité, et je souscris à son commentaire (aux paragraphes 40 et 41, non souligné dans l'original):
[. . .] si j'ai bien compris, l'arrêt Télé-Direct aurait fait passer le droit d'auteur canadien, du moins dans la mesure où il est pertinent aux fins actuelles, de son alignement antérieur sur le droit du Royaume-Uni à un alignement sur celui des États-Unis.
Selon moi, l'arrêt Télé-Direct n'a pas une portée aussi large. Tant aux États-Unis qu'au Canada, la jurisprudence définit l'exigence voulant que le droit d'auteur soit accordé à l'égard d'une oeuvre «originale» comme signifiant que cette oeuvre émane de l'auteur et qu'elle ne constitue pas un plagiat. Aux États-Unis, c'est ce à quoi la jurisprudence avait initialement abouti: l'exigence d'«originalité» n'a été ajoutée à la loi qu'en 1976. Au Canada, l'exigence voulant qu'une oeuvre soit «originale» est prévue dans la loi depuis1924, soit la date d'entrée en vigueur de la Loi de 1921 concernant le droit d'auteur [S.C. 1921, ch. 24] édictée en 1921. Cette loi s'inspirait en grande partie de la Copyright Act, 1911 du Royaume-Uni. Je ne suis pas convaincue que la Cour d'appel fédérale ait voulu s'écarter sensiblement du droit antérieur.
[47]Après l'affaire Télé-Direct, cette Cour a aussi tranché l'affaire Édutile Inc. c. Assoc. pour la protection des automobilistes, [2000] 4 C.F. 195 (C.A.), qui infirmait (1997), 81 C.P.R. (3d) 338 (C.F. 1re inst.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2001] 1 R.C.S. vi (Édutile). Les motifs renvoient aux passages de l'arrêt Télé-Direct concernant les effets de l'ALÉNA sur la compilation de données. Cependant, la question a été résolue (au paragraphe 14) à l'aide du critère d'originalité traditionnel, tel qu'il a été énoncé et appliqué dans l'arrêt Télé-Direct, et selon lequel «une oeuvre que son auteur a créée de façon indépendante et qui, par les choix dont elle résulte et par son arrangement, dénote un degré minimal de talent, de jugement et de travail». Le fait que, dans Édutile, le juge se soit finalement appuyé sur la conception anglo-canadienne traditionnelle de l'originalité démontre encore davantage que l'arrêt Télé-Direct n'a pas introduit une nouvelle condition préalable à la protection du droit d'auteur en droit canadien.
[48]Par contre, la norme américaine pour la protection du droit d'auteur, que le juge de première instance a erronément adoptée, comporte effectivement des exigences, à la fois d'originalité et de créativité. Selon la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Harper & Row, Publishers, Inc. v. Nation Enterprises, 471 U.S. 539 (1985), aux pages 547 à 549, une oeuvre doit [traduction] «émaner de l'auteur». La Cour suprême des États-Unis a aussi interprété l'article I, § 8, cl. 8 de la Constitution des États-Unis comme exigeant une [traduction] «création indépendante avec un minimum de créativité» (voir Feist Publications, Inc. v. Rural Telephone Service Co., 499 U.S. 340 (1991) (Feist), citant Trade-Mark Cases, 100 U.S. 82 (1879); Burrow-Giles Lithographic Co. v. Sarony, 111 U.S. 53 (1884)). Dans l'arrêt Feist, la Cour suprême des États-Unis a précisé (à la page 345) que [traduction] «le terme "original", tel qu'il est utilisé en droit d'auteur, signifie seulement que l'oeuvre a été créée de façon indépendante par son auteur (par opposition à copiée sur d'autres oeuvres), et qu'elle dénote au moins un certain degré de créativité».
[49]Dans l'affaire Matthew Bender & Co., Inc. v. West Pub. Co., précitée, [aux pages 682 et 688] le juge de première instance a donné des précisions sur la norme américaine dans le contexte des publications juridiques. Les passages suivants figurent parmi ceux qui ont été cités [au paragraphe 133]:
[traduction] L'étincelle de créativité est absente lorsque: i) les conventions de l'industrie ou d'autres facteurs extérieurs dictent un choix de sorte que toute personne préparant la compilation du genre de celle qui est en litige aurait nécessairement choisi les mêmes catégories de renseignements, [. . .] ou (ii) l'auteur a procédé à des choix évidents, courants ou de routine [. . .]
Ainsi, en matière de choix ou d'arrangement de l'information, la créativité réside dans la réalisation de choix non évidents parmi plus qu'un petit nombre d'options [. . .] Toutefois, il ne suffit pas d'exercer un choix entre deux ou trois possibilités ou entre des possibilités qui ont été choisies si souvent qu'il est devenu habituel de les choisir. Protéger ce genre de choix permettrait au titulaire d'un droit d'auteur de monopoliser une expression largement utilisée et de rompre l'équilibre recherché par le droit d'auteur.
[. . .]
Le travail d'édition fait par West comporte beaucoup d'efforts et de soins intellectuels et est d'une utilité spéciale pour les juristes. Malheureusement pour elle, toutefois, la créativité dont il est possible de faire preuve dans la création d'un recueil de jurisprudence utile ne peut s'inscrire que dans une marge étroite. Et ce, indubitablement parce que, pour West comme pour tout arrêtiste d'opinions judiciaires destinées à la recherche juridique, la fidélité à l'original, qui est du domaine public, constitue la principale valeur éditoriale, de sorte que la créativité est l'ennemie de la vérité.
[50]Pour dramatique qu'il soit, l'énoncé qui conclut la fin de ce passage est quelque peu facile. Il écarte la possibilité que la vérité puisse toujours s'exprimer d'une façon créative et certainement d'une façon originale. Créativité et vérité vont souvent de pair quand il s'agit de traduire les faits, l'histoire, les nouvelles et même la loi. Le créatif peut illuminer le vrai, il peut expliquer le vrai et il peut certainement agrémenter le vrai, ce qui, dans tous les cas, peut donner lieu à un droit d'auteur sur une expression originale.
[51]Fait intéressant, il existe une importante controverse sur la question de savoir si la Cour suprême des États-Unis, dans l'arrêt Feist, a correctement formulé l'exigence américaine de créativité, alors qu'elle n'a fait qu'accepter la norme de la common law américaine sans examiner les conséquences de la codification de l'exigence d'originalité (voir R. VerSteeg, «Sparks in the Tinderbox: Feist, "Creativity," and the Legislative History of the 1976 Copyright Act» (1995), 56 U. Pitt. L.R. 549). Les commentateurs ont attiré notre attention sur les répercussions possibles de l'arrêt Feist (voir, par exemple, J. R. Boyarski, «The Heist of Feist: Protections for Collections of Information and the Possible Federalization of "Hot News"» (1999), 21 Cardozo L. Rev. 871; J. C. Ginsburg, «No "Sweat"? Copyright and Other Protection of Works of Information After Feist v. Rural Telephone» (1992), 92 Colum. L. Rev. 338; R. A. Gorman, «The Feist Case: Reflections on a Pathbreaking Copyright Decision» (1992), 18 Rutgers Computer & Tech. L.J. 731; J. Litman, «After Feist» (1992), 17 U. Dayton L. Rev. 607; J. P. McDonald, «The Search for Certainty» (1992), 17 U. Dayton L. Rev. 331; N. Siebrasse, «Copyright in Facts and Information: Feist Publications is Not, and Should Not Be, the Law in Canada» (1994), 11 C.I.P.R. 191, et A. C. Yen, «The Legacy of Feist: Consequences of the Weak Connection Between Copyright and the Economics of Public Goods» (1991), 52 Ohio St. L.J. 1343). De plus, je note qu'on cherche dans certains milieux à annihiler les effets de l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis (voir Collections of Information Antipiracy Act, Projet de loi no H.R. 354, 106e Congrès, introduit le 19 janvier 1999).
[52]Comme je l'ai dit précédemment, la Cour suprême du Canada a fait la mise en garde suivante: «[l]a jurisprudence américaine doit [. . .] être analysée avec prudence [. . .] car [la loi américaine repose sur] des conceptions du droit d'auteur fondamentalement différentes des nôtres» (Compo, précité,à la page 367). La sagesse de cette recommandation est bien démontrée en l'espèce, où le principe américain que l'on cherche à emprunter repose sur une base instable et n'a pas encore été éprouvé de façon approfondie. Quoique le juge de première instance ait averti qu'il procédait avec une certaine appréhension, il a omis de procéder à une analyse de fond de la norme américaine d'originalité. Il a donc, par inadvertance, entremêlé la norme énoncée dans l'arrêt Feist et appliquée dans la décision Matthew Bender avec la pierre angulaire de l'originalité qui caractérise le droit canadien. Comme je l'ai exposé précédemment, il n'y a pas d'exigence universelle d'«étincelle de créativité» ou d'«imagination» en droit d'auteur anglo-canadien.
Le sens d'«original» en résumé
[53]Il est généralement admis qu'une oeuvre «originale» doit être produite de façon indépendante et non pas copiée. Dans les tentatives qu'ils ont faites pour expliquer davantage ce qu'est cette pierre angulaire du droit d'auteur, différents juges et commentateurs ont, pour définir le mot «original», utilisé une foule de mots et d'expressions mentionnés précédemment, y compris diverses combinaisons des termes «efforts», «jugement», «habileté», «travail», «application», «effort», «goût» ou «choix» (voir, par exemple, les arrêts Ladbroke Football et Slumber-Magic, précités). Pour moi, ce sont tous là des ingrédients pouvant entrer dans la recette de l'originalité, laquelle peut être modifiée pour s'adapter au goût de l'oeuvre en question. Chaque terme peut aider à déterminer si une oeuvre est, en fait, originale, mais il est erroné de traiter ces mots comme s'ils constituaient des exigences de la loi. Ceux-ci ne sont pas, en eux-mêmes, des conditions à la protection du droit d'auteur, mais plutôt des indications de l'existence de la seule condition préalable, l'originalité. Pour déterminer si les oeuvres en cause sont des oeuvres «originales», il faut adopter une méthode raisonnée, fondée sur des principes et qui s'appuie sur la preuve, et non pas se fonder sur un certain mot ou une certaine expression qui ne cherche qu'à expliquer la notion d'originalité.
[54]De plus, je ne suis pas convaincu qu'il existe une différence importante entre une interprétation de l'originalité qui exige un effort intellectuel, qu'on le décrive comme habileté, jugement ou travail ou la créativité, et une interprétation qui exige simplement une production indépendante. Comme nous l'avons vu précédemment, toute habileté, tout jugement ou tout travail doivent être appliqués à une activité autre que la simple copie pour que le résultat soit une oeuvre originale (voir Interlego, précité, aux pages 262 et 263, et Télé-Direct, précité, au paragraphe 29). Il est donc clair que l'exigence essentielle à une conclusion d'originalité est que l'oeuvre soit plus qu'une simple copie. La vaste majorité des oeuvres qui ne sont pas de simples copies exigeront normalement l'apport d'un certain effort intellectuel, quel que soit son nom. Les oeuvres qui sont entièrement dénuées de tels efforts sont, presque inévitablement, de simples copies d'oeuvres existantes.
[55]Je reconnais qu'il est plus difficile d'appliquer la norme d'originalité à certains types d'oeuvres, comme les compilations, qu'à des formes d'expression traditionnelles, comme les romans, les sculptures ou les pièces de théâtre. Plus on s'éloigne des oeuvres littéraires traditionnelles, moins il devient évident qu'une oeuvre n'a pas été copiée. Les compilations de données, par exemple, n'affichent normalement pas la marque distinctive d'un auteur ni ne «présent[ent], à première vue, des indices du style personnel ou du mode d'expression de leur auteur» (Hager, précité, au paragraphe 42). C'est pourquoi, il est difficile de déterminer si les compilations sont des oeuvres originales ou simplement des copies. De plus, certaines compilations peuvent comprendre des éléments qui ont été copiés d'autres oeuvres ou de parties d'oeuvres sur lesquelles un droit d'auteur peut par ailleurs exister ou non. Puisque ce sont le choix et l'arrangement des éléments sous-jacents, et non pas les éléments eux-mêmes, qui doivent être originaux, l'auteur d'une compilation doit démontrer qu'il a fait plus que de simplement copier ces éléments pour en faire une nouvelle oeuvre avant que la Loi ne lui confère la protection du droit d'auteur. Mais le droit d'auteur anglo-canadien n'exige pas de «créativité» pour établir qu'une telle oeuvre n'est pas une simple copie.
[56]Même lorsqu'on a eu recours à la «créativité» pour désigner l'effort intangible requis pour qu'une oeuvre originale se distingue d'une simple copie, les tribunaux ont insisté sur le fait que cette norme est extrêmement basse. Les jurisprudences britannique, canadienne et américaine ont fermement établi que le droit d'auteur diffère du droit des brevets d'invention en ce qu'il n'exige pas la nouveauté ni la non-évidence et que les tribunaux ne doivent pas juger subjectivement la qualité ou la valeur de l'oeuvre d'un auteur (voir Fox, précité, aux pages 112 à 114). Dans l'arrêt Apple Computer, précité, le juge Hugessen, J.C.A., a dit que la seule caractéristique distinctive de l'oeuvre littéraire est le fait qu'elle est écrite ou imprimée. Dans l'arrêt Ladbroke, précité, la Cour a fait remarquer que les qualités esthétiques ou la vertu ne sont pas requises pour la protection du droit d'auteur. Dans University of London Press, précité, il a été décidé que le droit d'auteur pouvait exister [traduction] «peu importe si la qualité ou le style sont élevés ou non» (à la page 608). La Chambre des lords a jugé, dans Walter v. Lane, [1900] A.C. 539, à la page 549, que le droit d'auteur pouvait exister sur un livre qu'il fût [traduction] «sage ou stupide, précis ou imprécis, ayant une valeur littéraire ou sans aucune valeur quelle qu'elle soit», et (à la page 558) qu'un droit d'auteur pouvait exister sur une oeuvre [traduction] «dépourvue de la moindre étincelle de valeur littéraire ou autre» [traduction] «aussi médiocre et insignifiante qu'elle puisse être». Le droit américain met aussi les juges en garde contre la tentation de se poser en juges de la valeur (voir U.S. House Report No. 1476 (1976), 94th Cong., 2d Sess. 51; et l'arrêt Bleistein v. Donaldson Lithographing Company, 188 U.S. 239 (1903) (le juge Holmes, à la page 251)).
[57]Ne pas tenir compte de ce principe fondamental, c'est s'immiscer dans le domaine de la critique et se faire juge du mérite plutôt que celui de l'originalité. Il n'est pas nécessaire qu'une oeuvre manifeste les qualités de nouveauté, d'ingéniosité, d'innovation, de génie, de valeur, de vertu, de beauté, d'intelligence, d'imagination, d'étincelle de créativité ou d'autres attributs semblables pour que le droit d'auteur lui soit conféré, puisque le droit d'auteur n'en tient pas nécessairement compte. Bien sûr, la plupart des oeuvres de «créativité» et d'«imagination», sinon toutes, doivent être originales, mais les oeuvres originales ne sont pas nécessairement toutes des oeuvres de «création» et d'«imagination»; ces attributs, quoique dignes de louanges, ne sont pas des caractéristiques nécessaires à toute oeuvre originale.
[58]De plus, le manque d'objectivité inhérent à l'exigence de «créativité» rend impossible l'application cohérente d'une telle norme (voir D. Vaver, Copyright Law (Toronto: Irwin Law, 2000), aux pages 61 à 63, VerSteeg, précité, aux pages 562 à 565; Yen, précité, aux pages 1345 et 1346; et E. R. York, «Warren Publishing Inc. v. Microdos Data Corp.: Continuing the Stable Uncertainty in Factual Compilations» (1999), 74 Notre Dame L. Rev. 565). Inévitablement, les juges seront forcés de créer leurs propres définitions de la créativité, ce qui aura pour résultat de faire naître une incertitude et de mettre éventuellement en péril les bienfaits qui découlent aussi pour le public de la production d'oeuvres nouvelles et originales. Compte tenu du fait qu'une définition objective et cohérente du terme «créatif» est au mieux imprécise et que la «créativité» peut quelquefois impliquer des qualités qui ne sont pas requises pour qu'une oeuvre soit «originale», il est préférable d'éviter des étiquettes aussi incertaines pour décider de l'originalité.
[59]Le fait que la diffusion des oeuvres soit dans l'intérêt public constitue peut-être, il faut en convenir, une raison de principe pour imposer une norme de créativité élevée comme préalable à la protection du droit d'auteur. Il y a aussi lieu de se préoccuper du fait que la protection exagérée de certaines oeuvres fera obstacle au progrès social et scientifique en empêchant des personnes de travailler à partir d'oeuvres antérieures. Toutefois, je suis d'avis que les monopoles du droit d'auteur sont mieux contrôlés par les moyens que le législateur a établis que par l'imposition de la norme arbitraire et subjective d'«étincelle créatrice» ou d'«imagination». Comme nous le verrons plus loin, une juste interprétation des droits des utilisateurs peut compenser le déséquilibre apparent pouvant résulter d'une norme peu élevée (voir Vaver, Copyright Law, précité, aux pages 169 et 170). Par exemple, les dispositions de la Loi relatives à l'utilisation équitable fournissent un mécanisme par lequel les droits des utilisateurs sont mieux pris en considération.
2. Les oeuvres des éditeurs
[60]Ayant rejeté l'idée que l'imagination ou l'étincelle de créativité sont essentielles à une conclusion d'originalité, je dois maintenant déterminer si les documents des éditeurs sont, de fait, des oeuvres originales.
[61]À titre préliminaire, le Barreau soutient que les décisions judiciaires publiées Meyer v. Bright (1992); R. v. CIP Inc. (1992) et Hewes v. Etobicoke (1993) sont simplement des parties des volumes ou des collections de décisions judiciaires publiées dans lesquels elles se trouvent. De la même façon, le Barreau allègue que les sommaires qui accompagnent les décisions judiciaires publiées ne sont pas des oeuvres, mais seulement des parties d'oeuvres et que la monographie est seulement une partie d'un livre.
[62]Pour commencer, je note que les éditeurs ont produit des certificats d'enregistrement pour certaines de leurs productions, y compris des certificats séparés pour les sommaires et les décisions judiciaires publiées. Le paragraphe 53(2) [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 30] de la Loi stipule:
53. [. . .]
(2) Le certificat d'enregistrement du droit d'auteur constitue la preuve de l'existence du droit d'auteur et du fait que la personne figurant à l'enregistrement en est le titulaire.
[63]De façon générale, il n'y a pas lieu de minimiser la force probante de ces certificats du fait que le Bureau du droit d'auteur n'assume aucune responsabilité en ce qui concerne la véracité des faits déclarés dans la demande et ne procède à aucun examen (voir Circle Film Enterprises Inc. v. Canadian Broadcasting Corporation, [1959] R.C.S. 602, aux pages 606 et 607). Cependant, le juge de première instance a fait remarquer que presque tous les enregistrements ont été obtenus quelques mois avant l'instruction de la présente affaire. À mon sens, le fait que ces certificats ont vraisemblablement été obtenus uniquement en vue d'un litige diminue leur force persuasive. Par conséquent, même si ces certificats peuvent permettre de conclure à l'existence d'un droit d'auteur sur les oeuvres des éditeurs, comme il est indiqué dans les certificats, ils ne sont pas selon moi particulièrement convaincants.
[64]Je reconnais qu'il est question au paragraphe 3(1) [mod. par L.C. 1988, ch. 65, art. 62; 1993, ch. 44, art. 55; 1997, ch. 24, art. 3] de la Loi d'une «partie importante» de l'oeuvre et que, par conséquent, certains éléments peuvent être des parties d'oeuvres plutôt que des oeuvres en tant que telles, et que cela est susceptible de poser un problème lorsque les reproductions pourraient être aussi bien des oeuvres en soi que des parties d'oeuvres. Toute oeuvre peut être découpée en ses parties constituantes, qu'il s'agisse de chapitres, de paragraphes ou de mots dans un roman, de mouvements, de mesures ou de notes dans une symphonie ou d'actes, de scènes ou de répliques dans une pièce. À un certain point de la fragmentation, cependant, l'élément cesse de devenir une oeuvre et constitue plutôt une partie d'une autre oeuvre. Sans cette distinction, l'expression «une partie importante de l'oeuvre» serait dénuée de sens puisque le demandeur pourrait toujours affirmer qu'une reproduction faite par le défendeur était la reproduction d'une oeuvre toute entière, selon la qualification qu'en a fait le titulaire du droit d'auteur. Ni la Loi ni la jurisprudence n'apportent beaucoup de lumière sur la façon de sortir de ce dilemme.
[65]Le Barreau soutient que, pour définir l'«oeuvre» en question, il faut d'abord tenir compte de la forme de sa publication effective, puisque celle-ci influe sur la perception qu'a une personne de l'ampleur de l'utilisation qu'elle peut faire légitimement de l'oeuvre. Toutefois, il existe de nombreux types d'oeuvres qui apparaissent rarement de façon indépendante. Par exemple, un court poème est rarement publié seul. On le trouvera plutôt généralement à l'intérieur d'une autre oeuvre, comme un magazine ou un journal, par exemple, ou dans une compilation de poèmes, ou il pourrait être radiodiffusé ou lu à haute voix à un auditoire. Ce poème n'est pas davantage, ni moins, une «oeuvre», selon la façon dont il est présenté. Le Barreau, de façon subsidiaire, pose la question de savoir si on a voulu que l'oeuvre existe en tant qu'oeuvre destinée à une publication indépendante. Or, un tel critère dépend beaucoup trop de la forme sous laquelle on a effectivement publié l'oeuvre en cause, ou sous laquelle on avait l'intention de la publier, et il est inapplicable dans un cas où une oeuvre pourrait apparaître seule et/ou avec d'autres oeuvres.
[66]Il faut plutôt établir si l'oeuvre en question peut exister en dehors du contexte dans lequel elle est publiée, communiquée, exposée, exécutée ou autrement diffusée. La production qui est distinctive et peut raisonnablement exister en tant que telle peut être considérée comme une oeuvre en soi plutôt qu'une partie d'une autre oeuvre. Mais la production qui dépend tellement des éléments qui l'entourent qu'elle perd tout son sens sans eux, ou dont l'utilité disparaît en grande partie lorsqu'elle est séparée du contexte dans lequel elle est diffusée ne sera en revanche qu'une simple partie d'une oeuvre.
a. Les décisions judiciaires publiées
[67]Les décisions judiciaires publiées Meyer v. Bright (1992); R. v. CIP Inc. (1992) et Hewes v. Etobicoke (1993), y compris les sommaires qui les accompagnent, peuvent certainement exister en dehors des volumes ou des collections de recueils dans lesquels elles figurent. Ces décisions judiciaires publiées ne dépendent manifestement pas des autres éléments contenus dans un volume ou un recueil de jurisprudence. J'ai tout lieu de croire que de multiples décisions judiciaires sont publiées dans des volumes ou des recueils principalement pour des raisons pratiques de commodité, d'accessibilité et de commercialité. Par conséquent, à l'image du poème dans une anthologie, le fait que ces décisions judiciaires sont normalement publiées avec d'autres décisions ne porte pas atteinte à la protection que leur confère la loi sur le droit d'auteur. En fait, le paragraphe 2.1(2) [édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 54] de la Loi dispose clairement que «[l]'incorporation d'une oeuvre dans une compilation ne modifie pas la protection conférée par la présente loi à l'oeuvre au titre du droit d'auteur».
[68]Ces décisions judiciaires publiées sont des oeuvres littéraires ou, peut-être plus précisément, des compilations, puisque ce sont des oeuvres «résultant du choix ou de l'arrangement de tout ou partie d'oeuvres [. . .] ou de données» (article 2 de la Loi). Les éditeurs ont compilé des oeuvres ou des parties d'oeuvres littéraires, des données concernant ces oeuvres et leurs propres caractéristiques créées de façon indépendante. Ainsi, la Cour doit déterminer si le choix ou l'arrangement des éléments de ces décisions judiciaires publiées permet de les distinguer de simples copies des oeuvres ou des parties d'oeuvres dont elles proviennent.
[69]Le Barreau soutient que les éditeurs n'ont pas prouvé l'originalité dans les textes révisés, les répertoires, les titres courants, les autres enrichissements et les listes de données supplémentaires. Ce point de vue est erroné. On ne peut pas isoler chaque élément de la compilation pour déterminer s'il est original car il faut prendre l'oeuvre dans son ensemble (voir Ladbroke, précité, aux pages 276 et 277; Slumber-Magic, précité, à la page 115; et Prism Hospital Software v. Hospital Medical Records Institute, [1994] 10 W.W.R. 305 (C.S.C.-B.)).
[70]Le juge de première instance a conclu (au paragraphe 139) que «manifestement [. . .] la prépara-tion de ces décisions judiciaires publiées [. . .] comporte énormément d'efforts, d'habileté et de jugement». À mon avis, l'habileté, le jugement et les efforts investis dans ces décisions judiciaires publiées démontrent qu'elles sont beaucoup plus que de simples copies et qu'elles sont donc des oeuvres originales sur lesquelles existe un droit d'auteur.
[71]L'originalité émane, en partie, du choix que les éditeurs ont fait parmi les éléments de chaque décision judiciaire publiée. Les éditeurs auraient pu choisir d'inclure n'importe laquelle parmi un ensemble de catégories de données concernant des motifs particuliers de jugement. Quoique certains choix des éditeurs puissent être aussi faits par d'autres éditeurs, ils ne sont pas tous dictés par la nécessité, et rien ne prouve que ces choix précis ont simplement été copiés d'autres sources. De plus, chaque éditeur pourrait arranger les éléments de diverses façons, selon son but, son style ou ses préférences propres. Ces décisions judiciaires publiées sont originales encore qu'un éditeur puisse avoir choisi les mêmes types d'éléments pour d'autres décisions judiciaires publiées et que chaque éditeur organise les éléments de ses compilations de manière uniforme. La Loi n'exige pas que l'oeuvre se présente sous une forme nouvelle.
[72]Chose encore plus importante, chaque éditeur a ajouté aux oeuvres des caractéristiques qui lui sont propres, composées de façon indépendante, comme les résumés des faits, les motifs et les conclusions et les mots clés. À mon avis, ces éléments dissipent tout doute sur la question: en ajoutant des caractéristiques composées de façon indépendante à la compilation, chaque éditeur a renforcé de façon importante sa revendication d'originalité sur l'ensemble de l'oeuvre. Même s'il peut exister un droit d'auteur sur une compilation originale d'éléments non originaux, il est généralement beaucoup plus facile de prouver l'originalité dans une compilation qui comprend une bonne part d'éléments composés de façon indépendante. Autrement dit, contrairement aux compilations de données habituelles, ces décisions judiciaires publiées portent bel et bien la marque du style ou du mode d'expression de leur auteur.
[73]En particulier, les résumés des faits, des motifs et des conclusions auraient pu être longs ou courts, techniques ou simples, ternes ou remarquables, bien écrits ou confus; leur arrangement et leur présentation auraient pu varier grandement. Je prends connaissance d'office du fait que, dans le passé, des sommaires au Canada ont été rédigés par certains des plus grands esprits juridiques de notre pays, comme le regretté juge en chef Bora Laskin, le doyen Cecil A. Wright et d'autres universitaires et praticiens respectés, dont les professeurs témoins experts Dunlop et Feldthusen. Il n'est pas certain que des érudits aussi éminents auraient consacré du temps et des efforts à de banales copies. Les caractéristiques composées de façon indépendante sont manifestement plus que de simples abrégés de motifs de jugement.
[74]Le juge de première instance a fait remarquer avec raison que la valeur de ces éléments réside dans leur fidélité aux motifs des jugements. Cependant, il n'est pas pertinent que les idées exprimées dans ces éléments des décisions judiciaires publiées ne sont peut-être pas originales, puisque la législation sur le droit d'auteur ne s'intéresse qu'à l'originalité de l'expression, et non à celle des idées. Dans University of London Press, le juge Peterson a écrit [à la page 608]:
[traduction] Dans ce contexte, le mot «originale» ne signifie pas que l'oeuvre doit être l'expression d'une pensée originale ou inventive. Les lois sur les droits d'auteur ne tiennent pas compte de l'originalité des idées, mais de l'expression de la pensée et, dans le cas d'une «oeuvre littéraire», de l'expression de la pensée sous forme écrite ou imprimée. L'originalité requise porte sur l'expression de la pensée.
[75]Naturellement, si un éditeur a choisi d'inclure, par exemple, un index de la jurisprudence citée dans les motifs, toutes les affaires citées figureront alors inévitablement dans la liste. Par conséquent, deux recueils produits indépendamment, et qui semblent similaires à certains égards, ont tous deux droit à la protection du droit d'auteur. À cet égard, l'appréhension qu'avait la Cour d'appel américaine du 2e Circuit, à savoir qu'accorder la protection du droit d'auteur à des choix communs permettrait au titulaire du droit d'auteur de monopoliser des expressions généralement employées, n'était pas fondée (voir Matthew Bender, précité). Les éditeurs ne monopolisent pas l'information au sens où ils peuvent empêcher les autres éditeurs de produire indépendamment des documents semblables; ils acquièrent simplement le droit d'empêcher les autres éditeurs de copier leurs oeuvres.
[76]En somme, je suis convaincu que le droit d'auteur existe sur chacune de ces décisions judiciaires publiées.
b. Les sommaires
[77]Les sommaires que les éditeurs ont soumis à la présente Cour peuvent, d'après moi, être indépendants des motifs de jugement qu'ils accompagnent. Ces sommaires sont utiles, avec ou sans les motifs de jugement. Bien que les motifs de jugement soient certainement nécessaires à la compréhension pleine et entière des décisions judiciaires et fournissent le contexte des sommaires, la valeur des sommaires ne dépend pas des motifs judiciaires. Essentiellement, le sommaire résume les motifs de jugement pour que le lecteur puisse décider s'il est effectivement nécessaire de les consulter. Tout comme il est non pertinent que les décisions judiciaires publiées figurent en général dans des volumes ou des recueils, il n'est pas important que les sommaires accompagnent habituellement les décisions judiciaires publiées. De fait, les résumés, les sommaires ou les abrégés sont à l'occasion publiés séparément des motifs judiciaires, par exemple dans des publications comme les All Canada Weekly Summaries, dont il sera question plus loin dans le contexte du résumé.
[78]Pour les motifs exprimés précédemment, je n'ai aucun doute que ces sommaires sont originaux et qu'ils remplissent les conditions nécessaires pour pouvoir bénéficier de la protection indépendante du droit d'auteur en vertu de la Loi. Je redirais même que, d'après moi, les sommaires sont essentiels pour établir l'originalité de la décision judiciaire publiée dans son ensemble. Bien que la question ne se pose pas en l'espèce, il est permis de se demander si, sans le sommaire, un éditeur pourrait faire revendiquer la protection du droit d'auteur dans les seuls motifs de jugement, qui semblent être simplement copiés et révisés.
c. Le résumé
[79]Le résumé de l'affaire Confederation Life v. Shepherd (1992) se trouve dans le volume 37 des recueils A.C.W.S. (3d). Comme les décisions judiciaires publiées, cependant, ce résumé est tout aussi significatif, avec ou sans le livre publié dans lequel il se trouve. Par conséquent, c'est une oeuvre plutôt que la partie d'une oeuvre. La seule question qui reste à régler est de savoir s'il est original.
[80]Bien que l'information contenue dans ce résumé soit nécessairement dérivée de l'affaire qu'il résume, cette information aurait pu être exprimée de plusieurs manières, à l'instar des caractéristiques indépendam-ment composées des décisions judiciaires publiées. Ce condensé de motifs judiciaires exige un degré important d'habileté et de jugement dans sa composition et de la discrétion dans sa présentation. Son style concis n'affecte pas son originalité. Il s'agit clairement davantage que d'une copie abrégée des motifs de jugement sur lesquels il est fondé. À mon avis, cette oeuvre particulière est, par conséquent, suffisamment originale pour être protégée en vertu de l'article 5 de la Loi.
d. L'index analytique
[81]L'index analytique est publié à titre d'annexe au livre Canada GST Cases, [1997] G.S.T.C., bien qu'il ait pu l'être indépendamment de ce livre. Les sommaires et les motifs contenus dans ce recueil sont certes nécessaires pour la pleine compréhension des affaires qui s'y trouvent, mais l'index analytique peut jouer un rôle utile hors de ce contexte. L'index analytique n'est pas destiné à éclairer complètement le lecteur sur les faits, les motifs et les conclusions d'une décision particulière. Il vise uniquement à lui permettre de décider s'il est nécessaire de consulter la décision judiciaire publiée complète, qui peut être publiée ailleurs que dans le volume [1997] G.S.T.C. Si le lecteur est intéressé, il consultera le texte complet; dans le cas contraire, l'index analytique aura atteint son objectif indépendamment du livre dans lequel il se trouve.
[82]J'ai aussi conclu au caractère original de l'index analytique. Ses auteurs ont fait preuve d'habilité et de jugement dans la sélection et l'agencement de ses éléments. Ils ont choisi des affaires qu'ils ont estimées contraignantes ou ayant valeur de précédent en ce qui concerne la TPS. Bien qu'il s'agisse d'un index alphabétique, on y trouve une quantité appréciable de renvois internes, et le choix de l'endroit où l'information devait figurer a nécessité d'importantes décisions. De plus, les auteurs ont ajouté à cette compilation des éléments indépendamment composés considérables en incorporant leurs propres résumés de causes pertinentes. Que ces résumés soient extrêmement brefs, d'ordinaire quelques mots seulement, ne réduit pas la prétention à l'originalité, mais la renforce plutôt. Ce n'est pas une mince tâche que de résumer une décision entière en une seule phrase, et les manières d'y parvenir sont infinies. Par la sélection des affaires à inclure, la composition indépendante de résumés de décision extrêmement brefs, l'agencement des sujets et l'établissement des renvois, les éditeurs ont démontré que l'index analytique est une oeuvre originale.
e. La monographie
[83]La monographie est une oeuvre indépendante du livre dans lequel elle apparaît. Bien que le livre puisse être considéré comme une compilation ou un recueil, au sens de la Loi, le droit du professeur Kogan à la protection de son droit d'auteur pour sa contribution à l'oeuvre plus large n'est pas de ce fait réduite. Comme au paragraphe 2.1(2) précité, la définition de «recueil» sous-entend que le droit d'auteur peut exister sur les «oeuvres d'auteurs différents» qui y sont incorporées. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la monographie est une oeuvre distincte. Une fois qu'on a conclu que la monographie est une oeuvre en soi, son originalité ne fait plus de doute. La conclusion du juge de première instance à cet égard était correcte.
f. La loi annotée et le manuel
[84]Comme je l'ai dit précédemment, le juge de première instance a déclaré que le droit d'auteur existe sur la loi annotée et sur le manuel. Le Barreau ne conteste pas ces conclusions, qui sont manifestement correctes.
B. Le Barreau a-t-il violé le droit d'auteur sur les oeuvres des éditeurs?
[85]Étant donné que le droit d'auteur existe sur chaque oeuvre des éditeurs, et que la propriété n'est pas contestée, la présente Cour doit décider si ces droits d'auteur ont été violés par le Barreau. Même si les éditeurs prouvent que le Barreau a accompli des actes que seuls les éditeurs ont la faculté d'accomplir, les exemptions de la Loi relatives à l'utilisation équitable ou d'autres moyens de défense peuvent s'appliquer. Cependant, avant de traiter des exemptions et des moyens de défense, je dois déterminer si le Barreau est, prima facie, responsable des violations. Autrement dit, je dois décider si le Barreau serait responsable de violation du droit d'auteur dans le cas où les exemptions relatives à l'utilisation équitable ne s'appliqueraient pas.
[86]Les allégations spécifiques de violation en l'espèce ont découlé des demandes de copies des ouvrages susmentionnés qui ont été faites au Barreau. Les demandes ont été faites par des avocats agissant au nom des éditeurs et, par conséquent, on peut plaider que les éditeurs ont implicitement autorisé la réalisation de ces copies. Aussi, il semblerait que lorsque les copies ont été demandées, le personnel de la Grande bibliothèque n'était pas au courant que les copies étaient destinées à être utilisées en preuve dans une action en violation contre le Barreau. Toutefois, dès le départ, cette affaire visait à contester la pratique habituelle de la Grande bibliothèque en ce qui concerne la reproduction de documents juridiques, et les arguments des avocats se concentrent sur les questions découlant de cette pratique. On n'a pas fait valoir qu'en répondant aux demandes concernant les documents en cause en l'espèce, la Grande bibliothèque a dérogé à ses activités habituelles. C'est pourquoi je vais examiner les allégations de violation des éditeurs dans le contexte des pratiques habituelles du Barreau.
[87]La Loi établit deux types de violation du droit d'auteur qui sont pertinents en ce qui concerne les pratiques habituelles du Barreau. Le paragraphe 27(1) [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 15] pose, en «règle générale», que la violation du droit d'auteur est un acte que seul le titulaire du droit d'auteur a la faculté d'accomplir:
27. (1) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d'un acte qu'en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d'accomplir.
[88]C'est ainsi que constitue une violation du droit d'auteur le fait de faire toute chose énumérée au paragraphe 3(1), lequel énonce ainsi les droits exclusifs pertinents des titulaires:
3. (1) Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, sous une forme matérielle quelconque [. . .] ce droit comporte, en outre, le droit exclusif:
[. . .]
f) de communiquer au public, par télécommunication, une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;
[. . .]
Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d'autoriser ces actes.
[89]Une «violation à une étape ultérieure» peut se produire si une personne, qui a ou n'a pas personnellement fait une des choses énumérées au paragraphe 3(1), utilise d'une certaine manière un exemplaire contrefait dont elle savait, ou aurait dû savoir, qu'il constituait une violation du droit d'auteur. Le paragraphe 27(2) [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 15] décrit ainsi la violation à une étape ultérieure:
27. (1) [. . .]
(2) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement de tout acte ci-après [. . .] alors que la personne qui accomplit l'acte sait ou devrait savoir que la production de l'exemplaire constitue une violation de ce droit [. . .]:
a) la vente ou la location;
b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;
[. . .]
d) la possession en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c)
.
[90]Ainsi, par exemple, la personne qui fait une reproduction d'une oeuvre sur laquelle le droit d'auteur existe sera responsable d'une violation du droit d'auteur suivant le paragraphe 27(1) pour avoir fait quelque chose que seul le titulaire a la faculté d'accomplir. Si cette personne, ou une autre, vend subséquemment cette reproduction, sachant que le droit d'auteur demeure sur l'oeuvre reproduite et que la reproduction constitue une violation du droit d'auteur, elle sera responsable suivant le paragraphe 27(2). Je vais traiter de chacun des types de violation.
1. Règle générale
[91]Le paragraphe 27(1), je le répète, pose en règle générale que la violation du droit d'auteur est un acte que seul le titulaire a la faculté d'accomplir. Les éditeurs allèguent que la pratique générale du Barreau, en ce qui concerne la photocopie de documents juridiques dans le cadre de son service de photocopie conformément à la «Politique d'accès à l'information juridique», constitue une reproduction de leurs oeuvres ou de parties importantes de celles-ci. De plus, les éditeurs allèguent que la transmission par télécopieur par le Barreau de leurs oeuvres constitue une communication au public par télécommunication. Les éditeurs ont soumis des exemples précis de reproductions et de télécopies par le Barreau pour illustrer sa pratique générale. Bien que je renvoie aux oeuvres des éditeurs à titre d'exemples, il me semble que les allégations de violation des éditeurs visent principalement les pratiques habituelles du Barreau.
a. Reproduction d'une oeuvre ou d'une partie importante de l'oeuvre
[92]Le paragraphe 3(1) accorde au titulaire du droit d'auteur le droit exclusif de «reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre». Il est indéniable qu'une photocopie constitue une reproduction. Photocopier une oeuvre toute entière, c'est «reproduire la totalité [. . .] de l'oeuvre», au sens du paragraphe 3(1). La personne qui reproduit une oeuvre entière aura donc violé prima facie un droit d'auteur. L'expression «une partie importante de l'oeuvre» n'est pertinente que si moins qu'une oeuvre entière a été produite ou reproduite.
[93]Compte tenu de mes précédentes conclusions concernant l'existence du droit d'auteur sur les décisions judiciaires publiées, les sommaires, le résumé, l'index analytique et la monographie, il n'y a pas devant la Cour d'exemples précis de reproductions qui soient moins que des oeuvres entières. Le fait que, par exemple, la monographie équivaut seulement à 4,5 % des pages du livre dans lequel elle se trouve n'est pas pertinent, ni le fait que la décision judiciaire publiée Meyer v. Bright soit l'une des 62 décisions publiées dans le volume 94 D.L.R. (4th).
[94]Fait à signaler, le Barreau publie l'avis suivant dans sa propre publication, les Ontario Reports:
[traduction] Des copies des décisions individuelles qui figurent dans ce recueil peuvent être faites à des fins de recherche, d'étude privée, de compte rendu, de critique, ou d'utilisation devant des tribunaux judiciaires ou administratifs et dans des procédures gouvernementales.
Le fait que le Barreau estime nécessaire de donner la permission de copier des décisions individuelles indique qu'il estime qu'une activité de cette sorte constituerait autrement une violation du droit d'auteur. Si la copie d'une décision individuelle était la reproduction de quelque chose qui n'était pas la totalité d'une oeuvre ou d'une partie importante d'une oeuvre, n'importe qui pourrait en faire des copies à quelque fin que ce soit, et aucune permission ne serait nécessaire. Par conséquent, l'argument du Barreau selon lequel la copie d'une décision judiciaire publiée n'est pas une partie importante d'une oeuvre contredit son propre avis dans les Ontario Reports.
[95]Quoique les reproductions précises en cause devant la Cour aient été faites à partir d'oeuvres entières, je soupçonne que si le Barreau avait reproduit seulement un sommaire et non pas toute une décision judiciaire publiée, une telle reproduction aurait constitué une partie importante d'une oeuvre. Une enquête sur l'importance n'est pas un simple exercice quantitatif (voir Édutile, précité, au paragraphe 22; Ladbroke, précité, aux pages 469 et 473; et Vaver, Copyright Law, précité, à la page 145). Il est sûr qu'une grande partie de l'habileté, du jugement et des efforts consacrés à la compilation des décisions judiciaires publiées va à la création des sommaires. C'est pourquoi, je soupçonne aussi que si le Barreau avait reproduit seulement les motifs de jugement révisés d'une décision judiciaire publiée, une telle reproduction ne serait peut-être pas une partie importante d'une oeuvre. Bien que les motifs de jugement soient certes importants et qu'ils constituent, en fait, la base de la décision judiciaire publiée, les éditeurs ont déployé relativement peu d'efforts pour distinguer cette partie de leur oeuvre d'une simple copie des motifs judiciaires sous-jacents. Qualitativement, les éditeurs consacrent une quantité insignifiante d'efforts aux motifs de jugement révisés, par rapport aux sommaires. Ainsi, le sommaire, qui peut être relativement bref par rapport à la décision intégrale, pourra constituer une partie importante, alors que les motifs de jugement révisés, qui peuvent être beaucoup plus longs, pourront ne former qu'une partie insignifiante.
[96]De la même façon, si je me trompe en disant que l'index analytique du volume [1997] G.S.T.C., par exemple, est une oeuvre indépendante, alors je dirais qu'il s'agit néanmoins d'une partie importante du recueil dans lequel il se trouve. Que l'index analytique soit protégé en tant qu'oeuvre, ou que partie importante d'une oeuvre plus vaste, le résultat est le même. Son auteur a consacré de l'habileté, du jugement et des efforts importants à sa composition, et cet effort doit être protégé par le droit d'auteur.
[97]De façon générale, toutefois, je me refuse à préciser quel pourcentage particulier d'une oeuvre distingue ce qui est important de ce qui est insignifiant, comme le Barreau a tenté de faire dans sa «Politique d'accès à l'information juridique». Dans certaines circonstances, un petit nombre de pages très importantes peut être important, alors que dans d'autres, un grand nombre de pages peu importantes peut être insignifiant. Une telle détermination ne peut être faite que dans le contexte d'une reproduction donnée.
b. Communication au public par télécommunication
[98]Le Barreau admet qu'il transmettra à des destinataires individuels, sur demande et conformément à sa «Politique d'accès à l'information juridique», des télécopies d'oeuvres contenues dans la Grande bibliothèque. Les éditeurs allèguent que le Barreau viole ainsi leur droit exclusif, aux termes de l'alinéa 3(1)f) de la Loi, de communiquer ces oeuvres au public par télécommunication. Le Barreau ne conteste pas que la définition de «télécommunication» à l'article 2 [édicté par L.C. 1998, ch. 65, art. 61] de la Loi inclut la transmission par télécopieur, et il ne nie pas non plus que cette transmission est une communication. Il fait toutefois valoir que la transmission d'une oeuvre à un destinataire n'est pas une communication «au public».
[99]Bien que la version actuelle de l'alinéa 3(1)f) ait été interprétée dans deux arrêts de la présente Cour, les motifs de ces décisions ne renferment qu'une brève analyse du droit de communication puisque la définition d'«oeuvre musicale» [mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 53] réglait les points en litige (voir Assoc. canadienne de télévision par câble c. Canada (Commission du droit d'auteur), [1993] 2 C.F. 138 (C.A.), conf. (1991), 34 C.P.R. (3d) 521 (C.F. 1re inst.) (ACTC), etRéseau de Télévision CTV Ltée c. Canada (Commission du droit d'auteur), [1993] 2 C.F. 115 (C.A.) (CTV 1993)). Les affaires ACTC et CTV 1993 portaient toutes deux essentiellement sur le droit d'exécuter une oeuvre en public, et l'on y dit seulement que l'expression «au public» a un sens plus large que «en public» (CTV 1993, page 131; ACTC, pages 148 et 149; voir aussi Telstra Corporation Ltd. v. Australasian Performing Right Association Ltd. (1997), 146 ALR 649 (Aust. H.C.)). Le juge de première instance a accepté cette proposition (paragraphes 165 à 167); toutefois, l'expression «en public» n'est pas en cause en l'espèce. Le fait qu'une communication faite «en public» est probablement aussi une communication faite «au public» ne permet pas de dire si le Barreau communique au public ou non.
[100]Le juge de première instance a estimé (paragraphe 167) qu'une seule télécommunication provenant d'un seul point et destinée à n'atteindre qu'un seul point ne constitue pas habituellement une communication au public. Je suis d'accord. À mon avis, le sens courant de l'expression «au public» indique que la communication doit viser ou cibler les «personnes en général» ou la «collectivité» (voir le New Oxford Dictionary of English, sous «public» (Oxford: Clarendon Press, 1998). Le paragraphe 1721(2) de l'ALÉNA, précité, qui ne lie pas la Cour mais est néanmoins utile puisque le terme «public» n'est pas défini autrement, précise que le public comprend «tout groupe de personnes à qui s'adressent des communications ou exécutions d'oeuvres et qui sont en mesure de les recevoir». Une communication qui ne vise qu'un segment du public peut cependant être aussi une communication au public. L'alinéa 2.4(1)a) [édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 2], qui a été ajouté à la Loi pour écarter la conclusion tirée dans l'affaire Canadian Admiral, précitée (voir Fox, précité, à la page 498), explique qu'une communication peut être faite au public si elle est «destinée» aux personnes qui «font partie du public», plus précisément les personnes qui occupent un appartement, une chambre d'hôtel, ou un logement dans un même immeuble. Ainsi, pour être faite «au public», une communication doit être destinée à un groupe de personnes, ce qui est plus qu'une personne mais pas nécessairement tout le public en général.
[101]Les éditeurs prétendent que le juge de première instance a commis une erreur en ne décidant pas qu'une série de transmissions à des destinataires uniques constitue une communication au public. Les éditeurs se trompent. En fait, le juge de première instance n'a pas décidé qu'une série de communications ne pourrait jamais violer le droit de communiquer au public. Les éditeurs n'ont toutefois pas présenté de preuve de transmissions de leurs oeuvres originales à plus d'un destinataire unique, de sorte que rien ne permettait au juge de première instance de prendre en considération les incidences éventuelles d'une telle communication. Je conviens qu'une série de transmissions séquentielles puisse violer le droit de communiquer au public. Mais on ne peut répondre qu'au cas par cas à la question de savoir si un groupe de destinataires est suffisamment grand pour constituer le «public», et la présente Cour ne dispose pas de suffisamment d'éléments de preuve pour trancher ce point.
[102]Les éditeurs prétendent aussi que le Barreau a violé leur droit de communiquer leurs oeuvres au public du seul fait qu'il a mis ces oeuvres à la disposition de ses clients par l'entremise de son service de photocopie. Cet argument n'est pas fondé. Le simple fait d'être prêt à accepter les demandes des clients de la Grande bibliothèque qui veulent obtenir des copies des oeuvres des éditeurs ne constitue pas une violation du droit des éditeurs de communiquer leurs oeuvres au public. Sans s'arrêter à la question de savoir si les clients de la Grande bibliothèque «font partie du public», disons que les oeuvres des éditeurs ne sont pas communiquées par le Barreau si ce dernier doit prendre des mesures pour faciliter la communication avant que toute personne puisse recevoir ces oeuvres et qu'il conserve en pratique la faculté d'examiner chaque demande individuellement et de l'accepter ou de la refuser.
c. Autorisation
[103]Le Barreau maintient des photocopieuses individuelles dans la Grande bibliothèque, auxquelles les clients ont libre accès pour faire des copies, moyennant des frais. En réponse à la prétention du Barreau selon laquelle le fait de permettre l'accès à des photocopieuses individuelles ne viole aucun des droits d'auteur des éditeurs, ces derniers plaident, au contraire, que le Barreau autorise implicitement les clients à «produire ou reproduire» leurs oeuvres. Autrement dit, les éditeurs allèguent que le Barreau autorise des reproductions de leurs oeuvres, non par le biais de son service de photocopie, mais en maintenant des photocopieuses individuelles. Bien qu'aucune reproduction précise faite à l'aide des photocopieuses individuelles n'ait été mise en preuve, il n'est pas contesté que les machines sont utilisées pour reproduire les oeuvres de la Grande bibliothèque, dont les oeuvres des éditeurs.
[104]Il est de jurisprudence constante que, pour autoriser un acte que seul le titulaire du droit d'auteur a la faculté d'accomplir, il faut faire plus que de seulement fournir des moyens pour exécuter l'acte protégé. Dans Vigneux et al. v. Canadian Performing Right Society Ltd., [1945] 2 D.L.R. 1 (C.P.), inf. [1943] R.C.S. 348 (Vigneux), le Conseil privé a décidé que le fournisseur d'un juke-box n'avait pas autorisé des exécutions publiques des oeuvres musicales, puisqu'il [traduction] «n'avai[en]t pas la haute main sur l'utilisation de la machine; il[s] n'avai[en]t pas voix au chapitre pour ce qui était de la question de savoir si, à un moment donné, cette machine devait être disponible pour les clients du restaurant» (à la page 11).
[105]La Cour suprême du Canada a traité du droit d'autoriser dans l'arrêt Muzak Corp. v. Composers, Authors, etc., [1953] 2 R.C.S. 182 (Muzak). La Cour a jugé que Muzak, société américaine qui louait simplement une bibliothèque d'enregistrements électriques contenant des oeuvres musicales à une franchise canadienne, n'avait pas autorisé d'exécution publique, quelle qu'elle soit. Selon le juge Rand, le simple fait de louer un appareil qui pouvait être utilisé pour exécuter des oeuvres musicales ne constituait pas une autorisation car rien ne [traduction] «laisse entendre que Muzak s'est constituée partie ayant un intérêt dans l'exécution, soit en garantissant le droit d'exécution sans payer de droits, soit en faisant quelque chose qui participe d'une association ou d'une relation commerciale similaire» (à la page 189). Le juge Rand a fait remarquer qu'une personne qui ne fait que louer un fusil à une autre ne peut pas être accusée d'avoir autorisé cette personne à chasser sans permis.
[106]Dans l'arrêt Muzak, le juge Kellock a fait une distinction d'avec l'arrêt britannique Falcon v. Famous Players Film Co., [1926] 2 K.B. 474 (C.A.), au motif que, dans Falcon, le défendeur a expressément cherché à accorder le droit de présenter un film alors que, dans Muzak, la preuve ne permettait pas d'affirmer que Muzak avait accordé une telle autorisation. Il a ainsi estimé (à la page 193) qu'[traduction] «à moins que ce qui est fait par un défendeur vise à sanctionner, appuyer ou soutenir l'exécution véritable, on ne peut dire qu'il a "autorisé" l'exécution».
[107]Dans l'arrêt De Tervagne c. Beloeil (Ville), [1993] 3 C.F. 227 (1re inst.), aux pages 235 à 248 (De Tervagne), la Section de première instance de la Cour s'est appuyée largement sur l'arrêt Muzak pour conclure (aux pages 243 et 244) que le simple fait d'être propriétaire ou d'avoir loué la salle où l'oeuvre a été présentée ne permet pas de conclure à une autorisation en vue de la représentation de la pièce. Ni le propriétaire de la salle où l'oeuvre a été présentée, ni la corporation sans but lucratif qui a loué la salle n'ont autorisé la présentation d'une certaine oeuvre parce qu'ils «n'exercaient aucun contrôle sur le producteur de la pièce» (à la page 248).
[108]De la même façon, la Chambre des lords a refusé de rendre un vendeur de magnétophones à deux cassettes responsable d'avoir autorisé des reproductions puisque le vendeur n'avait [traduction] «aucun contrôle sur l'usage des modèles une fois qu'ils sont vendus» (voir CBS Songs Ltd v Amstrad Consumer Electronics plc, [1988] 2 All ER 484 (H.L.), aux pages 492 à 494).
[109]Toutefois, la présente espèce peut être distinguée des affaires susmentionnées puisque dans celles-ci, les défendeurs n'ont fourni que les moyens nécessaires pour violer le droit d'auteur. Le Barreau fait beaucoup plus que de simplement fournir un dispositif pouvant être utilisé pour «produire ou reproduire» les oeuvres des éditeurs, contrairement, par exemple, aux fabricants, distributeurs ou détaillants de photocopieuses. Bien que le Barreau ne cherche pas expressément à accorder à ses clients le droit de faire des reproductions, aucune autre conclusion ne peut être raisonnablement tirée du fait qu'il fournit des photocopieuses individuelles et en assume la surveillance, les clients de la Grande bibliothèque ayant facilement accès à ces photocopieuses et cette bibliothèque étant remplie de documents comme les oeuvres des éditeurs. Il est donc clair que le Barreau sanctionne, appuie ou soutient implicitement ses clients quand ils produisent ou reproduisent les documents de la Grande bibliothèque. Pour utiliser une variante de l'analogie faite par le juge Rand dans l'arrêt Muzak, précité, c'est comme si le Barreau exploitait un parc de jeux et fournissait à chacun de ses invités une arme à feu chargée. Le Barreau s'apparente davantage au restaurateur de l'affaire Vigneux, dans le local duquel le juke-box se trouvait, qu'au distributeur. Suivant l'arrêt De Tervagne, la personne qui non seulement organise la présentation d'une oeuvre, mais aussi en fournit le texte, serait presque à coup sûr considérée comme ayant autorisé la présentation. De la même façon, je doute que la Chambre des lords exonérerait de toute responsabilité le vendeur de magnétophones à deux cassettes qui aurait facilité la reproduction de la musique fournie par lui dans ses locaux.
[110]Le seul effort qu'a fait le Barreau pour exercer son contrôle ou son influence sur l'usage des photocopieuses a été d'afficher un avis indiquant qu'il «n'assume aucune responsabilité en cas de violations susceptibles d'être commises par les utilisateurs des photocopieuses». Le Barreau n'a pris aucune autre mesure pour surveiller l'usage ou pour autrement dissuader ses clients de violer le droit d'auteur, ou pour veiller à l'utilisation légitime de ses photocopieuses. Cette position, qui consiste à «ne rien voir, ne rien entendre», ne lui permet pas d'établir qu'il n'autorise pas les clients à «produire ou reproduire» les oeuvres des éditeurs.
[111]Le Barreau plaide qu'il a le droit de présumer que les photocopieuses individuelles sont utilisées de façon légitime. Bien qu'il soit vrai qu'une personne puisse initialement présumer que l'acte protégé est exécuté conformément au droit, une telle hypothèse est déraisonnable lorsque la preuve indique le contraire. En l'espèce, la preuve montre clairement que le Barreau a une raison suffisante de soupçonner que ce ne sont pas tous les clients qui utilisent les photocopieuses individuelles à des fins légitimes. Quoique les éditeurs n'aient pas fait référence à des cas précis d'usage illégitime, le Barreau prévoit à vrai dire qu'une telle activité aura lieu. En fait, il reconnaît expressément dans son avis que «certaines reproductions peuvent constituer une violation du droit d'auteur». Ce ne sont pas les mêmes faits que dans l'affaire Muzak où, tous les autres clients ayant obtenu leurs propres licences, il était raisonnable de présumer que le franchisé canadien ferait de même. De façon similaire, dans l'affaire De Tervagne, aucune preuve n'indiquait que la salle devait servir à des fins illégitimes.
[112]Les clients de la Grande bibliothèque peuvent en effet utiliser les photocopieuses individuelles à des fins légitimes, par exemple pour faire des copies de documents non protégés par le droit d'auteur ou pour reproduire des documents protégés par le droit d'auteur comme le permettent les exemptions relatives à l'utilisation équitable prévues dans la Loi. Si aucun droit d'auteur n'existe sur le document reproduit, alors aucun droit exclusif d'autorisation n'existe, et le fait d'autoriser la reproduction de ce document ne constitue donc pas une violation du droit d'auteur. Si, toutefois, un droit d'auteur existe sur la copie, l'autorisation constitue alors un droit distinct accordé par le titulaire du droit d'auteur, et le Barreau peut être tenu responsable de la violation de ce droit, que le client ait ou non violé le droit distinct de reproduire l'oeuvre copiée. Fait important, l'article 30.3 [édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 18] de la Loi, dont il sera question plus loin, établit un mécanisme par lequel le Barreau peut, s'il satisfait à certains critères, éviter d'engager sa responsabilité du fait qu'il offre des photocopieuses individuelles.
[113]En somme, il est clair que les clients de la Grande bibliothèque vont «produire ou reproduire» les oeuvres des éditeurs. Le Barreau «autorise ces actes» implicitement en fournissant des photocopieuses facilement utilisables et une vaste collection des oeuvres des éditeurs dans un milieu qu'il contrôle. Au lieu de s'efforcer d'exercer un tel contrôle pour empêcher la violation du droit d'auteur, le Barreau s'est contenté d'afficher un avis indiquant qu'il n'est pas responsable et, de ce fait, il sanctionne, appuie ou soutient implicitement les reproductions. En l'espèce, il y a manifestement des éléments de preuve suffisants pour alerter le Barreau, lequel reconnaît, de fait, que les photocopieuses peuvent être utilisées de façon illégale. En conséquence, le Barreau viole le droit des éditeurs d'autoriser les reproductions de leurs oeuvres.
[114]Je suis rassuré de voir que la Haute Cour d'Australie est arrivée à la même conclusion dans l'affaire Moorhouse v. University of New South Wales, [1976] R.P.C. 151, où une bibliothèque universitaire permettait à ses clients d'avoir accès à des photocopieuses individuelles. La Cour a fait valoir que l'université savait ou avait des raisons de soupçonner que les photocopieuses étaient très probablement utilisées à des fins de contrefaçon. On s'attend à ce que [traduction] «les tribunaux du Royaume-Uni arrivent à une conclusion semblable» en ce qui concerne les photocopieuses libre-service (voir Sir Hugh Laddie et al., The Modern Law of Copyright and Designs, 3e éd. (Londres: Butterworths, 2000), à la page 1592).
2. Violation à une étape ultérieure
[115]Comme il a été mentionné, aux termes du paragraphe 27(2) de la Loi, constitue une violation du droit d'auteur le fait pour une personne d'utiliser d'une certaine façon des copies contrefaites quand elle sait, ou est censée savoir, que la reproduction de la copie constitue une violation du droit d'auteur. Le juge de première instance a estimé que le Barreau n'a pas vendu, mais a mis en circulation des copies des oeuvres des éditeurs. Premièrement, le Barreau prétend que le juge de première instance a erré en ne tenant pas compte de l'exigence de connaissance prévue au paragraphe 27(2). Plus particulièrement, le Barreau plaide qu'il ne peut être tenu responsable d'une violation à une étape ultérieure parce qu'il croyait raisonnablement que les copies faites par son service de photocopie ne violeraient pas le droit d'auteur. Cet argument soulève deux considérations.
[116]En premier lieu, comme nous le verrons plus loin, la Loi déclare que l'utilisation équitable des oeuvres des éditeurs ne constitue pas une violation du droit d'auteur (voir article 29 [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 18]). Ainsi, si les dispositions relatives à l'utilisation équitable s'appliquent et que des copies faites par le service de photocopie du Barreau ne violent donc pas le droit d'auteur des éditeurs, il ne peut pas y avoir alors de violation à une étape ultérieure. Autrement dit, le Barreau ne peut pas être tenu responsable d'avoir vendu, mis en circulation ou possédé des copies contrefaites des oeuvres des éditeurs si les reproductions elles-mêmes ne violent pas le droit d'auteur.
[117]En second lieu, même si les exemptions relatives à l'utilisation équitable ne s'appliquent pas, le Barreau soutient qu'une croyance raisonnable que les exemptions s'appliquaient effectivement est suffisante pour lui éviter d'être accusé d'une violation à une étape ultérieure. Autrement dit, le Barreau prétend qu'il ne savait pas et n'aurait pas dû savoir que les copies étaient contrefaites, puisqu'il croyait raisonnablement que les dispositions relatives à l'utilisation équitable s'appliquaient. En conséquence, il s'agit de savoir si une croyance raisonnable mais erronée que les copies ne violent pas le droit d'auteur est suffisante pour écarter toute responsabilité pour violation à une étape ultérieure.
[118]Comme nous le verrons plus loin, il n'existe pas suffisamment de preuve devant cette Cour pour me permettre de décider de manière définitive si les exemptions relatives à l'utilisation équitable s'appliquent ou non à toute allégation particulière de violation en l'espèce. Il m'est aussi impossible de déclarer universellement que toutes les copies fournies par le service de photocopie du Barreau violent ou qu'elles ne violent pas le droit d'auteur à cause des exemptions relatives à l'utilisation équitable. Sans la capacité de décider si les copies particulières produites par le Barreau violent ou non effectivement les droits d'auteur des éditeurs sur des oeuvres précises, il m'est impossible de déterminer la responsabilité du Barreau pour violation à une étape ultérieure.
[119]Le juge Rothstein admet aussi qu'aucune violation primaire et, conséquemment aucune violation à une étape ultérieure, ne peuvent se produire si l'exemption relative à l'utilisation équitable s'applique. Toutefois, il poursuit en analysant la violation à une étape ultérieure, bien qu'à son avis il soit impossible de dire si l'exemption relative à l'utilisation équitable s'applique ou non. À mon sens, une telle analyse n'est pas nécessaire et la présente Cour ne devrait donc pas traiter de ces questions complexes de violation à une étape ultérieure, telles que la question de savoir si une croyance raisonnable mais erronée que s'applique l'exemption relative à l'utilisation équitable est suffisante ou non pour éviter la responsabilité pour violation à une étape ultérieure, ou s'il y a eu ou non vente des oeuvres des éditeurs. Je préférerais ne pas me prononcer sur la question de savoir si le juge de première instance a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l'exigence de connaissance, ou dans ses conclusions concernant la vente, la mise en circulation et la possession par le Barreau des oeuvres des éditeurs. Contrairement au pourvoi incident du Barreau concernant le caractère équitable de sa «Politique d'accès à l'information juridique», ces questions n'ont pas une importance cruciale pour le règlement de l'affaire en l'espèce.
[120]Toutefois, comme le juge Rothstein a choisi d'entreprendre l'analyse de certaines de ces questions, il me faut dire que je ne suis pas d'accord avec son analyse de la question de la vente, ni avec celle du juge de première instance. À mon avis, la présence d'un profit n'est pas un élément nécessaire à une vente, et le juge de première instance a commis une erreur en concluant autrement. Néanmoins, je ne suis pas convaincu que le Barreau «vende» des copies des oeuvres des éditeurs. Bien que je convienne avec le juge Rothstein que ce n'est pas un service de recherche, j'estime qu'il s'agit d'un service de photocopie qui, en général, permet aux clients d'éviter l'inconvénient de se rendre physiquement à la Grande bibliothèque pour obtenir personnellement des documents juridiques.
[121]De plus, bien que je ne sois ni d'accord, ni en désaccord avec la longue analyse du juge Rothstein sur l'exigence de connaissance, je fais remarquer que, d'après la Loi, contrairement à la «règle générale» de la violation énoncée au paragraphe 27(1), la violation à une étape ultérieure prévue au paragraphe 27(2) n'est pas une disposition de responsabilité stricte. Puisqu'une faute est nécessaire, il faudrait généralement, pour conclure à une violation, non seulement que la croyance soit sincère, mais aussi qu'elle soit raisonnable. Pour moi, cela atténuerait toute inquiétude de voir un contrefacteur secondaire échapper à la responsabilité du fait qu'il invoque simplement sa propre croyance subjective.
C. Des exemptions ou des moyens de défense sont-ils applicables au Barreau?
[122]Ayant posé que le service de photocopie du Barreau viole prima facie le droit exclusif des éditeurs de reproduire leurs oeuvres, je dois déterminer s'il y a des exemptions ou moyens de défense quelconques qui s'appliquent au Barreau. Le premier argument du Barreau est qu'il n'est pas responsable d'une violation du droit d'auteur de par les dispositions de la Loi relatives à l'utilisation équitable. À titre subsidiaire, le Barreau plaide qu'il ne devrait pas être responsable à cause de différents moyens de défense fondés sur l'ordre public, l'equity et la constitution. Je vais me pencher sur chacun de ces arguments.
1. Utilisation équitable
[123]L'analyse de l'utilisation équitable en l'espèce est compliquée par le fait qu'à son insu à l'époque, le Barreau utilisait les oeuvres des éditeurs, pour le compte des avocats de ceux-ci, à des fins de recherche dans le cadre du litige des éditeurs contre le Barreau. Ainsi, pourrait-on soutenir, les reproductions des 11 oeuvres spécifiques des éditeurs par le Barreau étaient implicitement autorisées et donc produites de façon équitable. Cependant, il n'y a guère eu d'éléments de preuve ou de débats écrits ou oraux concernant ce problème ou l'équité d'utilisations particulières. À l'instar des allégations de violation, les arguments visaient plutôt généralement l'incidence des activités du Barreau en vertu de sa «Politique d'accès à l'information juridique», et non pas des actes ou des événements précis. Puisqu'une appréciation véritable de l'utilisation équitable ne peut se faire que dans un contexte factuel précis, je ne peux pas me prononcer définitivement sur l'équité de l'utilisation qu'a faite le Barreau en l'espèce des 11 oeuvres spécifiques des éditeurs. Toutefois, comme c'est là une question centrale dans le pourvoi incident du Barreau et que celui-ci s'est beaucoup fondé sur ce moyen de défense et sur sa «Politique d'accès à l'information juridique», la Cour se doit de prendre en considération l'exemption relative à l'utilisation équitable et les principes applicables pour aider à résoudre le litige entre les parties.
[124]L'article 29 de la Loi (renuméroté mais autrement inchangé, L.C. 1997, ch. 24, paragraphe 18(1)) est l'une des dispositions qui accorde des droits d'utilisation:
29. L'utilisation équitable d'une oeuvre ou de tout autre objet du droit d'auteur aux fins d'étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d'auteur.
[125]Des exemptions supplémentaires aux fins de critique, de compte rendu et de communication des nouvelles sont prévues aux articles 29.1 [édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 18] et 29.2 [édicté, idem]. Cependant, je ne traiterai pas de ces dispositions en détail puisque le Barreau a peu insisté sur leur application aux activités normales de son service de photocopie.
[126]Le premier argument des éditeurs est que les exemptions de la Loi, telles les dispositions relatives à l'utilisation équitable, doivent être interprétées de façon stricte. Il est vrai que la Cour suprême du Canada a indiqué que les tribunaux ne doivent pas voir des exceptions implicites là où le législateur a déjà inclus dans la loi des exceptions expresses (voir Bishop c. Stevens, précité, aux pages 480 et 481). Cela ne veut cependant pas dire que l'on doive interpréter strictement les exemptions que le législateur a établies. Le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu'il a posé que les exceptions à la violation du droit d'auteur doivent être «interprétée[s] restrictivement» (paragraphe 175). Aucune règle de droit ou de politique générale ne justifie une telle approche. Une interprétation par trop restrictive des exemptions figurant dans la Loi serait incompatible avec l'objet de la législation sur le droit d'auteur qui est d'harmoniser les droits des titulaires avec les intérêt publics légitimes (voir Vaver, Copyright Law, prédicté, aux pages 170 et 171). Les tribunaux doivent plutôt appliquer les règles modernes habituelles d'interprétation en fonction de l'objet en contexte (voir R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1994) à la page 131). Comme le professeur Vaver l'a fait remarquer, [traduction] «les droits d'utilisation ne sont pas des échappatoires. Tant les droits du titulaire que les droits d'utilisation devraient donc faire l'objet d'un examen équitable et équilibré» (voir Copyright Law, précité, à la page 171). En termes simples, tout acte qui s'inscrit dans le cadre des exemptions relatives à l'utilisation équitable ne constitue pas une violation du droit d'auteur.
a. Fins admissibles
[127]La première tâche est de définir le domaine de chaque fin admissible prévue à l'article 29 pour déterminer si les activités du Barreau peuvent entrer dans ce domaine. Élément important, les catégories de fins admissibles établies dans notre Loi soient fermées, contrairement à la doctrine américaine de l'utilisation équitable (voir 17 U.S.C. § 107 (1994)). Si la fin visée ne figure pas parmi celles qui sont expressément mentionnées dans la Loi, la présente Cour n'est pas habilitée à appliquer les exemptions relatives à l'utilisation équitable. Si la fin de l'utilisation est admissible, la Cour peut alors se livrer à une enquête séparée mais connexe sur l'équité de cette utilisation.
[128]En ce qui concerne les fins énoncées à l'article 29, la «recherche» n'est pas qualifiée alors que l'«étude» doit être «privée». La décision du législateur de qualifier expressément l'«étude» et non pas la «recherche» indique une intention de permettre toute recherche équitable, que ce soit dans un cadre privé ou non (voir Vaver, Copyright Law, précité, aux pages 195 et 196; Television New Zealand Ltd. v. Newsmonitor Services Ltd., [1994] 2 NZLR 91 (H.C.)). Par conséquent, je ne suis pas d'accord avec la prétention des éditeurs selon laquelle la recherche ne peut jamais avoir lieu lorsqu'une oeuvre est utilisée dans un contexte non privé. De même, je ne suis d'accord avec eux pour dire que la recherche commerciale ne peut constituer une fin admissible. La «recherche» n'étant pas qualifiée dans la Loi, la recherche à des fins commerciales, dont la recherche juridique effectuée dans un but lucratif par des entités comme des cabinets d'avocats, n'est pas automatiquement exclue de cette exemption. La recherche visant à conseiller des clients, donner des avis, plaider des causes et préparer des mémoires et des factums reste de la recherche. Bien sûr, si une copie est produite à des fins non privés ou de recherche commerciale, ce fait peut avoir une incidence sur l'équité de l'utilisation.
[129]À l'article 29, le mot «étude» est suivi de l'adjectif «privée». Par conséquent, l'étude non privée n'est pas une fin admissible (voir Vaver, Copyright Law, précité, aux pages 195 et 196). Les tribunaux britanniques ont jugé que l'utilisation dans un établissement d'enseignement ne visait pas des fins d'étude privée (voir University of London Press, précité). Ainsi, si par exemple un professeur de droit demande une copie d'une oeuvre pour la distribuer à ses élèves, sa demande ne viserait pas des fins d'étude privée. Si, en revanche, un stagiaire demande une copie d'une oeuvre pour son propre apprentissage, cette demande pourrait être à des fins d'étude privée.
[130]Les éditeurs soutiennent qu'une personne ne peut faire une utilisation équitable d'une oeuvre que pour ses propres fins (voir Vaver, Copyright Law, précité, à la page 193). Le Barreau soutient que les dispositions législatives traitent de l'objet général de l'utilisation, peu importe son auteur. Le juge de première instance a conclu que le service de photocopie du Barreau n'était pas destiné à une fin qui s'inscrit dans le champ de l'utilisation équitable, même si l'usage ultime des oeuvres aurait pu s'inscrire dans ce champ (paragraphe 175). Il a défini de façon étroite la fin poursuivie par le Barreau comme étant de faciliter la recherche plutôt que comme de la recherche en soi. Puisqu'il n'y a guère de jurisprudence canadienne qui traite directement de cette question, j'examinerai l'approche retenue dans les ressorts étrangers.
[131]Dans l'affaire britannique Sillitoe and Others v. McGraw-Hill Book Co. (U.K.) Ltd., [1983] F.S.R. 545 (Ch. D.), l'importateur et le distributeur d'outils pédagogiques n'ont pu se soustraire à leur responsabilité en arguant comme moyen de défense que les oeuvres contrefaites étaient ultimement destinées à favoriser l'étude privée ou la recherche des étudiants. De la même façon, la Cour, dans l'affaire University of London Press, précitée, a estimé que l'étude privée n'incluait pas les fins pédagogiques et n'a donc pas permis aux professeurs de se prévaloir d'une exemption fondée sur les fins visées par leurs étudiants. Dans la décision De Garis v. Neville Jeffress Pidler Pty. Ltd. (1990), 37 F.C.R. 99, la Division générale de la Cour fédérale de l'Australie a étendu le principe énoncé dans l'affaire Sillitoe à une situation où une entreprise commerciale surveillait activement les sujets dans les nouvelles et fournissait à ses clients des photocopies d'articles pertinents. Un tribunal de Nouvelle-Zélande, dans l'affaire Longman Group Ltd. v. Carrington Technical Institute Board of Governors, [1991] 2 NZLR 574 (H.C.), a aussi déclaré en obiter dictum que, s'il avait dû trancher la question, il se serait fondé sur des décisions britanniques antérieures et il a convenu que l'utilisation pour la recherche ou l'étude privée devait être le fait de l'auteur de la compilation.
[132]Le Barreau a raison de dire que ces causes peuvent toutes faire l'objet de distinctions au regard des faits. Le Barreau n'a d'autre fin quand il copie les oeuvres des éditeurs que de répondre aux fins que poursuivent les demandeurs de copies. Il n'exécute pas cette tâche à son propre avantage pécuniaire mais comme un service pour les chercheurs et les étudiants. Son seul but et sa seule intention est d'aider les utilisateurs de la Grande bibliothèque dans leur recherche ou étude privée, et il peut dès lors être considéré comme ayant fait sien cet objectif. Dans les affaires susmentionnées, les entités avaient des motifs secrets et essayaient simplement de reprendre à leur compte les fins visées par les clients ou les étudiants dans l'espoir d'échapper à toute responsabilité. De plus, l'activité qui autrement violerait le droit d'auteur est prise en charge par le Barreau uniquement en réponse à la demande d'un client. N'était la demande de l'utilisateur final, le Barreau n'effectuerait aucune de ces activités de contrefaçon alléguées. Dans les causes étrangères susmentionnées, l'activité qui autrement violerait le droit d'auteur était le fait du contrefacteur allégué et non de l'utilisateur final.
[133]Selon Barry Torno, dans Fair Dealing: The Need for Conceptual Clarity on the Road to Copyright Revision, Ottawa: Consommation et Affaires commerciales Canada, 1981, à la page 45, il convient de prendre en considération:
[traduction] la partie qui commence la reproduction à des fins d'étude privée ou de recherche et non pas l'agent qui exécute l'acte de reproduction [. . .] Si l'utilisation est «équitable», il n'est pas déraisonnable de supposer que le moyen par lequel l'unique copie requise est produite à des fins particulières et la personne concernée puissent ne pas être pertinents.
[134]Par conséquent, en dépit du fait que le Barreau n'a pas personnellement entrepris la recherche ou l'étude privée, je suis convaincu qu'il partage les fins des clients individuels de la Grande bibliothèque. Toutefois, cette conclusion seule n'équivaut pas à une exemption de violation en ce qu'elle ne fait que franchir le seuil de l'utilisation équitable. La présente Cour doit encore établir si les utilisations étaient équitables.
b. Les exemptions relatives aux bibliothèques
[135]Avant d'apprécier le caractère équitable des utilisations liées au service de photocopie du Barreau, je signale que les modifications récentes de la Loi ne vont pas à l'encontre de ma conclusion selon laquelle, quand on examine l'exemption relative à l'utilisation équitable dans le contexte des copies produites par une bibliothèque, un musée ou un service d'archives, la fin pertinente est celle que poursuit le client. Le législateur a expressément édicté des exemptions pour les bibliothèques, musées et services d'archives afin de donner à ces entités une [traduction] «latitude pour fournir leur service vital qui consiste à rendre le savoir et les données facilement accessibles aux Canadiens» (voir Vaver, Copyright Law, à la page 201; L.C. 1997, ch. 24, art. 18). La disposition la plus pertinente eu égard aux circonstances de l'espèce est le paragraphe 30.2(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 18] de la Loi:
30.2 (1) Ne constituent pas des violations du droit d'auteur les actes accomplis par une bibliothèque, un musée ou un service d'archives ou une personne agissant sous l'autorité de ceux-ci pour une personne qui peut elle-même les accomplir dans le cadre des articles 29 et 29.1.
[136]Les exceptions relatives aux bibliothèques étant entrées en vigueur après les premières audiences en l'espèce, le juge de première instance n'a pas examiné leur application en détail. Toutefois, les parties cherchent maintenant à se faire aider pour l'avenir, et non pas à obtenir des réparations pour leurs comportements antérieurs. Je vais donc examiner la loi dans son libellé actuel et ainsi commencer par établir si la Grande bibliothèque du Barreau peut entrer dans la catégorie «bibliothèque, musée, ou service d'archives».
[137]L'article 2 donne la définition suivante de «bibliothèque, musée ou service d'archives» [édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 1]:
2. [. . .]
«bibliothèque, musée ou service d'archives» S'entend:
a) d'un établissement doté ou non de la personnalité morale qui:
(i) d'une part, n'est pas constitué ou administré pour réaliser des profits, ni ne fait partie d'un organisme constitué ou administré pour réaliser des profits, ni n'est administré ou contrôlé directement ou indirectement par un tel organisme,
(ii) d'autre part, rassemble et gère des collections de documents ou d'objets qui sont accessibles au public ou aux chercheurs;
b) de tout autre établissement à but non lucratif visé par règlement.
[138]Cette définition établit deux critères. Premièrement, l'entité ne peut pas être «constitué[e] ou administré[e] pour réaliser des profits», ou faire «partie» ou être «administré[e] ou contrôlé[e] directement ou indirectement par un tel organisme». Deuxièmement, sa collection d'objets doit être accessible «au public ou aux chercheurs».
[139]En ce qui concerne la première de ces conditions, la Grande bibliothèque du Barreau n'est pas une entité «constitué[e] ou administré[e] pour réaliser des profits», tout comme elle ne fait pas «partie» d'un organisme constitué ou administré pour réaliser des profits. Les parties ont convenu (au paragraphe 14 de leur exposé conjoint des faits, reproduit dans les motifs du juge de première instance) que le Barreau est une «société sans but lucratif, constituée en vertu d'une loi».
[140]J'ai aussi conclu que la Grande bibliothèque du Barreau n'est pas administrée ou contrôlée directement ou indirectement par un organisme constitué ou administré pour réaliser des profits. Le Barreau est administré et contrôlé par les conseillers du Barreau. Les conseillers du Barreau sont des représentants élus, des conseillers profanes nommés par le lieutenant gouverneur en conseil, le procureur général du Canada, le procureur général de l'Ontario, le solliciteur général du Canada, d'anciens ministres ayant occupé ces postes et quelques représentants d'office, comme les anciens trésoriers et les conseillers à vie. Le fait que des membres du Barreau, dont bon nombre mais non pas tous pratiquent le droit pour réaliser des profits, élisent quelques-uns des conseillers ne suffit pas à conclure à un contrôle direct ou indirect du Barreau ou, plus particulièrement, du comité de surveillance de la Grande bibliothèque, par un organisme constitué ou administré pour réaliser des profits.
[141]Puisque le service de photocopie de la Grande bibliothèque n'est pas exploité dans un but lucratif, le Barreau satisfait également à la condition énoncée à l'article 29.3 [édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 18], savoir:
29.3 (1) Les actes visés aux articles 29.4, 29.5, 30.2 et 30.21 ne doivent pas être accomplis dans l'intention de faire un gain.
(2) Les établissements d'enseignement, bibliothèques, musées ou services d'archives, de même que les personnes agissant sous leur autorité sont toutefois réputés ne pas avoir l'intention de faire un gain lorsque, dans l'accomplissement des actes visés aux articles 29.4, 29.5, 30.2 et 30.21, ils ne font que recouvrer les coûts y afférents, frais généraux compris.
Selon le paragraphe 29.3(2), le Barreau n'exploite pas la Grande bibliothèque dans l'intention de faire un gain puisque les frais exigés pour le service de photocopie ne visent qu'à récupérer les coûts afférents. Les éditeurs n'ont pas soumis de preuve qui indique que le Barreau récupère plus que ses coûts.
[142]En ce qui concerne le deuxième volet de la définition de «bibliothèque, musée ou service d'archives», les éditeurs soutiennent que la collection d'objets du Barreau n'est pas accessible au public ou aux chercheurs puisqu'aucune invitation ouverte n'est faite au public. Cependant, je suis convaincu qu'il appert de la preuve que la Grande bibliothèque est en fait ouverte au public ou aux chercheurs. La «Politique d'accès à l'information juridique» du Barreau énonce que la Grande bibliothèque est ouverte aux «membres du Barreau et de la magistrature» et aux «stagiaires en droit et autres personnes autorisées qui font de la recherche». De plus, rien n'empêche d'autres membres du public d'utiliser la Grande bibliothèque si certaines dispositions sont prises. Ainsi, la Grande bibliothèque du Barreau entre dans la définition de «bibliothèque, musée ou service d'archives».
[143]Par conséquent, si un client de la Grande bibliothèque peut faire pour lui-même une copie des oeuvres des éditeurs à titre d'utilisation équitable pour une fin admissible, le Barreau ne viole pas le droit d'auteur s'il fait la copie pour le compte de la personne qui présente la demande. Que le Barreau poursuive les mêmes fins que ses clients, ou qu'il invoque l'exemption prévue au paragraphe 30.2(1), le résultat est le même. Dans son exploitation de la Grande bibliothèque, le Barreau ne viole pas le droit d'auteur des éditeurs en accomplissant au nom d'une personne tout acte que celle-ci peut accomplir personnellement en vertu des exemptions relatives à l'utilisation équitable. Essentiellement, le Barreau peut invoquer par substitution une exemption relative à l'utilisation équitable individuelle et prendre la place de son client.
c. Équité
[144]L'équité dépend nécessairement du contexte et des faits de chaque espèce, et c'est pourquoi le mot «équitable» n'est pas défini dans la Loi. Dans l'arrêt Hubbard v. Vosper, [1972] 2 Q.B. 84 (C.A.), à la page 94, lord Denning a reconnu qu'[traduction] «il est impossible de définir ce qu'est une "utilisation équitable". Cela doit être une question de degré [. . .] cela doit être une question d'impression». Dans Compagnie Générale des Établissements Michelin-- Michelin & Cie c. Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), [1997] 2 C.F. 306 (1re inst.) (Michelin), à la page 357, la Section de première instance de notre Cour a reconnu que l'utilisation globale du droit d'auteur doit être équitable et que la bonne foi doit prévaloir. À l'instar de lord Denning, la Cour a admis que c'était «une question d'impression» (à la page 357). La Cour de l'Ontario (Division générale) dans Allen v. Toronto Star Newspapers Ltd. (1997), 36 O.R. (3d) 201, à la page 209, a considéré que le critère était essentiellement celui de l'objet visé.
[145]Malgré ces remarques, l'appréciation de l'équité n'est pas un simple exercice subjectif, et il existe un certain nombre de facteurs identifiables susceptibles d'influencer cette appréciation. Ces facteurs n'ont pas été recensés par un tribunal canadien, et ils ne sont pas énumérés dans la Loi. Comme notre Loi n'énonce aucun facteur précis dont il faille tenir compte, il incombe à la présente Cour de le faire de son mieux.
[146]Dans l'arrêt Hubbard v. Vosper, précité, lord Denning a présenté (à la page 94) certains des facteurs qui peuvent être pertinents pour apprécier l'équité de l'utilisation à des fins de critique et de compte rendu. Il a analysé le nombre et l'importance des citations, le but de l'utilisation, la question de savoir si l'utilisation visait un but concurrent, ainsi que la proportion des extraits comparativement aux commentaires indépendants. Quelques-uns de ces facteurs ont été par la suite acceptés et expliqués par la Cour d'appel d'Angleterre dans des affaires comme Pro Sieben Media AG v. Carlton UK Television Ltd., [1999] 1 W.L.R. 605 (C.A.) (Pro Sieben) et Hyde Park Residence Ltd. v. Yelland, [2000] 3 W.L.R. 215 (C.A.). Ces considérations, qui sont liées à l'utilisation équitable dans le contexte de critique, de compte rendu ou de communication de nouvelles, ne s'appliquent pas exactement dans chaque situation, mais elles peuvent néanmoins éclairer la présente Cour dans son analyse des facteurs pertinents eu égard à l'utilisation équitable en droit canadien.
[147]Selon l'article 107 du 17 U.S.C, où sont énoncées les grandes lignes de la doctrine en matière d'utilisation équitable aux États-Unis, les tribunaux américains sont tenus de prendre en considération une liste non exhaustive de facteurs, dont le but et le caractère de l'utilisation, la nature de l'oeuvre protégée par le droit d'auteur, la quantité et l'importance de la partie utilisée par rapport à la totalité de l'oeuvre protégée et l'effet de l'utilisation sur la valeur de l'oeuvre protégée ou son marché potentiel.
[148]Je suis conscient des différences entre la législation américaine et notre propre Loi. Généralement, le droit américain est plus favorable aux utilisateurs du droits d'auteur que ne l'est le droit canadien. En particulier, l'article 107 du 17 U.S.C ne limite pas les types de fins qui peuvent constituer une utilisation équitable, contrairement à notre Loi, laquelle précise les fins admissibles (voir les arrêts Hager, précité, au paragraphe 47, et Michelin, précité, à la page 351; et voir Vaver, Copyright Law, précité, à la page 190). Toutefois, ce fait à lui seul ne «rend pas la jurisprudence américaine non pertinente», comme le juge Estey l'a déclaré, et ne signifie pas que nous ne pouvons pas prendre ces facteurs en considération dans l'analyse de l'utilisation équitable (voir Compo, précité, à la page 367). Élément important, la distinction entre le droit canadien et le droit américain concernant les fins admissibles a une incidence limitée sur l'analyse des facteurs qui permettent de déterminer si une utilisation est équitable.
[149]Je suis encore conforté par le fait que le professeur Vaver a dégagé (dans Copyright Law, précité, à la page 191) plusieurs facteurs semblables en laissant entendre que ceux-ci peuvent être applicables au droit canadien:
[traduction] Plusieurs facteurs ont servi à établir si une utilisation est équitable: le but et le caractère de l'utilisation; la nature de l'oeuvre source; la nature de ce qui a été utilisé et la quantité; l'effet de l'utilisation sur le marché potentiel pour l'oeuvre source ou la valeur de celle-ci; la question de savoir si l'oeuvre source était accessible dans un délai raisonnable à un prix commercial ordinaire; et toutes directives raisonnables acceptées par le propriétaire conjoint et les intérêts de l'utilisateur.
[150]À la lumière de ces observations combinées aux facteurs américains et britanniques, j'ai constitué une liste de facteurs propres à influer sur le caractère équitable des utilisations que fait le Barreau des oeuvres des éditeurs pour le compte des clients de la Grande bibliothèque. Soulignons que les éléments qui constituent l'équité sont malléables et doivent s'adapter à chaque circonstance particulière. Aucun des facteurs n'est déterminant ou contraignant, et d'autres considérations peuvent fort bien s'appliquer uniquement dans le contexte canadien. Toutefois, les facteurs suivants figurent habituellement dans la liste non exhaustive des considérations: 1) le but de l'utilisation; 2) la nature de l'utilisation; 3) l'ampleur de l'utilisation; 4) les solutions de rechange à l'utilisation; 5) la nature de l'oeuvre en question; et 6) l'effet de l'utilisation sur cette oeuvre.
i. Le but de l'utilisation
[151]Le premier facteur à prendre en considération en ce qui concerne l'équité est le but de l'utilisation. Il se peut que cette considération soit moins importante au Canada qu'aux États-Unis puisque l'utilisation équitable, contrairement au «fair use», ne se rattache qu'à un ensemble fermé de fins. En droit canadien, le but doit correspondre à une fin admissible, que la Loi mentionne expressément. Les fins admissibles peuvent toutefois revêtir divers degrés d'équité. Par exemple, la recherche philanthropique a probablement plus de chances d'être équitable que la recherche commerciale. De la même manière, il pourrait être inéquitable de constituer une bibliothèque de copies des oeuvres des éditeurs sur un sujet juridique général, bien qu'on puisse soutenir qu'une telle utilisation est à des fins de recherche. Par ailleurs, on pourrait considérer comme une utilisation équitable la reproduction d'une oeuvre en vue d'une recherche limitée sur un sujet juridique spécifique.
ii. Le caractère de l'utilisation
[152]Le caractère de l'utilisation, c'est-à-dire la ou les façons dont l'oeuvre censément contrefaite est utilisée, peut aussi être pertinent pour les exemptions relatives à l'utilisation équitable. Le fait que la reproduction d'une seule copie pour une seule personne qui en fait la demande, au lieu d'une publication générale ou d'une télécommunication à grande échelle par exemple, soit la plus importante activité généralement exécutée pour le compte des clients de la Grande bibliothèque, incite à conclure à l'équité. Autrement dit, on considérera vraisemblablement que l'utilisation des oeuvres est équitable lorsque cette utilisation est privée que lorsqu'elle est publique.
iii. L'ampleur de l'utilisation
[153]La référence américaine à [traduction] «l'ampleur et l'importance de la portion utilisée par rapport à l'oeuvre protégée dans son ensemble», et le [traduction] «nombre et l'importance des citations et des extraits» mentionnés par lord Denning dans l'arrêt Hubbard v. Vosper [à la page 94], s'appliquent peut-être davantage dans le cas de critiques et de comptes rendus, puisque ces fins donnent à entendre que les oeuvres existantes seront en quelque sorte incorporées dans de nouvelles oeuvres. Malgré tout, ce facteur peut aussi être applicable à l'égard des autres fins admissibles.
[154]Bien entendu, il ne serait pas nécessaire d'analyser l'utilisation équitable si les portions tirées d'une oeuvre n'étaient pas suffisantes en quantité et en qualité pour être considérées comme importantes, parce qu'une telle utilisation ne constitue pas une violation en droit canadien, indépendamment de l'article 29. Par exemple, si un client demande une partie d'une décision judiciaire publiée qui comporte des motifs de jugement révisés, cela peut ne pas constituer une partie importante de l'oeuvre. Si un client demande uniquement le sommaire d'une décision judiciaire publiée, cela constituerait probablement une partie importante de l'oeuvre. On peut toutefois utiliser équitablement une partie importante d'une oeuvre, voire une oeuvre toute entière, sans violer le droit d'auteur (voir Vaver, Copyright Law, aux pages 191 et 192).
[155]Il importe de tenir compte du nombre et des types des demandes faites par un client spécifique. Il serait plus inéquitable pour un membre du Barreau ou pour un cabinet d'avocats de faire fréquemment des demandes de copies d'un grand nombre d'oeuvres que de faire seulement des demandes isolées pour obtenir une copie d'une oeuvre. D'après moi, il serait particulièrement inéquitable pour un client de demander des copies de multiples décisions judiciaires publiées d'une même série ou d'un même volume, sur une courte période; on s'attendrait à ce qu'un tel client achète plutôt ces oeuvres chez les éditeurs.
iv. Les solutions de rechange à l'utilisation
[156]Un autre facteur important à ce stade de notre enquête serait l'éventuelle existence de solutions de rechange à une utilisation faite censément en violation du droit d'auteur. Les éditeurs soutiennent qu'il serait équitable que les clients de la Grande bibliothèque atteignent leurs fins en achetant les oeuvres qu'ils désirent copier. À titre subsidiaire, les éditeurs plaident que le Barreau devrait obtenir un permis pour exploiter le service de photocopie. En réponse, le Barreau plaide que la disponibilité d'un permis ne devrait pas être pertinente eu égard à l'utilisation équitable, puisque les activités qui constituent l'utilisation équitable n'entrent pas dans le champ des droits du titulaire de droit d'auteur. Selon le Barreau, s'il y a utilisation équitable, il n'y a pas violation et aucun permis n'est requis. Une offre de permis présuppose un monopole qui peut faire l'objet d'une licence.
[157]Tel peut être le cas pour le service de photocopie du Barreau en général, mais le but de l'examen est de permettre l'analyse de l'équité des utilisations particulières par les clients individuels de la Grande bibliothèque. Le fait que des solutions de rechange existent et qu'elles permettent aux clients d'obtenir autrement l'information contenue dans les oeuvres des éditeurs, ne peut être ignoré dans une analyse concernant l'équité. De façon générale, il est pertinent de se demander si le document est raisonnablement disponible ailleurs, ou si les éditeurs exercent effectivement un monopole. Plus il y a de solutions de rechange pour obtenir les documents, moins il sera équitable de reproduire le document protégé. Ainsi, il serait plus équitable de reproduire une décision étrangère peu connue, qui ne peut être obtenue raisonnablement ailleurs, que de copier une décision canadienne qui est publiée dans plusieurs ouvrages différents ou que l'on peut facilement se procurer auprès d'un tribunal.
[158]Une question connexe consiste à savoir si l'utilisation était raisonnablement nécessaire pour atteindre le but ultime. Par exemple, il serait déraisonnable de s'attendre à ce que tous les clients fassent leur étude ou recherche privée dans les locaux de la Grande bibliothèque chaque fois qu'ils désirent avoir accès aux oeuvres des éditeurs. Ce serait une lourde charge, surtout pour les chercheurs de l'extérieur de Toronto, de qui proviennent environ 20 % des demandes. De la même manière, les chercheurs ne sont pas autorisés à sortir les documents de la collection de la Grande bibliothèque, du fait de la demande d'autres avocats. C'est pourquoi la nécessité d'utiliser les oeuvres des éditeurs en obtenant une copie de celles-ci de la Grande bibliothèque incite à conclure à l'équité, bien qu'une telle utilisation puisse être moins équitable lorsqu'il est raisonnable pour une personne d'effectuer sa recherche sans reproduire l'oeuvre des éditeurs.
v. La nature de l'oeuvre
[159]Il est généralement dans l'intérêt du public que l'accès aux décisions judiciaires et autres ressources juridiques ne soit pas limité sans justification. Le Barreau fournit un service de valeur en facilitant l'accès aux publications juridiques importantes. Le système judiciaire requiert que les avocats, les étudiants, les professeurs et les juges puissent utiliser ces outils de recherche nécessaires. Cependant, le fait que l'accès aux publications juridiques soit dans l'intérêt du public n'implique pas que la photocopie de ces publications constitue toujours une utilisation équitable. Au contraire, ces oeuvres juridiques doivent être protégées pour garantir que leurs auteurs ne sont pas privés de stimulants financiers pour continuer à produire des oeuvres juridiques originales. Bien entendu, c'est là que l'interprétation de l'exemption relative à l'utilisation équitable pose un défi. La question de savoir si l'accès facile pour le public l'emporte sur le besoin de stimulants pour garantir que de telles oeuvres continuent à être produites ne peut cependant être analysée que dans le contexte de faits plus précis.
vi. L'effet de l'utilisation sur l'oeuvre
[160]Les éditeurs soutiennent que l'effet économique de l'utilisation par le Barreau sur la valeur de leurs oeuvres constitue une considération très importante. La Cour suprême des États-Unis a insisté sur ce facteur (voir Campbell v. Acuff-Rose Music, 114 S. Ct. 1164 (1994)). Je suis aussi d'avis que ce facteur est important et mes homologues britanniques me confortent dans cette opinion. Le lord juge Walker de la Cour d'appel de la Chambre des lords a dit, dans Pro Sieben, précité, à la page 613, que la [traduction] «mesure dans laquelle l'usage contesté est en concurrence avec l'exploitation du droit d'auteur par le titulaire est une considération importante, mais ce n'est pas la seule considération». Par exemple, il serait inéquitable pour un client de demander une copie des oeuvres des éditeurs pour les incorporer dans sa propre oeuvre concurrente. Ainsi, l'équité d'une utilisation particulière peut dépendre de la mesure dans laquelle le marché de l'oeuvre reproduite a diminué. Cette analyse dépend toutefois largement d'une conclusion de fait que je ne peux faire en l'espèce.
d. La «Politique d'accès à l'information juridique»
[161]Le Barreau sollicite une déclaration universelle portant que le fait de répondre aux demandes de copies uniques de jugements publiés, de lois ou de règlements, ou de parties limitées de texte provenant de traités, condensés ou autres recensions juridiques, aux fins de la recherche et conformément à sa «Politique d'accès à l'information juridique», constitue une utilisation équitable. Toutefois, la présente Cour ne saurait légitimer toute son opération de photocopie par une déclaration générale. Non seulement il est impossible de généraliser en ce qui concerne les utilisations faites par le Barreau à cause de la variété des fins que poursuivent les clients de la Grande bibliothèque, mais, de la même façon, on ne pourrait catégoriquement affirmer que toutes les utilisations des clients sont équitables. La détermination du caractère équitable d'une utilisation donnée est extrêmement complexe et doit toujours être uniquement liée aux faits. Tout comme l'existence du droit d'auteur et les allégations de violation doivent être prouvées par les titulaires du droit d'auteur, le Barreau doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il s'appuie par substitution sur l'exemption relative à l'utilisation équitable du client chaque fois qu'une violation est alléguée.
[162]Le Barreau tente de remplir un mandat honorable qui consiste à permettre à la collectivité d'avoir accès à sa collection extraordinaire de ressources juridiques. La Grande bibliothèque joue de fait un rôle important en diffusant la connaissance et la sagesse que renferment ses archives. Bien qu'il ne l'ait pas toujours fait depuis l'implantation du service de photocopie en 1954, le Barreau s'est efforcé depuis 1996, par le biais de sa «Politique d'accès à l'information juridique», de veiller à ce que ses clients poursuivent des fins de recherche ou d'étude privée, ou autres fins admissibles. Il n'y a pas de doute que le Barreau agit généralement de bonne foi et décourage les abus de ses services.
[163]Cependant, même si les buts du Barreau sont altruistes, cela ne veut pas dire que ceux des clients du service de photocopie le soient toujours. De 1988 à 1997, le nombre de demandes par année est passé de 3 146 à 4 477, et chaque année le Barreau a photocopié en moyenne 100 000 pages de documents. À supposer qu'une partie non négligeable du copiage fait par le Barreau puisse constituer prima facie une violation, le volume d'une telle reproduction m'empêche de faire la déclaration que sollicite le Barreau. Du fait de l'ampleur et de la portée potentielles des utilisations faites par les clients de la Grande bibliothèque, je ne peux pas faire une évaluation universelle des prétentions du Barreau à l'utilisation équitable.
[164]Bien que le Barreau puisse reprendre à son compte les fins des clients de la Grande bibliothèque, ces fins peuvent être différentes dans chaque cas particulier. Dans un très grand nombre de cas, le client demandera une oeuvre véritablement pour la recherche ou pour l'étude privée. Dans d'autres, toutefois, le client pourrait faire une fausse déclaration quant au but de sa demande et indiquer faussement que c'est pour une fin admissible. Cette imprévisibilité est aggravée par l'incapacité du Barreau de vérifier efficacement l'honnêteté des requérants ou l'exactitude des renseignements qu'ils fournissent. Malgré ses efforts pour se conformer à la loi sur le droit d'auteur par ses avertissements et son respect de la «Politique d'accès à l'information juridique», et bien que la plupart des demandes soient véritablement faites à des fins admissibles, le Barreau ne peut pas garantir la légitimité des motifs et des utilisations de ses clients dans chaque cas, tout comme il ne peut garantir que son service ne fait pas l'objet d'abus.
[165]Qui plus est, même si le Barreau pouvait en quelque sorte garantir que les personnes qui demandent des documents sont honnêtes quand elles dévoilent le véritable objet d'une requête, il ne peut pas vérifier le caractère équitable de l'utilisation qu'en font ses clients. Une grande proportion des demandes peuvent très bien émaner de clients qui sont loin de faire une utilisation équitable, mais le contraire peut aussi arriver. Il m'est impossible de conclure que chaque utilisation faite par les clients de la Grande bibliothèque est toujours équitable, étant indéniablement entendu que toute activité qui constitue par ailleurs une violation devra être analysée à la lumière de ses propres circonstances.
[166]Par conséquent, il ne suffit pas au Barreau d'invoquer de bonne foi sa politique pour être absout de toute responsabilité potentielle. Les éditeurs doivent reconnaître que si le Barreau adhère strictement à sa politique et vérifie les demandes, on n'accédera vraisemblablement que rarement à une demande douteuse. Toutefois, bien que la politique soit utile pour écarter les demandes éventuelles qui n'auraient pas une fin admissible, ou qui ne seraient pas de nature équitable, elle ne fait que limiter le risque de responsabilité potentielle du Barreau mais ne le dégage aucunement de toute responsabilité. La Politique ne permet pas d'établir catégoriquement le caractère équitable de l'utilisation à l'égard de toutes les demandes individuelles.
[167]Les éditeurs semblent dire que l'un des facteurs rendant inéquitable le service de photocopie du Barreau tient au nombre de photocopies qui sont faites. Toutefois, pour éviter toute responsabilité, le Barreau ne s'appuie pas sur sa propre exemption relative à l'utilisation équitable mais sur l'exemption de ses clients. De façon remarquable, le Barreau peut invoquer les exemptions relatives à l'utilisation équitable de ses différents clients, un nombre infini de fois, vu qu'il serait contraire à l'objet des exemptions visant les bibliothèques de limiter le nombre de fois qu'une bibliothèque, un service d'archives ou un musée peuvent copier une oeuvre pour le compte de différentes personnes. En fait, les exemptions relatives aux bibliothèques visent à permettre à ces institutions de diffuser les oeuvres à un très grand nombre de personnes différentes, à condition que chaque utilisation soit équitable.
e. L'exemption relative aux photocopieuses individuel-les
[168]Comme nous l'avons vu, les éditeurs se sont opposés au fait que le Barreau ait des photocopieuses individuelles dans la Grande bibliothèque. Cette activité constitue prima facie une violation du droit des éditeurs d'autoriser la production ou la reproduction de leurs oeuvres, conformément au paragraphe 3(1) de la Loi. Toutefois, la Loi autorise certains établissements à maintenir des photocopieuses individuelles et énonce les critères selon lesquels ces institutions peuvent échapper à toute responsabilité pour avoir autorisé des reproductions. L'article 30.3 dispose:
30.3 (1) Un établissement d'enseignement, une bibliothèque, un musée ou un service d'archives ne viole pas le droit d'auteur dans le cas où:
a) une oeuvre imprimée est reproduite au moyen d'une machine à reprographier;
b) la machine a été installée dans leurs locaux par eux ou avec leur autorisation à l'usage des enseignants ou élèves ou du personnel des établissements d'enseignement ou des usagers des bibliothèques, musées ou services d'archives;
c) l'avertissement réglementaire a été affiché selon les modalités réglementaires.
(2) Le paragraphe (1) ne s'applique que si, selon le cas, en ce qui touche la reprographie:
a) ils ont conclu une entente avec une société de gestion habilitée par le titulaire du droit d'auteur à octroyer des licences;
b) la Commission a fixé, conformément à l'article 70.2, les redevances et les modalités afférentes à une licence;
c) il existe déjà un tarif pertinent homologué en vertu de l'article 70.15;
d) une société de gestion a déposé, conformément à l'article 70.13, un projet de tarif.
[169]Il n'y a aucune preuve que le Barreau ait conclu une entente avec une société de gestion collective, ou que l'une des exigences énumérées au paragraphe 30.3(2) ait été respectée. Par conséquent, le Barreau ne peut pas s'appuyer sur cette exemption pour éviter d'engager sa responsabilité en cas de violation du droit d'autorisation des éditeurs.
2. Moyen de défense fondés sur la constitution, l'ordre public et l'equity
[170]Le Barreau a soulevé plusieurs questions qui n'ont pas été abordées expressément ailleurs dans les présents motifs. Tout d'abord, le mémoire du Barreau encourageait vivement la Cour à prendre en compte les valeurs constitutionnelles et les valeurs consacrées par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], tels le principe de la primauté du droit, l'égalité et l'accès à la justice, pour défendre son service de photocopie. Comme l'a dit le juge de première instance (au paragraphe 168), je n'estime pas non plus que:
[. . .] l'intérêt public dans la bonne administration de la justice, le maintien de la primauté du droit et la promotion des valeurs constitutionnelles fondamentales garanties par un accès à la loi relativement égal et libre serait gravement compromis par la reconnaissance et le respect de tout droit d'auteur dont les demanderesses sont susceptibles de jouir sur les oeuvres en litige.
En particulier, l'une des façons dont le Barreau pourrait remplir son mandat de permettre l'accès à la justice serait de photocopier seulement les motifs de jugement, ce qui, suivant mon analyse, pourrait ne constituer qu'une partie négligeable de certaines décisions judiciaires publiées.
[171]De plus, de façon générale, j'ai implicitement considéré les valeurs invoquées par le Barreau dans la pondération des droits des éditeurs et de l'intérêt public. À mon sens, il nous faut reconnaître aussi équitablement les droits des éditeurs pour les inciter à toujours fournir des publications juridiques originales pour l'avancement des valeurs que décrit le Barreau. Un examen explicite plus approfondi de ces questions n'est pas justifié ici, les conclusions constitutionnelles ne devant pas être faites sans référence à un cadre factuel, surtout lorsque les valeurs sont affirmées au nom de tiers hypothétiques (voir Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358, à la page 397; Hy and Zel's Inc. c. Ontario (Procureur général); Paul Magder Furs Ltd. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675, à la page 707; MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux pages 361, 362 et 366; et Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679).
[172]Le Barreau prétend aussi qu'il détenait une licence implicite pour faire des copies au fil des années et que les éditeurs sont irrecevables à alléguer aujourd'hui la violation du fait qu'ils ont pendant très longtemps acquiescé au service de photocopie. À l'instar du juge de première instance, j'estime que ni l'equity, ni une autre règle n'empêche les éditeurs de révoquer une licence implicite, si tant est qu'il y en ait eu une. Ils ont le droit de faire valoir leurs droits légitimes. La lettre de mise en demeure, datée du 29 mars 1993, signale certainement leur intention d'agir exactement dans ce sens.
[173]Je rejetterais aussi les arguments du Barreau selon lesquels l'action des éditeurs devrait échouer du fait du retard, du retard indû ou de l'acquiescement. Rien ne prouve que le Barreau ait été lésé, de quelque manière que ce soit, du fait que les éditeurs l'ont autorisé à exploiter son service de photocopie sans faire d'objection officielle par le passé.
[174]Enfin, le Barreau a soutenu qu'il a le droit exclusif de publier les décisions judiciaires de tribunaux ontariens en vertu de la délégation de la prérogative royale. Selon lui, les éditeurs ne peuvent pas alléguer la violation de toute oeuvre qui inclut ces décisions. Les motifs judiciaires sont considérés comme étant dans le domaine public (voir Décret sur la reproduction de la législation fédérale, Décret en conseil, C.P. 1995-1996, TR/97-5). En droit anglo-canadien, l'oeuvre d'un auteur peut être revêtue du droit d'auteur même si elle comprend des éléments qui sont dans le domaine public ou qui sont fondés sur des oeuvres existantes pouvant être protégées par un droit d'auteur (Édutile, précité, au paragraphe 22; et Redwood Music Ltd. v. Chappell & Co. Ltd., [1982] R.P.C. 109 (Q.B.) (concernant un droit d'auteur dans un nouvel arrangement d'une oeuvre musicale existante)). Bien entendu, le droit d'auteur sur l'oeuvre sous-jacente n'est pas mis en cause, et un compilateur pourrait par conséquent être responsable d'une violation (voir la Loi, paragraphe 2.1(2); et Fox, précité, aux pages 123 et 124). Toutefois, le Barreau n'a pas établi, selon la prépondérance de la preuve, l'existence ou la propriété du droit d'auteur sur ces décisions sous-jacentes, ou le droit d'exclure autrui de la publication de ces décisions judiciaires publiées. En fait, il me semble contradictoire que le Barreau soutienne que le droit d'auteur ne peut pas exister sur les versions des éditeurs de ces décisions, mais qu'il peut empêcher d'autres personnes de produire ou de reproduire les mêmes documents.
D. Réparation
[175]Pour tous les motifs qui précèdent, le présent appel devrait être accueilli en partie. Les éditeurs n'ont pas réclamé de dommages-intérêts mais demandent un certain nombre de déclarations et une injonction permanente.
[176]La présente affaire ne se prête pas au prononcé d'une injonction permanente. Il est impossible de dire si oui ou non chacune des oeuvres de l'éditeur dans la Grande bibliothèque est une oeuvre littéraire, musicale, artistique ou dramatique originale susceptible d'être protégée par le droit d'auteur en vertu de la Loi. De plus, il est impossible de refuser de façon générale l'application des exemptions relatives à l'utilisation équitable au Barreau. À cause de la diversité des fins et du degré variable d'équité dans les utilisations que fait le Barreau au nom des clients de la Grande bibliothèque, je ne peux pas déterminer de façon universelle si les exemptions relatives à l'utilisation équitable s'appliqueront au Barreau dans l'avenir. Les éditeurs n'ont pas non plus droit à toutes les déclarations qu'ils réclament. La plupart d'entre elles sont déraisonnablement larges et ne sont pas étayées par la preuve. Toutefois, les éditeurs ont droit à une déclaration portant qu'un droit d'auteur existe sur leurs oeuvres en cause devant la présente Cour et que le Barreau a violé le droit d'auteur sur les oeuvres qui ont été reproduites.
[177]L'appel incident du Barreau doit être rejeté. Le Barreau n'a pas droit à une déclaration portant qu'il n'a pas violé le droit d'auteur des éditeurs sur les oeuvres en cause en l'espèce. Il n'est pas possible de conclure, d'après la preuve, que les pratiques actuelles du Barreau ne violent pas ou ne violeront pas le droit d'auteur dans l'avenir. L'existence de la «Politique d'accès à l'information juridique» du Barreau, et le respect de cette politique par le Barreau, ne permettent pas d'établir catégoriquement une exemption de toute violation prima facie du droit d'auteur des éditeurs résultant du service de photocopie de la Grande bibliothèque. De la même manière, le défaut du Barreau de respecter les conditions de l'exemption de responsabilité prévues dans la Loi du fait du maintien de photocopieuses individuelles m'empêche de faire la déclaration que demande le Barreau à cet égard.
[178]Je reconnais qu'il peut être difficile pour les éditeurs d'établir que tous leurs documents sont des oeuvres originales. Il peut être difficile de prouver une violation prima facie chaque fois qu'une oeuvre est reproduite par le Barreau. De la même manière, pour que le Barreau puisse prouver la fin légitime et l'utilisation équitable pour chaque demande, il lui faudrait déployer des efforts et engager des coûts considérables. Qu'il y ait utilisation équitable dans la vaste majorité des cas ne permet pas d'établir que l'utilisation de chacun des clients est équitable. Il est à souhaiter que, par le biais des présents motifs, j'aie pu éclairer suffisamment les parties pour leur permettre de négocier un juste compromis.
[179]L'appel sera par conséquent accueilli en partie, et l'appel incident rejeté. La question des dépens et celle de la forme de l'ordonnance doivent être traitées par écrit par les parties. Si les parties s'entendent, elles doivent soumettre une ordonnance à la forme de laquelle elles auront consenti, dans les 30 jours suivant la date des présents motifs. En cas de désaccord, les éditeurs doivent signifier et déposer des observations sur la forme de l'ordonnance et les dépens dans les 40 jours suivant la date des présents motifs. Le Barreau doit signifier et déposer ses observations sur la forme de l'ordonnance et les dépens dans les 10 jours suivant la signification des documents des éditeurs. Les observations ne doivent pas excéder 10 pages, à double interligne, avec un maximum de 30 lignes par page. La publication du jugement sera reportée jusqu'à ce qu'une formule d'ordonnance convenue ou des observations soient reçues et examinées.
Le juge Sharlow, J.C.A.: Je souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Rothstein, J.C.A.:
INTRODUCTION
[180]J'ai eu l'occasion de lire les motifs de mon collègue le juge Linden, J.C.A. Je suis d'accord avec ses conclusions. Toutefois, mon approche analytique sur les questions d'originalité et de violation diffère. En conséquence, j'ai préparé ces motifs concordants.
[181]CCH Canadienne Limitée (faisant affaire sous la raison sociale de Carswell publications spécialisées Thomson) et Canada Law Book Inc. (les éditeurs) publient des ouvrages juridiques. Le Barreau du Haut-Canada (le Barreau) exploite la Grande bibliothèque à Osgoode Hall, à Toronto, laquelle possède l'une des plus grandes collections d'ouvrages juridiques du Canada.
[182]Au fil des années, le Barreau a copié et expédié, sur demande, des documents juridiques de la collection de la Grande bibliothèque, service pour lequel il exigeait des frais par page visant à couvrir les coûts. Les éditeurs ne s'étaient pas antérieurement opposés aux activités de copie du Barreau mais, en 1993, après envoi d'une mise en demeure, ils ont intenté la présente action. Ils soutiennent qu'un droit d'auteur existe sur leurs ouvrages et que les activités du Barreau violent ce droit. Le Barreau nie toute responsabilité.
[183]Les éditeurs ont soumis à l'instruction 11 exemplaires de leurs documents juridiques, à l'égard desquels ils ont soutenu que le Barreau avait commis une violation du droit d'auteur. Les 11 exemples sont les suivants:
1. Trois décisions judiciaires publiées:
a. Meyer v. Bright (1992), publiée dans 94 D.L.R. (4th) 648, par Canada Law Book,
b. R. v. CIP Inc. (1992), publiée dans 71 C.C.C. (3d) 129, par Canada Law Book,
c. Hewes v. Etobicoke (1993), publiée dans CLLC ¶ 14,042, par CCH Canadienne Ltée.
2. Les trois sommaires des décisions Meyer v. Bright, R. v. CIP et Hewes v. Etobicoke, qui, bien qu'inclus dans les décisions judiciaires publiées sont, d'après les allégations, des ouvrages indépendants faisant l'objet d'un droit d'auteur.
3. Un résumé de Confederation Life v. Shepherd (1992), publié dans 37 A.C.W.S. (3d) 141 par Canada Law Book (le résumé).
4. Un index analytique aux pages B1 - B13 du volume [1997] G.S.T.C., publié par Carswell publications spécialisées Thomson (l'index analytique).
5. Une loi annotée, E. L. Greenspan & M. Rosenberg, Martin's Ontario Criminal Practice 1999 (Aurora: Canada Law Book, 1998) (la loi annotée).
6. Un manuel, B. Feldthusen, Economic Negligence: The Recovery of Pure Economic Loss, 2e éd. (Toronto: Carswell, 1989) (le manuel).
7. Une monographie de S. L. Kogon, «Dental Evidence» (la monographie), telle qu'elle figure au chapitre 13 de l'ouvrage de G. M. Chayko, E. D. Gulliver & D. V. Macdougall, Forensic Evidence in Canada (Aurora: Canada Law Book, 1991).
QUESTIONS ET ANALYSE
[184]La question essentielle consiste à se demander s'il existe un droit d'auteur sur les exemplaires des oeuvres des éditeurs.
[185]Si un droit d'auteur existe, la deuxième question consiste à se demander s'il y a eu une violation prima facie du droit d'auteur des éditeurs par le Barreau.
[186]S'il y a eu une violation prima facie, la troisième question consiste à se demander si l'exemption relative à l'utilisation équitable en vertu de la Loi sur le droit d'auteur a pour effet d'exempter le Barreau de toute responsabilité.
[187]La quatrième question consiste à se demander quelle est la forme de réparation qui serait appropriée, le cas échéant.
LE DROIT D'AUTEUR EXISTE-T-IL SUR LES OUVRAGES JURIDIQUES DES ÉDITEURS?
L'exigence voulant que l'oeuvre soit originale
[188]Le droit d'auteur est un droit purement légilsatif, qui crée des droits et obligations aux conditions et dans les circonstances énoncées dans la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, modifiée (la Loi). (Voir Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, à la page 477, par le juge McLachlin (tel était alors son titre) citant Compo Co. Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357, aux pages 372 et 373, le juge Estey.)
[189]Pour qu'existe un droit d'auteur, l'oeuvre en cause doit être originale. L'article 5 de la Loi sur le droit d'auteur, dispose:
5. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le droit d'auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci-après, sur toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale [. . .] [Non souligné dans l'original.]
Les ouvrages juridiques sont-ils une «oeuvre»?
[190]Avant de se demander si les ouvrages juridiques de l'éditeur sont originaux, il est nécessaire de régler une question préliminaire soulevée par le Barreau. Celui-ci, s'appuyant sur le paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d'auteur, fait valoir que les sommaires, les décisions judiciaires publiées, les résumés, l'index analytique et la monographie ne sont pas des oeuvres et ne donnent donc pas lieu à un droit d'auteur à ce titre. Le paragraphe 3(1) dispose notamment:
3. (1) Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, sous une forme matérielle quelconque [. . .]
[191]Le Barreau dit que le paragraphe 3(1) fait une distinction entre les «oeuvres» et les «parties d'oeuvre». Pour que l'expression «une partie importante de l'oeuvre» qui s'y trouve ait un sens, il faut que soit possible une reproduction par une personne autre que le titulaire du droit d'auteur, c'est-à-dire d'une partie négligeable. Le Barreau soutient, par conséquent, que certaines restrictions doivent exister sur ce que les titulaires de droits d'auteur peuvent revendiquer à titre d'oeuvre. Si aucune restriction n'existe, alors les titulaires de droits d'auteur soutiendront toujours que ce qui a été reproduit était l'oeuvre et qu'elle l'a été dans son intégralité, ce qui vide de tout sens l'expression «une partie importante de l'oeuvre».
[192]Le Barreau estime donc que les oeuvres juridiques en cause sont de simples parties d'oeuvres, et non des oeuvres en soi. Une telle conclusion lui permettrait ensuite de soutenir que ses activités de reproduction portaient sur des parties négligeables des oeuvres et, en conséquence, qu'elles ne violaient pas les droits d'auteur des éditeurs.
[193]Le Barreau dit que les «oeuvres» en cause sont caractérisées à juste titre comme étant le volume dans lequel figurent un sommaire précis, une décision judiciaire publiée ou un résumé, le volume [1997] G.S.T.C. dans lequel figure l'index analytique et le manuel qui contient la monographie.
[194]Le paragraphe 3(1) renvoie à une oeuvre, «ou une partie importante de l'oeuvre». Par conséquent, à un certain niveau de segmentation, il se peut que les documents ne constituent pas une «oeuvre», mais seulement une «partie de celle-ci» qui soit négligeable. La question qui se pose consiste à savoir quels critères il convient d'appliquer aux documents pour déterminer s'il s'agit d'une «oeuvre» ou d'une simple «partie de celle-ci».
[195]Le Barreau soutient que le critère permettant d'établir l'existence d'une oeuvre est, tout d'abord, le format sous lequel est publié ce qui est utilisé par les personnes effectuant les reproductions et, ensuite, la question de savoir si l'oeuvre en cause était destinée à exister à titre d'oeuvre publiable indépendamment. Il ajoute que les éditeurs ne publient pas et ne vendent pas individuellement des sommaires, des décisions judiciaires, des résumés, des index analytiques ou des parties de manuels, mais qu'ils publient et vendent plutôt des manuels et des recueils de jugements et des résumés. Par conséquent, les documents en cause en l'espèce ne constituent que des parties d'oeuvres et non pas des oeuvres comme telles.
[196]L'argument du Barreau est fondé sur l'hypothèse implicite voulant tout ce qui est moins que le format publié doit constituer une partie. Toutefois, cette prétention ne tient pas compte de la reconnaissance, à l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur, des notions de «recueil» et de «compilation»:
2. [. . .]
«compilation» Les oeuvres résultant du choix ou de l'arrangement de tout ou partie d'oeuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques ou de données.
[. . .]
«Recueil»
[. . .]
c) toute oeuvre composée, en parties distinctes, par différents auteurs ou dans laquelle sont incorporées des oeuvres ou parties d'oeuvres d'auteurs différents. |
[197]Il ressort de ces définitions qu'un recueil peut consister dans des oeuvres de différents auteurs et qu'une compilation est une oeuvre qui peut découler de la sélection ou de l'arrangement d'oeuvres littéraires. Les recueils ou les compilations peuvent constituer les formats de la publication. Mais les éléments des formes publiées peuvent, d'après ces définitions, être aussi des oeuvres. L'argument du Barreau est donc incompatible avec les termes de la Loi. Suivant ces définitions, les éléments d'un volume publié peuvent eux-mêmes être des oeuvres, même s'ils n'ont pas été individuellement publiés. Par exemple, un poème qui n'a pas été publié ailleurs que dans une anthologie n'en demeure pas moins une oeuvre.
[198]Toutefois, je conviens qu'il puisse exister certaines limites au degré de fragmentation permis dans la caractérisation d'une oeuvre. Il est donc nécessaire de formuler une méthode pour déterminer le degré acceptable de fragmentation et celui qui ne l'est pas. La définition de «toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale» à l'article 2 nous éclaire un peu sur l'approche que le législateur voulait voir suivre par les tribunaux pour décider si un document constitue une oeuvre.
2. [. . .]
«toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale» S'entend de toute production originale du domaine littéraire, scientifique ou artistique quels qu'en soient le mode ou la forme d'expression, tels les compilations, livres, brochures et autres écrits, les conférences, les oeuvres dramatiques ou dramatico-musicales, les oeuvres musicales, les traductions, les illustrations, les croquis et les ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux sciences. [Non souligné dans l'original.]
Il appert de l'utilisation des termes «inclut» et «autres écrits» que cette définition ne visait pas à être exhaustive. Les termes «oeuvre» ou «production», modifiés par l'indéfini «toute», sont larges. Il semble que le législateur entendait donner une vaste portée au terme «oeuvre», et c'est l'approche que j'adopterai pour mener mon analyse.
[199]Par définition, la partie est plus petite que le tout. Selon The Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles (3e éd.), le mot «partie» se définit comme suit:
[traduction]
1. L'élément qui, pris avec un ou plusieurs autres éléments, constitue un tout; une certaine quantité, mais pas l'ensemble, de toute chose ou d'un certain nombre de choses; une portion, une division, une section, un élément, une composante, une pièce.
Par conséquent, l'un des attributs d'une oeuvre que l'on peut déduire du renvoi fait dans la Loi aux parties d'oeuvre est que l'oeuvre, du moins généralement, suppose quelque chose de complet ou d'intégral.
[200]Je dis «généralement» parce que je ne veux pas écarter la possibilité qu'un document tel qu'un manuscrit inachevé puisse constituer une oeuvre. Il se peut que l'intégralité substantielle soit un critère suffisant. Toutefois, pour les besoins de l'espèce, il n'est pas nécessaire d'aller si loin. Compte tenu de la large portée que la Loi vise à donner à l'interprétation du terme «oeuvre», je ne pense pas qu'il convienne d'énoncer des critères ou des exigences additionnelles. Dès lors que des documents répondront au critère de l'intégralité, il s'agira d'oeuvres.
[201]Appliquant ce principe aux documents juridiques des éditeurs, je me demande tout d'abord si les sommaires peuvent être qualifiés à bon droit d'«oeuvres». Je constate que chaque sommaire est complet au sens où il fournit un résumé des motifs judiciaires auxquels il se rapporte et qu'il ne dépend pas des autres parties du volume dans lequel il figure pour remplir cette fonction. Les sommaires ne dépendent pas des motifs judiciaires pour avoir un sens, quoique, bien entendu, les motifs judiciaires contiennent l'ensemble de l'analyse. Par conséquent, aucun autre travail n'étant exigé pour que les sommaires remplissent leur fonction d'informer les lecteurs sur les éléments saillants des motifs des juges, je conclus qu'ils sont complets et que chacun d'eux constitue une «oeuvre».
[202]Ce raisonnement vaut aussi pour le résumé en ce qu'il a les mêmes caractéristiques et attributs que les sommaires.
[203]Les décisions judiciaires publiées consistent dans des titres courants, l'intitulé répertorié de l'affaire indexé, des mots clés, les sommaires, la jurisprudence et la doctrine citées, un énoncé de la cause, le nom des avocats, les motifs judiciaires, y compris les références parallèles, et une conclusion.
[204]Les titres courants sont les renvois qui sont faits, en haut de la page, au volume et à l'intitulé de l'affaire et au numéro de page. Entre autres choses, ils facilitent les citations de l'affaire dans un mémoire ou un jugement. L'intitulé répertorié de l'affaire normalise l'intitulé de la cause d'après le Centre Canadien d'Information Juridique Normes de Désignation des Décisions. Les mots clés qui figurent en caractères gras, sont de très courts énoncés préparés d'après une classification générale. Dans la décision Meyer v. Bright, les mots clés commencent avec les sujets juridiques généraux («assurance, dommages»), puis deviennent plus précis («assurance automobile, assurance sans égard à la faute, etc.»), avant de passer aux faits («le demandeur a subi des fractures qui l'empêche de marcher et de soulever des poids»), pour conclure par un renvoi aux lois utilisées dans la décision. Les mots clés précèdent le sommaire que j'ai déjà décrit. La jurisprudence et la doctrine citées suivent le sommaire. Les décisions que cite le juge dans ses motifs sont énumérées, et les éditeurs les classent selon qu'elles ont été appliquées, fait l'objet de distinction, été examinées ou n'ont pas été suivies. L'énoncé de la cause tient en une phrase. Dans la décision Meyer v. Bright, il dit [traduction] «Action en dommages-intérêts pour blessures corporelles subies dans une collision de véhicules automobiles» et il figure après la jurisprudence et la doctrine citées. Après l'énoncé de la cause se trouvent le nom des avocats, les motifs du juge et à la fin, en italiques, le dispositif de l'affaire, soit «Action rejetée».
[205]Chaque décision judiciaire publiée facilite le renvoi aux motifs du juge en incluant des caractéristiques qui sont insérées pour la commodité du lecteur. Chaque élément se rattache aux motifs du juge. Il n'est pas nécessaire que le lecteur regarde quoi que ce soit d'autre pour se servir des décisions judiciaires publiées. Je suis convaincu que chaque décision judiciaire publiée constitue une oeuvre.
[206]La monographie est, par définition, un traité distinct sur un seul sujet. Elle est complète en soi parce qu'elle ne dépend d'aucune autre partie du manuel pour avoir un sens ou une cohérence. C'est donc une oeuvre.
[207]Enfin, en ce qui concerne l'index analytique, il n'est pas nécessaire d'y apporter davantage de travail pour qu'il puisse remplir sa fonction. Toutefois, l'index analytique renvoie aux affaires figurant dans le corps du volume [1997] G.S.T.C. Dans ce contexte, il en constitue une partie intégrante. En ce sens, il fait partie d'une oeuvre et n'est pas une oeuvre en soi. Toutefois, il peut constituer une partie importante du volume [1997] G.S.T.C. Par ailleurs, il se peut qu'un renvoi dans l'index analytique amène le lecteur à une affaire qui se trouve dans une source externe à l'oeuvre. Dans ce cas, l'index analytique pourrait être considéré comme complet et utilisable en soi et, par conséquent, pourrait constituer une oeuvre. Parce que j'ai certains doutes sur ce point, je préfère ne pas trancher cette question et traiter de la reproduction alléguée de l'index analytique par le Barreau dans la partie des présents motifs concernant la violation importante.
Les documents juridiques sont-ils originaux?
[208]Le juge de première instance a conclu que la loi annotée, le manuel et la monographie étaient originaux. En revanche, il a décidé que les décisions judiciaires publiées, les sommaires, les résumés et l'index analytique n'étaient pas originaux. Bien qu'il ait conclu que les décisions judiciaires publiées, les sommaires, les résumés et l'index analytique faisaient intervenir «énormément d'efforts, d'habiletés et de jugement», le juge de première instance a estimé que l'originalité exigeait en plus un effort intellectuel et une créativité qui, selon lui, étaient absentes. Au paragraphe 139, il a dit ceci:
Bien qu'il ressorte manifestement de la preuve soumise à la Cour que la préparation des décisions judiciaires publiées, incluant les sommaires, les mots clés, les références parallèles, les titres courants et d'autres points ajoutés par l'éditeur, en ce qui concerne les trois décisions en question, comporte énormément d'efforts, d'habileté et de jugement, je suis convaincu que l'ensemble du processus, et plus particulièrement les éléments qui demandent de l'habileté et du jugement, sont dépourvus de l'«imagination» ou de l'«étincelle de créativité» que je juge jusqu'à maintenant essentielles à une conclusion d'originalité. J'estime qu'il convient d'évaluer le caractère intellectuel et créateur des décisions judiciaires enrichies en vue d'une publication pour décider si elles donnent naissance à un droit d'auteur, de la même manière qu'il est possible de dire qu'il faut évaluer les compilations de données suivant l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Télé-Direct. L'article 2 de la Convention de Berne, 1971, j'en suis convaincu, vise manifestement la sorte de transformations des oeuvres littéraires que représentent les recueils de jurisprudence en litige en l'espèce, mais ceux-ci sont dépourvus de l'«expression originale» et ne parviennent pas à constituer des «créations intellectuelles» envisagées par cet article, et plus particulièrement par l'article 1705 de l'ALÉNA tel qu'il est reproduit dans l'arrêt Télé-Direct [à la page 31]. Pour reprendre, encore une fois non sans une certaine appréhension, les propos tirés de l'affaire Matthew Bender [à la page 688] qui, j'en suis persuadé, s'appliquent tout aussi bien, sous le régime de la loi canadienne, aux faits de la présente affaire:
[. . .] pour West comme pour tout autre arrêtiste d'opinions judiciaires destinées à la recherche juridique, la fidélité à l'original, qui est du domaine public, constitue la principale valeur éditoriale, de sorte que la créativité est l'ennemie de la vérité. [Soulignement ajouté par le juge de première instance.] |
[209]J'estime que le juge Gibson a eu raison de conclure que la loi annotée, le manuel et la monographie étaient originaux. Le Barreau ne conteste pas ces conclusions, et je n'ai pas besoin de m'étendre davantage sur ce point. Toutefois, en toute déférence, j'estime que le juge Gibson a erré quand il a conclu que les sommaires, les résumés et les décisions judiciaires publiées n'étaient pas originaux.
[210]Je commence mon analyse en renvoyant aux principes fondamentaux de l'originalité.
[211]Premièrement, le droit d'auteur protège l'expression des idées et non pas les idées en soi. Dans l'affaire University of London Press v. University Tutorial Press, [1916] 2 Ch. 601, à la page 608, le juge Peterson a écrit ceci:
[traduction] Dans ce contexte, le mot «originale» ne signifie pas que l'oeuvre doit être l'expression d'une pensée originale ou inventive. Les lois sur les droits d'auteur ne tiennent pas compte de l'originalité des idées, mais de l'expression de la pensée et, dans le cas d'une «oeuvre littéraire», de l'expression de la pensée sous forme écrite ou imprimée. L'originalité requise porte sur l'expression de la pensée.
(Voir aussi Canadian Admiral Corpn. Ltd. v. Rediffusion Inc., [1954] R.C.É 382; et Prism Hospital Software v. Hospital Medical Records Institute, [1994] 10 W.W.R. 305 (C.S.C.-B.)). Lorsqu'on se demande si les documents juridiques en cause sont originaux, on insiste donc sur l'originalité de l'expression de la pensée et non sur l'originalité de la pensée elle-même.
[212]Deuxièmement, il ne peut y avoir de droits d'auteur sur des faits. Ce point est bien établi et a été énoncé par lord Erskine dans Matthewson v. Stockdale (1806), 33 E.R. 103 (Ch. D.), à la page 104:
[traduction] Tous les événements humains sont également ouverts à tous, à tous ceux qui veulent ajouter ou améliorer les documents déjà colligés par d'autres, faire une oeuvre originale. Personne ne peut monopoliser un tel sujet.
Voir aussi Deeks v. Wells, [1931] O.R. 818 (Div. app.), à la page 834 (conf. par [1933] 1 D.L.R. 353 (C.P.); et Zamacoïs v. Douville et al. [1944] R.C.É. 208, à la page 229.
[213]En troisième lieu, l'oeuvre en cause doit provenir de son auteur et ne doit pas être copiée. L'arrêt University of London Press, précité, a établi (aux pages 608 et 609):
[traduction] [. . .] la loi n'exige cependant pas que cette expression soit présentée sous une forme originale ou nouvelle, mais que l'oeuvre ne soit pas copiée sur une autre oeuvre, qu'elle vienne de son auteur.
[214]En quatrième lieu, il faut qu'il y ait quelque chose de plus que le fait de ne pas être copié. Cette exigence supplémentaire a fait l'objet d'un certain désaccord dans la jurisprudence. Une école de pensée veut que le monopole qui découle de l'existence d'un droit d'auteur ne soit justifié que si l'auteur a produit un effort intellectuel. Cette jurisprudence utilise des termes comme «habileté», «jugement» ou «travail». Voir, par exemple, Ladbroke (Football), Ltd. v. William Hill (Football) Ltd., [1964] 1 All E.R. 465 (H.L.); Cramp (G.A.) & Sons, Ltd. v. Frank Smythson, Ltd., [1944] 2 All E.R. 92 (H.L.), et Slumber-Magic Adjustable Bed Co. v. Sleep-King Adjustable Bed Co., [1985] 1 W.W.R. 112 (C.S.C.-B.).
[215]Selon l'autre école de pensée, du moins en ce qui concerne les compilations, il suffit qu'on ait investi du temps, ou engagé des frais. Voir, par exemple, les premiers arrêts de jurisprudence en ce qui concerne les annuaires commerciaux des pages blanches: Kelly v. Morris (1866), 1 L.R. Eq. 697; Morris v. Ashbee (1868), 7 L.R. Eq. 34; and Morris v. Wright (1870), 5 L.R. Ch. App. 279. Cette jurisprudence constitue l'assise de l'approche dite «à la sueur de son front» ou du «travail industrieux» dont a traité le juge Finkelstein au paragraphe 50 et suivants, dans son analyse détaillée des deux approches dans l'affaire Telstra Corporation Ltd v Desktop Marketing Systems Pty Ltd (2001), 181 ALR 134 (Aust. F.C.). Le travail industrieux a aussi trouvé un écho favorable au Canada, par exemple, dans U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada Inc. (1995), 62 C.P.R. (3d) 257 (C.F. 1re inst.).
[216]D'après l'examen que j'ai fait de la jurisprudence, il me semble que la norme de l'effort intellectuel a été appliquée à tous les types d'oeuvres littéraires, tandis que la norme du travail industrieux n'a généralement été appliquée qu'aux compilations de faits, comme les annuaires de pages blanches ou d'autres documents qui sont dans le domaine public.
[217]Dans l'arrêt rendu par la présente Cour, en 1997, Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc., [1998] 2 C.F. 22, le juge Décary, J.C.A., a rejeté l'école de pensée du travail industrieux s'agissant de la compilation de données. Il a fondé sa conclusion sur l'article 1705 de l'ALÉNA et les modifications corrélatives apportées à la Loi sur le droit d'auteur du Canada, dont l'introduction de la définition actuelle de «compilation» (conformément à la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44). À la suite de ces modifications et eu égard à la jurisprudence américaine (voir Feist Publications, Inc. v. Rural Telephone Service Co., 449 U.S. 340 (1991)), le juge Décary, J.C.A., a conclu que les compilations de données exigeaient un minimum de créativité pour être originales.
[218]Le juge Gibson semble avoir considéré que l'arrêt Télé-Direct, précité, créait une nouvelle norme plus élevée d'originalité que celle de l'effort intellectuel représenté par des termes comme «talent», «jugement» et «travail». Cette norme plus élevée semble être représentée, dans les motifs du juge Gibson, par des termes comme «imagination», «étincelle de créativité» et «caractère intellectuel et créateur». À mon avis, toutefois, l'arrêt Télé-Direct ne fait que réitérer la nécessité d'un certain effort intellectuel pour qu'une oeuvre puisse être qualifiée d'originale. De fait, l'un des passages clés des motifs du juge Décary, J.C.A., au paragraphe 28, confirme que le talent, le jugement et le travail sont les facteurs à prendre en considération:
[. . .] la compilation, pour être originale, doit être une oeuvre que son auteur a créée de façon indépendante et qui, par les choix dont elle résulte et par son arrangement, dénote un degré minimal de talent, de jugement et de travail. Ce n'est pas une haute exigence, mais c'en est une. [Non souligné dans l'original.]
Par conséquent, je ne pense pas que l'arrêt Télé-Direct ait créé une norme nouvelle ou différente d'originalité. L'analyse consiste toujours à se demander si l'auteur a fait un effort intellectuel suffisant.
[219]Je reconnais que l'arrêt Télé-Direct peut être interprété comme écartant l'approche du travail industrieux en ce qui concerne l'originalité, qu'on a parfois utilisée pour les compilations. Je reconnais aussi qu'on débat encore de la question de savoir lequel, du travail industrieux ou de la créativité, constitue le meilleur critère pour juger de l'originalité des compilations (voir l'analyse des points de vue opposés dans Telstra, précité, au paragraphe 43 et suivants). Toutefois, j'ai présents à l'esprit les propos du juge Estey dans l'arrêt Compo Company Ltd., précité, à la page 372, qui rappelait l'importance de ne pas trancher les affaires de droit d'auteur en se fondant sur des motifs plus larges qu'il ne le faut:
En ce domaine technique du droit d'auteur, les cours on estimé plus prudent de ne statuer que sur les questions de droit soumises et d'éviter autant que possible les comparaisons, les exemples et les hypothèses.
Par conséquent, puisqu'il ne s'agit en l'espèce de compilations, il n'est pas nécessaire que j'entre dans ce débat. Je suis convaincu que l'originalité, en dehors des compilations, a toujours exigé qu'il y ait eu un certain effort intellectuel et que, dans ce contexte, l'arrêt Télé-Direct, précité, est compatible avec ce point de vue.
[220]Combien faut-il d'effort intellectuel? Tout dépendra des circonstances de chaque espèce. Dans la décision Telstra, précitée, le juge Finkelstein a noté ce qui suit au paragraphe 64:
[traduction] Les juges n'ont pas encore défini avec précision quelle est la quantité d'effort intellectuel, de travail, etc. qu'il faut pour justifier les droits d'auteur. «Dans tous les cas, cela doit dépendre surtout des faits de chaque espèce et, dans chacun des cas, constituer surtout une question de degré»; Macmillan & Co Ltd v Cooper (1923), 40 TLR 186 à la page 190. Ce qui n'est pas clair, c'est de savoir si l'effort intellectuel ou le travail doit être plus que négligeable ou s'il doit être substantiel. Voir l'affaire Kalamazoo (Aust) Pty Ltd c Compact Business Systems Pty Ltd (1985), 84 FLR 101 aux pages 120 et 121; 5 IPR 213, où l'on cite une jurisprudence contradictoire.
[221]En somme, aux fins de l'espèce, dans le contexte des documents juridiques en cause, j'estime que la question de savoir si l'oeuvre est originale sera guidée par les principes suivants:
1. L'essentiel consiste dans l'expression et non pas dans les idées ou les faits.
2. L'oeuvre doit être produite par l'auteur et ne pas être copiée.
3. Il faut un certain effort intellectuel. Le degré nécessaire d'effort intellectuel variera selon les circonstances.
[222]Dans l'application de ces principes, je commence par les sommaires. Chaque sommaire contient un résumé des faits, le dispositif de l'affaire et un résumé du raisonnement du juge. Bien que, naturellement, les idées contenues dans les motifs judiciaires doivent être reflétées dans les sommaires, cela ne signifie pas que les sommaires soient des copies des motifs judiciaires. Les sommaires copient les idées exprimées dans les motifs judiciaires. Toutefois, ils n'en copient pas la forme. Les sommaires expriment, dans les termes de leurs auteurs, les idées saillantes qui se trouvent dans les motifs judiciaires, mais cette expression n'est pas la même que les motifs de la décision eux-mêmes. De fait, les sommaires constituent un résumé de ce que l'auteur considère comme étant des conclusions essentielles sur les faits, l'analyse et les conclusions du juge qui a rédigé les motifs. Ils visent à informer le lecteur rapidement et de façon efficace sur la pertinence des motifs judiciaires quant aux fins qu'il poursuit, de sorte que, le cas échéant, il peut alors les lire. Autrement, leur lecture n'est pas nécessaire. D'après le témoignage du doyen Felthusen, la rédaction des sommaires exige de comprendre les motifs du jugement, de savoir séparer l'important de l'accessoire, et d'être capable d'écrire un sommaire cohérent, complet mais succinct.
[223]Le juge Gibson a conclu que les sommaires faisaient intervenir énormément d'habilité, de jugement et de travail, et je suis d'accord avec cette conclusion. Bien que la quantité d'effort intellectuel puisse varier selon les circonstances de chaque cas, il est sûr que la preuve qu'on a déployé énormément de talent, de jugement et de travail suffira pour conclure à l'originalité dans tous les cas. Le juge Gibson ayant estimé que les sommaires faisaient intervenir énormément de talent, de jugement et de travail, il a implicitement conclu qu'il y avait assez d'effort intellectuel pour établir l'originalité. En toute déférence, j'estime que le juge Gibson a erré en essayant d'imposer une norme plus élevée d'«imagination», d'«étincelle de créativité» et de «caractère intellectuel et créateur» et en concluant que le fait qu'il y ait énormément de talent, de jugement et de travail ne suffisait pas à justifier une conclusion d'originalité. Dès lors que sont déployés beaucoup de talent, de jugement et de travail, il y a suffisamment d'effort intellectuel aux fins du critère de l'originalité.
[224]Il n'est pas nécessaire d'analyser le résumé dans le détail. Le résumé présente les mêmes caractéristiques que les sommaires. C'est l'oeuvre de l'auteur, il n'est pas copié et il exige le même type d'effort intellectuel que les sommaires; par conséquent, il est aussi original.
[225]Passons maintenant aux décisions judiciaires publiées. Le juge Gibson a conclu qu'il y avait énormément de talent, de jugement et de travail dans les décisions judiciaires publiées. Comme dans le cas des sommaires et des résumés, les décisions judiciaires publiées attestent donc nécessairement d'un effort intellectuel suffisant pour être originales.
[226]En conséquence, les éditeurs devraient bénéficier d'un droit d'auteur sur les sommaires, les résumés et les décisions judiciaires publiées.
[227]Bien que j'aie conclu que les décisions judiciaires publiées sont originales, et que les éditeurs ont sur elles un droit d'auteur, je connais l'argument du Barreau selon lequel l'ordre public impose que les motifs des jugements soient accessibles au public. De fait, les motifs judiciaires ne sont évidemment pas originaux pour les éditeurs, et il peut sembler incongru de reconnaître l'existence d'un droit d'auteur sur des décisions judiciaires publiées lorsque ce droit d'auteur inclut nécessairement les motifs judiciaires.
[228]Cette incongruité peut sembler encore plus frappante étant donné que les éditeurs ne pourraient pas obtenir de droits d'auteur indépendants sur les seuls motifs judiciaires révisés. Le seul droit d'auteur indépendant auquel les éditeurs pourraient prétendre serait fondé sur la révision des motifs judiciaires. Toutefois, cette révision ne suffit pas à faire en sorte que les motifs judiciaires qui constituent une oeuvre littéraire originale pour le juge devienne une oeuvre littéraire originale pour les éditeurs. Quels que soient le talent, le jugement et le travail qui ont été consacrés à la révision des motifs, la forme de leur expression demeure pratiquement la même que la version non révisée produite par le juge. La version révisée reste toujours une copie de la version non révisée. C'est pourquoi elle n'est pas originale pour les éditeurs, et ces derniers ne peuvent revendiquer un droit d'auteur indépendant sur les motifs judiciaires.
[229]Toutefois, bien que j'aie conclu que les décisions judiciaires publiées sont originales et sont l'objet du droit d'auteur des éditeurs, cela ne leur confère pas, en pratique, un monopole sur l'utilisation des motifs judiciaires seuls. Lorsque l'auteur d'un ouvrage cite des portions de transcription de témoignage ou cite d'autres auteurs pour prouver une thèse ou pour expliquer ce qu'il a écrit, il se peut fort bien que l'auteur obtienne un droit d'auteur sur tout l'ouvrage, même si des portions de ce livre ne sont pas de lui. Dans ce cas-là, bien que l'auteur puisse avoir un droit d'auteur sur l'ensemble de l'ouvrage, il n'y aura pas de violation du droit d'auteur si quelqu'un ne copie que les portions non originales (voir Warwick Film Productions Ltd. v. Eisinger, [1969] 1 Ch. 508, aux pages 533 et 534). Selon ce raisonnement, même si les éditeurs ont un droit d'auteur sur chaque décision judiciaire publiée, ce ne constituerait pas une violation du droit d'auteur si quelqu'un ne copiait que les motifs judiciaires. Je suis donc convaincu qu'en accordant le droit d'auteur aux éditeurs sur les décisions judiciaires publiées dans leur ensemble, l'objectif d'ordre public qui vise à garantir l'accès libre du public aux motifs des décisions judiciaires n'en souffrira pas.
LE BARREAU A-T-IL VIOLÉ LE DROIT D'AUTEUR SUR LES OEUVRES DES ÉDITEURS?
[230]Bien que le droit d'auteur existe sur les décisions judiciaires publiées, les sommaires, les résumés et les monographies, et qu'aucune question ne se pose en ce qui concerne la propriété de ces droits d'auteur, il est nécessaire de déterminer si ces droits ont fait l'objet d'une violation prima facie. J'utilise le terme violation «prima facie» parce qu'il reconnaît que l'exemption relative à l'utilisation équitable peut en fin de compte exempter le Barreau de ce qui constituerait autrement une violation. Par conséquent, à ce stade de l'analyse, je dois établir si, à supposer qu'il n'existe pas d'exemption relative à l'utilisation équitable, le Barreau a violé le droit d'auteur des éditeurs.
[231]La Loi établit deux grandes catégories de violation: la violation initiale du droit d'auteur et la violation à une étape ultérieure. La violation initiale interdit tout acte que le titulaire du droit d'auteur est seul habilité à faire. La violation à une étape ultérieure interdit à une personne d'utiliser des documents dont la personne sait qu'ils sont le produit d'une violation du droit d'auteur. Par exemple, il y a violation initiale du droit d'auteur si une personne reproduit un ouvrage protégé par le droit d'auteur, à moins que la loi ne le justifie, et violation à une étape ultérieure si la reproduction qui constitue une violation est par la suite vendue par une personne qui savait que la reproduction constituait une violation du droit d'auteur. Chacune de ces deux grandes catégories de violation contient plusieurs sous-catégories pertinentes. Je dois tout d'abord traiter des catégories de violations initiales de droits d'auteur.
Violation initiale du droit d'auteur
[232]La preuve montre qu'en 1993 le Barreau a photocopié les décisions judiciaires publiées Meyer v. Bright et R. v. CIP, ainsi que les sommaires de ces affaires, le résumé et la monographie. En 1998, le Barreau a photocopié l'index analytique. Le paragraphe 27(1) de la Loi en vigueur en 1993 définit la violation initiale du droit d'auteur comme le fait d'exécuter, sans le consentement du titulaire de ce droit, toute chose que seul ce titulaire a la faculté d'exécuter.
27. (1) Est considéré comme ayant porté atteinte au droit d'auteur sur une oeuvre quiconque, sans le consentement du titulaire de ce droit, exécute un acte qu'en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d'exécuter.
Le paragraphe 27(1), modifié par L.C. 1997, ch. 24, art. 15, porte:
27. (1) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d'un acte qu'en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d'accomplir.
Les changements de 1997 semblent mineurs, et je ne vois pas de différence de fond aux fins de la présente affaire entre les deux versions du paragraphe 27(1). Les allégations de violation initiale du droit d'auteur en 1993 et en 1998 peuvent donc être examinées ensemble.
[233]Les éditeurs soutiennent que trois types de violation de droit d'auteur ont été commises suivant les paragraphes 27(1) et 3(1) de la Loi. Ils soutiennent premièrement que le Barreau a reproduit les oeuvres des éditeurs; deuxièmement, que le Barreau a communiqué les oeuvres des éditeurs au public par télécommunication et, troisièmement, que le Barreau a autorisé ses clients à faire des reproductions sur des photocopieuses individuelles situées dans la Grande bibliothèque. Les parties pertinentes du paragraphe 3(1) constituent le fondement légal de ces allégations:
3. (1) Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, sous une forme matérielle quelconque [. . .] ce droit comporte, en outre, le droit exclusif:
[. . .]
f) de communiquer au public, par télécommunication, une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;
[. . .]
Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d'autoriser ces actes. [Non souligné dans l'original.]
Violation initiale du droit d'auteur -- Reproduction
[234]Les éditeurs allèguent que les activités de photocopie du Barreau, en 1993 et 1998, ont violé le droit exclusif que leur accorde le paragraphe 3(1) de «produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre». Il n'est pas contesté qu'une photocopie constitue une reproduction. Le seul moyen de défense du Barreau à l'égard de cette allégation est que ces reproductions n'étaient que des parties négligeables des documents des éditeurs.
[235]Lorsqu'une oeuvre a été copiée intégralement, il n'est nul besoin d'examiner l'expression «une partie importante de l'oeuvre». Comme il a été dit précédemment, les décisions judiciaires publiées, les sommaires, les résumés et la monographie, bien qu'ils constituent peut-être aussi des parties d'ouvrages plus vastes, sont des oeuvres originales en soi. Comme le Barreau a reproduit ces oeuvres dans leur totalité, il a violé prima facie le droit exclusif des éditeurs de les reproduire.
[236]La question des copies importantes ne se pose qu'en ce qui concerne l'index analytique qui, comme je l'ai dit plus tôt, ne saurait selon moi être qualifié d'oeuvre. Par conséquent, il s'agit de savoir si la reproduction par le Barreau de l'index analytique constituait une reproduction d'une partie importante du volume [1997] G.S.T.C. Le Barreau ne conteste pas que le volume [1997] G.S.T.C. soit une oeuvre originale.
[237]Ce qui constitue une reproduction d'une partie importante d'une oeuvre ne dépend pas d'une analyse purement quantitative. En fait, le caractère important peut être évalué dans une perspective quantitative ou qualitative. Dans la décision U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada Inc., précitée, le juge Richard (tel était alors son titre) a ainsi résumé le droit en matière de caractère important, à la page 268:
[. . .] ce qui constitue une «partie importante» est une question de fait et, à cet égard, les tribunaux ont accordé plus d'importance à la qualité des parties qu'à leur quantité. Dans la jurisprudence antérieure, les tribunaux ont retenu, entre autres, les facteurs suivants:
a) la qualité et la quantité des parties plagiées;
b) la gravité de l'atteinte que l'utilisation du défendeur a portée aux activités du demandeur et la mesure dans laquelle la valeur du droit d'auteur s'en trouve diminuée;
c) la question de savoir si le document plagié est protégé à bon droit par un droit d'auteur;
d) la question de savoir si le défendeur s'est intentionnellement emparé de l'oeuvre du demandeur pour épargner du temps et des efforts;
e) la question de savoir si le défendeur utilise le document plagié d'une façon identique ou similaire au demandeur.
[238]De toute évidence, l'index analytique est mineur du point de vue quantitatif (13 pages sur quelque 500 pages). Toutefois, sur le plan qualitatif, il constitue une partie importante du volume [1997] G.S.T.C. De fait, l'index analytique est par nature un condensé qui permet aux chercheurs de localiser effica-cement les sujets intéressants sans avoir à fouiller dans tout le volume dans l'espoir de découvrir une affaire qui soit pertinente pour leur recherche. Par conséquent, bien que l'index analytique ne forme, sur le plan quantitatif, qu'une partie relativement petite de l'oeuvre en question, il en forme une partie si intégrante en termes qualitatifs que de le copier dans sa totalité constitue une reproduction d'une partie importante du volume [1997] G.S.T.C. Le Barreau ne conteste pas que ce volume soit original. En conséquence, le Barreau a violé prima facie le droit exclusif des éditeurs de reproduire une partie importante du volume [1997] G.S.T.C.
[239]En ce qui concerne le manuel, le Barreau a admis qu'il avait violé le droit d'auteur des éditeurs du fait de la reproduction qu'il en a faite.
[240]Les éditeurs n'allèguent pas que la loi annotée a été reproduite. L'exposé conjoint des faits ne fait aucun renvoi à la reproduction de la décision judiciaire publiée Hewes v. Etobicoke ou du sommaire de cette affaire. Sans preuve d'une reproduction par le Barreau, rien ne permet de conclure à une violation en ce qui concerne ces ouvrages.
Violation initiale du droit d'auteur -- Communication au public par télécommunication
[241]En 1993, le Barreau a transmis une télécopie du résumé à un seul bénéficiaire et une télécopie de la monographie à un seul bénéficiaire. Les éditeurs allèguent que le Barreau a de ce fait violé leur droit exclusif, prévu à l'alinéa 3(1)f) de la Loi, de communiquer leurs oeuvres au public par télécommunication. Le Barreau ne conteste pas que la définition de télécommunication à l'article 2 de la Loi inclut une transmission par télécopieur. Toutefois, il soutient que la transmission d'une oeuvre à un seul destinataire n'est pas une communication «au public». Il est donc nécessaire d'interpréter le terme «au public» au sens de l'alinéa 3(1)f).
[242]Le juge de première instance a estimé qu'une télécommunication unique émanant d'un seul point et destinée à un point unique n'était généralement pas une communication au public (au paragraphe 167). Pour ce motif, il a conclu que le Barreau n'avait pas communiqué les oeuvres des éditeurs au public par télécommunication. J'arrive au même résultat que le juge Gibson.
[243]Les versions antérieures de l'alinéa 3(1)f) ont été examinées par les tribunaux canadiens, mais ces décisions nous aident peu parce que des modifications importantes ont été apportées à la disposition par le chapitre 65 des L.C. 1988, entré en vigueur le 13 février 1989, TR/89-70. Avant ces modifications, le droit exclusif énoncé à l'alinéa 3(1)f) était celui de reproduire l'oeuvre «en public» et était limité à la communication par radio. La disposition s'applique maintenant aux communications au public par télécommunication. Dans les quelques affaires qui ont été tranchées depuis 1989, les juges se sont bornés à conclure que l'expression «au public» était une notion plus vaste que l'expression précédente «en public». Voir, par exemple, Assoc. canadienne de télévision par câble c. Canada (Commission du droit d'auteur), [1993] 2 C.F. 138 (C.A.), aux pages 148 et 149; Réseau de Télévision CTV Ltée c. Canada (Commission du droit d'auteur), [1993] 2 C.F. 115 (C.A.), aux pages 131 et 132; en Australie, voir Telstra Corporation Ltd v Australasian Performing Right Association Ltd (1997), 146 ALR 649 (H.C.), aux pages 658 et 659. Ainsi, la jurisprudence, tant avant 1989 qu'après cette date, n'est pas d'un grand secours pour interpréter le sens actuel du terme «en public» à l'alinéa 3(1)f). Dans leur mémoire, les deux parties ont renvoyé à la même jurisprudence pour appuyer des interprétations contradictoires du terme «au public», soit Telstra Corporation Ltd v Australasian Performing Right Association, précité; Rank Film Production Ltd. v. Dodds (1983), 2 I.P.R. 113 (N.S.W.S.C.), et la décision de la Commission du droit d'auteur dans SOCAN Tarif des redevances, l'exécution en public d'oeuvres musicales 1996, 1997, 1998 (Tarif 22, Internet) (Re) (1999), 1 C.P.R. (4th) 417.
[244]Dans son sens ordinaire, le terme «public» semble désigner la collectivité ou le peuple dans son ensemble ou, du moins, un groupe ou une partie de la collectivité et assurément plus d'une personne. Le Black's Law Dictionary (6e éd.) donne la définition suivante:
[traduction] Tout le corps politique ou l'ensemble des citoyens d'un État, d'une nation ou d'une municipalité. Les habitants d'un État, d'un comté ou d'une collectivité. Dans un sens, tout le monde, et en conséquence toute la population en général; la collectivité en général, sans égard aux limites géographiques d'une ville ou d'un comté en particulier; le peuple. Dans un autre sens, le mot ne signifie pas tout le peuple ni la plupart du peuple ni une très grande partie du peuple d'un lieu, mais un bon nombre de personnes pour les distinguer d'un nombre réduit. En conséquence, il a été défini ou employé comme signifiant les habitants d'un lieu particulier; tous les habitants d'un lieu particulier, les personnes du voisinage. Aussi, une partie des habitants d'une collectivité.
S'agissant uniquement de la définition large du mot «public», on pourrait conclure que le terme «au public» indique qu'une communication doit cibler plus d'une personne.
[245]En revanche, la jurisprudence australienne montre que, dans certains cas, une personne seule peut constituer le public aux fins de la Copyright Act 1968, No. 63, 1968 de l'Australie: voir Telstra Corporation Ltd v Australasian Performing Right Association, précité, aux pages 156 et 157.
[246]Comme le terme «au public» est susceptible d'avoir différents sens, il est nécessaire, comme c'est habituellement le cas dans l'interprétation d'une législation ambiguë, d'examiner le contexte pour établir l'intention du législateur.
[247]S'agissant de l'alinéa 3(1)f), il faut donner un sens au terme «au public». L'alinéa 3(1)f) resterait cohérent sans les termes en cause, savoir «de communiquer par télécommunication, une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique». Sans le terme «au public», l'alinéa 3(1)f) serait illimité, c'est-à-dire qu'il s'appliquerait à toutes les communications, qu'elles soient faites au public ou non, ce qui inclurait les communications au public en général, aux plus petits groupes de personnes et aux destinataires individuels. Pour que le terme «au public» ait un sens, il doit limiter la portée par ailleurs illimitée de l'alinéa 3(1)f). Comme le lieu n'est plus une considération avec la substitution du terme «au public» au terme antérieur «en public», la seule conclusion possible est que les mots «au public» limitent le type de destinataire d'une communication. Par exemple, les destinataires de la télécommunication dans la famille de l'expéditeur ne seraient pas considérés comme le public et seraient exclus du champ d'application de l'alinéa 3(1)f). Toutefois, la restriction pourrait aussi avoir une incidence sur le nombre de destinataires d'une télécommunication.
[248]L'alinéa 3(1)f) a été édicté par la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada-- États-Unis, L.C. 1988, ch. 65, paragraphe 62(1). La disposition pertinente de l'Accord de libre-échange mis en oeuvre par le paragraphe 62(1) était l'article 2006 intitulé «Droits de retransmission». Voir Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (3e éd., 2000), à la page 495. L'article 2006 porte sur la rémunération des titulaires de droits d'auteur pour la retransmission des programmes transmis par des signaux à distance et visant «à être captée directement et gratuitement par le grand public». Le paragraphe (1) prévoit entre autres:
Artice 2006 [. . .]
1. La législation sur le droit d'auteur de chaque Partie disposera que le détenteur d'un droit d'auteur de l'autre Partie a droit à une rémunération équitable et non discriminatoire pour toute retransmission au public d'un programme du détenteur lorsque la transmission originale du programme, faite au moyen de signaux éloignés, est destinée à être captée directement et gratuitement par le grand public.
[249]À l'évidence, le paragraphe 1 de l'article 2006 ne visait pas la télécommunication à un seul bénéficiaire.
[250]Certes, l'article 2006 n'est pas déterminant quant à l'interprétation de l'alinéa 3(1)f). Toutefois, on peut examiner une entente internationale pour dissiper une incertitude dans la législation nationale qui a été édictée en vue de mettre en oeuvre les obligations du Canada en vertu de l'accord. Dans National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, le juge Gonthier a dit à la page 1371:
Dans l'interprétation d'une loi adoptée en vue d'assurer l'exécution d'obligations internationales, comme c'est le cas en l'espèce, il est raisonnable pour un tribunal d'examiner la loi nationale dans le contexte de la convention pertinente afin d'obtenir les éclaircissements voulus. En fait, lorsque le texte de la loi nationale s'y prête, on devrait en outre s'efforcer d'adopter une interprétation qui soit compatible avec les obligations internationales en question.
Voir aussi Sullivan, R., ed., dans Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto: Butterworths, 1994), à la page 459 et suivantes.
[251]L'alinéa 3(1)f) n'utilise pas le terme «public en général» mais seulement «public». Néanmoins, cet alinéa ayant été adopté pour mettre en oeuvre une disposition particulière de l'Accord de libre-échange, les deux textes devraient être interprétés de façon cohérente, ce qui donne à penser que l'emploi du mot «public» à l'alinéa 3(1)f) doit désigner plus qu'un destinataire unique d'une télécommunication.
[252]Eu égard à l'Accord de libre-échange, je conclus que le terme «au public» au sens de l'alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d'auteur n'inclut pas les télécommunications qui visent un destinataire unique. Comme la preuve fait référence à une seule communication à des points uniques de tout ouvrage particulier, les communications par le Barreau du résumé et de la monographie à des clients individuels ne sont pas visées à l'alinéa 3(1)f).
[253]Les éditeurs soutiennent aussi que le juge de première instance a erré en omettant de décider qu'une série de transmissions de la même oeuvre à des destinataires uniques multiples constitue une communication au public. Toutefois, ils n'ont pas apporté de preuves d'une série de transmission d'une oeuvre en particulier à plusieurs destinataires uniques. Par conséquent, le juge de première instance ne pouvait s'appuyer sur aucun élément pour examiner les incidences potentielles d'une série de transmissions du même ouvrage à des destinataires multiples. Me trouvant devant la même restriction, je refuse d'examiner cet argument.
[254]Les éditeurs soutiennent, à titre subsidiaire, que le Barreau a communiqué des oeuvres «au public» du seul fait qu'il les a mises à la disposition du public grâce à son exploitation de photocopies pour la clientèle. Ils citent la décision SOCAN, précitée, aux pages 443 à 451, pour dire que [à la page 449]:
[. . .] une oeuvre est communiquée au public même si elle n'est transmise qu'une seule fois, pourvu qu'elle soit mise à disposition sur un site acccessible à un segment du public.
Toutefois, j'estime que le Barreau n'a pas diffusé les oeuvres des éditeurs au sens décrit dans la décision SOCAN, du fait qu'il conserve la faculté d'accepter ou non une demande. Cette situation se distingue de l'affaire SOCAN où les communications par Internet étaient en cause et où le communicateur n'avait pas la capacité de contrôler ou d'empêcher l'accès du public à la communication en cause. Par conséquent, la décision SOCAN n'apporte aucune aide, et je ne suis pas d'accord avec l'argument subsidiaire des éditeurs sur ce point.
[255]Pour ces motifs, je rejoins la conclusion du juge de première instance, à savoir que le Barreau n'a pas violé le droit exclusif des éditeurs en vertu de l'alinéa 3(1)f) de la Loi de communiquer leurs oeuvres au public par télécommunication.
Violation initiale du droit d'auteur -- Autorisation de reproduire (photocopieuses individuelles)
[256]Le Barreau possède des photocopieuses individuelles dans la Grande bibliothèque auxquelles les clients ont un accès illimité pour faire des photocopies, moyennant paiement de frais à la page. Les éditeurs soutiennent qu'en fournissant les photocopieuses, le Barreau autorise les clients à produire ou à reproduire les oeuvres des éditeurs contrairement à la dernière phrase du paragraphe 3(1) de la Loi, qui accorde le droit exclusif d'autoriser la reproduction au titulaire du droit d'auteur.
[257]Le juge Gibson, au paragraphe 191, a refusé d'analyser les allégations d'autorisation parce que la preuve concernant
[. . .] l'utilisation réelle des photocopieuses individuelles de la Grande bibliothèque est remarquablement limitée comparée à celle qui a été soumise à la Cour relativement au service de photocopie du défendeur.
Toutefois, les parties devant la présente Cour semblent s'entendre pour dire que les photocopieuses individuelles servaient à copier les documents des éditeurs. Par conséquent, aux fins de l'analyse de l'autorisation, les clients de la Grande bibliothèque peuvent être considérés comme ayant utilisé les photocopieurs indépendants qui s'y trouvent pour reproduire des documents juridiques des éditeurs. Je conviens, aux fins de cette analyse, que le droit d'auteur existait sur ces documents au moment où les clients du Barreau les ont reproduits sur les photocopieuses individuelles. Il est, par conséquent, nécessaire de déterminer si le Barreau a autorisé ses clients à reproduire les documents juridiques des éditeurs au sens du paragraphe 3(1) de la Loi.
[258]La jurisprudence du Commonwealth en matière d'autorisation est divisée sur le sens du mot «autorise» aux fins de la violation du droit d'auteur. En Australie, le point de vue dominant semble être qu'une personne qui fournit les moyens mécaniques comme une photocopieuse pour faciliter la violation par l'utilisateur ultime peut être tenue responsable d'avoir autorisé une violation par cet utilisateur ultime. Tel est particulièrement le cas lorsque le fournisseur du moyen mécanique est conscient que son matériel est en fait utilisé à des fins de violation et a l'occasion d'empêcher ou de contrôler les actes de violation de l'utilisateur ultime, mais omet de prendre des mesures raisonnables à cet égard (voir, par exemple, Moorhouse v. University of New South Wales, [1976] R.P.C. 151 (Aust. H.C.); et RCA Corporation v. John Fairfax & Sons Ltd., [1982] R.P.C. 91 (N.S.W.S.C.)).
[259]L'approche australienne est particulièrement intéressante en ce que la situation factuelle dans l'affaire Moorhouse, précitée, était semblable aux faits de la présente espèce. Dans cette affaire, une bibliothèque universitaire fournissait des photocopieuses individuelles aux clients sans prendre de mesures raisonnables pour en contrôler l'utilisation. La Haute Cour d'Australie a conclu que la bibliothèque avait ainsi autorisé des utilisations constituant des contrefaçons (aux pages 158 à 160 des motifs du juge Gibbs).
[260]Au Royaume-Uni, toutefois, on considère que si le défendeur s'est contenté de fournir des moyens qui pouvaient être utilisés par l'utilisateur ultime pour commettre la violation, cela n'équivaut pas à une autorisation. Comme l'a indiqué lord Templeman dans l'arrêt CBS Songs Ltd v Amstrad Consumer Electronics plc, [1988] 2 All ER 484 (H.L.), à la page 493, l'autorisation ne sera donnée que si le défendeur accorde ou entend accorder à l'utilisateur ultime, expressément ou implicitement, le droit de commettre la violation:
[traduction] [. . .] une autorisation signifie l'octroi ou l'octroi présumé, exprès ou implicite, du droit de faire l'acte reproché. Amstrad a conféré à l'acheteur du moyen permettant de commettre la violation le pouvoir de copier sans lui conférer ni voulu lui conférer le droit de copier. [Non souligné dans l'original.]
[261]Ce qui constituera une autorisation implicite dépendra des faits de chaque affaire, mais dans CBS Inc. v. Ames Records & Tapes Ltd., [1981] 2 W.L.R. 973 (Ch. D.), le juge Whitford a estimé aux pages 987 et 988 que l'autorisation implicite pouvait exister si:
[traduction] [. . .] l'indifférence démontrée par des actes, de la nature d'une exécution ou d'une omission, peut être telle qu'on peut l'interpréter comme une autorisation ou une permission. La véritable conclusion à tirer de la conduite d'une personne constitue une question de fait dans chaque cas.
Cette proposition a été adoptée par le juge Reed dans Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 C.F. 173 (1re inst.), à la page 208; conf. par [1988] 1 C.F. 673 (C.A.); conf. par [1990] 2 R.C.S. 209.
[262]Les précédents canadiens qui font autorité en matière d'autorisation sont Vigneux et al. v. Canadian Performing Rights Society Ltd., [1945] 2 D.L.R. 1 (C.P.); inf. [1943] R.C.S. 348; et Muzak Corp. v. Composers, Authors, etc., [1953] 2 R.C.S. 182. Les deux arrêts établissent que le simple fait de fournir les moyens de commettre la violation ne constitue pas une autorisation des actes de contrefaçon subséquents de l'utilisateur ultime. Par exemple, dans Vigneux, précité, à la page 11, lord Russell of Killowen a rejeté la proposition selon laquelle la location d'un juke-box constituait une autorisation pour des présentations subséquentes constituant des violations d'oeuvres musicales dans le juke-box en déclarant que les fournisseurs du juke-box:
[traduction] [. . .] n'avaient pas donné la présentation au public de «Star Dust» et ne l'avaient pas non plus autorisée. Ils n'avaient pas la haute main sur l'utilisation de la machine; ils n'avaient pas voix au chapitre pour ce qui était de la question de savoir si, à un moment donné, cette machine devait être disponible pour les clients du restaurant. Le seul rôle qu'ils ont joué dans cette affaire consistait, dans le cours ordinaire de leurs activités commerciales, à louer à Raes une de leurs machines et à fournir des disques, en contrepartie d'un loyer hebdomadaire de 10 dollars.
[263]Dans l'arrêt Muzak, précité, à la page 189, le juge Rand a déclaré que le franchiseur d'un mécanisme qui sert à présenter des oeuvres musicales faisant l'objet d'un droit d'auteur n'autorisait pas l'exécution en violation par le franchisé du seul fait qu'il lui louait l'appareil.
[traduction] Rien dans le document ne laisse entendre que Muzak s'est constituée partie ayant un intérêt dans l'exécution, soit en garantissant le droit d'exécution sans payer de droits, soit en faisant quelque chose qui participe d'une association ou d'une relation commerciale similaire. Si, en louant un appareil, le propriétaire doit être considéré comme encourant sa responsabilité quant à l'utilisation de cet appareil malgré les règlements, la distinction même entre le droit de faire un disque et le droit de donner une exécution publique au moyen de ce disque, ce que M. Manning a fait et que la Loi prévoit, est anéantie. Ce serait comme si une personne qui loue un fusil à un autre doit être accusée d'avoir «autorisé» la chasse sans permis de chasse.
[264]Je considère donc qu'il est bien établi en droit canadien que le simple fait de fournir les moyens mécaniques susceptibles d'être utilisés pour commettre une violation du droit d'auteur ne suffit pas en soi pour constituer l'autorisation d'une telle violation. Dans la mesure où le Barreau n'a fait que fournir les moyens mécaniques qui ont permis aux utilisateurs ultimes de violer le droit d'auteur des éditeurs, à savoir les photocopieuses, le Barreau n'a pas autorisé ces violations. Cependant, le Barreau a-t-il fait quelque chose d'autre qui démontre qu'il a implicitement autorisé ses clients à violer le droit des éditeurs?
[265]En l'espèce, le Barreau fait plus que de simplement fournir les photocopieuses à ses clients. Il fournit aussi une vaste collection d'oeuvres des éditeurs, et ces deux éléments sont offerts dans un même cadre physique. D'après la nature des demandes reçues par le service de photocopie, il est évident que les clients ont accès aux ouvrages des éditeurs. J'en conclus que les utilisateurs des photocopieuses individuelles ont le même intérêt pour les ouvrages des éditeurs et que, par conséquent, ils y accèdent aussi. Quoique je reconnaisse que la Grande bibliothèque contient des oeuvres non protégées par le droit d'auteur, par exemple les lois, il n'est pas réaliste de croire que seuls des ouvrages de ce type sont reproduits à l'aide des phtocopieuses. Il s'agit ici d'un cas où le fait de placer des photocopieuses dans un endroit rempli d'oeuvres protégées aura inévitablement pour résultat la reproduction des ouvrages des éditeurs en violation du droit d'auteur. À mon avis, dans une telle situation, l'indifférence du Barreau devant ce résultat inévitable équivaut à l'autorisation des reproductions effectuées par ses clients en violation du droit d'auteur des éditeurs.
[266]Le Barreau soutient qu'il n'autorise pas ses clients à violer le droit d'auteur des éditeurs et il invoque à l'appui l'avis suivant, affiché au-dessus des photocopieuses:
[traduction] La législation sur le droit d'auteur au Canada s'applique aux photocopies et autres reproductions qui sont faites de documents protégés. Certaines reproductions peuvent constituer une violation du droit d'auteur. La bibliothèque n'assume aucune responsabilité en cas de violations susceptibles d'être commises par les utilisateurs des photocopieuses.
Selon moi, cependant, cet avis ne fait que manifester l'indifférence du Barreau. L'avis n'incite pas les clients à s'informer pour savoir si telle oeuvre est protégée par le droit d'auteur. On ne leur dit pas non plus qu'ils n'ont pas le droit d'utiliser les photocopieuses en violation du droit d'auteur. L'avis fait mention de la possibilité de violation mais, s'il s'agit d'un avertissement contre les violations, c'est un avertissement extrêmement faible. Les mots [traduction] «certaines reproductions peuvent constituer une violation» sans aucune directives sur le type de copies qui constituerait une violation sont aussi susceptibles de décourager les violations que de les encourager. L'omission de donner un avertissement plus explicite contre la reproduction d'oeuvres protégées et l'omission de prendre toute autre mesure démontrent l'indifférence du Barreau. En raison de cette indifférence, je conclus que le Barreau a implicitement autorisé les activités de reproduction de ses clients constituant une violation. Par conséquent, le Barreau a violé prima facie le droit exclusif conféré aux éditeurs par le paragraphe 3(1) de la Loi d'autoriser toute production ou reproduction de leurs oeuvres.
[267]Je souligne que cette conclusion ne devrait pas être interprétée comme signifiant que le simple fait de contrôler les moyens de commettre une violation constitue automatiquement l'autorisation de cette violation. Il est aussi nécessaire, dans chaque cas, de faire la preuve des actes ou omissions explicites ou implicites qui équivalent à accorder ou sont censés accorder le droit de commettre la violation. En l'instance, les faits révèlent que les moyens permettant de violer le droit d'auteur sont fournis dans un milieu où l'on retrouve des oeuvres protégées et que, dans un tel milieu, la violation est inévitable. L'absence d'avis efficaces et de tout effort pour superviser l'utilisation des photocopieuses individuelles démontre un degré d'indifférence qui, à mon avis, équivaut à l'autorisation implicite des activités constituant une violation qu'exercent les clients du Barreau.
Violation à une étape ultérieure
[268]Ayant conclu à l'existence de cas de violation initiale du droit d'auteur, je passe maintenant à la question de savoir si les actes du Barreau relativement aux produits de cette violation initiale constituent également une violation à une étape ultérieure. Comme j'ai déjà conclu à la violation initiale du droit d'auteur, je reconnais qu'il n'est pas srtictement indispensable de déterminer si le Barreau a commis une violation à une étape ultérieure. Cependant, à mon humble avis, le juge de première instance a commis une erreur dans son analyse de la violation à une étape ultérieure, en particulier quant à la question de savoir si le Barreau a «vendu» des copies contrefaites; par conséquent, je considère qu'un examen s'impose. Les faits au dossier permettent une analyse suffisante de la question de la violation à une étape ultérieure.
[269]Comme je l'ai déjà précisé, le service de photocopie du Barreau a reproduit et expédié par la poste à un client en 1993, les décisions judiciaires publiées et les sommaires des affaires Meyer v. Bright et R. v. CIP. Au cours de la même année, le résumé et la monographie ont été reproduits et envoyés par télécopieur à un autre client. En 1998, l'index analytique a été reproduit et expédié à un client par service de messagerie. Dans chaque cas, le Barreau a réclamé des frais.
[270]J'ai déjà déterminé que la reproduction faite par le Barreau de ces ouvrages constituait une violation initiale prima facie du droit d'auteur des éditeurs. Quant à la violation à une étape ultérieure, la question suivante qui se pose est de savoir si le Barreau a vendu ou mis en circulation les reproductions constituant une violation. En 1993, les dispositions applicables de la Loi se trouvaient au paragraphe 27(4):
27. (1) [. . .]
(4) Est considéreé comme ayant porté atteinte au droit d'auteur quiconque, selon le cas:
a) vend ou loue, ou commercialement met ou offre en vente ou en location;
b) met en circulation, soit dans un but commercial, soit de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;
c) expose comercialement en public;
d) importe pour la vente ou la location au Canada,
une oeuvre qui, à sa connaissance, viole le droit d'auteur ou le violerait si elle avait été produite au Canada. [Non souligné dans l'original.]
Le paragraphe 27(4) a été abrogé et remplacé en 1997 par le paragraphe 27(2) (L.C. 1997, ch. 24, article 15), qui dispose:
27. (1) [. . .]
(2) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement de tout acte ci-après en ce qui a trait à l'exemplaire d'une oeuvre, d'une fixation d'une prestation, d'un enregistrement sonore ou d'une fixation d'un signal de communication alors que la personne qui accomplit l'acte sait ou devrait savoir que la production de l'exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l'exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l'a produit:
a) la vente ou la location;
b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;
c) la mise en circulation, la mise ou l'offre en vente ou en location, ou l'exposition en public, dans un but commercial;
d) la possession en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c);
e) l'importation au Canada en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c). [Non souligné dans l'original.]
Pour les besoins de mon analyse, la différence entre les libellés des deux dispositions n'est pas déterminante. Par conséquent, les violations à une étape ultérieure alléguées de 1993 et de 1998 peuvent être examinées ensemble.
[271]En l'espèce, il faut établir trois éléments pour prouver la violation à une étape ultérieure. Premièrement, l'oeuvre dont il est fait usage doit être le produit d'une violation initiale du droit d'auteur, c'est-à-dire qu'il doit d'abord s'agir d'une contrefaçon. Deuxièmement, le présumé auteur de la violation à une étape ultérieure doit savoir que la copie dont il fait usage est le produit d'une violation initiale du droit d'auteur. Troisièmement, l'utilisation à une étape ultérieure, à savoir la vente ou la mise en circulation, doit être établie.
[272]Je suis déjà arrivé à la conclusion que les décisions judiciaires publiées, les sommaires, la monographie, ainsi que le résumé et l'index analytique (c'est-à-dire une partie importante du recueil [1997] G.S.T.C.) ont été reproduits par le Barreau. Par conséquent, les copies qui peuvent faire l'objet de la violation à une étape ultérieure sont le produit d'une violation initiale. Le premier élément requis pour prouver la violation à une étape ultérieure est donc établi.
Violation à une étape ultérieure -- Exigence de la connaissance
[273]L'exigence de la connaissance, énoncée à la fin des paragraphes 27(4) de la loi antérieure à 1997 et 27(2) de la loi actuelle, s'applique à chaque type de violation à une étape ultérieure, et il convient donc d'en traiter maintenant. En bref, la question est de savoir si le Barreau savait que les oeuvres dont il faisait usage étaient le produit d'une violation initiale du droit d'auteur des éditeurs. Le Barreau soutient qu'il croyait raisonnablement et de bonne foi que ses actions ne violaient pas le droit d'auteur. Il fondait sa conviction sur la conclusion qu'il n'y avait pas eu de violation initiale puisque ses actes étaient couverts par l'exemption relative à l'utilisation équitable. L'exemption relative à l'utilisation équitable n'est pas simplement un moyen de défense qui écarte la responsabilité pour violation; elle fait plutôt en sorte qu'il n'y a pas violation lorsque l'utilisation équitable s'applique (voir l'alinéa 27(2)a) de la Loi qui était en vigueur en 1993; devenu l'article 29, mais non modifié par ailleurs, suivant le paragraphe 18(1) de L.C. 1997, ch. 24. Le Barreau fait valoir qu'il ne pouvait avoir eu connaissance de la violation du droit d'auteur puisqu'il croyait de bonne foi qu'il n'y avait pas violation initiale du fait de l'application de l'exemption relative à l'utilisation équitable.
[274]Ces arguments ne me paraissent pas convaincants. Le Barreau était la partie responsable de la violation initiale du droit d'auteur. Il n'est pas loisible à l'auteur d'une violation initiale d'invoquer l'absence de connaissance comme moyen de défense contre une allégation de violation à une étape ultérieure.
[275]L'exigence de la connaissance protège les vendeurs, distributeurs ou importateurs innocents qui ne font pas eux-mêmes de copies. En pareilles circonstances, le vendeur, le distributeur ou l'importateur innocent ne sait pas ou n'a pas de raison de savoir que les oeuvres sont le produit d'une violation initiale du droit d'auteur. L'absence de connaissance est alors un moyen de défense valide à l'encontre d'une allégation de violation à une étape ultérieure.
[276]Cependant, lorsque le vendeur, le distributeur ou l'importateur est aussi l'auteur de la violation initiale, la défense d'absence de connaissance ne peut être invoquée à l'encontre d'une allégation de violation ultérieure. La violation initiale résulte simplement de la reproduction d'oeuvres protégées sans le consentement du titulaire du droit d'auteur. L'auteur d'une violation initiale ne peut alléguer qu'il ne savait pas qu'il violait le droit d'auteur et partant, qu'il n'y a pas de violation initiale. Dans l'affaire de Montigny v. Cousineau, [1950] R.C.S. 297, à la page 302, le juge en chef Rinfret a dit:
Je puis dire tout de suite, à ce sujet, que nul ne croit que l'intimé ait agi de mauvaise foi, mais que là n'est pas la question. La Loi concernant le droit d'auteur considère comme une violation la publication d'articles protégés par cette loi, sans l'autorisation de l'auteur ou de celui qui est détenteur du droit d'auteur. Et cette loi doit recevoir son application même quand la publication a été faite de bonne foi. Dans ce cas, il faudra dire: «Dura lex sed lex».
[277]En ce qui concerne la violation à une étape ultérieure, lorsque l'auteur de la violation initiale et le présumé auteur de la violation à une étape ultérieure sont la même personne, cette personne connaît les faits donnant lieu à la violation initiale du droit d'auteur puisque c'est elle-même qui l'a commise.
[278]Selon la jurisprudence, la connaissance dont il est question s'agissant de la violation à une étape ultérieure est la connaissance des faits, non la connaissance de la loi ou de la façon dont la loi s'applique aux faits. Dans Clark, Irwin & Co. Ltd. v. C. Cole & Co. Ltd. (1960), 33 C.P.R. 173 (H.C. Ont.), le juge Spence (tel était alors son titre) dit ceci à la page 181 (en faisant référence aux remarques incidentes de lord Goddard dans Van Dusen v. Kritz, [1936] 2 K.B. 176):
[traduction] Il semble que le juge Goddard était, en l'espèce, intéressé par la question de savoir si le défendeur avait connaissance du fait de la violation et non pas s'il savait que l'acte constituait une violation de la loi.
Dans Apple Computer, Inc., précitée, le juge Reed s'est exprimée ainsi à la page 209, après avoir cité un certain nombre de décisions portant sur l'exigence de la connaissance:
Selon cette jurisprudence, la «connaissance» dans des cas semblables signifie la prise de conscience de faits à partir desquels une personne raisonnable conclurait à la contrefaçon du droit d'auteur -- [traduction] «une prise de conscience qui attirerait l'attention d'une personne raisonnable» (dans l'affaire Albert (précitée), aux pages 81 et 82).
[279]Dans l'affaire Sillitoe and Others v. McGraw-Hill Book Co. (U.K.) Ltd., [1983] F.S.R. 545 (Ch. D.), les défendeurs étaient importateurs et distributeurs de «notes d'étude». Ces notes reproduisaient des extraits d'oeuvres littéraires, et on alléguait que leur publication, tout comme leur importation et leur mise en circulation en Australie, constituaient une violation du droit d'auteur. L'action a été intentée au R.-U., où les défendeurs ont fait valoir qu'ils se fiaient, de bonne foi, à un avis juridique selon lequel la publication des notes d'étude ne constituait pas une violation du droit d'auteur et que, de toute manière, l'utilisation équitable s'appliquerait en tant qu'exemption.
[280]Le juge Davies a rejeté ces arguments. Il a conclu que la connaisssance pertinente était la connaissance des faits, non celle du droit. À la page 557, il a dit ce qui suit:
[traduction] [. . .] les défendeurs savaient qu'une reproduction en Angleterre constituerait une violation. Je dis cela parce qu'à mon avis, la connaissance visée aux paragraphes 5(2) et 5(3) est la connaissance des faits. Une fois qu'un demandeur a éclairé un défendeur en l'avisant des faits qui sont censés constituer une violation, le défendeur ne peut soutenir qu'il n'a pas la «connaissance» prévue à l'alinéa 5(2), parce qu'il croit de bonne foi qu'aucune violation n'est commise en droit. Les défendeurs ne peuvent plaider l'ignorance des faits. Au contraire, ils connaissaient bien les faits, à savoir l'importance, la propriété et l'allégation de violation du paragraphe 5(2). Les défendeurs disent en effet que s'ils ont raison en droit, il n'y a alors pas violation et que, s'ils ont tort en droit, il n'y a pas non plus violation, puisqu'ils croyaient que la loi était différente de ce qu'elle est. Ce que les défendeurs ont fait en l'espèce, en ayant connaissance des plaintes des demandeurs et des faits sur lesquels les plaintes étaient fondées, c'est de courir le risque de découvrir la fausseté de leur opinion juridique. À mon avis, la personne qui prend un risque délibéré quant à savoir si ce qu'elle fait est fautif en droit, ne peut prétendre plus tard qu'elle ne savait pas, à l'époque, que ce qu'elle faisait était fautif, dans le cas où son acte serait jugé fautif.
[281]Puisque la connaissance pertinente est la connaissance des faits, la perception que le Barreau avait, de bonne foi, de la façon dont la loi s'appliquerait aux faits de l'espèce n'est pas pertinente aux fins de l'application des paragraphes 27(4) et 27(2).
[282]Il me semble que c'est la seule façon dont on puisse raisonnablement interpréter l'exigence de la connaissance. Si la croyance sincère que l'exemption relative à l'utilisation équitable s'applique constituait un moyen de défense valide contre la violation à une étape ultérieure, cela modifierait l'interprétation même de cette exemption. Autrement dit, l'auteur d'une violation ultérieure pourrait échapper à la responsabilité par une croyance sincère que ses actions constituaient une utilisation équitable. Le critère serait de savoir si l'auteur d'une violation ultérieure possédait cette croyance sincère et raisonnable et non si ses actes constituaient ou ne constituaient pas une utilisation équitable. Rien dans la Loi sur le droit d'auteur ne donne ouverture à une interprétation qui permettrait de remplacer l'analyse de l'utilisation équitable par la question de savoir si le défendeur croyait sincèrement et raisonnablement que l'exemption pouvait s'appliquer.
[283]Quoi qu'il en soit, la vraisemblance de la croyance du Barreau en l'application de l'exemption relative à l'utilisation équitable en l'espèce est problématique. Dans l'affaire Moorhouse, précitée, les faits étaient très semblables à ceux dont nous sommes saisis. À la lumière de cette décision où l'on a rejeté l'exemption relative à l'utilisation équitable, il est difficile d'accepter l'allégation d'une croyance de bonne foi qu'il n'y avait pas de violation en raison de cette exemption. Je n'affirme pas ici que l'exemption relative à l'utilisation équitable ne peut pas s'appliquer aux présents faits. Cependant, on doit considérer que le Barreau savait que son recours à l'exemption relative à l'utilisation équitable serait contestable. Au mieux, tout ce que le Barreau pouvait affirmer, au moment où il faisait des copies des oeuvres des éditeurs, c'est que l'application de l'exemption relative à l'utilisation équitable était précaire. Or c'est une base sur laquelle on peut difficilement asseoir une croyance sincère et raisonnable en l'application de l'exemption relative à l'utilisation équitable.
[284]Pour ces motifs, je suis convaincu que le Barreau ne peut invoquer la défense d'absence de connaissance et qu'il avait la connaissance requise pour qu'on puisse conclure à la violation à une étape ultérieure.
Violation à une étape ultérieure -- Vente de copies contrefaites
[285]Comme je l'ai déjà mentionné, la preuve établit que le service de photocopie du Barreau fournissait des copies de documents juridiques à ses clients par télécopieur, par service de messagerie ou par la poste, sur paiement de droits destinés à couvrir les coûts. Le Barreau soutient qu'aucune «vente» n'intervenait, puisque le service de photocopie ne réalisait aucun profit à partir de ces utilisations. Au paragraphe 161 de ses motifs, le juge de première instance a accepté cette argumentation et a conclu qu'aucune «vente» n'avait lieu.
[286]L'existence d'une «vente» ne dépend pas de la réalisation d'un profit. Aucune doctrine ni jurisprudence n'a été citée à l'appui de cette thèse. En termes généraux, les éléments essentiels de la vente sont le transfert de la propriété, d'une part, et le paiement d'une contrepartie sous une forme ou sous une autre, d'autre part. Dans le Blacks Law Dictionary (7e éd.), la «vente» est définie comme suit:
[traduction]
n. 1. Le transfert de la propriété ou d'un titre en échange d'un prix. 2. La convention par laquelle un tel transfert a lieu. Ses quatre éléments sont (1) des parties ayant la capacité de contracter, (2) leur consentement mutuel, (3) une chose pouvant être vendue et (4) un prix payé ou qu'on a promis de payer.
Ces éléments sont présents dans les transactions intervenues entre le Barreau et ses clients. Je ne vois aucun motif évident de donner au mot «vente», dans le contexte du droit d'auteur, un sens différent de son sens général.
[287]À titre subsidiaire, le Barreau soutient que ce que le service de photocopie fournissait était surtout un service de recherche et que le Barreau vendait des services de recherche plutôt que des reproductions des oeuvres des éditeurs. Dans Sale of Goods in Canada, 4e éd. (Scarborough: Carswell, 1995), Fridman dit, à la page 22, qu'il faut prendre en compte l'objet premier d'une transaction pour déterminer si la vente concerne des services ou des biens:
[traduction] [. . .] si l'objet premier du contrat est le transfert de la propriété d'une chose qui, au départ, n'était pas la propriété de l'«acheteur», le contrat concernera la vente de biens, mais si l'objet premier visé par les parties est l'exécution de certains travaux ou la prestation de services, du fait desquels la propriété des biens passera d'une partie à l'autre, le contrat ne concernera pas la vente de biens.
[288]À mon avis, l'argument selon lequel l'objet principal du service de photocopie était la vente d'un service plutôt que celle d'un bien n'est pas étayé par les faits. Rien dans la preuve n'indique que lorsqu'on lui demandait la copie d'une oeuvre, le personnel de la bibliothèque ait entrepris des recherches. Ce qui se passait plutôt, c'est qu'il recevait une demande, repérait les documents pertinents et les remettait au client. La «recherche» juridique n'était pas plus difficile que celle que fait le commerçant qui repère un produit dans son stock. En fait, rien ne prouve que le service de photocopie facturait des services à ses clients s'il était incapable de satisfaire à une demande de copie d'une oeuvre. Par conséquent, l'objet premier pour lequel le client payait était le transfert en sa faveur d'une copie d'une oeuvre des éditeurs, et non le service rendu pour repérer l'oeuvre.
[289]Au paragraphe 120 de ses motifs, le juge Linden, J.C.A., indique que le Barreau ne vend pas de copies des ouvrages juridiques des éditeurs, mais qu'il fournit plutôt un service de courtoisie, qui permet à ses clients d'accéder à la documentation juridique sans avoir à se rendre à la Grande bibliothèque. Je conviens que les activités du service de photocopie font intervenir un élément de courtoisie, mais, à mon avis, le facteur de courtoisie est secondaire par rapport à l'objet premier de la transaction, à savoir la fourniture de photocopies à ses clients par la Grande bibliothèque. En fait, la preuve indique que le client qui passe prendre des photocopies à la Grande bibliothèque paie quand même des frais, malgré l'inconvénient que représente pour lui le fait de se rendre en personne à la Grande bibliothèque. Par conséquent, c'est le transfert au client de la propriété de l'oeuvre reproduite par la Grande bibliothèque qui est l'objet premier de la transaction. À mon avis, les actes qui interviennent dans l'exploitation du service de photocopie équivalent à la «vente» de copies contrefaites.
Violation à une étape ultérieure -- Mise en circulation de copies contrefaites
[290]Les éditeurs allèguent aussi que le Barreau a mis en circulation des copies contrefaites des oeuvres [traduction] «de façon à porter préjudice» aux éditeurs, en violation des alinéas 27(4)b) de la loi antérieure à 1997 et 27(2)b) de la loi actuelle. Le Barreau ne conteste pas que des oeuvres ont été mises en circulation. Il s'agit de savoir si cette mise en circulation était faite [traduction] «de façon à porter préjudice» aux éditeurs. Le juge de première instance a conclu que la distribution en question «port[ait] préjudice» aux éditeurs. Je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans cette conclusion et je ne la changerai pas.
Violation -- Conclusion
[291]En résumé, je conclus que le Barreau savait qu'il utilisait des produits résultant d'une violation initiale du droit d'auteur des éditeurs et qu'une violation ultérieure prima facie a été établie relativement aux actes du Barreau en 1993 et en 1998 relativement à la vente, la distribution et la reproduction des oeuvres visées.
UTILISATION ÉQUITABLE
[292]J'ai lu l'analyse du juge Linden, J.C.A., touchant la question de l'utilisation équitable. Je suis d'accord avec lui sur le fait qu'aucune preuve ni aucun argument n'a été présenté sur les faits relatifs à une activité précise.
[293]L'absence de faits pour étayer l'utilisation équitable rend impossible l'application des principes de droit relatifs à cette exemption. Le rôle traditionnel de la Cour est de résoudre les litiges à partir de la preuve fournie. En omettant ainsi de fournir quelque preuve que ce soit, les parties ont fait en sorte que la Cour ne peut pas remplir son rôle.
[294]Cela dit, la preuve présentée était suffisante pour trancher la question de savoir si la Grande bibliothèque est une bibliothèque pour l'application de l'exemption des bibliothèques prévue à l'article 30.2 de la Loi sur le droit d'auteur. Je souscris au point de vue du juge Linden, J.C.A., selon lequel l'exemption touchant les bibliothèques s'applique à la Grande bibliothèque.
[295]Considérant que l'exemption touchant les bibliothèques s'applique au Barreau et qu'il n'y ait aucun fait relatif aux activités qui ait eu lieu avant l'adoption de cette exemption, je préférerais ne pas exprimer d'avis sur la question générale de l'adoption par les intermédiaires, autres que les bibliothèques, de l'intention des utilisateurs ultimes dans l'analyse de l'exemption relative à l'utilisation équitable.
[296]Sur tous les autres points, je souscris au point de vue général sur l'utilisation équitable que le juge Linden, J.C.A., a exposé dans ses motifs.
MOYENS DE DÉFENSE FONDÉS SUR LA CONSTITUTION, L'ORDRE PUBLIC ET L'EQUITY
[297]Je souscris à la façon dont le juge Linden, J.C.A., a disposé des arguments du Barreau concernant les moyens de défense fondés sur la constitution, l'ordre public et l'equity.
CONCLUSION
[298] 1. Les décisions judiciaires publiées, les sommaires, le résumé, la loi annotée, le manuel et la monographie constituent des oeuvres aux fins du droit d'auteur. |
2. Ces ouvrages juridiques sont originaux au sens de la Loi sur le droit d'auteur, et il existe un droit d'auteur sur ceux-ci. |
3. L'index analytique du [1997] G.S.T.C. constitue une partie importante de ce recueil. Le recueil est original, et il existe un droit d'auteur sur celui-ci. |
4. a) Le Barreau a commis une violation prima facie du droit d'auteur en reproduisant les décisions judiciaires publiées Meyer v. Bright et R. v. C.I.P., les sommaires des décisions Meyer v. Bright et R. v. C.I.P., le résumé, la monographie et une partie importante du recueil [1997] G.S.T.C. |
Publishers' copy-righted material on free-standing photopiers located in the Great Library.
b) Le Barreau a commis une violation initiale prima facie du droit d'auteur en autorisant ses clients à reproduire les ouvrages protégés par le droit d'auteur des éditeurs au moyen des photocopieuses individuelles situées dans la Grande bibliothèque. |
c) Le Barreau a commis une violation prima facie à une étape ultérieure en vendant et mettant en circulation de façon à porter préjudice aux éditeurs, les décisions judiciaires publiées Meyer v. Bright et R. v. C.I.P., les sommaires des décisions Meyer v. Bright et R. v. C.I.P., le résumé, la monographie et une partie importante du recueil [1997] G.S.T.C. |
5. En omettant de présenter une preuve relativement aux faits en ce qui concerne à l'utilisation équitable des oeuvres protégées par le droit d'auteur des éditeurs, le Barreau n'a pas réussi à réfuter la conclusion de violation prima facie. |
6. L'argumentation du Barreau relative aux moyens de défense fondés sur la constitution, l'ordre public et l'equity est rejetée. |
7. Il en résulte que les éditeurs ont réussi à prouver que le Barreau a violé leurs droits d'auteur sur les ouvrages juridiques soumis en preuve devant la Cour. |
RÉPARATIONS
[299]Les éditeurs ne demandent pas de dommages-intérêts. Cependant, ils cherchent à faire déclarer qu'il existe un droit d'auteur sur les ouvrages juridiques déposés en preuve et que le Barreau a violé ces droits d'auteur. Ils veulent aussi une injonction permanente empêchant toute copie, transmission par télécopieur, vente, mise en circulation ou possession non autorisée par le Barreau des oeuvres protégées des éditeurs.
[300]Je souscris à la conclusion du juge Linden, J.C.A., portant que l'appel devrait être accueilli en partie, qu'il devrait être déclaré qu'un droit d'auteur existe sur les décisions judiciaires publiées, les sommaires, le résumé, la monographie et le recueil [1997] G.S.T.C. et que le Barreau a violé le droit d'auteur des éditeurs sur les décisions judiciaires publiées Meyer v. Bright et R. v. C.I.P., les sommaires des décisions Meyer v. Bright et R. v. C.I.P., le résumé, la monographie et le recueil [1997] G.S.T.C.
[301]À tous les autres égards, je rejetterais l'appel. En particulier, je n'accorderais pas l'injonction permanente recherchée, puisque je ne peux dire, en l'absence de preuve, que les ouvrages juridiques des éditeurs qui n'ont pas été déposés peuvent faire l'objet du droit d'auteur et que je ne peux prédire s'il sera jugé que l'exemption relative à l'utilisation équitable s'applique à differentes situations de fait.
[302]Pour les motifs prononcés par le juge Linden, J.C.A., relativement à la politique d'accès à la loi et parce que j'ai conclu que le Barreau a violé le droit d'auteur, je rejetterais l'appel incident.
[303]Je réserverais les questions de la forme de l'ordonnance et des dépens pour qu'il en soit disposé par le juge Linden, J.C.A., comme il l'a proposé.