[2002] 3 C.F. 50
T-16-01
2001 CFPI 1311
Global Enterprises International Inc. (demanderesse)
c.
Les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur les navires Aquarius, Sagran et Admiral Arciszewski, les navires Aquarius, Sagran et Admiral Arciszewski et Gryf Deep Sea Fishing Company (défendeurs)
et
SK Shipping Co. Ltd. et Coltrane Trading Limited (intervenantes)
Répertorié : Global Enterprises International Inc. c. Aquarius (L’) (1re inst.)
Section de première instance, protonotaire Hargrave— Vancouver, 19 et 28 novembre 2001.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Requête en radiation d’un affidavit de reclamation — Syndic de faillite polonais demandant que le produit de la vente de chalutiers abandonnés à Vancouver soit transféré en totalité en Pologne pour former l’actif de faillite de l’ancien propriétaire des chalutiers — L’affidavit précisait bien qu’il s’agissait d’une réclamation en matière de faillite — Il n’y a rien dans l’affidavit qui ferait relever la réclamation de la compétence de la Cour fédérale — Bien que le syndic puisse poursuivre l’action entamée par le failli, toute instance entamée par le syndic doit être introduite devant la cour supérieure de la province en cause — Le syndic ne prétend pas soumettre une créance réelle ou une réclamation autre qu’une réclamation en matière de faillite — En tant que tribunal créé par la loi, la Cour fédérale n’a pas compétence en la matière, car le législateur fédéral ne lui a pas attribué une telle compétence en vertu de la loi — Aucune modification ne serait utile pour le syndic — L’affidavit est radié sans que le syndic soit autorisé à le modifier.
Pratique — Affidavits — Requête en radiation d’un affidavit de réclamation déposé à l’appui d’une demande formulée par un syndic de faillite polonais en vue d’obtenir que le produit de la vente de chalutiers, abandonnés à Vancouver, soit transféré en totalité en Pologne pour former l’actif de faillite de l’ancien propriétaire — Affidavit rédigé sous forme d’acte notarié relatant à la troisième personne une brève déclaration faite par le syndic au notaire — L’auteur de l’affidavit y exprime une opinion, et même des avis juridiques, sans justifier par des écrits les sommes réclamées, sans identifier les créanciers et sans préciser la provenance des renseignements — En règle générale, le tribunal ne devrait pas radier un affidavit d’entrée de cause — L’affidavit ne respecte pas l’art. 80(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), qui exige que les affidavits soient rédigés à la première personne — Il ne respecte pas non plus l’art. 81(1), qui permet à celui qui souscrit un affidavit de faire des déclarations fondées sur ce qu’il croit être les faits, avec motifs à l’appui — Le défaut du syndic de fournir la meilleure preuve a une incidence sur le poids à accorder à l’affidavit — L’absence de preuve documentaire risque d’empêcher la tenue d’un véritable contre-interrogatoire des créanciers — La Cour fédérale a récemment appliqué le principe qu’une irrégularité n’entraîne la radiation d’un affidavit que si le requérant réussit à démontrer qu’elle lui a causé un préjudice — L’affidavit du syndic a si peu de contenu et de poids qu’aucun véritable préjudice ne pourrait être causé — Il n’y a pas lieu de radier l’affidavit en raison de ces seules imperfections, mais l’affidavit est radié, sans autorisation de le modifier, pour défaut de compétence.
Pratique — Actes de procédure — Requête en radiation — Abus de procédure — Requête en radiation d’un affidavit de réclamation déposé à l’appui d’une demande formulée par un syndic de faillite polonais en vue d’obtenir que le produit de la vente de chalutiers, abandonnés à Vancouver, soit transféré en totalité en Pologne pour former l’actif de faillite de l’ancien propriétaire des chalutiers — La présente instance porte sur la détermination de l’ordre de priorité des créanciers relativement au produit de la vente — L’affidavit fait état d’un avis paru dans le registre de Lloyd pour informer l’industrie internationale des transports maritimes que la Cour fédérale agissait illégalement, de l’avis du syndic — Cet avis a empêché la vente des chalutiers — L’avis pourrait constituer un outrage au tribunal, mais il vaut mieux de le considérer comme un abus de procédure, d’autant plus qu’en plus de dénigrer la Cour fédérale, le syndic cherche encore à profiter de la tribune que lui offre la Cour en prétendant qu’il a droit à la totalité du produit de la vente en justice — Le syndic a aussi nui au déroulement efficace et ordonné de l’action en ne donnant pas suite à ses appels — Si l’affidavit n’était pas radié en raison du défaut de compétence de la Cour fédérale en matière de faillite, il le serait pour cause d’abus de procédure.
Droit maritime — Pratique — Requête en radiation d’un affidavit de réclamation déposé à l’appui d’une demande formulée par un syndic de faillite polonais en vue d’obtenir que le produit de la vente de chalutiers, abandonnés à Vancouver, soit transféré en totalité en Pologne pour former l’actif de faillite de l’ancien propriétaire — La présente instance porte sur la détermination de l’ordre de priorité des créanciers relativement au produit de la vente — Seules les créances qui portent sur la chose sont admissibles dans le cadre d’une instance portant sur l’ordre de priorité des créanciers — Le syndic ne prétend pas dans son affidavit que les créances sont des créances réelles ou même qu’elles se rapportent aux chalutiers eux-mêmes — La Cour fédérale a compétence en matière personnelle, en vertu de l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale, de même qu’en matière réelle, aux termes de l’art. 43 — L’action réelle repose sur la responsabilité personnelle du propriétaire — Le propriétaire des chalutiers n’a reçu signification d’aucun acte de procédure et il n’a pas comparu — Il s’agit donc d’une action purement réelle, mais l’affidavit de réclamation du syndic ne comporte aucun aspect réel — La différence entre ce qui semble être une créance personnelle produite au moyen d’un affidavit et la créance réelle qui doit être produite pour pouvoir participer au partage du produit de la vente est une question de fond — Le fait que le syndic puisse faire valoir un droit de créance personnel n’a pas la moindre importance — L’affidavit du syndic, qui ne fait état d’aucune créance réelle, est tout à fait irrégulier.
Il s’agit d’une requête présentée par l’intervenante SK Shipping Co. Ltd., en vue d’obtenir la radiation de l’affidavit de réclamation déposé à l’appui d’une demande formulée par le syndic de faillite polonais (le syndic) de l’ancien propriétaire des chalutiers, qui ont été abandonnés à Vancouver, en vue d’obtenir que le produit de la vente soit transféré en totalité en Pologne pour former l’actif du failli. La présente instance porte sur la détermination de l’ordre de priorité des créanciers relativement au produit de la vente des chalutiers. L’affidavit a été souscrit sous forme d’acte notarié exposant une brève déclaration que le syndic aurait faite devant le notaire et que ce dernier relate à la troisième personne. Le syndic réclamait dix-huit millions de dollars « au nom de la masse des créanciers » et affirmait qu’en conformité avec un avis déjà paru dans le registre de Lloyd et de mises en garde adressées à la Cour fédérale, il serait illicite de procéder au partage du produit de la vente en dehors du cadre de la procédure de faillite. SK Shipping a présenté une requête en radiation de l’affidavit au motif que celui-ci n’était pas rédigé à la première personne, contrairement à ce qu’exige l’article 80 des Règles, qu’il ne se limitait pas aux faits dont le déclarant avait une connaissance personnelle ou à ce que le déclarant croyait être les faits, contrairement à ce qu’exige l’article 81, que la Cour fédérale n’a pas compétence pour se prononcer sur une réclamation en matière de faillite et que, suivant l’article 221 des Règles de la Cour fédérale (1998), l’affidavit n’est pas pertinent, qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire, qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder et que l’affidavit de réclamation et les tactiques utilisées par le syndic constituent un abus de procédure.
Jugement : la requête est accueillie.
En règle générale, le tribunal ne devrait pas radier un affidavit d’entrée de cause. Pour des raisons d’efficacité, il convient de laisser le soin de se prononcer sur un affidavit contesté au juge du fond, qui est mieux placé pour apprécier et évaluer ce type de preuve. Cette règle générale souffre toutefois une exception dans certaines circonstances particulières, notamment lorsque l’affidavit est abusif ou est manifestement dénué de pertinence ou lorsque le tribunal est convaincu que la question de son admissibilité devrait être tranchée dès le début de l’instance, de manière à ce que l’instruction se déroule dans l’ordre ou encore lorsque l’affidavit repose sur des conjectures, des spéculations ou sur une opinion juridique.
Dans l’affidavit contesté, le déclarant exprime une opinion et même des avis juridiques, sans justifier par des écrits les sommes réclamées, sans identifier les créanciers et sans préciser la provenance des renseignements qui peuvent au mieux être qualifiés de ouï-dire indirect. Le syndic réclame au nom de tous les créanciers, ignorant ainsi le fait que plusieurs créanciers, dont un certain nombre de créanciers polonais, ont produit leur propre créance à la Cour fédérale et qu’au moins un groupe d’entre eux— les officiers et membres d’équipage qui revendiquent des privilèges maritimes— semblent n’avoir tenu aucun compte de l’instance polonaise.
L’affidavit du syndic ne respecte ni le paragraphe 80(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), qui exige que les affidavits soient rédigés à la première personne, ni le paragraphe 81(1) des Règles, qui permet au déclarant qui souscrit un affidavit à l’appui d’une requête de faire des déclarations fondées sur ce qu’il croit être les faits, avec motifs à l’appui. Qui plus est, le défaut du syndic de fournir la meilleure preuve, c’est-à-dire son propre affidavit ou celui des créanciers, a une incidence sur le poids à accorder à l’affidavit. Un juge pourrait, malgré l’existence de certains éléments de preuve et opinions juridiques contestables et de quelques propos abusifs attribués au syndic, accorder une relative fiabilité à l’affidavit, mais il n’en demeure pas moins que l’affidavit se verrait accorder peu de poids, d’autant plus que les créances ne sont ni expliquées, ni identifiées.
L’absence de preuve documentaire empêche ceux qui réclament devant la Cour fédérale de connaître l’identité des créanciers que le syndic représente, de savoir si les créances visent les chalutiers, de connaître l’ampleur, s’il en est, du chevauchement entre ceux qui réclament devant la Cour fédérale et les créanciers dans la procédure de faillite et de savoir si les créances dont le syndic poursuit le recouvrement sont valables et régulièrement admissibles. Ceux qui ont présenté une réclamation devant la Cour fédérale risquent fort d’être ainsi privés de la possibilité de procéder à un véritable contre-interrogatoire des créanciers, car il est impossible de savoir qui devrait être interrogé ou même si une personne déterminée devrait subir un interrogatoire. La Cour fédérale a récemment appliqué le principe qu’une irrégularité n’entraîne la radiation d’un affidavit que si le requérant réussit à démontrer qu’elle lui a causé un préjudice. L’essence même des affidavits de réclamation dans le cas d’une procédure de vente d’un navire est d’exposer la nature de la réclamation de manière à ce qu’elle entre dans le cadre établi depuis longtemps de l’ordre de priorité des créances réelles et que la personne qui réclame fasse au besoin l’objet d’un contre-interrogatoire serré. Le fait de se contenter de revendiquer une somme de quelque dix-huit millions de dollars (US), au nom de la masse des créanciers, sans identifier les créanciers en question, sans préciser la nature de leur créance de manière à établir l’ordre de priorité des créances réelles et sans indiquer s’il y a lieu de procéder à un contre-interrogatoire risque fort de causer un préjudice à ceux qui ne réclament que devant la Cour fédérale et cause particulièrement un préjudice aux créanciers réels garantis qui semblent détenir des privilèges et des hypothèques maritimes. Pourtant, l’affidavit du syndic a si peu de contenu et de poids qu’aucun véritable préjudice ne pourrait être causé. Il n’y a pas lieu de radier l’affidavit en raison de ces seules imperfections.
SK Shipping soutenait que seules les créances qui portent sur la chose sont admissibles dans le cadre d’une instance portant sur l’ordre de priorité des créanciers. L’argument que, comme le syndic ne prétend pas que les créances sont des créances réelles ou même qu’elles se rapportent aux chalutiers eux-mêmes, la créance ne devrait pas être admise lors de l’instruction portant sur l’établissement de l’ordre de priorité n’est pas sans fondement. Il y a toutefois d’autres aspects dont il faut tenir compte. La Cour fédérale a compétence en matière personnelle, en vertu de l’article 22 de la Loi sur la Cour fédérale, de même qu’en matière réelle, aux termes de l’article 43 de la même Loi. L’action réelle repose fermement sur la responsabilité personnelle du propriétaire. Pourtant, il semble que le propriétaire des chalutiers n’ait reçu signification d’aucun acte de procédure et qu’il n’ait pas comparu. La différence entre ce qui semble être une créance personnelle produite par le syndic au moyen d’un affidavit et la créance réelle qu’il doit produire pour pouvoir participer au partage du produit de la vente est une question de fond. Le fait que le syndic puisse, en sa qualité de syndic de faillite, faire apparemment valoir un droit de créance personnel, n’a pas la moindre importance. Telle qu’elle est présentée, la réclamation du syndic n’a aucune incidence sur les chalutiers ou le produit de la vente. L’affidavit du syndic, qui ne fait état d’aucune créance réelle, est tout à fait irrégulier et il est radié.
Il ressort à l’évidence de l’affidavit du syndic que sa réclamation est en matière de faillite. Un examen attentif de l’affidavit ne révèle rien qui ferait relever la réclamation de la compétence de la Cour fédérale. Bien que le syndic puisse poursuivre l’action introduite par le failli, toute instance entamée par le syndic doit être introduite devant la cour supérieure de la province en cause. Le syndic ne prétend pas soumettre une créance réelle ou une réclamation autre qu’une réclamation en matière de faillite. En tant que tribunal créé par la loi, la Cour fédérale n’a pas compétence en la matière, car le législateur fédéral ne lui a pas attribué une telle compétence en vertu de la loi. Qui plus est, toute modification qui pourrait être apportée à l’affidavit ne serait d’aucune utilité pour le syndic. L’affidavit est donc radié pour ce motif, sans que le syndic soit autorisé à le modifier.
L’affidavit faisait état d’un avis paru dans le registre de Lloyd, qui informait l’industrie internationale des transports maritimes que la Cour fédérale agissait illégalement, de l’avis du syndic et qu’aucun acte de vente ne pourrait valablement avoir pour effet de supprimer les chalutiers du registre polonais de la navigation s’il n’était pas signé par le syndic. Cet avis a empêché le shérif de vendre les chalutiers. Même si cet avis pourrait être qualifié d’outrage au tribunal pour cause de tentative d’entrave à la justice, il vaut mieux de le considérer comme un abus de procédure, d’autant plus qu’en plus de dénigrer la Cour fédérale, le syndic cherche encore à profiter de la tribune que lui offre la Cour en prétendant qu’il a droit à la totalité du produit de la vente en justice. Mais l’abus ne s’arrête pas là. Pendant toute la durée de la présente instance, le syndic a nui au déroulement efficace et ordonné de l’action. À deux reprises, il a interjeté appel d’ordonnances prononcées par le tribunal sans donner suite à ses appels : dans un cas, les acquéreurs ont dû présenter une requête en vue de faire déclarer l’appel nul et de nul effet. Les agissements du syndic constituent un abus de procédure. Si son affidavit n’avait pas été radié en raison du défaut de compétence de la Cour, il le serait au motif qu’il est abusif dans le contexte des abus généraux de procédure dont le syndic s’est rendu coupable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Convention internationale pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires en mer, Bruxelles, 10 mai 1952.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 22 (mod. par L.C. 1996, ch. 31, art. 82), 43 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 12; 1996, ch. 31, art. 83).
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2), art. 183 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 27, art. 10; L.C. 1998, ch. 30, art. 14; 1999, ch. 3, art. 15; 2001, ch. 4, art. 33), partie XIII (édicté par L.C. 1997, ch. 12, art. 118).
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 49, 50 (mod. par L.C. 1990, ch. 18, art. 90).
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 80(1), 81, 221(1)b),c),d),f), formule 80.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Bande de Sawridge c. Canada, [2000] A.C.F. no 192 (1re inst.) (QL); Governor and Company of the Bank of Scotland c. Nel (Le), [2001] 1 C.F. 408 (2000), 189 F.T.R. 230 (1re inst.); Mecca, City of (1881), 6 P.D. 106 (C.A.); ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Bank of Scotland c. Nel (Le), [1998] A.C.F. no. 1499 (1re inst.) (QL); Kemanord AB c. PPG Industries, Inc. et al. (1980), 49 C.P.R. (2nd) 29 (C.F. 1re inst.); Nissho Iwai Corp. c. Paragon Grand Carriers Corp. (1987), 11 F.T.R. 134 (C.F. 1re inst.); Lumonics Research Limited c. Gould, [1983] 2 C.F. 360 (1983), 33 C.P.C. 230; 70 C.P.R. (2d) 11; 46 N.R. 483 (C.A.); Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659 (1993), 151 N.R. 374 (C.A.); R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915; (1992), 94 D.L.R. (4th) 590; 75 C.C.C. (3d) 257; 15 C.R. (4th) 133; 139 N.R. 323; 55 O.A.C. 321; Ultramar Can. Inc. c. Pierson SS Ltd. (1982), 43 C.B.R. (N.S.) 9 (C.F. 1re inst.); Cerro Colorado, The, [1993] 1 Lloyd’s Rep. 58.
DÉCISIONS CITÉES :
Blamey v. Blamey, [1902] W.N. 138; Re Husband (1865), 12 L.T. 303; Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances) (1998), 159 F.T.R. 24 (C.F. 1re inst.); Gingras c. Service canadien du renseignement de sécurité, (1987), 19 C.P.R. (3d) 283 (C.F. 1re inst.).
REQUÊTE présentée par l’intervenante en vue de faire radier l’affidavit de réclamation déposé à l’appui d’une demande formulée par le syndic de faillite polonais de l’ancien propriétaire de chalutiers qui ont été abandonnés à Vancouver en vue d’obtenir que le produit de la vente soit transféré en totalité en Pologne pour former l’actif du failli. La requête est accueillie au motif que la Cour fédérale n’a pas compétence pour se prononcer sur une réclamation en matière de faillite.
ONT COMPARU :
Pauline Gardikiotis pour la demanderesse.
Christopher J. Giaschi pour l’intervenante SK Shipping Co. Ltd.
William Perrett pour l’opposante Triton Marine Group Inc.
Simon P. Barker pour le créancier Administration portuaire de Vancouver.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Campney & Murphy, Vancouver, pour la demanderesse.
Giaschi & Margolis, Vancouver, pour l’intervenante SK Shipping Co. Ltd.
Faskin Martineau DuMoulin, Vancouver, pour l’intervenante Coltrane Trading Limited.
Oland & Companty, Vancouver, pour le créancier Administration portuaire de Vancouver.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
[1] Le pronotaire Hargrave : L’Aquarius, le Sagran et l’Admiral Arciszewski, qui sont de gros chalutiers-usines (les chalutiers), ont été abandonnés à Vancouver, avec leur équipage respectif, par leur propriétaire, la Gryf Deep Sea Fishing Company. La présente instance porte sur la saisie conservatoire des chalutiers par des créanciers maritimes, la vente des navires en question, le dépôt d’affidavits de réclamation sur le produit de la vente et la détermination de l’ordre de priorité des créanciers relativement au produit de la vente. Comme les trois premières étapes ont déjà été franchies, il ne restera plus qu’à aborder en temps utile la question de l’ordre de priorité des créanciers.
[2] Sur le plan procédural, l’intervenante SK Shipping Co. Ltd. sollicite la radiation de l’affidavit qui a été déposé à l’appui de la demande formulée par le syndic de faillite polonais de l’ancien propriétaire des chalutiers en vue d’obtenir que le produit de la vente soit transféré en totalité en Pologne pour former l’actif du failli, la Gryf Deep Sea Fishing Company. L’affidavit a été souscrit sous forme d’acte notarié dans lequel sont exposées, par personne interposée, les déclarations que le syndic a faites au notaire qui a dressé l’acte en question.
[3] La présente requête concerne également les réclamations qui ont été formulées dans la présente action sous forme d’affidavits de réclamation sur une partie du produit de la vente. En raison de la conjoncture qui existait au moment de la vente, la vente des chalutiers a permis d’obtenir un prix supérieur à leur valeur marchande. Toutefois, les créances réelles apparentes, qui sont présentées par des créanciers garantis— et notamment par le créancier hypothécaire— et qui semblent à première vue valables excèdent de beaucoup le produit de vente disponible. Pour être plus précis, signalons que la valeur totale des chalutiers a été fixée à 2 650 000 $US, que, le marché s’étant raffermi au moment de la vente, la vente des chalutiers a permis de réaliser, avant les dépenses afférentes à la vente, une somme de 4 840 000 $US et que les dépenses afférentes à la vente tournaient autour de 150 000 $US, pour un produit net de 4 690 000 $US. Ceux qui réclament à titre de créanciers garantis, en tenant compte des frais réputés du prévôt et des privilèges ou hypothèques prima facie, et ceux qui possèdent à première vue des droits réels en vertu de la loi, réclament environ 10 170 000 $US, si l’on applique un taux de change approximatif. De ce montant de 10 170 000 $US, plus de 9 500 000 $ sont réclamés par ceux dont les créances seraient garanties par les frais du prévôt ou par des garanties ou des hypothèques maritimes. Il s’ensuit qu’il se peut qu’il ne reste plus rien pour les créanciers qui font valoir des droits réels en vertu de la loi, et encore moins pour ceux qui n’ont que des droits personnels.
ANALYSE
Questions à examiner
[4] La première question à trancher est celle de savoir dans quels cas la Cour fédérale peut radier un affidavit, en l’espèce l’affidavit de réclamation produit à l’appui des réclamations de la masse des créanciers du propriétaire failli. La masse des créanciers est représentée par un syndic. Le mot « syndic » désigne à mon sens simplement la personne chargée de représenter la Gryf Deep Sea Fishing Company et de s’occuper de ses affaires. Bref, le syndic, au sens où ce terme est employé ici, est un fiduciaire plutôt qu’une personne dotée de pouvoirs judiciaires.
[5] Il faut ensuite examiner les moyens invoqués par la SK Shipping Co. Ltd. (la SK Shipping) dans sa requête en radiation de l’affidavit, à savoir :
1. L’affidavit de réclamation du syndic n’est pas rédigé à la première personne, contrairement à ce qu’exige l’article 80 des Règles et il ne se limite pas aux faits dont le déclarant avait une connaissance personnelle ou à ce que le déclarant croyait être les faits, contrairement à ce qu’exige l’article 81;
2. Aucun élément de preuve n’est invoqué à l’appui de l’affidavit de réclamation du syndic, ce qui aura pour effet de retarder l’instruction équitable de la présente action et de causer un préjudice aux autres créanciers;
3. L’affidavit de réclamation du syndic ne fait pas état d’une créance réelle;
4. La Cour fédérale n’a pas compétence pour se prononcer sur une réclamation en matière de faillite;
5. L’affidavit de réclamation et les agissements du syndic constituent un abus de procédure.
La SK Shipping invoque notamment les alinéas 221(1)b), c), d) et f) des Règles [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106]. Plus précisément, elle soutient que l’affidavit n’est pas pertinent, qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire, qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder et que l’affidavit de réclamation et les tactiques utilisées par le syndic constituent un abus de procédure.
Radiation d’affidavits
[6] En règle générale, le tribunal ne devrait pas radier un affidavit d’entrée de cause. Pour des raisons d’efficacité, il convient de laisser le soin de se prononcer sur un affidavit contesté au juge du fond, qui est mieux placé pour apprécier et évaluer ce type de preuve. Cette règle générale souffre toutefois une exception dans certaines circonstances particulières, notamment lorsque l’affidavit est abusif ou est manifestement dénué de pertinence ou lorsque le tribunal est convaincu que la question de son admissibilité devrait être tranchée dès le début de l’instance, de manière à ce que l’instruction se déroule dans l’ordre ou encore lorsque l’affidavit repose sur des conjectures, des spéculations ou sur une opinion juridique. C’est ce que notre Cour a précisé, en s’appuyant sur quelques précédents, dans le jugement Bank of Scotland c. Nel (Le), décision rendue le 19 octobre 1998 dans l’action T-2416-97 [[1998] A.C.F. no 1499 (1re inst.) (QL)], au paragraphe 3 :
La présente instance, qui porte sur la détermination de l’ordre de priorité des créances in rem dans le cadre d’une requête sur le fondement d’affidavits, constitue une procédure sommaire. Pour garantir l’efficacité de ce type de procédure, on ne devrait pas, en règle générale, permettre aux parties de radier réciproquement leurs affidavits. Cette règle générale comporte une exception dans le cas où un affidavit est abusif ou est manifestement dénué de pertinence, ou encore lorsqu’une partie a obtenu l’autorisation d’admettre un élément de preuve qui s’avère de toute évidence inadmissible, ou encore lorsque le tribunal est convaincu que la question de l’admissibilité devrait être tranchée dès le départ de manière à ce que l’éventuelle audience se déroule dans l’ordre : voir, par exemple, les jugements Home Juice Company v. Orange Maison Ltd., [1968] 1 R.C. de l’Éch. 163, à la page 166 (le président Jackett) et Unitel Communications Co. c. MCI Communications Corporation (1997), 119 F.T.R. 142. Dans ce dernier jugement, le juge Richard a fait remarquer que le juge de première instance est mieux placé pour apprécier la valeur et l’admissibilité de ce genre d’affidavit (aux pages 143 et 145). Bien sûr, les conjectures, les spéculations et les opinions juridiques n’ont pas leur place dans un affidavit […]
Pour ces motifs et compte tenu de la règle 221, la SK Shipping doit me convaincre que l’affidavit du syndic est abusif ou est manifestement dénué de pertinence, en ce sens qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est vexatoire, ou qu’il constitue un abus de procédure, parce qu’il risque de nuire à la détermination équitable et ordonnée de l’ordre de priorité des créanciers ou de la retarder ou encore qu’il renferme des éléments qui n’ont pas leur place dans un affidavit. C’est à la SK Shipping qu’il incombe de démontrer qu’il est clair, évident et incontestable que le syndic n’a droit à aucune partie du produit de la vente. Il s’agit là d’un lourd fardeau.
L’affidavit
[7] Une grande partie de l’affidavit du 9 juillet 2001, qui a été rédigé sous forme d’acte notarié, est consacrée à l’accomplissement de certaines formalités et plus particulièrement à l’identification du syndic, Me Kucharuk, et au mémoire des honoraires du notaire. Le seul élément de fond qu’on y trouve est une brève déclaration que le syndic aurait faite devant le notaire et que ce dernier relate à la troisième personne :
[traduction]
1. Me Michal Kucharuk, avocat, déclare, en sa qualité de syndic de la faillite de la Deep Sea Fishing Company (GRYF), une entreprise publique de Szczecin, que, conformément à la loi polonaise sur les faillites, il agit comme représentant légal de la masse des créanciers et qu’il est chargé de liquider les biens du failli. Ainsi, le produit de la vente de tout élément de l’actif du failli doit être rapporté à la masse de la faillite.
Il affirme qu’il a produit, au nom de la masse des créanciers, une créance de 75.346.746,50 PLZ (soixante-quinze millions trois cent quarante-six mille sept cent quarante-six zlotys polonais et cinquante) qui équivaut—selon le taux de change de la Banque nationale de Pologne en vigueur le 6 juillet 2001— à la somme de 18.416.783,95 $US (dix huit millions quatre cent seize mille sept cent quatre-vingt-trois et quatre-vingt-quinze cents) et il présente une requête en vue d’obtenir que toutes les sommes payées par ceux qui ont offert d’acheter les navires M/t « AQUARIUS », M/t « ADMIRAL ARCISZEWSKI », M/t « SAGRAN », qui ont fait l’objet d’une saisie-arrêt au port de NORTH VANCOUVER, soient déposées dans le compte de banque suivant : Portis Bank Polska S.A. O/Szczecin, compte no 16001260-4090-270238-021. Il affirme qu’en conformité avec un avis déjà paru dans le « registre de Lloyd » et de mises en garde adressées à la Cour fédérale, à Vancouver, ainsi qu’au shérif par intérim désigné par la Cour, il serait illicite de la part de Me Kucharuk de procéder au partage des sommes susmentionnées en dehors du cadre de la procédure de faillite.
[8] Ainsi que je l’ai déjà précisé, l’affidavit est rédigé à la troisième personne. Il constitue cependant aussi une simple affirmation du syndic, qui exprime son opinion et même des avis juridiques, sans justifier par des écrits les sommes réclamées, sans identifier les créanciers et sans préciser la provenance des renseignements qui peuvent au mieux être qualifiés de ouï-dire indirect. Fait important à signaler, le syndic réclame au nom de tous les créanciers, ignorant ainsi selon toute vraisemblance le fait que plusieurs créanciers, dont un certain nombre de créanciers polonais, ont produit leur propre créance à la Cour fédérale et qu’au moins un groupe d’entre eux— les officiers et membres d’équipage qui revendiquent des privilèges maritimes—semblent n’avoir tenu aucun compte de l’instance polonaise.
[9] Je passe maintenant aux moyens invoqués par la SK Shipping au soutien de sa requête. Il est malheureux que les pièces que le syndic a fait parvenir à la Cour et aux parties par télécopieur ne soient pas pertinentes, étant donné qu’elles ne répondent pas aux points soulevés dans le dossier de requête de la SK Shipping et que le syndic, qui a recouru aux services de deux ou trois avocats ici au Canada, n’a pas jugé à propos de désigner un avocat ou du moins de consulter un professionnel, puisqu’ainsi que le juge Rouleau l’a laissé entendre dans sa décision du 18 octobre 2001, le syndic risque de se retrouver sans qualité pour agir devant la Cour et, ainsi que je l’ai jugé, sans réclamation.
Forme de l’affidavit
[10] Sous cette rubrique, je vais me demander s’il y a lieu d’admettre l’affidavit, qui est rédigé à la troisième personne et qui ne relate pas de faits dont le déclarant a une connaissance personnelle et ne contient pas de déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits et qui ne repose d’ailleurs sur aucun élément de preuve. Je vais également me pencher sur la question de savoir, si à cause de ces lacunes, l’affidavit retardera l’instruction équitable de l’action et nuira aux autres créanciers qui ont pris la peine de produire, sous une forme plus conventionnelle, des affidavits qui renferment les éléments de preuve nécessaires.
[11] Les dispositions des Règles sur lesquelles se fonde l’avocat de la SK Shipping sont les paragraphes 80(1) et 81(1). Je crois toutefois que le paragraphe 81(2) entre également en jeu :
80. (1) Les affidavits sont rédigés à la première personne et sont établis selon la formule 80.
[…]
81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.
(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.
La formule 80 dont il est question est le modèle général d’affidavit qui est proposé à la suite des Règles de la Cour fédérale (1998) elles-mêmes.
[12] En l’espèce, un des problèmes réside dans le fait qu’en Pologne, les affidavits ne sont vraisemblablement pas rédigés à la première personne, mais qu’ils sont plutôt faits sous forme d’actes notariés dans lesquels le notaire relate ce qu’on lui a dit et en certifie lui-même l’authenticité. Il existe une jurisprudence plus ancienne dans laquelle les tribunaux anglais acceptaient les affidavits rédigés à la troisième personne, lorsque c’était la coutume dans le pays d’origine et jugeaient déraisonnable le fait de refuser un affidavit et d’exiger que son auteur en souscrive un autre (voir, par exemple, les décisions Blamey v. Blamey, [1902] W.N. 138 et Re Husband (1865), 12 L.T. 303). Cette façon de procéder désavantage incontestablement la partie adverse, puisqu’elle ne peut alors contre-interroger aucune personne ayant eu véritablement connaissance des faits. Le syndic a fait valoir, au cours de l’instance, qu’il n’était pas possible, en Pologne, de souscrire un affidavit autrement que sous forme d’acte notarié. Dans le jugement Kemanord AB c. PPG Industries Inc. et al. (1980), 49 C.P.R. (2nd) 29 (C.F. 1re inst.), le juge Cattanach suggère une méthode simple et logique pour faire signer un affidavit à l’extérieur du Canada. Il est en effet possible, par le jeu d’une combinaison de règles, d’autoriser un notaire public étranger à recevoir un tel affidavit. Cette façon de faire permet d’éviter de se mettre à la recherche d’un agent diplomatique ou d’un représentant consulaire ou d’un autre fonctionnaire canadien compétent comme le précisent les articles 49 et 50 [mod. par L.C. 1990, ch. 18, art. 90] de la Loi sur la preuve au Canada [L.R.C. (1985), ch. C-5].
[13] Le paragraphe 80(1) des Règles précise bien que les affidavits doivent être rédigés à la première personne. Or, l’affidavit du syndic ne respecte de toute évidence pas cette règle. Dans le jugement Nissho Iwai Corp. c. Paragon Grand Carriers Corp. (1987), 11 F.T.R. 134 (C.F. 1re inst.), à la page 139, le juge Collier examinait un affidavit qui n’avait pas été rédigé à la première personne. Il a souligné que le contre-interrogatoire de l’auteur de cet affidavit aurait probablement été relativement inutile et qu’à son avis, il aurait affaibli la valeur à accorder à la preuve par affidavit.
[14] L’affidavit du syndic ne respecte par ailleurs manifestement pas non plus le paragraphe 81(1) des Règles, qui permet au déclarant qui souscrit un affidavit à l’appui d’une requête de faire des déclarations fondées sur ce qu’il croit être les faits, avec motifs à l’appui. Qui plus est, le défaut du syndic de fournir la meilleure preuve, c’est-à-dire son propre affidavit ou celui des créanciers, a une incidence sur le poids à accorder à l’affidavit (voir, par exemple l’arrêt Lumonics Research Limited c. Gould, [1983] 2 C.F. 360 (C.A.)). Dans l’arrêt Lumonics, le juge Pratte a refusé de déclarer inadmissible un affidavit qui reposait sur des renseignements plutôt ténus que le déclarant tenait pour véridiques. Il a plutôt estimé que cet affidavit serait susceptible d’avoir peu ou pas de poids ou de valeur probante. Cette façon de voir s’accorde avec l’arrêt Éthier c. Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 C.F. 659 (C.A.), dans lequel le juge Hugessen a signalé, en se fondant sur l’arrêt R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915 de la Cour suprême du Canada, que l’ancienne conception de l’admission de la preuve par ouï-dire, qui était fondée sur des catégories d’exceptions, avait été remplacée par une théorie de l’admission de la preuve par ouï-dire fondée sur des principes, dont les principaux sont la fiabilité de la preuve et sa nécessité (à la page 933 de l’arrêt Smith). Dans l’arrêt Smith, la Cour suprême du Canada a poursuivi en précisant que, lorsque les critères de nécessité et de fiabilité sont respectés, l’absence de vérification par contre-interrogatoire touche à la valeur probante et non à l’admissibilité (à la page 935). En l’espèce, il semble qu’un juge pourrait, malgré l’existence de certains éléments de preuve et opinions juridiques contestables et de quelques propos abusifs, accorder une relative fiabilité à l’affidavit. Il serait beaucoup plus difficile de satisfaire au critère de nécessité. Il n’en demeure pas moins que l’affidavit se verrait accorder peu de poids, d’autant plus que les créances ne sont ni expliquées, ni identifiées, ni documentées au moyen de pièces à l’appui. D’ailleurs, si l’affidavit était admis en preuve, il donnerait de toute évidence lieu aux conclusions défavorables dont il est question au paragraphe 81(2) des Règles en raison de son caractère dérivé. Cet aspect commande toutefois un examen plus poussé.
[15] Il est étonnant qu’aucune preuve documentaire n’ait été produite à l’appui de la créance produite par le syndic à l’égard du produit de la vente, car ceux qui réclament devant la Cour fédérale sont ainsi empêchés de connaître l’identité des créanciers que le syndic est censé représenter ou de savoir si les créances visent les chalutiers, l’ampleur, s’il en est, du chevauchement entre ceux qui réclament devant la Cour fédérale et les créanciers dans la procédure de faillite et de savoir si les créances dont le syndic poursuit le recouvrement sont valables et régulièrement admissibles.
[16] Il s’ensuit également que ceux qui ont présenté une réclamation devant la Cour fédérale seraient de ce fait privés de la possibilité de procéder à un véritable contre-interrogatoire des créanciers, car il est impossible de savoir qui devrait être interrogé ou même si une personne déterminée devrait subir un interrogatoire. Le principe qui a récemment été appliqué par la Cour fédérale est qu’une irrégularité n’entraîne la radiation d’un affidavit que si le requérant réussit à démontrer qu’elle lui a causé un préjudice (voir, par exemple, le jugement Bande de Sawridge c. Canada, motifs rendus le 10 février 2000 par le juge Hugessen dans les dossiers nos T-66-86A et T-66-86B [[2000] A.C.F. no 192 (1re inst.) (QL)]). Dans l’affaire Sawridge, l’affidavit en litige était manifestement irrégulier, mais il était racheté par le fait que la presque totalité des irrégularités dont l’affidavit était entaché constituaient des arguments bien fondés. Le juge Hugessen a fait remarquer ce qui suit (au paragraphe 6) :
[…] je ne suis pas convaincu que cet affidavit doit être radié. Selon moi, dans une procédure moderne saine, les irrégularités dans les actes de procédure ne doivent pas faire l’objet d’une requête et ne doivent pas commander que la Cour prononce des ordonnances radiant ou corrigeant de telles irrégularités à moins que la partie qui soulève l’irrégularité puisse démontrer qu’elle lui cause un préjudice quelconque.
En l’espèce, l’essence même des affidavits de réclamation dans le cas d’une procédure de vente d’un navire est d’exposer la nature de la réclamation de manière à ce qu’elle entre dans le cadre établi depuis longtemps de l’ordre de priorité des créances réelles et que la personne qui réclame fasse au besoin l’objet d’un contre-interrogatoire serré. Le fait de se contenter de revendiquer une somme de quelque dix-huit millions de dollars (US), « au nom de la masse des créanciers », sans identifier les créanciers en question, sans préciser la nature de leur créance de manière à établir l’ordre de priorité des créances réelles et sans indiquer s’il y a lieu de procéder à un contre-interrogatoire risque fort de causer un préjudice à ceux qui ne réclament que devant la Cour fédérale et cause particulièrement un préjudice aux créanciers réels garantis qui semblent détenir des privilèges et des hypothèques maritimes. Pourtant, l’affidavit du syndic a si peu de contenu et de poids que je ne vois pas comment, dans le cas qui nous occupe, il serait possible de conclure à l’existence d’un véritable préjudice comme celui dont il était question dans le jugement Sawridge.
[17] En résumé, bien que l’affidavit soit entaché de nombreuses irrégularités et qu’il renferme beaucoup de lacunes, aucun préjudice véritable n’est causé et il n’y a pas lieu de radier un affidavit qui a si peu de poids en raison de ces seules imperfections.
Créances autres que les créances réelles
[18] L’avocat de la SK Shipping soutient que seules les créances qui portent sur la chose sont admissibles dans le cadre d’une instance portant sur l’ordre de priorité des créanciers. Dans le cas qui nous occupe, l’avocat cite l’ordonnance qui a été prononcée dans la présente action le 24 avril 2001 et par laquelle la Cour a ordonné aux créanciers réels et aux créanciers hypothécaires de produire leurs créances sous forme d’affidavits. À titre anecdotique, l’avocat fait par ailleurs observer que, dans l’affaire Governor and Company of the Bank of Scotland c. Nel (Le), [2001] 1 C.F. 408 (1re inst.), aux pages 461 et 462, le titulaire d’une créance personnelle n’avait pas réussi à se faire payer.
[19] L’argument que, comme le syndic ne prétend pas que les créances sont des créances réelles ou même qu’elles se rapportent aux chalutiers eux-mêmes, la créance ne devrait pas être admise lors de l’instruction portant sur l’établissement de l’ordre de priorité n’est pas sans fondement. Il y a toutefois d’autres aspects dont il faut tenir compte. Je tiens ici à souligner que la Cour fédérale a compétence en matière personnelle, en vertu de l’article 22 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1996, ch. 31, art. 82)], de même qu’en matière réelle, aux termes de l’article 43 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 12; 1996, ch. 31, art. 83] de la même Loi. Dans l’affaire Le Nel (précitée), il ne restait plus, après le paiement du solde du produit de la vente au créancier hypothécaire, de fonds excédentaire qui aurait pu servir à désintéresser les créanciers qui ne pouvaient faire valoir que des droits réels en vertu de la loi. Toutefois, si ces créanciers avaient été désintéressés et si le propriétaire du navire avait comparu in personam, le solde aurait pu être revendiqué par les créanciers qui ne possédaient que des créances personnelles.
[20] Il faut également tenir compte des rapports qui existent au Canada entre une action personnelle et une action réelle et du fait que cette dernière repose fermement sur la responsabilité personnelle du propriétaire. Pourtant, dans la présente instance, il semble que le propriétaire des chalutiers n’ait reçu signification d’aucun acte de procédure et qu’il n’ait pas comparu et ce, avec raison. Il ne subsiste donc qu’une action réelle, mais l’affidavit de réclamation du syndic ne comporte aucun aspect réel. Il ne s’agit pas là d’un simple problème de procédure, car la différence entre ce qui semble être une créance personnelle produite par le syndic au moyen d’un affidavit et la créance réelle qu’il doit produire pour pouvoir participer au partage du produit de la vente est une question de fond (voir, par exemple, l’arrêt Mecca, City of (1881), 6 P.D. 106 (C.A.)).
[21] L’affaire City of Mecca fait ressortir l’importance d’établir une distinction entre les actions réelles et les actions personnelles. Dans cette affaire, les demandeurs avaient obtenu à Lisbonne un jugement personnel contre le capitaine et les propriétaires du navire et ils cherchaient à faire exécuter ce jugement à Londres à titre de jugement réel. La Cour d’appel a déclaré irrecevable l’instance introduite en Angleterre en soulignant qu’il importe que celui qui introduit une instance établisse une nette distinction entre un droit d’action réel et un droit d’action personnel. Après avoir fait observer que l’instance visant à vendre le navire en Angleterre avait un fondement personnel, le maître des rôles Jessel s’est demandé sur quoi pouvait bien porter le débat (à la page 112), mais a poursuivi en signalant que l’instance et le jugement personnels portugais n’avaient aucune incidence sur le navire. Le juge Lush, qui faisait également partie de la formation de jugement, a rédigé des motifs dont certains passages sont parfois cités. Il a fait remarquer qu’il est très important que toute instance portant sur la vente d’un navire indique, à priori, non seulement les motifs justifiant la créance et la vente, mais qu’elle précise également qu’il ne s’agit pas simplement d’une réclamation personnelle contre les propriétaires du navire. Il vaut la peine de reproduire l’extrait suivant de ses motifs, que l’on trouve à la page 116 :
[traduction] Le droit des nations prévoit que les tribunaux d’amirauté de divers pays ont le pouvoir de saisir des navires et d’en ordonner la vente pour faire droit à la réclamation du titulaire d’un privilège maritime. Les privilèges maritimes sont reconnus par tous les pays civilisés et les dommages d’abordage sont classés parmi les faits qui donnent lieu à la création d’un privilège maritime. Si le présent jugement avait été un jugement réel, c’est-à-dire un jugement portant saisie du navire et ordonnant qu’il soit vendu pour désintéresser le titulaire du privilège maritime, ce jugement aurait été reconnu dans notre pays et dans tout autre pays civilisé. Mais il importe surtout que l’instance dans le cadre de laquelle la vente d’un autre navire est effectuée indique à priori les raisons pour lesquelles son propriétaire doit en être dépossédé et ce, parce que le titre de propriété de l’acheteur est reconnu par tous les pays et que la validité de son titre de propriété dépend des circonstances entourant la conclusion de la vente. Il importe donc que le jugement indique à première vue que l’instance introduite contre le navire ne vise pas exclusivement les propriétaires ou le capitaine, mais qu’elle a pour objet final la vente du navire et le prononcé d’un jugement en ordonnant la vente. Si l’instance ne comporte pas à première vue ces éléments, le titre de l’acheteur ne repose sur aucun fondement. Le fait que l’instance doive indiquer, à première vue, l’existence d’un jugement justifiant la vente du navire ne constitue pas une simple question de forme, mais bien une question de fond.
[22] En l’espèce, il n’y a rien, au vu de l’affidavit de réclamation du syndic, qui indique l’existence d’un aspect réel ou d’un lien avec les navires. Comme le fait remarquer le juge Lush, il ne s’agit pas là d’un simple problème d’ordre procédural. Le fait que le syndic puisse, en sa qualité de syndic de faillite, faire apparemment valoir un droit de créance personnel, n’a pas la moindre importance. Telle qu’elle est présentée, la réclamation du syndic n’a aucune incidence sur les chalutiers ou le produit de la vente.
[23] Il est intéressant de citer ici l’affaire Ultramar Can. Inc. c. Pierson SS Ltd. (1982), 43 C.B.R. (N.S.) 9 (C.F. 1re inst.), une action réelle et personnelle au cours de laquelle les propriétaires canadiens défendeurs avaient fait faillite. Les déclarations semblaient faire état de droits d’action réels raisonnables relevant de la compétence de la Cour fédérale. Le syndic de faillite a présenté une requête en vue de faire annuler les diverses déclarations et mandats de saisie conservatoire en vue de faire ordonner la mainlevée de la saisie et d’obtenir la possession des navires. Le juge Mahoney s’est dit disposé à prononcer la mainlevée de la saisie des navires, mais uniquement à la condition que le syndic consigne au tribunal une somme d’argent déterminée pour garantir le remboursement intégral des créances garanties par des privilèges maritimes sur les navires en question.
[24] Le jugement Ultramar ne saurait à mon avis être interprété comme autorisant le syndic de faillite à participer à une action réelle, mais simplement comme lui permettant, au même titre que tout propriétaire, de fournir un cautionnement pour obtenir la mainlevée de la saisie d’un navire.
[25] Le fait que, dans l’affaire Ultramar, le syndic de faillite ait ensuite poursuivi ses démarches en saisissant le tribunal de la faillite d’une action n’a pas d’incidence directe sur le cas qui nous occupe, sauf que, comme le produit de la vente était supérieur au montant des réclamations des créanciers privilégiés ou hypothécaires, le syndic aurait dû s’adresser à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, qui était le tribunal compétent en matière de faillite, selon la partie XIII [édicté par L.C. 1997, ch. 12, art. 118] de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité [L.R.C. (1985), ch. B-3 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2)], modifiée.
[26] L’affidavit du syndic, qui ne fait état d’aucune créance réelle, est tout à fait irrégulier. Il est loisible à la Cour, suivant l’arrêt Governor and Company of the Bank of Scotland c. Nel (Le) (précité), de radier cet affidavit. Il convient par ailleurs de signaler que la réclamation du syndic est une réclamation en matière de faillite, un aspect que je vais maintenant aborder.
Absence de compétence pour recevoir l’affidavit
[27] Il ressort à l’évidence de l’affidavit du syndic que sa réclamation est en matière de faillite. Un examen attentif de l’affidavit ne révèle rien qui ferait relever la réclamation de la compétence de la Cour fédérale. Bien que le syndic puisse poursuivre l’action introduite par le failli (voir la règle 116 et le paragraphe 237(5)), toute instance entamée par le syndic doit être introduite devant la cour supérieure de la province en cause (voir l’article 183 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, chapitre B-3 des L.R.C. (1985), modifiée [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 27, art. 10; L.C. 1998, ch. 30, art. 14; 1999, ch. 3, art. 15; 2001, ch. 4, art. 33]).
[28] Ainsi que je l’ai déjà dit, le syndic ne prétend pas soumettre une créance réelle ou une réclamation autre qu’une réclamation en matière de faillite. Puisqu’il en est ainsi, la Cour fédérale n’a pas compétence, en tant que tribunal créé par la loi et en raison de l’arrêt ITO— International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 766, car le législateur fédéral ne lui a pas attribué une telle compétence en vertu de la loi. Qui plus est, toute modification qui pourrait être apportée à l’affidavit ne serait d’aucune utilité pour le syndic. L’affidavit est donc radié pour ce motif, sans que le syndic soit autorisé à le modifier. En admettant cet affidavit et en permettant qu’il soit utilisé jusqu’à la tenue de l’audience lors de laquelle l’ordre de priorité des créanciers sera établi reviendrait à permettre à une réclamation qui est de toute évidence totalement dépourvue de pertinence de perpétuer un abus de procédure et à abuser aussi de tous les créanciers de bonne foi qui se sont adressés à la Cour fédérale.
[29] Cette issue ne devait pas étonner le syndic, car le juge Rouleau a écrit ce qui suit, dans son ordonnance du 18 octobre 2001 :
[traduction] Il ressort à l’évidence de la correspondance échangée entre les avocats et le syndic que celui-ci n’a pas suivi le conseil de son avocat en ne soumettant pas à la Cour suprême de la Colombie-Britannique une requête visant à faire reconnaître le syndic comme représentant étranger aux fins de la procédure de faillite polonaise. Compte tenu de ce défaut, bien qu’il ait tenté de participer à la présente instance, le syndic ne peut être considéré comme un défendeur en l’espèce et risque même de se retrouver sans qualité pour agir devant la Cour.
L’affidavit en tant qu’abus de procédure
[30] Indépendamment du fait que l’auteur de l’affidavit est l’auteur d’une réclamation en matière de faillite et qu’il doit être radié parce qu’il échappe à la compétence de la Cour fédérale, je tiens quand même à examiner le dernier moyen qui a été invoqué, celui de l’abus de procédure, de manière à ce que le syndic soit mis au courant de tout ce qui s’est passé lors de l’audition de la requête en radiation de l’affidavit.
[31] L’avocat de la SK Shipping soutient que tant l’affidavit que les agissements du syndic constituent un abus de procédure et que cet abus justifie la radiation de l’affidavit. Pour trancher cette question, je me fonde sur l’arrêt Le Nel (précité) pour justifier la radiation d’un affidavit qui est abusif ou qui renferme des conjectures, des spéculations ou des opinions juridiques.
[32] En matière de radiation d’affidavits qui constituent un abus de procédure, je suis particulièrement conscient du fait que je dois exercer mon pouvoir avec parcimonie (voir, par exemple, le jugement Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances) (1998), 159 F.T.R 24 (C.F. 1re inst.), à la page 34). Compte tenu de ce principe, je suis disposé à radier les parties de l’affidavit qui peuvent aisément être dissociées du reste de l’affidavit, comme c’était le cas dans l’affaire Sierra Club, à la page 35. Je ne suis cependant pas prêt à aller jusqu’à retrancher des bouts de phrases, comme le juge Teitelbaum l’a précisé dans le jugement Gingras c. Service canadien du renseignement de sécurité (1987), 19 C.P.R. (3d) 283 (C.F. 1re inst.), à la page 287.
[33] Le premier paragraphe de l’article premier de l’acte notarié, qui forme une seule phrase, constitue une opinion juridique et de la conjecture. Il est donc radié.
[34] Dans la première phrase du deuxième paragraphe de l’article premier, où est réclamée la somme de dix-huit millions de dollars, le syndic prétend agir au nom de la masse des créanciers. Il s’agit au mieux d’une proposition douteuse, mais qui peut malgré tout être conservée.
[35] Pour ce qui est du reste du texte de l’acte notarié, à la dernière phrase du deuxième paragraphe, le syndic affirme, par le truchement de son notaire, que les agissements de la Cour fédérale et du shérif adjoint désigné par la Cour sont illicites. Le syndic mentionne ensuite l’avis du 12 juin 2001 paru dans le registre de Lloyd. Cet avis, qui a été publié longtemps après que le syndic et l’avocat qui le représentait alors soient intervenus directement dans la présente instance pour réclamer une réparation, a empêché le shérif de vendre les chalutiers, car cet avis informait l’industrie internationale des transports maritimes que la Cour fédérale agissait illégalement, de l’avis du syndic et qu’aucun acte de vente ne pourrait valablement avoir pour effet de supprimer les chalutiers du registre polonais de la navigation s’il n’était pas signé par le syndic. L’avocat du syndic a alors été informé de la décision rendu par le juge Sheen dans l’affaire Cerro Colorado, The, [1993] 1 Lloyd’s Rep. 58. Dans ce jugement daté du 13 avril 1992, le tribunal avait ordonné que le Cerro Colorado soit évalué et vendu par le prévôt d’amirauté et avait enjoint à ce dernier de s’occuper également de la sécurité du navire et du rapatriement du capitaine et de l’équipage.
[36] Le 10 juin 1992, des syndicats étrangers se sont opposés à la vente en justice du Cerro Colorado au moyen d’un avis publié en juin 1992 dans le registre de Lloyd. Cet avis équivalait en fait à un avertissement suivant lequel la créance des syndiqués subsisterait malgré la vente ordonnée par la Cour du Banc de la Reine. Par la suite, un tribunal étranger a rendu une ordonnance qui, selon toute vraisemblance, était une ordonnance personnelle, et divers fonctionnaires et conseillers d’ambassade sont intervenus. Le juge Sheen s’est dit contrarié, d’autant plus que la réclamation des syndicats visait une indemnité de licenciement, qui ne peut faire l’objet d’un privilège maritime. Il a poursuivi en soulignant qu’une vente ordonnée par un tribunal conférait à l’acquéreur un titre franc et quitte de toute charge et privilège, un titre opposable aux tiers qui est reconnu partout dans le monde, un concept qui avait déjà été exposé dans la jurisprudence anglaise mais qui faisait maintenant partie de la Convention sur la saisie conservatoire des navires de mer [Convention internationale pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, Bruxelles, 10 mai 1952].
[37] Dans le jugement Cerro Colorado, le juge Sheen a ensuite abordé le sujet de l’outrage au tribunal. Il a conclu qu’il n’y avait aucun doute que l’avis paru dans le registre de Lloyd de même qu’un article subséquent renfermant des commentaires sur cet avis pouvaient être qualifiés d’outrage au tribunal pour cause de tentative d’entrave à la justice. Il a poursuivi en disant qu’aucune mesure ne serait prise au sujet de l’avis ou de l’article en question, mais que toute récidive serait considérée comme un grave outrage au tribunal.
[38] En l’espèce, il vaut mieux pour tous les intéressés, pour gagner du temps et de l’argent, de se contenter de considérer l’avis donné par le syndic dans le registre de Lloyd comme un abus de procédure et non comme un outrage au tribunal, d’autant plus qu’en plus de dénigrer la Cour fédérale par une déclaration destinée à l’ensemble de la collectivité maritime internationale, le syndic cherche encore à profiter de la tribune que lui offre la Cour fédérale en prétendant qu’il a droit à la totalité du produit de la vente en justice. Je ne crois cependant pas que l’abus s’arrête là.
[39] Pendant toute la durée de la présente instance, le syndic a nui au déroulement efficace et ordonné de l’action. À deux reprises, le syndic a interjeté appel d’ordonnances prononcées par le tribunal sans donner suite à ses appels. Dans un cas, l’appel et les allégations articulées dans les actes de procédure ont eu pour effet de faire planer des doutes au sujet de la plénitude du droit de propriété des acquéreurs des chalutiers. Cet appel était particulièrement insidieux, étant donné qu’il a été signifié aux parties à l’instance et a été porté à l’attention du public en général, mais qu’aucune pièce n’a jamais été versée au dossier et que le syndic n’y a pas donné suite, forçant ainsi les acquéreurs à présenter une requête en vue de faire déclarer le soi-disant appel nul et de nul effet.
[40] Les agissements du syndic constituent un abus de procédure. Si je n’avais pas radié son affidavit en raison du défaut de compétence de la Cour fédérale en matière de faillite, je le ferais au motif qu’il est abusif dans le contexte des abus généraux de procédure dont le syndic s’est rendu coupable en l’espèce.
DISPOSITIF
[41] L’acte notarié du 9 juillet 2001 que j’ai désigné sous le nom d’affidavit en l’espèce est radié au motif que la Cour n’a pas compétence en matière de faillite. Toute modification qui pourrait être apportée à cet affidavit ne serait d’aucune utilité et la radiation de l’affidavit est donc ordonnée sans autorisation de modification.
[42] L’intervenante, la SK Shipping, la demanderesse et Triton Marine Group Inc., un créancier, qui ont participé activement à la présente requête ont droit à leurs dépens, selon les modalités précisées dans l’ordonnance du 19 novembre 2001.
[43] Je tiens à remercier les avocats pour l’excellent travail qu’ils ont accompli en exposant leur thèse devant le tribunal et en tâchant de m’expliquer la teneur des pièces déposées par le syndic qui peuvent être qualifiées de documents pour le moins nébuleux.