[1994] 2 C.F. 3
T-306-93
Le lieutenant de vaisseau Andrew S. Liebmann, Forces canadiennes (Réserve) (demandeur)
c.
Le ministre de la Défense nationale et le chef d’état-major de la Défense (défendeurs)
Répertorié : Liebmann c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1re inst.)
Section de première instance, juge Reed—Vancouver, 8 septembre; Ottawa, 8 octobre 1993.
Couronne — Pratique — Parties — Requête visant à modifier l’intitulé de la cause pour remplacer le ministre de la Défense nationale et le chef d’état-major de la Défense par Sa Majesté la Reine ou le procureur général du Canada — Il n’est pas requis d’intenter une action uniquement contre la Couronne ou le procureur général — Aucune disposition n’interdit d’intenter une action contre des ministres ou des hauts fonctionnaires de l’État en leur qualité de représentants — La personne désignée qui serait soumise à l’interrogatoire préalable pour le compte des défendeurs serait bien au fait des points en litige — La question de savoir qui peut être interrogé au préalable est prématurée.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Recours — Injonction possible contre les fonctionnaires de la Couronne — Particulièrement dans les affaires constitutionnelles où, aux termes de l’art. 24 de la Loi constitutionnelle de 1982, les tribunaux ont compétence pour accorder les mesures de réparation qui conviennent dans les circonstances.
Pratique — Parties — Intervention — Requête visant à ajouter la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith à titre de demanderesse ou d’intervenante dans la contestation de la validité constitutionnelle d’une politique des Forces armées selon laquelle un militaire peut se voir refuser la possibilité de prendre part à des opérations de maintien de la paix en raison des sensibilités culturelles, religieuses ou autres susceptibilités d’autres parties en cause ou des pays hôtes — La Ligue est ajoutée à titre d’intervenante et non à titre de codemanderesse, puisqu’une partie privée pourrait soutenir par elle-même l’action.
Pratique — Parties — Qualité pour agir — Il est loisible au demandeur de solliciter un redressement par anticipation, de contester la constitutionnalité des dispositions d’un instrument ou d’une politique de l’État qui est susceptible d’être appliquée en sa défaveur.
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — Pour le motif qu’on y plaide des éléments de preuve et non des faits — Le fait de plaider un élément de preuve n’est pas terriblement important s’il est pertinent, s’il ne nuit pas à la conduite de l’instance ni ne la retarde.
Le présent litige porte sur le refus présumé d’affecter le demandeur à un poste au Moyen-Orient durant la Guerre du Golfe parce qu’il est juif, ainsi que sur la validité de certaines politiques des Forces armées du Canada, selon lesquelles des militaires peuvent se voir refuser la possibilité de prendre part à des opérations de maintien de la paix en raison des sensibilités culturelles, religieuses ou autres susceptibilités d’autres parties en cause ou des pays hôtes.
Une série de demandes de nature procédurale ont été introduites : la demande joint-elle deux causes d’action non liées, dont une ne peut être maintenue sur la foi des plaidoiries, dans la forme où elles ont été soumises? Faut-il rayer ou non certains passages de ces plaidoiries parce qu’ils concernent des preuves plutôt que des faits? Qui est la partie défenderesse légitime? La Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada (la Ligue) doit-elle être ajoutée soit comme demanderesse soit comme intervenante?
Caractère distinct des causes d’action
Le demandeur conteste tant le refus, fondé sur la DCDS 9/83 alors en vigueur, de l’affecter à un poste au Moyen-Orient, que la validité constitutionnelle de la politique énoncée dans l’OAFC 20-53, le prolongement et le remplacement de la DCDS 9/83. On n’a pas contesté le droit du demandeur de contester ce refus. Ce qui est contesté (par la voie d’une requête en radiation des paragraphes de la déclaration qui portent sur la contestation constitutionnelle de l’OAFC 20-53) est le droit du demandeur de contester la validité constitutionnelle de l’OAFC 20-53 car il n’était pas en vigueur au moment du refus d’affectation et le contexte factuel était insuffisant pour l’accueillir.
Jugement : la requête doit être rejetée.
Il était loisible au demandeur de solliciter un redressement par anticipation, de contester la constitutionnalité des dispositions d’un instrument ou d’une politique de l’État qui est susceptible d’être appliquée en sa défaveur.
Par ailleurs, à ce stade-ci de l’action, on suppose que les faits plaidés sont véridiques. Il est dit que l’OAFC 20-53 ne fait que succéder à la DCDS 9/83, qu’elle en est le prolongement, et que cette dernière a été appliquée au demandeur. Ces facteurs comportent un lien suffisant pour permettre la contestation constitutionnelle sur la foi des plaidoiries soumises.
En ce qui concerne l’absence présumée d’un fondement factuel nécessaire à la contestation constitutionnelle, les paragraphes de la déclaration qui concernent cette contestation ne devraient pas être radiés à ce stade-ci de l’action, avant que des interrogatoires préalables soient tenus et que le demandeur ait eu la possibilité de produire des éléments de preuve à l’instruction.
Plaider des éléments de preuve et non des faits
Les défendeurs demandent que certains paragraphes de la déclaration soient radiés parce qu’ils plaident des éléments de preuve et non des faits.
Jugement : la requête doit être rejetée.
La démarcation qu’il y a entre des faits et des éléments de preuve dans une plaidoirie n’est pas nette. Le fait de plaider un élément de preuve n’est pas terriblement important si, comme en l’espèce, la plaidoirie est brève, les faits plaidés sont pertinents, ils ne nuisent pas à la conduite de la défense, et leur inclusion devrait activer la procédure, et non le contraire.
Défendeurs appropriés
Se fondant sur les articles 17 et 48 de la Loi sur la Cour fédérale, lorsqu’ils sont lus de pair avec la Règle 600 des Règles de la Cour fédérale et avec le paragraphe 23(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, les défendeurs demandent que soit modifié l’intitulé de la cause de manière à remplacer le ministre de la Défense nationale et le chef d’état-major de la Défense soit par Sa Majesté la Reine soit par le procureur général du Canada.
Jugement : la requête doit être rejetée.
Ces dispositions n’empêchent pas d’intenter une action contre des ministres ou des hauts fonctionnaires de l’État en leur qualité de représentants lorsque lesdites actions auraient été possibles auparavant. Une revue partielle de l’historique des articles 17 et 48 de la Loi sur la Cour fédérale montre que l’impossibilité d’intenter contre la Couronne une action en responsabilité délictuelle ou pour rupture de contrat a peu à peu été éliminée. La jurisprudence a établi que, lorsqu’il est demandé de déclarer nul un règlement pris par une instance gouvernementale autre que le gouvernement lui-même, l’action doit être intentée contre la personne investie du pouvoir dont les limites sont mises en question. Les défendeurs s’inquiètent du fait que si le ministre de la Défense nationale et le chef d’état-major de la Défense demeurent les défendeurs, le demandeur puisse chercher à obtenir que chacun d’eux soit interrogé au préalable, alors que, si les défendeurs sont Sa Majesté la Reine ou le procureur général, le gouvernement pourrait déléguer un fonctionnaire de son choix. La Cour est convaincue que la personne désignée qui serait soumise à l’interrogatoire préalable pour le compte des défendeurs serait bien au fait des points en litige. Si ce n’était pas le cas, la Cour pourrait intervenir pour s’assurer que l’on interroge une personne compétente.
Dans la présente affaire, étant donné que la contestation est de nature constitutionnelle, le débat sur la justesse d’accorder une injonction contre des fonctionnaires de la Couronne lorsque cette injonction agit contre eux en leur qualité de représentants, plutôt qu’en leur qualité personnelle serait sans objet car, aux termes de l’article 24 de la Loi constitutionnelle de 1982, la Cour a compétence pour accorder les mesures de réparation qui conviennent dans les circonstances.
L’analyse de la jurisprudence portant sur les injonctions accordées contre la Couronne et contre ses fonctionnaires permet de conclure qu’il n’y a pas de raison de radier l’action du demandeur contre les défendeurs présentement nommés. Il n’y a cependant aucun obstacle à ce qu’on ajoute Sa Majesté la Reine comme partie défenderesse supplémentaire à l’action.
La Ligue en tant que demanderesse ou intervenante
La requête de la Ligue, qui désire être ajoutée à titre de codemanderesse, repose sur la décision qu’a rendue la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Conseil canadien des Églises c. Canada, une décision renversée en appel par la Cour suprême du Canada.
Jugement : La Ligue doit être ajoutée comme intervenante puisqu’elle ne pourrait soutenir par elle-même une action dans la présente affaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 24.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 48, 64(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2, 17 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3), 48.
Loi sur la Défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 3, 4 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 6, art. 10), 12(1), 18(2).
Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. (1990), ch. 8, art. 21), art. 23 (mod., idem, art. 29).
Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, ch. C-38.
Loi sur les pétitions de droit, S.R.C. 1970, ch. P-12.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 400, 408(1), 600(2),(4).
Règles et ordonnances générales de la Cour de l’Échiquier, Règle 88.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086; (1990), 73 D.L.R. (4th) 686; 43 C.P.C. (2d) 165; 112 N.R. 362; Mathias c. R., [1980] 2 C.F. 813; (1980), 2 C.N.L.R. 83 (1re inst.); ABC Extrusion Co. c. Signtech Inc. (1987), 14 C.I.P.R. 108; 17 C.P.R. (3d) 365; 14 F.T.R. 309 (C.F. 1re inst.); Jones et Maheux v. Gamache, [1969] R.C.S. 119; (1968), 7 D.L.R. (3d) 316; Carlic v. The Queen and Minister of Manpower and Immigration (1967), 65 D.L.R. (2d) 633; 62 W.W.R. 229 (C.A. Man.); Juandoo v. Attorney General of Guyana, [1971] A.C. 972 (P.C.); Conseil canadien des Églises c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 236; (1992), 88 D.L.R. (4th) 193; 2 Admin. L.R. (2d) 229; 5 C.P.C. (3d) 20; 8 C.R.R. (2d) 145; 16 Imm. L.R. (2d) 161; 132 N.R. 241; inf. [1990] 2 C.F. 534; (1990), 68 D.L.R. (4th) 197; 44 Admin. L.R. 56; 46 C.R.R. 290; 36 F.T.R. 80; 10 Imm. L.R. (2d) 81; 106 N.R. 61 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC :
MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357; [1989] 6 W.W.R. 351; (1989), 61 Man. R. (2d) 270; conf. (1985), 24 D.L.R. (4th) 587; [1986] 2 W.W.R. 367; 39 Man. R. (2d) 274; 23 C.R.R. 8 (C.A. Man.); (quant à la qualité pour intervenir) B’Nai Brith Canada Ligue des droits de la personne c. Canada (Ministre de la Défence nationale) (1991), 4 C.R.R. (2d) 177; 44 F.T.R. 166 (C.F. 1re inst.).
DÉCISION EXAMINÉE :
B’Nai Brith Canada Ligue des droits de la personne c. Canada (Ministre de la Défence nationale) (1991), 4 C.R.R. (2d) 177; 44 F.T.R. 166 (C.F. 1re inst.).
DÉCISIONS CITÉES :
Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989), 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 93 N.R. 183; États-Unis d’Amérique c. Cotroni; États-Unis d’Amérique c. El Zein, [1989] 1 R.C.S. 1469; (1989), 23 Q.A.C. 182; 48 C.C.C. (3d) 193; 96 N.R. 321; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; (1991), 63 C.C.C. (3d) 481; 3 C.R.R. (2d) 1; 127 N.R. 7; 47 O.A.C. 81; Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211; (1991), 81 D.L.R. (4th) 545; 126 N.R. 161; 48 O.A.C. 241; Dyson v. Attorney-General, [1911] 1 K.B. 410 (C.A.).
DOCTRINE
de Smith, S. A. Judicial Review of Administrative Action, 4th ed. by J. M. Evans. London : Stevens & Sons Ltd., 1980.
Hogg, Peter W. Liability of the Crown, 2nd ed. Toronto : Carswell, 1989.
Holmested, G. S. Holmested and Watson : Ontario Civil Procedure, vol. 2. Toronto : Carswell, 1984.
Holmested and Gale on the Judicature Act of Ontario and Rules of Practice, annotated, vol. 2. Toronto : Carswell, 1993.
Hughes, Roger T. Federal Court of Canada Service, vol. 2. Toronto : Butterworths, 1970.
Sgayias, David, et al. Federal Court Practice 1993. Toronto : Carswell, 1992.
Sharpe, Robert J. Injunctions and Specific Performance. Toronto : Canada Law Book, 1983.
DEMANDES visant à déterminer si la demande joint deux causes d’action non liées, s’il faut rayer ou non certains passages des plaidoiries parce qu’ils concernent des preuves plutôt que des faits, qui est la partie défenderesse légitime, et si la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada doit être ajoutée soit comme demanderesse soit comme intervenante. Les requêtes des défendeurs concernant les trois premières questions doivent être rejetées. La Ligue doit être ajoutée à titre d’intervenante.
AVOCATS :
Gerald S. Levey et Sam Hyman pour le demandeur.
Barbara A. McIsaac et capitaine Roger Strum pour les défendeurs.
David Matas pour la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada.
PROCUREURS :
Gerald S. Levey, Vancouver, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
David Matas, Winnipeg, pour la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs des ordonnances rendus par
Le juge Reed : Une série de demandes de nature procédurale ont été introduites ensemble : si l’action du demandeur est présentée convenablement sous la forme d’une déclaration, ou s’il aurait fallu plutôt procéder sous la forme d’une demande de contrôle judiciaire; si la demande joint ou non deux causes d’action non liées, dont une ne peut être maintenue sur la foi des plaidoiries, dans la forme où elles ont été soumises; s’il faut rayer ou non certains passages de ces plaidoiries parce qu’ils concernent des preuves plutôt que des faits; la question de savoir qui est la partie défenderesse légitime; et si la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada (ci-après appelée la Ligue) doit être ajoutée soit comme demanderesse (de droit ou avec la permission de la Cour) soit comme intervenante.
Les questions auxquelles se rapporte le présent litige sont le refus présumé d’affecter le lieutenant Liebmann à un poste au Moyen-Orient durant la Guerre du Golfe parce qu’il est juif, ainsi que la validité de certaines politiques des Forces armées du Canada, selon lesquelles des militaires peuvent se voir refuser la possibilité de prendre part à des opérations de maintien de la paix en raison des sensibilités culturelles, religieuses ou autres susceptibilités d’autres parties en cause ou des pays hôtes.
Contrôle judiciaire ou déclaration
L’allégation selon laquelle la présente demande aurait dû être formée comme une demande de contrôle judiciaire plutôt que comme une déclaration a essentiellement été abandonnée. Dans leurs observations, le demandeur et les défendeurs se sont bornés à traiter du caractère adéquat des plaidoiries dans la déclaration existante.
Caractère distinct des causes d’action
Au sujet de l’argument selon lequel les plaidoiries actuelles embrassent deux causes d’action indépendantes, les défendeurs font valoir que la demande du lieutenant Liebmann, qui fait suite au refus présumé d’être envoyé en affectation au Moyen-Orient, est nettement distincte de sa contestation, fondée sur des motifs d’ordre constitutionnel, de la validité de la politique énoncée dans l’OAFC 20-53, et que la combinaison des deux actions en une demande embrouille le litige et nuit à sa conduite. C’est en janvier 1991 que le lieutenant Liebmann s’est vu refuser une affectation, qui aurait été en situation d’activité. L’OAFC 20-53 n’est entrée en vigueur que le 29 mars 1991, et elle porte sur les missions de maintien de la paix. Les défendeurs cherchent donc à faire radier tous les paragraphes et passages de la déclaration qui ont trait à la contestation constitutionnelle de l’OAFC 20-53, lesquels, allèguent-ils, sont sans rapport avec la situation particulière dans laquelle se trouve le lieutenant Liebmann.
L’avocat du lieutenant Liebmann fait valoir que l’OAFC 20-53 s’applique à son client à titre de membre des Forces armées et qu’elle pourrait servir plus tard à lui refuser des possibilités d’affectation. Il est allégué que le lieutenant Liebmann devrait avoir le droit de contester maintenant cette politique et ne pas avoir à attendre que celle-ci soit réellement appliquée en sa défaveur avant de pouvoir en contester la validité. L’une des mesures de redressement sollicitées dans la déclaration est une injonction empêchant d’appliquer la politique. Le demandeur fait aussi valoir que l’OAFC 20-53 ne fait que remplacer une directive—la DCDS 9/8—que l’on a appliquée au lieutenant Liebmann en janvier 1991. L’avocat du sous-procureur général soutient que la DCDS 9/83 ne s’appliquait pas au lieutenant Liebmann ou, alors, si cela a été le cas, que c’était une erreur puisque cette politique ne concerne que les situations de maintien de la paix et non les situations d’activité.
L’avocat de la Ligue a fait remarquer que la Ligue a intenté une action auprès de la présente Cour le 28 décembre 1989 dans le but de contester la validité constitutionnelle de la DCDS 9/83. Cette action a été introduite au moyen d’une requête. Le défendeur en l’espèce—le ministre de la Défense nationale—avait proposé de faire radier la demande parce que l’action avait été introduite par voie de requête plutôt que par voie de déclaration. À l’époque, il était nécessaire de procéder par voie de déclaration lorsque l’on voulait que la présente Cour rende une décision déclaratoire. Les Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] ont, depuis lors, été modifiées.
La requête du défendeur visant à faire radier la demande de la Ligue a été accueillie. Voir l’affaire B’Nai Brith Canada Ligue des droits de la personne c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1991), 4 C.R.R. (2d) 177 (C.F. 1re inst.). En décrétant qu’il fallait introduire l’action au moyen d’une déclaration, le juge Muldoon a écrit ce qui suit [aux pages 181 et 182] :
La requérante, qui est une personne morale, n’exerce certainement pas ces recours extraordinaires pour elle-même. Par conséquent, ce qu’elle désire obtenir, en substance, doit ressembler à un jugement déclaratoire. En effet, aucun membre des Forces armées canadiennes dont la vie et la mission seraient en péril à l’étranger n’est venu se joindre à la requérante dans la présente requête introductive d’instance. Dans un tel cas, il est évident que la requérante, qui n’a aucun intérêt personnel, mais uniquement une sorte d’intérêt à caractère représentatif qu’elle s’est elle-même attribué, souhaite obtenir un jugement déclaratoire.
…
Dans le cas qui nous occupe, c’est au moyen de demandes fondées sur l’article 18 qu’on sollicite, au nom des membres des Forces armées canadiennes et à leur sujet, des jugements déclaratoires relativement à une politique ministérielle censée protéger certains membres des Forces armées et certaines missions de maintien de la paix contre des dangers inutiles sur les plans personnel et opérationnel. Comme la requérante n’a aucun intérêt direct ou immédiat en tant que personne physique ou morale, on doit considérer qu’elle revendique, comme le Conseil des Églises, le statut de protagoniste agissant dans l’intérêt public.
Le juge a donc radié la requête du requérant, mais il a en même temps autorisé la Ligue à introduire une action par la voie d’une déclaration.
Compte tenu de ces antécédents, l’avocat de la Ligue s’objecte à l’argument des défendeurs en l’espèce, savoir que les plaidoiries ne peuvent étayer une contestation constitutionnelle de l’OAFC 20-53. Il fait valoir que cette dernière n’est qu’un prolongement de la DCDS 9/83, que le juge Muldoon a permis à la Ligue de contester. Il soutient par ailleurs que le fait d’accueillir la requête des défendeurs aurait pour conséquence de mettre la politique en question à l’abri de toute contestation constitutionnelle de la part du lieutenant Liebmann.
Qui plus est, l’avocat de la Ligue déclare que la présente action a encore plus de poids que s’il s’était agi d’une action que la Ligue aurait introduite seule, car un membre des Forces armées est maintenant directement concerné à titre de demandeur. Le juge Muldoon avait indiqué [à la page 183] que la Ligue aurait plus de poids en tant que « protagoniste agissant dans l’intérêt public » si « le requérant était une personne, p. ex. un membre des Forces armées canadiennes, dont la sécurité personnelle serait putativement menacée ». En ce qui a trait à l’action particulière qu’avait introduite la Ligue et dont le juge Muldoon était saisi, ce dernier a déclaré ceci [à la page 184] :
De fait, la décision de la Cour aurait pu être différente si les requérants en l’espèce avaient été une femme, un juif et un musulman : ces trois personnes sont toutes des membres des Forces armées canadiennes qui pouvaient autrement participer à des missions de maintien de la paix, mais qui en ont été écartées pour les motifs invoqués. Et même si elles n’avaient pas été ainsi écartées, ces personnes, qui pourraient simplement faire face éventuellement au soi-disant péril particulier contre lesquels leurs commandants voudraient les protéger, présenteraient une demande beaucoup plus convaincante.
L’argument de l’avocat des défendeurs selon lequel il n’existe pas assez d’antécédents de fait pour pouvoir contester l’OAFC 20-53 repose en partie sur les arrêts suivants : Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la page 1078; États-Unis d’Amérique c. Cotroni; États-Unis d’Amérique c. El Zein, [1989] 1 R.C.S. 1469, aux pages 1497 et 1498; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, aux pages 1010 et 1011; Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, aux pages 310 et 311; Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086; et MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357.
Dans les arrêts Slaight, Cotroni, Swain et Lavigne, selon moi, la Cour suprême a statué que lorsque le texte d’un instrument législatif (y compris les instruments législatifs subordonnés) fait clairement droit à une action qui viole un droit conféré par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], la Cour peut déclarer dans ce cas que l’instrument en question est inconstitutionnel. Cependant, lorsqu’un texte législatif est neutre (c’est-à-dire qu’il confère une délégation imprécise de pouvoirs discrétionnaires), il faut examiner la façon dont on a appliqué les pouvoirs que cet instrument accorde. Dans la présente action, fait valoir l’avocat, étant donné qu’aucune situation de fait n’est plaidée à l’égard de l’application de l’OAFC 20-53, cette politique ne peut être contestée sur la foi des plaidoiries soumises.
Je suis d’accord avec l’avocat de la Ligue que s’il fallait que j’accède à la demande de l’avocat des défendeurs, je me trouverais en fait à décider que le texte législatif de l’OAFC 20-53 est neutre d’un point de vue constitutionnel et qu’il s’agit d’une question que le juge de première instance est mieux placé pour trancher après avoir entendu les arguments et l’ensemble de la preuve.
Je crois qu’il est loisible à une partie demanderesse de solliciter un redressement par anticipation, de contester la constitutionnalité des dispositions d’un instrument ou d’une politique de l’État qui est susceptible d’être appliquée en sa défaveur. Il est possible que la politique porte un jour préjudice au lieutenant Liebmann en tant que membre des Forces armées. Ce dernier ne devrait pas avoir à attendre que cette politique joue effectivement en sa défaveur pour la contester. Par ailleurs, à ce stade-ci de l’action, on suppose que les faits plaidés dans la déclaration sont véridiques. Il est dit que l’OAFC 20-53 ne fait que succéder à la DCDS 9/83, qu’elle en est le prolongement, et que cette dernière a été appliquée au lieutenant Liebmann. Selon moi, ces facteurs comportent un lien suffisant pour permettre de contester la validité constitutionnelle de l’OAFC 20-53 dans la présente action, sur la foi des plaidoiries soumises.
En ce qui concerne la validité du fait que le lieutenant Liebmann conteste l’OAFC 20-53, l’arrêt Danson étaye à mon sens la conclusion que sa contestation est bel et bien fondée. Dans cet arrêt, la question que devait trancher la Cour, qui est décrite dans le sommaire [à la page 1087], était la suivante : « la demande peut-elle être entendue en l’absence de tout contexte factuel et sans preuve par affidavit ». [Soulignement ajouté] La demande ayant été introduite par requête, la preuve aurait normalement été présentée au moyen d’affidavits. La Cour a décrété que la demande ne pouvait être entendue sans qu’il soit fait référence au moins à quelques faits déclaratifs ou législatifs. Elle a fait remarquer cependant que la partie requérante, depuis le moment où elle avait introduit son action en contestation de la demande, avait obtenu des preuves par affidavit contenant de tels faits, comme des avis sur la façon dont les nouvelles règles régissant les dépens mineraient censément l’indépendance du barreau, ainsi que des preuves de cas précis où l’on avait menacé des avocats particuliers d’invoquer les règles contestées. Ces éléments n’ont pas été pris en considération pour les besoins de l’appel parce qu’ils avaient été produits après l’interjection de l’appel. La Cour a toutefois fait remarquer ce qui suit, à la page 1102 du recueil :
Nous avons constaté par un moyen détourné que l’appelant dispose des faits nécessaires pour obtenir par requête, s’il le veut, une conclusion sur le bien-fondé de sa contestation … Il n’est pas nécessaire que l’appelant établisse que les règles contestées ont été appliquées dans son cas personnel (la qualité pour agir n’étant pas en litige); mais il doit présenter des éléments de preuve recevables montrant que les effets des règles contestées violent les dispositions de la Charte. [C’est moi qui souligne.]
L’arrêt MacKay avait trait à une action dans laquelle aucun élément de preuve n’avait été présenté à l’appui de la demande. La Cour de première instance avait quand même entendu la demande car la partie intimée y avait consenti. Il est clair que la décision selon laquelle il n’y avait pas eu de violation constitutionnelle s’appliquait à tous les niveaux en l’absence, pour la demande en question, d’un fondement factuel. S’il y avait eu un tel fondement, la conclusion aurait peut-être été différente. En rejetant le pourvoi de la Cour d’appel du Manitoba [(1985), 39 Man. R. (2d) 274], la Cour suprême a donc indiqué clairement qu’aucune décision réelle n’avait été rendue sur la question d’ordre constitutionnel. Le juge Cory, à la page 363 du recueil, a déclaré : « [p]as le moindre élément de preuve n’a été présenté à cette Cour en l’espèce » et, à la page 366 :
Un contexte factuel est d’une importance fondamentale dans le présent pourvoi. On ne prétend pas que c’est l’objet visé par la loi qui viole la Charte, mais ses conséquences. Si les conséquences préjudiciables ne sont pas établies, il ne peut y avoir de violation de la Charte ni même de cause. Le fondement factuel n’est donc pas une simple formalité qui peut être ignorée et, bien au contraire, son absence est fatale à la thèse présentée par les appelants.
…
Les appelants ont plaidé un point qui n’exige pas de contexte factuel. Ils ont dit que le financement de candidats tel que prévu par la loi pourrait en réalité forcer un contribuable à donner son appui à un candidat prônant des opinions fondamentalement opposées aux siennes, dans chaque cas où un candidat perdant recevrait 10 p. 100 des votes. Cet appui forcé à une opinion opposée est une atteinte, selon eux, au droit du contribuable à la liberté d’expression. Je ne puis accepter cette prétention.
Dans l’arrêt MacKay le demandeur, en ne présentant pas d’éléments de preuve appropriés, n’a pas établi le bien-fondé de sa cause. Il est clair que si le demandeur en l’espèce ne peut faire la preuve que sa contestation de l’OAFC 20-53 s’inscrit dans un contexte factuel suffisant, il y a peu de chances qu’elle soit fructueuse. Cependant, je ne suis pas convaincue que je doive radier les divers paragraphes de la déclaration qui mettent en question la validité de cette politique, à ce stade-ci de l’action, avant que l’on ait procédé à des interrogatoires préalables, avant que le demandeur ait eu la possibilité de produire des éléments de preuve à l’instruction.
Je ne suis donc pas disposée à accueillir la demande voulant que l’on radie les paragraphes de la déclaration qui se rapportent à la contestation constitutionnelle de l’OAFC 20-53 parce qu’ils sont hors de propos.
Plaider des éléments de preuve et non des faits
Examinons maintenant la demande selon laquelle certains paragraphes et passages de la déclaration doivent être radiés parce qu’ils plaident des éléments de preuve et non des faits. Les paragraphes en question sont les numéros 14, 15 et 16, ainsi que certains passages des paragraphes numéros 21 et 22. Le texte des paragraphes numéros 14, 15 et 16 est le suivant :
[traduction] 14. À la réception de ce message, le COMAR a effectivement envoyé au QG de la Défense nationale, le 21 janvier 1991, un message—MP 1023 211600Z, janvier 91 » appuyant la nomination et la recommandation du demandeur en vue de l’affectation mentionnée au paragraphe 13. Ce message a aussi été transmis à titre informatif au commandant des divisions de la Réserve navale.
15. Le 22 janvier 1991, le COMAR a envoyé un message au « Discovery » à l’intention du demandeur—PERS TASK 1953 222152Z, janvier 91—pour s’enquérir de la possibilité de remplacer le demandeur en cas de perte au combat. Ce dernier a de nouveau fait savoir au commandant du « Discovery » qu’il était disponible sur préavis très court.
16. Le 24 janvier 1991, dans un message portant le numéro DC00443 241307Z, janvier 91 adressé au COMAR, le commandant des divisions de la Réserve navale a effectivement souscrit à la nomination du demandeur en vue de l’affectation mentionnée au paragraphe 13.
L’avocat des défendeurs fait valoir que tout ce qu’il faut plaider est que le lieutenant Liebmann a été nommé et recommandé en vue de l’affectation en question, et qu’il n’est pas nécessaire d’exposer les détails que contiennent les paragraphes 14, 15 et 16. L’avocat du demandeur soutient que si la plaidoirie était aussi générale qu’on le dit, les défendeurs auraient eu le droit de présenter une requête en obtention de détails. Il déclare qu’il a simplement plaidé les faits d’une manière détaillée.
La démarcation qu’il y a entre plaider des faits et plaider des éléments de preuve n’est pas bien nette. À mon sens, les défendeurs ne subissent en l’espèce aucun préjudice du fait que le demandeur expose les faits sur lesquels il se fonde dans les termes et avec les détails mentionnés ci-dessus. Je ne vois pas en quoi cela rend l’élaboration d’un moyen de défense plus complexe ou difficile. En fait, cela a peut-être permis d’éviter l’étape procédurale de la demande de détails.
Le texte des paragraphes 21 et 22 est le suivant :
[traduction] 21. Le ministre associé de la Défense nationale de l’époque a déclaré que le quartier général de la Défense nationale et le COMCANFORME avaient pris en considération la religion et l’origine ethnique du demandeur et qu’ils avaient discuté « d’un point de vue philosophique » du « problème » qu’était susceptible de poser un officier juif. Le demandeur dit que l’on a annulé son affectation après avoir pris en considération sa religion et son origine ethnique, ainsi qu’à cause de ces deux facteurs.
22. En accord avec l’article 29 de la Loi sur la Défense nationale L.R.C. (1985), ch. N-5, le demandeur a « demandé réparation » pour avoir été traité d’une manière injuste et illicite. Dans le cadre de ce grief, les défendeurs—le chef d’état-major de la Défense et le commandant du COMAR—ont déclaré qu’en fait les Forces canadiennes ont appliqué les questions de principe mentionnées au paragraphe 10 des présentes et dans l’OAFC 20-53, et que la religion et l’origine ethnique du demandeur suscitaient des craintes quant à sa « sécurité personnelle et son efficacité opérationnelle ». Ces craintes à l’affectation d’autres membres n’ont pas été appliquées des Forces canadiennes au théâtre opérationnel du Golfe persique. Le demandeur a été traité différemment d’autres membres des Forces canadiennes, ce qui est contraire à l’art. 15 de la Charte des droits et libertés. Le ministre associé de la Défense nationale et le chef d’état-major de la Défense ont reconnu que le demandeur avait été victime de discrimination en lui faisant des excuses écrites.
Les défendeurs demandent que l’on radie la totalité de ces paragraphes à l’exception des passages indiqués en italiques. La première phrase du paragraphe 21 se rapporte au texte d’une communication que le demandeur a reçue. La plupart des passages contestés du paragraphe 22 constituent manifestement des arguments de fait, par exemple : la demande de réparation et la décision rendue. Le passage, qui, selon les défendeurs, doit être conservé, est, peut-on le soutenir, une conclusion tirée des faits et une conclusion de droit qui, selon moi, devrait être plaidée en même temps que les faits qui l’appuient. De toute façon, ainsi qu’il a été mentionné, la démarcation qu’il y a entre des faits essentiels et des faits probatoires n’est pas très nette. De plus, je crois qu’il faudrait considérer comme faisant état du droit que lorsqu’il existe un doute à propos de la question de savoir si un énoncé constitue un fait essentiel ou un fait probatoire, cet énoncé devrait être conservé dans la plaidoirie. Dans l’affaire Mathias c. R., [1980] 2 C.F. 813, à la page 816 du recueil, le juge Walsh déclare ce qui suit :
Il est établi par une jurisprudence constante que lorsqu’il subsiste le moindre doute, les alinéas des plaidoiries doivent être conservés pour que les éléments de preuve établissant leur bien-fondé puissent être soumis au juge de première instance. Ce qui ne signifie pas toutefois que les alinéas non essentiels ou redondants qui donnent un aperçu des éléments de preuve sur lesquels une partie cherche à fonder ses conclusions devraient être conservés dans les plaidoiries, pourvu toutefois que la radiation d’une partie des plaidoiries n’empêche pas la partie de faire pleinement la preuve de tout fait pertinent.
La décision Mathias a été suivie dans l’affaire ABC Extrusion Co. c. Signtech Inc. (1987), 14 C.I.P.R. 108 (C.F. 1re inst.), où le protonotaire adjoint Giles décrète ce qui suit, à la page 110 du recueil :
[traduction] Pour radier un paragraphe d’un plaidoyer parce qu’il ne constitue qu’un simple énoncé d’une preuve, il faut établir que le paragraphe en question est redondant ou non essentiel. Il serait redondant si l’allégation qui y est faite est reproduite de façon suffisamment détaillée ailleurs dans le plaidoyer.
Selon l’examen que j’ai fait des textes de référence, une plaidoirie est défectueuse lorsque les faits essentiels requis ne sont pas plaidés[1]; la plaidoirie ne sera qu’irrégulière si les faits ou les éléments de preuve plaidés sont redondants ou non essentiels. En fait, la plupart des causes publiées traitent de situations dans lesquelles on se plaint de l’absence de faits essentiels, et non où l’on cherche à faire radier des plaidoiries parce qu’elles renferment des faits probatoires.
Il est intéressant de noter que la Règle 88 des Règles et ordonnances générales de la Cour de l’Échiquier porte que :
Toute plaidoirie doit contenir, d’une manière aussi concise que possible, un exposé des faits importants sur lesquels s’appuie la partie qui plaide, mais non la preuve. [C’est moi qui souligne.]
Cependant, l’actuelle Règle 408(1) des Règles de la Cour fédérale prescrit simplement que :
Règle 408. (1) Chaque plaidoirie doit obligatoirement contenir un exposé précis des faits essentiels sur lesquels se fonde la partie qui plaide.
Je ne veux pas dire par là qu’il était envisagé de modifier fondamentalement les règles de plaidoirie applicables lorsque la Règle a été changée, mais je crois que la formulation de cette dernière reflète que, de façon générale, le fait de plaider un élément d’information dans une déclaration ou une défense n’est pas terriblement important si la plaidoirie est pertinente, si elle ne cause aucun préjudice et si elle n’est pas exagérément prolixe.
Il est utile de citer le commentaire fait sur la Règle 143 des Ontario Rules of Practice dans l’ouvrage de Holmested and Gale Ontario Judicature Act and Rules of Practice, volume 2, aux pages 1232 et 1232.1 :
[traduction] 8.2 Élasticité de la règle. Une plaidoirie ne devrait pas contenir [traduction] « [d’]allégations qui équivalent au fait de plaider des éléments de preuve et non des faits [essentiels] » : Watson v. Rodwell (1876) 46 L.J. Ch. 744, p. 746. Cependant, [traduction] « dans le système actuel, les règles de plaidoirie sont élastiques … Les plaideurs chevronnés enfreignent souvent la lettre des règles par souci de clarté et de concision » : Bullen & Leake, 7e éd., p. 906, texte cité dans Le Merchant v. Irish & Maulson Ltd., décision précitée, p. 507. Voir aussi Reliable Toy Co. v. Lido (Can.) Reg’d. (1962) 24 Fox Pat. C. 86 (Ont.). Quelques exemples de causes dans lesquelles les tribunaux semblent avoir fait preuve d’indulgence à l’égard du fait de plaider des éléments de preuve, sont donnés dans Tomkinson v. S.-E. Ry. (1887) 57 L.T. 358 (où la cour a permis que l’on plaide des faits pour montrer qu’une loi particulière n’était pas ultra vires); Stratford Gas Co. v. Gordon (1892) 14 P.R. 407 (où des faits établissant que les parties demanderesses avaient agi avec malveillance envers la partie défenderesse ont été admis parce qu’ils [traduction] « dénotaient que ce moyen de défense était probablement véridique »). Dans certaines décisions, les termes employés ont été suffisamment larges pour donner à penser que l’on peut ne pas tenir compte de la distinction que la règle exige de faire entre des faits probatoires et des énoncés de fait. Ainsi, dans l’affaire Mullington v. Loring (1880) 6 Q.B.D. 190, à la p. 194, le lord chancellier Selborne a décrété qu’il faut [traduction] « considérer que [des faits essentiels] comprennent tout fait dont la partie plaidante a le droit de faire la preuve à l’instruction ». Mais il faisait allusion à la question de savoir si l’on peut plaider des faits qui aggravent des dommages.
Les plaidoiries dont il est question en l’espèce sont succinctes; les faits plaidés se rapportent au litige entre les parties; ils ne nuisent pas à la conduite de la défense; leur inclusion devrait activer la procédure, et non le contraire. Même si certains passages des paragraphes contestés pourraient constituer des faits probatoires plutôt qu’essentiels, je ne suis pas disposée à les radier.
Défendeurs appropriés
Voyons maintenant la requête des défendeurs selon laquelle il faudrait modifier l’intitulé de la cause de manière à remplacer le ministre de la Défense nationale et le chef d’état-major de la Défense soit par Sa Majesté la Reine soit par le procureur général du Canada.
L’argument des défendeurs, tel que je le comprends, est le suivant : l’article 17 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3] et l’article 48 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], lorsqu’ils sont lus de pair avec la Règle 600 des Règles de la Cour fédérale, requièrent que l’action du demandeur soit intentée contre Sa Majesté la Reine ou, subsidiairement, en accord avec le paragraphe 23(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, modifié par L.C. 1990, ch. 8 [art. 21, 29], contre le procureur général du Canada.
L’article 17 de la Loi sur la Cour fédérale décrit quelle est la compétence de la Section de première instance de la Cour fédérale dans les cas de demande de réparation contre la Couronne. Aux termes du paragraphe (1), sauf disposition contraire, la Section de première instance de la Cour fédérale a compétence dans les cas de demande de réparation contre la Couronne. Le paragraphe (2) énumère les catégories de demandes qui tombent sous le coup du paragraphe (1)[2]
Aux termes du paragraphe 17(5) :
17. …
(5) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les actions en réparation intentées :
a) au civil par la Couronne ou le procureur général du Canada;
b) contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits—actes ou omissions—survenus dans le cadre de ses fonctions. [C’est moi qui souligne.]
L’article 48 de la Loi sur la Cour fédérale décrit comment procéder pour entamer une procédure contre la Couronne, y compris le paiement du droit exigé et la signification de l’acte introductif d’instance auprès de la Cour. Le texte du paragraphe 48(1) est le suivant :
48. (1) Pour entamer une procédure contre la Couronne, il faut déposer au greffe de la Cour l’original et deux copies de l’acte introductif d’instance, qui peut suivre le modèle établi à l’annexe, et acquitter la somme de deux dollars comme droit correspondant. [C’est moi qui souligne.]
Dans le modèle établi à l’annexe de la Loi, « Sa Majesté la Reine » est nommée comme partie défenderesse. Il faut aussi signaler que, d’après les définitions données à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, aux fins de la Loi le mot « Couronne » désigne Sa Majesté du Chef du Canada.
Les paragraphes 600(2) et (4) des Règles de la Cour fédérale portent que :
Règle 600….
(2) Sauf lorsqu’une autorisation spéciale permet d’agir autrement, une action intentée contre la Couronne peut être introduite de la façon prévue à l’article 48 de la Loi.
…
(4) Dans le cas d’une action visant à obtenir un jugement déclaratoire ou autre décision contre le procureur général du Canada ou un autre ministre de la Couronne, la Règle 400 s’applique. [C’est moi qui souligne.]
Voici ce qu’indique la Règle 400 :
Règle 400. Sauf disposition contraire, chaque action est intentée par le dépôt d’un acte introductif d’instance qui peut porter le titre de déclaration ou statement of claim (Formule 11).
Il est intéressant de citer aussi le commentaire sur la Règle 600 que l’on retrouve dans Federal Court of Canada Service, vol. 2 (Butterworths) :
[traduction] La Cour fédérale a compétence exclusive pour ce qui est de nombreuses sortes d’actions intentées par ou contre le gouvernement fédéral, c’est-à-dire Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, ses ministres de la Couronne et d’autres parties. La majeure partie des procédures dont est saisie la Cour fédérale sont, de loin, intentées par ou contre la Couronne fédérale.
Il ressort clairement de la Règle 600(1) …
Les procédures engagées contre la Couronne sont régies par l’article 48 de la Loi sur la Cour fédérale et il faudrait faire référence aux causes annotées en vertu de cet article. Il est exact de nommer « Sa Majesté la Reine » comme partie défenderesse, encore que ce soit souvent le ministre ou l’office compétents qui sont nommés, non à titre personnel mais en leur qualité officielle; par exemple : « ministre de l’Agriculture ». Les documents sont signifiés par le greffe en accord avec les dispositions du paragraphe 48(4), mais le greffe ne le fera habituellement que si la partie défenderesse nommée est « Sa Majesté la Reine »; sinon, la partie demanderesse doit signifier les documents au ministre ou à une autre partie nommée en accord avec la Règle 309….
Voyons maintenant ce que dit la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, dans sa forme modifiée. L’article 23 dispose que :
23. (1) Les poursuites visant l’État peuvent être exercées contre le procureur général du Canada ou, lorsqu’elles visent un organisme mandataire de l’État, contre cet organisme si la législation fédérale le permet.
(2) Dans les cas visés au paragraphe (1), la signification à l’État de l’acte introductif d’instance est faite à personne au sous-procureur général du Canada ou au premier dirigeant de l’organisme concerné, selon le cas. [C’est moi qui souligne.]
Avant que cette Loi soit modifiée, c’est-à-dire le 1er février 1992, la partie où figurent les dispositions précitées ne s’appliquait qu’aux litiges soumis aux tribunaux provinciaux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On ne peut toutefois arguer que les nouvelles dispositions visent à supplanter celles de la Loi sur la Cour fédérale car cette dernière a été modifiée en même temps que la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, et le paragraphe 48(1) n’a pas changé.
Je signale que les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale (paragraphe 48(1)) et de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (paragraphe 23(1)) prescrivent que la Couronne peut être poursuivie de la manière indiquée. Ni l’une ni l’autre disposition législative n’indique que ce n’est qu’ainsi que l’on peut poursuivre la Couronne ou l’un des organismes qui en émanent. Selon moi, les dispositions n’empêchent pas d’intenter une action contre, par exemple, des ministres ou des hauts fonctionnaires de l’État en leur qualité de représentants lorsque lesdites actions auraient été possibles auparavant.
L’avocat du demandeur se fonde sur la décision rendue dans l’affaire Jones et Maheux v. Gamache, [1969] R.C.S. 119 et déclare que le demandeur ne conteste pas la validité de la Loi sur la Défense nationale ou de n’importe quel règlement promulgué par le gouverneur en conseil. Il s’oppose plutôt à une politique émanant du chef d’état-major de la défense et aux décisions prises en vertu de cette politique, qui, fait-il valoir, relève du ministre de la Défense nationale[3] Selon l’avocat, si la contestation constitutionnelle concernait la loi ou un règlement émis par le gouverneur en conseil, il serait alors juste de nommer comme partie défenderesse soit Sa Majesté la Reine soit le procureur général du Canada. Il soutient toutefois qu’étant donné que la contestation ne porte pas sur ces types d’instruments et qu’une injonction est sollicitée contre le chef d’état-major de la Défense et d’autres responsables, qui relèvent du ministre de la Défense et qui pourraient appliquer ladite politique, les défendeurs actuellement nommés sont appropriés.
Il est important, tout d’abord, de décrire l’origine des instruments en question. La Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, paragraphe 12(1), autorise à prendre des règlements concernant l’organisation, l’instruction, la discipline et la bonne administration des Forces armées canadiennes. En exécution de ce paragraphe, c’est le gouverneur en conseil qui émet les Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC).
L’article 1.23 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (Révision de 1968) dispose que :
1.23 …
(1) … le chef de l’état-major de la défense peut émettre des ordres et instructions qui ne sont pas incompatibles ni avec la Loi sur la défense nationale, ni avec aucun règlement pris par le Gouverneur en conseil, le Conseil du trésor ou le Ministre :
a) dans l’accomplissement de ses fonctions en vertu de la Loi sur la défense nationale; ou
b) pour expliquer les règlements ou les mettre à exécution.
C’est en vertu de cette disposition que sont émises les OAFC et DCDS.
Je signale aussi que le paragraphe 18(2) de la Loi sur la Défense nationale prescrit que :
18. …
(2) Sauf ordre contraire du gouverneur en conseil, tous les ordres et directives adressés au Forces canadiennes pour donner effet aux décisions et instructions du gouvernement fédéral ou du ministre émanent, directement ou indirectement, du chef d’état-major de la défense.
Comme je l’ai déjà dit, les articles 17 et 48 de la Loi sur la Cour fédérale n’indiquent pas que toutes les actions doivent être introduites uniquement contre Sa Majesté la Reine ou contre le procureur général du Canada. Les textes sont permissifs à cet égard. Qui plus est, le paragraphe 17(5) autorise expressément les actions intentées contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits—actes ou omissions—survenus dans le cadre de ses fonctions. Il est important de faire remarquer qu’en l’espèce, on ne poursuit pas les défendeurs en leur qualité personnelle. Si c’était le cas, il est peu vraisemblable que la Cour aurait compétence sur l’action. Les défendeurs sont poursuivis en leur qualité de représentants seulement, à titre de fonctionnaires, de préposés ou de mandataires de la Couronne. Le redressement sollicité a trait uniquement à des mesures que les défendeurs pourraient prendre dans le cadre de ces fonctions.
Il est utile de passer partiellement en revue l’historique des articles 17 et 48 de la Loi sur la Cour fédérale. Il est bien connu que, jusqu’au milieu du siècle où nous vivons, nul ne pouvait intenter contre la Couronne une action en responsabilité délictuelle ou pour rupture de contrat, ainsi qu’il était possible de le faire contre d’autres personnes morales. Une procédure par pétition de droit, dans laquelle on demandait la permission de la Couronne pour intenter une poursuite judiciaire, était disponible dans les cas de rupture de contrat et, pour ce qui était du gouvernement fédéral, dans les cas de certains délits civils. Voir à cet égard la Loi sur les pétitions de droit, S.R.C. 1970, ch. P-12, et les lois qui l’ont précédée. L’historique des actions intentées contre la Couronne est décrit dans l’ouvrage de P. W. Hogg intitulé Liability of the Crown, 2e éd. (1989, Carswell). Quand l’article 48 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10] a été édicté, la Loi sur les pétitions de droit a été abrogée, S.R.C. 1970, ch. 10 (2e Supp.), paragraphe 64(1), et des dispositions, ajoutées à la Loi sur la responsabilité de la Couronne [S.R.C. 1970, ch. C-38], ont mis la Couronne sur le même pied à peu près qu’un simple particulier pour ce qui était de la responsabilité délictuelle ou contractuelle.
Même si l’on ne pouvait poursuivre directement la Couronne en responsabilité délictuelle ou contractuelle, il était possible depuis longtemps d’obtenir un jugement déclaratoire dans les cours d’équité en intentant une action contre le procureur général. C’est ce que l’on appelle parfois la « procédure Dyson ». Hogg, aux pages 18 à 20 de l’ouvrage précité, explique l’utilité des procédures déclaratoires intentées contre la Couronne et l’effet de la disparition de la procédure de pétition de droit :
[traduction] Un jugement déclaratoire énonce le droit qui s’applique aux parties, mais il ne comporte aucune ordonnance coercitive. La violation d’un jugement déclaratoire ne constitue pas un outrage au tribunal et n’entraîne pas d’autre pénalité. On comble parfois cette lacune en assortissant le jugement déclaratoire d’un redressement coercitif, comme des dommages-intérêts, une injonction ou une exécution directe, mais cela n’est pas nécessaire. La Cour est habilitée à rendre un jugement déclaratoire « qu’il soit possible ou non de solliciter un redressement consécutif ».
Ironiquement, l’absence de redressement coercitif fait que le jugement déclaratoire est devenu un recours excessivement utile en droit public, car la partie demanderesse n’a pas besoin d’établir « une cause d’action » en invoquant des faits qui lui donneraient droit à un redressement coercitif. Le jugement déclaratoire est donc souvent employé comme recours contre des mesures administratives illicites et des textes législatifs inconstitutionnels.
…
La procédure Dyson
Outre la procédure de pétition de droit, il était possible d’obtenir un jugement déclaratoire contre la Couronne en intentant une action ordinaire contre le procureur général. Cette méthode a été confirmée dans l’affaire Dyson v. Attorney General (1910), où la Cour d’appel d’Angleterre a déclaré qu’un avis fiscal envoyé à la partie demanderesse (et à huit millions d’autres personnes) n’était pas autorisé par la loi. Dans cette affaire, la partie défenderesse était le procureur général, et non la Couronne elle-même. Ce moyen d’obtenir un jugement déclaratoire contre la Couronne était également possible au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande.
La procédure Dyson avait un net avantage sur la pétition de droit, en ce sens que l’institution d’une action contre le procureur général n’exigeait pas une autorisation royale. Maintenant que la pétition de droit et l’obligation d’obtenir l’autorisation royale ont été abolies dans toutes les juridictions par les lois sur les actions contre la Couronne, la procédure Dyson ne présente plus aucun avantage. La méthode courante pour solliciter un jugement déclaratoire est celle, que sanctionnent les lois régissant les procédures contre la Couronne, d’intenter une action contre cette dernière. Cependant, bien que la loi régissant les procédures contre la Couronne de chaque juridiction abolisse la pétition de droit, dans nombre de ces juridictions la loi n’exclut pas expressément d’autres moyens de poursuivre la Couronne. Il s’ensuit que la procédure Dyson subsiste dans ces juridictions, et qu’il est toujours possible d’obtenir un jugement déclaratoire contre la Couronne dans une action où le procureur général est désigné comme défendeur.
14 Au Canada, seuls l’art. 21, N.-B. et l’art. 24, N.-É. abolissent expressément les autres procédures intentées contre la Couronne. Cependant, dans l’affaire Re MacNeil v. N.S. Bd of Censors (1974), 53 D.L.R. (3d) 259 (S.A.N.-É.), il a été décrété que la procédure Dyson survivait à l’art. 24 de la Nova Scotia Act parce que l’action intentée contre le procureur général en vue de l’obtention d’un jugement déclaratoire n’était pas une procédure engagée contre la Couronne au sens de cette Loi. Il convient de s’interroger sur la justesse de cette décision, car le procureur général n’est défendeur que de nom dans une telle action. L’affaire a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada, qui a confirmé la décision de la S.A.N.-É. : N.S. Bd. of Censors c. MacNeil [1976] 2 R.C.S. 265. Cependant, la Cour suprême du Canada n’a pas fait mention de l’art. 24, n’analysant que la question de la qualité pour agir, qu’elle a décrite comme étant l’unique objection préliminaire qui méritait d’être examinée par elle. [La plupart des renvois sont omis.]
La décision Dyson [Dyson v. Attorney-General, [1911] 1 K.B. 410 (C.A.)] a été invoquée dans l’arrêt Jones et Maheux v. Gamache, sur lequel le demandeur s’appuie en l’espèce. L’intitulé de cause secondaire dans cette affaire était Gamache c. Ministre des Transports, et la question pertinente qui était examinée consistait à savoir si le ministre des Transports était une partie défenderesse appropriée ou non. Le passage qui suit est extrait du sommaire relatif à la décision rendue dans cet arrêt, qui, à mon sens, résume bien la situation [à la page 316, D.L.R.] :
[traduction] Lorsqu’il est demandé de déclarer qu’un règlement établi par une instance gouvernementale autre que le gouvernement lui-même soit nul, l’action doit être intentée contre la personne investie du pouvoir dont les limites sont mises en question.
Je comprends que les défendeurs en l’espèce s’inquiètent du fait que, comme les règles permettent d’interroger au préalable les parties, si le ministre de la Défense nationale et le chef d’état-major de la défense demeurent les défendeurs, le demandeur puisse chercher à obtenir que chacun d’eux soit interrogé au préalable. En revanche, si l’intimé est Sa Majesté la Reine ou le procureur général, le gouvernement peut alors déléguer à l’interrogatoire préalable un fonctionnaire de son choix. Par ailleurs, en 1991, l’actuel ministre de la Défense nationale n’avait pas ce portefeuille et l’actuel chef d’état-major de la défense n’était pas titulaire de ce poste. En ce qui a trait à la personne qu’il convient de désigner en vue d’un interrogatoire préalable, je cite de nouveau Hogg (ouvrage précité), aux pages 31 et 32 :
[traduction] À l’extérieur de l’Australie, l’immunité de la Couronne a subsisté jusqu’à la vague de réformes dont la Crown Proceedings Act de 1947, au Royaume-Uni, a marqué le début. Cette loi, qui a mené à de nombreuses réformes, abolissait l’immunité de la Couronne contre les communications préalables en prévoyant que, dans les actions de nature civile auxquelles la Couronne était partie, cette dernière pouvait être tenue de communiquer des documents, de produire des documents en vue de leur examen et de répondre à des interrogatoires. La Nouvelle-Zélande a édicté une disposition analogue en 1950.
Au Canada, la United Kingdom Act est devenue le fondement de la Uniform Model Act de 1950 qui, à son tour, a servi de base aux lois provinciales régissant les procédures contre la Couronne. Chaque province permet maintenant d’interroger au préalable la Couronne. Il en va de même du parlement fédéral.
Désignation du représentant de la Couronne
En ce qui concerne l’interrogatoire préalable de la Couronne, il a fallu créer une disposition pour désigner la personne qui répondrait aux interrogatoires écrits ou oraux. La Uniform Model Act, à l’art. 11, prescrivait simplement que les règles de procédure régissant les interrogatoires préalables s’appliquaient [traduction] « de la même façon que si la Couronne était une personne morale ». Cela offrait une solution toute faite au problème de désigner le représentant qui comparaîtrait à un interrogatoire préalable. Dans chacune des provinces du Canada, les règles permettent à une partie qui désire interroger au préalable une personne morale de désigner la personne qui comparaîtra à titre de représentant de la personne morale; cette dernière a le droit de demander une ordonnance de substitution si elle estime que la personne désignée ne convient pas.
Sept provinces du Canada ont adopté la disposition de la Uniform Model Act et ont assimilé la Couronne à une personne morale pour les interrogatoires préalables. Le Manitoba prévoit pour sa part que c’est la Couronne (le procureur général) qui doit désigner la personne qui sera interrogée; cependant, la cour est autorisée à désigner une personne différente. Les règles qui s’appliquent aux actions intentées contre la Couronne fédérale sont essentiellement les mêmes que celles du Manitoba. La Loi de l’Ontario porte que le procureur général adjoint doit désigner la personne qui sera soumise à un interrogatoire préalable, et que la cour n’est pas habilitée à remplacer cette personne par quelqu’un de différent. La règle ontarienne encourage les parties demanderesses à intenter une procédure contre des fonctionnaires particuliers de la Couronne ainsi que contre la Couronne. Si un fonctionnaire particulier de la Couronne est l’un des défendeurs, la partie demanderesse a le droit de l’interroger. [C’est moi qui souligne; renvois omis.]
On suppose—on est convaincu même—que si le procureur général devait désigner une personne qui serait soumise à un interrogatoire préalable, il choisirait une personne qui est bien au fait du point en litige. Si ce n’était pas le cas, et cela est improbable à mon avis, la Cour pourrait intervenir pour s’assurer que l’on interroge une personne compétente. Je ne suis pas persuadée que les préoccupations des défendeurs concernant l’interrogatoire préalable sont importantes. En ce qui a trait aux interrogatoires préalables de ministres, il existe une jurisprudence considérable qui établit que, même s’ils sont comptables en définitive des mesures que prennent les personnes relevant d’eux, les ministres ne sont souvent pas les plus au courant des faits qui sont en litige, et ne sont souvent pas les personnes qui conviennent pour être interrogées au préalable. Comme je l’ai déjà dit, l’avocat du demandeur a fait clairement comprendre que le ministre de la Défense nationale et le chef d’état-major de la Défense ne sont pas poursuivis à titre personnel. Je ne suis pas convaincue que je devrais tenir compte, à ce stade-ci, des questions concernant les personnes qu’il convient d’interroger au préalable. Ce point pourra être réglé plus tard, s’il suscite un réel désaccord entre les parties.
Enfin, pour ce qui est de l’argument de l’avocat du demandeur selon lequel les défendeurs en l’espèce sont ceux qui conviennent parce qu’une partie de la mesure de redressement sollicitée est une injonction visant à empêcher ces derniers de mettre en application ou d’autoriser la mise en application de la politique contestée, il est utile selon moi de citer les propos suivants de Sharpe, dans son ouvrage intitulé Injunctions and Specific Performance (1983), aux pages 168 et 169 :
[traduction] Il est généralement reconnu qu’en common law une injonction ne peut être prononcée contre la Couronne elle-même, et ce, pour plusieurs raisons. Il a été dit qu’étant donné que la cour est une émanation de la Couronne, il serait incongru de sa part de tenter d’exercer un contrôle sur cette dernière et qu’il n’existe aucun moyen d’exécuter une telle injonction. Cependant, dans une affaire entendue au Canada, la Cour d’appel du Manitoba s’est écarté de ce principe et a confirmé une injonction interlocutoire visant à empêcher la Couronne et un ministre de mettre à exécution une mesure d’expulsion. La Cour a statué qu’étant donné que la Couronne n’était pas la partie défenderesse principale, il était possible d’assurer le caractère exécutoire de l’ordonnance en engageant des procédures contre les autres défendeurs. En réalité, il importe peu de savoir si la Couronne elle-même peut être soumise à une injonction à juste titre. La Couronne est une entité abstraite, qui fonctionne par l’entremise d’individus, et s’il est possible de contrôler ces derniers au moyen d’injonctions, on contrôle de la sorte la Couronne.
On ne s’entend pas sur la question de savoir si une injonction peut être prononcée contre un préposé de la Couronne mais, malgré cette incertitude, il semble que les décisions rendues au Canada étayent le fait de prononcer une injonction contre un ministre ou un préposé de la Couronne lorsque sa conduite ne peut être justifiée en droit. Le principe fondamental qui ressort est qu’une injonction sera accordée pour empêcher un préposé de la Couronne d’excéder les limites légitimes de son pouvoir ou d’agir sans pouvoir aucun lorsque les actes contestés violent le droit de la partie demanderesse. [Renvois omis.]
La décision manitobaine mentionnée dans la citation qui précède est Carlic v. The Queen and Minister of Manpower and Immigration (1967), 65 D.L.R. (2d) 633 (C.A. Man.). Il était allégué, apparemment, que la procédure dans cette affaire était défectueuse parce qu’elle était intentée à la fois contre Sa Majesté la Reine et contre le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. La Cour a décrété ce qui suit, aux pages 637 à 639 du recueil :
[traduction] Il serait peut-être bon de faire remarquer que les tribunaux ont confirmé à plus d’une reprise le droit qu’ils ont d’empêcher un ministre de la Couronne de faire des gestes qui étaient illégaux ou qui excédaient les pouvoirs que leur conférait la loi. Ainsi, dans l’affaire C.P.R. Co. et al. v. A.-G. Sask. [1951] 3 D.L.R. 362, 1 W.W.R. (N.-É.) 193, le juge Thomson était saisi d’une requête selon laquelle le redressement demandé contre la Couronne ne pouvait être obtenu que par pétition de droit, et que les défendeurs—le procureur général de la Saskatchewan et le ministre des Ressources naturelles—étaient des préposés ou des mandataires de la Couronne et avaient été joints à tort comme défendeurs dans cette action. Le juge Thomson a rejeté la requête. Il a décrété que la Cour pouvait instruire une action pour déterminer si les actes menacés étaient ultra vires ou illégaux, et, dans l’affirmative, qu’elle pouvait empêcher de prendre de telles mesures ou d’intenter de telles procédures. Il a donc statué que le procureur général de la Saskatchewan et le ministre des Ressources naturelles avaient été joints à juste titre comme défendeurs à l’action.
L’affaire a été soumise en temps utile à la Cour suprême du Canada (C.P.R. et al. v. A.-G. Sask., [1952] 4 D.L.R. 11, 69 C.R.T.C. 1, [1952] 2 R.C.S. 231), pour d’autres points, cependant. L’unique référence qui est faite à la question de nature procédurale figure dans la décision du juge Kerwin (tel était alors son titre), s’exprimant pour lui-même et pour les juges Taschereau, Cartwright et Fauteux. Il a déclaré ce qui suit, aux p. 20 et 21 de la décision :
Le juge de première instance et la Cour d’appel [[1951] 4 D.L.R. 21, 68 C.R.T.C. 232, 2 W.W.R. (N.-É.) 424] ont traité de plusieurs autres questions soulevées par les parties qui, toutefois, ont maintenant abandonné leurs prétentions concernant ces questions … Les intimés ont renoncé à l’argument selon lequel l’action n’avait pas été intentée à juste titre contre le procureur général et le ministre des Ressources naturelles et du Développement industriel.
…
En appliquant les principes susmentionnés, je crois qu’il est bon de se rappeler que la controverse dont il est question en l’espèce, comme dans l’affaire Gooliah, oppose fondamentalement l’État et un individu, la Couronne et un sujet. Le litige oppose plus précisément le ministère de la Main-d’œuvre et de l’Immigration et le demandeur. Le fait que le Ministère soit représenté par Sa Majesté la Reine ou par le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration ou par tout autre défendeur nommé m’apparaît moins important que le fait que les points en litige ont été soumis à la Cour par le demandeur d’une part et, d’autre part, par quelqu’un d’autre capable de s’exprimer d’une manière responsable pour le Ministère. C’est dans ce sens que j’ai considéré que les objections formulées par la Couronne dans l’affaire Gooliah revêtent un caractère technique. C’est également ainsi que je considère le sujet de la présente requête.
Détail intéressant, la Cour d’appel du Manitoba a formulé des observations sur cette décision, en y souscrivant, dans l’affaire Juandoo v. Attorney General of Guyana, [1971] A.C. 972 (P.C.). Je ne me propose pas de relater les faits de cette affaire, qui se rapportent à des règles procédurales bien précises. Il suffit de citer un passage de ce jugement, qui figure aux pages 984 et 985 du recueil :
[traduction] La question qui se pose est celle de savoir si une injonction était un redressement que la cour était autorisée à décerner contre le « gouvernement du Guyana », l’unique entité contre laquelle l’injonction était sollicitée. Cette expression désigne la personne ou, s’il y en a plus qu’une, les personnes prises collectivement, auxquelles est conféré le pouvoir exécutif de l’État démocratique souverain du Guyana en vertu de la Constitution…
À l’époque en cause, l’autorité exécutive du Guyana était conférée à Sa Majesté et exercée par le gouverneur général pour le compte de cette dernière, aux termes de l’article 33 de la Constitution. À l’audition de la requête devant la Haute cour, une injonction contre le gouvernement du Guyana aurait donc été contre la Couronne. Il s’agisait d’une mesure qu’un tribunal n’était pas autorisée à prendre dans les dominions de Sa Majesté. L’explication, en théorie constitutionnelle, est que la cour exerce son pouvoir judiciaire pour le compte de la Couronne. Par conséquent, toute ordonnance que rend la cour est elle-même rendue pour le compte de la Couronne, et il serait incongru que cette dernière se donne elle-même des ordres.
Quand l’ordonnance coercitive revêt la forme d’une injonction, un autre facteur s’oppose à ce que cette dernière soit prononcée contre une entité décrite comme étant « le gouvernement du Guyana ». Si, au moment de l’audition de la requête, cette expression désignait plus que Sa Majesté, en qui l’autorité exécutive du Guyana était conférée et au service de laquelle se trouvaient tous les fonctionnaires, elle n’indiquait pas quelles personnes seraient liées par l’ordonnance. Ce qu’une injonction doit toujours faire. Dans la présente affaire, l’ordonnance demandée visait à empêcher « le gouvernement du Guyana d’entreprendre ou de poursuivre des travaux de construction routière, soit par lui-même soit par des personnes à son service » sur les terres en question. Jusqu’à quel palier, vers le bas dans la hiérarchie officielle de la fonction publique, ou vers le haut, jusqu’à Sa Majesté, une injonction libellée en ces termes s’étend-elle? Si, malgré l’injonction, les travaux de construction routière étaient entrepris ou poursuivis, est-ce que tous ceux qui, sous le Cabinet inclusivement, auraient pu donner des instructions pour que l’on n’exécute pas les travaux auraient été passibles d’incarcération ou de saisie-arrêt pour cause de violation?
…
Une forme de redressement qui n’aurait pas donné lieu à ces objections aurait été une déclaration du droit du propriétaire foncier de ne pas se faire prendre ses terres. Cette déclaration aurait pu être formulée à juste titre contre le Gouvernement du Guyana en tant que tel.
Une déclaration de droits, contrairement à une injonction, ne constitue cependant pas une forme convenable de redressement provisoire en attendant qu’une décision définitive soit prise au sujet de la requête du propriétaire foncier. Cependant, s’il y avait urgence, le propriétaire foncier aurait pu ajouter, à titre de partie supplémentaire à la requête, le directeur des Travaux ou le ministre à qui sont aujourd’hui conférés les pouvoirs du directeur des Travaux, en vertu de l’Ordonnance concernant les travaux routiers, et de demander qu’une injonction soit prononcée contre lui. Cela autoriserait la cour à accorder une injonction provisoire si l’urgence de la question le justifiait. C’est la voie qui a été suivie dans une affaire entendue au Canada, Carlic v. The Queen and Minister of Manpower and Immigration (1968) 65 D.L.R. (2d) 633, encore qu’il ne soit pas exact, selon nous, que l’injonction provisoire accordée dans cette affaire aurait dû s’appliquer aux deux défendeurs plutôt qu’au ministre à l’exclusion de la Reine.
Dans les affaires de nature non constitutionnelle, il existe, bien sûr, dans certaines juridictions, un débat sur la justesse d’accorder une injonction contre des fonctionnaires de la Couronne lorsque cette injonction agit contre eux en leur qualité de représentants, plutôt qu’en leur qualité personnelle. S.A. de Smith analyse ce débat et souscrit à la démarche des tribunaux canadiens dans son ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action (4e éd. 1980), aux pages 445 à 449. Dans la présente affaire, étant donné que la contestation est de nature constitutionnelle, ce débat particulier serait sans objet de toute façon car, aux termes de l’article 24 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], la Cour a compétence pour accorder les mesures de réparation, quelles qu’elles soient, qui conviennent dans les circonstances.
Cette analyse de la jurisprudence applicable ne me convainc pas du bien-fondé de radier l’action du demandeur contre les défendeurs présentement nommés. Je ne vois cependant aucun obstacle à ce qu’on ajoute Sa Majesté la Reine comme partie défenderesse supplémentaire à l’action. L’avocat du demandeur a indiqué qu’il ne s’opposait pas à une telle mesure. Une ordonnance à cet effet sera donc rendue.
La Ligue en tant que demanderesse ou intervenante
Le dernier point à considérer est la requête de la Ligue, qui désire être ajoutée au présent litige soit à titre de demanderesse (de droit ou avec la permission de la Cour) soit à titre d’intervenante. Le demandeur appuie la requête de la Ligue, y compris celle d’être ajoutée comme codemanderesse.
La requête de la Ligue pour être ajoutée, de droit, comme codemanderesse repose sur la décision qu’a rendue le juge Muldoon dans l’affaire B’Nai Brith Canada Ligue des droits de la personne c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (précitée). Comme je l’ai indiqué, par cette décision la Ligue a obtenu la permission d’introduire une action par déclaration pour contester la constitutionalité de la directive DCDS 9/83. L’avocat fait valoir que si la Ligue avait introduit une action par elle-même pour contester cette directive, la Cour se trouverait maintenant saisie de deux causes soulevant des questions identiques; ce serait là un cas classique de jonction d’instances. L’avocat fait donc valoir qu’il faudrait accorder à la Ligue le statut de codemanderesse en l’espèce.
L’avocat des défendeurs soutient que la décision du juge Muldoon était subordonnée à celle que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Conseil canadien des églises c. Canada, [1990] 2 C.F. 534, et que cette décision a maintenant été infirmée [[1992] 1 R.C.S. 236]. Il soutient donc qu’il ne convient pas d’accorder à la Ligue le statut de demandeur, mais qu’on peut lui accorder le statut d’intervenante.
Je crois que c’est l’argument de l’avocat des défendeurs qui l’emporte. Dans l’affaire Conseil canadien des églises, la Cour d’appel fédérale a déterminé qu’il existait d’autres moyens raisonnables et efficaces de soumettre à la Cour la question constitutionnelle en cause. La Cour a néanmoins donné au Conseil qualité pour agir, vraisemblablement parce qu’en contribuant directement à aider les revendicateurs du statut de réfugié, le Conseil avait un intérêt dans certains aspects au moins du litige. La Cour suprême a infirmé cette décision, en réitérant les trois conditions qui s’appliquent à la qualité pour agir dans l’intérêt public. La Cour a déclaré que cette qualité n’est pas requise lorsqu’il peut être démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la mesure en question, dont la constitutionnalité est en cause, sera contestée par une partie privée.
Le juge Muldoon n’a pas tiré de conclusion sur le fait de savoir si, dans l’affaire dont il était saisi, ce troisième critère était satisfait parce que, à ce moment, la Cour d’appel fédérale avait élargi cette condition. Je ne crois donc pas que la Ligue puisse s’appuyer sur la décision du juge Muldoon pour étayer sa demande d’être ajoutée comme codemanderesse. Compte tenu de la décision que la Cour suprême a rendue dans l’affaire Conseil canadien des églises, je ne suis pas convaincue que la Ligue pourrait soutenir par elle-même une action dans cette affaire. En conséquence, elle sera ajoutée comme intervenante. J’invite l’avocat de la Ligue, en consultation avec celui du demandeur et celui des défendeurs, de me soumettre un projet d’ordonnance énonçant les conditions dans lesquelles se ferait cette intervention. J’ai cru comprendre que tous s’entendaient dans une grande mesure sur ce que les conditions devaient être.
[1] Voir, de façon générale, Holmested and Gale, Ontario Judicature Act & Rules Practice, v. 2, R. 143; Holmested and Watson : Ontario Civil Procedure, v. 2, p. 25-13 et suivantes; Sgayias, Kinnear, Rennie & Saunders, Federal Court Practice 1993, p. 461 et suivantes.
[2] 17. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.
(2) La Section de première instance a notamment compétence concurrente en première instance, sauf disposition contraire, dans les cas de demande motivés par :
a) la possession par la Couronne de terres, biens ou sommes d’argent appartenant à autrui;
b) un contrat conclu par ou pour la Couronne;
c) un trouble de jouissance dont la Couronne se rend coupable;
d) une demande en dommage-intérêts formée au titre de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. [C’est moi qui souligne.]
[3] Loi sur la Défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 3, 4 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.) ch. 6, art. 10].