A-799-00
2002 CAF 177
Derek Hogg (demandeur)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
et
Ontario Conference of Judges/Conférence des Juges de l'Ontario (intervenante)
Répertorié: Hogg c. Canada (C.A.)
Cour d'appel, juges Décary, Rothstein et Nadon, J.C.A. --Toronto, 30 avril; Ottawa, 7 mai 2002.
Impôt sur le revenu -- Calcul du revenu -- Déductions -- Contrôle judiciaire de la décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt selon laquelle les frais engagés par le demandeur pour son véhicule moteur dans ses déplacements entre sa résidence et son lieu de travail ne sont pas déductibles -- Le demandeur est juge à la Cour provinciale de l'Ontario -- Il fait la navette entre sa résidence et le palais de justice dans sa propre automobile -- L'art. 8(1)h.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu permet la déduction «de frais afférents à un véhicule à moteur pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi» dans le cas où le contribuable est habituellement tenu d'accomplir les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur ou à différents endroits et est tenu, aux termes de son contrat d'emploi, d'acquitter «les frais afférents à un véhicule moteur engagés dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi» -- Demande rejetée -- «Les frais afférents à un véhicule moteur pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi» exigent que ces frais soient encourus par le titulaire de la charge alors qu'il accomplit ses fonctions.
Interprétation des lois -- L'art. 8(1)h.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu permet la déduction «de frais afférents à un véhicule à moteur pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi» dans le cas où le contribuable est habituellement tenu d'accomplir les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur ou à différents endroits et est tenu, aux termes de son contrat d'emploi, d'acquitter «les frais afférents à un véhicule moteur engagés dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi» -- Ces termes exigent nécessairement que les frais du déplacement soient engagés dans l'accomplissement des fonctions plutôt que simplement pour se rendre au travail -- La version française («l'accomplissement des fonctions de sa charge», «dans l'exercice des fonctions de son emploi») étaye cette interprétation.
Juges et tribunaux -- Juge de la Cour provinciale de l'Ontario qui réclame, en vertu de l'art. 8(1)h.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, la déduction des frais afférents à son véhicule engagés pour se déplacer entre sa résidence et le palais de justice -- Il soutient qu'il était obligé de prendre sa voiture pour des raisons de sécurité -- Ces préoccupations ne sont pas pertinentes quant à la question de savoir s'il a droit à une déduction -- Lorsque le demandeur se sert de sa voiture pour faire la navette entre sa résidence et le palais de justice, il engage des frais qui sont personnels -- Ces frais ne peuvent pas être déduits.
lois et règlements
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 369b).
Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 8(1)h.1) (édicté par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 5). |
jurisprudence
décisions appliquées:
Ricketts c. Colquhoun, [1926] A.C. 1 (H.L.); O'Neil c. Canada (2000), 2000 DTC 2409 (C.C.I.); Canada c. Mac, 2002 CSC 24; [2002] A.C.S. no 26.
décision citée:
Scott c. Canada (1998), 162 D.L.R. (4th) 595; [1998] 4 C.T.C. 103; 98 DTC 6530; 229 N.R. 273 (C.A.F.).
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt selon laquelle les frais engagés par un juge de la Cour provinciale de l'Ontario pour son véhicule moteur dans ses déplacements entre sa résidence et son lieu de travail ne sont pas déductibles en vertu de l'alinéa 8(1)h.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Hogg c. Canada, [2000] A.C.I. no 784). Demande rejetée.
ont comparu:
Donald G. Martin, c.r., pour le demandeur.
J. Paul Malette, c.r., et Jenna L. Clark pour la défenderesse.
Robert G. Kreklewetz et Teresa Galle pour l'intervenante.
avocats inscrits au dossier:
Thompson, Tooze, McLean & Elkin, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Millar Wyslobicky Kreklewetz, Toronto, pour l'intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Nadon, J.C.A.: Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par le juge Campbell de la Cour canadienne de l'impôt le 14 novembre 2002 ([2002] A.C.I. no 784 (QL)). Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que le demandeur ne pouvait pas déduire les frais qu'il avait engagés pour son véhicule à moteur pour ses déplacements entre sa résidence et son lieu de travail, et ce, pour les années d'imposition 1996 et 1997.
[2]Le demandeur est un juge de la Cour provinciale de l'Ontario, Division criminelle. À l'époque en question, celui-ci était juge administratif et son bureau était situé à la Cour provinciale de East Mall à Etobicoke (le palais de justice). Le demandeur a fait la navette entre sa résidence et le palais de justice dans sa propre automobile. Lorsque celui-ci entendait une cause loin du palais de justice ou lorsqu'il assistait à des réunions à d'autres endroits, il se servait aussi de son automobile pour ses déplacements.
[3]La question dont le juge de la Cour de l'impôt ainsi que nous-mêmes sommes saisis est celle de la déductibilité des frais afférents au véhicule à moteur encourus par le demandeur en faisant la navette entre sa résidence et le palais de justice.
[4]Le juge de la Cour de l'impôt, après un examen minutieux de la preuve, a examiné les dispositions légales pertinentes, en particulier l'alinéa 8(1)h.1) [édicté par L.C. 1994, ch. 7, ann. II, art. 5] de la Loi de l'impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] (la Loi) qui est ainsi libellée:
8. (1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant:
[. . .]
(h.1) dans le cas où le contribuable, au cours de l'année, a été habituellement tenu d'accomplir les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur ou à différents endroits et a été tenu, aux termes de son contrat d'emploi, d'acquitter les frais afférents à un véhicule à moteur qu'il a engagés dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi, les sommes qu'il a dépensées au cours de l'année au titre des frais afférents à un véhicule à moteur pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi, sauf s'il a, selon le cas:
(i) reçu une allocation pour frais afférents à un véhicule à moteur qui, par l'effet de l'alinéa 6(1)b), n'est pas incluse dans le calcul de son revenu pour l'année,
(ii) demandé une déduction pour l'année en application de l'alinéa f);
[5]D'après son interprétation de l'alinéa 8(1)h.1) de la Loi et en s'appuyant, notamment, sur la décision de la Chambre des lords dans l'arrêt Ricketts v. Colquhoun, [1926] A.C. 1, le juge de la Cour de l'impôt a conclu que le demandeur n'avait pas droit à la déduction réclamée. Dans Ricketts, précité, la Chambre des lords a décidé que les frais encourus par un contribuable pour faire la navette entre sa résidence et son lieu de travail n'étaient pas des frais encourus afin de lui permettre d'accomplir ses fonctions, mais plutôt des frais personnels et ils ne pouvaient pas être déduits par le contribuable.
[6]En concluant de la sorte, le juge de la Cour de l'impôt a rejeté l'argument du demandeur selon lequel il avait droit à la déduction parce qu'il était obligé de prendre sa voiture pour se rendre au palais de justice pour des raisons de sécurité. De l'avis du juge de la Cour de l'impôt, la décision qu'a prise le demandeur d'utiliser son véhicule à moteur pour se rendre au palais de justice, malgré ses préoccupations concernant sa sécurité, représentait une décision personnelle et, par conséquent, elle n'était pas visée par le cadre législatif de l'article 8 de la Loi.
[7]À mon avis, le juge de la Cour de l'impôt n'a commis aucune erreur en concluant que le demandeur n'avait pas droit à la déduction réclamée.
[8]Le demandeur et l'intervenante ont tous deux prétendu que les exigences de l'alinéa 8(1)h.1) de la Loi ont été rencontrées par le demandeur et que, par conséquent, celui-ci avait droit à la déduction réclamée. M. Kreklewetz, au nom de l'intervenante, nous a invités à faire une distinction avec l'arrêt Ricketts, précité, qu'il a qualifié de [traduction] «vieille jurisprudence ou de jurisprudence étrangère et sans pertinence», au motif que le texte législatif dont était saisie la Chambre des lords, dans cette affaire, n'était pas aussi large que le langage utilisé au paragraphe 8(1)h.1) de la Loi. Après avoir souligné que la loi anglaise exigeait que les frais soient engagés [traduction] «pour se déplacer dans l'accomplissement des fonctions de son emploi» alors que la Loi exigeait que les frais aient été encourus «pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi», M. Kreklewetz a prétendu que l'expression «frais encourus pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi» était assez large pour inclure les frais réclamés comme déduction par le demandeur. Dans l'argument de M. Kreklewetz, malgré que ces frais n'aient pas été engagés dans l'accomplissement des fonctions de son emploi, ils ont de toute évidence été encourus dans l'exercice des fonctions de son emploi.
[9]À mon avis l'arrêt Ricketts, précité, ne peut pas être distingué sur la base invoquée par M. Kreklewetz. Le vicomte Cave, lord chancelier, a fait les remarques suivantes à la page 4 en concluant que les frais encourus par le contribuable en faisant la navette entre sa résidence et son lieu de travail ne pouvaient pas être déduits:
[traduction] En ce qui concerne les frais encourus par l'appelant pour ses déplacements aller-retour à Portsmouth, lesquels frais peuvent comprendre le modeste paiement du transport à la Cour de la boîte métallique contenant ses toges et sa perruque, les mots importants de la règle sont ceux qui prévoient que, si le titulaire d'une charge est [traduction] «nécessairement obligé d'engager [. . .] les frais pour se déplacer dans l'accomplissement des fonctions de son emploi» les frais ainsi «nécessairement engagés» peuvent être déduits des émoluments devant être imposés. La question consiste à savoir si les frais de déplacement en question entrent dans cette catégorie. Après avoir examiné la question le plus attentivement possible, je suis d'accord avec les commissaires et avec les cours d'instance inférieure que ceux-ci ne tombent pas dans cette catégorie. Afin d'être déductibles en vertu de cette règle d'une cotisation établie en vertu de l'annexe E, ceux-ci doivent être des frais que le titulaire de la charge est nécessairement obligé d'engager, c'est-à-dire, obligé par le fait même qu'il est titulaire de la charge et qu'il doit accomplir ses fonctions; et ceux-ci doivent être engagés dans l'accomplissement de ces fonctions.
Les frais en question dans la présente affaire ne me semblent pas répondre à aucun de ces critères. Ceux-ci sont engagés non pas parce que l'appelant occupe le poste de registraire de Portsmouth, mais parce que, comme celui-ci vit et pratique loin de Portsmouth, il doit se rendre à cet endroit avant de pouvoir commencer à accomplir ses fonctions de registraire et, après avoir accompli celles-ci, celui-ci désire retourner à la maison. Les frais sont encourus, non pas dans l'accomplissement de ses fonctions, mais en partie avant l'accomplissement et en partie après l'accomplissement. [Non souligné dans l'original.]
[10]À mon avis, il est clair que le vicomte Cave, lord chancelier, a compris que le sens de l'expression [traduction] «dans l'accomplissement de ces fonctions» est le même que celui de l'expression [traduction] «dans l'exercice de ses fonctions». L'alinéa 8(1)h.1) utilise l'expression «frais afférents [. . .] qu'il a engagés dans l'accomplissement des fonctions de sa charge» et «frais afférents [. . .] pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi». Les frais afférents au véhicule moteur encourus pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi exigent nécessairement que ces frais soient encourus par le titulaire de la charge alors qu'il accomplit ses fonctions. L'alinéa ne peut pas être lu autrement.
[11]Bien que la distinction que M. Kreklewetz nous a invités à faire semblait attrayante au premier coup d'oeil, celle-ci n'est pas bien fondée. Dans l'arrêt O'Neil c. Canada (2000), 2000 DTC 2409, le juge Rip de la Cour de l'impôt a examiné un argument similaire. Aux paragraphes 23 et 24 de ses motifs, celui-ci conclut que «se déplacer dans l'exercice de sa charge ou de son emploi» suppose nécessairement la prestation «d'un service» et que ce déplacement «ne consiste pas simplement à se rendre au lieu de travail». Je ne peux pas souscrire à l'interprétation du juge Rip.
[12]Cette interprétation est appuyée par la version française de l'alinéa 8(1)h.1) qui ne laisse aucun doute dans mon esprit que les frais afférents à un véhicule à moteur pour lesquels un contribuable peut réclamer une déduction doivent avoir été engagés dans l'accomplissement des fonctions de sa charge. La version française utilise l'expression «l'accomplis-sement des fonctions de sa charge» et «dans l'exercice des fonctions de son emploi». Dans l'arrêt Canada c. Mac, 2002 CSC 24; [2002] A.C.S. no 26, la Cour suprême du Canada a examiné l'interprétation du mot «adapted» comme il apparaît à l'alinéa 369b) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. En concluant que le mot anglais «adapted» signifie «suitable for», M. le juge Bastarache a examiné les versions française et anglaise de l'article. Aux paragraphes 5 à 7 de ses motifs, celui-ci a expliqué comme suit son raisonnement:
Le Code criminel est une loi bilingue dont les versions anglaise et française font pareillement autorité. Dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 413-414, Pierre-André Côté rappelle que pour interpréter une loi bilingue, il faut en premier lieu rechercher le sens qui est commun aux deux versions. Dans les cas où une version peut être ambiguë, les tribunaux doivent d'abord examiner la version rédigée dans l'autre langue officielle pour déterminer si elle est claire, c'est-à-dire, non équivoque.
En l'espèce, toute ambiguïté décelée dans la version anglaise est résolue par le libellé clair et non équivoque de la version française de l'al. 369b). Il n'est donc pas nécessaire d'appliquer d'autres règles d'interprétation législative, telles celles invoquées par la Cour d'appel.
Les alinéas 369b) et 342.01(1)d) sont liés, comme l'a mentionné le juge Doherty. Ils doivent être interprétés ensemble. la version française de l'al. 342.01(1)d) utilise le terme «modifié» comme équivalent du terme anglais «adapted». Par contre, c'est l'équivalent «adaptés» qui correspond au terme «adapted» dans l'al. 369b). Il est donc clair que, dans le premier cas, le terme «adapted» signifie modifié et qu'il n'a pas ce sens dans le dernier cas. Le sens commun des termes «adapted/adapté» à l'al. 369b) est donc «apte à».
[13]Donc, selon moi, suivant le sens ordinaire des versions française et anglaise de l'alinéa 8(1)h.1) de la Loi, il ressort clairement que les termes «frais afférents à un véhicule à moteur pour se déplacer dans l'exercice des fonctions de son emploi» exigent nécessairement que ces frais soient engagés par le contribuable dans l'accomplissement des fonctions de sa charge.
[14]Le demandeur et l'intervenante ont prétendu, en outre, en s'appuyant sur la décision de notre Cour dans l'arrêt Scott c. Canada (1998), 162 D.L.R. (4th) 595 (C.A.F.), que les préoccupations légitimes en matière de sécurité du demandeur justifiaient l'utilisation de son automobile et ainsi lui donnaient droit à la déduction réclamée. Au paragraphe 36 de son mémoire, l'intervenante a étayé comme suit ses prétentions:
[traduction]
i. les besoins d'un juge en matière de sécurité et de protection de la vie privée sont des besoins légitimes et les frais y ont répondu; |
ii. les besoins d'un juge en matière de sécurité et de protection de la vie privée existaient précisément en raison de la nature de la charge judiciaire; |
iii. la sécurité et la protection de la vie privée étaient des besoins qui étaient tout à fait inhérents à la charge judiciaire du demandeur. |
[15]Pour les motifs exposés par la Cour de l'impôt, je suis d'avis que les préoccupations en matière de sécurité du demandeur ne sont pas pertinentes quant à la question de savoir si celui-ci a droit ou non à une déduction en vertu de l'alinéa 8(1)h.1) de la Loi. Il va sans dire que je ne suis pas indifférent aux préoccupations en matière de sécurité du demandeur, mais il s'agit là d'une question dont le demandeur pourrait discuter avec son «employeur». Il reste, toutefois, que lorsque le demandeur se sert de sa voiture pour faire la navette entre sa résidence et le palais de justice, celui-ci engage des frais qui sont personnels et qui ne peuvent pas être déduits.
[16]Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.
Le juge Décary, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.
Le juge Rothstein, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.