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[1994] 2 C.F. 279

A-916-92

Le navire Cisco et Kim-Crest, S.A. (appelants)

c.

Redpath Industries Limited (intimée)

Répertorié : Redpath Industries Ltd. c. Cisco (Le) (C.A.)

Cour d’appel, juges Desjardins, Décary et Létourneau, J.C.A.—Montréal, 25 octobre; Ottawa, 20 décembre 1993.

Droit maritime — Transport de marchandises — Appel formé contre le jugement de première instance quant au montant des dommages-intérêts — Une partie d’une cargaison de sucre brut a été avariée par de l’eau de mer — Le seul acheteur potentiel était un fabricant de nourriture pour animaux qui était disposé à payer le sucre à un prix inférieur — L’intimée, raffineur de sucre, a raffiné le sucre avarié en incorporant de petites quantités de ce sucre à du sucre sain — La méthode appropriée pour calculer les dommages-intérêts dans les affaires de transport de marchandises consiste à déduire la valeur marchande avariée à destination de la valeur marchande saine à destination — La vente de la marchandise n’ayant été envisagée à aucun moment, celle-ci n’avait aucune valeur marchande — La seule valeur possible de la marchandise avariée était celle qu’elle avait pour l’intimée — Cette valeur est déterminée par les coûts supplémentaires réels de production engagés pour utiliser la marchandise — Une fois que le propriétaire décide d’utiliser la marchandise avariée, il lui incombe de prouver les coûts supplémentaires de production — Comme la preuve des coûts engagés pour raffiner le sucre avarié était insatisfaisante, une somme de 50 000 $ à titre de coûts de raffinage semble raisonnable — L’incorporation du sucre était une mesure raisonnable compte tenu des connaissances de l’intimée et de l’équipement dont elle disposait.

Dommages-intérêts — Facteurs limitatifs — Limitation — Cargaison de sucre reçue en mauvais état par le raffineur — Le sucre avarié a été raffiné par incorporation à du sucre sain — Montant des dommages-intérêts — Le raffineur avait-il l’obligation de limiter sa perte comme il l’a fait? — La demanderesse ne peut être dédommagée pour plus que sa perte — Le règlement intervenu avec les assureurs ne constitue pas un facteur atténuant le préjudice, le contrat d’assurance étant res inter alios acta — Le juge de première instance a confondu le contrat avec l’obligation de limiter les dommages — L’obligation pour un défendeur de prouver qu’aucune mesure n’a été prise pour limiter le préjudice ne libère pas le demandeur de son obligation de prouver un élément évident dans le calcul de ses dommages-intérêts — Il n’est pas nécessaire de prendre des risques déraisonnables pour limiter les dommages-intérêts — Il faut prendre les mêmes mesures que prendrait une personne prudente dans le cours normal de ses affaires — L’obligation de limiter le préjudice ne se limitait pas à essayer de trouver un acheteur pour le sucre avarié — La règle selon laquelle il ne faut pas tenir compte des caractéristiques particulières du demandeur s’applique aux dommages-intérêts mais non à l’obligation de les limiter — Les risques pris en l’espèce pour limiter le préjudice étaient minimes et il était possible d’y faire face — L’auteur d’un délit a le droit de profiter des mesures qui permettent de limiter le préjudice — Un demandeur a le droit de se faire rembourser les frais qu’il a raisonnablement engagés pour limiter son préjudice — Il lui incombe alors de prouver les frais engagés lorsqu’il en est le seul au courant — Il n’a pas à mettre en place un système perfectionné permettant de calculer les frais engagés pour limiter le préjudice — Il doit décrire les opérations supplémentaires et fournir une évaluation approximative des coûts.

Il s’agissait en l’espèce d’un appel ainsi que d’un appel incident formés contre le jugement de première instance relativement au montant des dommages-intérêts qui devaient être accordés. Une partie d’une cargaison de sucre brut a été avariée par de l’eau de mer ce qui a entraîné une perte de polarité du sucre (l’échelle utilisée pour évaluer le sucre), celle-ci passant de 97,5 à 92,5 . En vertu du contrat de vente, qui précisait qu’elle assumait le risque de perte au moment du chargement du navire, l’intimée a été tenue de payer le vendeur comme si elle avait reçu le sucre en état sain. L’intimée avait l’intention d’abandonner la marchandise, mais les assureurs n’ont pas voulu accepter cet abandon et ils ont plutôt réglé la demande d’indemnité de l’intimée pour une somme qui représentait 50 % de la valeur marchande saine à destination moins une somme de 17 000 $ pour les frais déjà engagés pour décharger le sucre. L’intimée, raffineur de sucre, a incorporé de petites quantités du sucre humide à de grandes quantités de sucre sain, et elle a pu ainsi raffiner tout le sucre humide. Elle a ensuite intenté une action dans laquelle elle réclamait une somme de 300 000 $ aux appelants. Elle a démontré que le sucre brut n’aurait pu être vendu qu’à des fabricants de nourriture pour animaux qui étaient disposés à payer celui-ci 53 332,78 $. Le juge de première instance a dit que le critère approprié pour évaluer les dommages-intérêts consistait à soustraire la valeur marchande avariée à destination (V.M.A.D.), ou 53 332,78 $, de la valeur marchande saine à destination (V.M.S.D.), ou 279 660,62 $, ce qui donne 226 327,40 $. Il a statué que l’intimée n’avait pas droit à cette somme vu qu’elle avait une obligation de limiter les dommages qui était égale à l’accord de règlement. Il a conclu que l’intimée avait reçu 50 % de la valeur marchande saine du sucre brut à destination. On ne pouvait demander aux appelants de payer des pertes qui n’avaient pas été subies. Le juge a accordé à l’intimée une somme représentant la valeur facturée des marchandises (304 927,24 $) et non la V.M.S.D. qu’avaient utilisée les assureurs (279 660,18 $); il en a déduit ce qu’il a dit être la somme reçue par l’intimée de ses assureurs, c’est-à-dire 304 927,24 x 50 % = 152 463,62 $, à laquelle il a ajouté les dépenses supplémentaires qu’elle a dû engager pour faire décharger le sucre humide, plus des intérêts au taux de 9 % par année. Il a été admis que l’intimée avait le droit de se faire rembourser les dépenses supplémentaires engagées pour décharger la marchandise avariée (25 990,89 $). Les questions soulevées étaient les suivantes : 1) la méthode de calcul des dommages; 2) l’étendue de l’obligation de l’intimée de limiter les dommages; 3) l’étendue du préjudice subi par l’intimée une fois que des mesures destinées à limiter les dommages ont été prises.

Arrêt : l’appel doit être accueilli en partie; l’appel incident est rejeté.

Le juge Desjardins, J.C.A. : En matière de transport de marchandises, la méthode appropriée pour calculer les dommages-intérêts consiste à soustraire la V.M.A.D. de la V.M.S.D. La marchandise avariée aurait pu avoir deux valeurs différentes au moment de son arrivée à destination : la valeur marchande à l’arrivée (c.-à-d. si le sucre avait été vendu à des fabricants de nourriture pour animaux) et la valeur du sucre si, au lieu de vendre celui-ci, l’intimée le nettoyait, le raffinait et vendait le produit en résultant. Comme l’intimée n’a jamais envisagé de vendre la cargaison avariée, la marchandise ne pouvait avoir qu’une seule valeur au moment de son arrivée à destination : la valeur qu’elle avait pour l’intimée. Il importait peu qu’il n’y ait eu aucun débouché pour le sucre brut avarié aux raffineries de Toronto et qu’une société concurrente n’aurait jamais acheté ce produit. Lorsque les marchandises avariées ont été remises en bon état sans qu’on ait examiné d’autres solutions, la V.M.A.D. est nulle, car on n’a pas cherché de débouché. Le principe du restitutio in integrum devrait toutefois être appliqué à la lettre. Il n’était pas nécessaire de décider si l’intimée avait l’obligation de limiter sa perte comme elle l’a fait. L’intimée a décidé d’utiliser le sucre brut avarié dans le cours normal de ses activités ordinaires et elle ne peut être dédommagée pour plus que sa perte.

La preuve concernant les frais engagés pour raffiner le sucre avarié était insatisfaisante. Il a donc été jugé qu’une somme de 50 000 $ était raisonnable pour les frais de raffinage supplémentaires, et il y a été ajouté une somme de 25 990,89 $ pour les frais supplémentaires de déchargement du navire, ce qui donne un total de 75 990,89 $.

Comme la preuve n’indiquait pas sur quoi s’était fondé le juge de première instance pour fixer le taux d’intérêt, celui-ci devrait rester le même, soit des intérêts composés semestriellement au taux de 9 % par année, depuis la date de la perte jusqu’à la date de paiement du jugement.

Le juge de première instance a commis une erreur en utilisant le règlement intervenu avec les assureurs comme facteur atténuant le préjudice. Le contrat d’assurance était une res inter alios acta. Le juge a essentiellement confondu le contrat signé par l’intimée, en sa qualité d’administrateur prudent, avec son obligation de limiter les dommages. Il a ainsi libéré l’auteur du délit d’une partie de ses responsabilités en considération du fait que des pertes n’ont pas été subies parce qu’un règlement était intervenu. Cette « erreur » de la part du juge de première instance pourrait fort bien n’être qu’une simple question de rédaction. Il n’y a pas eu d’abandon, les assureurs ayant refusé celui-ci et un règlement étant intervenu.

Le juge Décary, J.C.A. : Un demandeur ne peut être dédommagé que d’une perte qu’il n’aurait pu raisonnablement éviter. L’intimée a commis une erreur quand elle a fait valoir que le seul débouché pour le sucre avarié était la vente à des fabricants de nourriture pour animaux, car un autre débouché s’offrait : l’intimée. La Cour n’avait pas à décider si l’intimée avait le choix de ne pas faire ce qu’elle a fait. L’intimée avait le droit de se faire rembourser les frais supplémentaires qu’elle avait dû engager parce qu’elle avait choisi d’agir d’une manière plus avantageuse pour les appelants.

Lorsque le propriétaire utilise les marchandises avariées, la valeur véritable de ces marchandises sera déterminée par les coûts supplémentaires réels que le propriétaire aura finalement engagés pour parvenir à les utiliser. La formule de la V.M.S.D. moins la V.M.A.D. devrait donc être appliquée sans tenir compte du moment et du lieu de la livraison.

L’utilisation par l’intimée du sucre humide indique que celui-ci avait une certaine valeur, quoique inférieure à sa valeur saine. Pour établir cette valeur, le propriétaire doit évaluer les inconvénients ou coûts supplémentaires de production nécessaires pour parvenir à utiliser les marchandises avariées. Seuls les coûts supplémentaires qui ont été raisonnablement engagés seront admissibles.

Il y a des limites à ce que la personne responsable peut prouver lorsqu’il s’agit de déterminer ce que le demandeur a fait ou aurait pu faire. Le demandeur doit produire certains éléments de preuve pour appuyer sa demande. L’obligation pour le défendeur de prouver qu’aucune mesure n’a été prise pour limiter le préjudice ne libère pas le demandeur de son obligation de prouver un élément évident dans le calcul de ses dommages-intérêts. Une fois que le propriétaire décide d’utiliser la marchandise avariée et réduit ainsi la perte, il lui incombe de prouver les coûts supplémentaires de production qui constituent « un élément évident dans le calcul de ses dommages-intérêts ». Il ne s’agit pas pour lui de prouver dans les moindres détails chacun des frais supplémentaires qu’il a dû engager. Le propriétaire est la victime et il ne doit pas être placé, par suite de la faute de la personne responsable, dans une position où il serait incapable de réclamer une indemnité pour sa perte en raison des difficultés qu’il doit affronter pour prouver celle-ci. La détermination des dommages-intérêts nécessite une pondération. La Cour doit s’assurer que la victime est dédommagée de sa perte, mais elle doit aussi s’assurer que l’on ne profite pas de la personne responsable. L’intimée s’est délibérément abstenue de noter tout ce qu’elle a fait pour incorporer le sucre brut avarié pendant le processus de raffinage ce qui a eu pour effet de priver les appelants de la possibilité de contester l’étendue du préjudice allégué. Il a donc été présumé que si on avait pris en note les frais supplémentaires réellement engagés, ceux-ci auraient été moins élevés qu’il n’a été allégué.

Certains éléments de preuve ont indiqué qu’il aurait été difficile de noter ce qui était fait et que l’intimée prenait un risque en traitant le sucre avarié. D’autres éléments de preuve généraux ont montré que des mesures additionnelles ont été prises et que des frais supplémentaires ont été engagés. Il a été jugé raisonnable, pour permettre à l’intimée d’être en mesure d’utiliser la marchandise comme elle l’aurait fait si celle-ci était arrivée en état sain, de lui accorder une somme de 50 000 $, qui correspondait plus ou moins au tiers de la somme réclamée pour les coûts supplémentaires de production et qui était considérablement plus élevée que le montant fixé en fonction uniquement de la polarité.

Le juge Létourneau, J.C.A. : C’est la diminution de la valeur marchande intrinsèque du sucre brut et non le manque à gagner ni la perte de la possibilité pour l’intimée d’utiliser le sucre ou de le vendre qui doit servir à déterminer les dommages-intérêts. Le fait que l’intimée, qui en était propriétaire, a utilisé le sucre humide en l’incorporant à du sucre brut sain avant de le traiter avec succès indique que le sucre humide avait une valeur intrinsèque supérieure à la valeur de récupération que lui avait attribuée l’assureur. Le sucre humide n’était pas une perte totale ni avarié à un point tel qu’il ne pouvait être que vendu comme nourriture pour les animaux. La V.M.A.D. ne devrait pas nécessairement être déterminée en fonction du fait que l’on a essayé de revendre le sucre mais qu’il n’y avait aucun acheteur potentiel. La diminution de la polarité était un moyen plus approprié et plus réaliste de déterminer les véritables dommages qu’une revente hâtive et au hasard sur le marché de la récupération. Si la valeur marchande du sucre sain est fixée en fonction de sa polarité, il devrait en être de même de la valeur marchande de ce même sucre bien qu’il soit moins sain au moment de la livraison qu’au moment du chargement. Aux dommages-intérêts accordés pour la perte de polarité il faudrait ajouter les dommages, le cas échéant, découlant de la contamination du sucre ainsi que les frais supplémentaires liés à la manutention du sucre humide et à son raffinage. Rien dans la preuve n’indiquait que l’augmentation de la quantité de sucre inverti ou de la teneur en cendres qu’aurait pu entraîner l’eau de mer n’a causé un dommage. Le montant des frais supplémentaires de déchargement a été fixé à 25 990,89 $. L’intimée aurait droit à 61 886,04 $, ce qui représente la perte de valeur du sucre brut ainsi que les frais supplémentaires occasionnés par le déchargement du sucre humide.

Une partie qui subit un préjudice par suite de l’inexécution d’un contrat a l’obligation de limiter ses dommages, c’est-à-dire que l’auteur du délit ne peut être appelé à payer les pertes évitables qui entraîneraient une augmentation du montant des dommages-intérêts payables à la partie lésée. Cette dernière doit prendre toutes les mesures raisonnables afin de limiter les pertes résultant de l’inexécution. Elle n’a pas à prendre des risques déraisonnables. Il lui suffit de prendre les mêmes mesures que prendrait une personne raisonnable et prudente dans le cours normal de ses affaires. Le préjudice résultant de l’inexécution comprend les pertes originales lorsque, compte tenu des circonstances, il est raisonnable de les mitiger. L’obligation de l’intimée de limiter le préjudice ne consistait pas uniquement à tenter de trouver un acheteur pour le sucre avarié. Ce qu’il est raisonnable de faire dans les circonstances est une question de fait et de bon sens. En l’espèce, l’incorporation du sucre avarié à du sucre sain et son raffinage subséquent étaient des mesures raisonnables à prendre pour limiter les dommages. Ces mesures étaient encore plus raisonnables dans le cas de l’intimée qui possédait les connaissances et l’équipement nécessaires pour le faire. La règle selon laquelle il ne faut pas tenir compte des caractéristiques particulières du demandeur s’applique à l’évaluation des dommages mais non à l’étendue de l’obligation de les limiter. Si on tient compte des dommages limités causés au sucre brut et du fait que celui-ci était récupérable, il était raisonnable pour l’intimée de l’incorporer à du sucre sain et de le raffiner comme prévu à l’origine. Les risques étaient minimes et il était possible d’y faire face.

Que l’intimée ait eu ou non l’obligation d’incorporer le sucre avarié à du sucre sain et de le traiter dans le cours normal de ses affaires, elle y est parvenue et elle a ainsi évité les pertes qui auraient découlé de l’inexécution du contrat. Les appelants ont le droit de profiter des mesures qui ont permis de limiter le préjudice.

Un demandeur a le droit de se faire rembourser les frais qu’il a raisonnablement engagés pour limiter son préjudice. Il incombe au demandeur de prouver ces frais, en particulier lorsqu’ils se rapportent à des mesures qu’il a prises et dont il est le seul au courant. L’intimée n’était pas tenue de mettre en place un système perfectionné lui permettant de calculer les frais engagés pour limiter le préjudice et d’en connaître les moindres détails; elle devait toutefois décrire les opérations supplémentaires requises par l’incorporation du sucre et son traitement ultérieur, et fournir tout au moins une évaluation approximative du coût de chacune de ces opérations. Compte tenu du fait qu’il incombait à l’intimée non seulement de réclamer ces frais mais de les prouver, ceux-ci ont été fixés à 50 000 $, ce qui semblait être une somme raisonnable dans les circonstances.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Wood v. Grand Valley Railway Co. et al. (1915), 51 R.C.S. 283; 22 D.L.R. 614; Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada Ltd., [1976] 1 R.C.S. 267; (1975), 53 D.L.R. (3d) 748; 4 N.R. 1; 100 Main Street Ltd. v. W. B. Sullivan Construction Ltd. (1978), 20 O.R. (2d) 401; 88 D.L.R. (3d) 1 (C.A.); Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autres, [1979] 1 R.C.S. 633; (1978), 12 A.R. 271; 89 D.L.R. (3d) 1; [1978] 6 W.W.R. 301; 5 B.L.R. 225; 23 N.R. 181; Keneric Tractor Sales Ltd. c. Langille, [1987] 2 R.C.S. 440; (1987), 82 N.S.R. (2d) 361; 43 D.L.R. (4th) 171; 207 A.P.R. 361; 79 N.R. 241; British Westinghouse Electric and Manufacturing Company v. Underground Electric Railways Company of London, [1912] A.C. 673 (H.L.); Cockburn v. Trusts and Guarantee Co. (1917), 55 R.C.S. 264; 37 D.L.R. 701.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Amstar Corporation v. M/V Alexandros T, [1979] A.M.C. 1975 (U.S. Dist. Ct.); Hussey v. Eels, [1990] 1 All E.R. 449 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Redpath Industries Ltd. et autre c. Fednav Ltd. et autres (1993), 63 F.T.R. 131 (C.F. 1re inst.); Rodocanachi, Sons, and Co. v. Milburn Brothers (1886), 6 Asp. M.L.C. 100 (C.A.); The « Arpad » (1934), 49 L1. L. Rep. 313 (C.A.); Obestain Inc. v. National Mineral Development Corporation Ltd. (The Sanix Ace), [1987] 1 Lloyd’s Rep. 465 (Q.B.); Trade Wind, The Ship v. David McNair & Co. Ltd., [1956] R.C.É. 228; conf. McNair & Co. Ltd., David v. The Ship Trade Wind, [1954] R.C.É. 450; Goldco Imports Ltd. v. The Ship Meitoku Maru et al., [1966] R.C.É. 498; Amjay Cordage Limited c. Le navire « Margarita » (1979), 28 N.R. 265 (C.A.F.); McCain Produce Co. Ltd., Pirie Potato Company Limited and Toner Brothers Ltd. v. Canadian Pacific Limited (1980), 30 N.B.R. (2d) 476; 113 D.L.R. (3d) 584; 70 A.P.R. 476 (C.A.); conf. par Canadien Pacifique Limitée c. McCain Produce Co. Ltd. et autres, [1981] 2 R.C.S. 219; (1981), 35 N.B.R. (2d) 511; 123 D.L.R. (3d) 764; 88 A.P.R. 511; 38 N.R. 534; Banner Homes Ltd. v. Mitchell (1979), 27 N.B.R. (2d) 486; 60 A.P.R. 486 (C.A.); Messer v. J. Clark & Son Ltd. (1961), 27 D.L.R. (2d) 766 (C.S.N.-B.); Abraham v. Wingate Properties Ltd., [1986] 1 W.W.R. 568; (1985), 36 Man. R. (2d) 264 (C.A.); Antares Shipping Corporation c. Le navire « Capricorn » et autres, [1980] 1 R.C.S. 553; (1979), 111 D.L.R. (3d) 289; 30 N.R. 104; Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324; (1975), 57 D.L.R. (3d) 386; [1975] 5 W.W.R. 575; 75 CLLC 14,280; 5 N.R. 99; World Beauty, The, [1969] 3 All E.R. 158 (C.A.); Indiana Farm Bureau Cooperative Ass’n., Inc. v. S.S. Sovereign Faylenne, [1978] A.M.C. 1514; Erie County Natural Gas and Fuel Company v. Carroll, [1911] A.C. 105 (P.C.); Karas et al. v. Rowlett, [1944] R.C.S. 1; [1944] 1 D.L.R. 241; Algoma Central Railway c. Cielo Bianco (Le), [1987] 2 C.F. 592; (1987), 73 N.R. 321 (C.A.).

AUTEURS CITÉS

Braen, André. Le droit maritime au Québec. Montréal : Wilson & Lafleur, 1992.

Burrows, A. S. Remedies for Torts and Breach of Contract. London : Butterworths, 1987.

Fleming, John G. The Law of Torts, 7th ed. Sydney : Law Book Company, 1987.

McGregor, Harvey. McGregor on Damages, 15th ed. London : Sweet & Maxwell, 1988.

Tetley, William. Marine Cargo Claims, 3rd ed. Montréal : Yvon Blais, 1988.

Waddams, S. M. The Law of Contracts, 3rd ed. Toronto : Canada Law Book, 1993.

Waddams, S. M. The Law of Damages, 2nd ed. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1991.

APPEL et APPEL INCIDENT contre le jugement de première instance (Redpath Industries Ltd. c. Cisco (Le), [1992] 3 C.F. 428; (1992), 55 F.T.R. 278 (1re inst.)) quant au montant des dommages-intérêts. Appel accueilli en partie; appel incident rejeté.

AVOCATS :

V. De Marco et D. G. Colford pour les appelants.

V. M. Prager et M. A. Tabib pour l’intimée.

PROCUREURS :

Brisset, Bishop, Montréal, pour les appelants.

Stikeman, Elliott, Montréal, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Desjardins, J.C.A. : Il s’agit en l’espèce d’un appel ainsi que d’un appel incident formés contre une décision de la Section de première instance [[1992] 3 C.F. 428] où la seule question en litige concerne d’une part le montant des dommages-intérêts qui doivent être accordés relativement à une partie d’une cargaison de sucre brut qui a été avarié par de l’eau de mer et de l’autre la règle qu’il faut appliquer pour déterminer ce montant.

Le 12 avril 1987, 5 444,56 tonnes métriques de sucre brut, apparemment en bon état, ont été chargées dans deux cales du Cisco à Georgetown (Guyane), à destination de Toronto. Le contrat de vente, signé par l’intimée et par Guyana Sugar Corporation Ltd., prévoyait, conformément aux clauses C.A.F., que l’intimée assumait le risque de perte au moment du chargement du navire. Le contrat précisait que le sucre brut aurait une polarité garantie d’au moins 97,5 au moment de son expédition[1]. Le navire a rencontré de la glace flottante sur sa route avec pour résultat que 1 241,656 tonnes métriques de sucre brut ont été imbibées d’eau de mer. La polarité du sucre avarié n’était plus que de 92,563. Malgré ces dommages, l’intimée était tenue de payer son vendeur comme si elle avait reçu le sucre en état sain.

L’intimée avait l’intention d’abandonner la marchandise assurée et elle en a avisé ses assureurs qui n’ont pas voulu accepter cet abandon, mais qui ont plutôt réglé la demande d’indemnité de l’intimée pour une somme qui représentait 50 % de la valeur marchande saine du sucre à destination moins une somme d’environ 17 000 $ pour les frais déjà engagés pour décharger le sucre[2].

L’intimée, raffineur de sucre, a réussi à incorporer de petites quantités du sucre humide à de grandes quantités de sucre sec afin de raffiner la totalité du sucre brut qui avait été déchargé du Cisco. Elle a ensuite intenté une action dans laquelle elle réclamait une somme de 300 000 $ et intérêts aux appelants pour les pertes qu’elle avait subies par suite de la faute du transporteur.

La responsabilité du Cisco n’est pas contestée pas plus d’ailleurs que le fait que l’intimée a le droit de se faire rembourser les dépenses supplémentaires occasionnées par le déchargement de la cargaison avariée (25 990,89 $).

C’est le calcul des dommages-intérêts qui, comme nous l’avons dit plus haut, est l’objet du litige.

L’intimée a démontré que le sucre brut avarié n’aurait pu être vendu à des tiers, hormis à des fabricants de nourriture pour animaux qui étaient disposés à payer le sucre au quart de sa valeur, soit 53 332,78 $.

Le juge de première instance a dit que le critère approprié pour évaluer les dommages-intérêts consistait à soustraire la valeur marchande avariée à destination de la valeur marchande saine à destination (V.M.S.D. moins V.M.A.D.). La V.M.S.D. n’ayant pas été contestée et s’élevant à 279 660,62 $, l’intimée aurait dû recevoir une somme de 226 327,40 $ (279 660,18 $-53 332,78 $). Le juge a toutefois statué que l’intimée n’avait pas droit à une telle somme vu qu’elle avait une obligation de limiter les dommages qui était égale à l’accord de règlement. Il a conclu que, en vertu de ce qu’il considérait être un abandon de la marchandise par l’intimée en faveur de ses assureurs, l’intimée avait reçu 50 % de la valeur saine du sucre brut à destination. On ne pouvait donc demander aux appelants de payer des pertes qui, en réalité, n’avaient pas été subies. En calculant le montant des dommages-intérêts, il a accordé à l’intimée la somme représentant le coût ou la valeur facturée des marchandises (304 927,24 $) et non la valeur saine à destination qu’avaient utilisée les assureurs (279 660,18 $); il en a déduit ce qu’il a dit être la somme reçue par l’intimée de ses assureurs, c’est-à-dire 152 463,62 $ (304 927,24 $ x 50 % = 152 463,62 $), à laquelle il a ajouté 25 990,89 $ pour les dépenses supplémentaires qu’elle a dû engager pour faire décharger le sucre humide, plus des intérêts composés au taux de 9 % par année, depuis la date de la perte jusqu’à la date de paiement du jugement. Il a refusé d’accorder à l’intimée la somme qu’elle réclamait pour les dépenses supplémentaires qu’elle avait dû engager pour incorporer le sucre avarié au cours du processus de raffinage parce qu’il n’avait été saisi d’aucune preuve précise à cet effet.

Les appelants contestent l’évaluation faite par le juge de première instance.

Les appelants prétendent que le juge de première instance a commis une erreur de droit en fondant sa décision sur le règlement intervenu entre l’intimée et ses assureurs, car celui-ci n’avait rien à voir avec le manquement dont les appelants étaient responsables. Ils font valoir que le juge de première instance a mal appliqué le concept de l’abandon, l’intimée n’ayant fait aucun abandon en faveur de ses assureurs. Mais, ce qui est plus important, même s’ils acceptent la règle de la V.M.S.D. moins la V.M.A.D., les appelants soutiennent que le juge de première instance aurait dû calculer les dommages-intérêts en fonction de la perte pécuniaire réelle subie par l’intimée. Il incombait donc à l’intimée de prouver la V.M.A.D. en fonction de la perte de polarité du sucre[3] ainsi que les coûts de manutention supplémentaires à l’intérieur (par exemple, le coût de la main-d’œuvre pour l’incorporation du sucre), et de démontrer que ces pertes supplémentaires résultaient directement des mesures prises pour limiter les dommages. Comme l’intimée n’a fourni aucune preuve pour indiquer comment ces pertes pourraient être financièrement évaluées et qu’elle n’a conservé aucun document relatif à celles-ci, les appelants font valoir qu’il faudrait retenir l’évaluation de M. Richard Calder qui a fixé la perte de Redpath à 35 895,15 $, car il s’agit du seul élément de preuve au dossier relatif à l’évaluation des dommages-intérêts en fonction de la règle de la polarité.

Dans son appel incident, l’intimée reproche également au juge de première instance d’avoir tenu compte du règlement intervenu entre elle et ses assureurs. Elle prétend que, suivant la règle de la V.M.S.D. moins la V.M.A.D., les chiffres exacts devraient être de 279 660,18 $, pour la valeur marchande saine des marchandises, moins 53 332,78 $, pour la valeur marchande avariée de la marchandise étant donné que le seul débouché qui s’offrait au moment où les dommages ont été causés était la fabrication de nourriture pour animaux. En conséquence, le montant des dommages-intérêts devrait être de 226 327,40 $. Il ne faudrait tenir aucun compte du fait que l’intimée, étant dans l’industrie du raffinage, est parvenue à raffiner le produit avarié et à le vendre à ses consommateurs.

Le juge de première instance a commis une erreur en utilisant le règlement intervenu entre l’intimée et ses assureurs comme facteur atténuant le préjudice. Le contrat d’assurance était une res inter alios acta. Le juge a essentiellement confondu le contrat signé par l’intimée, en sa qualité d’administrateur prudent, avec son obligation de limiter les dommages. Il a ainsi libéré l’auteur du délit d’une partie de ses responsabilités[4] en considération du fait que des pertes n’ont pas été subies parce qu’un règlement était intervenu. J’ai toutefois tendance à croire que cette « erreur » de la part du juge de première instance est plutôt une question de rédaction qu’autre chose. Quoi qu’il en soit, il n’y a cependant pas eu d’abandon, les assureurs ayant refusé. Un règlement est plutôt intervenu.

Les parties ne contestent pas que, en matière de transport de marchandises, la méthode appropriée pour calculer les dommages-intérêts consiste à soustraire la valeur marchande des marchandises avariées, au lieu et à l’endroit où elles ont été livrées de la valeur marchande de ces marchandises, si elles étaient arrivées en état sain au lieu et au moment de livraison (V.M.S.D. moins V.M.A.D.).

Tetley a dit[5] :

[traduction] Les parties à un contrat de transport sont censées savoir que, dans le cas où la cargaison est endommagée ou perdue, le réclamant devrait être dédommagé de la valeur de la cargaison avariée ou perdue au moment et au lieu de la livraison ou au moment où ladite cargaison aurait dû être livrée. La règle qui précède est appelée « valeur marchande saine à destination (V.M.S.D.) moins valeur marchande avariée à destination (V.M.A.D.) » et cette restitutio in integrum ne requiert aucune « circonstance spéciale », les parties l’ayant manifestement envisagée raisonnablement au moment de conclure le contrat.

« V.M.S.D. moins V.M.A.D. » n’est qu’une règle empirique et elle est soumise à de nombreuses exceptions afin de la faire correspondre au principe fondamental du restitutio in integrum. Dans l’affaire The Liesbosch v. The Edison (une collision), également citée dans l’affaire A/B Karlshamns v. Monarch S.S. Co. (transport de marchandises), lord Wright a énoncé clairement le principe :

« … la règle de droit fondamentale est le principe restitutio in integrum, et les règles accessoires ne peuvent se justifier que si elles donnent effet à cette règle. »

Et il ajoute, aux pages 355 et 356 :

[traduction] Le demandeur doit être de bonne foi et il ne doit avoir rien à se reprocher lorsqu’il se présente devant la cour. Il doit donc avoir fait tout ce qui était raisonnablement possible pour éviter ou pour diminuer le préjudice, ou en d’autres termes, pour limiter les dommages.

Tant les appelants que l’intimée reconnaissent l’obligation de limiter les dommages. Toutefois, ils divergent d’opinion sur l’étendue de cette obligation.

Les appelants soutiennent que la règle fondamentale est que l’intimée avait l’obligation de prendre toutes les mesures raisonnables pour limiter les dommages découlant de l’acte préjudiciable et qu’elle ne peut se voir attribuer des dommages-intérêts pour toutes les pertes qu’elle aurait pu éviter mais qu’elle n’a pas évitées par suite d’une action ou d’une omission déraisonnables de sa part. Bref, l’intimée ne peut pas être dédommagée d’une perte évitable. Cependant, lorsque l’intimée prend des mesures raisonnables pour limiter le préjudice et qu’elle réussit à le faire, les appelants ont droit de profiter des effets bénéfiques de ces mesures et ils ne sont responsables que de la perte ainsi atténuée. L’intimée ne peut pas être indemnisée pour la perte évitée. Les appelants fondent principalement leur argumentation sur l’arrêt British Westinghouse Electric and Manufacturing Company v. Underground Electric Railways Company of London[6] qui, prétendent-ils, a été cité et approuvé par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Cockburn v. Trusts and Guarantee Co.[7], Karas et al. v. Rowlett[8], Red Deer College c. Michaels[9] et Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autres[10]. De toute façon, la seule mesure que l’intimée aurait pu prendre pour limiter les dommages, c’était d’utiliser le sucre humide dans sa raffinerie, ce qu’elle a fait. Comme l’a indiqué un spécialiste des aliments appelé à témoigner par les appelants, l’introduction d’eau de mer dans du sucre brut n’empêcherait en aucun cas de le transformer en sucre raffiné destiné à l’alimentation humaine, car l’une des premières étapes du traitement est un « lavage » à l’eau chaude.

La thèse de l’intimée est moins élaborée. Elle prétend que l’obligation de limiter les dommages la force à prendre les mesures appropriées pour maximiser la valeur marchande des marchandises endommagées en trouvant le meilleur débouché possible[11], en les remettant à neuf dans la mesure du possible ou en les réparant, si possible. Elle ne va toutefois pas jusqu’à tenir compte des circonstances particulières dans lesquelles l’intimée se trouve. Celle-ci prétend que la V.M.A.D. doit être évaluée en fonction de la perte intrinsèque de valeur de la marchandise avariée, soit 75 %, et non en fonction de ce qu’elle a fait. Sinon, le résultat serait différent dans les cas où l’acheteur fait le commerce du sucre ou lorsqu’il s’agit d’une personne qui est technologiquement incapable de raffiner le sucre imbibé d’eau. Redpath a pris des risques importants lorsqu’elle a décidé de raffiner le sucre humide.

La thèse de l’intimée n’est tout simplement pas défendable.

Il était évident dès le début que l’intimée n’avait nullement l’intention de vendre la marchandise avariée. Elle a décidé qu’elle la garderait et qu’elle la raffinerait.

M. Edward Makin, président de Redpath Sugar, division de la compagnie intimée, a déclaré ce qui suit lors de son interrogatoire préalable[12] :

[traduction] Q. Qui a pris la décision de traiter cette cargaison?

M. PRAGER : La partie avariée de la cargaison ou la totalité de la cargaison?

PAR M. DEMARCO :

Q.  La partie avariée?

R.   Il devait s’agir, je présume, d’une décision conjointe du responsable du traitement, de moi-même et d’autres personnes que, premièrement, elle pouvait être raffinée si elle était traitée correctement …

Q.  Mais c’était une décision des personnes qui dirigeaient l’usine, et non simplement une décision du service des assurances ou du service des sinistres?

R.   Non.

Q.  En d’autres termes, les personnes qui devaient traiter le sucre brut participaient à la prise de décision?

R.   Oui.

Q.  Quand a-t-on demandé aux responsables du raffinage s’il fallait accepter ou refuser cette cargaison?

R.   J’imagine qu’il s’agissait d’un processus de consultation continu à partir du moment où elle a été déchargée, et nous avons discuté informellement de la question de savoir si elle pouvait être utilisée ou non.

Q.  Je conclus du fait que vous avez accepté qu’ils n’avaient pas dès le début indiqué que la cargaison ne pourrait pas être reçue pour être traitée?

R.   C’est vrai.

La marchandise avariée aurait peut-être pu avoir deux valeurs différentes au moment de son arrivée à destination. L’une de celle-ci était la valeur marchande de la marchandise avariée à l’arrivée, soit 53 332,78 $, si le sucre avarié avait été vendu en son état brut à des fabricants de nourriture pour animaux. L’autre était la valeur du sucre brut tel quel si, au lieu de vendre la marchandise, l’intimée la nettoyait et la raffinait et vendait le produit en résultant avec son produit ordinaire. L’intimée n’a envisagé à aucun moment de vendre la cargaison avariée. En conséquence, la marchandise ne pouvait avoir qu’une seule valeur au moment de son arrivée à destination. C’était la valeur qu’elle avait pour l’intimée compte tenu de ce qu’elle en ferait.

Il importe donc peu qu’il n’y ait eu aucun débouché pour le sucre brut avarié aux raffineries de Toronto et qu’une société concurrente, Sucre Lantic Limitée, n’aurait jamais acheté ce produit soit pour sa raffinerie d’Oshawa soit pour celle de Montréal. Contrairement au témoignage de M. James J. Hughes, vice-président de Sucre Lantic Limitée, qui a affirmé que [traduction] « ce sucre n’avait alors aucune valeur pour Redpath »[13], la décision prise par l’intimée indique plutôt clairement que la marchandise avariée avait une certaine valeur pour elle.

Ce que la formule « V.M.S.D. moins V.M.A.D. » nous enseigne est un moyen d’évaluer la perte pour le demandeur à destination. Lorsque les marchandises sont perdues en mer ou qu’elles sont irrécupérables quand elles arrivent à destination, la V.M.A.D. est inexistante. Si, dans l’intervalle, des ventes ont été conclues avec des tiers, elles n’entrent pas en ligne de compte pour établir la perte[14]. Lorsque les marchandises sont endommagées quand elles arrivent à destination mais qu’elles peuvent encore être utilisées, la V.M.A.D. représente la meilleure valeur marchande que l’on peut en tirer. Si le propriétaire ne se donne pas la peine de trouver le meilleur débouché, il est tenu à la différence[15]. Toutefois, lorsque les marchandises avariées ont été remises en bon état sans qu’on ait examiné d’autres solutions, la V.M.A.D. (qui est une valeur marchande) est nulle, car on n’a pas cherché de débouché. En appliquant cette formule en l’espèce, on lui conférerait un caractère artificiel. Le principe du restitutio in integrum devrait toutefois être appliqué à la lettre.

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de décider si l’intimée avait « l’obligation »[16] de limiter sa perte comme elle l’a fait, ou de traiter de l’étendue de cette obligation[17]. L’intimée a décidé d’utiliser le sucre brut avarié dans le cours normal de ses activités ordinaires. Une fois traité, le sucre a été incorporé à son produit ordinaire. L’intimée ne peut donc être dédommagée pour plus que sa perte.

Quelle est sa perte?

À l’instruction, M. Edward Makin a témoigné en détail au sujet des opérations et du temps supplémentaires requis pour décharger le sucre brut avarié ([traduction] « un beau gâchis »)[18] du navire, pour l’entreposer et pour le raffiner. À un moment donné, il a dit[19] :

[traduction] Q. Qu’est-il advenu du sucre après que vous ayez décidé de le refuser?

R.   Il a été déchargé, placé dans notre entrepôt de sucre brut, séparé du reste du sucre et laissé là jusqu’à ce que les assureurs et Redpath … tout d’abord, jusqu’à ce que les assureurs déterminent s’il pouvait être vendu ailleurs et, deuxièmement, jusqu’à ce qu’une proposition de règlement intervienne entre les assureurs et Redpath.

Q.  Et cette proposition a-t-elle modifié votre décision de rejeter le sucre?

R.   Oui. On offrait 50 % de sa valeur et les risques connexes étaient jugés encore importants à ce moment-là. Ceci étant dit, certains étaient d’avis que, les circonstances s’y prêtant, le sucre pourrait d’une façon ou d’une autre être incorporé en très petites quantités dans la raffinerie et qu’il serait ainsi récupéré. Certes, nous savions fort bien que nous devrions engager d’autres frais, même si nous n’avons pas noté tout ce qu’il en a coûté réellement pour produire ce sucre raffiné à partir du sucre avarié, encore une fois parce que celui-ci a été incorporé en très petites quantités sur une longue période.

R.   Parallèlement, nous avons pensé que, les circonstances s’y prêtant, nous pourrions en prenant quelques précautions traiter le sucre et ne pas nous en tirer trop mal en fin de compte.

Q.  Si on revient sur ce point, si vous vous reportez à avril 1987, que pensiez-vous du 50 % fixé relativement aux coûts de Redpath?

R.   Encore une fois, n’oubliez pas que nous n’avions pas encore terminé le traitement, de sorte que nous faisions de nombreuses hypothèses quant aux coûts que nous devrions engager. Je pense que nous croyions que, au pire, nous perdrions probablement un peu d’argent et que, au mieux, nous nous en tirerions sans gains ni pertes.

Q.  Nous sommes le 21 janvier 1992. Tout le processus étant terminé, comment voyez-vous la situation?

R.   Je pense qu’il faut dire que, parce que nous n’avons pas gardé de données sérieuses dans ce cas particulier et que l’un des critères pour lesquels nous avons accepté le 50 % était justement que nous ne serions pas obligés de conserver de telles données, il aurait été très difficile sinon presque impossible de déterminer les frais supplémentaires. Mais ceci étant dit, je pense que nous considérons que, tout compte fait, il n’y avait eu ni perte ni gain. Nous n’avons certes pas fait d’argent mais, comme je l’ai dit auparavant, nous n’avons probablement subi aucune perte non plus.

Mon collègue le juge Létourneau, J.C.A., a exprimé quelques réserves quant à la fiabilité du témoignage de M. Makin et je les partage. L’intimée a subi des dommages parce que le sucre a perdu un peu de sa polarité et parce qu’elle a dû engager des frais pour le raffinage du sucre avarié et sa manutention. Elle a néanmoins réussi à traiter le sucre brut pour qu’il soit en état d’être vendu. La preuve produite à l’instruction au sujet des frais engagés pour raffiner le sucre avarié est, le moins que l’on puisse dire, insatisfaisante. L’intimée ayant établi suivant la balance des probabilités qu’elle a subi des dommages, il devient nécessaire pour la Cour d’évaluer, du mieux qu’elle le peut, ces coûts pour l’intimée. Il est un principe généralement admis voulant que la difficulté d’évaluer des dommages ne doit pas empêcher les tribunaux de rendre justice. Dans l’arrêt Wood v. Grand Valley Railway Co. et al.[20], la Cour suprême du Canada a statué que, lorsqu’il est difficile d’évaluer en argent le préjudice subi, [traduction] « en pareilles circonstances … le juge doit agir au mieux … même si le montant … n’est en fait que le fruit de conjectures ». Dans cette affaire toutefois, il s’agissait d’une question difficile à quantifier, soit le préjudice résultant de l’omission de terminer la construction d’un chemin de fer. Le même principe s’applique à l’arrêt Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada Ltd.[21] où il est question du retard, en violation du contrat, à terminer la construction d’un chemin de fer. Je signale toutefois que, dans des arrêts récents, d’autres tribunaux ont fait des conjectures dans des cas où il était possible de quantifier le préjudice mais où la preuve était déficiente[22].

Si l’on considère qu’il incombait à l’intimée de justifier sa plainte, ce qu’elle n’a pas réussi à faire, je conclurais, comme mon collègue le juge Létourneau, que 50 000 $ est une somme raisonnable pour les frais de raffinage supplémentaires. J’y ajouterais 25 990,89 $, somme qui a été convenue pour les frais supplémentaires de déchargement du navire, ce qui donne un total de 75 990,89 $.

S’appuyant sur l’arrêt Algoma Central Railway c. Cielo Bianco (Le)[23], les appelants ont demandé que la décision du juge de première instance soit modifiée afin de prévoir que le taux d’intérêt doit être celui payé sur les sommes consignées à la Cour, depuis le 12 juin 1992, date du jugement de la Section de première instance, jusqu’à la date du paiement. Les appelants croient que le juge de première instance a fixé à 9 % le taux des intérêts composés semestriellement, depuis la date de la perte, le 27 avril 1987, jusqu’à la date du jugement, le 12 juin 1992, en se fondant sur le taux d’intérêt moyen que la Cour fédérale du Canada paye sur les sommes qui sont consignées en son greffe, et que le même raisonnement devrait s’appliquer aux intérêts après jugement. Comme la preuve n’indique pas sur quoi s’est fondé le juge de première instance pour fixer le taux d’intérêt, celui-ci devrait, à mon avis, rester le même, soit des intérêts composés semestriellement au taux de 9 % par année, depuis la date de la perte jusqu’à la date de paiement du jugement.

J’accueillerais l’appel en partie avec dépens, je condamnerais les appelants à verser à l’intimée une somme de 75 990,89 $ avec intérêts composés semestriellement au taux de 9 % par année, depuis la date de la perte jusqu’à la date de paiement du présent jugement, avec dépens devant la Section de première instance.

Je rejetterais l’appel incident avec dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Décary, J.C.A. : J’ai eu l’occasion de lire les motifs de jugement de mes deux collègues. Après de nombreux efforts, j’en suis arrivé au même résultat, quoiqu’en ayant suivi un raisonnement un peu différent.

La formule qu’il faut utiliser pour calculer les dommages-intérêts dans les cas de transport de marchandises par mer est bien établie en droit canadien et anglais[24]. C’est la différence entre la valeur marchande des marchandises, si elles étaient arrivées en état sain, au moment et au lieu de la livraison (la valeur marchande saine à destination ou V.M.S.D.) et la valeur marchande de ces marchandises, avariées, au moment et au lieu de la livraison (la valeur marchande avariée à destination ou V.M.A.D.).

Cette méthode d’évaluation des dommages n’est pas plus absolue qu’elle ne l’est dans les autres domaines du droit; un demandeur ne peut être dédommagé que d’une perte qu’il n’aurait pu raisonnablement éviter. Pour reprendre les termes de Waddams[25] :

[traduction] Par suite d’un exercice de synthèse qui, quoique pratique, est erroné, ce principe est souvent appelé l’obligation du demandeur de limiter le préjudice.

En l’espèce, la valeur marchande saine à destination a été fixée à 279 660,18 $. Quant à la valeur marchande avariée à destination, le juge de première instance a conclu en s’appuyant sur les faits « qu’il n’y avait aucun débouché pour le sucre avarié, hormis des fabricants d’aliments pour animaux »[26], auquel cas la valeur marchande serait de 53 332,78 $ (la somme qu’ils étaient disposés à payer) et la perte de 226 327,40 $ (c’est-à-dire 279 660,18 $ V.M.S.D. moins 53 332,78 $ V.M.A.D.). Certains témoignages d’expert, qui n’ont pas été retenus par le juge de première instance, indiquent que, suivant l’échelle de polarité, la valeur du sucre avarié à la livraison était de 243 765,03 $, c’est-à-dire 35 895,15 $ de moins que sa valeur saine.

Une somme de 25 990,89 $, qui n’a pas été contestée, a été fixée pour les frais supplémentaires de déchargement de la cargaison avariée. Je ne reviendrai sur cette somme qu’à la fin de mes motifs de jugement.

Les appelants trouveraient suffisante une somme de 35 895,15 $ (la perte suivant l’échelle de polarité).

L’intimée se contenterait d’une somme de 226 327,40 $ (la perte si le sucre était vendu à des fabricants de nourriture pour animaux) ou, subsidiairement, d’une somme de 152 463 $ si la Cour devait juger que le traitement du sucre brut doit être considéré comme une mesure d’atténuation du préjudice ou que les dommages-intérêts devraient être évalués en fonction des coûts supplémentaires de production.

L’intimée commet une erreur quand elle fait valoir que le seul débouché pour le sucre avarié était la vente à des fabricants de nourriture pour animaux. En effet, la preuve indique qu’un autre débouché s’offrait, c’est-à-dire l’utilisation du sucre avarié par l’intimée, le véritable propriétaire, dans le processus de raffinage. Que l’on parle d’un autre débouché ou des mesures prises pour limiter le préjudice, le fait est que l’intimée a choisi en l’espèce une voie qui s’est révélée bénéfique tant pour elle-même que pour le transporteur. Compte tenu des circonstances, la Cour n’a pas à décider si l’intimée avait le choix, s’il existe un débouché, de ne pas faire ce qu’elle a fait, ou l’obligation, s’il est question des mesures prises pour limiter le préjudice, d’agir comme elle l’a fait. Il est indubitable que l’intimée a le droit de se faire rembourser les frais supplémentaires qu’elle a dû engager parce qu’elle a choisi d’agir d’une manière plus avantageuse pour les appelants.

La formule classique de la V.M.S.D. moins la V.M.A.D. a été élaborée et appliquée dans des cas où les propriétaires des marchandises n’ont finalement pas utilisé eux-mêmes les marchandises et où il était donc un peu plus facile de déterminer la V.M.A.D. L’application de cette formule dans un cas où c’est le propriétaire qui utilise en fin de compte les marchandises est plus compliquée parce qu’il est difficile de déterminer la valeur véritable pour le propriétaire des marchandises avariées au moment et au lieu de la livraison. En pratique, comme cette valeur véritable sera déterminée dans la majorité des cas par les coûts supplémentaires réels que le propriétaire aura finalement engagés pour parvenir à utiliser les marchandises, la formule devrait simplement être appliquée sans tenir compte du moment et du lieu de la livraison. Un autre problème se pose lorsque, outre la valeur que les marchandises avariées ont pour le propriétaire, la preuve indique qu’elles ont une valeur marchande pour un tiers.

Il y a ceci de clair. La marchandise était avariée au moment de la livraison. Malgré cela, l’intimée a réussi à l’utiliser à sa raffinerie. L’utilisation par l’intimée de la marchandise indique que celle-ci avait, du moins pour l’intimée, une certaine valeur dans le processus de raffinage, moindre évidemment que sa valeur saine. Pour établir cette valeur, le propriétaire doit évaluer les inconvénients qu’il aura subis en bout de ligne, en ce qui concerne les frais engagés, les problèmes rencontrés et les risques courus, pour parvenir à utiliser les marchandises avariées comme si elles avaient été livrées en état sain. Ces inconvénients seront appelés coûts supplémentaires de production. Il va sans dire que seuls les coûts supplémentaires qui ont été raisonnablement engagés seront admissibles.

Tout se résume à une question de preuve.

Un mot, tout d’abord, sur la charge de la preuve.

Il n’est pas contesté, dans les affaires d’inexécution de contrat, que la difficulté d’évaluer le montant de la perte ne peut décharger la personne responsable de l’obligation de payer des dommages-intérêts et qu’elle n’est pas un motif pour refuser d’accorder des dommages-intérêts considérables. Dans de telles circonstances, les tribunaux doivent faire de leur mieux même si cela veut dire ne faire que des conjectures[27]. Toutefois, il faut faire attention de ne pas appliquer ce principe lorsque la difficulté résulte non pas de la nature du préjudice ou des faits de l’affaire, mais plutôt de l’omission du demandeur lui-même de produire la preuve disponible.

Dans les affaires qui concernent plus directement la question des mesures prises pour limiter les dommages, lorsque certains des dommages-intérêts qui doivent être évalués sont les dépenses raisonnablement engagées par un demandeur pour limiter la perte et, de ce fait, réduire le montant des dommages-intérêts qu’il peut réclamer de la personne responsable, les tribunaux ne devraient pas oublier qu’il incombe tout d’abord à celle-ci d’établir que la perte qui fait l’objet de la réclamation était évitable[28]; toutefois, y a des limites à ce que la personne responsable peut prouver lorsqu’il s’agit de déterminer ce que le demandeur a fait ou aurait pu faire. Les tribunaux exigeront du demandeur qu’il produise de lui-même certains éléments de preuve pour appuyer sa demande. Comme l’a dit le juge Morden dans 100 Main Street Ltd. v. W. B. Sullivan Construction Ltd.[29] :

[traduction] … quant à la question des mesures prises pour limiter le préjudice, la charge de la preuve incombe à la défenderesse. Toutefois, l’obligation pour la défenderesse de prouver qu’aucune mesure n’a été prise pour limiter le préjudice ne libère pas la demanderesse de son obligation de prouver un élément évident dans le calcul de ses dommages-intérêts.

Je dois maintenant déterminer la valeur marchande du sucre brut avarié au moment et au lieu de la livraison. À mon avis, suivant la preuve, trois chiffres pouvaient représenter celle-ci.

Le premier est 53 332,78 $, soit la valeur pour les fabricants de nourriture pour animaux. Ainsi qu’il a déjà été dit, le juge de première instance a conclu que c’était la seule valeur marchande possible, hormis celle que le sucre pouvait avoir pour le propriétaire. L’intimée a choisi de ne pas utiliser ce débouché. Elle a plutôt opté pour une solution qui était moins coûteuse pour les appelantes. Ce chiffre est écarté.

Le second est la somme de 243 765,03 $ avancée par l’expert des appelants, M. Calder. Ce chiffre a été fixé en fonction d’une échelle de polarité. Même s’il est possible, comme l’ont avancé les appelants, que le juge de première instance ait rejeté cet élément de preuve pour un motif erroné, il n’en demeure pas moins que, peu importe la valeur qu’aurait pu avoir la marchandise avariée suivant l’échelle de polarité, le juge de première instance a tiré une conclusion de fait inattaquable suivant laquelle personne, y compris l’intimée, n’était intéressé à payer un tel prix pour la marchandise avariée. Pas de débouché, pas de valeur marchande. Ce chiffre est écarté.

Le troisième est celui, difficile à déterminer, de la valeur de la marchandise pour le propriétaire.

Comme nous l’avons déjà signalé, une fois que le propriétaire décide d’utiliser la marchandise avariée et réduit ainsi la perte, il lui incombe de prouver les coûts supplémentaires de production qui, pour reprendre les termes du juge Morden, J.C.A., constituent [traduction] « un élément évident dans le calcul de ses dommages-intérêts ». Il ne s’agit pas pour lui de prouver dans les moindres détails chacun des frais supplémentaires qu’il a dû engager. Il ne faut jamais oublier que le propriétaire est la victime et qu’il ne doit pas être placé, par suite de la faute de la personne responsable, dans une position où il serait incapable de réclamer une indemnité pour sa perte en raison des difficultés qu’il doit affronter pour prouver celle-ci. Comme l’a dit le juge Létourneau, J.C.A. [à la page 315], l’intimée ne doit pas « mettre en place un système perfectionné lui permettant de calculer les frais engagés pour limiter le préjudice et d’en connaître les moindres détails », mais elle doit décrire « les opérations supplémentaires requises par l’incorporation du sucre et son traitement ultérieur, et fourni[r] au moins une évaluation approximative du coût de chacune de ces opérations ». La détermination des dommages-intérêts nécessite une pondération. La Cour doit s’assurer que la victime est dédommagée de sa perte; mais elle doit en même temps s’assurer que l’on ne profite pas de la personne responsable.

En l’espèce, la preuve indiquait que, à la demande de son assureur, l’intimée s’est délibérément abstenue de noter tout ce qu’elle a fait pour incorporer le sucre brut avarié pendant le processus de raffinage[30]. Il n’est donc pas étonnant que le juge de première instance ait conclu qu’il n’y avait « aucune preuve précise indiquant que cette opération a occasionné des dépenses supplémentaires »[31]. Dans les circonstances, je ne puis tout simplement pas fermer les yeux sur le comportement délibéré de l’intimée qui a eu pour effet de priver les appelants de la possibilité de contester l’étendue du préjudice allégué. En toute équité pour les appelants, je crains de n’avoir d’autre choix que de présumer que si on avait pris en note les frais supplémentaires réellement engagés, ceux-ci auraient été moins élevés qu’il n’a été allégué.

Ceci étant dit, et en toute équité cette fois pour l’intimée, certains éléments de preuve indiquent qu’il aurait été de toute manière difficile de noter ce qui était fait[32] et que l’intimée prenait un risque en traitant le sucre avarié[33].

Il ressort également d’autres éléments de preuve généraux que des mesures additionnelles ont été prises et que des frais supplémentaires ont été engagés :

M. Tsang, transcription, vol. 1, à la page 80 :

[traduction]   R. Ils ont dû installer … improviser une sorte de matière asséchante juste pour arrêter l’eau de couler du tas de sucre.

M. Hugues, transcription, vol. 2, à la page 94 :

[traduction] R. Vous présumeriez automatiquement que vous obtiendrez un rendement inférieur d’une polarité de 92 que d’une polarité de 97.

M. Makin, transcription, vol. 2, à la page 107 :

[traduction]   R…. tandis que si la polarité du sucre est plus faible, habituellement, il en coûtera plus cher pour produire du sucre raffiné en utilisant ce sucre de polarité inférieure.

aux pages 110 et 111 :

Q.  Savez-vous si des mesures particulières ont été prises dans ce cas?

R. Je crois que oui. Je crois que le sucre a dû être entouré. En d’autres termes, il a été entouré d’une sorte de mur construit avec les autres sucres pour l’empêcher de se répandre sur le sol.

à la page 124 :

R.… une fois qu’il a été installé dans l’entrepôt de sucre brut, il aurait été nécessaire en raison des caractéristiques physiques du sucre d’effectuer des opérations particulières ce qui, manifestement, aurait causé certains ennuis pour le traitement.

à la page 129 :

R. Certes, nous savions fort bien que nous devrions engager d’autres frais, même si nous n’avons pas noté tout ce qu’il en a coûté réellement pour produire ce sucre raffiné à partir du sucre avarié, encore une fois parce que celui-ci a été incorporé en très petites quantités sur une longue période.

M. Makin, dossier d’appel, aux pages 112 et 113 :

[traduction]    Q. Qu’avez-vous fait avec le sucre?

R.   Il a ensuite été incorporé graduellement au cours du processus de raffinage.

Q.  Qu’entendez-vous par « incorporé »?

R.   Il n’a pas été déversé en une seule fois. Il a été incorporé à du sucre sain.

R.   Ainsi, nous l’avons incorporé lentement pendant un certain temps afin de réduire les effets.

à la page 114 :

Q.  Pour le garder séparé du reste du sucre, a-t-il fallu installer un ouvrage spécial ou … était-ce quelque chose de difficile ou qui nécessitait des dépenses ou …

R.   Oh oui, bien sûr. Cela ne s’est pas passé, si je me rappelle bien, cela ne s’est pas passé selon la procédure habituelle. Il a fallu le garder séparé du reste du sucre. Ainsi nous devions manipuler 1 200 tonnes de sucre séparément des 300 000 tonnes restantes qui étaient de toute manière raffinées.

Compte tenu des circonstances, je suis disposé à admettre que l’intimée s’est acquittée d’une partie de son obligation et à lui attribuer des dommages-intérêts. La preuve est tout juste suffisante pour me guider dans ce jeu de devinettes auquel j’aurais préféré ne pas être contraint de jouer. La somme de 50 000 $ adoptée par mon collègue le juge Létourneau, J.C.A., qui correspond plus ou moins à un tiers de la somme que l’intimée a réclamée pour les coûts supplémentaires de production et qui est considérablement plus élevée que le montant que M. Calder avait fixé en se fondant uniquement sur la perte de polarité, me semble la plus raisonnable.

On peut donc affirmer, tout en laissant de côté les frais supplémentaires engagés pour le déchargement, que l’intimée a dû débourser 50 000 $ pour être en mesure d’utiliser la marchandise comme elle l’aurait fait si celle-ci était arrivée en état sain. La valeur de la marchandise avariée (V.M.A.D.) pour l’intimée était donc 279 660,18 $ (V.M.S.D.) moins 50 000 $, soit 229 660,18 $.

Ajoutant maintenant à cette somme de 50 000 $ la somme de 25 990,89 $ qui a été convenue pour les frais supplémentaires engagés dans le déchargement de la cargaison avariée, j’accorderais 75 990,89 $ à l’intimée.

Je statuerais sur l’appel ainsi que sur l’appel incident de la manière indiquée par mes collègues.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le Juge Létourneau, J.C.A. : Les faits de la présente affaire sont assez simples et il n’est pas nécessaire de les rappeler, ma collègue les ayant déjà examinés. Comme le feront ressortir les présents motifs, les choses se sont quelque peu compliquées d’un point de vue juridique. Toutefois, lorsque l’on dépouille les points en litige du jargon juridique dont ils ont été enrobés, ils se résument aux simples questions suivantes :

a) Comment calcule-t-on les dommages subis par l’intimée?

b) Quelle est l’étendue de l’obligation de l’intimée de limiter lesdits dommages?

c) Quelle est l’étendue du préjudice subi par l’intimée une fois que des mesures destinées à limiter les dommages ont été prises?

À ces questions, les parties ont ajouté celle du taux d’intérêt payable sur les sommes dues à titre de dommages-intérêts. J’examinerai ces divers éléments dans cet ordre.

La méthode de calcul des dommages subis par l’intimée

L’avocate de l’intimée prétend qu’il faut appliquer la formule mathématique suivante pour calculer les dommages subis lors du transport de marchandises :

Valeur marchande

saine à destination

Valeur marchande

avariée à destination

(V.M.S.D.)

(moins)

(V.M.A.D.)

Suivant cette formule, le montant des dommages serait calculé en soustrayant la valeur marchande avariée à destination des marchandises de leur valeur marchande saine à destination. La valeur marchande avariée à destination serait déterminée au moment et au lieu de la livraison, et l’avocate de l’intimée a prétendu que, en l’espèce, la valeur marchande du sucre brut avarié dont sa cliente était propriétaire avait été fixée à 53 332,78 $ par l’assureur de sa cargaison. Cette somme représentait la valeur de récupération du sucre imbibé d’eau s’il avait été vendu à des fabricants d’aliments pour animaux. La valeur marchande saine à destination, qui a été fixée à 279 660,18 $, n’a pas été contestée.

L’avocat des appelants conteste les allégations faites par l’intimée et son assureur quant à l’étendue réelle des dommages. Il soutient que l’application de la formule ne doit pas permettre d’obtenir un montant qui excède le préjudice réellement subi par l’intimée. Il a fait valoir que c’est la perte de polarité qui doit être utilisée pour déterminer les dommages, c’est-à-dire la diminution du pourcentage de sucrose dans le sucre avarié. Il convient à ce stade de mentionner que, lorsqu’il y a vente de sucre, ce sont l’acheteur et le vendeur qui déterminent la valeur du sucre brut en fonction de sa polarité et d’échelles reconnues. De façon générale, pour chaque degré au-delà de 96 degrés de polarité, une prime est ajoutée. Pour chaque degré inférieur à 96 degrés, une pénalité est déduite. Il existe deux échelles de ce genre, une qui est employée en Angleterre et l’autre aux États-Unis.

Appliquant en l’espèce l’échelle utilisée aux États-Unis qui était plus avantageuse pour l’intimée que l’échelle utilisée en Angleterre, les appelants ont estimé que la perte de valeur du sucre humide était de 35 895,15 $, ce qui représentait la valeur de la diminution du facteur de polarisation de 97,980 à 92,563 degrés[34]. Ils se sont appuyés sur la décision de la U.S. District Court dans l’affaire Amstar Corporation v. M/V Alexandros T[35] où, dans une affaire analogue à l’espèce, cette méthode a été appliquée pour évaluer les dommages causés à du sucre brut lors de son transport par mer.

Je suis convaincu que la formule V.M.S.D. - V.M.A.D. s’applique pour déterminer le montant des dommages-intérêts et est un outil utile à cette fin. Ceci étant dit, il reste à déterminer en fonction de quoi les dommages-intérêts doivent être fixés, c’est-à-dire la valeur marchande avariée à destination.

L’avocate de l’intimée a soutenu que c’est la diminution de la valeur marchande intrinsèque du sucre brut et non le manque à gagner ni la perte de la possibilité pour l’intimée d’utiliser le sucre ou de le vendre qui doit servir à déterminer les dommages-intérêts. Je suis d’accord. Toutefois, à mon avis, cela ne fait qu’éluder la question : en effet, comment détermine-t-on la valeur intrinsèque du sucre humide? Comme le juge Rothstein dans l’affaire Redpath Industries Ltd. et autre c. Fednav Ltd. et autres[36], j’estime qu’il est difficile d’admettre que le sucre avarié ne valait rien et qu’il n’aurait pu être vendu ou utilisé, sauf comme nourriture pour les animaux. En fait, l’intimée, qui était propriétaire du sucre brut depuis son chargement dans le navire, a utilisé le sucre humide et l’a tout simplement incorporé au sucre brut sain avant de le traiter avec succès. Cela indique en soi que le sucre humide avait une valeur intrinsèque supérieure à la valeur de récupération que lui avait attribuée l’assureur de l’intimée. Cela prouve que le sucre humide n’était pas une perte totale ni avarié à un point tel qu’il ne pouvait être que vendu comme nourriture pour les animaux.

L’avocate de l’intimée a signalé à la Cour le témoignage de M. James H. Hugues d’une société concurrente, Sucre Lantic Ltée, qui a déclaré que son entreprise n’aurait pas acheté le sucre humide car elle ne possédait pas les installations de refusion utilisées pour blanchir le sucre et qu’elle fonctionnait déjà à 100 % de sa capacité[37]. L’intimée a donc conclu qu’il n’y avait aucun débouché à Toronto pour le sucre brut avarié.

Quoi qu’il en soit, la V.M.A.D. du sucre avarié ou, pour reprendre les termes de l’avocate de l’intimée, la valeur intrinsèque du sucre humide, n’est pas nécessairement déterminée en fonction du fait que l’on a essayé de le revendre mais qu’il n’y avait aucun acheteur potentiel, en particulier dans une situation de quasi monopole[38]. À mon avis, la diminution de la polarité est un moyen plus approprié et plus réaliste pour déterminer les véritables dommages qu’une revente hâtive et au hasard sur le marché de la récupération.

L’avocate de l’intimée a prétendu que les échelles anglaise et américaine utilisées pour déterminer la valeur du sucre brut pour un acheteur et un vendeur ne s’appliquent pas dans le cas d’un acheteur et d’un transporteur. Je reconnais qu’elles ne s’appliquent pas obligatoirement. Cependant, s’il s’agit d’un moyen valide et admis de déterminer la valeur du sucre brut au port de chargement, je ne vois pas comment ces échelles ne devraient pas être employées pour déterminer la valeur du même sucre au port de livraison et, par conséquent, sa perte de valeur pendant le transport. Il est évident que la perte de polarité du sucre avarié est importante pour fixer le prix de revente entre un vendeur et un nouvel acheteur, étant entendu que le sucre humide peut avoir subi une telle diminution de sa polarité ou être si contaminé qu’il n’a aucune valeur, sauf sur le marché de la récupération. En d’autres termes, si la valeur marchande du sucre sain est fixée en fonction de sa polarité, il devrait en être de même de la valeur marchande de ce même sucre bien qu’il soit moins sain au moment de la livraison qu’au moment du chargement.

Aux dommages-intérêts accordés pour la perte de polarité il faudrait ajouter les dommages, le cas échéant, découlant de la contamination du sucre ainsi que les frais supplémentaires liés à la manutention du sucre humide et, par la suite, à son raffinage. En l’espèce, rien dans la preuve n’indique que l’augmentation de la quantité de sucre inverti ou de la teneur en cendres qu’aurait pu entraîner l’eau de mer n’a causé un dommage. Par contre, les parties se sont entendues sur le montant des frais supplémentaires de déchargement qui a été fixé à 25 990,89 $. Quant aux frais supplémentaires engagés pour le raffinage, j’examinerai cette question plus loin.

Au mieux, sous ce poste et sous réserve de l’obligation de limiter les dommages et des frais supplémentaires qu’elle a dû engager pour s’acquitter de celle-ci, l’intimée aurait droit à mon avis à 61 886,04 $, ce qui représente la perte de valeur du sucre brut ainsi que les frais supplémentaires occasionnés par le déchargement du sucre humide.

L’étendue de l’obligation de limiter les dommages

Il est bien établi qu’une partie qui subit un préjudice par suite de l’inexécution d’un contrat a l’obligation de limiter ses dommages, c’est-à-dire que l’auteur du délit ne peut être appelé à payer les pertes évitables qui entraîneraient une augmentation du montant des dommages-intérêts payables à la partie lésée[39]. La partie lésée doit prendre toutes les mesures raisonnables afin de limiter les pertes résultant de l’inexécution[40]. Elle n’a pas à prendre des risques déraisonnables; il lui suffit de prendre les mêmes mesures que prendrait une personne raisonnable et prudente dans le cours normal de ses affaires[41].

a)         L’obligation de limiter les dommages s’applique-t-elle seulement dans le cas d’un préjudice continu?

L’avocate de l’intimée a soumis divers arguments qu’il convient maintenant d’examiner. Elle a tout d’abord soutenu que l’obligation de limiter le préjudice ne s’applique que dans les cas où il y a une perte continue et non en l’espèce où la perte s’est cristallisée au moment où la cargaison est arrivée à destination. Comme le juge Mustill dans l’arrêt Hussey v Eels[42], j’ai certaines réserves au sujet de cet argument. Abordant cette question, il a écrit :

[traduction] J’ai certaines réserves face à cet argument. Il est vrai que la question de l’obligation de limiter le préjudice se pose le plus souvent dans le cas d’un préjudice continu. Ainsi, par exemple, lorsqu’un demandeur perd des bénéfices industriels et commerciaux et que cette perte se poursuivra tant qu’il ne prendra aucune mesure pour y mettre un terme, s’il y a quelque chose qu’il pourrait raisonnablement faire et qu’il n’agit pas, les dommages-intérêts sont calculés comme si le préjudice avait pris fin; réciproquement, s’il prend des mesures pour faire cesser le préjudice, toutes les conséquences de ses actes sont prises en compte. Il est également vrai que, en théorie, l’argument de l’avocat des demandeurs semble à première vue étayé par les décisions portant sur l’inexécution de contrats de fournitures de biens ou de prestation de services pour lesquels il existait un débouché, où les tribunaux ont eu tendance à appliquer directement une méthode classique d’évaluation des dommages sans chercher à savoir ce qu’a fait la partie lésée après l’inexécution. (Je dis « à première vue » parce que ces méthodes classiques d’évaluation des dommages reposent sur l’hypothèse que la partie innocente est allée sur le marché soit pour vendre aux dépens de l’acheteur défaillant soit pour acheter aux dépens du vendeur défaillant. La perte s’est donc cristallisée, non pas en fonction des conséquences immédiates de la rupture du contrat, mais des mesures présumées d’atténuation du préjudice.) Néanmoins, je ne serais pas disposé, sans avoir examiné minutieusement la jurisprudence et la doctrine, à souscrire à une généralisation comme celle que l’avocat des demandeurs propose, en particulier dans le domaine des dommages-intérêts où les énoncés de principe généraux ont tendance à être peu fiables. (En fait, je crois que l’affaire R Pagnan & Flli v Corbisa Industrial Agropacuaria Ltda [1971] 1 All ER 165, [1970] 1 WLR 1306, montre qu’il n’y a pas lieu de généraliser.)

Cet argument général avancé par l’avocate de l’intimée semble indiquer que l’obligation de limiter le préjudice n’existe que pour les dommages futurs ou supplémentaires. En d’autres termes, il n’y a aucune obligation de limiter les dommages qui existent déjà même si la partie lésée peut raisonnablement le faire. Selon l’intimée, cette obligation ne vise qu’à empêcher l’aggravation des dommages et non à éviter ceux-ci, même si une personne raisonnable et prudente pourrait le faire. À mon avis, cette affirmation va à l’encontre des principes formulés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autre où le juge Estey, qui a rédigé la décision de la Cour, a dit ce qui suit :

Dans les affaires relatives à l’évaluation des dommages résultant du défaut de livrer des marchandises en violation d’un contrat de vente, l’application répétée des principes susmentionnés a clarifié le droit et il est maintenant établi que le montant des dommages-intérêts doit correspondre au montant que l’acheteur aurait dû dépenser pour se procurer les marchandises sur le marché à l’époque de la rupture du contrat, moins le prix fixé au contrat. Cette règle, fermement énoncée dans l’arrêt Barrow v. Arnaud [(1846), 8 Q.B. 595] ressort de l’effet conjugué de deux principes. Le premier, déjà exposé, est le droit du demandeur d’être indemnisé des pertes que les parties pouvaient raisonnablement envisager en cas d’inexécution du contrat. Le deuxième est l’obligation pour la partie lésée par l’inexécution d’un contrat de prendre toutes les mesures raisonnables afin de limiter le préjudice en résultant[43]. [Non souligné dans le texte original.]

La Cour suprême n’a pas dit que l’obligation de limiter le préjudice consistait à prendre toutes les mesures raisonnables pour éviter « d’autres » dommages, mais plutôt à prendre toutes les mesures raisonnables afin de limiter le préjudice résultant de l’inexécution. Cela comprend les pertes originales lorsque, compte tenu des circonstances, il est raisonnable de les mitiger.

À mon avis, l’extrait suivant tiré de l’ouvrage intitulé Remedies for Torts and Breach of Contract décrit adéquatement ce que l’on appelle l’obligation de limiter le préjudice :

[traduction] L’obligation de limiter le préjudice est une autre restriction apportée aux dommages-intérêts compensatoires. D’une part, le demandeur ne devrait pas se croiser les bras et ne rien faire pour limiter le préjudice découlant d’un acte préjudiciable; il devrait plutôt utiliser ses ressources et faire ce qui est raisonnable pour se retrouver dans une aussi bonne position que si le contrat avait été exécuté ou que si le délit n’avait pas été commis. D’autre part, il ne devrait pas engager de dépenses déraisonnables après que l’acte préjudiciable a été commis. Il s’agit d’encourager le demandeur, une fois qu’un acte préjudiciable a été commis, à se montrer raisonnablement indépendant ou, pour reprendre la terminologie utilisée par les économistes, à être efficient, plutôt que de rendre le défendeur responsable de tous les dommages[44].

b)         L’obligation de limiter le préjudice ne consistait-elle qu’à trouver un acheteur pour le sucre avarié?

L’avocate de l’intimée a prétendu que la seule obligation de sa cliente en l’espèce était d’essayer de trouver un acheteur pour le sucre avarié. Elle n’était pas tenue d’incorporer le sucre humide à du sucre sain même s’il était raisonnable dans les circonstances d’agir ainsi et même si cela aurait permis de limiter les dommages.

Je ne peux pas croire que l’obligation de l’intimée de limiter les dommages était si restreinte. En fait, dans l’arrêt Keneric Tractor Sales Ltd. c. Langille[45], où du matériel agricole loué a été vendu après que les appelants Langille n’eurent pas respecté leurs contrats de location, les appelants ont prétendu que Keneric n’avait pas pris les mesures raisonnables pour limiter ses dommages. Ils ont soutenu que Keneric aurait dû relouer le matériel plutôt que de le revendre.

La Cour suprême n’a pas rejeté cette prétention parce qu’elle était dénuée de fondement, mais plutôt parce qu’il n’y avait aucun élément de preuve étayant celle-ci. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Wilson a écrit ce qui suit :

Le problème que j’éprouve à l’égard de cet argument c’est qu’aucun élément de preuve n’a été présenté en première instance concernant la rentabilité d’une nouvelle location. En l’absence de tels éléments de preuve, il est impossible de dire si une nouvelle location aurait été préférable à la revente. De toute évidence, la charge de la preuve est très importante en l’espèce.

Il semble évident que la charge de la preuve incombe au défendeur. Comme l’a souligné le juge Laskin, au nom de la Cour dans l’arrêt Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324, à la p. 331 :

Si le défendeur prétend que le demandeur aurait pu raisonnablement minimiser la perte alléguée, il incombe au défendeur d’en faire la preuve, à moins que ce dernier ne se contente de laisser au juge de première instance le soin de trancher cette question à la lumière de son évaluation de la preuve des conséquences évitables fournie par le demandeur[46].

Ce qu’il est raisonnable de faire dans les circonstances est une question de fait et de bon sens. Par exemple, supposons que l’intimée a remisé dans son entrepôt une certaine quantité de sucre brut lui appartenant et que ce sucre n’est pas assuré. Une inondation inattendue endommage le sucre et réduit sa polarité et, par conséquent, sa valeur intrinsèque. Que devrait raisonnablement faire l’intimée dans les circonstances pour limiter ses dommages : incorporer le sucre avarié à du sucre brut sain avant de le traiter, ou vendre le sucre brut avarié sur le marché de la récupération et subir une perte plus importante? Poser la question c’est y répondre. Pourquoi cela serait-il différent maintenant si le sucre est assuré et que les dommages-intérêts sont payés par un tiers? Pourquoi la situation devrait-elle être différente si le sucre dont l’intimée est propriétaire est endommagé non pas dans son entrepôt mais à bord du navire qui le transporte? En réalité, cela ne fait aucune différence en ce qui concerne l’obligation de limiter les dommages.

Dans les circonstances, l’incorporation du sucre avarié à du sucre sain et son raffinage subséquent étaient des mesures raisonnables à prendre pour limiter les dommages. Ces mesures étaient encore plus raisonnables dans le cas de l’intimée qui, en tant que raffineur, possédait les connaissances et l’équipement nécessaires pour le faire.

L’avocate de l’intimée a soutenu qu’il ne faut pas tenir compte des caractéristiques particulières du demandeur en fixant le montant des dommages-intérêts. Je suis d’accord. Par exemple, il importe peu, en déterminant l’étendue des dommages, qu’un demandeur soit lié par contrat avec un tiers et qu’il ait réalisé un profit en revendant les marchandises avariées[47]. Les dommages et le montant auxquels ils sont fixés existent indépendamment des caractéristiques particulières ou spéciales du demandeur. Cependant, cette règle s’applique à l’évaluation des dommages mais non à l’étendue de l’obligation de les limiter. Il convient de se rappeler que cette obligation incombe au demandeur et non à une personne abstraite et fictive. La question qui se pose alors est la suivante : qu’est-il raisonnable pour le demandeur de faire dans les circonstances? En l’espèce, qu’était-il raisonnable de faire pour l’intimée ou, en d’autres termes, quelles étaient les mesures raisonnables qu’elle aurait dû prendre compte tenu des circonstances? Si on tient compte des dommages limités causés au sucre brut et du fait que le sucre était récupérable, une seule réponse est possible : l’incorporer à du sucre sain et le raffiner comme prévu à l’origine. Telle était l’obligation de l’intimée en l’espèce vu que les risques étaient minimes et qu’il était possible d’y faire face[48].

c)         Règle applicable lorsque les mesures prises pour limiter le préjudice vont au-delà de ce qui est imposé par cette obligation

De toute façon, je suis convaincu que le principe formulé dans l’arrêt British Westinghouse[49] et suivi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Cockburn[50] s’applique. Après avoir posé comme premier principe que, en cas d’inexécution d’un contrat, la partie lésée a le droit de recevoir à titre de dommages-intérêts une somme qui la placera dans la même position que si le contrat avait été exécuté, le juge Duff de la Cour suprême, citant la Chambre des lords, a écrit ce qui suit :

[traduction] Mais ce principe est limité par un autre qui impose au demandeur l’obligation de prendre toutes les mesures raisonnables pour limiter le préjudice résultant de l’inexécution du contrat et qui l’empêche d’être indemnisé pour la partie du préjudice qu’il aurait ainsi pu éviter. Comme l’a écrit lord James dans Dunkirk Colliery Co. v. Lever (2), à la p. 25 : « Celui qui ne respecte pas un contrat n’est pas responsable des dommages supplémentaires attribuables à l’inaction des demandeurs, ces derniers étant tenus d’agir en personnes raisonnables sans toutefois être obligés de prendre d’autres mesures que celles se situant dans le cours normal des affaires ».

Comme le précise lord James, ce second principe n’impose pas au demandeur l’obligation de prendre des mesures différentes de celles que prendrait une personne raisonnable et prudente dans le cours normal de ses affaires. Cependant, lorsque dans le cours de ses affaires, il prend une mesure liée à la transaction qui a pour effet de réduire les pertes, la diminution du préjudice peut être prise en considération même s’il n’était pas tenu d’agir ainsi[51]. [Non souligné dans le texte original.]

Que l’intimée ait eu ou non l’obligation d’incorporer le sucre avarié à du sucre sain et de le traiter dans le cours normal de ses affaires, elle y est parvenue et elle a ainsi évité les pertes qui auraient découlé de l’inexécution du contrat. Les appelants ont le droit de profiter des mesures qui ont permis de limiter le préjudice.

L’étendue du préjudice subi par l’intimée

Il est bien établi en droit qu’un demandeur a le droit de se faire rembourser les frais qu’il a raisonnablement engagés pour limiter son préjudice[52]. À mon avis, il incombe au demandeur de prouver ces frais, en particulier lorsqu’ils se rapportent à des mesures qu’il a prises et dont il est le seul au courant. Comme le dit mon collègue le juge Décary, J.C.A., « il y a des limites à ce que l’auteur d’un délit peut prouver lorsqu’il s’agit de déterminer ce que le demandeur a fait ou aurait pu faire ».

En l’espèce, la seule preuve produite par l’intimée au sujet des frais qu’elle a engagés pour limiter son préjudice est l’extrait cité par ma collègue, Madame le juge Desjardins. Le témoin de l’intimée, M. Makin, a témoigné qu’elle n’avait conservé aucune donnée sur les coûts occasionnés par les mesures prises pour limiter les dommages. Il a tout simplement ajouté [traduction] « qu’il estimait probablement que, tout compte fait, il n’y avait eu ni perte ni gain », signifiant ainsi que les frais engagés pour limiter le préjudice s’élevaient à 139 830,09 $, soit la somme reçue de l’assureur de la cargaison pour la dépréciation du sucre avarié.

Le moins que l’on puisse dire de cette déclaration intéressée est qu’il s’agit d’une preuve insuffisante sinon faible. Est-il besoin de redire que les dommages-intérêts ne peuvent être attribués sur la base [traduction] « de conjectures ou d’hypothèses »[53]?

L’avocate de l’intimée a soutenu, presque en désespoir de cause, qu’il ne faudrait pas pénaliser sa cliente parce qu’elle a réussi à éviter des pertes et qu’elle ne devrait donc pas être tenue de payer les frais supplémentaires nécessaires pour exercer un contrôle sur les dépenses engagées pour limiter le préjudice. Je ne pense pas que l’intimée devait mettre en place un système perfectionné lui permettant de calculer les frais engagés pour limiter le préjudice et d’en connaître les moindres détails. Cependant, il aurait été normal qu’elle décrive les opérations supplémentaires requises par l’incorporation du sucre et son traitement ultérieur, et qu’elle fournisse au moins une évaluation approximative du coût de chacune de ces opérations.

Ceci étant dit, la preuve indique qu’il a été nécessaire de débourser une somme supplémentaire de 25 990,89 $ pour décharger le sucre avarié et le transporter jusqu’à l’entrepôt de l’intimée. Les frais engagés sont les suivants :

Main-d’oeuvre et nettoyage des balances et bandes transporteuses : 6 162,72 $

Frais supplémentaires pour le déchargement (terminaux Seaway) : 2 237,64 $

Frais supplémentaires pour la main-d’œuvre (Empire Stevedoring Co.) : 16 437,87 $

Frais supplémentaires pour la main-d’œuvre (Camerson and Sons) : 693,16 $

Frais supplémentaires pour la main-d’œuvre (Burns Security) : 459 $

Il n’est que juste et raisonnable de conclure que la manutention du sucre avarié, au moment de son incorporation, a aussi occasionné des frais supplémentaires. Il est également raisonnable de penser que le traitement et le raffinage ont entraîné des frais supplémentaires.

Toutefois, je ne pense pas que ces frais représentaient la somme avancée ou fixée par le témoin de l’intimée. Je ne pense pas non plus que ces frais étaient comparables à ceux engagés pour le déchargement. Compte tenu du fait qu’il incombait à l’intimée non seulement de réclamer ces frais mais de les prouver, je fixerais ceux-ci à 50 000 $, ce qui semble être une somme raisonnable dans les circonstances.

Le taux d’intérêt

Les parties ont reconnu que le taux d’intérêt commercial au moment de l’instruction devant le juge de première instance était de 11,78 %. Le juge a fixé l’intérêt à 9 %, composé semestriellement, et il a statué que les intérêts étaient payables depuis la date de la perte jusqu’à la date de paiement de son jugement. Les appelants souhaiteraient que le taux de l’intérêt postérieur au jugement soit fixé en fonction du taux d’intérêt moyen que la Cour fédérale du Canada paie sur les sommes qui sont consignées en son greffe. Je ne vois aucune raison d’intervenir.

Conclusion

À mon avis, le juge de première instance a commis une erreur de droit dans son appréciation des dommages subis par l’intimée. J’accueillerais l’appel en partie, avec dépens, et je condamnerais les appelants à verser à l’intimée la somme de 75 990,89 $, ce qui représente les frais supplémentaires occasionnés par le déchargement de la cargaison ainsi que les dépenses supplémentaires engagées pour limiter les dommages. Les intérêts devraient être de 9 % par année, composés semestriellement, depuis la date de la perte jusqu’à la date de paiement du présent jugement. Je rejetterais l’appel incident de l’intimée, avec dépens.



[1] Le juge de première instance [à la p. 431] a expliqué ce qu’est la polarité en se référant aux remarques du juge suppléant Harvey dans l’affaire Amstar Corporation v. M/V Alexandros T, [1979] A.M.C. 1975 (U.S. Dist. Ct.), à la p. 1982 :

[traduction] Le sucre à l’état brut se compose de sucrose (ou saccharose), de sucre inverti et de solides autres que du sucre. Lorsqu’une raffinerie comme Amstar achète du sucre brut, c’est le sucrose qu’elle achète qui l’intéresse et non les autres éléments. L’opération de raffinage sépare le sucrose des autres éléments du sucre brut et l’utilise ensuite pour obtenir des produits en sucre raffiné. Le prix du sucre brut est donc fonction du pourcentage de sucrose qu’il contient. Le mot « polarité » désigne le pourcentage de sucrose présent dans le sucre brut. Plus cette polarité est élevée, plus le pourcentage de sucrose est important.

[2] Dossier d’appel, aux p. 90 et 91. Le dossier ne précise pas pour quelle raison les frais de déchargement supplémentaires ont été déduits.

[3] Comme cela a été le cas dans l’affaire Redpath Industries Ltd. et autre c. Fednav Ltd. et autres (1993), 63 F.T.R. 131 (C.F. 1re inst.) qui fait actuellement l’objet d’un appel.

[4] Le juge de première instance a dit précisément ce qui suit à ce sujet, aux p. 440 et 441 :

Je ne suis pas convaincu que Redpath a droit à des dommages-intérêts de 226 327,40 $. Ainsi qu’il a été indiqué plus tôt, la règle de la V.M.S.D. moins la V.M.A.D. [valeur marchande avariée à destination] est sujette à des exceptions, et l’une d’elles est l’obligation qu’impose la loi aux demandeurs lésés de minimiser leurs dommages-intérêts.

Dans la présente espèce, le sucre avarié n’a pas été vendu au prix de 43,93 $ la tonne métrique à un producteur d’aliments pour animaux. L’assureur a pu négocier avec Redpath une entente par laquelle celle-ci a acheté le sucre à 50 % de sa valeur marchande saine. Je suis persuadé qu’en agissant ainsi, la demanderesse minimisait les pertes potentielles, ce qu’elle se trouve dans l’obligation de faire. On ne peut donc demander maintenant aux défendeurs de payer des pertes qui étaient évitables et qui, en réalité, n’ont pas été subies.

[5] W. Tetley, Marine Cargo Claims, 3e éd. (Montréal : Yvon Blais, 1988), aux p. 323 et 324.

[6] [1912] A.C. 673 (Chambre des lords), à la p. 689.

[7] (1917), 55 R.C.S. 264, à la p. 269.

[8] [1944] R.C.S. 1.

[9] [1976] 2 R.C.S. 324.

[10] [1979] 1 R.C.S. 633.

[11] Les arrêts Goldco Imports Ltd. v. The Ship Meitoku Maru et al., [1966] R.C.É. 498; et Amjay Cordage Limited c. Le navire « Margarita » (1979), 28 N.R. 265 (C.A.F.) peuvent servir d’exemple.

[12] Dossier d’appel, aux p. 118 à 120.

[13] Dossier d’appel, à la p. 62.

[14] Rodocanachi, Sons, and Co. v. Milburn Brothers (1886), 6 Asp. M.L.C. 100 (C.A.); The « Arpad » (1934), 49 L1. L. Rep. 313 (C.A); Obestain Inc. v. National Mineral Development Corporation Ltd. (The Sanix Ace), [1987] 1 Lloyd’s Rep. 465 (B.R.); Trade Wind, The Ship v. David McNair & Co. Ltd., [1956] R.C.É. 228; confirmant [1954] R.C.É. 450.

[15] Goldco Imports Ltd. v. The Ship Meitoku Maru et al., [1966] R.C.É. 498; Amjay Cordage Limited c. Le navire « Margarita » (1979), 28 N.R. 265 (C.A.F.).

[16] British Westinghouse Electric and Manufacturing Company v. Underground Electric Railways Company of London, [1912] A.C. 673 (Chambre des lords).

[17] Hussey v Eels, [1990] 1 All E.R. 449 (C.A.).

[18] Transcription des témoignages à l’instruction, livre II, à la p. 118, ligne 14.

[19] Transcription des témoignages à l’instruction, livre II, aux p. 128-130.

[20] (1915), 51 R.C.S. 283, à la p. 289.

[21] [1976] 1 R.C.S. 267; McCain Produce Co. Ltd., Pirie Potato Company Limited and Toner Brothers Ltd. v. Canadian Pacific Limited (1980), 30 N.B.R. (2d) 476 (C.A.); confirmé par [1981] 2 R.C.S. 219.

[22] Banner Homes Ltd. v. Mitchell (1979), 27 N.B.R. (2d) 486 (C.A.); Messer v. J. Clark & Son Ltd. (1961), 27 D.L.R. (2d) 766 (C.S.N.-B.); Abraham v. Wingate Properties Ltd., [1986] 1 W.W.R. 568 (C.A. Man.).

[23] [1987] 2 C.F. 592 (C.A.).

[24] L’avocat des appelants invoque quelques décisions rendues aux États-Unis. Je dois avouer mon peu d’enthousiasme à me reporter à la jurisprudence américaine lorsque je dois exercer la compétence de la Cour sur une question de droit maritime canadien telle la détermination du montant des dommages-intérêts. Il s’agit d’un domaine du droit où, il me semble, notre « common law » s’est élaborée dans un contexte canadien et anglais, et où il n’est pas nécessaire de se reporter à des sources américaines. Voir l’arrêt Antares Shipping Corporation c. Le navire « Capricorn » et autres, [1980] 1 R.C.S. 553, à la p. 562; pour une analyse du concept du « droit maritime canadien », voir A. Braën, Le droit maritime au Québec (Montréal : Wilson & Lafleur, 1992), aux p. 110-113.

[25] S. M. Waddams, The Law of Contracts, 3e éd. (Toronto : Canada Law Book, 1993), à la p. 514.

[26] [1992] 3 C.F. 428 (1re inst.), à la p. 435.

[27] Voir Wood v. Grand Valley Railway Co. et al. (1915), 51 R.C.S. 283, aux p. 288 à 290, le juge Davies; Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada Ltd., [1976] 1 R.C.S. 267, aux p. 279 et 280, le juge Spence.

[28] Voir S. M. Waddams, The Law of Damages, 2e éd. (Aurora, Ont. : Canada Law Book, 1991), para. 13.100; World Beauty, The, [1969] 3 All E.R. 158 (C.A.); Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324, à la p. 331.

[29] (1978), 20 O.R. (2d) 401 (C.A.), à la p. 423.

[30] M. Makin, dossier d’appel, à la p. 117.

[31] [1992] 3 C.F. 428 (1re inst.), à la p. 441.

[32] Voir M. Hugues, transcription, vol. 2, aux p. 34, 35, 43, 74 et 75; M. Makin, transcription, vol. 2, à la p. 130; dossier d’appel, à la p. 112.

[33] Voir M. Makin, transcription, vol. 2, aux p. 111, 122, 124 et 129.

[34] Voir le témoignage et le rapport de M. Richard Calder, témoin-expert des appelants, aux p. 139 et 140 du dossier d’appel. Il a conclu de la manière suivante :

[traduction] La polarisation du sucre avarié ayant été évaluée à 92,5 degrés, un règlement juste et raisonnable, reposant sur le contrat modifié, aurait pour base l’échelle susmentionnée, c’est-à-dire 1,5 % (du prix contractuel de base, pour 96 degrés, de 246,298833 $ la tonne métrique) pour le degré situé entre 96 degrés et 95 degrés, un pourcentage supplémentaire de 4 % pour les deux degrés situés entre 95 degrés et 93 degrés et un escompte supplémentaire pour les demi-degrés situés entre 93 degrés et 92,5 degrés (0,5 % des 2 % prévus par degré pour les degrés situés entre 95 degrés et 93 degrés jusqu’à un pourcentage possible de 0,5 de 5 % ce qui, à ce niveau, est l’échelle qu’appliquent les raffineurs américains). Je crois donc que l’escompte admissible maximal devrait être l’équivalent de 35 895,15 $ CAN, conformément au calcul ci-joint. Il faudrait évidemment y ajouter les frais, les dépenses, les droits, etc., dont on a fait la preuve, y compris, mais non exclusivement, les pénalités additionnelles à verser aux débardeurs ainsi que les frais de déchargement du sucre avarié, et le reste.

[35] [1979] A.M.C. 1975 (U.S. Dist. Ct.).

[36] (1993), 63 F.T.R. 131 (C.F. 1re inst.), à la p. 146.

[37] Voir le dossier d’appel, pièce P-10, p. 60 et 61. Voir aussi la transcription des témoignages à l’instruction, livre II, p. 44 et 45.

[38] M. Hugues de Sucre Lantic Ltée a témoigné que seules son entreprise et celle de l’intimée achetaient et traitaient du sucre brut dans la région du Grand Toronto. Hormis Toronto, le débouché le plus rapproché pour le sucre brut était Montréal. Voir le dossier d’appel, à la p. 61.

[39] Voir, par exemple, l’arrêt Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324, à la p. 330.

[40] Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633, à la p. 647.

[41] Idem. Voir aussi Cockburn v. Trusts and Guarantee Co. (1917), 55 R.C.S. 264; British Westinghouse Electric and Manufacturing Company v. Underground Electric Railways Company of London, [1912] A.C. 673 (Chambre des lords).

[42] [1990] 1 All E.R. 449 (C.A.), aux p. 452 et 453.

[43] Supra, note 10, à la p. 647.

[44] A.S. Burrows, Remedies for Torts and Breach of Contract. London : Butterworths, 1987, à la p. 64.

[45] [1987] 2 R.C.S. 440.

[46] Idem, aux p. 458-459.

[47] Rodocanachi, Sons, and Co. v. Milburn Brothers (1886), 6 Asp. M.L.C. 100 (C.A.).

[48] Voir Indiana Farm Bureau Cooperative Ass’n. Inc. v. S.S. Sovereign Faylenne, [1978] A.M.C. 1514, où l’on a jugé déraisonnable d’avoir vendu la cargaison sur le marché de la récupération étant donné que celle-ci pouvait être remise en état.

[49] Supra, note 6.

[50] Supra, note 7.

[51] Idem, à la p. 267.

[52] Voir McGregor on Damages, 15e éd., London : Sweet & Maxwell, 1988, aux p. 323 à 325; J. G. Fleming, The Law of Torts, 7e éd., Sydney : Law Book Co., 1987, à la p. 227; A. S. Burrows, Remedies for Torts and Breach of Contract. London : Butterworths, 1987, à la p. 67.

[53] Erie County Natural Gas and Fuel Company v. Carroll, [1911] A.C. 105 (P.C.), à la p. 118.

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