[1994] 1 C.F. 232
A-120-91
Dai Nguyen du Groupe Solidarité, Luong Manh Nguyen (appelants) (requérants)
c.
Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé) (intimé)
Répertorié : Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.)
Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Hugessen et Stone, J.C.A.—Winnipeg, 1er juin; Ottawa, 12 juillet 1993.
Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Appel contre le refus d’accorder une ordonnance de certiorari, de mandamus — L’appelant, L.N., attend, dans un camp de détention à Hong Kong, d’être rapatrié au Viêt-Nam car il ne satisfait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention — Le CIC a envoyé un télex à Hong Kong indiquant qu’il y avait eu un engagement de parrainage au Canada — Les agents des visas à Hong Kong n’ont pas envoyé de formulaire de demande de droit d’établissement à L.N., les fonctionnaires canadiens n’ayant pas accès à l’appelant car il n’avait pas été sélectionné à titre de réfugié au sens de la Convention — Bien qu’il n’y ait aucune décision ouvrant droit à certiorari, le ministre et les fonctionnaires sont tenus de fournir un formulaire de demande de droit d’établissement sur demande expresse ou implicite — La demande ressortait de l’engagement de parrainage — Étant donné que L.N. n’était pas libre, on ne pouvait s’attendre à ce qu’il se présente en personne — Selon le guide de l’immigration, il est d’usage d’envoyer les formulaires — Le ministre et les fonctionnaires ne peuvent échapper à leur obligation en affirmant qu’ils seront empêchés de l’accomplir sans même avoir tenté de l’accomplir.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Mandamus — Appel contre le refus d’accorder une ordonnance de mandamus exigeant que le M.E.I. traite la demande de parrainage — Les agents des visas à Hong Kong n’ont pas transmis le formulaire de demande de droit d’établissement à l’appelant, qui attend dans un camp de détention, d’être rapatrié au Viêt-Nam, bien qu’ils aient été avisés de la présentation d’un engagement de parrainage, car ils croyaient ne pas avoir accès à l’appelant parce qu’il n’avait pas été sélectionné à titre de réfugié au sens de la Convention — Selon le guide de l’immigration, il est d’usage d’envoyer le formulaire — Le non-respect des simples directives administratives du Guide ne constitue pas nécessairement une inexécution de l’obligation — Le Guide établit de saines pratiques administratives — Il existe une obligation implicite de transmettre le formulaire de demande sur demande, expresse ou implicite — La demande ressortait de l’engagement de parrainage — Le ministre et les fonctionnaires ne peuvent échapper à leur obligation en affirmant qu’ils seront empêchés de l’accomplir sans même avoir tenté de l’accomplir.
Il s’agit d’un appel interjeté contre le rejet d’une requête visant à obtenir des ordonnances (1) afin d’infirmer la décision de l’intimé selon laquelle l’appelant Luong Manh Nguyen (L.N.), pour venir au Canada à titre de réfugié ou de membre d’une catégorie désignée, doit passer la sélection à Hong Kong et, (2) obligeant l’intimé à traiter le parrainage de l’appelant.
L’appelant, L.N., est arrivé à Hong Kong en provenance du Viêt-Nam après la date limite pour l’octroi automatique du statut de réfugié de fait auparavant accordé aux demandeurs d’asile originaires des pays d’Indochine. Il n’a pas été retenu dans le processus de sélection par les autorités de Hong Kong en tant que réfugié au sens de la Convention; il attend maintenant d’être rapatrié, dans un camp de détention à Hong Kong. Son frère, un citoyen canadien d’origine vietnamienne faisant partie d’un groupe de personnes et d’organisations d’affiliation religieuse, est intéressé à parrainer l’immigration au Canada de l’appelant. La demande de parrainage a été faite conformément au Règlement sur la catégorie désignée d’Indochinois, qui prévoit que les personnes originaires de certains pays d’Indochine n’ont pas à respecter les exigences normales pour immigrer, c.-à-d. de correspondre à la définition de réfugiés au sens de la Convention. Le bureau de Winnipeg d’Emploi et Immigration Canada a indiqué par télex au Bureau du Commissariat du Canada à Hong Kong qu’une demande de parrainage avait été faite, mais ce dernier n’a pas transmis le formulaire de demande de droit d’établissement parce que les fonctionnaires canadiens n’avaient pas accès à l’appelant, car il n’avait pas été sélectionné par Hong Kong à titre de réfugié au sens de la Convention. Le Guide de l’immigration prévoit que, normalement, lorsqu’un bureau à l’étranger reçoit un telex qu’une demande de parrainage a été approuvée et qu’un engagement a été signé, le bureau envoie un formulaire de demande du droit d’établissement à la personne concernée. Les appelants ont soutenu (1) que le gouvernement canadien a tort d’imposer aux ressortissants d’Indochine, comme condition préalable d’admission au Canada, l’obligation d’avoir été reconnus en tant que réfugiés au sens de la Convention par un autre État, puisqu’il a déclaré son intention de faciliter l’admission au pays des ressortissants indochinois; (2) que le ministre avait l’obligation légale de communiquer avec L.N. dans le camp de détention et de lui transmettre le formulaire de demande du droit d’établissement.
Le juge des requêtes a conclu que le ministre n’avait pris aucune décision contre laquelle une ordonnance de certiorari serait recevable et qu’il n’avait aucun devoir ou obligation donnant ouverture à une ordonnance de mandamus.
Arrêt (le juge en chef Isaac dissident) : l’appel est accueilli.
Le juge Hugessen, J.C.A. (avec l’assentiment du juge Stone, J.C.A.) : Il n’existe aucune décision contre laquelle un certiorari est recevable.
Le défaut du ministre de fournir un formulaire de demande de droit d’établissement équivaut à un manquement à un devoir. Le Guide de l’immigration est simplement un ensemble de directives administratives et il n’a pas force de loi. Le défaut de respecter le guide en soi n’implique pas nécessairement le manquement à un devoir du genre qui pourrait donner lieu à une ordonnance de mandamus. Toutefois, les obligations imposées par la loi ne sont pas toutes expresses. Une obligation implicite a néanmoins force exécutoire. Le Guide de l’immigration indique un usage administratif valable et la façon dont la Loi et le Règlement sont en fait appliqués « dans le quotidien ». Bien qu’il semble se dégager de la Loi ou du Règlement qu’une demande d’établissement doit toujours précéder un parrainage, en fait, comme le confirme le Guide, l’engagement de parrainage est invariablement exécuté d’abord, suivi de la demande d’établissement.
Les agents des visas à Hong Kong avaient le devoir de fournir à L.N. une demande d’établissement sur demande. Le fait qu’il n’y avait aucune demande expresse en vue d’obtenir le formulaire ne signifie pas qu’il n’y avait aucun devoir. Il ressortait de l’engagement de parrainage que l’appelant voulait demander le droit d’établissement. Le Guide montre qu’une telle déduction s’impose naturellement. L’engagement de parrainage prouve également que l’appelant n’était pas libre : son adresse est citée comme étant le Centre de détention. Dans ces circonstances, on pouvait difficilement s’attendre à ce qu’il se présente au bureau du Commissariat. Le Guide de l’immigration établit qu’il est d’usage courant d’envoyer le formulaire de demande. Les personnes dans la situation de l’appelant ont droit d’envoyer et de recevoir des lettres. Le ministre avait donc une demande en vue d’obtenir le formulaire et devait prendre les moyens pour lui donner suite. Le ministre et ses agents ne peuvent échapper à leur obligation en affirmant tout bonnement qu’on les empêchera de l’accomplir, sans même avoir tenté de l’accomplir. On ne peut invoquer comme excuse, pour refuser à quelqu’un la possibilité de faire une demande, qu’un agent est d’avis qu’elle serait éventuellement refusée. En second lieu, il n’est pas clair du tout que les agents d’immigration canadiens se verraient refuser inévitablement l’accès au camp s’ils le demandaient.
Le juge en chef Isaac (dissident) : Il n’existait aucune décision en l’espèce contre laquelle une réparation par voie de certiorari pouvait être accordée. Le ministre n’a pas décidé que l’appelant devait réussir la pré-sélection à Hong Kong afin de pouvoir demander un visa d’immigrant. Il n’a pris aucune décision. Son inaction était due simplement au fait qu’aucune demande d’admission au Canada n’avait été présentée.
Le ministre intimé n’a pas refusé non plus de traiter la demande de parrainage. La demande de parrainage n’avait pas été annulée mais avait plutôt été laissée en suspens, en attendant que les autorités de Hong Kong décident si L.N. serait « sélectionné ». Puisqu’il n’y avait pas eu de demande de droit d’établissement, il n’y avait rien à parrainer et par conséquent aucun devoir n’était imposé. Le Règlement sur la catégorie désignée d’Indochinois suppose au préalable l’existence d’une demande d’admission au Canada. Le ministre ne peut être obligé de « traiter » la demande de parrainage parce qu’il n’y avait rien à laquelle elle pourrait se rattacher.
L’argument selon lequel il incombait au ministre intimé de respecter les dispositions du Guide de l’immigration, puisqu’il aurait pu le faire se fonde sur la supposition que les directives internes (le Guide de l’immigration) pourraient constituer la base d’un devoir public suffisant pour justifier un bref de mandamus. Cette supposition est fausse. Le bref de mandamus est un recours extraordinaire et discrétionnaire, dont l’objet est d’ordonner l’exécution d’une obligation légale fondée sur une disposition légale ou sur la common law. Les directives ne sont rien de plus que des instructions et la population n’a aucun recours pour assurer leur observation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] Can. T.S. no 6.
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2 (mod. par L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 28, art. 1).
Règlement sur la catégorie désignée d’Indochinois, DORS/78-931, art. 5 (mod. par DORS/89-408, art. 4).
Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, art. 7, 8, 9, 14.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration c. Tsiafakis, [1977] 2 C.F. 216; (1977), 73 D.L.R. (3d) 139 (C.A.); Jiminez-Perez c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1983] 1 C.F. 163; (1982), 45 N.R. 149 (C.A.); Choi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 763; (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 265; 139 N.R. 182 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE :
Mohammad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 363; (1988), 55 D.L.R. (4th) 321; 91 N.R. 121 (C.A.).
DÉCISION MENTIONNÉE :
Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l’Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; (1977), 74 D.L.R. (3d) 1; 33 C.C.C. (2d) 366; 14 N.R. 285.
DOCTRINE
Jones, David Phillip and Anne S. de Villars, Principles of Administrative Law, Toronto : Carswell Co. Ltd., 1985.
APPEL contre le rejet d’une requête ((1991), 44 F.T.R. 78) visant à obtenir une ordonnance annulant la décision de l’intimé selon laquelle Luong Manh Nguyen, pour venir au Canada à titre de réfugié ou de membre d’une catégorie désignée, doit passer la sélection à Hong Kong et une ordonnance obligeant l’intimé à traiter l’engagement de parrainage. Appel accueilli.
AVOCATS :
David Matas pour les appelants (requérants).
Gerald L. Chartier pour l’intimé (intimé).
PROCUREURS :
David Matas, Winnipeg, pour les appelants (requérants).
Le sous procureur général du Canada pour l’intimé (intimé).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge en chef Isaac (dissident) : Il s’agit d’un appel interjeté contre une décision rendue par la Section de première instance. [(1991), 44 F.T.R. 78]. Dans cette décision, le juge rejetait une requête formulée par les présents appelants visant à obtenir, d’une part, une ordonnance de certiorari afin d’infirmer la décision de l’intimé selon laquelle l’appelant Luong Manh Nguyen, pour venir au Canada à titre de réfugié ou de membre d’une catégorie désignée, doit passer la sélection à Hong Kong et, d’autre part, une ordonnance obligeant l’intimé à traiter le parrainage de l’appelant Luong Manh Nguyen par l’appelant Groupe Solidarité en vue de l’admission de Nguyen au Canada.
Le juge des requêtes a conclu, d’après la documentation à sa disposition, que l’intimé n’avait pris aucune décision contre laquelle une ordonnance de certiorari serait recevable et qu’il n’avait aucun devoir ou obligation donnant ouverture à une ordonnance de mandamus.
LES FAITS
L’appelant Luong Manh Nguyen est l’un des vingtaines de milliers de « réfugiés de la mer » qui ont quitté le Viêt-Nam dans les années suivant la chute du gouvernement sud-vietnamien en 1975. Son frère, l’appelant Dai Nguyen, est un citoyen canadien d’origine vietnamienne. Il fait partie d’un groupe de personnes et d’organisations d’affiliation religieuse qui porte le nom de « Groupe Solidarité » et qui est intéressé à parrainer l’immigration au Canada de l’appelant Luong Manh Nguyen.
Le Groupe Solidarité a demandé en septembre 1989, à Winnipeg, de parrainer l’immigration au Canada de Luong Manh Nguyen et de sa famille. La demande d’immigration a été faite conformément au Règlement sur la catégorie désignée d’Indochinois, DORS/78-931 et ses modifications, qui prévoit que les personnes originaires de certains pays d’Indochine peuvent obtenir la permission d’être admises au Canada sans avoir à respecter les exigences normales pour immigrer et sans avoir à correspondre à la définition de réfugiés au sens de la Convention prévue dans la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1)].
Le 20 septembre 1989, une note de service a été transmise par télex du bureau de Winnipeg d’Emploi et Immigration Canada au Bureau du Commissariat du Canada à Hong Kong, lui indiquant qu’une demande de parrainage avait été faite en ce qui concerne l’appelant Luong Manh Nguyen. Pour des raisons qui ne nous ont pas été expliquées et qu’il n’est pas essentiel que nous connaissions, le télex n’a apparemment pas été reçu à Hong Kong avant le 25 septembre.
Le 4 janvier 1990, la demande de parrainage « a été présentée pour être traitée », pour reprendre les termes des fonctionnaires de l’Immigration, à la section des visas du Bureau du Commissariat du Canada à Hong Kong. Toutefois, avant de passer à ce qui est arrivé à la demande de parrainage, il vaut peut-être la peine de dire un mot à cette étape-ci sur les conditions dans lesquelles vivaient les émigrants éventuels du Viêt-Nam comme Luong Manh Nguyen, et qui ont donné lieu au désir du Groupe Solidarité de parrainer l’immigration au Canada de M. Nguyen.
Personne n’ignore l’exode massif de personnes en quête d’asile qui a suivi la chute de Saigon aux mains des forces nord-vietnamiennes en 1975. La première vague de demandeurs d’asile a donné lieu à une conférence internationale organisée par les Nations Unies en 1979. À l’issue de cette conférence, les pays de premier asile (c’est-à-dire les pays de première arrivée après le départ d’Indochine) et les pays de réétablissement final ont décidé conjointement, en termes généraux, de traiter les Indochinois qui cherchent asile comme des réfugiés de fait, même si nombre d’entre eux n’auraient peut-être pas satisfait à la définition de réfugié établie dans la Convention de Genève [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiées, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6]. Malheureusement, l’entente a semblé être de courte durée, car à compter du milieu des années 80, de nombreux pays de réétablissement final ont commencé à restreindre l’admission aux réfugiés de bonne foi au sens de la Convention.
Entre-temps, le Canada avait promulgué le Règlement sur la catégorie désignée d’Indochinois juste avant la première conférence internationale. Comme je l’ai mentionné plus haut, le Règlement avait pour effet d’exempter les membres de la catégorie désignée d’Indochinois de certaines des exigences normalement imposées aux immigrants éventuels[1]. En vertu de ce Règlement, le Canada a continué d’accepter un nombre relativement élevé d’immigrants vietnamiens et d’autres ressortissants indochinois, même si d’autres pays ont commencé à restreindre le nombre d’immigrants acceptés.
Parce que d’autres pays se sont mis à limiter les possibilités de réétablissement, malgré leur entente antérieure en vue de faciliter ce réétablissement, les demandeurs d’asile originaires des pays d’Indochine n’ont pas tardé à s’accumuler dans les pays de premier asile, notamment à Hong Kong, en Malaysia et à Singapour, pour ce qui est des territoires du Commonwealth. Cette situation a porté ces pays à fixer des dates « limites » arbitraires, après lesquelles ils n’accepteraient que les demandeurs d’asile qui respectaient la définition de réfugié au sens de la Convention. Ils ont commencé simultanément à tenter de détourner de leurs territoires les demandeurs d’asile qui cherchaient à s’enfuir d’Indochine.
Pour prévenir les tragédies qui découlaient de cette situation, les Nations Unies ont tenu une seconde conférence internationale sur les réfugiés d’Indochine à Genève, en juin 1989. Voici un extrait de l’affidavit de Michael James Malloy, directeur général des Affaires des réfugiés à la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada[2] :
[traduction] Il a été convenu au cours de la conférence qu’il fallait trouver des moyens, acceptables pour tous les pays en jeu, de protéger les réfugiés au sens de la Convention. Il fallait y parvenir, toutefois, sans encourager ceux qui n’étaient pas réfugiés au sens de la Convention à risquer leur vie en prenant la mer dans des petites embarcations, dans l’espoir de bénéficier des programmes de réétablissement des réfugiés.
La conférence de 1989 a eu pour résultat l’adoption d’un soi-disant « plan d’action global » ou « PAG »[3], qui comportait une série d’étapes : premièrement, le réétablissement des demandeurs d’asile qui étaient arrivés dans le pays de premier asile avant les dates limites serait assuré. Deuxièmement, on tenterait d’une part de décourager les départs clandestins du Viêt-Nam et d’autre part, d’encourager et de faciliter l’émigration légale de ceux qui ne seraient pas des réfugiés au sens de la Convention. Troisièmement, les demandeurs d’asile qui réussissaient tout de même à se rendre dans les pays de premier asile après les dates limites seraient accueillis et feraient l’objet d’une sélection afin de déterminer s’ils étaient des réfugiés au sens de la Convention de Genève. Ceux qui l’étaient seraient acceptés à des fins d’immigration par les pays de réétablissement, et les autres seraient rapatriés.
Hong Kong, territoire où a fui l’appelant Luong Manh Nguyen, a fixé comme date limite le 16 juin 1988. L’appelant y est toutefois arrivé après cette date. Son cas était donc régi par le plan d’action global.
M. Nguyen n’a pas été retenu dans le processus de sélection en tant que réfugié au sens de la Convention; il attend maintenant d’être rapatrié dans un camp de détention à Hong Kong. Ce serait ce facteur, soit la non-sélection à titre de réfugié au sens de la Convention, qui a mené à la demande de parrainage. Quoi qu’il en soit, parce que M. Nguyen n’avait pas réussi le test de sélection, la section des visas du Bureau du Commissaire du Canada à Hong Kong a refusé de traiter la demande de parrainage, c’est-à-dire de lui transmettre le formulaire de demande de droit d’établissement IMM 8. On a invoqué comme motifs que les fonctionnaires canadiens n’avaient pas accès à l’appelant Luong Manh Nguyen parce qu’il n’avait pas été sélectionné à titre de réfugié au sens de la Convention, et ce, en raison de dispositions administratives prises par les fonctionnaires, y compris ceux au Canada et à Hong Kong, depuis l’adoption du plan d’action global.
LE JUGEMENT DU TRIBUNAL INFÉRIEUR
Comme je l’ai signalé, on a demandé au juge des requêtes de décerner des brefs de certiorari et de mandamus. Le certiorari visait à annuler la décision du ministre selon laquelle « le requérant Luong Manh Nguyen, pour venir au Canada à titre de réfugié ou de membre d’une catégorie désignée, doit passer la sélection à Hong Kong », et le mandamus visait à ordonner au ministre « de traiter le parrainage du requérant Luong Manh Nguyen par le requérant Groupe Solidarité ».
Le juge des requêtes a refusé d’accorder l’une ou l’autre mesure de redressement demandée. Ses motifs juridiques sont les suivants[4] :
Il est clair à mon avis qu’aucune décision n’a été prise par l’intimé. Comme l’a dit l’avocat de l’intimé, une décision selon laquelle le requérant Luong Manh Nguyen doit passer la sélection à Hong Kong afin de venir au Canada comme réfugié ou comme membre d’une catégorie désignée doit nécessairement être prise en ce qui concerne une demande d’admission à titre d’immigrant. Comme aucune demande n’a été faite de cet ordre, il ne peut pas y avoir de décision qui impose la sélection de Hong Kong avant que le requérant n’ait obtenu son droit d’établissement au Canada. Quoi qu’il en soit, cette demande est prématurée.
En ce qui concerne la demande de mandamus pour traiter le parrainage du requérant Groupe Solidarité, il n’existe aucune obligation en droit de le faire et même si il existait une telle obligation, l’intimé a traité la demande de parrainage dans la mesure du possible. Il est suggéré qu’un mandamus soit délivré et impose à l’intimé de chercher à expédier à la fois le parrainage et la demande à Luong Manh Nguyen mais, bien qu’une telle tentative puisse paraître méritoire, elle ne peut pas faire l’objet d’un mandamus.
LES POINTS EN LITIGE
Dans leur exposé des faits et du droit, les appelants laissent entendre qu’un certain nombre de points sont soulevés en l’espèce, notamment des questions de délégation illégale de l’autorité administrative, d’attente légitime et de rétroactivité. À mon avis, cependant, le point en litige est simple : le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en refusant d’accorder la réparation de prérogative eu égard aux circonstances de l’espèce?
Les appelants soutiennent essentiellement dans leurs moyens, tels que je les ai compris, que le gouvernement canadien a tort d’imposer aux ressortissants d’Indochine, comme condition préalable d’admission au Canada, l’obligation d’avoir été reconnus en tant que réfugiés au sens de la Convention par un autre État, puisqu’il a déclaré dans le Règlement sur la catégorie désignée d’Indochinois son intention de faciliter l’admission au pays des ressortissants indochinois, peu importe qu’ils puissent ou non immigrer autrement au Canada. Comme argument subsidiaire, fondé sur les documents déposés avec autorisation au début de l’audition du présent appel (et qui n’ont apparemment pas été soulevés devant le juge des requêtes), les appelants invoquent que le ministre intimé était tenu de rechercher l’appelant Luong Manh Nguyen dans le camp de détention à Hong Kong pour lui remettre le formulaire IMM 8, afin qu’il puisse demander le droit d’établissement.
En ce qui a trait au premier argument, je suis d’avis que le juge des requêtes avait raison de déclarer qu’il n’existait aucune décision en l’espèce contre laquelle une réparation par voie de certiorari pouvait être accordée. Le ministre n’a pas décidé que l’appelant devait réussir la pré-sélection à Hong Kong afin de pouvoir demander un visa d’immigrant. Au contraire, comme le juge des requêtes l’a signalé (et comme je l’ai déjà fait remarquer), il est clair qu’aucune décision n’avait été prise par le ministre. Son inaction était due simplement au fait qu’aucune demande d’admission au Canada n’avait été présentée.
Le ministre intimé n’a pas refusé non plus de traiter la demande de parrainage. Selon la preuve non contredite devant le juge des requêtes, la demande de parrainage n’avait pas été annulée mais avait plutôt été laissée en suspens, en attendant que les autorités de Hong Kong décident si l’appelant Luong Manh Nguyen était « un arrivant après le 16 juin 1988 » à Hong Kong et, dans ce cas, s’il serait « sélectionné »[5]. La position du ministre intimé était, en fait, la suivante : puisqu’il n’y avait pas eu de demande de droit d’établissement de la part de l’appelant Luong Manh Nguyen, il n’y avait rien à parrainer et par conséquent aucun devoir n’était imposé. En d’autres termes, le Règlement sur la catégorie désignée d’Indochinois suppose au préalable l’existence d’une demande d’admission au Canada. Le paragraphe 5(3) [mod. par DORS/89-498, art. 4] du Règlement fait ressortir cette obligation assez clairement :
5. …
(3) Lorsqu’une personne appartenant à la catégorie désignée d’Indochinois présente une demande de visa d’immigrant, l’agent des visas peut lui en délivrer un, ainsi qu’aux personnes à charge qui l’accompagnent :
Cela étant, le juge des requêtes avait à mon avis raison de dire que le ministre intimé ne peut être obligé de « traiter » la demande de parrainage parce qu’il n’y avait rien à laquelle elle pourrait se rattacher.
Évidemment, aucune demande n’a été présentée parce que l’appelant Luong Manh Nguyen était détenu dans un camp à Hong Kong. Cela nous amène à la question subsidiaire effleurée dans l’exposé, mais étudiée plus à fond à l’audience, à savoir si le ministre intimé était tenu de tenter de communiquer avec M. Nguyen au camp de détention, afin de lui permettre de présenter une demande officielle d’admission au Canada.
Comme je l’ai déjà dit, à l’audience devant nous, l’avocat des appelants a obtenu la permission de déposer des documents qui laissaient supposer que selon la loi en vigueur à Hong Kong, les fonctionnaires canadiens auraient pu exercer des pressions pour avoir accès à M. Nguyen au camp. Selon l’avocat, ces dispositions législatives, ainsi que les dispositions du Guide de l’immigration préparé à l’intention des fonctionnaires de l’immigration par Emploi et Immigration Canada—qui précise que dans une situation normale, le ministre est tenu, de lui-même, d’essayer de communiquer avec l’objet d’une demande de parrainage—imposaient au ministre l’obligation légale de faire des démarches pour s’assurer que M. Nguyen recevrait les documents nécessaires pour présenter une demande d’admission au Canada.
En d’autres termes, l’avocat soutient qu’il incombait au ministre intimé de respecter les dispositions du Guide de l’immigration, puisqu’il aurait pu le faire, et son défaut d’agir à cet égard donne ouverture à un bref de prérogative. À l’appui de sa prétention, l’avocat des appelants invoquait les décisions rendues par la présente Cour dans les arrêts Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration c. Tsiafakis, [1977] 2 C.F. 216; Jiminez-Perez c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1983] 1 C.F. 163 et Choi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 763.
Malgré l’attrait de cette prétention, je ne peux la retenir car elle se fonde sur la supposition que les directives internes pourraient constituer la base d’un devoir public suffisant pour justifier un bref de mandamus. Il est bien établi que la supposition est fausse. Le bref de mandamus est un recours extraordinaire et discrétionnaire, dont l’objet est d’ordonner l’exécution d’une obligation légale. Dans la plupart des cas, cette obligation se fonde sur une disposition légale (se reporter par ex. à Jones et de Villars, Principles of Administrative Law, Toronto : Carswell, 1985, à la page 366). Dans certains cas, le bref est décerné afin d’exiger l’exécution d’une obligation en common law, mais je n’ai pas pu trouver de cas et aucun n’a été cité, où l’usage courant dans le ministère, comme c’est le cas en l’espèce, non mandaté par la loi ou le règlement, aurait été élevé au rang de principe de common law. Dans Mohammad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 363, le juge d’appel Heald, dans les motifs qu’il a rédigés au nom de la présente Cour, a passé en revue la jurisprudence existante et déclaré à la page 372 :
À mon avis, ces prétentions ne peuvent être retenues. Quant aux directives du ministère, il a été établi dans Martineau (no 1)[6] Que ces dernières, qu’elles soient établies en vertu du pouvoir réglementaire ou de la compétence administrative générale, ne sont rien de plus que des instructions et la population n’a aucun recours pour assurer leur observation.
En outre, les cas sur lesquels s’est fondé l’avocat des appelants pour appuyer sa prétention ont été tranchés sur des faits différents. Après un examen attentif de ces décisions, je suis incapable d’y trouver un appui à sa prétention.
Par conséquent, je rejetterais l’appel, mais sans dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Hugessen, J.C.A. : J’ai eu l’occasion de lire l’ébauche des motifs du jugement que se propose de rendre le juge en chef. Il a pleinement établi les antécédents, les faits pertinents et les points en litige. Je suis d’accord avec lui en ce qui concerne son jugement proposé relativement au premier point en litige, soit qu’aucune décision n’existait contre laquelle un certiorari serait recevable.
Relativement toutefois à la question du mandamus, je suis en désaccord avec la conclusion du juge en chef, ainsi que sur ce qu’il a qualifié de la « question subsidiaire », qui a été discutée en fait par les deux parties assez à fond à l’audition du présent appel. Cette question se rapporte au défaut du ministre de fournir à l’appelant Luong Manh Nguyen une demande de droit d’établissement (formulaire IMM 8), de sorte qu’une fois ce formulaire dûment rempli, il existerait une demande à laquelle pourrait se rattacher l’engagement de parrainage pris par les autres appelants, Dai Nguyen et Groupe Solidarité, demande que le ministre devrait ensuite traiter. À mon avis, ce défaut équivaut à un manquement à un devoir.
L’usage suivi normalement dans ces cas est établi dans le Guide de l’immigration[7]. Il ressort clairement ce qui suit de ce document : lorsque des personnes comme les deux premiers appelants demandent de parrainer une personne nommée et lorsque la demande est approuvée, le groupe de parrainage doit remplir et signer un engagement d’aide (formulaire IMM 1300)[8]. Les deux premiers appelants ont en fait signé un formulaire du genre relativement au troisième appelant et à sa famille[9].
Le Guide prévoit en outre, au paragraphe 3.44(1) que, comme c’était le cas en l’espèce, lorsqu’un groupe répondant connaît le nom et l’adresse de la personne ou de la famille qu’il souhaite parrainer, « le CIC envoie un télex au bureau compétent à l’étranger », ce qui a été également fait. Le paragraphe 3.45(1) prévoit ensuite que « lorsqu’un bureau à l’étranger reçoit d’un CIC un télex au sujet du parrainage d’une personne nommée, il envoie un formulaire de demande (IMM 8) à la personne concernée »[10].
Il n’est pas contesté qu’en l’espèce toutes ces étapes ont été suivies à la lettre sauf la dernière. L’agent des visas du Commissariat du Canada à Hong Kong n’a pas envoyé le formulaire IMM 8 à l’appelant Luong Manh Nguyen après avoir reçu le télex de parrainage en septembre 1989. Par conséquent, aucune demande d’établissement n’a été reçue et l’engagement de parrainage n’a jamais été traité. Finalement, les autorités de Hong Kong ont éliminé Luong Manh Nguyen à la pré-sélection, à titre de personne qui était arrivée après le 16 juin 1988 et qui ne respectait pas la définition de réfugié au sens de la Convention.
Il ressort assez clairement, évidemment, que le Guide de l’immigration lui-même n’est rien d’autre qu’un ensemble de directives administratives et qu’il n’a pas, à ce titre, force de loi. Par conséquent, le défaut de respecter le guide en soi n’implique pas nécessairement le manquement à un devoir du genre qui pourrait donner lieu à une ordonnance de mandamus. L’affaire ne se termine pas là toutefois. Les obligations imposées par la loi ne sont pas toutes expresses. Une obligation implicite a néanmoins force exécutoire. Un document du genre du Guide de l’immigration sert à tout le moins de preuve de ce que les responsables de l’administration de la Loi sur l’immigration et du Règlement connexe considèrent comme un usage administratif valable. Il n’existe pas non plus de divergence nécessaire entre cet usage et l’obligation imposée par la loi.
À un autre niveau, le Guide de l’immigration sert également de preuve de la façon dont la Loi et le Règlement sont en fait appliqués « dans le quotidien » pour ainsi dire. Le cas en l’espèce en est une illustration parfaite : quiconque lit la Loi et le Règlement conclurait qu’une demande d’établissement doit toujours précéder un parrainage. Par contre, depuis que je siège à la présente Cour, cela ne s’est jamais produit et la réalité est invariablement la suivante : l’engagement de parrainage est exécuté d’abord, suivi de la demande d’établissement. Le Guide confirme abondamment cet usage.
La présente Cour n’a jamais hésité à imposer aux agents d’immigration l’obligation implicite d’aider les immigrants éventuels lorsque l’on pourrait dire à juste titre que cette obligation découle du régime de la Loi et du Règlement. Dans l’arrêt Jiminez-Perez c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration[11], il s’agissait de trancher si un immigrant éventuel avait le droit, pendant qu’il se trouvait au Canada, de demander d’être exempté de l’obligation de demander un visa à l’extérieur du Canada. Dans ses motifs rédigés au nom de la Cour, le juge d’appel Le Dain a déclaré ce qui suit :
Selon l’avocat de la Couronne, si je le comprends bien, la demande de dispense n’a pas été faite de la façon appropriée; ce qui voudrait dire qu’une telle demande doit être adressée, de quelque autre manière, directement au gouverneur en conseil, et qu’en tout cas, il ne peut y avoir obligation de permettre qu’une demande de droit d’établissement soit faite au Canada, tant et aussi longtemps qu’une telle dispense n’a pas été obtenue. Comme je l’ai indiqué, j’estime que l’équité administrative exige qu’une demande de dispense de la condition de l’article 9 soit examinée par les agents d’immigration locaux. J’estime en outre qu’il n’est pas bon de séparer la demande de droit d’établissement de la demande de dispense. L’intimé Jiminez-Perez cherche à faire, pendant qu’il se trouve au Canada, une demande de droit d’établissement sur la base de l’obtention, pour des motifs d’ordre humanitaire ou de compassion, d’une dispense de la condition de l’article 9. Puisque la Loi prévoit que cette admission peut être accordée sur cette base dans des cas particuliers, un requérant éventuel a droit à une décision administrative sur la base sur laquelle il présente une demande, et il existe donc une obligation corrélative de lui permettre de faire la demande. La demande, y compris la demande de dispense et le parrainage de la demande, doit être examinée et tranchée au moyen d’une décision et non d’une tentative anticipée d’éviter une décision en raison de son effet possible sur le droit d’appel du répondant sous le régime de l’article 79 de la Loi. [C’est moi qui souligne.]
Dans l’affaire antérieure Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration c. Tsiafakis[12], un agent d’immigration avait refusé de remettre un formulaire à un parrain éventuel parce qu’il était d’avis que la demande de parrainage serait refusée. Encore une fois, dans ses motifs rédigés au nom de la Cour, le juge d’appel Le Dain a déclaré ce qui suit :
Selon ma compréhension de l’article 31 dans son ensemble, la question de savoir si une personne est habilitée à parrainer un individu en vue de l’admission de celui-ci au Canada est partie intégrante de la question principale qu’il faut trancher au moins partiellement en s’appuyant sur la demande faite en la forme prescrite, soit : l’individu peut-il être admis à titre de personne à charge parrainée? Il s’ensuit donc qu’une personne désireuse d’en parrainer une autre en vue de l’admission de cette dernière au Canada est en droit de remplir une demande à cet effet en la forme prescrite et de voir ladite demande servir de base à l’examen de son droit de parrainer. Puisqu’à défaut d’obtenir le formulaire des autorités de l’immigration, on ne peut exercer ce droit, le devoir corrélatif de fournir ledit formulaire existe. [C’est moi qui souligne.]
Encore plus récemment, dans l’arrêt Choi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[13], l’appelant avait souffert de préjudice car on ne lui avait pas remis immédiatement le formulaire approprié, qui, s’il l’avait présenté à temps, lui aurait valu une appréciation plus favorable. Le juge d’appel MacGuigan, dans ses motifs rédigés au nom de la Cour, a cité la fin de la citation ci-dessus tirée de l’arrêt Tsiafakis précité, et a déclaré ce qui suit :
On pourrait peut-être dire qu’un devoir corrélatif semblable existe en l’espèce (j’estime que le juge des requêtes a déduit à bon droit de la Loi elle-même le droit des demandeurs de faire une demande), mais lorsque le gouvernement canadien s’engage, par l’entremise de ses agents, à fournir à ceux qui veulent immigrer des renseignements sur la façon de s’y prendre, il s’engage pour le moins à les bien renseigner. Cela ne signifie pas que les autorités canadiennes doivent faire l’exégèse détaillée de la loi et des procédures en matière d’immigration, ni fournir aux immigrants éventuels des avis juridiques sur les conséquences juridiques des choix offerts, mais il n’en reste pas moins que les autorités de l’immigration sont tenues en toute équité de fournir les renseignements fondamentaux sur les façons de faire une demande, et de rendre disponibles les formules appropriées. [C’est moi qui souligne.]
Il ne fait aucun doute à mon avis que les agents des visas au Commissariat du Canada à Hong Kong avaient le devoir de fournir à l’appelant Luong Manh Nguyen une demande d’établissement (formulaire IMM 8) sur demande. Il est impossible de conclure autrement à partir des arrêts cités. Suffit-il au ministre de répondre qu’il n’existe aucun devoir puisqu’aucune demande expresse en vue d’obtenir le formulaire n’a été faite? Je ne le crois pas. Il ressortait clairement et hors de tout doute de l’engagement de parrainage que l’appelant voulait demander le droit d’établissement. Le Guide de l’immigration montre qu’une telle déduction s’impose naturellement. L’engagement de parrainage prouve également, par contre, que l’appelant n’était pas libre : son adresse est citée comme étant le Centre de détention de Shumshui Po à Hong Kong[14]. Dans ces circonstances, on pouvait difficilement s’attendre à ce qu’il se présente au bureau du Commissariat. Le Guide de l’immigration établit qu’il est d’usage courant d’envoyer le formulaire de demande. La preuve établit que les personnes dans la situation de l’appelant ont droit d’envoyer et de recevoir des lettres[15] et en effet, on trouve un certain nombre de lettres de l’appelant parmi les documents. Le ministre avait donc à mon avis une demande en vue d’obtenir le formulaire et avait les moyens pour lui donner suite.
Ce n’est pas non plus une réponse, lorsque le ministre déclare qu’il serait impossible de traiter le formulaire de demande même s’il était reçu, parce que les agents d’immigration canadiens n’ont pas accès aux camps de détention à Hong Kong. En premier lieu, l’arrêt Tsiafakis précité prouve amplement qu’on ne peut invoquer comme excuse, pour refuser à quelqu’un la possibilité de faire une demande, qu’un agent est d’avis qu’elle serait éventuellement refusée. En second lieu, il n’est pas clair du tout que les agents d’immigration canadiens se verraient refuser inévitablement l’accès au camp s’ils le demandaient. Le juge des requêtes semble penser que tel était le cas, mais les documents déposés ultérieurement à l’audition de l’appel[16] jettent le doute là-dessus.
Cela ne veut pas dire qu’il faille poser des gestes héroïques; si les autorités de Hong Kong refusent l’accès à l’appelant, c’est ce dernier, évidemment, qui devra en subir les conséquences. Mais le ministre et ses agents ne peuvent échapper à leur obligation en affirmant tout bonnement qu’on les empêchera de l’accomplir, sans même avoir tenté de l’accomplir.
L’intimé ne s’est pas opposé, à l’audition de l’appel, à ce qu’on soulève la question de l’obligation du ministre de fournir un formulaire de demande à l’appelant, et une ordonnance à cette fin serait incluse, en tout état de cause, dans les conditions plus vastes et générales de l’ordonnance sollicitée au départ par les appelants. J’accueillerais par conséquent l’appel et rendrais une ordonnance de mandamus obligeant l’intimé à transmettre à l’appelant Luong Manh Nguyen une demande de droit d’établissement (formulaire IMM 8) et à la traiter, une fois remplie, dans la mesure du possible.
J’accorderais aux appelants leurs dépens à tous les paliers.
Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.
[1] Plus précisément, les membres de la catégorie désignée d’Indochinois sont exemptés de l’application des art. 7 à 9 et de l’art. 14(1) du Règlement sur l’immigration de 1978, [DORS/78-172].
[2] Dossier d’appel, à la p. 141, par. 6.
[3] Ibid., aux p. 16 à 38.
[4] À la p. 79.
[5] Affidavit de Robert Cullum, Dossier d’appel, aux p. 144 et 145, par. 2 et 3.
[6] Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l’Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118, le juge Pigeon, aux p. 129 et 130.
[7] Dossier d’appel, aux p. 131 à 135.
[8] Se reporter au par. 3.43(1).
[9] Dossier d’appel, à la p. 3.
[10] Dossier d’appel, à la p. 133.
[11] [1983] 1 C.F. 163 (C.A.), aux p. 170 et 171.
[12] [1977] 2 C.F. 216 (C.A.), à la p. 224.
[13] [1992] 1 C.F. 763 (C.A.), aux p. 769 et 770.
[14] Dossier d’appel, à la p. 3.
[15] Le juge des requêtes a peut-être eu l’impression que tel n’était pas le cas. Au cours de l’audition de l’appel, l’avocat du ministre a avoué qu’il avait peut-être involontairement induit en erreur le juge en raison de la non réception des affidavits en provenance de Hong Kong. Le point ne fait maintenant plus aucun doute : se reporter à la pièce MFR-1 de la déclaration réglementaire de Mark Francis Reeves, « Règlement de l’immigration (Réfugiés de la mer vietnamiens) (Centre de détention) », art. 26.
[16] Se reporter en particulier à l’affidavit de Mark Francis Reeves et à celui de Nadia Stachowsky Gray, déposé au nom de l’intimé.