Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2333-00

2002 CFPI 226

Marie-Catherine Marsot (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada (Ministère de la Défense nationale) (défenderesse)

Répertorié: Marsot c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (1re inst.)

Section de première instance, juge Lemieux--Montréal, 15 janvier; Ottawa, 28 février 2002.

Pensions -- La demanderesse était membre des Forces armées canadiennes -- Elle a obtenu une pension d'invalidité en vertu de l'art. 21(1) de la Loi sur les pensions, parce qu'elle souffrait du syndrome de stress post-traumatique -- Elle a été victime de harcèlement en raison de son sexe, de la part de ses supérieurs directs, pendant une période de trois ans -- Elle a demandé réparation à la Couronne dans une déclaration modifiée -- La réclamation était-elle irrecevable en raison de l'art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, et de l'art. 111 de la Loi sur les pensions, puisque la demanderesse recevait une pension? -- La demanderesse ne recherchait pas une réparation double ou accrue portant sur les mêmes blessures, dans l'action qu'on voulait faire déclarer irrecevable, que celles qui faisaient l'objet de la pension.

Pratique -- Jugements et ordonnances -- Jugement sommaire -- Suspension d'instance -- La Couronne sollicitait un jugement sommaire en vertu de la règle 213(2) au motif que la réclamation de la demanderesse était irrecevable en raison de l'art. 9 de la LRCECA, et de l'art. 111 de la Loi sur les pensions parce que la demanderesse recevait une pension d'invalidité -- L'art. 9 de la LRCECA fait obstacle aux poursuites pour toute perte, notamment décès, blessures ou dommages, ouvrant droit au paiement d'une pension -- Absence de lien de causalité entre la pension d'invalidité et la réparation rechercheé par la demanderesse pour les blessures subies -- La défenderesse n'avait pas droit à une suspension de l'instance car la demande de pension ne concernait pas la même invalidité que celle alléguée dans l'action visée par la demande de suspension d'instance.

Forces armées -- La demanderesse était le premier officier d'infanterie féminin du Premier bataillon du Régiment royal du Canada déployé au Kosovo en 1999 -- Elle a été rapatriée du Kosovo en raison d'un syndrome de stress post-traumatique -- Elle a obtenu une pension d'invalidité en vertu de l'art. 213(2) de la Loi sur les pensions -- Elle a demandé réparation à la Couronne pour des blessures subies durant son service au sein des FAC -- La demanderesse a été victime d'un stress chronique post-traumatique et d'une dépression profonde en raison du harcèlement et des abus commis par des agents de l'État -- Absence de lien entre les préjudices allégués dans l'action qu'on veut faire déclarer irrecevable et les préjudices visés par la pension.

La Couronne a déposé une requête en jugement sommaire en vertu du paragraphe 213(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), au motif que l'action est interdite par l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif (LRCECA) et par l'article III de la Loi sur les pensions, vu que la demanderesse a reçu une pension d'invalidité pour syndrome de stress post-traumatique (SSPT). La Couronne demandait aussi une suspension d'instance en invoquant cette dernière disposition. La demanderesse s'est enrôlée dans les Forces armées canadiennes en 1997 et elle a été le premier officer d'infanterie féminin du Premier bataillon du Régiment royal du Canada. Ce bataillon fut déployé au Kosovo en décembre 1999. La demanderesse a été rapatriée du Kosovo en mars 2000 pour dépression et anorexie. Elle a affirmé que, durant la période qu'elle a passée au sein du RRC, elle a été soumise à un harcèlement presque constant de la part de ses supérieurs immédiats durant une période de trois ans. En raison des blessures que la demanderesse a subies durant son service au sein des FAC, elle a demandé et obtenu une pension d'invalidité pour syndrome de stress post-traumatique. Elle a aussi engagé une action en dommages-intérêts par suite des actions et omissions d'agents de l'État qui avaient pris la forme de harcèlement et de sévices. La Couronne a déposé une requête en jugement sommaire au motif que la réclamation de la demanderesse est interdite par l'article 9 de la LRCECA et par l'article 111 de la Loi sur les pensions, puisqu'elle a reçu une pension d'invalidité.

Jugement: la requête en jugement sommaire et en suspension de l'instance est rejetée.

L'article 9 de la LRCECA rend irrecevable une action en justice si une perte, notamment décès, blessures ou dommages, donne droit au paiement d'une pension ou indemnité sur le Trésor. Son objet est d'empêcher une double réparation ou l'attribution de dommages-intérêt accrus ou différents se rapportant au même incident, aux mêmes blessures ou à la même perte, lorsque la pension ou l'indemnité a été payée au titre d'un régime sans égard à la responsabilité. Le dossier ne renfermait aucun élément sur plusieurs points, par exemple l'évaluation faite par le MAC qui l'a amené à conclure que la demanderesse souffrait du SSPT, en quoi consistait cet état et qu'est-ce qui l'avait causé dans le cas de la demanderesse. En raison des lacunes de la preuve, la défenderesse n'a pas produit une preuve permettant d'établir un lien de causalité entre la pension d'invalidité que recevait la demanderesse et les dommages-intérêts qu'elle réclamait au titre des blessures qu'elle avait subies. La défenderesse n'a pas établi un lien factuel entre les trois éléments suivants: la pension d'invalidité, ce qui a donné lieu à cette pension, et la question de savoir si cette pension embrassait tout. L'article 9 de la LRCECA signifie que la pension payée doit se rapporter à la blessure, à la destruction, à la perte ou au préjudice qui donne lieu aux dommages-intérêts demandés dans l'action censément irrecevable. La défenderesse n'a pas établi une preuve qui suffise à démontrer que la demanderesse cherchait, dans l'action que la défenderesse voulait faire déclarer irrecevable, une réparation double ou une réparation accrue portant sur les mêmes blessures que celles qui faisaient l'objet de la pension. Les dommages-intérêts réclamés par la demanderesse dans sa déclaration modifiée étaient sans rapport avec le fait qu'elle recevait une pension pour un syndrome de stress post-traumatique. Ils se rapportaient à d'autres préjudices pour lesquels elle n'avait pas été indemnisée. Par ailleurs, il n'y avait aucun lien entre les violations des articles 7, 8 et 15 de la Charte et les raisons pour lesquelles la demanderesse recevait une pension d'invalidité.

La défenderesse a produit une requête en suspension parce que les médecins avaient diagnostiqué chez la demanderesse un syndrome de stress post-traumatique et une dépression profonde, mais la demanderesse n'avait demandé et obtenu une pension d'invalidité pour que le SSPT. Selon la défenderesse, l'action tout entière de la demanderesse devait être suspendue jusqu'à ce qu'elle demande une pension pour dépression profonde et jusqu'à ce qu'il soit disposé de cette demande. Selon le nouvel article 111 de la Loi sur les pensions, la demande de pension doit se rapporter à la même invalidité que celle qui est alléguée dans l'action dont on veut obtenir la suspension. La défenderesse n'a pas exposé de fait suffisants propres à réfuter l'affirmation de la demanderesse selon laquelle la pension accordée à celle-ci comprenait aussi une dépression profonde. De plus, dans son action, la demanderesse ne demandait pas réparation pour invalidité.

lois et réglements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8, 15, 24.

Loi portant modification de la législation concernant les avantages pour les anciens combattants, L.C. 2000, ch. 34, art. 42.

Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), art. 9 (mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 39).

Loi sur les maladies et la protection des animaux, L.R.C. (1985), ch. A-11.

Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6, art. 21(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 43, art. 8; 2000, ch. 12, art. 212; ch. 34, art. 21), (2) (mod. par L.C. 1990, ch. 43, art. 8; 2000, ch. 12, art. 212; ch. 34, art. 21), 111 (mod., idem, art. 42).

Ordonnances administratives des Forces canadiennes.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 213, 214, 215, 216, 217.

jurisprudence

décisions examinées:

Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 114 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41; Langille c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1992] 2 C.F. 208; (1992), 140 N.R. 304 (C.A.); Schlueter c. Canada (Gendarmerie royale du Canada) (2001), 11 C.C.E.L. (3d) 228 (C.F. 1re inst.); Berneche c. Canada, [1991] 3 C.F. 383; (1991), 133 N.R. 232 (C.A.); Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 68; (1995), 184 N.R. 307 (C.A.); Kanematsu GmbH c. Acadia Shipbrokers Ltd. (2000), 259 N.R. 201 (C.A.F.); Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie (1990), 75 O.R. (2d) 225; 45 C.P.C. (2d) 168; 33 C.P.R. (3d) 515 (Div. gén.); McLean c. Canada (1999), 164 F.T.R. 208 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

Sarvanis c. Canada (2000), 184 D.L.R. (4th) 124; 252 N.R. 131 (C.A.F.); Mérineau c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 362; Duplessis c. Canada (2000), 8 C.C.E.L. (3d) 75; 197 F.T.R. 87 (C.F. 1re inst.); conf. par (2001), 12 C.C.E.L. (3d) 148 (C.F. 1re inst.); Stopford c. Canada (2001), 11 C.C.E.L. (3d) 235 (C.F. 1re inst.); Aussant c. Canada (2000), 188 F.T.R. 245 (C.F. 1re inst.); Prete v. Ontario (Attorney General) (1993), 16 O.R. (3d) 161; 110 D.L.R. (4th) 94; 86 C.C.C. (3d) 442; 18 C.C.L.T. (2d) 54; 68 O.A.C. 1 (C.A.); St-Onge c. Canada (1999), 178 F.T.R. 104 (C.F. 1re inst.); conf. [2001] A.C.F. no 1523 (C.A.) (QL).

REQUÊTE en jugement sommaire présentée par la défenderesse en vertu du paragraphe 213(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), au motif que l'action était irrecevable en raison de l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et de l'article 111 de la Loi sur les pensions, et requête en suspension d'instance présentée en vertu de cette dernière disposition. Requête rejetée.

ont comparu:

Alan M. Riddell et Tara M. Sweeny, pour la demanderesse.

Christopher M. Rupar et Monika Lozinska, pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier:

Soloway, Wright LLP, Ottawa, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Lemieux:

INTRODUCTION

[1]La défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada (la Couronne fédérale) sollicite, conformément au paragraphe 213(2) des Règles de la Cour fédérale, 1998 [DORS/98-106] (les Règles), un jugement sommaire dans la présente action parce que cette action est interdite par l'article 9 [mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 39] de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif [L.R.C. (1985), ch. C-50 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21)] (la LRCECA) et l'article 111 [mod. par L.C. 2000, ch. 34, art. 42] de la Loi sur les pensions [L.R.C. (1985), ch. P-6], vu que la demanderesse, le capitaine Marsot, un membre des Forces armées canadiennes actuellement en congé de maladie, reçoit une pension d'invalidité pour syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Subsidiairement, la Couronne fédérale demande une suspension en vertu des nouvelles dispositions de l'article 111 de la Loi sur les pensions (entrées en vigueur le 27 octobre 2000), qui prévoient dans certaines circonstances une suspension obligatoire, jusqu'au dépôt, par le capitaine Marsot, d'une demande d'élargissement de sa pension afin qu'elle englobe une dépression profonde, pour laquelle elle n'a pas présenté de demande.

[2]L'article 9 de la LRCECA est formulé ainsi:

9. Ni l'État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour toute perte--notamment décès, blessures ou dommages--ouvrant droit au paiement d'une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l'État. [Non souligné dans l'original.]

[3]L'article 111 de la Loi sur les pensions est formulé ainsi, depuis le 27 octobre 2000:

111. (1) Au présent article, «action» vise l'acte de procédure introduit par un membre des forces, une personne assujettie à la présente loi par application d'un texte législatif qui l'incorpore par renvoi ainsi que, si ceux-ci sont décédés, leur survivant, enfant survivant, père ou mère et frère ou soeur, -- ou pour ceux-ci -- contre Sa Majesté ou contre tout cadre, employé ou mandataire de celle-ci portant réclamation de dommages pour une blessure ou une maladie -- ou une aggravation de celle-ci -- ayant occasionné une invalidité ou le décès.

(2) L'action non visée par l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif fait, sur demande, l'objet d'une suspension jusqu'à ce que le demandeur, ou celui qui agit pour lui, fasse, de bonne foi, une demande de pension pour l'invalidité ou le décès en cause, et jusqu'à ce que l'inexistence du droit à la pension ait été constatée en dernier recours au titre de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). [Non souligné dans l'original.]

CONTEXTE

[4]Marie-Catherine Marsot s'est enrôlée dans la force régulière des Forces armées canadiennes (FAC) en 1997, après avoir servi dans la Réserve canadienne depuis 1991. Elle a été affectée à la Base des forces canadiennes de Petawawa, où elle était le premier officier d'infanterie féminin du Premier bataillon du Régiment royal du Canada (RRC).

[5]Le 15 décembre 2000, le capitaine Marsot déposait une déclaration qui désignait comme défendeurs Sa Majesté la Reine du chef du Canada (ministère de la Défense nationale), le major J. S. Shipley, le major P. Koch et le major R. D. McIlroy. Une déclaration modifiée fut déposée le 11 mai 2001, qui retranchait les majors comme défendeurs individuels. Ils avaient été à diverses périodes les supérieurs hiérarchiques directs de la demanderesse.

[6]Dans son affidavit, sur lequel elle n'a pas été contre-interrogée et qui a été produit en opposition à la requête de la Couronne fédérale en jugement sommaire, la demanderesse décrit dans les termes suivants son action:

J'introduis la présente instance contre la Couronne parce que le ministère de la Défense nationale et mes supérieurs hiérarchiques directs ne se sont pas conformés aux décrets administratifs des Forces canadiennes sur le harcèlement et la discrimination, ainsi qu'en raison d'atteintes à mes droits fondamentaux, de ruptures d'engagements, de manquements aux obligatoires fiduciaires et de divers délits intentionnels commis par des préposés de l'État au cours d'une période de trois ans. Mon action n'est pas une action en dommages-intérêts pour syndrome de stress post-traumatique. Elle concerne les manquements à diverses obligations dont je suis créancière et qui procèdent de la loi ou de la common law. Les manquements en question ont été commis par les majors McIlroy, Shipley et Koch, ainsi que par le personnel supérieur du ministère de la Défense nationale tout entier, comme il est indiqué ci-après. Mon action contre la Couronne se rapporte aussi à des blessures subies par moi non seulement au Kosovo, mais également avant ma période de service au Kosovo, à cause de la défenderesse et de ses préposés. [Non souligné dans l'original.]

[7]Elle affirme dans son affidavit que, durant la période passée au sein du RRC, elle a été soumise, en raison de son sexe, à un harcèlement presque constant de la part de ses supérieurs directs durant une période de trois ans. Ce traitement, dit-elle, se résumait ainsi: on pestait contre elle, on la qualifiait de «stupide», on lui disait qu'elle était un «mauvais officier», on l'appelait «G.I. Jane», on la raillait devant ses soldats, on lui criait après durant l'instruction militaire, en lui disant qu'elle devrait être à la maison pour s'occuper de son enfant et que, comme femme, elle n'était pas apte à être un officier d'infanterie. Elle croit qu'on l'a traitée ainsi soit pour la convaincre de quitter l'armée soit, en tout cas, pour l'amener à changer sa spécialité en abandonnant le rôle d'officier d'infanterie pour un rôle qui s'accorde davantage à son sexe.

[8]Elle affirme dans son affidavit qu'elle s'est fondée sur les Ordonnances administratives des Forces canadiennes sur le harcèlement et la discrimination et qu'elle croyait que la hiérarchie des FAC veillerait à ce que les politiques en question soient observées.

[9]Elle dit qu'elle s'est plainte du traitement qu'elle subissait de la part de ses surveillants immédiats, mais que rien n'a été fait.

[10]Ces allégations sont rejetées par la Couronne fédérale dans sa défense.

[11]Le capitaine Marsot a déposé une plainte formelle de harcèlement contre le major Koch le 5 janvier 2000 après les expériences qu'elle a vécues au Kosovo. Les FAC ont demandé à une commission d'enquête d'examiner si ses plaintes de harcèlement pouvaient ou non être étayées.

[12]La commission d'enquête a communiqué ses conclusions le 23 juin 2000 et jugé, de l'avis de la demanderesse, que celle-ci avait effectivement été victime de harcèlement à plusieurs reprises, sous la forme d'abus de pouvoir et de discrimination. La défense n'interprète pas de la même manière les conclusions de la commission d'enquête.

[13]Le Premier bataillon du RRC a été déployé au Kosovo en décembre 1999. Le capitaine Marsot a été rapatriée du Kosovo le 24 mars 2000 pour raisons médicales, puis examinée par le Dr Goldstein, qui l'a dirigée vers le Dr T. Girvin, psychiatre militaire.

[14]Le Dr Goldstein, dans une note de demande de consultation adressée au Dr Girvin, écrivait sous la rubrique «raison de l'examen»:

[traduction] Le capitaine Marsot, officier d'infanterie, a fait l'objet d'un rapatriement médical du Kosovo, pour cause de dépression et d'anorexie. Problèmes graves multiples, harcèlement verbal et physique (pendant plus de trois ans), mais exacerbé par les événements du Kosovo. Examinée à l'heure actuelle par la commission d'enquête du SNE et le chef d'état-major de la défense. Stable actuellement. Il y a amélioration de l'état dépressif et la patiente reprend du poids, mais présente aussi plusieurs symptômes de SSPT. J'en appelle à vos soins.

[15]Le diagnostic du Dr Girvin concernant le capitaine Marsot porte la date du 4 mai 2000. On peut y lire ceci:

Axe I:     Syndrome de stress post-traumatique, chronique, et épisode dépressif profond, modéré sans éléments psychotiques.

[. . .]

Axe IV:     Le stress chronique produit par le fait de travailler dans un climat de harcèlement de la part d'officiers supérieurs est qualifié de grave et, au surplus, pendant que la patiente était en déploiement, le facteur aigu de stress constitué par les menaces physiques et verbales proférées par son commandant de compagnie est jugé extrême.

Axe V:     Le fonctionnement global de la patiente est actuellement évalué à 40, avec importante détérioration de sa capacité de travailler et de ses relations familiales, doublée d'une importante détérioration de son humeur. Pour l'an passé, le fonctionnement global est au mieux estimé à 70, avec quelques légers symptômes d'insomnie et une préoccupation résultant du harcèlement au travail.

[16]Le 4 mai 2000, le Dr Girvin recommanda une prolongation du congé de maladie pour le capitaine Marsot. Son diagnostic était «SSPT, dépression profonde chronique».

[17]Le 18 avril 2000, le capitaine Marsot a demandé au ministère des Anciens combattants (MAC) une pension d'invalidité. L'invalidité qu'elle alléguait était le SSPT. Elle a écrit dans sa demande ce qui suit:

[traduction] On a diagnostiqué que je souffrais du SSPT, résultat d'un harcèlement excessif de la part des militaires, et j'ai été rapatriée du Kosovo. J'ai été mutée de la Réserve à la force régulière en août 1997. Je suis un officier d'infanterie de sexe féminin--le premier du RRC, où je travaille depuis 1997. [Non souligné dans l'original.]

[18]Dans sa demande de pension, elle décrivait ainsi l'effet que le SSPT avait sur ses activités quotidiennes:

[traduction] Je suis incapable d'aller au travail en ce moment. Cauchemar. Défiance envers les gens de mon lieu de travail. Crise d'anxiété. Pulsations irrégulières, insomnie, nausées, incapacité de travailler avec une hiérarchie de commandements, récurrences.

[19]Le capitaine Marsot a rempli une déclaration de blessure ou de maladie en cours de service dans une zone de service spécial, dans le dessein d'obtenir une pension. Elle a répondu «oui» à la question: «Avez-vous subi une blessure ou une maladie durant votre service au Kosovo entre le 12 décembre 1999 et le 24 mars 2000?».

[20]Le 27 octobre 2000, le MAC répondait favorablement à sa demande. Le MAC a dit qu'elle avait droit à une pension en vertu du paragraphe 21(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 43, art. 8; 2000, ch. 12, art. 212; ch. 34, art. 21] de la Loi sur les pensions, zone de service spécial, Kosovo. Son invalidité fut évaluée à trente pour cent.

[21]Le fond de la décision du MAC figure dans la lettre qu'il a adressée le 27 octobre 2000 à la demanderesse. La lettre, renommée «Syndrome de stress post-traumatique», mentionne ce qui suit:

[traduction] Comme la pleine admissibilité vous a été accordée en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions, une décision selon le paragraphe 21(2) de cette Loi n'est pas requise.

Le ministère a étudié toute la preuve qui lui a été soumise au soutien de votre réclamation, notamment vos dossiers médicaux en période de service, votre déclaration et tous les rapports produits avec votre demande.

Vous rapportez que votre syndrome de stress post-traumatique a débuté durant votre période de service au Kosovo.

Un examen de vos états de service fait état de symptômes de stress, de craintes, de difficultés d'élocution, d'insomnie et d'anxiété, tous des états constatés lorsque vous serviez au Kosovo, puis un diagnostic ultérieur de syndrome de stress post-traumatique a été établi dans un rapport psychiatrique du Dr Girvin en date du 4 mai 2000. Le ministère arrive donc à la conclusion que les symptômes de votre syndrome de stress post-traumatique sont apparus durant votre période de service dans la ZSS, au Kosovo.

Le ministère vous accorde donc une pension d'invalidité en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions.

En prenant sa décision, le ministère a examiné et appliqué les paragraphes suivants de la Loi sur les pensions:

Le paragraphe 21(1) confère l'admissibilité pour une invalidité qui est attribuable au service militaire spécial ou est survenue durant tel service.

Le paragraphe 21(2) confère l'admissibilité pour une invalidité causée par une blessure ou maladie--ou son aggravation--consécutive ou rattachée directement au service militaire en temps de paix. [Non souligné dans l'original.]

[22]Dans son affidavit, le capitaine Marsot dit que la pension d'invalidité qui lui a été attribuée se rapporte au SSPT diagnostiqué chez elle à la suite de sa période de service au Kosovo. Elle affirme que cette pension est censée l'indemniser uniquement pour le SSPT qu'elle a développé au Kosovo. Elle a admis que le SSPT dont elle souffre résulte, du moins en partie, de son service militaire au Kosovo.

[23]La Couronne fédérale a versé dans son dossier une copie certifiée conforme des lignes directrices du MAC se rapportant aux invalidités donnant droit à une pension du MAC. Le paragraphe 21.02 concerne les syndromes de stress et d'anxiété, ce qui comprend le SSPT. Les lignes directrices contiennent aussi le paragraphe 21.03, intitulé «Évaluation de l'invalidité résultant de troubles affectifs profonds» et rédigé ainsi:

Aux fins de l'évaluation, l'expression troubles affectifs profonds englobe les affections suivantes: psychose maniaque et dépressive, trouble morbide maniaque, trouble morbide dépressif, trouble morbide alterne ou à formes alternes, dépression unipolaire et dépression endogène. [Non souligné dans l'original.]

LA DÉCLARATION MODIFIÉE

[24]Dans sa déclaration modifiée en date du 11 mai 2001, le capitaine Marsot réclame à la Couronne fédérale ce qui suit:

(i) des dommages-intérêts pour rupture d'engagements;

(ii) des dommages-intérêts pour déclarations inexactes faites par négligence;

(iii) des dommages-intérêts pour manquement aux obligations fiduciaires;

(iv) des dommages-intérêts pour contravention aux articles 7, 8 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte);

(v) des dommages-intérêts pour voies de fait commises par un préposé de l'État;

(vi) des dommages-intérêts pour dommages moraux infligés délibérément par des préposés de l'État, ainsi que pour leur négligence;

(vii) des dommages-intérêts pour manquement aux obligations fiduciaires de préposés de l'État;

(viii) des dommages-intérêts généraux;

(ix) des dommages-intérêts pour perte de revenu futur;

(x) des dommages-intérêts pour le coût d'une thérapie future;

(xi) des dommages-intérêts spéciaux;

(xii) des dommages-intérêts punitifs et majorés.

[25]Il ne m'est pas nécessaire de décrire en détail la déclaration modifiée de la demanderesse puisque sa teneur a été mentionnée dans l'affidavit de la demanderesse produit dans la présente instance. Il est utile cependant d'en dire davantage sur certaines causes d'action qui y sont plaidées.

[26]La réclamation de la demanderesse pour rupture d'engagements procède d'une allégation (au paragraphe 30) selon laquelle l'attitude de ses supérieurs hiérarchiques directs et l'incapacité des politiques établies à faire obstacle au harcèlement et à la discrimination contrevenaient aux dispositions formelles ou implicites du contrat tacite que la demanderesse avait conclu avec la défenderesse puisque celle-ci s'était engagée à offrir un milieu de travail exempt de harcèlement et de discrimination; la défenderesse a également négligé d'établir de véritables politiques proscrivant le harcèlement et la discrimination fondée sur le sexe, et la Couronne ne s'est pas assurée que la demanderesse avait accès à de réels mécanismes propres à enrayer le harcèlement et la discrimination fondée sur le sexe.

[27]La réclamation de la demanderesse pour déclarations inexactes faites par négligence repose sur une allégation (au paragraphe 31) selon laquelle la Couronne avait d'une manière négligente donné à entendre à la demanderesse (i) que le milieu de travail dans lequel la demanderesse allait exercer ses fonctions serait exempt de discrimination sexuelle; (ii) que les FAC avaient mis en place des politiques de nature à empêcher la discrimination et le harcèlement; (iii) que ses supérieurs hiérarchiques se conformeraient aux dites politiques; (iv) que, si elle devenait victime de harcèlement et de discrimination, elle aurait à sa disposition des recours adéquats et efficaces; (v) qu'elle aurait une possibilité raisonnable d'avancement au sein de l'armée, sans égard à son sexe, et qu'elle serait considérée et traitée par ses collègues et ses supérieurs comme un membre précieux des FAC, sans égard à son sexe. La demanderesse affirme que c'est par manière d'acquit que la Couronne lui a donné tout cela à entendre, lui causant par le fait même un préjudice psychologique et pécuniaire.

[28]Au soutien de sa réclamation fondée sur le manquement aux obligations fiduciaires, la demanderesse (au paragraphe 21) affirme que les majors qui étaient ses supérieurs hiérarchiques immédiats et ses mentors professionnels occupaient une position spéciale de confiance et se trouvaient vis-à-vis d'elle dans une relation fiduciaire, et que, à cause de cela, ils étaient investis d'un devoir spécial de prudence qui les obligeait à agir dans son intérêt et à la soutenir dans son rôle de jeune officier d'infanterie, ainsi qu'à veiller à ce que l'atmosphère qui régnait parmi les officiers d'infanterie fût une atmosphère propice à l'acceptation et au soutien des femmes exerçant des rôles non traditionnels. Elle affirme que les majors ont usé des pouvoirs qui leur avaient été dévolus par la Couronne fédérale pour l'exploiter, pour la tourmenter moralement, pour la harceler, pour l'intimider, pour la contrecarrer et, dans le cas de l'un des majors, pour l'agresser. Aux yeux de la demanderesse, tous ces agissements constituent des manquements aux obligations fiduciaires qu'ils avaient envers elle.

[29]La réclamation de la demanderesse pour contravention à l'article 8 de la Charte découle d'une allégation qu'elle fait au paragraphe 20a) et selon laquelle le major Koch lui a fait subir une évaluation psychologique sans son consentement et à son insu, lorsqu'elle reçut l'ordre d'escorter un officier autour de la base au Kosovo, l'officier en question étant en réalité un psychologue travaillant pour le ministère de la Défense nationale et engagé pour procéder à l'évaluation psychologique de la demanderesse.

[30]Subsidiairement, ce même incident fonde son allégation selon laquelle il y a eu contravention à l'article 7 de la Charte lorsque mandat fut donné de procéder à son évaluation psychologique, à son insu et sans son consentement.

[31]Sa réclamation pour contravention à l'article 15 de la Charte repose sur la discrimination exercée par ses supérieurs hiérarchiques immédiats, une discrimination fondée sur le sexe, un motif énuméré. Elle particularise la discrimination en faisant état de plusieurs actes commis par ses supérieurs immédiats. Elle affirme aussi que la Couronne fédérale a négligé de donner suite à ses plaintes et que cela constitue également une discrimination.

[32]Sa réclamation fondée sur les voies de fait délibérées procède de son allégation selon laquelle l'un des majors l'a poussée, l'a frappée et lui a jeté des objets.

ARGUMENTS DE LA COURONNE FÉDÉRALE

[33]L'avocat de la Couronne fédérale a fait porter son argumentation sur le fait que l'action de la demanderesse est interdite par l'article 9 de la LRCECA, disposition qui, dit-il, fait obstacle à une action en dommages-intérêts lorsque trois conditions sont réunies:

a) il y a eu paiement d'une pension;

b) sur le Trésor;

c) pour toute perte, notamment décès, blessures ou dommages.

Il affirme que le seul point à décider ici est de savoir si la troisième condition a été remplie, c'est-à-dire si la pension en question se rapporte aux blessures pour lesquelles la demanderesse tente d'obtenir réparation. L'avocat de la demanderesse admet que les conditions a) et b) sont remplies, mais non la troisième.

[34]L'avocat de la défenderesse soutient que toutes les réclamations en dommages-intérêts dont fait état la déclaration de la demanderesse se rapportent ou sont rattachées à l'invalidité, c'est-à-dire au SSPT pour lequel elle reçoit une pension. Cette invalidité a résulté des blessures qu'elle avait subies lorsqu'elle servait comme membre des FAC. Mais pour ces blessures, aucune invalidité n'aurait été subie et aucune prestation d'invalidité ne serait payable.

[35]Il soutient que le lien factuel entre la blessure et la pension est immédiat et évident. Il se réfère au rapport du Dr Girvin et à ce que la demanderesse lui a dit durant l'entrevue. Il dit que c'est ce que la demanderesse a admis dans le paragraphe 33 de sa déclaration modifiée, rédigé ainsi:

[traduction] 33. En conséquence des actions et/ou des omissions des préposés de la Couronne, et de la Couronne elle-même, un stress chronique post-traumatique et une dépression profonde ont été diagnostiqués chez la demanderesse. Vu la gravité de son état, qui a été causé par la défenderesse ou ses préposés, la carrière de la demanderesse comme officier d'infanterie dans les Forces armées canadiennes est à toutes fins utiles terminée. La demanderesse a donc subi les dommages qui sont détaillés au paragraphe 1 de la déclaration.[Non souligné dans l'original.]

[36]L'avocat de la défenderesse s'attarde sur la signification large donnée aux mots «quant à» ou «pour» («in respect of») par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, dans lequel le juge Dickson (charge qu'il occupait à l'époque) s'exprime ainsi [à la page 39]:

À mon avis, les mots «quant à» ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, «concernant», «relativement à» ou «par rapport à». Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression «quant à» qui est la plus large. [Non souligné dans l'original.]

Il soutient que toutes les allégations figurant dans la déclaration modifiée se rapportent au préjudice subi par la demanderesse par suite de la présumée conduite de ses supérieurs.

[37]Il signale les arrêts rendus par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Langille c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1992] 2 C.F. 208 et l'affaire Sarvanis c. Canada (2000), 184 D.L.R. (4th) 124 ainsi que la récente décision du juge Rouleau dans l'affaire Schlueter c. Canada (Gendarmerie royale du Canada) (2001), 11 C.C.E.L. (3d) 228 (C.F. 1re inst.). Selon lui, il s'agit là d'exemples où les tribunaux ont jugé une action irrecevable parce qu'une pension était payée.

[38]L'avocat de la Couronne va plus loin. Il dit que l'article 9 de la LRCECA rend irrecevable toute cause d'action ou tout chef de réclamation en dommages-intérêts que la demanderesse pourrait avoir, qu'il s'agisse de responsabilité délictuelle, de manquement aux obligations fiduciaires, de responsabilité contractuelle ou de réparation en application de l'article 24 de la Charte pour violation ou négation des droits ou libertés garantis par elle.

[39]Selon lui, l'article 9 de la LRCECA empêche également l'attribution de dommages-intérêts qui ne sont pas couverts par les prestations payables en vertu de la Loi sur les pensions et des lois apparentées.

[40]S'agissant de l'article 111 de la Loi sur les pensions, l'avocat de la Couronne fédérale signale plusieurs précédents dans lesquels des instances introduites par des membres des FAC contre la Couronne ont été déclarées irrecevables parce que les demandeurs recevaient des pensions en vertu de la Loi sur les pensions.

[41]L'argument subsidiaire de l'avocat de la Couronne fédérale au soutien d'une suspension repose sur une modification apportée récemment à l'article 111 de la Loi sur les pensions, modification qui prévoit une suspension jusqu'à ce qu'il ait été statué sur une demande de pension se rapportant à la même invalidité que celle qui constitue le fondement du recours judiciaire. Il dit que, selon le capitaine Marsot, on a diagnostiqué qu'elle souffrait du syndrome de stress post-traumatique et d'une profonde dépression. Elle reçoit, après l'avoir demandé, une pension d'invalidité pour le seul syndrome de stress post-traumatique. La Cour doit suspendre l'action de la demanderesse jusqu'à ce qu'elle demande une pension pour dépression profonde et jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue en la matière.

ARGUMENTS DE LA DEMANDERESSE

[42]L'avocat de la demanderesse fait valoir trois moyens qui font que l'action du capitaine Marsot n'est interdite ni par l'article 9 de la LRCECA, ni par l'article 111 de la Loi sur les pensions. Il s'agit des moyens suivants:

(i) les blessures ou dommages allégués ne se rapportent pas ni ne sont directement rattachés au service militaire de la demanderesse;

(ii) une action fondée sur la violation de la Charte des droits et libertés, sur des manquements aux obligations fiduciaires et sur le harcèlement n'est pas une action ouvrant droit «au paiement d'une pension»; et

(iii) une action fondée sur la violation d'un droit constitution-nel ne peut être rendue irrecevable par la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, ni par la Loi sur les pensions.

[43]Pour son premier moyen, l'avocat de la demanderesse fonde cet argument sur le paragraphe 21(2) [mod. par L.C. 1990, ch. 43, art. 8] de la Loi sur les pensions, applicable au service militaire en temps de paix, disposition où l'on trouve les mots «consécutive ou rattachée directement au service militaire».

[44]Il se réfère ensuite à l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Mérineau c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 362, pour affirmer que le dommage allégué n'est pas directement rattaché au service militaire de la demanderesse; le lien est trop ténu. Il s'appuie sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Berneche c. Canada, [1991] 3 C.F. 383, où la Cour a jugé que la faute commise dans le bloc opératoire d'un hôpital militaire d'Ottawa n'était pas rattachée au service militaire du patient.

[45]Au soutien de son deuxième moyen, l'avocat du capitaine Marsot s'appuie sur les décisions rendues par le protonotaire Aronovitch dans l'affaire Duplessis c. Canada (2000), 8 C.C.E.L. (3d) 75 (C.F. 1re inst.); confirmée en appel (2001), 12 C.C.E.L. (3d) 148 (C.F. 1re inst.), et dans l'affaire Stopford c. Canada (2001), 11 C.C.E.L. (3d) 235 (C.F. 1re inst.).

[46]Pour son troisième moyen, l'avocat du capitaine Marsot se réfère à plusieurs précédents dans lesquels les tribunaux ont jugé que l'article 24 de la Charte est une source autonome de réparation lorsqu'il y a atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte.

ANALYSE

1)     Principes

[47]Les règles 213 à 217 des Règles de la Cour fédérale, 1998, décrivent la procédure régissant une requête en jugement sommaire et, plus précisément, le paragraphe 216(1) prévoit que, «[l]orsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence».

[48]Dans l'arrêt Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 68 [aux pages 81 et 82], et dans l'arrêt Kanematsu GmbH c. Acadia Shipbrokers Ltd. (2000), 259 N.R. 201, la Cour d'appel fédérale a jugé que l'intention qui ressort de la règle «est celle d'éviter les délais et les frais liés à un procès dans les cas où les demandes ou les moyens de défense sont mani-festement non fondés [. . .] les deux parties doivent [. . .] "présenter leur cause sous son meilleur jour"».

[49]Dans l'arrêt Feoso Oil, précité, le juge Stone s'est référé aux règles applicables en Ontario en matière de jugement sommaire, ainsi qu'à certains précédents où sont interprétés les mots «véritable question litigieuse», et en particulier à la décision Pizza Pizza Ltd. c. Gillespie (1990), 75 O.R. (2d) 225 (Div. gén.), où le juge Henry s'est exprimé ainsi aux pages 237 et 238:

[traduction] [. . .] il ne s'agit pas de savoir si le demandeur ne peut absolument pas avoir gain de cause; il s'agit de savoir si la Cour arrive à la conclusion que le dossier est mince au point qu'il ne mérite pas l'examen du juge des faits dans un procès futur; si tel est le cas, alors les parties «devraient se voir épargner l'angoisse et les frais d'un procès long et coûteux après une attente de durée indéterminée».

[50]La Couronne fédérale sollicite un jugement sommaire en invoquant uniquement le fait que la réclamation de la demanderesse est rendue irrecevable par l'article 9 de la LRCECA et l'article 111 de la Loi sur les pensions parce que le capitaine Marsot reçoit une pension.

[51]Au soutien de sa requête, la défenderesse a produit l'affidavit de Tracey Jack, qui travaille comme assistante juridique dans la Section du contentieux des affaires civiles du ministère de la Justice. Son affidavit comportait, à titre de pièces du dossier, divers documents dont la demande de pension d'invalidité présentée par la demanderesse au MAC et portant la date du 18 avril 2000, et la lettre du 27 octobre 2000 adressée par le MAC à la demanderesse, informant celle-ci qu'une pension d'invalidité au titre du SSPT lui avait été accordée. Tracey Jack n'a pas été contre-interrogée sur son affidavit. En sa qualité de demanderesse, le capitaine Marsot a, comme on l'a dit, produit un affidavit. Elle non plus n'a pas été contre-interrogée sur cet affidavit.

[52]L'article 9 de la LRCECA n'est pas structuré de la même manière que l'ancien article 111 de la Loi sur les pensions. La portée de l'article 9 de la LRCECA est plus large que celle de l'ancien article 111 de la Loi sur les pensions, dont l'objet est de conférer des pensions et autres avantages aux membres actuels et anciens des Forces armées canadiennes.

[53]L'article 9 de la LRCECA rend irrecevable une action en justice si une perte, notamment décès, blessures ou dommages, donne droit au paiement d'une pension ou indemnité sur le Trésor. L'arrêt Langille, précité, est un exemple de cas où les demandeurs ont été déclarés irrecevables dans une action délictuelle parce qu'une indemnité leur avait déjà été versée pour la destruction de leurs animaux en conformité avec les dispositions de la Loi sur les maladies et la protection des animaux [L.R.C. (1985), ch. A-11].

[54]La jurisprudence reconnaît que l'objet de l'article 9 de la LRCECA est d'empêcher une double réparation ou l'attribution de dommages-intérêts accrus ou différents se rapportant au même incident, aux mêmes blessures ou à la même perte, lorsque la pension ou l'indemnité a été payée au titre d'un régime sans égard à la responsabilité, comme c'est le cas pour les accidents du travail. (Voir les arrêts Langille, Sarvanis et Schlueter, précités.)

[55]Je note ici les propos du juge Stone dans l'arrêt Langille, précité, à propos de l'article 9 de la LRCECA [aux pages 213 et 214]:

Selon nous, la large portée du paragraphe 4(1) comprend certainement les dommages ou les pertes faisant l'objet de la demande portant sur leurs animaux détruits présentée par les intimés en l'espèce. L'indemnité a été payée «relativement à» des «dommages ou . . . pertes» résultant de la destruction des animaux et il s'agit dans la présente action d'une demande «relativement à» ces mêmes «dommages ou . . . pertes». La seule différence est que les intimés cherchent en l'espèce au moyen de leur action délictuelle à obtenir à l'égard de ladite destruction une indemnité en sus de celle qui leur a été versée sur le Fonds du revenu consolidé en 1978. À notre avis, le paragraphe 4(1) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne les en empêche. [Non souligné dans l'original.]

CONCLUSIONS ET DISCUSSION

[56]Je suis d'avis que la requête de la défenderesse en jugement sommaire devrait être rejetée et cela, généralement parlant, pour insuffisance de la preuve ainsi que pour plusieurs raisons juridiques se rapportant à l'interprétation de l'article 9 de la LRCECA. Je ne fais pas mention de l'ancien article 111 de la Loi sur les pensions en fait de disposition faisant obstacle à une action en justice, parce que cette disposition a été abrogée et qu'elle ne prévoit aujourd'hui que la suspension obligatoire.

[57]Selon moi, les faits sur lesquels la défenderesse appuie sa requête se résument aux propositions suivantes:

a) en raison des blessures que la demanderesse a subies durant son service au sein des FAC, elle a demandé une pension d'invalidité, qu'elle a obtenue;

b) dans sa demande de pension, elle affirmait qu'elle souffrait du syndrome de stress post-traumatique et, le 27 octobre 2000, le MAC l'a informée qu'une pension d'invalidité lui était attribuée au titre de cette affection;

c) elle a introduit une instance contre la défenderesse afin d'obtenir réparation pour les blessures qu'elle a subies durant son service au sein des FAC;

d) la demanderesse reconnaît elle-même dans sa déclaration modifiée, au paragraphe 33, que, en conséquence des actions et omissions de préposés de l'État, qui se rapportent à des cas de harcèlement et d'abus, on a diagnostiqué qu'elle souffrait d'un stress chronique post-traumatique et d'une dépression profonde, et que, vu la gravité de son état, sa carrière d'officier d'infanterie au sein des FAC est à toutes fins utiles terminée. Elle a subi les préjudices qui sont précisés dans la déclaration modifiée. Elle reconnaît qu'elle reçoit une pension au titre de cette invalidité;

e) dans son affidavit au soutien de son opposition au jugement sommaire, elle admet que son SSPT découle, du moins en partie, de son service militaire au Kosovo; et

f) elle a établi le lien entre son invalidité et les cas de harcèlement et d'abus lorsqu'elle a été examinée par le Dr Girvin, qui a diagnostiqué qu'elle souffrait du SSPT.

[58]Comme on l'a dit, la preuve produite par la défenderesse au soutien de sa requête en jugement sommaire se résumait essentiellement à la demande de pension d'invalidité du capitaine Marsot, demande portant la date du 18 avril 2000 et reçue par le MAC le 2 mai 2000, et dans laquelle l'invalidité alléguée est le SSPT, une affection que la demanderesse impute au harcèlement excessif exercé par les militaires, ce à quoi il faut ajouter la lettre du MAC du 27 octobre 2000, dans laquelle le MAC dit que le SSPT dont souffrait la demanderesse ouvrait droit à pension en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions--service spécial--Kosovo, l'invalidité étant établie à trente pour cent, et d'autres pensions étant payables en vertu de cette même disposition conjoint et à la fille de la demanderesse. C'est le capitaine Marsot qui a produit comme preuve le rapport du Dr Girvin.

[59]Selon moi, si l'on considère le point de vue de la défenderesse, l'élément de preuve décisif qui établit le paiement de la pension est la lettre du 27 octobre 2000 dans laquelle le MAC dispose de la demande de pension d'invalidité présentée par la demanderesse. À première vue, cette preuve me dit trois choses: a) l'invalidité de la demanderesse est le SSPT; b) son droit à pension résulte du paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions, au titre de sa période de service dans une zone de service spécial, le Kosovo; la pension qui lui a été attribuée n'est pas une pension relevant du paragraphe 21(2), qui concerne le service militaire en temps de paix; et c) l'invalidité de la demanderesse a été fixée à trente pour cent. Je ferais remarquer que le paragraphe 21(1), qui prévoit des pensions pour le service effectué dans des zones de service spécial, a été édicté à la faveur d'une modification apportée à la Loi sur les pensions et entrée en vigueur le 27 octobre 2000.

[60]Il y a plusieurs aspects que j'ignore à propos de l'invalidité de la demanderesse et à propos de la pension qui lui a été attribuée. Plus précisément, le dossier ne renferme aucun élément sur les points suivants:

(i) la raison pour laquelle son invalidité a été fixée à trente pour cent;

(ii) quelle évaluation le MAC a-t-il faite qui l'a amené à conclure que l'invalidité de la demanderesse était le SSPT? Il se pourrait que le MAC se soit fondé sur le rapport du Dr Girvin, mais il a pu également s'en remettre à l'avis d'autres médecins;

(iii) Je n'ai aucune indication de ce qu'est le SSPT ni ne sait ce qu'il l'a causé dans le cas du capitaine Marsot. Il se pourrait qu'il soit le résultat du harcèlement allégué par le capitaine Marsot. Lorsque le Dr Goldstein a présenté sa demande de consultation au Dr Girvin, il a mentionné une multiplicité de problèmes graves, notamment harcèlement verbal et physique (sur une période de trois ans), mais exacerbé par les événements du Kosovo. En quoi ce harcèlement a-t-il été exacerbé par les événements du Kosovo, je l'ignore. Le dossier n'indique pas précisément quel rôle le harcèlement antérieur au déploiement a pu jouer dans l'invalidité de la demanderesse, et je ne suis pas disposé à conclure que l'ensemble des actes de harcèlement antérieurs au déploiement au Kosovo est compris dans le SSPT pour lequel elle a reçu la pension;

(iv) la pension payée à la demanderesse se rapporte au déploiement dans une zone de service spécial où se sont manifestés les symptômes du SSPT. Elle ne semble pas avoir demandé ni reçu une pension en raison de la présumée attitude des majors de l'armée antérieure au déploiement vers le Kosovo. J'ignore quel droit à pension, le cas échéant, elle pourrait avoir à ce titre.

[61]En raison des lacunes de la preuve qui sont évoquées ci-dessus, je ne suis pas persuadé que la défenderesse a produit une preuve permettant d'établir un lien de causalité entre la pension d'invalidité que reçoit la demanderesse, et les dommages-intérêts qu'elle réclame au titre des blessures qu'elle a subies. Autrement dit, sur le plan des faits, je ne suis pas convaincu que la défenderesse a établi un lien factuel entre les trois éléments suivants: la pension d'invalidité, ce qui a donné lieu à cette pension, et la question de savoir si cette pension embrassait tout.

[62]Deuxièmement, l'avocat de la défenderesse soutient que l'article 9 de la LRCECA a pour effet d'éteindre tous les chefs de dommages allégués par la demanderesse dans son action, qu'il s'agisse de responsabilité délictuelle, de manquement à des obligations fiduciaires, de responsabilité contractuelle ou autre. Je ne crois pas que la jurisprudence permette à la défenderesse d'adopter une position aussi compréhensive, et j'accepte l'analyse proposée par l'avocat du capitaine Marsot.

[63]Le principe sous-jacent à l'article 9 de la LRCECA est de faire obstacle à une double réparation et, comme le reconnaît la jurisprudence, cela signifie que la pension payée doit se rapporter à la blessure, à la destruction, à la perte ou au préjudice qui donne lieu aux dommages-intérêts demandés dans l'action censément irrecevable. Dans l'arrêt Langille, précité, l'action déclarée irrecevable se rapportait à la perte subie par suite de la destruction de bétail pour laquelle une indemnité avait été payée.

[64]Dans l'arrêt Sarvanis, précité, la pension reçue se rapportait aux mêmes blessures que celles pour lesquelles des dommages-intérêts étaient réclamés dans l'action. La Cour d'appel fédérale a déclaré l'action irrecevable, et il n'importait pas que le demandeur pût obtenir par recours judiciaire une indemnité supérieure à l'indemnité reçue.

[65]Dans l'arrêt Schlueter, précité, le juge Rouleau a estimé qu'il était évident que la réparation demandée dans l'action se rapportait directement aux blessures à l'égard desquelles une indemnité avait été payée sur le Trésor et que ladite indemnité se rapportait au préjudice même qui était allégué dans l'action. C'est la raison pour laquelle il n'a pas cru devoir suivre la décision du protonotaire Aronovitch dans l'affaire Duplessis, précitée, décision confirmée en appel par la Cour fédérale (2001), 12 C.C.E.L. (3d) 148 (C.F. 1re inst), précitée.

[66]La défenderesse n'a pas établi une preuve qui suffise à démontrer que la demanderesse recherche, dans l'action que la défenderesse voudrait faire déclarer irrecevable, une réparation double ou une réparation accrue portant sur les mêmes blessures que celles qui font l'objet de la pension. À première vue, le lien nécessaire n'y est pas. Comme l'a fait observer l'avocat de la demanderesse, la réparation pour rupture d'engagements, celle pour déclarations inexactes faites par manière d'acquit, celle pour manquement à des obligations fiduciaires, celle pour violation de la Charte, celle pour voies de fait et celle pour préjudice moral délibéré, sont sans rapport avec le fait qu'elle reçoit une pension pour cause de SSPT. Les réparations susmentionnées concernent d'autres préjudices pour lesquels elle n'avait pas été indemnisée.

[67]Je me range également à l'avis de l'avocat du capitaine Marsot selon lequel le paragraphe 33 de la déclaration modifiée de la demanderesse, paragraphe qui parle d'actes (et non d'omissions), n'englobe pas toutes les conséquences et tous les préjudices qu'elle a pu subir.

[68]Troisièmement, le champ d'application de l'article 9 de la LRCECA est très incertain. Dans l'affaire McLean c. Canada (1999), 164 F.T.R. 208 (C.F. 1re inst.), le juge Lutfy (aujourd'hui juge en chef adjoint) a estimé que l'article 9 se limitait à empêcher les actions délictuelles, mais non les actions pour rupture de contrat. Le jugement McLean, a été suivi par le juge Dawson dans l'affaire Aussant c. Canada (2000), 188 F.T.R. 245 (C.F. 1re inst.).

[69]Quatrièmement, la déclaration de la demanderesse fait état de la violation des articles 7, 8 et 15 de la Charte. Les violations des articles 7 et 8 trouvent leur source dans le présumé examen psychologique clandestin qu'elle avait subi à son insu. Les violations de la Charte peuvent donner lieu à réparation selon l'article 24, et l'avocat de la demanderesse m'a signalé plusieurs précédents en ce sens. Je ne vois aucun lien entre les violations de la Charte et les raisons pour lesquelles la demanderesse reçoit une pension d'invalidité.

[70]Par ailleurs, les tribunaux ne s'entendent pas (comparer la décision Prete v. Ontario (Attorney General) (1993), 16 O.R. (3d) 161 (C.A.) et l'affaire St-Onge c. Canada (1999), 178 F.T.R. 104 (C.F. 1re inst.), récemment confirmée en appel [2001] A.C.F. no 1523 (C.A.) (QL)) quant à l'effet des délais de prescription sur une action en dommages-intérêts fondée sur des violations de la Charte. Bien que la présente espèce ne concerne pas l'application d'un délai de prescription, mais plutôt l'irrecevabilité de toute action en justice en raison de la réception d'une pension, l'avocat de la demanderesse a assimilé l'interdiction énoncée dans l'article 9 de la LRCECA à un bref délai de prescription. D'ailleurs, la demanderesse a donné avis d'une question constitutionnelle dans laquelle elle contestera la validité ou l'applicabilité de l'article 9 de la LRCECA (et de l'article 111 de la Loi sur les pensions). Ces deux points de droit font qu'il n'est pas judicieux en l'espèce d'accorder un jugement sommaire.

[71]Dans les présents motifs, l'analyse s'est développée au regard de l'article 9 de la LRCECA. Il convient de dire quelques mots sur l'article 111 de la Loi sur les pensions. Il importe de noter que cet article a été modifié par la Loi portant modification de la législation concernant les avantages pour les anciens combattants, L.C. 2000, ch. 34, art. 42. Cette disposition particulière, de même que, aujourd'hui, le paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions, qui prévoit le paiement de pensions pour une période de service dans une zone de service spécial telle que le Kosovo, sont entrés en vigueur le 27 octobre 2000.

[72]Avant la modification, l'article 111 était rédigé simplement ainsi:

111. Nulle action ou autre procédure n'est recevable contre Sa Majesté ni contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de Sa Majesté relativement à une blessure ou une maladie ou à son aggravation ayant entraîné une invalidité ou le décès dans tous cas où une pension est ou peut être accordée en vertu de la présente loi ou de toute autre loi, relativement à cette invalidité ou à ce décès.

[73]Cette disposition était quelque peu semblable à l'article 9 de la LRCECA et, comme le montre la jurisprudence, il y avait un certain chevauchement dans l'application des deux dispositions portant irrecevabilité des recours en justice. Avec les modifications entrées en vigueur le 27 octobre 2000, l'irrecevabilité autonome et indépendante telle qu'elle existait auparavant a été abrogée et un lien direct avec l'article 9 de la LRCECA a été établi.

[74]L'article 111 de la Loi sur les pensions prévoit aujourd'hui une suspension dans le cas d'une action qui n'est pas rendue irrecevable par l'article 9 de la LRCECA.

[75]Cette suspension, qui prend effet sur demande, diffère une action jusqu'à ce que le demandeur fasse de bonne foi une demande de pension pour l'invalidité ou le décès en cause, et jusqu'à ce que l'inexistence du droit à la pension ait été constatée en dernier recours par un comité d'appel du Tribunal des anciens combattants (révision et appel).

[76]L'action de la demanderesse a été introduite le 15 décembre 2000 et modifiée le 11 mai 2001, deux dates postérieures à l'entrée en vigueur du nouvel article 111 de la Loi sur les pensions. Dans ces conditions, il ne saurait être question de rétrospectivité ou de rétroactivité susceptible de priver la défenderesse du droit à une suspension. Il reste cependant à savoir si la défenderesse est fondée à obtenir une suspension.

[77]Comme on l'a dit, la demande de suspension a été présentée par la défenderesse parce que les médecins ont diagnostiqué chez la demanderesse le SSPT ainsi qu'une dépression profonde. Mais la demanderesse n'a demandé et obtenu une pension d'invalidité que pour le SSPT. La défenderesse dit que l'action tout entière de la demanderesse devrait être suspendue jusqu'à ce qu'elle demande une pension pour dépression profonde et jusqu'à ce qu'il soit disposé de cette demande.

[78]La demanderesse s'oppose à la requête en suspension pour le motif que sa pension ne fait pas l'objet de la présente action. De plus, elle affirme qu'elle n'est pas tenue de demander une révision de sa pension et qu'il est déraisonnable pour la Couronne de tenter de faire suspendre l'instance jusqu'à un tel appel. La demanderesse affirme qu'elle a sollicité une pension à la suite du diagnostic constatant chez elle le SSPT et la dépression. Dans sa correspondance avec l'avocat de la défenderesse, la demanderesse affirme que les documents produits mentionnent clairement que la dépression est un trouble associé au SSPT et qu'il est donc englobé dans la pension.

[79]Selon le nouvel article 111, une suspension est accordée sur demande, ce qui veut dire que celui qui la demande doit établir l'existence des conditions préalables prévues par la loi et, à mon avis, il n'en existe qu'une. La demande de pension doit se rapporter à la même invalidité que celle qui est alléguée dans l'action dont on veut obtenir la suspension.

[80]La défenderesse ne m'a pas exposé de faits suffisants propres à réfuter l'affirmation de la demanderesse selon laquelle la pension accordée à celle-ci pour cause de SSPT comprend aussi une dépression profonde. De plus, dans son action, le capitaine Marsot ne demande pas réparation pour invalidité.

DISPOSITIF

[81]Pour tous ces motifs, la requête de la défenderesse en jugement sommaire ou en suspension est rejetée, avec dépens payables à la demanderesse quelle que soit l'issue de la cause.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.