Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1994] 1 C.F 81

T-1270-93

Luc LeBlanc (requérant)

c.

Banque nationale du Canada (intimée)

Répertorié : LeBlanc c. Banque nationale du Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay—Halifax, 26 juillet; Ottawa, 25 août 1993.

Pratique — Modification des délais — Requête en prorogation du délai imparti pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre ayant rejeté une plainte pour congédiement injuste — Le retard dans la présentation de la requête est attribué à la réception tardive de la traduction anglaise de la décision — L’arbitre n’a pas excédé sa compétence en statuant sur la question de la juste cause — Le fondement factuel et juridique de la demande de contrôle judiciaire n’a pas été établi — Le retard ne repose sur aucune explication satisfaisante — Même s’il y avait prorogation du délai, la demande de contrôle judiciaire n’aurait aucune chance raisonnable de succès.

Il s’agit d’une requête visant à obtenir la prorogation du délai imparti par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire. La décision attaquée avait été rendue par un arbitre qui avait rejeté la plainte pour congédiement injuste déposée par le requérant en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail. Les avocats du requérant ont reçu copie de la décision de l’arbitre, soit 78 pages en français, le 17 mars 1993 mais ce n’est que deux semaines plus tard qu’ils ont reçu la traduction anglaise qu’ils avaient demandée. La demande de contrôle judiciaire ayant été déposée le 28 mai, soit plus de trente jours après la communication de la décision, l’intimée a demandé la radiation de l’avis de requête introductive d’instance pour le motif qu’il avait été déposé hors délai. Le juge Noël a fait droit à cette requête [traduction] « sous réserve du droit du requérant de présenter devant la Section de première instance une nouvelle demande de prorogation du délai de présentation de sa demande ». Le requérant a fait valoir qu’il n’a pu préparer la demande de contrôle judiciaire avant d’obtenir réception de la traduction et qu’étant donné la longueur de cette décision et la complexité des questions soulevées par la demande, il n’a pas été possible de réunir la documentation requise dans le délai prescrit par la Loi. Il s’agit de savoir si l’explication donnée par le requérant offrait à la Cour le fondement juridique suffisant pour lui permettre d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation de délai.

Jugement : il y a lieu de rejeter la requête.

On ne peut dire que l’arbitre a outrepassé sa compétence en statuant sur la question de la juste cause qui découlait de la plainte du requérant, puisque les circonstances énumérées au paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail n’ont pas été établies. Le requérant pouvait difficilement établir la plausibilité de sa demande et justifier l’intervention de la Cour en reprenant simplement les motifs généraux énoncés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Il aurait fallu que soient invoqués à l’appui de la demande de contrôle judiciaire certains motifs factuels et juridiques susceptibles d’étayer la position du requérant selon laquelle il avait en l’espèce des chances raisonnables de succès. Or il n’est pas évident, à la lecture de l’affidavit du requérant, que les erreurs alléguées dans les conclusions de fait puissent toutes être considérées comme ayant été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont l’arbitre disposait ou encore qu’elles aient servi de fondement à sa décision. Bien que la Cour n’ait pas, lorsqu’elle examine une demande de prorogation de délai, à apprécier de façon définitive le bien-fondé des arguments présentés, elle doit être persuadée, comme l’enseigne clairement la jurisprudence, que le requérant a une cause soutenable et qu’il a une chance raisonnable d’avoir gain de cause. L’explication du retard à demander la prorogation du délai témoigne de l’incurie de l’avocate du requérant qui n’a pas présenté en temps voulu une requête qui aurait pu l’être même après réception de la version anglaise de la décision. Ces faux pas ne suffiraient pas, néanmoins, à empêcher la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans la mesure où le requérant établirait les éléments lui permettant de conclure, dans l’intérêt de la justice entre les parties, que la demande de contrôle judiciaire a une chance raisonnable de succès. Or l’affidavit du requérant ne révèle aucune chance raisonnable d’obtenir gain de cause si la prorogation du délai imparti pour entamer la procédure d’examen était maintenant accordée; il ne comporte non plus d’éléments permettant de conclure que l’arbitre a agi sans compétence en interprétant la loi ou les faits d’une manière manifestement déraisonnable.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 240 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15), 242 (mod., idem, art. 16), 243.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 51.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 324, 1614 (édictée par DORS/92-43, art. 19).

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263; (1985), 63 N.R. 106 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

CUPE, Local 76 v. Campbellton (City of) (1983), 46 N.B.R. (2d) 83; 121 A.P.R. 83 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Montreal Flying Club Inc. c. Syndicat des employés de l’Aéro-club de Montréal (1975), 7 N.R. 177 (C.A.F.); Société canadienne des postes c. Pollard, [1992] 2 C.F. 697; (1992), 53 F.T.R. 112 (1re inst.); Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; (1979), 25 N.B.R. (2d) 237; 97 D.L.R. (3d) 417; 51 A.P.R. 237; 79 CLLC 14,029; 26 N.R. 341; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R. (4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81.

REQUÊTE en prorogation du délai prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire. Requête rejetée.

AVOCATS :

Heather C. Doyle Landry pour le requérant. Cathy Auchinleck pour l’intimée.

PROCUREURS :

Petrie Richmond, Fredericton, pour le requérant.

Ogilvy Renault, Ottawa, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : Il s’agit en l’espèce d’une requête inusitée visant à obtenir, en vertu de la Règle 1614 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663 (édicté par DORS/92-43, art. 19)], une ordonnance de prorogation du délai imparti par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], et modifications, pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

La requête, contestée par l’intimée, a été entendue à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, le 26 juillet 1993, et l’affaire a été mise en délibéré. Le 30 juillet, j’ai signé une ordonnance rejetant la requête, avec dépens en faveur de l’intimée. Les présents motifs sont déposés à l’appui de cette ordonnance, conformément à l’article 51 de la Loi sur la Cour fédérale.

Grâce à la prorogation de délai qu’il compte obtenir, le requérant, Luc LeBlanc, entend soumettre au contrôle judiciaire la décision de Me Léonce Roy, arbitre désigné en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16], de procéder à l’instruction de la plainte qu’il a déposée sous le régime de l’article 240 [mod., idem, art. 15] du Code, et dans laquelle il allègue avoir été injustement congédié par l’intimée, la Banque nationale du Canada.

La plainte du requérant avait été initialement transmise à l’arbitre Jean-Claude Roy qui a entendu et rejeté une requête préliminaire par laquelle le requérant voulait limiter les éléments de preuve concernant les motifs du congédiement. Cette décision, rendue le 29 mai 1992, n’a pas fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Ledit arbitre s’est par la suite retiré et un nouvel arbitre, Léonce Roy, a été désigné pour entendre la plainte. Les audiences au fond ont eu lieu le 30 septembre ainsi que les 1er, 13 et 14 octobre 1992.

Au terme des audiences, l’arbitre se serait engagé à transmettre aux avocats du requérant, unilingues anglais, une traduction anglaise de sa décision au moment où elle serait rendue. Le 17 mars 1993, les avocats du requérant ont reçu copie de la décision de l’arbitre, datée du 5 mars 1993, soit 78 pages en français. Ils ont immédiatement demandé, auprès de l’arbitre et de Travail Canada, une traduction anglaise. Il appert que Travail Canada et les avocats de l’intimée ont quant à eux reçu copie de la décision le 5 mars, soit environ une semaine auparavant. C’est le 2 avril 1993 suivant que les avocats du requérant ont reçu la traduction anglaise de la décision.

Le 6 avril, les avocats du requérant ont demandé aux avocats de l’intimée de consentir à une prorogation du délai imparti pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire de la décision ou, comme le dit l’avocat de l’intimée, ils leur ont demandé de consentir à ce que le délai de présentation de la demande commence à courir le jour suivant le 2 avril, date de réception de la traduction anglaise de la décision, et non le jour suivant le 17 mars, date à laquelle a été reçue la décision originale en français. Le consentement a été refusé. Il y avait, entre les avocats des parties, divergence d’opinion quant à la date à partir de laquelle le délai commence à courir pour la présentation d’une demande en vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale. Aux termes de ce paragraphe, la demande de contrôle judiciaire doit être présentée « dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance … à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder ». L’avocat de l’intimée dit que lors de leur conversation téléphonique du 6 avril, l’avocate du requérant et lui ne s’entendaient pas quant à la section de la présente Cour où devait être présentée la requête en prorogation de délai. L’avocate du requérant estimait que la requête devait être présentée devant la Cour d’appel, mais l’avocat de l’intimée affirme avoir alors indiqué que ce n’était pas l’instance compétente et que l’avocate du requérant aurait avantage à revoir la Loi sur la Cour fédérale.

Notons qu’au moment où cette discussion avait lieu, la demande de contrôle judiciaire pouvait encore être présentée dans le délai prescrit par les Règles, à supposer même que l’intimée ait eu raison de soutenir que ce délai de 30 jours devait courir à compter du 17 mars, date à laquelle la décision a été reçue en français par les avocats du requérant. À l’appui, vraisemblablement, de sa position quant au délai prescrit par les Règles, l’avocat de l’intimée affirme que l’avocat principal du requérant a indiqué en cours d’audience qu’il comprenait et lisait le français tout en se disant incapable de converser dans cette langue, alors que le requérant était quant à lui parfaitement bilingue et a choisi de témoigner en français.

Le 21 avril 1993, les avocats du requérant ont déposé en Cour d’appel fédérale, sans avis à l’avocat de l’intimée, une requête ex parte demandant que le délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire soit prorogé au 15 juin 1993. Dans un affidavit déposé à l’appui de la requête, l’un des avocats du requérant demandait que l’affaire soit entendue ex parte parce que la procédure prévue à la Règle 324 en repousserait indûment l’examen au-delà du délai ordinairement applicable, délai qui selon ses dires devait expirer le 1er mai. Le 30 avril, la requête ex parte du requérant a été accueillie par l’un de mes collègues de la Cour d’appel qui, par ordonnance, a prorogé le délai de présentation au 31 mai.

Lorsque cette ordonnance est parvenue à l’avocat de l’intimée, celui-ci a écrit à l’avocate du requérant pour lui indiquer qu’à son avis la Cour d’appel n’était pas le tribunal compétent et que l’intimée s’opposerait à toute requête en Section de première instance visant à faire proroger le délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

Le 28 mai, l’avocate du requérant a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Section de première instance de la présente Cour, sans y joindre une demande de prorogation du délai de présentation. Par lettre en date du 3 juin, l’avocate du requérant a avisé l’avocat de l’intimée qu’un avis de requête introductive d’instance avec affidavit à l’appui avaient été déposés en Cour d’appel fédérale, bien que les copies jointes à la lettre indiquaient que les documents avaient été déposés devant la Section de première instance de la Cour, comme cela avait été effectivement le cas.

Le 4 juin, l’intimée a, par avis de requête devant être présenté à Ottawa le 17 juin, demandé la radiation de l’avis de requête introductive d’instance pour le motif qu’il avait été déposé hors délai et que l’ordonnance de la Cour d’appel prorogeant le délai ne pouvait être invoquée dans une demande présentée en vertu de l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] (ou 18.1) en Section de première instance. Au jour fixé pour l’audition et sur examen des observations écrites de l’avocate de M. LeBlanc, mon collègue le juge Noël a fait droit à la requête. Celui-ci souligne, dans ses motifs, avoir pris cette décision [traduction] « sous réserve du droit du requérant de présenter devant la Section de première instance une nouvelle demande de prorogation du délai de présentation de sa demande ».

La présente requête de prorogation du délai de présentation d’un avis de requête introductive d’instance en Section de première instance a été déposée le 29 juin et entendue, comme je l’ai indiqué précédemment, le 26 juillet à Fredericton, au N.-B. Elle est appuyée de l’affidavit de Heather C. Doyle Landry, l’un des avocats du requérant. N’y est pas joint à titre de pièce le projet d’avis de requête introductive d’instance qui serait présenté si permission était aujourd’hui accordée, bien qu’il soit question de l’avis de requête introductive d’instance présenté le 28 mai et de l’ordonnance du juge Noël en disposant, dont copies sont jointes à titre de pièces. L’affidavit présenté à l’appui de la requête en prorogation de délai retrace en bonne partie l’historique de l’affaire, quoique non à l’entière satisfaction de l’intimée. On y trouve les paragraphes suivants :

[traduction] 10. Il n’a pas été possible de préparer la demande de contrôle judiciaire avant que le requérant ait obtenu réception de la traduction anglaise de la décision. Étant donné la longueur de cette décision et la complexité des questions que nous nous attendions à voir soulever dans la demande de contrôle judiciaire, il n’a pas été possible de réunir la documentation requise dans le délai prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la « Loi »).

11. Le délai de 30 jours imparti pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi a expiré le 1er mai 1993.

12. Le 21 avril 1993, le requérant a présenté une requête ex parte devant la Cour d’appel fédérale (no de greffe : 93-A-401) en vue d’obtenir la prorogation du délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire. La requête ex parte a été produite avant l’expiration du délai de 30 jours prescrit pour la présentation d’une demande de contrôle judiciaire. Une copie de cette requête et de l’affidavit présenté à l’appui est jointe aux présentes comme pièce « D ».

13. Erronément et par inadvertance, j’ai produit la requête ex parte devant la Cour d’appel fédérale (plutôt que devant la Section de première instance), croyant que cette Cour avait compétence.

On y passe ensuite en revue les événements qui ont suivi l’ordonnance de prorogation du délai prononcée par la Cour d’appel jusqu’à la décision du juge Noël de radier l’avis de requête introductive d’instance du requérant. L’auteur de l’affidavit poursuit en ces termes :

[traduction] 22. À ma connaissance, l’intimée n’a souffert et ne subira aucun préjudice du fait de la prorogation du délai de présentation de l’avis de requête introductive d’instance. M. Coleman [avocat de l’intimée] savait depuis le début que le requérant présenterait une demande de contrôle judiciaire.

23. Le requérant subira un grave préjudice si l’ordonnance de prorogation du délai de présentation de l’avis de requête introductive d’instance n’est pas accordée.

24. J’ai examiné la traduction anglaise de la décision de l’arbitre et je crois sincèrement que le requérant a des chances plus que raisonnables d’avoir gain de cause, au fond, dans sa demande de contrôle judiciaire.

25. La demande de contrôle judiciaire est fondée sur les moyens suivants : l’arbitre n’a pas observé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale qu’il était légalement tenu de respecter; l’arbitre a rendu une décision entachée d’une erreur de droit; l’arbitre a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive et arbitraire et sans tenir compte des éléments dont il disposait; l’arbitre a agi sans compétence en statuant qu’il y avait eu juste cause à la suspension du requérant et par surcroît, il a prétendu qu’il y avait juste cause alors que la Banque elle-même n’a pas soulevé la question de la cause du congédiement du requérant.

26. Le requérant ne s’opposerait pas si l’intimée présentait une requête en prorogation du délai de présentation d’affidavits à l’égard de sa demande de contrôle judiciaire, advenant que cette honorable Cour accorde la prorogation recherchée.

On a donc fait valoir, au nom du requérant, que la demande de contrôle judiciaire est bien fondée, qu’en l’espèce l’intention d’exercer ce recours était connue de l’intimée dès le 6 avril, date à laquelle les avocats des parties ont discuté de l’affaire au téléphone, et que même si tel n’était pas le cas, l’intimée ne subit aucun préjudice et qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la permission d’agir (Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263 (C.A.)). Lorsqu’on n’a pas renoncé à l’intention d’en appeler d’une décision, que les motifs qu’on entendait soulever étaient soutenables et que l’intimé n’en subissait pas un préjudice indu, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a accordé la prorogation du délai pour mettre l’appel en état dans l’arrêt CUPE, Local 76 v. Campbellton (City of) (1983), 46 N.B.R. (2d) 83. On fait valoir que ce principe devait recevoir application en l’espèce. Qui plus est, dans la présente affaire, la version anglaise de la décision de l’arbitre n’a pas été disponible avant le 2 avril, sa longueur et sa complexité ayant empêché la préparation de la demande dans le délai normalement prévu. Le requérant a donc demandé une prorogation du délai par requête le 21 avril, bien qu’il l’ait fait, par inadvertance dit-on, devant la Cour d’appel. Enfin, on soutient qu’une prorogation ne créera aucun préjudice à l’intimée, que le requérant au contraire subira un préjudice grave si la prorogation n’est pas accordée et que, dans l’intérêt de la justice, la demande du requérant devrait être jugée au mérite et non sur des questions procédurales.

Au nom de l’intimée, on fait valoir que les deux critères applicables à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour de proroger le délai ne sont pas remplis en l’espèce. Ces critères sont que le retard repose sur une explication satisfaisante et que la demande pour la présentation de laquelle on cherche à obtenir une prorogation ait une chance raisonnable de succès. Ainsi, soutient-on, le requérant a reçu la décision le 17 mars au moment où ses avocats en ont reçu communication, l’un d’eux pouvant lire et comprendre le français et le requérant étant lui-même parfaitement bilingue; dans les circonstances, l’incapacité de prendre connaissance de la décision rendue en français n’est donc pas un motif susceptible de justifier le retard. Non plus que la difficulté alléguée d’étudier la décision, dont 69 pages, en anglais, sont consacrées à la revue de la preuve et des faits. Ce motif de retard ne serait pas une explication satisfaisante, compte tenu de la jurisprudence suivant laquelle il ne suffit pas d’invoquer la nécessité d’attendre l’occasion d’étudier les motifs d’une décision. De plus, dans la présente affaire, suivant la conversation du 6 avril entre les avocats des parties, le requérant n’a pris aucune action avant le 21 avril, date à laquelle une requête ex parte a été présentée en Cour d’appel, sans avis à l’intimée qui ne l’a su qu’une fois la requête accordée, même si le requérant savait depuis ladite conversation du 6 avril que l’intimée s’opposerait à toute requête en prorogation de délai. On fait valoir que la présentation de la requête ex parte, et ce, devant la mauvaise section de la Cour, a ajouté au retard et que la procédure a été prise malgré que l’avocat de l’intimée ait fait observer, le 6 avril, que la Cour d’appel fédérale n’était pas l’instance compétente. Étant donné l’ensemble des circonstances, soutient-on, le requérant ne peut fournir d’explication satisfaisante pour le retard qu’il a mis à demander, devant l’instance compétente, la prorogation du délai (Montreal Flying Club Inc. c. Syndicat des employés de l’Aéro-club de Montréal (1975), 7 N.R. 177 (C.A.F.)).

L’intimée soutient également que la requête en prorogation de délai et l’affidavit présenté à l’appui ne contiennent pas les éléments de preuve à partir desquels la Cour pourrait conclure que le requérant a des arguments plausibles. Les seuls moyens avancés sont ceux indiqués au paragraphe 25 précité de l’affidavit, lesquels, sauf le dernier concernant la compétence, ne font que reprendre les motifs généraux de contrôle judiciaire énoncés à l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

Le dernier moyen invoqué dans ce paragraphe est que [traduction] « l’arbitre a agi sans compétence en statuant qu’il y avait eu juste cause à la suspension du requérant et … alors que la Banque elle-même n’a pas soulevé la question de la cause du congédiement du requérant ». Selon l’intimée, ce moyen se rattache à la conclusion de l’arbitre initialement désigné qui s’est retiré après avoir tranché des questions préliminaires, décision qui n’a pas été antérieurement contestée, bien que l’avocate du requérant ne soit pas d’accord avec cette qualification de la question et concède que la décision sur les questions préliminaires n’est pas pertinente en l’espèce. Pour ma part, je ne vois pas comment ce moyen peut être raisonnablement invoqué dans les circonstances de l’espèce où l’arbitre, désigné en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail, doit trancher, sous le régime de l’article 240, la plainte du requérant selon laquelle il a été injustement congédié et qu’il doit, à cette fin, décider si le congédiement était injuste (paragraphe 242(3)), à moins que le plaignant n’ait été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste (paragraphe 242(3.1)). Dans ces conditions, la question de la juste cause découle de la plainte, qu’elle ait été ou non soulevée par la Banque, et l’arbitre ne pouvait éviter de l’aborder, à moins que n’aient été établies les circonstances énumérées au paragraphe 242(3.1), ce que l’arbitre a jugé ne pas être le cas.

Malgré les objections de l’avocat de l’intimée, dont j’ai pris note, j’ai invité l’avocate du requérant à expliciter, en réponse aux arguments de l’intimée, les moyens sur lesquels se fonde la demande de contrôle judiciaire, tout en donnant à l’avocat de l’intimée le droit de réplique. Le requérant a fait valoir que la décision de l’arbitre comportait des incohérences, que certains faits repris dans son examen de la preuve étaient contraires à ceux sur lesquels il appuie les motifs de sa décision, bien que cet argument n’ait pas été examiné en détail. L’avocate a réitéré les moyens invoqués dans son affidavit, précité, ainsi que sa conviction sincère, affirmée au paragraphe 24, que le requérant a des chances plus que raisonnables d’avoir gain de cause, au fond, dans sa demande de contrôle judiciaire.

La Cour s’attendait à davantage de précisions quant aux motifs de la demande de contrôle judiciaire. Elles ne sont pas venues. À mon avis, cette Cour peut difficilement se convaincre de la plausibilité de la demande et justifier son intervention à partir de la simple répétition des motifs généraux énoncés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Il faut que soient invoqués à l’appui de la demande de contrôle certains motifs factuels et juridiques susceptibles d’étayer l’opinion selon laquelle les chances de succès sont raisonnables en l’espèce. Quant à l’argument général voulant que l’arbitre ait constaté certains faits incompatibles avec ceux sur lesquels il a subséquemment fondé sa décision, il jette peu de lumière sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire.

J’ai souligné qu’aucun projet de requête introductive d’instance ni affidavit à l’appui n’avaient été joints à la requête en prorogation de délai. Toutefois, la requête introductive présentée antérieurement et radiée par ordonnance du juge Noël, ainsi que l’affidavit à l’appui laissent entrevoir le fondement du contrôle judiciaire recherché en l’espèce. Au terme des débats, alors que la décision était en délibéré, j’ai pris l’initiative inhabituelle de revoir l’affidavit de Luc LeBlanc présenté à l’appui de l’avis de requête introductive d’instance ayant été subséquemment radié. Je l’ai fait dans le but de m’assurer de bien comprendre le fondement factuel des motifs possibles de la demande de contrôle judiciaire, dans la mesure où ils pouvaient découler de la requête introductive et de l’affidavit antérieurs, et afin de veiller à ce qu’aucune injustice ne résulte du refus de proroger le délai. Dans cet affidavit, le requérant décrit les circonstances entourant son différend avec la banque intimée, sa plainte en vertu de l’article 240 du Code et l’adjudication de cette plainte. Il affirme que les procédures qui se sont déroulées devant l’arbitre n’ont pas fait l’objet d’une transcription. Il ajoute que plusieurs des conclusions de fait que l’arbitre énumère dans sa décision sont erronées eu égard aux témoignages et à la preuve documentaire dont il disposait, que d’autres conclusions ne sont pas fondées sur la preuve présentée à l’audience et d’autres encore découlent de la valeur indue accordée à certains éléments de preuve.

Or, il n’est pas évident, à la lecture de l’affidavit de Luc LeBlanc, que les erreurs alléguées dans les conclusions de fait puissent toutes être considérées comme ayant été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont l’arbitre disposait. Il n’est pas non plus évident que les conclusions qui pourraient être ainsi caractérisées ont servi de fondement à la décision de l’arbitre, comme cela devrait être le cas pour qu’une demande de contrôle judiciaire, s’attaquant aux conclusions de fait, soit accueillie (alinéa 18.1(4)d), Loi sur la Cour fédérale). Outre l’allégation que certaines conclusions de fait n’étaient pas fondées sur la preuve produite à l’audience, la seule allusion à une erreur de droit de l’arbitre, dans l’affidavit de Luc LeBlanc, concerne la conclusion où l’arbitre résume sa décision sous la forme d’une ordonnance rejetant la plainte dans des termes évoquant le congédiement injuste allégué, conclusion qui aurait outrepassé la compétence de l’arbitre. Je me suis déjà prononcé sur cette question de la compétence de l’arbitre, mais j’ajouterai que, dans le contexte de la partie de la décision ainsi résumée, soit la partie intitulée « Decision » dans la traduction anglaise, il n’est pas manifeste, à tout le moins au vu du dossier, que l’arbitre a excédé sa compétence.

Bien que cette Cour n’ait pas, lorsqu’elle examine une demande de prorogation de délai, à apprécier de façon définitive le bien-fondé des arguments du requérant, elle doit être persuadée, comme l’enseigne clairement la jurisprudence, que ce dernier a une cause soutenable et qu’il a une chance raisonnable d’avoir gain de cause. Il faut distinguer l’arrêt Grewal, précité, sur lequel s’appuie en partie le requérant, des affaires habituelles de ce genre car, dans cette affaire, la chance raisonnable de succès était manifeste compte tenu de la clarification qu’avait apportée subséquemment la Cour suprême quant aux droits protégés par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et du fait que la décision du tribunal avait été rendue conformément à une procédure incompatible avec les droits ainsi clarifiés. Dans cet arrêt, le juge Marceau qui souscrivait à l’opinion majoritaire mais dans des motifs distincts a dit ceci à la page 282 :

L’imposition de délais applicables à la contestation de la validité des décisions judiciaires a naturellement pour but de mettre en œuvre un principe fondamental de notre pensée juridique selon lequel, dans l’intérêt de la société dans son ensemble, les litiges doivent avoir une fin (interest reipublicae ut sit finis litium), et les règles générales adoptées par les tribunaux relativement aux demandes de prorogation de ces délais ont été élaborées en tenant compte de ce principe. L’autorisation d’interjeter appel après expiration du délai imparti ne sera accordée que si, considérant les circonstances d’une affaire, la recherche ultime de la justice semble transcender la nécessité de mettre fin à l’incertitude relative aux droits des parties. D’où l’obligation d’étudier différents facteurs, tels la nature du droit visé par les procédures, le redressement sollicité, l’effet du jugement rendu, ce qui a été fait en exécution de ce jugement, le préjudice que subiront les autres parties au litige, le temps écoulé depuis le prononcé du jugement, la façon dont le requérant a réagi à ce jugement, la raison pour laquelle il n’a pas exercé son droit d’appel plus tôt, le sérieux de ses prétentions contre la validité du jugement. Il me semble que, pour apprécier la situation comme il se doit et tirer une conclusion valide, il est essentiel de balancer les différents facteurs impliqués. Par exemple, une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante.

Dans la présente affaire, l’explication du retard à demander la prorogation du délai tient essentiellement à l’incurie de l’avocate du requérant qui n’a pas présenté en temps voulu une requête qui aurait pu l’être même après la réception de la version anglaise de la décision. Soulignons que l’avis de requête introductive d’instance finalement présenté le 28 mai reprend les motifs énoncés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, requête qui aurait pu être présentée, avec affidavit à l’appui, avant le 17 avril ou même le 1er mai. Un ou plusieurs affidavits supplémentaires auraient pu être présentés subséquemment, comme c’est souvent le cas, pour faire partie du dossier du requérant au moment de l’audition. En l’espèce, le requérant n’a fait aucune démarche avant le 21 avril, date à laquelle une requête en prorogation de délai ex parte a été présentée à la Cour d’appel, alors que l’avocate aurait dû savoir que toute demande de prorogation serait contestée. Néanmoins, malgré ces faux pas, cela ne suffirait pas, à mon avis, à empêcher la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans la mesure où le requérant établirait les éléments lui permettant de conclure, dans l’intérêt de la justice entre les parties, que la demande de contrôle judiciaire a une chance raisonnable de succès.

En l’espèce, je ne suis pas persuadé que le requérant a établi qu’il a une chance raisonnable d’obtenir gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire. J’en viens à cette conclusion parce que l’élément de preuve que comporte cette demande, soit l’affidavit d’un des avocats du requérant, n’est pas très convaincant. Or, dit l’avocat de l’intimée, cet élément est le seul que cette Cour peut légitimement prendre en considération, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il s’est opposé à l’invitation que la Cour a faite à l’avocate du requérant d’expliciter les moyens sous-tendant sa demande de contrôle judiciaire.

De plus, après examen de l’affidavit de Luc LeBlanc présenté à l’appui de la requête introductive subséquemment radiée, je n’ai pas la conviction que le requérant aurait une chance raisonnable d’obtenir gain de cause si la prorogation du délai imparti pour entamer la procédure d’examen était maintenant accordée. J’arrive à cette conclusion en tenant compte de la retenue judiciaire qui s’impose à l’égard de la décision d’un arbitre désigné en vertu de l’article 242 du Code, en raison de la clause privative de l’article 243. Aux termes de cet article, la décision de l’arbitre est finale et non susceptible de contrôle judiciaire, à moins que le tribunal d’examen ne soit convaincu que l’arbitre a clairement agi sans compétence en interprétant la loi ou les faits d’une manière manifestement déraisonnable. (Voir Société canadienne des postes c. Pollard, [1992] 2 C.F. 697 (1re inst.); Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324.) À mon avis, l’affidavit de M. LeBlanc ne comporte pas les éléments permettant d’étayer une telle conclusion.

Si le requérant invoque l’intérêt de la justice, c’est d’abord parce qu’il veut que sa cause soit instruite qu’il demande une prorogation de délai. L’intimée fait valoir que l’affaire a déjà été entendue en détail au cours des auditions qu’a tenues l’arbitre. Au mieux, il me semble que le requérant pourrait avoir une cause soutenable mais qu’à ce stade, elle ne serait vraisemblablement pas accueillie. Rien ne permet donc à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation de délai. S’il en était autrement, le délai imparti pour exercer un recours en contrôle judiciaire en vertu de la loi n’aurait aucun sens.

Dans les circonstances, cette Cour refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de présentation d’une demande de contrôle judiciaire, et la requête est donc rejetée par ordonnance. Les avocats ayant abordé la question des dépens à l’audition, ceux-ci ont été, tel que demandé, adjugés par ordonnance à l’intimée.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.