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[1994] 1 C.F. 40

A-1190-91

Elaine Schachtschneider (requérante/appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Schachtschneider c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Mahoney et Linden, J.C.A. et juge suppléant Gray—Toronto, 17 mai; Ottawa, 6 juillet 1993.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions — Demande de contrôle d’une décision par laquelle la CCI a rejeté un appel d’une cotisation d’impôt sur le revenu refusant le crédit d’impôt équivalent à celui de personne mariée prévu à l’art. 118(1)b) de la LIR — La contribuable, mariée et vivant avec son conjoint, demandait un crédit d’impôt pour un enfant à charge — Selon la contribuable, l’art. 118 violait la liberté de religion (art. 2a) de la Charte) et la privait du bénéfice égal de la loi (art. 15(1) de la Charte) — Explication de l’objet de la disposition — La LIR ne fait pas de distinction entre les contribuables mariés et non mariés.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — Il s’agit de savoir si le déni d’un crédit d’impôt visé à l’art. 118(1)b) de la LIR viole ou non la liberté de religion de la contribuable — La LIR est une loi strictement laïque — Les crédits d’impôt prévus par l’art. 118(1) n’ont pas pour but de restreindre la liberté de religion — Une entrave négligeable ou insignifiante à la religion ne suffit pas pour violer l’art. 2a) de la Charte — L’art. 118(1) n’a aucun effet coercitif.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Le traitement différent qu’accorde aux contribuables mariés et aux contribuables non mariés l’art. 118(1)b) de la LIR constitue une privation du bénéfice égal de la loi — Il s’agit de savoir si le déni d’égalité est discriminatoire ou non aux termes de l’art. 15(1) de la Charte — Distinction entre le motif de discrimination et le groupe victime de discrimination — L’état matrimonial est un motif analogue de discrimination aux fins de l’art. 15 — Les personnes mariées ne constituent pas une minorité discrète et isolée, non plus qu’un groupe indépendamment défavorisé — L’art. 118(1)b) ne viole pas les dispositions de l’art. 15(1) de la Charte en matière d’égalité pour des motifs d’état matrimonial ou de religion.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision de la Cour Canadienne de l’impôt, qui avait rejeté l’appel de la contribuable à l’égard de sa cotisation d’impôt sur le revenu pour l’année 1989. Durant la période en cause, la contribuable vivait avec son époux et son enfant. Elle s’était prévalue, pour ce dernier, du crédit d’impôt « équivalent à celui de personne mariée » prévu à l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu. La position de la contribuable était qu’elle s’était mariée, plutôt que de cohabiter simplement avec son conjoint, parce qu’il s’agissait là d’une pratique que sa religion interdisait. Le ministre avait rejeté sa prétention parce que les personnes mariées qui vivent avec leur conjoint n’avaient pas droit à ce crédit; elle n’avait pas droit non plus au crédit d’impôt visé à l’alinéa 118(1)a) parce qu’elle était mariée, mais ne subvenait pas aux besoins de son époux. En conséquence, elle n’avait le droit de demander, outre l’exemption pour personne vivant seule, que la déduction moins élevée pour son enfant qu’accorde l’alinéa 118(1)d). La contribuable avait donc payé plus d’impôt sur le revenu en 1989 qu’elle aurait dû verser si elle n’avait pas été mariée et avait eu le droit de se prévaloir, pour son fils, d’un crédit équivalent à celui de personne mariée. La requérante a soutenu que l’alinéa 118(1)b) de la Loi viole la liberté de religion que lui garantit l’alinéa 2a) de la Charte, en ce sens que la Loi lui impose un fardeau financier considérable parce qu’elle adhère à sa religion. Le point en litige consistait à savoir si la disposition fiscale en question avait pour effet de violer la liberté de religion que reconnaît à la contribuable l’alinéa 2a) de la Charte ainsi que son droit à l’égalité du fait de son état matrimonial et de sa religion, aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte.

Arrêt (le juge Linden, J.C.A., motifs concordants quant au résultat) : la demande doit être rejetée.

Le juge Mahoney, J.C.A. : Dans le premier d’une série de trois arrêts, la Cour suprême du Canada a défini la liberté de religion dans un sens large; cette liberté embrasse à la fois l’absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et ses pratiques religieuses. En l’espèce, la contribuable faisait état d’une coercition indirecte à l’égard de sa liberté de religion. Le paragraphe 118(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne fait preuve de coercition à l’égard de personne, ni directement ni indirectement; il n’impose de sanction à personne et ne met nullement en cause la liberté de religion et de conscience. Le coût imprévu qu’imposait à la contribuable et à son époux le fait d’avoir à cohabiter en tant que mari et femme du fait de la naissance d’un enfant issu de leur union ne portait pas atteinte à leur croyance ou à leur pratique religieuse.

Un crédit d’impôt est un avantage prévu par la loi, et le paragraphe 118(1) accorde à un couple contribuable non marié qui a un enfant un avantage supérieur à celui dont bénéficie un couple marié dont la situation est similaire. Cependant, le fait de prévoir des crédits d’impôt qui diffèrent selon les circonstances familiales et personnelles n’a rien à voir avec la religion et ne peut être qualifié de mesure discriminatoire fondée sur la religion. De plus, l’inégalité de bénéfice de la loi ne résultait pas simplement de l’état matrimonial de la contribuable. C’était la naissance de l’enfant qui avait donné lieu à une inégalité marquée. On ne peut trancher cette affaire en acceptant, ne serait-ce qu’à titre d’exemple, que l’état matrimonial est un motif analogue aux motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte. Qu’une cour juge ou non qu’une mesure discriminatoire viole le paragraphe 15(1), elle n’est pas invitée à proclamer qu’un motif analogue constitue une catégorie étendue de la même manière que les motifs énumérés ont eux-mêmes été énoncés; elle est plutôt invitée à définir le motif en fonction de la minorité discrète et isolée que distingue une caractéristique personnelle analogue à celles que comportent les motifs énumérés. Le groupe dont il est question, qui se compose de conjoints mariés ayant un enfant issu du mariage, qui vivent ensemble et dont l’un ne subvient pas aux besoins de l’autre, n’est pas défavorisé par la place qu’il occupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société; il ne s’agit pas d’une minorité distincte et isolée au sens où l’envisage l’article 15 de la Charte. La distinction que fait le paragraphe 118(1) de la Loi entre les personnes mariées et les personnes non mariées dans ces mêmes circonstances n’est pas discriminatoire.

Le juge Linden, J.C.A. (motifs concordants quant au résultat) : La Loi de l’impôt sur le revenu est un texte de loi laïc, dénué de tout caractère religieux. Le crédit équivalent à celui de personne mariée visé à l’alinéa 118(1)b) de la Loi reconnaît que les contribuables sont moins en mesure de payer de l’impôt lorsqu’il leur incombe de subvenir aux besoins d’une personne à charge. Aucune fin religieuse n’est associée aux objectifs que vise cette disposition. Une entrave négligeable ou insignifiante à la religion ne suffit pas pour qu’il y ait violation de l’alinéa 2a) de la Charte. Tout effet possible sur la liberté de religion en l’espèce ne peut être qualifié que d’« infime », de « négligeable » ou d’« insignifiant ». Le rapport qu’il y a entre l’article 118 de la Loi et la capacité d’exercer sa religion est trop éloigné pour qu’il y ait violation de la Charte.

L’alinéa 118(1)b) fait une distinction entre les contribuables mariés et les contribuables non mariés, et son application favorise ces derniers. Bien que cette différence de traitement constitue une privation du bénéfice égal de la loi, il n’y a violation du paragraphe 15(1) que si le déni d’égalité est jugé discriminatoire. Il est important de faire une distinction entre le motif de discrimination et le groupe qui est victime de discrimination. Un motif de discrimination ne fait pas nécessairement référence à un groupe particulier. Le fait de différencier le motif de discrimination et le groupe contre lequel s’exerce la discrimination permet à une cour d’utiliser l’un des deux comme point de référence pour déterminer l’autre. Le principal motif de discrimination invoqué pour la contribuable était l’état matrimonial, qui ne fait pas partie de la liste des motifs de discrimination illicites énumérés au paragraphe 15(1); cependant, il est justifié de considérer l’état matrimonial comme un motif analogue aux fins de cette disposition. Il ne faudrait pas confondre ce motif de discrimination avec le groupe qui soutient être victime de discrimination, c’est-à-dire les personnes mariées. Comme les personnes mariées ne constituent pas une minorité discrète et isolée, pas plus qu’il ne s’agit d’un groupe indépendamment défavorisé, la contribuable ne pouvait prétendre être victime de discrimination à titre de personne mariée. Quant au fait que les personnes favorisées puissent être victimes de discrimination elles aussi, il suffit de dire que, pour établir les indices de la discrimination, une personne appartenant à un groupe favorisé aurait à faire la preuve qu’il existe des préjugés et des stéréotypes directs ou immédiats, mais pas nécessairement une discrimination délibérée. La norme et la méthode d’analyse applicables aux groupes favorisés et aux groupes défavorisés resteraient les mêmes. Contrairement à la garantie de liberté de religion que reconnaît l’alinéa 2a) de la Charte, la garantie d’égalité prescrite à l’article 15 n’exclut pas les plaintes qui reposent sur le fait que la violation en question est infime, négligeable ou insignifiante. Néanmoins, la contribuable ne peut obtenir gain de cause lorsqu’elle conteste le système des crédits d’impôt pour cause de discrimination religieuse. Il n’y avait aucune preuve que ce système crée des stéréotypes ou des préjugés injustes à l’égard de la majorité des religions.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no44], art. 2a), 15(1),(2).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 117.1 (mod. par S.C. 1988, ch. 55, art. 91), 118 (mod. par L.C. 1993, ch. 24, art. 52), (1) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 92), 252 (mod. par L.C. 1993, ch. 24, art. 140).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8).

Loi sur le dimanche, S.R.C. 1970, ch. L-13.

Loi sur les droits de la personne, S.M. 1974, ch. 65.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS SUIVIES :

R. c. Big M. Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; (1986), 35 D.L.R. (4th) 1; 30 C.C.C. (3d) 385; 87 CLLC 14,001; 55 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 1; 71 N.R. 161; 19 O.A.C. 239; R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284; (1986), 31 D.L.R. (4th) 562; [1986] 6 W.W.R. 577; 28 C.C.C. (3d) 513; 25 C.R.R. 63; 69 N.R. 241; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; (1991), 75 O.R. (2d) 388; 71 D.L.R. (4th) 551; 63 C.C.C. (3d) 481; 5 C.R. (4th) 253; 3 C.R.R. (2d) 1; 125 N.R. 1; 47 O.A.C. 81.

DÉCISION APPLIQUÉE :

Re MacVicar and Superintendent of Family & Child Services et al. (1986), 34 D.L.R. (4th) 488; [1987] 3 W.W.R. 176; 10 B.C.L.R. (2d) 234; 29 C.R.R. 37 (C.S.).

DÉCISION EXAMINÉES :

Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; (1989), 59 D.L.R. (4th) 321; [1989] 4 W.W.R. 193; 58 Man. R. (2d) 161; 26 C.C.E.L. 1; 10 C.H.R.R. D/6183; 89 CLLC 17,012; 45 C.R.R. 115; 94 N.R. 373; Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252; (1989), 59 D.L.R. (4th) 352; [1989] 4 W.W.R. 39; 58 Man. R. (2d) 1; 25 C.C.E.L. 1; 10 C.H.R.R. D/6205; 89 CLLC 17,011; 47 C.R.R. 274; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 39 C.R.R. 306; 96 N.R. 115; 34 O.A.C. 115.

DÉCISION CITÉES :

Mercier (M.) c. M.R.N., [1992] 1 C.T.C. 2506; (1992), 92 DTC 1693 (C.C.I.); Bailey et al. c. Ministre du revenu national (1980), 1 C.H.R.R. D/193 (T.C.O.P.); Weronski (J.H.) c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 2431; (1991), 91 DTC 1105; 35 R.F.L. (3d) 441 (C.C.I.); Druker c. C.I.R., 697 F. 2d 46 (2nd Cir. 1982).

DOCTRINE

Bittker, Boris I. « A Comprehensive Tax Base as a Goal of Income Tax Reform » (1967), 80 Harv. L. Rev. 925.

Bittker, Boris I. « Federal Income Taxation and the Family » (1975), 27 Stan L. Rev. 1389.

Blumberg, Grace. « Sexism in the Code : A Comparative Study of Income Taxation of Working Wives and Mothers » (1972), 21 Buff. L.R. 49.

Canada. Chambre des Communes, Rapport du Comité parlementaire sur les droits à l’égalité : Égalité pour tous, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1985.

McCaffery, Edward J. « Taxation and the Family : A Fresh Look at Behavioral Gender Biases in the Code » (1993), 40 UCLA L. Rev. 983.

Morrison, Richard J. et Jillian Oderkirk. Married and Unmarried Couples : The Tax Question, 1991.

DEMANDE de contrôle judiciaire concernant une décision de la Cour canadienne de l’impôt ([1991] A.C.I. no 1023 (QL)), qui a rejeté l’appel de la contribuable à l’égard de sa nouvelle cotisation d’impôt sur le revenu rejetant le crédit d’impôt « équivalent à celui de personne mariée » visé à l’alinéa 118(1)b ) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Demande rejetée.

AVOCATS :

Marvin J. Huberman pour la requérante/ appelante.

J. Paul Malette et David W. Chodikoff pour l’intimée.

PROCUREURS :

Morris, Rose, Ledgett, Toronto, pour la requérante/appelante.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Mahoney, J.C.A. : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire relative à une décision non publiée rendue par la Cour canadienne de l’impôt à la suite d’une audience informelle[1]. La Cour a rejeté l’appel que la requérante avait interjeté à l’égard d’une cotisation relative à sa déclaration de revenus pour 1989, refusant le crédit d’impôt non remboursable dit « équivalent à celui de personne mariée » que la requérante avait demandé pour un enfant à charge, et autorisant plutôt un crédit d’impôt pour « enfant à charge ». C’est le paragraphe 118(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 118 (mod. par S.C. 1988, c. 55, art. 92)] qui est en cause[2]. Les montants précisés dans ce paragraphe peuvent varier automatiquement d’une année à l’autre suivant la formule d’indexation prévue à l’article 117.1 [mod., idem, art. 91].

En 1989, la requérante était mariée, vivait avec son conjoint et ne subvenait pas aux besoins de celui-ci. Le couple avait un enfant, né en 1988. La requérante a demandé le crédit pour elle et pour l’enfant en application de l’alinéa 118(1)b). Le ministre lui a accordé le crédit visé aux alinéas 118(1)c) et d); résultat, la requérante et son époux ont payé à eux deux, en 1989, plus d’impôt sur le revenu que celui qu’ils auraient versé s’ils avaient vécu ensemble, sans être mariés, toutes les autres circonstances étant les mêmes. La différence est de plusieurs centaines de dollars.

La requérante n’avait pas droit au crédit d’impôt prévu à l’alinéa a) parce qu’elle était mariée mais ne subvenait pas aux besoins de son époux; elle n’avait pas droit au crédit prévu à l’alinéa b) parce qu’elle vivait avec son conjoint.[3] Par conséquent, comme la requérante n’avait pas droit aux crédits visés aux alinéas a) ou b), elle avait droit au crédit indiqué à l’alinéa c). À l’exception de la restriction prévue à l’alinéa 118(4)c)[4], le crédit d’impôt visé à l’alinéa d) s’ajoute à celui qui est prévu aux alinéas a), b) ou c), selon le cas. En conséquence, la requérante avait droit aux crédits d’impôt prévus par les alinéas c) et d).

La requérante et son époux étaient mariés depuis dix ans et vivaient au Canada lorsqu’ils ont témoigné devant la Cour canadienne de l’impôt en septembre 1991. Suivant leurs revenus imposables annuels respectifs durant cette période de dix ans et avant la naissance de l’enfant, la Loi de l’impôt sur le revenu permettait à l’un ou l’autre des conjoints de se prévaloir du crédit visé à l’alinéa a) ou, aux deux, du crédit visé à l’alinéa c). Il n’y avait pas de différence marquée dans le cadre du régime d’exemptions personnelles que le système des crédits d’impôt non remboursables a remplacé durant la période de dix ans. On peut dire que le fait de cohabiter en tant que personnes mariées n’a occasionné au couple aucun désavantage important sur le plan fiscal avant la naissance de l’enfant.

Selon la requérante, son époux et un pasteur de l’Église à laquelle le couple appartient, les membres de cette Église doivent être mariés pour vivre ensemble, ils doivent continuer de vivre ensemble une fois qu’ils sont mariés et ils doivent être mariés pour avoir des enfants et les élever. La requérante et son époux ont tous deux déclaré que c’est par besoin financier et par droit moral que l’exemption avait été demandée. La requérante déclare ce qui suit dans son avis d’opposition :

[traduction] Je me suis mariée pour des raisons religieuses, mais je cohabite aujourd’hui avec Walter Schachtschneider. Je suis tout à fait lucide et je ne me serais pas mariée juste pour payer plus d’impôt sur le revenu!

Les points en litige

La requérante a déclaré que les dispositions du paragraphe 118(1), qui ont pour effet de la priver du crédit visé à l’alinéa 118(1)b), violent la liberté de conscience et de religion que reconnaît l’alinéa 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] ainsi que l’égalité devant la loi, indépendamment de toute discrimination, que reconnaît le paragraphe 15(1). En ce qui concerne ce dernier point, la requérante a allégué qu’elle était victime de discrimination pour deux motifs : l’un énuméré la « religion » et l’autre analogue l’« état matrimonial ». Dans la présente demande, la requérante n’a pas poursuivi sa prétention fondée sur le motif énuméré au paragraphe 15(1); cependant, étant donné que les motifs qui suivent ne sont pas publiés, je me propose d’analyser brièvement ce point.

La liberté de conscience et de religion

La Charte porte que :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

a) liberté de conscience et de religion;

R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres[5] est le premier d’une série de trois arrêts dans lesquels la Cour suprême du Canada a interprété l’alinéa 2a). Cet arrêt porte sur la Loi sur le dimanche[6], qui, selon la description qui en est faite dans le troisième arrêt de la triade, est « un ordre direct de se conformer, sous peine de sanction, à un précepte religieux particulier »[7]. Ce n’est certainement pas ce que l’on peut dire de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’arrêt en question est particulièrement instructif pour l’analyse que l’on y fait des paramètres de la liberté de religion, ainsi que de la manière dont on y définit le mot « coercition ». Voici ce qui est dit aux pages 336 et 337 du recueil :

Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.

La liberté peut se caractériser essentiellement par l’absence de coercition ou de contrainte ... La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d’ordres directs d’agir ou de s’abstenir d’agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d’action d’autrui. La liberté au sens large comporte l’absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. [Soulignements ajoutés.]

Dans la présente affaire, la requérante fait état d’une coercition indirecte concernant sa liberté de religion.

Le second des trois arrêts est l’affaire R. c. Jones[8], où il était allégué que la conviction religieuse d’une personne empêchait cette dernière d’inscrire ses enfants à l’école publique ou d’obtenir de l’État une attestation d’enseignement valable à domicile, les seules options pertinentes autorisées par la législation de la province. Là encore, des sanctions étaient prévues en cas de non-conformité. Madame le juge Wilson, s’exprimant au nom d’une majorité qui a conclu qu’il n’y avait pas eu de violation de l’alinéa 2a) et qu’il n’était pas nécessaire de recourir à l’article premier, a écrit ce qui suit :

Ce dont l’appelant se plaint vraiment, me semble-t-il, ce sont des effets plutôt que de l’objet ... ce ne sont pas tous les effets d’une loi sur les croyances ou les pratiques religieuses qui sont une atteinte à la garantie constitutionnelle conférée à la liberté de religion. L’alinéa 2a) n’oblige pas le législateur à n’entraver d’aucune manière la pratique religieuse. L’action législative ou administrative dont l’effet sur la religion est négligeable, voire insignifiant, ne constitue pas à mon avis une violation de la liberté de religion.

La question d’une coercition indirecte était directement en cause dans l’affaire R. c. Edwards Books and Art Ltd[9]. Dans cette dernière, la loi provinciale exigeait, à certaines exceptions près, que les magasins de vente au détail soient fermés des jours fériés précisés, y compris le dimanche, sous peine de sanction. Il était reconnu que cette loi avait pour objet de fixer des jours fériés uniformes pour tous les travailleurs du secteur de la vente au détail. La loi imposait clairement un fardeau financier aux personnes qui n’observaient pas le « sabbat » le dimanche. Cinq des sept juges ont décrété que cette exigence violait l’alinéa 2a). Une nette majorité a souscrit à l’avis du juge en chef Dickson sur ce point, lequel a déclaré ce qui suit, à la page 759 du recueil :

Je crois qu’il est sans importance que la coercition soit directe ou indirecte, délibérée ou involontaire, prévisible ou imprévisible. Toute entrave coercitive à l’exercice de croyances religieuses relève potentiellement de l’al. 2a).

Cela ne veut pas dire cependant que toute entrave à certaines pratiques religieuses porte atteinte à la liberté de religion garantie par la Constitution. Cela signifie uniquement qu’une entrave indirecte ou involontaire ne sera pas, de ce seul fait, considérée comme non assujettie à la protection de la Charte ... L’alinéa 2a) a pour objet d’assurer que la société ne s’ingérera pas dans les croyances intimes profondes qui régissent la perception qu’on a de soi, de l’humanité, de la nature et, dans certains cas, d’un être supérieur ou différent. Ces croyances, à leur tour, régissent notre comportement et nos pratiques. La Constitution ne protège les particuliers et les groupes que dans la mesure où des croyances ou un comportement d’ordre religieux pourraient être raisonnablement ou véritablement menacés. Pour qu’un fardeau ou un coût imposé par l’État soit interdit par l’al. 2a), il doit être susceptible de porter atteinte à une croyance ou pratique religieuse. Bref, l’action législative ou administrative qui accroît le coût de la pratique ou de quelque autre manifestation des croyances religieuses n’est pas interdite si le fardeau ainsi imposé est négligeable ou insignifiant.

Le paragraphe 118(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu n’use de coercition à l’égard de personne, ni directement ni indirectement. Il ne s’agit pas d’une forme de contrôle qui fixe ou restreint la conduite ou les pratiques religieuses de quiconque. Il n’impose une sanction à personne. Il ne met nullement en cause la liberté de religion et de conscience, de quelque façon que ce soit. Il est impossible de conclure que le coût fiscal qu’impose à la requérante et à son époux le fait d’avoir à cohabiter en tant que mari et femme à cause de la naissance d’un enfant issu de leur union peut être susceptible de porter atteinte à leur croyance ou leur pratique religieuse.

Le bénéfice égal de la loi

La Charte porte que :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Il ne fait aucun doute qu’un crédit d’impôt est un avantage conféré par la loi, et il ne fait aucun doute que le paragraphe 118(1) accorde à un couple contribuable non marié qui a un enfant un avantage supérieur à celui dont bénéficie un couple marié dont les circonstances sont les mêmes. La requérante fait valoir que le paragraphe 118(1) [traduction] « exerce une discrimination fondée sur le motif énuméré de la religion à cause de son incidence différente et négative sur les personnes dont les croyances religieuses les obligent à être mariées avec la personne avec laquelle elles vivent et ont des enfants » et, de plus, que cette disposition exerce une discrimination fondée sur l’état matrimonial, [traduction] « spécifiquement au désavantage des femmes mariées qui ont des enfants », l’état matrimonial étant un motif analogue aux motifs énumérés au paragraphe 15(1).

a.         La religion

Le paragraphe 118(1) reconnaît la capacité de paiement d’impôt réduite des contribuables qui ont des personnes à leur charge, et accorde des crédits d’impôt qui sont fondés sur la situation personnelle et familiale de chaque contribuable. Tous les contribuables qui sont mariés, qui cohabitent avec leur conjoint, qui ne subviennent pas aux besoins de celui-ci ou dont le conjoint ne subvient pas à leurs besoins, et qui subviennent aux besoins d’un enfant issu du mariage ont droit au même crédit d’impôt. Les contribuables qui subviennent aux besoins de plus d’un enfant ont droit à un crédit d’impôt plus élevé. Il importe absolument peu que ce soit juste par conviction religieuse que les deux membres d’un couple ayant un enfant demeurent mariés et habitent ensemble, qu’il s’agisse de l’une des raisons pour lesquelles ils le font, ou que cela n’ait absolument rien à voir avec leur décision. Les différences dans les crédits d’impôt visés au paragraphe 118(1) n’ont rien à voir avec la religion. Le fait que l’on prévoie des crédits d’impôt différents à cause de circonstances familiales et personnelles différentes ne peut être qualifié de mesure discriminatoire fondée sur la religion.

La cause de la requérante s’appuie forcément sur le fait que sa conviction religieuse—et celle de son époux—est la seule raison pour laquelle elle continue d’habiter avec son conjoint. Il n’y a pas que la liberté de religion et de conscience et l’égalité devant la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur la religion, que garantit la Charte qui ont été banalisées.

b.         L’état matrimonial

L’inégalité de bénéfice de la loi ne résulte, ni simplement ni autrement, de l’état matrimonial de la requérante. C’est la naissance de l’enfant qui a donné lieu à une inégalité marquée. Étant donné qu’il n’existe aucune preuve quant au revenu que touche le conjoint de la requérante, rien ne permet de conclure que, sans l’enfant, le crédit d’impôt total accordé à l’époux et à l’épouse aurait été nettement différent si l’un des deux avait eu droit au crédit prévu par l’alinéa 18(1)a) ou si les deux avaient eu droit au crédit visé à l’alinéa c). La présente affaire repose sur la thèse selon laquelle la discrimination relative au bénéfice égal de la loi est imputable au fait que la requérante n’a pas eu droit à un crédit pour elle-même et l’enfant en application de l’alinéa b) mais qu’elle a eu droit à un crédit pour elle-même en vertu de l’alinéa c) et pour l’enfant en vertu de l’alinéa d). À mon humble avis, on ne peut régler cette affaire en acceptant, ne serait-ce qu’à titre d’exemple, que l’état matrimonial est un motif analogue à ceux qui sont énumérés au paragraphe 15(1).

La Cour suprême du Canada a sanctionné le point de vue des « motifs énumérés et analogues » pour ce qui est de déterminer le rôle du paragraphe 15(1) dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia[10]. On trouve dans la décision rendue par la Cour dans l’affaire R. c. Turpin[11], sous la plume de Madame le juge Wilson, un énoncé utile de cette sanction.

Le juge McIntyre reconnaît dans l’arrêt Andrews que le « point de vue [...] “des motifs énumérés et analogues” correspond davantage aux fins de l’art. 15 et à la définition de la discrimination exposée auparavant » (p. 182) et il laisse entendre que les personnes qui seraient victimes de discrimination dans l’affaire Andrews, c.-à-d. celles qui n’ont pas la citoyenneté et qui résident en permanence au Canada constituent « un bon exemple [... d’une] “minorité discrète et isolée” visée par la protection de l’art. 15 » (p. 183). De même, j’ai laissé entendre, dans les motifs de jugement que j’ai rédigés dans l’affaire Andrews, que la conclusion relative à la question de savoir si un groupe relève d’une catégorie analogue à celles qui sont expressément énumérées à l’art. 15 « ne peut pas être tirée seulement dans le contexte de la loi qui est contestée mais plutôt en fonction de la place occupée par le groupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société » (p. 152). Si l’on ne tient pas compte du contexte général, l’analyse fondée sur l’art. 15 peut devenir un processus de classification mécanique et stérile qui dépendra exclusivement du texte de loi contesté.

Après avoir rejeté la thèse, acceptée antérieurement par plusieurs cours d’appel provinciales, selon laquelle le paragraphe 15(1) prescrit que « le droit criminel s’applique également partout au pays », Madame le juge Wilson a ajouté ceci, à la page 1334 du recueil :

Selon moi, l’art. 15 commande une analyse cas par cas comme celle qu’a entreprise cette Cour dans l’affaire Andrews quand il s’agit de déterminer 1) si une distinction créée par la disposition législative contestée engendre une violation de l’un des droits à l’égalité et, dans l’affirmative, 2) si la distinction est discriminatoire de par son objet ou son effet.

Le juge en chef Lamer a aussi décrit la manière convenable de considérer le paragraphe 15(1) dans l’arrêt R. c. Swain[12].

La cour doit d’abord déterminer si le plaignant a démontré que l’un des quatre droits fondamentaux à l’égalité a été violé (i.e. l’égalité devant la loi, l’égalité dans la loi, la même protection de la loi et le même bénéfice de la loi). Cette analyse portera surtout sur la question de savoir si la loi fait (intentionnellement ou non) entre le plaignant et d’autres personnes une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Ensuite, la cour doit établir si la violation du droit donne lieu à une « discrimination ». Cette seconde analyse portera en grande partie sur la question de savoir si le traitement différent a pour effet d’imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres. De plus, pour déterminer s’il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, la cour doit considérer si la caractéristique personnelle en cause est visée par les motifs énumérés dans cette disposition ou un motif analogue, afin de s’assurer que la plainte correspond à l’objectif général de l’art. 15, c’est-à-dire corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne.

Étant donné que le paragraphe 15(1) commande une analyse cas par cas, je suis d’avis que, si l’on est contraint de conclure qu’un groupe est effectivement visé par un motif analogue, il convient de définir ce dernier en fonction précise du groupe en question même si le législateur peut avoir reconnu l’existence d’un groupe inclusif plus étendu pour les besoins des lois sur les droits de la personne. La distinction qui existe entre la Charte et les lois sur les droits de la personne a été relevée dans l’arrêt Andrews, à la page 175 du recueil.

... la discrimination dont il est question au par. 15(1) est restreinte à celle qui découle de l’application de la loi alors que les lois sur les droits de la personne s’appliquent aussi aux activités de nature privée. De plus, et il s’agit d’une distinction plus importante, toutes les lois sur les droits de la personne adoptées au Canada spécifient un certain nombre restreint de motifs prohibés de discrimination. Il n’en est pas de même au par. 15(1) de la Charte.

Le point de vue des motifs énumérés et analogues a été retenu parce qu’il s’agit de celui qui est le plus conforme aux objets de l’article 15 et à la définition de la discrimination. La définition acceptée, qui est donnée par le juge McIntyre dans l’arrêt Andrews, à la page 174 du recueil, est la suivante :

... la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.

Voici ce qu’indique à ce sujet Madame le juge Wilson (aux pages 152 et 153 de l’arrêt Andrews) :

Je crois également qu’il importe de souligner que l’éventail des minorités discrètes et isolées a changé et va continuer à changer avec l’évolution des circonstances politiques et sociales. Par exemple, en 1938, le juge Stone se disait préoccupé par les minorités religieuses, nationales et raciales[13]. En énumérant des motifs précis à l’art. 15, les rédacteurs de la Charte ont envisagé ces préoccupations en 1982, mais ils se sont aussi attardés aux difficultés que connaissent les gens défavorisés en raison de leur origine ethnique, de leur couleur, de leur sexe, de leur âge et de déficiences mentales ou physiques. On peut prévoir que les minorités discrètes et isolées de demain vont comprendre des groupes qui ne sont pas reconnus comme tels aujourd’hui.

Selon mon avis respectueux, l’analyse qui ressort des trois arrêts Swain, Andrews et Turpin n’est pas un examen consécutif de la question de savoir si 1), comme c’est le cas en l’espèce par exemple, l’état matrimonial est un motif analogue aux motifs énumérés au paragraphe 15(1) pour une raison valable qui est sans rapport avec la doléance en question, c’est-à-dire les désavantages historiques dont sont victimes les mères non mariées, et, ensuite 2) si la distinction en question traite ou non des différents contribuables d’une manière discriminatoire pour ce motif analogue. C’est plutôt en déterminant si le traitement différent que commande le paragraphe 118(1) est discriminatoire qu’il faut décider si la requérante et d’autres personnes dans la même situation qu’elle sont définies par des caractéristiques personnelles, comme elles le sont manifestement, et, dans l’affirmative, si ces caractéristiques personnelles sont analogues à celles des motifs énumérés—analogues dans le sens qu’elles aussi définissent une minorité discrète et isolée habituellement défavorisée par ces caractéristiques. Autrement dit, qu’une cour juge ou non qu’une mesure discriminatoire viole le paragraphe 15(1), elle n’est pas invitée à proclamer qu’un motif analogue constitue une catégorie étendue, ce qui a peut-être été invoqués, de la même manière que les motifs énumérés ont eux-mêmes été énoncés; elle est plutôt invitée à définir le motif en fonction de la minorité discrète et isolée que la preuve désigne. Ce que l’on est tenu de désigner n’est pas, à strictement parler, un « motif analogue » dans le sens ordinaire de cette expression, mais plutôt une minorité discrète et isolée que distingue une caractéristique personnelle analogue à celles que comportent les motifs énumérés. En fait, cette optique semble être celle qu’a adoptée et que prône la Cour suprême, par exemple : les « personnes qui n’ont pas la citoyenneté et qui résident en permanence au Canada » dans l’arrêt Andrews et, dans l’arrêt Turpin, « les personnes accusées des actes criminels énumérés à l’art. 427 du Code criminel dans toutes les provinces sauf l’Alberta ». On ne trouve dans ces décisions aucune définition d’un motif analogue qui aille au-delà de l’identification du groupe.

Il me semble qu’en l’espèce, si le juge suppléant avait suivi la démarche que prône et qu’applique la Cour suprême, il n’aurait pas jugé nécessaire de décréter que « [l]’état matrimonial ... se situe dans la portée de ce paragraphe [15(1)] à titre de motif analogue » avant de décider, à juste titre selon moi, que la distinction en litige ne constituait pas une mesure discriminatoire tombant sous le coup du paragraphe 15(1). De la même façon, je ne critique pas le résultat auquel est arrivé le juge local de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans la décision Re MacVicar and Superintendent of Family & Child Services et al[14]. Il me semble toutefois que si le juge avait suivi la démarche de la Cour suprême du Canada, elle n’aurait pas estimé nécessaire de déclarer que l’état matrimonial constitue un motif analogue en décidant que les pères naturels d’enfants donnés en adoption par leurs mères non mariées constituent une minorité discrète et isolée, privée historiquement des avantages sociaux et juridiques rattachés à la condition parentale et traitée inégalement par les dispositions législatives en cause.

Le désavantage dont il est fait état en l’espèce toucherait bien sûr autant le père que la mère si c’était lui, plutôt qu’elle, qui chercherait à se prévaloir du crédit d’impôt en question, toutes les autres circonstances étant les mêmes. Dans le contexte de la disposition législative contestée, il est tout à fait impossible de définir la minorité discrète et isolée en termes des femmes.

Il peut y avoir d’autres individus que le paragraphe 118(1) traite différemment suivant les caractéristiques qui leur sont propres, mais le groupe dont il est question en l’espèce est composé de conjoints mariés ayant un enfant issu du mariage, qui vivent ensemble et dont l’un ne subvient pas aux besoins de l’autre. À mon avis, il ne s’agit pas d’un groupe que l’on peut qualifier de défavorisé par la place qu’il occupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société. Il s’ensuit que ce groupe n’est pas une minorité distincte et isolée au sens où l’envisage l’article 15. La distinction que fait le paragraphe 118(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu entre les personnes mariées et les personnes non mariées dans ces mêmes circonstances n’est pas discriminatoire.

Conclusion

Je suis d’avis que le paragraphe 118(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne viole pas le droit de la requérante à l’égalité de bénéfice que lui confère le paragraphe 15(1) de la Charte, et je rejetterais cette demande.

Le juge suppléant Gray : Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris au résultat auquel est arrivé le juge Mahoney, mais la voie que je suivrais pour y parvenir est quelque peu différente.

Il s’agit d’une demande d’une contribuable pour que soit soumise à un contrôle judiciaire une décision de la Cour canadienne de l’impôt, au motif que l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu viole la Charte canadienne des droits et libertés en portant atteinte à sa liberté de religion (alinéa 2a)) et en la privant du même bénéfice de la loi du fait de son état matrimonial et de sa religion (paragraphe 15(1)).

La requérante, qui était mariée et vivait avec son époux et un jeune enfant, s’était prévalue, pour l’enfant à sa charge, de ce que l’on appelle communément le crédit « équivalent à celui de personne mariée » qui est visé à l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le ministre a rejeté ce crédit parce que les personnes mariées qui vivent avec leur conjoint n’y ont pas droit. La requérante a fait valoir que si elle avait simplement cohabité avec son conjoint, il lui aurait été possible de se prévaloir dudit crédit. À cause de cela, la contribuable a payé plus d’impôt qu’elle aurait versé si elle n’avait pas été mariée. La contribuable a interjeté appel de la nouvelle cotisation du ministre relative à l’année 1989 devant la Cour canadienne de l’impôt, mais sans succès, et elle soumet maintenant la présente demande de contrôle judiciaire en application de l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8)].

Explication Des Dispositions de La Loi de l’impôt sur le revenu

Avant d’examiner les questions d’ordre constitutionnel qui sont en jeu, il convient de décrire les dispositions fiscales contestées. Voici les extraits pertinents de la Loi de l’impôt sur le revenu.

118. (1) Le produit obtenu en multipliant le total des montants visés aux alinéas a) à d) par le taux de base pour l’année est déductible dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition :

a) si, au cours de l’année, le particulier est marié et subvient aux besoins de son conjoint, le total de 6 000 $ et du montant calculé selon la formule suivante :

5 000 $—(C—500 $)

C    représente le plus élevé soit de 500 $, soit du revenu du conjoint pour l’année ou, si le particulier et son conjoint vivent séparés à la fin de l’année pour cause d’échec du mariage, du revenu du conjoint pour l’année pendant le mariage et alors qu’ils ne vivaient pas séparés;

b) le total de 6 000 $ et du montant calculé selon la formule suivante :

5 000 $—(D—500 $)

D    représente le plus élevé de 500 $ ou du revenu d’une personne à charge pour l’année

si le particulier n’a pas droit à la déduction prévue à l’alinéa a) et si, à un moment de l’année :

(i) il n’est pas marié ou, s’il l’est, ne vit pas avec son conjoint ni ne subvient aux besoins de celui-ci, pas plus que son conjoint ne subvient à ses besoins, et

(ii) il tient, seul ou avec une ou plusieurs autres personnes, et habite un établissement domestique autonome où il subvient réellement aux besoins d’une personne qui, à ce moment :

A) réside au Canada, sauf s’il s’agit d’un enfant du particulier,

B) est entièrement à la charge soit du particulier, soit du particulier et d’une ou plusieurs de ces autres personnes,

C) est liée au particulier, et

D) sauf s’il s’agit du père, de la mère, du grand-père ou de la grand-mère du particulier, est soit âgée de moins de 18 ans, soit à charge en raison d’une infirmité mentale ou physique

c) 6 000 $, sauf si le particulier a droit à une déduction en application de l’alinéa a) ou b);

d) le montant suivant pour chaque personne à charge du particulier pour l’année :

(i) pour chacune des deux premières personnes à charge âgée de moins de 18 ans à un moment de l’année, le montant calculé selon la formule suivante :

388 $—(E—2 500 $)

E    représente le plus élevé de 2 500 $ ou du revenu de la personne à charge pour l’année, le montant de 388 $ étant doublé pour la troisième personne ainsi à charge et chacune des suivantes,

(ii) si la personne est à charge en raison d’une infirmité mentale ou physique et que le sous-alinéa (i) ne s’applique pas à celle-ci, le montant calculé selon la formule suivante :

1 471 $—(F—2 500 $)

F    représente le plus élevé de 2 500 $ ou du revenu de la personne à charge pour l’année.

On ne peut dire que ces dispositions se passent d’explications. L’alinéa 118(1)a) prévoit ce que l’on appelle le crédit de personne mariée. Seule une personne qui est mariée et qui subvient aux besoins de son conjoint peut se prévaloir de ce crédit de 6 000 $ plus la somme (rajustée) de 5 000 $. En 1989, c’est-à-dire l’année dont il est question en l’espèce, la valeur maximale de ce crédit était une économie d’impôt de 859 $ (impôt provincial exclu).

Sous réserve des limites précisées, l’alinéa 118(1)b) accorde un crédit analogue au contribuable qui subvient aux besoins d’une personne entièrement à charge. Ce crédit, auquel on donne habituellement le nom de crédit équivalent à celui de personne mariée, est fondé sur la même formule de calcul que celle qui permet de déterminer le crédit de personne mariée et vaut lui aussi une économie d’impôt d’un montant maximal de 859 $. L’économie de la Loi requiert qu’une personne qui est mariée et vit avec son conjoint ne peut se prévaloir du crédit équivalent à celui de personne mariée. Celui-ci ne peut être demandé que par une personne célibataire, veuve, divorcée ou séparée. Pour avoir droit à ce crédit, le contribuable doit avoir subvenu aux besoins d’une personne vivant dans le même domicile que lui et qui est entièrement à la charge du contribuable et des autres personnes vivant dans ce domicile. La personne à charge et le contribuable doivent être liés par les liens du sang ou du mariage ou par adoption, ce qui exclut un certain nombre de types différents de relation de dépendance, y compris les conjoints de fait et les conjoints homosexuels, aussi bien masculins que féminins, qui, en raison de cela, ne peuvent se prévaloir pour l’un et pour l’autre d’un crédit équivalent à celui de personne mariée; ils peuvent toutefois le faire pour un enfant qu’ils élèvent ou un handicapé physique ou mental dont ils prennent soin. (Au sujet de la discrimination présumée fondée sur l’âge, voir la décision Mercier (M.) c. M.R.N., [1992] 1 C.T.C. 2506 (C.C.I.), actuellement en appel.)

Aux termes de l’alinéa 118(1)c), les personnes qui n’ont pas droit au crédit de personne mariée ou au crédit équivalent à celui de personne mariée peuvent cependant demander le crédit de personne vivant seule, dont le montant est de 6 000 $. C’est donc dire que si deux personnes vivent ensemble et que toutes deux travaillent, chacune peut déduire la somme de 6 000 $ à la condition de ne pas être visée par les dispositions des alinéas 118(1)a) ou b).

De plus, n’importe quel contribuable peut se prévaloir, pour toute personne à charge supplémentaire dont il subvient aux besoins, d’un crédit de personne à charge visé à l’alinéa 118(1)d). Cependant, le montant accordé est nettement inférieur au crédit de personne mariée et au crédit équivalent à celui de personne mariée.

Le projet de loi C-92 [Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada, La Loi sur l’interprétation des conventions en matière d’impôts sur le revenu, la Loi sur la cession du droit au remboursement en matière d’impôt, la Loi sur l’assurance-chômage et certaines lois connexes, L.C. 1993, ch. 24, art. 52] a récemment modifié la manière dont le système des crédits d’impôt visé par l’article 118 de la Loi de l’impôt sur le revenu traite les conjoints de fait. Les définitions des mots « conjoint » et « mariage », à l’article 252 de la Loi, ont été modifiées [mod., idem , art. 240] de manière à englober les conjoints de fait, et ce, à compter de l’année d’imposition 1993. Par suite de ces changements, les conjoints de fait ont dorénavant droit au crédit de personne mariée visé à l’alinéa 118(1)a) de la Loi et ne peuvent plus se prévaloir du crédit équivalent à celui de personne mariée prévu à l’alinéa 118(1)b), qui a donné lieu, en l’espèce, à la plainte concernant une inégalité de traitement.

Il va sans dire que ces modifications récentes ne régissent pas les circonstances de l’espèce, puisqu’il est question, dans la présente affaire, de la déclaration d’impôt de la requérante pour 1989. Avant l’année d’imposition 1993, les crédits prévus à l’article 118 de la Loi ne tenaient pas entièrement compte des unions de fait ou d’autres relations de dépendance analogues et, à cet égard, n’étaient pas tout à fait en harmonie les uns avec les autres. Il arrivait donc que des conjoints de fait se trouvent dans une situation plus avantageuse que des conjoints mariés, et vice versa. Par exemple, un contribuable marié qui subvenait aux besoins de son conjoint était en mesure de se prévaloir du crédit de personne mariée visé à l’alinéa 118(1)a) si le conjoint gagnait moins de 5 553 $. Dans les mêmes circonstances, un contribuable vivant en union de fait ne pouvait se prévaloir d’aucun crédit pour un conjoint à charge. Dans une telle situation, le contribuable marié bénéficiait d’un avantage supérieur (ou d’un fardeau moindre) sous le régime de l’article 118. (Voir la décision Bailey et al. c. Ministre du revenu national (1980), 1 C.H.R.R. D/193 (T.C.O.P.).)

Par contraste, lorsqu’un couple marié avait un enfant à charge, les deux conjoints ne pouvaient demander pour celui-ci le crédit équivalent à celui de personne mariée, car ils n’avaient droit qu’au crédit de personne mariée. En revanche, quand deux conjoints de fait avaient un enfant à charge, l’un des deux avait droit au crédit équivalent à celui de personne mariée visé à l’alinéa 118(1)a), à la condition que l’enfant en question ne gagne pas un revenu supérieur à 5 553 $. Dans ces circonstances, les contribuables vivant en union de fait bénéficiaient, sous le régime de l’article 118 de la Loi, d’un avantage supérieur (ou d’un fardeau moindre) par rapport aux personnes mariées. Ainsi, à cause de la définition désuète du mot « conjoint », dans certains cas, c’étaient les personnes mariées qui étaient favorisées, et, dans d’autres, les personnes non mariées.

Il existe bien sûr de nombreuses autres situations que l’on pourrait comparer, mais il serait plus déroutant que révélateur de les passer en revue. Je me contenterai de dire que le système des crédits d’impôt visés à l’article 118 de la Loi de l’impôt sur le revenu ne traite d’une manière uniforme ni les contribuables mariés ni les contribuables non mariés. En fait, cet article et d’autres articles analogues dans des versions antérieures de la Loi de l’impôt sur le revenu, ici comme ailleurs, ont été l’objet de controverses et de litiges permanents, une situation que met en lumière le fait que la présente action est introduite par une contribuable mariée qui conteste l’article 118 pour des motifs d’ordre constitutionnel, tandis que dans l’affaire Bailey c. M.R.N., précitée, la disposition qui a précédé l’article 118 était contestée par des conjoints de fait pour des motifs analogues, dans le cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77, ch. 33]. Pour une analyse générale de ces questions, voir Boris Bittker « A Comprehensive Tax Base as a Goal of Income Tax Reform », (1967), 80 Harv. L. Rev. 925; Edward McCaffery « Taxation and the Family : A Fresh Look at Behavioral Gender Biases in the Code » (1993), 40 UCLA L. Rev. 983; et Grace Blumberg « Sexism in the Code : A Comparative Study of Income Taxation of Working Wives and Mothers » (1972), 21 Buff. L. Rev. 49. Cette controverse se poursuivra vraisemblablement jusqu’au jour où l’on découvrira un critère plus précis qui permettra de déterminer la manière de traiter convenablement, au point de vue fiscal, les relations de dépendance dans cette époque en évolution que nous traversons aujourd’hui. Dans l’intervalle, les tribunaux seront confrontés à la tâche ardue de déterminer quelles dispositions de la Loi sont discriminatoires et lesquelles, imparfaites peut-être, sont acceptables.

Les Faits

En 1989, la requérante a gagné un revenu de 12 469 51 $, sous forme d’intérêts surtout. Elle ne subvenait pas aux besoins de son époux, Walter Schachtschneider, ingénieur de profession. De ce fait, la requérante n’avait pas le droit de demander un crédit d’impôt de personne mariée en vertu de l’alinéa 118(1)a), qui exige que le contribuable subvienne aux besoins d’un conjoint. Dans sa déclaration d’impôt pour 1989, la requérante a déduit, pour l’enfant à sa charge, un crédit d’impôt « équivalent à celui de personne mariée » en application de l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ce crédit permet aux contribuables non mariés (ou aux contribuables mariés ne vivant pas avec un conjoint, qui ne subviennent pas aux besoins de leur conjoint ou dont le conjoint ne subvient pas à leurs besoins) de se prévaloir d’un crédit pour personne à charge, sous réserve de certaines restrictions qui excluent, notamment, les conjoints de fait. Par conséquent, aux termes de la Loi, les personnes mariées qui vivent avec leur conjoint n’ont droit qu’au crédit de personne mariée visé à l’alinéa 118(1)a) de la Loi, à la condition de satisfaire aux exigences précises qui sont énoncées dans cette disposition. La requérante ne satisfaisait pas à l’exigence énoncée à l’alinéa 118(1)a) selon laquelle le contribuable doit avoir subvenu aux besoins d’un conjoint. En conséquence, il lui était impossible de demander le crédit de personne mariée ou le crédit équivalent à celui de personne mariée; elle n’avait le droit de demander, outre l’exemption pour personne vivant seule, que la déduction moins élevée pour son enfant qu’accorde l’alinéa 118(1)d). La contribuable a donc payé environ 1 200 $ d’impôt de plus que le montant qu’elle aurait dû verser si elle n’avait pas été mariée et avait eu le droit de demander, pour son fils, un crédit équivalent à celui de personne mariée.

La requérante soutient que la Loi de l’impôt sur le revenu viole la liberté de religion que lui garantit l’alinéa 2a) de la Charte en ce sens que la Loi lui impose un fardeau financier considérable parce qu’elle adhère à sa religion. La requérante a expliqué qu’elle s’est mariée avec son époux, Walter Schachtschneider, plutôt que de cohabiter simplement avec lui parce que les préceptes de sa religion, l’Église allemande de Dieu, l’interdisent. Le fait de lui refuser un crédit d’impôt parce qu’elle était mariée violait donc sa liberté de religion. Par ailleurs, la requérante a fait valoir que le fait de lui refuser le crédit d’impôt « équivalent à celui de personne mariée » enfreignait aussi son droit à l’égalité du fait de son état matrimonial et de sa religion, aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte. Étant donné que la prétention de la requérante est rejetée quant au fond pour les motifs exposés ci-après, il ne me sera pas nécessaire d’analyser la question de compétence que l’avocat a soulevée. Voyons maintenant les deux arguments d’ordre constitutionnel qui ont été invoqués à propos de la présente demande.

La liberté de religion

La liberté de religion est garantie à l’alinéa 2a) de la Charte :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

a) liberté de conscience et de religion.

Cette disposition a été examinée pour la première fois par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, où le juge en chef Dickson, au nom de la majorité, décrit en termes généraux ce qu’est la liberté de religion [aux pages 336 et 337] :

Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de coutumes et de normes de conduite. Une société libre vise à assurer à tous l’égalité quant à la jouissance des libertés fondamentales et j’affirme cela sans m’appuyer sur l’art. 15 de la Charte. La liberté doit sûrement reposer sur le respect de la dignité et des droits inviolables de l’être humain. Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.

La liberté peut se caractériser essentiellement par l’absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l’État ou par la volonté d’autrui à une conduite que, sans cela, elle n’aurait pas choisi d’adopter, cette personne n’agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu’elle est vraiment libre. L’un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d’ordres directs d’agir ou de s’abstenir d’agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d’action d’autrui. La liberté au sens large comporte l’absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l’ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui, nul ne peut être forcé d’agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.

Si l’on utilise cette description comme toile de fond, la première question qui se pose est celle de savoir si l’objet de l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu viole l’alinéa 2a) de la Charte. À mon avis, non. La Loi de l’impôt sur le revenu est un texte de loi laïc, dénué de tout caractère religieux. Le paragraphe 118(1) de la Loi revêt lui aussi un caractère exclusivement laïc. Chacun des quatre crédits d’impôt différents que prévoit ce paragraphe est axé sur des objectifs qui lui sont propres, mais aucun d’eux n’a pour objet de restreindre la liberté de religion. Ces crédits sont conçus pour garantir que les contribuables conservent un montant minimal de revenu qui leur permet de vivre. Il est évident que cet objectif ne porte pas atteinte à la garantie de liberté de religion. Si l’on examine de plus près le crédit dit « équivalent à celui de personne mariée » visé à l’alinéa 118(1)b ), soit la disposition précise qui est contestée en l’espèce, on constate que son objet est lui aussi tout à fait laïc. Ce crédit, comme les trois autres, reconnaît que les contribuables sont moins en mesure de payer de l’impôt lorsqu’il leur incombe de subvenir aux besoins d’une personne à charge. Aucune fin religieuse n’est associée, de quelque manière que ce soit, aux objectifs que vise l’alinéa 118(1)b).

Mais l’affaire ne s’arrête pas là, car, comme l’explique le juge en chef Dickson dans l’arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la page 752 du recueil :

Même si une loi a un objet régulier, il est encore possible à un justiciable de faire valoir que, de par ses effets, elle porte atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte.

De plus, il faut prendre en considération les effets qui peuvent être non seulement directs mais indirects, non seulement délibérés mais involontaires et non seulement prévisibles mais imprévisibles. Ce point de vue a été clairement exposé dans l’arrêt Edwards Books Ltd., précité, à la page 759 du recueil, où le juge en chef Dickson explique ce qui suit :

Je crois qu’il est sans importance que la coercition soit directe ou indirecte, délibérée ou involontaire, prévisible ou imprévisible. Toute entrave coercitive à l’exercice de croyances religieuses relève potentiellement de l’al. 2a).

Cependant, bien qu’une loi qui comporte une prétendue entrave coercitive à l’exercice, par un individu, d’une religion—ce qui, en réalité, ne signifie pas plus que la loi exerce une certaine influence sur la pratique religieuse de cet individu—puisse peut-être tomber sous le coup de l’alinéa 2a), il est évident que les lois de ce type n’enfreignent pas toutes cet alinéa. Une entrave négligeable ou insignifiante à la religion ne suffit pas pour qu’il y ait violation de l’alinéa 2a); l’entrave doit être suffisamment importante pour risquer de menacer ou menacer effectivement la pratique religieuse de l’individu en question. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, sous la plume du juge en chef Dickson, donne l’explication suivante, à la page 759 du recueil :

L’alinéa 2a) n’exige pas que les législatures éliminent tout coût, si infime soit-il, imposé par l’État relativement à la pratique d’une religion. Autrement, la Charte offrirait une protection contre une mesure législative laïque aussi inoffensive qu’une loi fiscale qui imposerait une taxe de vente modeste sur tous les produits, y compris ceux dont on se sert pour le culte religieux. À mon avis, il n’est pas nécessaire d’invoquer l’article premier pour justifier une telle mesure législative ... La Constitution ne protège les particuliers et les groupes que dans la mesure où des croyances ou un comportement d’ordre religieux pourraient être raisonnablement ou véritablement menacés ... Bref, l’action législative ou administrative qui accroît le coût de la pratique ou de quelque autre manifestation des croyances religieuses n’est pas interdite si le fardeau ainsi imposé est négligeable ou insignifiant. [Passages omis.]

Ces lignes directrices ont été réitérées par Madame le juge Wilson dans l’arrêt R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S. 284, à la page 314 :

L’action législative ou administrative dont l’effet sur la religion est négligeable, voire insignifiant, ne constitue pas à mon avis une violation de la liberté de religion.

Il faut donc plus que des effets « infimes », « négligeables » ou « insignifiants » pour qu’il y ait violation de la Charte.

À mon avis, compte tenu de ces principes, ce paragraphe ne menace réellement pas ou ne pourrait raisonnablement pas menacer la liberté de religion. Tout lien avec la religion en l’espèce est par trop ténu et forcé pour justifier un recours de droit constitutionnel. Soutenir que l’on viole la liberté de religion de la contribuable en la privant d’un crédit d’impôt parce qu’elle s’est mariée avec son époux à cause de ses principes religieux reviendrait à étendre la portée de la garantie au-delà de limites légitimes. Il y a bien d’autres raisons pour lesquelles deux personnes se marient. L’amour, la camaraderie, la tradition, le devoir, la maternité, les pressions sociales ou familiales, des motifs d’ordre économique, etc. Même la situation fiscale d’un individu peut avoir une influence sur cette décision. La religion n’est qu’un motif, qui n’incite que quelques couples à se marier. L’application des lois fiscales ne peut dépendre des raisons pour lesquelles les gens se marient. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a eu raison de déclarer qu’il « serait en fait exagéré de conclure que l’impossibilité de demander ce crédit d’impôt supplémentaire contrevient à une liberté fondamentale de la manière envisagée par l’alinéa 2a) de la Charte ».

Dans la présente affaire, tout effet possible sur la liberté de religion ne peut être qualifié que d’« infime », « négligeable » ou « insignifiant », non pas parce que la somme de 1 200 $ est infime, négligeable ou insignifiante, mais parce que l’effet qu’a le paiement de cette somme sur l’exercice, par la contribuable, de sa religion est infime, négligeable ou insignifiant. S’il est vrai que la contribuable peut avoir à payer un certain montant d’impôt parce qu’elle est mariée, et que c’est peut-être à cause de ses principes religieux qu’elle s’est mariée, il s’agit là d’un effet doublement éloigné de l’exercice de sa religion. Le rapport qu’il y a entre l’article 118 de la Loi de l’impôt sur le revenu et la capacité d’exercer sa religion est trop éloigné pour qu’il y ait violation de la Charte. La requérante ne peut donc contester avec succès l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu en invoquant que le fait de lui refuser le crédit équivalent à celui de personne mariée viole sa liberté de religion.

Le droit à l’égalité

Le paragraphe 15(1) de la Charte porte que :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

La manière convenable d’envisager cette disposition a été résumée par le juge en chef Lamer dans l’arrêt R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, à la page 992 du recueil :

La cour doit d’abord déterminer si le plaignant a démontré que l’un des quatre droits fondamentaux à l’égalité a été violé (i.e. l’égalité devant la loi, l’égalité dans la loi, la même protection de la loi et le même bénéfice de la loi). Cette analyse portera surtout sur la question de savoir si la loi fait (intentionnellement ou non) entre le plaignant et d’autres personnes une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Ensuite, la cour doit établir si la violation du droit donne lieu à une « discrimination ». Cette seconde analyse portera en grande partie sur la question de savoir si le traitement différent a pour effet d’imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres. De plus, pour déterminer s’il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, la cour doit considérer si la caractéristique personnelle en cause est visée par les motifs énumérés dans cette disposition ou un motif analogue, afin de s’assurer que la plainte correspond à l’objectif général de l’art. 15, c’est-à-dire corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne.

Il n’est pas difficile de satisfaire à la première étape du critère, et les faits de l’espèce permettent d’y parvenir. L’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu fait une distinction entre les personnes mariées et les personnes non mariées, et son application favorise le second groupe. Bien que la Loi de l’impôt sur le revenu ne soit normalement pas considérée comme une loi qui confère des avantages, il convient parfaitement de considérer un crédit d’impôt comme un avantage dans le contexte de cette Loi. De toute façon, pour les fins des quatre droits fondamentaux à l’égalité qui sont exposés au paragraphe 15(1), une différence de traitement concernant l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu et le système de crédits d’impôt exposé à l’alinéa 118(1)b) en particulier, constitue une privation du bénéfice égal de la loi. Le premier obstacle que pose le critère visé au paragraphe 15(1) est donc surmonté.

Cependant, pour qu’il y ait violation du paragraphe 15(1), il faut qu’il soit déterminé que la privation d’égalité est discriminatoire. Pour déterminer si une distinction est discriminatoire, il faut tenir compte à la fois de l’effet de cette distinction refuse-t-elle un avantage accordé à d’autres ou impose-t-elle un fardeau non imposé à d’autres? et des circonstances relatives au groupe visé par la distinction ce groupe est-il visé par un motif de discrimination énuméré ou analogue? Il est important de faire ici une distinction entre le motif de discrimination et le groupe qui est victime de discrimination. Ces deux concepts sont directement liés, et sont même subordonnés l’un à l’autre, mais ils sont également distincts à de nombreux égards. Un motif de discrimination est le fondement d’une mesure discriminatoire. Le sexe, la race et l’âge sont des exemples de motifs de discrimination énumérés au paragraphe 15(1); ce dernier interdit aussi les actes de discrimination fondés sur des motifs analogues. Un motif de discrimination ne fait pas nécessairement référence à un groupe particulier. Par exemple, la discrimination fondée sur la race est prohibée, mais un grand nombre de groupes raciaux différents peuvent être victimes de discrimination de toutes sortes de façons différentes; le fait d’indiquer la race comme motif illicite n’indique aucunement si le groupe en question est composé de Canadiens d’origine africaine, de Canadiens d’origine asiatique, de Canadiens d’origine européenne, de Canadiens d’origine sud-américaine, de Canadiens d’origine autochtone, etc. De même, lorsque le sexe est le motif de discrimination, le groupe touché est soit les hommes soit les femmes.

Cependant, bien qu’un motif de discrimination ne désigne pas nécessairement le groupe contre lequel s’exerce la discrimination, le groupe qui est visé par un motif de discrimination doit pouvoir, directement ou indirectement, être victime de discrimination pour la raison que désigne le motif. Les femmes peuvent être victimes de discrimination du fait de leur sexe, mais pas les Canadiens d’origine autochtone, encore que les Canadiennes d’origine autochtone puissent certainement être victimes de discrimination du fait de leur sexe.

Tant le motif de discrimination que le groupe contre lequel s’exerce la discrimination sont importants au regard du paragraphe 15(1). Il importe de déterminer le motif de discrimination pour savoir si la prétention tombe sous le coup du paragraphe 15(1). Il est également nécessaire de prendre en considération le groupe qui dit être victime de discrimination car les circonstances historiques, sociales et politiques de ce dernier ont une incidence sur la question de savoir si une distinction défavorable est discriminatoire ou non.

Le motif de discrimination et le groupe contre lequel s’exerce la discrimination sont liés, et ce fait est particulièrement important pour déterminer si un motif de distinction constitue un motif analogue aux fins du paragraphe 15(1). Cela a été expliqué par Madame le juge Wilson dans l’arrêt Andrews, précité, à la page 152 du recueil, en décrivant la manière convenable de décider si un motif de distinction constitue un motif analogue ou non :

Je tiens en outre à souligner qu’il s’agit là d’une conclusion qui ne peut pas être tirée seulement dans le contexte de la loi qui est contestée mais plutôt en fonction de la place occupée par le groupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société.

Par conséquent, pour vérifier si une distinction repose sur un motif analogue, une cour doit examiner la loi qui s’applique afin de déterminer le fondement de la distinction; cependant, elle doit ensuite considérer si la caractéristique collective qui constitue le fondement de cette distinction est une caractéristique sur laquelle s’appuient ou sont susceptibles de s’appuyer des préjugés politiques et sociaux, des stéréotypes ou des désavantages historiques. Il est nécessaire à cette fin d’examiner la place qu’occupent dans la société les groupes associés au motif de discrimination en question afin de vérifier si ces derniers sont défavorisés d’un point de vue historique, social ou politique, ou s’ils forment une « minorité discrète et isolée ».

Il est important de comprendre le lien qui existe entre le motif de discrimination et le groupe contre lequel s’exerce la discrimination, mais il faut aussi différencier les deux, car cela permet à une cour d’utiliser l’un des deux comme point de référence pour déterminer l’autre. Le fait d’indiquer le motif de discrimination applicable est un point de référence utile pour déterminer quel est le groupe visé aux fins du paragraphe 15(1). De la même façon, le fait d’identifier un groupe sur lequel une loi a un effet préjudiciable distinct ou disproportionné aidera à indiquer le motif de discrimination exact. Le groupe que vise le paragraphe 15(1) peut être plus vaste ou plus restreint que la catégorie d’individus que classe la loi en question. Dans le cadre d’une loi qui exclut une catégorie d’individus composée d’un certain nombre de groupes différents, l’un de ces derniers peut être exclu par suite d’une mesure discriminatoire tandis que d’autres peuvent l’être légitimement. Lorsqu’un motif de discrimination reconnu—qu’il s’agisse d’un motif énuméré ou d’un motif analogue—est la raison pour laquelle un groupe particulier est exclu, une cour peut se reporter au motif de discrimination pour déterminer si ce groupe est celui qui s’applique aux fins du paragraphe 15(1). Dans ce cas, le motif de discrimination aide à cerner le groupe pertinent au sein de la catégorie plus générale sur laquelle la loi a un effet préjudiciable. Subsidiairement, la catégorie d’individus qu’une loi exclut peut être plus restreinte que le groupe pertinent aux fins du paragraphe 15(1). C’est ce qui est arrivé dans l’affaire Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, où la Cour suprême a analysé le programme d’avantages sociaux d’une entreprise qui exerçait de la discrimination contre les femmes enceintes. Cette entreprise, Canada Safeway Ltd., a soutenu que le programme exerçait effectivement de la discrimination contre les femmes enceintes, mais que la Loi sur les droits de la personne [S.M. 1974, ch. 65] n’interdisait pas la discrimination fondée sur la grossesse. La Cour suprême a toutefois décrété qu’étant donné que seules les femmes deviennent enceintes, une distinction fondée sur la grossesse est assimilable à une distinction fondée sur le motif illicite du sexe. Dans l’arrêt Brooks, la Cour a évité de restreindre le groupe pertinent aux femmes enceintes uniquement et a plutôt reconnu que le groupe pertinent était les femmes et que le motif illicite était celui du sexe. La Cour suprême a recouru à une analyse similaire dans l’arrêt Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, pour décréter que le harcèlement sexuel constitue un acte de discrimination fondé sur le motif illicite du sexe; la Cour a cependant déclaré que les femmes ne sont pas toutes victimes de harcèlement sexuel.

Il est difficile de déterminer quel est le juste motif de discrimination et le groupe pertinent pour les besoins du paragraphe 15(1). Il peut s’agir aussi de l’étape la plus importante de l’analyse menée dans le cadre de l’article 15. Par conséquent, au lieu de définir le groupe pertinent de façon trop étroite ou trop large pour éviter de conclure à une discrimination, une cour devrait habituellement employer le motif déclaré de discrimination pour identifier un groupe qui peut être victime d’une discrimination fondée sur ce motif énuméré ou analogue. Autrement dit, une cour devrait appliquer l’article 15 pour promouvoir l’égalité et réparer une situation discriminatoire plutôt que pour éviter d’avoir à conclure à l’existence d’une discrimination.

En ce qui concerne les faits de l’espèce, l’état matrimonial était le principal motif de discrimination invoqué par l’avocat de la requérante. L’état matrimonial ne fait pas partie de la liste des motifs de discrimination illicites énumérés au paragraphe 15(1). Cependant, il est aujourd’hui reconnu que les motifs de discrimination énumérés ne sont pas exhaustifs mais plutôt représentatifs; le paragraphe 15(1) interdit la discrimination fondée à la fois sur les motifs énumérés et sur des motifs analogues à ceux qui sont énumérés dans cette disposition. Les motifs analogues doivent être traités de la même façon que les motifs énumérés. Les motifs de discrimination doivent être interprétés au sens large, qu’ils soient énumérés ou analogues. Ce faisant, une cour peut se reporter à l’imposante jurisprudence relative à la législation des droits de la personne au Canada. Toutefois, dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, précité, à la page 175 du recueil, le juge McIntyre déclare qu’étant donné que les motifs de discrimination énumérés sont exhaustifs dans les diverses lois sur les droits de la personne mais non dans la Charte, il faudrait éviter de restreindre inutilement la portée de l’article 15 quand on se fonde sur la jurisprudence relative aux droits de la personne. Voici ce qu’a expliqué le juge McIntyre :

De façon générale, on peut affirmer que les principes qui ont été appliqués en vertu des lois sur les droits de la personne s’appliquent également à l’examen des questions de discrimination au sens du par. 15(1). Il faut cependant tenir compte de certaines distinctions qui découlent de la différence entre la Charte et les lois sur les droits de la personne. D’abord, la discrimination dont il est question au par. 15(1) est restreinte à celle qui découle de l’application de la loi alors que les lois sur les droits de la personne s’appliquent aussi aux activités de nature privée. De plus, et il s’agit d’une distinction plus importante, toutes les lois sur les droits de la personne adoptées au Canada spécifient un certain nombre restreint de motifs prohibés de discrimination. Il n’en est pas de même au par. 15(1) de la Charte. Les motifs énumérés au par. 15(1) ne sont pas exclusifs et les restrictions, le cas échéant, que la jurisprudence pourra apporter aux motifs de discrimination ne sont pas encore précisées. Les motifs énumérés traduisent cependant les pratiques de discrimination les plus courantes, les plus classiques et vraisemblablement les plus destructrices socialement, et ils doivent, selon le par. 15(1), recevoir une attention particulière. Les motifs énumérés eux-mêmes et les autres motifs possibles de discrimination reconnus au par. 15(1) doivent, dans les deux cas, recevoir une interprétation large et libérale de manière à refléter le fait qu’il s’agit de dispositions constitutionnelles qu’il n’est pas facile d’abroger ou de modifier, mais qui visent à fournir un « cadre permanent à l’exercice légitime de l’autorité gouvernementale » et, par la même occasion, à « la protection constante » des droits à l’égalité.

Par conséquent, lorsque l’on détermine si une caractéristique peut être considérée comme un motif analogue pour les fins du paragraphe 15(1), la Cour peut se reporter aux lois sur les droits de la personne au Canada, mais elle ne devrait pas limiter les motifs possibles à ceux qui sont énumérés dans ces lois.

L’état matrimonial fait partie des motifs illicites de discrimination dans les lois sur les droits de la personne des dix provinces et des deux territoires, ainsi que dans la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6]. De plus, l’état matrimonial a été reconnu comme un motif analogue dans l’affaire Re MacVicar and Superintendent of Family & Child Services et al. (1986), 34 D.L.R. (4th) 488 (C.S.C.-B.), aux pages 498 et 499 où Madame le juge Huddart s’est appuyée, en partie, sur le passage suivant, extrait d’un rapport du Comité parlementaire sur les droits à l’égalité, intitulé « Égalité pour tous » :

Selon nous, il convient de lire l’article 15 de la Charte dans le contexte de l’évolution historique du statut juridique de la femme mariée en se rappelant que, au niveau tant national qu’international, il est généralement admis que l’État se doit de protéger la cellule conjugale et, bien souvent, la famille. En conséquence, bien que ni l’état matrimonial ni la situation de famille ne soient expressément énoncés dans la liste des motifs de discrimination illicite figurant à l’article 15, on peut affirmer qu’ils sont implicitement couverts par cet article de la Charte.

Voilà une conclusion sensée. La discrimination fondée sur l’état matrimonial, à l’instar de celle qui est fondée sur les motifs énumérés au paragraphe 15(1), est un problème dans notre société que la Charte devrait rectifier. Les personnes non mariées se sont certainement heurtées, d’un point de vue historique, à des désavantages et à de la discrimination du fait de leur état matrimonial. Il est donc justifié de considérer l’état matrimonial comme un motif analogue aux fins de l’article 15. (Voir aussi la décision Weronski (J.H.) c. M.R.N., [1991] 2 C.T.C. 2431 (C.C.I.), à la page 2440.)

Comme je l’ai indiqué, il ne faudrait pas confondre le motif de discrimination l’état matrimonial et le groupe qui soutient être victime de discrimination les personnes mariées. C’est donc dire que si l’état matrimonial peut être reconnu comme un motif analogue, pour déterminer s’il y a eu discrimination fondée sur ce motif il faut examiner les circonstances particulières du groupe auquel appartient le plaignant. Dans la présente affaire, la requérante dit être victime de discrimination parce qu’elle est mariée; cependant, on ne peut dire que les personnes mariées ont été défavorisées au Canada d’un point de vue social, politique ou historique (R. c. Swain, arrêt précité, à la page 992). Au contraire, il est fort possible que les membres de notre société qui sont mariés jouissent de certains privilèges et avantages du fait de leur état. Les personnes mariées ne constituent pas une minorité discrète et isolée, pas plus qu’il ne s’agit d’un groupe indépendamment défavorisé.

L’avocat de la requérante a fait valoir que les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu défavorisent habituellement les personnes mariées. (Voir Morrison et Oderkirk, Married and Unmarried Couples : The Tax Question (1991).) Cependant, à ce stade-ci de l’analyse, la question qui se pose n’est pas celle de savoir si le texte de loi contesté défavorise l’individu ou le groupe en question, mais plutôt si l’individu ou le groupe est indépendamment défavorisé, de manière à ce qu’il corresponde à l’objet premier de l’article 15, qui est de mettre fin ou faire obstacle à la discrimination exercée contre les groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques et de préjugés politiques et sociaux au sein de la société canadienne. Les personnes mariées ne correspondent pas à cette description et, de ce fait, ne peuvent être considérées comme victimes de discrimination du simple fait que l’alinéa 118(1)b) les traite d’une manière différente. (L’avocat de la requérante a soulevé la question distincte de savoir si, dans ce contexte, les femmes mariées sont victimes d’une discrimination fondée sur le sexe, mais aucune preuve n’a été présentée à l’appui de cette prétention, qui aurait pu mener à une analyse différente.)

Le fait d’avoir déterminé que les personnes mariées ne constituent pas un groupe défavorisé ne clôt pas l’affaire; il semble que les personnes favorisées puissent être victimes de discrimination elles aussi. Dans l’arrêt R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, à la page 1332 du recueil, Madame le juge Wilson exprime une réserve quant à l’obligation dans laquelle se trouvent les plaignants de faire la preuve qu’ils sont indépendamment défavorisés, ce qui donne à penser qu’une personne appartenant à un groupe favorisé pourrait aussi avoir gain de cause dans une contestation fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte. Dans cette affaire, Madame le juge Wilson, pour le compte de la Cour, a formulé l’observation suivante :

À mon avis, la constatation d’une discrimination nécessitera le plus souvent, mais peut-être pas toujours, de rechercher le désavantage qui existe indépendamment de la distinction juridique précise contestée. [C’est moi qui souligne.]

Quoi qu’il en soit, en tant que membre d’un groupe favorisé, il ne suffirait pas à une personne mariée de prouver simplement que la distinction contestée joue en sa défaveur; il faut aussi que cette distinction montre directement et clairement l’existence d’un préjugé injuste à son endroit pour qu’elle soit jugée discriminatoire et contraire aux dispositions du paragraphe 15(1). Cela est compatible avec la manière dont est structuré l’article 15 qui, faut-il le rappeler, comprend le paragraphe 15(2). Ce dernier dispose que les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés ne contreviennent pas à l’article 15. Les lois qui tombent sous le coup du paragraphe 15(2) peuvent défavoriser un groupe ou un individu favorisé sans pour autant violer le paragraphe 15(1), car ces lois ne sont pas animées par des préjugés ou des stéréotypes. De plus, dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, aux pages 180 et 181 du recueil, le juge McIntyre explique ce qui suit :

L’expression « indépendamment de toute discrimination » exige davantage qu’une simple constatation de distinction dans le traitement de groupes ou d’individus. Cette expression est une forme de réserve incorporée dans l’art. 15 lui-même qui limite les distinctions prohibées par la disposition à celles qui entraînent un préjudice ou un désavantage.

En ce qui concerne les groupes historiquement défavorisés, une preuve selon laquelle une loi les défavorise encore plus étayera habituellement, et presque automatiquement, une action fondée sur le paragraphe 15(1), tandis que, pour qu’un groupe favorisé obtienne gain de cause, il faudra une indication claire qu’il est victime de préjugés. En d’autres termes, pour établir les indices de la discrimination, une personne appartenant à un groupe favorisé devra faire la preuve qu’il existe des préjugés et des stéréotypes directs ou immédiats, mais pas nécessairement une discrimination délibérée. On ne peut supposer qu’un groupe favorisé est victime de préjugés ou de stéréotypes. Le simple fait d’être défavorisé par la loi en question n’est pas suffisant pour les groupes favorisés, mais cela peut l’être pour les groupes défavorisés.

On pourrait soutenir que cela crée deux poids deux mesures selon qu’il s’agit d’un groupe favorisé et d’un groupe défavorisé et que cela est injuste. Il n’en est rien. Le poids et la mesure sont les mêmes dans l’un ou l’autre cas : il est interdit en vertu du paragraphe 15(1) de faire preuve de discrimination à l’égard de l’un ou l’autre groupe. De plus, la méthode d’analyse reste aussi la même : pour déterminer si une distinction est discriminatoire, une cour doit examiner l’effet de la distinction sur le groupe en question en tenant compte de la situation de ce dernier sur les plans social, politique et historique. L’analyse menée en vertu du paragraphe 15(1) reconnaît toutefois la réalité qu’il est possible que des groupes défavorisés sur le plan social, politique ou historique soient plus souvent et plus facilement victimes de discrimination que les groupes favorisés.

Cette analyse menée en vertu du paragraphe 15(1) ne doit pas être confondue avec la jurisprudence américaine, qui comporte des niveaux d’examen différents dans le cadre de la clause dite d’égalité de protection. Aux États-Unis, il existe trois niveaux d’examen : strict, intermédiaire et minimal. Ces niveaux sont liés au motif de discrimination en question. Par exemple, les classifications fondées sur la race sont soumises à un examen strict, tandis que l’on applique un niveau moindre aux classifications fondées sur le sexe. De plus, les classifications qui touchent les individus de race blanche sont soumises au même examen strict que celles qui touchent les personnes de race noire. Par contraste, la différence qui existe dans l’analyse qui est faite entre les groupes favorisés et les groupes défavorisés, dans le cadre du paragraphe 15(1), est liée à la situation du groupe au sein de la société. L’approche américaine est le fruit des circonstances historiques qui ont entouré l’élaboration de la clause d’égalité de protection, tandis que l’analyse menée en vertu de l’article 15 n’est pas tant jurisprudentielle que fondée sur une reconnaissance des différences de fait qui existent entre les groupes favorisés et les groupes défavorisés. Les groupes favorisés ont plus de pouvoir dans notre société; on suppose donc que les distinctions qui jouent en leur défaveur ne sont pas discriminatoires, sauf s’il existe une preuve évidente de préjugés ou de stéréotypes.

On ne relève en l’espèce aucune indication de préjugés ou de stéréotypes immédiats ou directs à l’égard des personnes mariées. Le système de crédits d’impôt de la Loi de l’impôt sur le revenu n’a pas été conçu pour manifester des stéréotypes ou des préjugés contre les personnes mariées. Il ne s’agit pas là non plus d’un effet indirect du système. En fait, le système de crédits d’impôt que comporte le paragraphe 118(1) de la Loi est davantage le fruit de perceptions inexactes au sujet des conjoints non mariés que de stéréotypes concernant les personnes mariées. Ce paragraphe est fondé sur l’opinion erronée que les conjoints non mariés ne mettent pas en commun leurs ressources et ne contribuent pas au soin de l’un et de l’autre, comme le font les couples mariés. Le fait de fonder un crédit d’impôt sur cette façon négative de voir les conjoints non mariés, et la manière positive dont on considère en même temps les couples mariés, ne sont pas assimilables à des stéréotypes ou des préjugés injustes contre les personnes mariées.

Traiter d’une manière juste les personnes mariées et les personnes non mariées en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, indépendamment de toute discrimination, n’est pas une tâche facile. Les efforts déjà faits aux États-Unis pour y arriver n’ont pas mené à la paix mais uniquement à une « trève difficile ». (Voir la décision Druker v. C.I.R. 697 F.2d 46 (2nd Cir. 1982); voir aussi Bittker « Federal Income Taxation and the Family » (1975), 27 Stan. L. Rev. 1389.) Il est quasi impossible, semble-t-il, de créer un système qui soit parfaitement juste pour tous, et à cause de cela il faut accorder aux assemblées législatives une certaine latitude pour ce qui est de fixer les conditions de cette trève. (Ibidem, à la page 51, le juge Friendly.)

Les conditions de la trève que le Parlement a fixées sont, en gros et en termes simplifiés, les suivantes. L’article 118 s’efforce d’aider les contribuables qui ont des personnes à charge en leur accordant un important crédit supplémentaire, non consenti aux contribuables vivant seuls. Une personne mariée qui subvient aux besoins de son conjoint peut recevoir près du double de la déduction prévue pour les personnes vivant seules (voir l’alinéa 118(1)a)). Le contribuable qui ne subvient pas aux besoins de son conjoint, mais qui a à sa charge une personne autre que son conjoint, a également droit à près du double de la déduction accordée aux personnes vivant seules (alinéa 118(1)b)). En fait, cette mesure aide principalement les personnes non mariées ou séparées qui ont à supporter, avec un salaire unique, le fardeau financier supplémentaire que représente le fait de subvenir aux besoins d’un enfant ou d’un autre parent. Le législateur n’a pas voulu qu’une famille reçoive plus du double de l’exemption prescrite pour les personnes vivant seules (à part les déductions moins élevées pour les personnes à charge), mais à cause de la définition désuète du mot « conjoint » dans la Loi, les personnes non mariées n’étaient pas considérées comme une « famille ». C’est la raison pour laquelle les couples non mariés, dont les deux membres travaillent et subviennent aux besoins d’un enfant, peuvent déduire près du triple de l’exemption prévue pour les personnes vivant seules, si l’un des deux demande le crédit équivalent à celui de personne mariée et l’autre le crédit de personne vivant seule. Si le couple a deux enfants, les deux membres peuvent déduire chacun le crédit équivalent à celui de personne mariée, ce qui leur accorde une déduction combinée équivalant à près du quadruple de l’exemption prévue pour les personnes vivant seules. Il s’agit là d’un résultat inattendu, d’une anomalie qui fait que, dans cette situation restreinte, les personnes non mariées sont favorisées par rapport à celles qui sont mariées.

Cela, est-il dit, constitue une mesure discriminatoire contre les personnes mariées qui, soutient-on, devraient aussi pouvoir déduire le crédit équivalent à celui de personne mariée de manière à obtenir une déduction trois ou quatre fois plus élevée, tout comme les couples non mariés. On peut comprendre que les personnes mariées désireraient profiter elles aussi de cette lacune avantageuse. Mais cela ne peut être autorisé car, si l’on considère l’article 118 dans son ensemble, ces personnes ne sont victimes d’aucune discrimination de cette nature. Ainsi qu’il a été souligné, si dans un couple non marié et n’ayant pas d’enfant, l’un des deux membres subvient aux besoins de l’autre, les deux n’ont pas droit à la déduction pour personne mariée prévue à l’alinéa 118(1)a). Cette situation joue en leur défaveur. Les couples de fait qui n’ont pas d’enfant se trouvent dans une situation pire que ceux qui en ont. Les couples mariés qui ont des enfants se trouvent dans une situation pire que ceux qui n’en ont pas.

Par conséquent, tout compte fait, si j’examine l’article dans son intégralité, je ne puis dire que ses effets sont discriminatoires envers les personnes mariées. Ces distinctions sont simplement des distinctions que le législateur est autorisé à établir de manière à pouvoir appliquer un régime fiscal efficace, fondé sur un système d’autodéclaration, qui n’oblige pas à s’ingérer indûment dans la vie privée des gens. Il peut arriver à l’occasion qu’un groupe particulier bénéficie d’un léger avantage; il peut arriver aussi qu’il subisse un léger désavantage. C’est ainsi que le système fiscal fonctionne, et on ne peut s’attendre à ce qu’il soit parfait. À moins qu’il n’y ait une preuve évidente qu’une disposition particulière exerce de la discrimination à l’égard d’un groupe favorisé pour des motifs énumérés à l’article 15, il s’agit d’une situation que doivent tolérer les Canadiens sur lesquels cette dernière a un effet préjudiciable, et ce jusqu’au jour où le législateur jugera bon d’y remédier. Par bonheur, dans ce cas-ci, le législateur a récemment supprimé cette anomalie, ce qui devrait éliminer jusqu’à un certain point cette légère différence dans le traitement des conjoints mariés et des conjoints de fait, encore qu’il serait par trop optimiste de s’attendre à ce que cette modification mène à une situation parfaite.

Il reste un dernier point à régler. Outre la prétention relative à l’état matrimonial, la requérante a soutenu dans son mémoire que l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu exerce une discrimination fondée sur le motif de la religion, ce qu’interdit l’article 15 de la Charte. Étant donné que ce point ne nous a pas été soumis au moment des plaidoiries, je n’en traiterai que brièvement. Dans mon analyse portant sur la question de la liberté de religion, j’ai mentionné que l’alinéa 118(1)b) peut avoir un effet éloigné, mineur et indirect sur des individus à cause de leurs convictions religieuses. Contrairement à la garantie de liberté de religion que reconnaît l’alinéa 2a) de la Charte cependant, la garantie d’égalité prescrite à l’article 15 n’exclut pas les plaintes pour le motif que la violation en question est infime, négligeable ou insignifiante. Néanmoins, la requérante ne peut obtenir gain de cause lorsqu’elle conteste le système des crédits d’impôt en invoquant le motif de la discrimination religieuse. Bien que la religion soit un motif de discrimination énuméré, les groupes religieux auxquels l’alinéa 118(1)b) peut porter atteinte ne sont pas indépendamment défavorisés. En fait, les religions visées comprennent toutes celles qui exigent que les gens ne cohabitent et n’aient des enfants que s’ils sont mariés. La majorité des religions adhèrent à cette règle à des degrés divers. Certes, on ne peut dire que la majorité des religions sont indépendamment défavorisées par rapport à d’autres religions. Rien ne prouve que le système de crédits d’impôt visé au paragraphe 118(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu soit fondé sur des stéréotypes ou des préjugés injustes à l’égard de la majorité des religions, ou qu’il crée de tels stéréotypes ou préjugés. Ce n’était pas là l’intention de la Loi, pas plus qu’il ne s’agit de son effet. Par conséquent, étant donné qu’il n’existe aucun signe de préjugés ou de stéréotypes à l’endroit de ce groupe, relativement à l’alinéa 118(1)b), il n’y a pas de violation de l’article 15 de la Charte.

Je conclus donc que l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne viole pas les dispositions du paragraphe 15(1) en matière d’égalité, ni pour le motif de l’état matrimonial ni pour celui de la religion. J’ai également déterminé qu’il n’y a pas eu de violation de la liberté de religion que reconnaît à la requérante l’alinéa 2a) de la Charte. En conséquence, il n’est nul besoin d’analyser l’article premier de la Charte, pas plus qu’il ne faut examiner, au vu de ces conclusions, les questions de compétence qui ont été soulevées.

Je suis donc d’avis de rejeter cet appel sans dépens puisqu’ils n’étaient pas demandés, vu l’absence de circonstances spéciales.



[1] No du greffe : 91-1006(IT). Décision du juge suppléant King, rendue le 6 novembre 1991 [[1991] A.C.I. No. 1023 (QL)].

[2] 118. (1) Le produit obtenu en multipliant le total des montants visés aux alinéas a) à d) par le taux de base pour l’année est déductible dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition :

a) si, au cours de l’année, le particulier est marié et subvient aux besoins de son conjoint, le total de 6 000 $ et du montant calculé selon la formule suivante :

5 000 $—(C—500 $)

C    représente le plus élevé soit de 500 $, soit du revenu du conjoint pour l’année ou, si le particulier et son conjoint vivent séparés à la fin de l’année pour cause d’échec du mariage, du revenu du conjoint pour l’année pendant le mariage et alors qu’ils ne vivaient pas séparés;

b) le total de 6 000 $ et du montant calculé selon la formule suivante :

5 000 $—(D—500 $)

D    représente le plus élevé de 500 $ ou du revenu d’une personne à charge pour l’année,

si le particulier n’a pas droit à la déduction prévue à l’alinéa a) et si, à un moment de l’année :

i) il n’est pas marié ou, s’il l’est, ne vit pas avec son conjoint ni ne subvient aux besoins de celui-ci, pas plus que son conjoint ne subvient à ses besoins, et

ii) il tient, seul ou avec une ou plusieurs autres personnes, et habite un établissement domestique autonome où il subvient réellement aux besoins d’une personne qui, à ce moment :

A) réside au Canada, sauf s’il s’agit d’un enfant du particulier,

B) est entièrement à la charge soit du particulier, soit du particulier et d’une ou plusieurs de ces autres personnes,

C) est liée au particulier, et

D) sauf s’il s’agit du père, de la mère, du grand-père ou de la grand-mère du particulier, est soit âgée de moins de 18 ans, soit à charge en raison d’une infirmité mentale ou physique;

c) 6 000 $, sauf si le particulier a droit à une déduction en application de l’alinéa a) ou b);

d) le montant suivant pour chaque personne à charge du particulier pour l’année :

i) pour chacune des deux premières personnes à charge âgée de moins de 18 ans à un moment de l’année, le montant calculé selon la formule suivante :

388 $—(E—2 500 $)

E    représente le plus élevé de 2 500 $ ou du revenu de la personne à charge pour l’année,

le montant de 388 $ étant doublé pour la troisième personne ainsi à charge et chacune des suivantes ...

[3] La question de savoir si, aux fins de l’art. 118(1)a), un conjoint subvient aux besoins de l’autre est simplement déterminée par le niveau de revenu de l’autre. Si, d’après la formule de calcul indiquée dans cette disposition, ce revenu est un montant nul ou négatif, on considère qu’il n’est pas subvenu aux besoins de ce conjoint.

[4] 118. ...

(4) Les règles suivantes s’appliquent aux déductions prévues au paragraphe (1) :

...

c) si un particulier a droit à une déduction prévue au paragraphe (1), par application de l’alinéa (1)b), pour une personne qui y est visée, la personne est, pour l’application de l’alinéa (1)d), réputée ne pas être une personne à charge pour l’année.

[5] R. c. Big M Drug Mart Ltd et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 337.

[6] S.R.C. 1970, ch. L-13.

[7] R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la p. 758, le juge en chef Dickson.

[8] [1986] 2 R.C.S. 284, aux p. 313 et 314.

[9] [1986] 2 R.C.S. 713.

[10] [1989] 1 R.C.S. 143.

[11] [1989] 1 R.C.S. 1296, à la p. 1332.

[12] [1991] 1 R.C.S. 933, à la p. 992.

[13] United States v. Carolene Products Co., 304 U.S. 144 (1938), aux p. 152 et suivantes, n. 4.

[14] (1986), 34 D.L.R. (4th) 488 (C.S.C.-B).

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