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[1994] 1 C.F. 298

A-746-91

Jose Rodolfo Moreno et Edith Francisca Parada Sanchez (appelants)

c.

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Mahoney, Robertson et McDonald, J.C.A.—Toronto, 4 juin; Ottawa, 2 septembre; Vancouver, 14 septembre 1993.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Appel à l’encontre du rejet de revendications du statut de réfugié fondé sur la disposition d’exclusion attachée à la Convention des Nations Unies — La Commission avait « des raisons sérieuses de penser » que l’appelant, qui avait été recruté contre son gré par l’armée salvadorienne à l’âge de seize ans, avait commis des crimes contre l’humanité au cours de son service militaire — Le degré de complicité et la norme de preuve sont en litige — Les actes ou les omissions qui équivalent à un acquiescement passif ne permettent pas d’invoquer la disposition d’exclusion — L’élément de mens rea requis fait défaut — La Commission a également commis une erreur dans son appréciation de la revendication de l’appelante en ne décidant pas si l’appelant aurait été un réfugié au sens de la Convention n’eussent été des crimes contre l’humanité.

Il s’agit d’un appel à l’encontre de la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté les revendications du statut de réfugié des appelants en raison de l’applicabilité de la disposition d’exclusion attachée à la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Au début de 1988, l’appelant, qui servait alors dans l’armée salvadorienne, par laquelle il avait été recruté contre son gré à l’âge de seize ans, a reçu l’ordre de monter la garde d’un prisonnier amené pour être interrogé. Il a été témoin d’actes de torture commis au cours de l’interrogatoire, mais il n’est pas intervenu parce qu’il croyait qu’il aurait été tué s’il avait tenté de s’interposer. Il a déserté l’armée peu après et il a fui le Salvador. En appliquant la disposition d’exclusion, la Commission a conclu qu’elle avait « des raisons sérieuses de penser » que l’appelant avait commis des crimes contre l’humanité au cours de son service de quatre mois dans l’armée salvadorienne. Selon la Commission, il existe une preuve accablante de la participation active du demandeur au massacre de civils et à des activités militaires qui ne sont pas permises en vertu du droit international. La Cour a dû se prononcer sur les questions suivantes : la Commission a-t-elle commis une erreur de droit 1) en n’interprétant pas de façon restrictive la disposition d’exclusion? 2) en n’appliquant pas la norme de preuve appropriée? 3) en tirant des conclusions de fait et de crédibilité erronées? 4) en concluant que les actes ou les omissions de l’appelant constituaient un crime contre l’humanité? 5) en ne se prononçant pas sur l’admissibilité de l’appelant dans le cadre de la disposition d’inclusion? 6) en appliquant la disposition d’exclusion à la revendication du statut de réfugié de l’appelante?

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

1) Tous les auteurs reconnus de même que le Guide du HCNUR favorisent une interprétation restrictive de la disposition d’exclusion, étant donné le risque de persécution auquel sont soumis ceux qui pourraient par ailleurs être déclarés réfugiés au sens de la Convention. Il faudrait considérer l’application de la disposition d’exclusion en tenant compte de la jurisprudence de la Cour fédérale, puis de l’intention manifeste des signataires de la Convention. Lorsqu’il existe une ambiguïté ou une question non résolue, l’interprétation la plus conforme à la justice et à la raison doit prévaloir.

2) L’applicabilité de la disposition d’exclusion ne repose pas sur la question de savoir si le demandeur a été accusé ou déclaré coupable des actes prévus dans la Convention. Le ministre doit seulement se conformer à la norme de preuve comprise dans l’expression « raisons sérieuses de penser ». La norme de preuve inférieure à celle prévue en droit civil invoquée par cette Cour dans l’arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) est bien inférieure à celle qui est requise dans le cadre du droit criminel (« hors de tout doute raisonnable ») ou du droit civil (« selon la prépondérance des probabilités » ou « prépondérance de preuve »); cette norme est conforme à l’intention des signataires de la Convention, qui tenaient fermement à ce qu’aucune protection internationale ne soit offerte aux criminels de guerre. La norme de preuve requise n’est pertinente en droit que lorsque le tribunal est appelé à rendre des décisions qui peuvent être qualifiées de questions de fait. La norme de preuve inférieure à celle prévue en droit civil n’est pas pertinente lorsque la question examinée est essentiellement une question de droit. Par exemple, les questions de savoir si l’appelant ou des membres de son peloton ont tué des civils ou si l’appelant a monté la garde pendant qu’un prisonnier était torturé sont des questions de fait. Mais la question de savoir si le meurtre de civils par le personnel militaire peut être qualifié de crime contre l’humanité est une question de droit qui doit être tranchée conformément aux principes juridiques plutôt que par référence à une norme de preuve.

3) Si la crédibilité du demandeur est en cause, la Commission est tenue de motiver sa conclusion dans des termes clairs et nets. Dans la présente affaire, la crédibilité de l’appelant n’a été mise en doute que dans trois cas où la Commission a décelé des incompatibilités ou des contradictions. La preuve qui porte sur la crainte bien fondée de l’appelant d’être persécuté, compte tenu des incompatibilités décelées par la Commission, n’était pas déterminante. Il n’y a, à l’exception de la Fiche de renseignements personnels (FRP), aucune autre preuve qui étaye la conclusion de la Commission que l’appelant était impliqué, directement ou indirectement, dans le meurtre de civils. Il ne peut être accordé que peu ou pas de poids à la FRP en ce qui concerne la participation de l’appelant à ce qui peut par ailleurs être clairement reconnu comme un crime contre l’humanité. À elle seule la FRP ne satisfait pas à la norme relative aux « raisons sérieuses de penser ». Le témoignage de l’appelant était logique en lui-même. Même en faisant un grand effort d’imagination, il n’est pas « parfaitement clair » selon le témoignage que l’appelant ou son peloton étaient impliqués dans le meurtre de civils au cours de la période de vingt jours. On ne peut non plus affirmer que la preuve était « accablante ».

4) La simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d’invoquer la disposition d’exclusion. Par conséquent, l’appartenance de l’appelant à une organisation militaire qui commet des actes inhumains envers la population civile ne suffit pas en elle-même pour que l’on puisse invoquer la disposition d’exclusion. En d’autres termes, l’appelant n’est pas « coupable par association ». La question de savoir si la participation de l’appelant à titre de gardien au cours de la torture d’un prisonnier permet de présumer qu’il était un « complice », et qu’il est de ce fait visé par l’application de la disposition d’exclusion, suppose que l’on convienne que le « complice » est aussi coupable que l’ »auteur ». Les actes ou omissions de l’appelant ne suffiraient pas en droit pour entraîner sa responsabilité criminelle. L’appelant n’avait aucune connaissance préalable des actes de torture qui devaient être perpétrés. On ne peut non plus affirmer qu’il a aidé directement ses officiers supérieurs ou les a encouragés à perpétrer un crime international. Les actes ou les omissions qui équivalent à un acquiescement passif ne permettent pas d’invoquer la disposition d’exclusion. Il faut établir une participation personnelle aux actes de persécution. Une personne recrutée contre son gré dans l’armée, et qui à une occasion a été témoin de la torture d’un prisonnier alors qu’elle était affectée à la garde de celui-ci, ne peut être considérée en droit comme ayant commis un crime contre l’humanité. Il n’y avait aucune preuve étayant l’existence d’un dessein commun, comme celui que partagent l’ »auteur » et le « complice ». La preuve établit en fait que l’appelant s’est dissocié des véritables auteurs en désertant l’armée dans un délai plutôt bref après avoir été recruté contre son gré. Sa présence sur les lieux du crime équivaut à un acte d’acquiescement passif. L’élément de mens rea requis fait tout simplement défaut. Il n’y a aucun fondement juridique sur lequel puisse se fonder l’application de la disposition d’exclusion.

5) Il aurait été préférable que la Commission se prononce à l’égard de la revendication du statut de réfugié de l’appelant malgré sa décision d’appliquer la disposition d’exclusion, et ce, pour trois raisons. D’une part, du point de vue pratique, il est extrêmement difficile de distinguer les motifs sur lesquels le demandeur fonde sa revendication du statut de réfugié des circonstances qui pourraient entraîner l’application de la disposition d’exclusion. D’autre part, si la Commission commet une erreur relativement à l’application de la disposition d’exclusion, mais qu’elle se prononce également sur l’application de la disposition d’inclusion, il peut être inutile de lui renvoyer l’affaire. Enfin, il se peut fort bien que, dans le cas des revendications de statut de réfugié d’un conjoint et d’une personne à charge, la Commission soit légalement tenue de se prononcer sur la revendication du statut de réfugié, sans tenir compte de l’applicabilité de la disposition d’exclusion.

6) La Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle a conclu que, la revendication de l’appelante ayant été faite en fonction de celle de son époux, elle devrait également être rejetée du fait de l’application de la disposition d’exclusion. Si la Commission avait décidé que l’appelant aurait été déclaré réfugié au sens de la Convention n’eût été l’applicabilité de la disposition d’exclusion et si elle n’avait commis aucune erreur à cet égard, il n’y aurait aucun motif juridique justifiant de rejeter la revendication de l’appelante. La question de savoir s’il existe des « raisons sérieuses de penser » que le demandeur a commis des crimes contre l’humanité n’a aucun rapport avec la revendication du statut de réfugié de la conjointe et des personnes à charge qui n’ont jamais participé, directement ou indirectement, à de tels crimes. La Commission a commis une erreur de droit en ne décidant pas si, pour les fins de l’appréciation de la revendication du statut de réfugié de l’appelante à titre de personne à charge, l’appelant aurait été déclaré réfugié au sens de la Convention.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 11d).

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1 (F).

Loi sur l’immigration, S.R.C. 1970, ch. I-2, art. 5l).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS SUIVIES :

Dunlop et Sylvester c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881; (1979), 27 N.R. 153; R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636; (1987), 68 Nfld & P.E.I.R. 281; 47 D.L.R. (4th) 399; 209 A.P.R. 281; 39 C.C.C. (3d) 118; 60 C.R. (3d) 289; 32 C.R.R. 18; 81 N.R. 115; 10 Q.A.C. 161.

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306; (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; 135 N.R. 390 (C.A.) (quant au degré de complicité et à la norme de preuve); McMullen v. I.N.S., 788 F.2d 591 (9th Cir. 1986).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306; (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; 135 N.R. 390 (C.A.) (quant aux faits pertinents relativement à la revendication du statut de réfugié de l’appelant).

DÉCISION EXAMINÉE :

Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216; (1975), 54 D.L.R. (3d) 277; 7 N.R. 271 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Mehmet, [1992] 2 C.F. 598 (C.A.); Re K. (Y.P.), [1991] C.R.D.D. No. 672 (Q.L.) (également cité sous Sivakumar c. M.E.I.); Fedorenko v. United States, 449 U.S. 490 (1981); Ababio c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 5 Imm. L.R. (2d) 174; 90 N.R. 28 (C.A.F.); Rahman c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 170 (C.A.F.); Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150; 101 N.R. 372 (C.A.F.); Sebaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 264; 131 N.R. 158 (C.A.F.); Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199; 130 N.R. 236 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 153 N.R. 321; Musial c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1982] 1 C.F. 290; (1981), 38 N.R. 55 (C.A.); Padilla c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.); Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 540 (C.A.); Laipenieks v. I.N.S., 750 F. 2d 1427 (9th Cir. 1985); Naredo et Arduengo c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1990), 37 F.T.R. 161; 11 Imm. L.R. (2d) 92 (C.F. 1re inst.); Cruz c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 10 Imm. L.R. (2d) 47 (C.A.I.); Personne non nommée c. M.E.I., T89-00198, décision en date du 11 -7 -89, C.I.S.R. (S.S.R.), inédite; Astudillo c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1979), 31 N.R. 121 (C.A.F.); Djama c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), A-738-90, juge Marceau, J.C.A., jugement en date du 5-6-92, C.A.F., encore inédit; Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 14 Imm. L.R. (2d) 51; 129 N.R. 396 (C.A.F.); Velose, 79-1017, décision en date du 24-8-79, C.A.I., inédite; Caballero c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), A-266-91, juges Marceau, Desjardins et Létourneau, J.C.A., jugement en date du 13-5-93, C.A.F., encore inédit; Giraud c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), A-1080-82, décision en date du 10-11-82, C.A.F., aucun motif prononcé.

DOCTRINE

Bassiouni, M. Cherif. Crimes Against Humanity in International Criminal Law. Dordrecht : Martinus Nijhoff, 1992.

Goodwin-Gill, Guy S. The Refugee in International Law. Oxford : Clarendon Press, 1983.

Hathaway, James C. The Law of Refugee Status. Toronto : Butterworths, 1991.

Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés Legal Project in Canada, document 5.

Jaffe, Louis L. Judicial Control of Administrative Action. Boston : Little, Brown and Co., 1965.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, septembre 1979.

Salmond on Jurisprudence, 12th ed. by P.J. Fitzgerald. London : Sweet& Maxwell, 1966.

Wade, H.W.R. Administrative Law, 6th ed. Oxford : Clarendon Press, 1988.

Waldman, Lorne. Immigration Law and Practice. Toronto : Butterworths, 1992.

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ([1991] D.S.S.R. No. 783 (Q.L.)) qui a rejeté les revendications du statut de réfugié des appelants en raison de l’applicabilité de la disposition d’exclusion attachée à la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Appel accueilli.

AVOCATS :

Barbara L. Jackman pour les appelants.

Claire A. Le Riche pour l’intimé.

PROCUREURS :

Hoppe, Jackman, Toronto, pour les appelants.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : Il s’agit d’un appel à l’encontre de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « Commission ») [[1991] D.S.S.R. no 783 (Q.L.)] a rejeté les revendications du statut de réfugié des appelants, citoyens du Salvador, en raison de l’applicabilité de la disposition d’exclusion attachée à la définition de l’expression « réfugié au sens de la Convention ». Cette définition figure au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifié par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1, (la « Loi »), dont voici le libellé :

2.

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit si elle n’a pas de nationalité et se trouvent hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) n’a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2);

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l’application de la Convention par les sections E ou F de l’article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l’annexe de la présente loi; [C’est moi qui souligne.]

La partie pertinente de la section F de l’article premier de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] prévoit ce qui suit :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes; [C’est moi qui souligne.]

L’application de la disposition d’exclusion se fonde sur la conclusion de la Commission qu’il existait « des raisons sérieuses de penser » que M. Moreno (l’« appelant ») avait commis des crimes contre l’humanité au cours de son service de quatre mois dans l’armée salvadorienne. Le degré de complicité et la norme de preuve qui justifieraient l’exclusion de ceux qui pourraient par ailleurs être déclarés réfugiés au sens de la Convention ont une importance fondamentale dans le présent appel.

LES FAITS

Au début de janvier 1988, l’appelant, qui venait de terminer sa neuvième année, a été recruté contre son gré dans l’armée salvadorienne. Il avait alors seize ans. L’appelant a consacré trois de ses quatre mois de service au programme d’entraînement de l’armée. Pendant son entraînement, il a été régulièrement affecté à des fonctions générales de garde. Il lui est alors arrivé à une occasion de devoir monter la garde à l’extérieur de la cellule d’un prisonnier, cellule dont on ne lui avait pas confié la clef. Vers la fin de son tour de garde, deux lieutenants armés sont arrivés et ont commencé à interroger le prisonnier. Ce dernier ne répondant pas de façon jugée acceptable aux questions qui lui étaient posées, il fut torturé par ses interrogateurs. Le bout de ses doigts a été coupé, des parties de ses oreilles ont été tranchées et sa joue a été tailladée. L’appelant a été témoin de ces actes, et il n’a offert aucun secours. Il a témoigné qu’il croyait qu’il aurait été tué s’il avait tenté de s’interposer. Il a appris des autres recrues que, plus tard cette nuit-là, le prisonnier avait été amené et tué.

À l’expiration de la période d’entraînement de trois mois, l’appelant, qui bénéficiait d’une permission de deux jours, est retourné chez lui. À son retour dans l’armée, il a participé pendant une période de vingt jours à cinq affrontements armés contre les forces de la guérilla. Chacun sait que, dans le cadre de leur entraînement militaire, les recrues jurent de tuer tous les guérilleros, de même que les civils que l’on soupçonne en être partisans. L’appelant a témoigné que, s’il n’avait pas agi de la sorte, il aurait été tué.

Immédiatement après la campagne militaire contre les forces de la guérilla, l’appelant a reçu une permission de trois jours. De retour chez lui, il a constaté que l’aide financière qu’il avait demandée à ses frère et sœur aux États-Unis lui était parvenue. Le jour suivant, soit le 5 mai 1988, l’appelant a déserté l’armée et, en compagnie de son épouse alors enceinte, il a fui le Salvador. Il était âgé de dix-sept ans.

L’appelant conteste les autres conclusions qui sont pertinentes quant au présent appel. La Commission a décelé dans le témoignage de l’appelant deux incompatibilités concernant le moment où il a décidé de déserter l’armée et les motifs qui l’ont animé. La Commission a également conclu qu’au cours des affrontements avec les forces de la guérilla, l’appelant, soit seul ou en compagnie d’autres membres de son peloton, a participé aux meurtres de civils. Ces points seront étudiés plus loin.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

La Commission a, dans les termes suivants, reproché à l’appelant de ne pas être venu en aide au prisonnier (dossier d’appel, page 242) :

Le demandeur n’a démontré aucune pitié pour ceux qui ont eu la malchance d’être capturés. Il a gardé le silence et a été témoin des horribles tortures qui ont été infligées aux prisonniers, qui étaient exécutés après leur interrogatoire.

Cette conclusion, jointe à celle que l’appelant avait soit tué des civils, soit participé à leur meurtre, a amené la Commission à conclure que l’appelant est une personne à laquelle la définition de réfugié au sens de la Convention ne s’applique pas (dossier d’appel, page 240) :

Bien que le demandeur ait essayé de nier sa participation aux atrocités commises à l’endroit des civils, selon son témoignage, il est parfaitement clair … qu’il avait participé de façon active au massacre des civils …

Et à la page 242 :

Il existe une preuve accablante de la participation du demandeur à des activités militaires qui ne sont pas permises en vertu du droit international.

La Commission n’a tiré aucune conclusion expresse quant à savoir si l’appelant aurait été déclaré réfugié au sens de la Convention n’eût été de l’application de la disposition d’exclusion. Elle a toutefois conclu qu’il n’y avait pas lieu d’apprécier la nature des crimes contre l’humanité commis par l’appelant par rapport au sort qui les attendait, lui et son épouse, s’ils devaient retourner au Salvador. Son raisonnement à cet égard est succinct (dossier d’appel, page 241) :

La Section du statut de réfugié n’a aucun pouvoir discrétionnaire pour évaluer la nature d’une offense en prenant en considération le sort du demandeur quelle que soit la gravité de sa situation s’il devait retourner dans son pays.

En ce qui concerne la revendication du statut de réfugié de l’épouse de l’appelant, Mme Sanchez (l’« appelante »), la Commission a signalé que celle-ci n’avait allégué aucun motif de persécution distinct de ceux allégués par son époux. Elle a par conséquent conclu que la disposition d’exclusion s’appliquait également à la revendication du statut de réfugié de l’appelante. Les moyens soulevés à l’appui de l’appel de cette dernière n’étant pas identiques à ceux de son époux, ils seront considérés séparément.

QUESTIONS EN LITIGE

Treize questions ont été soulevées dans les observations écrites. Presque toutes ont été débattues en détail par les avocates au cours de l’audience, qui a duré deux jours. Celles qui suivent représentent à mon avis les questions les plus fondamentales quant à l’issue du présent appel.

A)        La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n’interprétant pas de façon restrictive la disposition d’exclusion?

À l’appui de sa prétention, l’appelant soutient que la Commission et cette Cour devraient interpréter de façon restrictive la disposition d’exclusion, étant donné le risque de persécution auquel sont soumis ceux qui pourraient par ailleurs être déclarés réfugiés au sens de la Convention. Je reconnais que cette opinion est partagée par tous les auteurs reconnus et renforcée par le Guide du HCNUR; voir Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (Genève, septembre 1979) paragraphe 149, page 35; G. S. Goodwin-Gill, The Refugee in International Law, Oxford : Clarendon Press, 1983, pages 61 et 62 (cité dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Mehmet, [1992] 2 C.F. 598 (C.A.), motifs du juge Marceau, J.C.A. aux pages 607 et 608); Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, Toronto : Butterworths, 1992, page 8.108; James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, Toronto : Butterworths, 1991, pages 214 à 217; voir également HCNUR Legal Project in Canada, document 5, paragraphe 16, page 4.

Quelque convaincants que puissent être les commentaires, je suis tenu de considérer l’application de la disposition d’exclusion en tenant compte, tout d’abord, de la jurisprudence de cette Cour, puis de l’intention manifeste des signataires de la Convention. Lorsque, par contre, il existe une ambiguïté ou une question non résolue, l’interprétation la plus conforme à la justice et à la raison doit prévaloir.

B)        La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en n’appliquant pas la norme de preuve appropriée?

Les appelants soutiennent que la Commission a commis une erreur en [traduction] « n’appliquant pas une norme de preuve conforme à la gravité des conséquences des allégations d’un comportement criminel ». De fait, les appelants nous ont indirectement invités à revoir une décision de cette Cour qui, selon eux, établit une norme de preuve contraire aux intérêts des demandeurs du statut de réfugié se heurtant à l’application possible de la disposition d’exclusion. Notre tâche consiste à établir cette norme, à déterminer la mesure dans laquelle elle est pertinente quant à l’appel en question et à l’appliquer en conséquence.

Il est universellement reconnu que l’applicabilité de la disposition d’exclusion ne repose pas sur la question de savoir si le demandeur a été accusé ou déclaré coupable des actes prévus dans la Convention. Le ministre doit seulement se conformer à la norme de preuve comprise dans l’expression « raisons sérieuses de penser ». Dans l’arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), cette Cour a examiné minutieusement cet aspect du droit relatif aux réfugiés avant de conclure que la norme était bien inférieure à celle qui est requise dans la cadre du droit criminel (« hors de tout doute raisonnable ») ou du droit civil (« selon la prépondérance des probabilités » ou « prépondérance de preuve »). S’exprimant au nom de la Cour, le juge MacGuigan, J.C.A. a tenu le raisonnement suivant (aux pages 311 à 314) :

Je crois aussi, comme l’intimé l’a soutenu, que les mots « raisons sérieuses de penser » ont pour effet d’établir une norme de preuve moindre que la prépondérance des probabilités. L’intimé a effectivement soutenu que cette expression avait le même sens que les mots « dont on peut penser, pour des motifs raisonnables » qui sont constamment utilisés à l’article 19 de la Loi à propos des catégories de personnes non admissibles. La catégorie la plus pertinente est celle qui est décrite à l’alinéa 19(1)j) [édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 3], lequel s’applique de façon générale à tous les demandeurs en matière d’immigration :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu’elles ont commis, à l’étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l’humanité …

D’autres dispositions de la Loi aboutissent au même résultat : les alinéas 27(1)g) et h), pour ce qui est des personnes qui sont déjà résidents permanents, et le sous-alinéa 46.01(1)d)(i) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14], pour celles qui revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention. Ces dispositions font simplement mention des personnes visées à l’alinéa 19(1)j) et incorporent, de ce fait, la notion de « motifs raisonnables ».

Il ne me semble pas y avoir de différences importantes entre les mots « raisons sérieuses de penser » et « dont on peut penser, pour des motifs raisonnables » et, du reste, je ne crois pas qu’il faille établir un parallèle exact entre les deux expressions. J’estime toutefois qu’elles exigent toutes deux une norme moindre que la prépondérance de preuve. Les mots « raisons sérieuses de penser » sont ceux qu’emploie la Convention; leur sens est évident. Cependant, on voit, lorsqu’on les compare avec l’alinéa 19(1)j), que le Parlement était prêt à envisager, pour ce type de cas, une norme moins exigeante que la norme civile habituelle. Cette comparaison nous amène en outre à penser qu’il serait extrêmement embarrassant d’exiger d’un côté une norme civile ordinaire et de l’autre, pour ce qui constitue essentiellement la même chose, une norme inférieure.

Par conséquent, en dépit des nombreuses décisions internationales citées par l’appelant, qui insistaient sur la nécessité de donner une interprétation restrictive à la disposition d’exclusion, il appert qu’à la suite des atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale, les États signataires de la Convention de 1951 ont voulu se réserver un vaste pouvoir d’exclusion du statut de réfugié à l’égard des auteurs de crimes internationaux.

Pour toutes ces raisons, la procédure appliquée au Canada exige que le gouvernement assume la charge de la preuve et que la norme de preuve soit moindre que la prépondérance des probabilités.

La norme de preuve inférieure à celle prévue en droit civil invoquée dans l’affaire Ramirez est conforme à l’intention des signataires de la Convention qui tenaient fermement à ce qu’aucune protection internationale ne soit offerte aux criminels de guerre; voir en général Hathaway, précité, aux pages 214 à 217. Toutefois, il se peut fort bien qu’en théorie stricte de droit, il faille considérer que la disposition d’exclusion établit un critère préliminaire que le ministre doit respecter plutôt qu’elle ne prescrit une norme de preuve en soi. Cette opinion a été exprimée dans l’arrêt Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.), une décision antérieure de cette Cour qui portait sur une disposition analogue de la Loi sur l’immigration alors en vigueur.

Dans l’arrêt Jolly, l’intimé demandait le contrôle judiciaire d’une mesure d’expulsion prise par la Commission d’appel de l’immigration conformément à l’alinéa 5l) de la Loi sur l’immigration, S.R.C. 1970, ch. I-2. La disposition en question refusait l’admission aux personnes qui étaient membres d’organisations à l’égard desquelles le ministre avait « des motifs raisonnables de penser » qu’elles étaient « subversives »[1]. La Commission a imposé au ministre l’obligation de prouver que le parti des Panthères Noires était une organisation de ce genre. En appel, cette Cour a rejeté la conclusion que l’alinéa 5l) visait à imposer une norme de preuve. À la page 228, le juge Thurlow [tel était alors son titre] a conclu ceci :

En toute déférence, cette conception est à mon avis erronée. Le paragraphe 5l) ne prévoit pas un type de preuve mais un critère à appliquer pour déterminer l’admissibilité d’un étranger au Canada, et la question à trancher consistait à déterminer s’il y avait raisonnablement lieu de croire qu’on préconisait le renversement par la force, etc., et non pas si on le préconisait effectivement, etc. Indubitablement, apporter la preuve de l’inexistence d’un fait constitue une façon de démontrer qu’il n’y a pas raisonnablement lieu de croire en l’existence de ce fait. [C’est moi qui souligne.]

L’analyse de la Cour dans l’arrêt Jolly a aussi contribué à déterminer la relation entre une norme de preuve en soi et le critère préliminaire imposé par la Loi. L’analyse juridique a été nécessitée par la prétention du ministre que la Commission n’avait pas répondu à la bonne question. Il a soutenu que la Loi exigeait simplement de « penser, pour des motifs raisonnables » que le parti des Panthères Noires était une organisation subversive. Aux pages 225 et 226, le juge Thurlow a déclaré ceci :

Cela m’amène à examiner la seconde prétention de l’appelant selon laquelle la Commission a commis une erreur en ne répondant pas à la bonne question et en ne tranchant pas la question posée par le paragraphe 5l). Il me semble qu’une conclusion, comme celle de l’enquêteur spécial, selon laquelle une organisation a en fait préconisé le renversement par la force, etc., implique qu’il y a raisonnablement lieu de croire qu’il s’agissait bien d’une organisation de ce type. Inversement, une conclusion selon laquelle, d’après la preuve soumise à la Commission, le parti des Panthères Noires n’était pas, selon toute vraisemblance, une organisation qui, aux époques en cause, préconisait le renversement par la force, etc., implique, à mon sens, selon toutes probabilités, qu’il n’y a pas raisonnablement lieu de croire que le parti relève d’une telle organisation. Toutefois, lorsque la preuve a pour but d’établir s’il y a raisonnablement lieu de croire que le fait existe et non d’établir l’existence du fait lui-même, il me semble qu’exiger la preuve du fait lui-même et en arriver à déterminer s’il a été établi, revient à demander la preuve d’un fait différent de celui qu’il faut établir. Il me semble aussi que l’emploi dans la loi de l’expression « il y a raisonnablement lieu de croire » implique que le fait lui-même n’a pas besoin d’être établi et que la preuve qui ne parvient pas à établir le caractère subversif de l’organisation sera suffisante si elle démontre qu’il y a raisonnablement lieu de croire que cette organisation préconise le renversement par la force, etc. Dans une affaire dont la solution est incertaine, l’omission de faire cette distinction et de trancher la question précise dictée par le libellé de la loi peut expliquer la différence dans les résultats d’une enquête ou d’un appel.

Malheureusement, l’analyse perspicace du juge Thurlow perd beaucoup de sa pertinence lorsqu’elle est placée dans le contexte des revendications du statut de réfugié qui donnent lieu à l’application de la disposition d’exclusion. Il est rarement arrivé que la Commission ait à évaluer la preuve du demandeur par rapport à celle du ministre comme il était nécessaire de le faire dans l’affaire Jolly. En général, la preuve des crimes contre l’humanité provient du témoignage verbal et écrit du demandeur de statut[2]. En conséquence, le rôle principal du représentant du ministre a consisté à soumettre les demandeurs du statut de réfugié à d’intensifs contre-interrogatoires de type accusatoire. Ce n’est que dans ce sens artificiel que la « preuve » du ministre est appréciée par rapport à celle du demandeur. Pour cette raison, rien ne peut reposer sur la question de savoir si l’expression « raisons sérieuses de penser » constitue une « norme de preuve » ou un « critère préliminaire ».

Strictement parlant, ce n’est pas notre propos d’établir l’innocence ou la culpabilité de l’appelant. À cet égard, les arrêts Ramirez et Jolly s’appuient l’un et l’autre; tous deux conviennent qu’il n’y a pas lieu d’établir un fait selon la prépondérance des probabilités. Toutefois, ce ne sont pas toutes les questions mettant en cause les dispositions d’exclusion qui peuvent être tranchées par référence à la norme de preuve inférieure à celle prévue en droit civil.

À mon avis, la norme de preuve requise n’est pertinente en droit que lorsque le tribunal est appelé à rendre des décisions qui peuvent être qualifiées de questions de fait. La norme de preuve inférieure à celle prévue en droit civil n’est pas pertinente lorsque la question examinée est essentiellement une question de droit. Pour les fins de l’application de la disposition d’exclusion, il suffit que j’expose brièvement le fondement sur lequel j’établis une distinction entre les deux formes de questions et mes raisons pour le faire.

On a défini la conclusion de fait comme la conclusion qu’un phénomène s’est produit, se produit ou se produira indépendamment de toute décision concernant ses effets juridiques ou antérieurement à celle-ci; voir L. L. Jaffe, Judicial Control of Administrative Action, Boston : Little, Brown and Company, 1965, à la page 548. La question de droit a, quant à elle, été définie de nombreuses façons; voir par exemple P. J. Fitzgerald, Salmond on Jurisprudence, 12e éd., London : Sweet & Maxwell, 1966, à la page 10. C’est peut-être le professeur Wade qui définit le mieux le fondement sur lequel les questions de droit se distinguent nettement des questions de fait :

[traduction] Les questions de droit doivent être différenciées des questions de fait, mais il s’agit d’un cas où les règles ont pris différentes formes en raison de la manipulation judiciaire.

Selon la doctrine plus simple et plus logique reconnue dans de nombreux jugements, les questions de fait portent sur les faits principaux de l’affaire concernée, qui doivent être établis avant que soit appliqué le droit, soit les « faits qui sont observés par les témoins et établis par les témoignages », et auxquels devraient être ajoutés tous les faits qui sont de connaissance générale et dont la cour prendra connaissance d’office. La question de savoir si ces faits, une fois établis, répondent à une définition ou exigence juridique, doit être une question de droit puisqu’il s’agit alors de déterminer la façon d’interpréter et d’appliquer le droit aux faits établis. [Voir Wade, Administrative Law, 6e éd. (Oxford : Clarendon Press, 1988) aux pages 938 et 939.]

La proposition suivant laquelle la norme de preuve énoncée dans les arrêts Ramirez et Jolly n’est pertinente que relativement aux questions de fait, comme l’a indiqué le professeur Wade, trouve appui dans l’arrêt McMullen v. I.N.S., 788 F.2d 591 (9th Cir. 1986). Dans cette affaire, il s’agissait de savoir s’il existait de « sérieuses raisons de penser » que McMullen, un ancien membre d’une organisation terroriste, l’Armée républicaine irlandaise provisoire (ARIP), avait commis des crimes non politiques graves, qui le rendaient susceptible d’expulsion. La Cour a dit (à la page 599) :

[traduction] McMullen soutient qu’aucun élément de preuve explicite ne le relie à des actes de terrorisme commis par l’ARIP contre les civils, mais seulement à des expéditions d’armes et à l’attentat à la bombe d’installations militaires, des actes qui, soutient-il, sont des crimes politiques. Il n’y a pas lieu de déterminer si ces actes certes violents sont des « crimes politiques » puisque nous estimons que la conclusion de la Commission suivant laquelle il existe de « sérieuses raisons » de penser que McMullen avait participé aux actes de violence non protégés et non politiques contre des civils est appuyée par une preuve considérable.

La Commission n’est pas tenue de tirer la conclusion de fait, hors de tout doute raisonnable ou selon la prépondérance de la preuve, que McMullen était directement impliqué dans les actes non protégés. En effet, dans le cadre de la Loi, la Commission doit uniquement conclure qu’il existe « de sérieuses raisons de penser qu’[il] a commis » de tels actes…. Le libellé de la section F de l’article premier de la Convention est identique. Il ne requiert qu’une cause probable. Lorsqu’il est déterminé que le comportement en question est un crime non politique grave, la Convention requiert seulement, pour conclure à l’existence de « raisons sérieuses », qu’il existe une cause probable de penser que l’étranger a commis le crime. [C’est moi qui souligne.]

À mon avis, la norme de preuve visée par la disposition d’exclusion était destinée à servir dans les cas où des éléments de preuve contraires doivent être pondérés. Elle ne doit pas excéder son objectif législatif. Dans le présent contexte, la norme de preuve devient pertinente uniquement quant aux questions de fait suivantes.

La question de savoir si l’appelant ou des membres de son peloton ont tué des civils est une question de fait. La norme de preuve à appliquer est celle visée par l’expression « sérieuses raisons de penser ». De même, la question de savoir si l’appelant a monté la garde pendant qu’un prisonnier était torturé est une question de fait. Ce fait étant admis, la norme de preuve requise est respectée. Toutefois, cette norme n’a aucune conséquence sur les décisions suivantes.

La question de savoir si le meurtre de civils par le personnel militaire peut être qualifié de crime contre l’humanité est une question de droit. Il doit être accepté que de tels actes répondent aux critères juridiques prévus dans la Loi et dans la Convention[3]. La question de savoir si les gestes ou les omissions de l’appelant comme gardien constituent un crime contre l’humanité est également une question de droit. Cette question ne peut être tranchée que par référence aux principes juridiques énoncés dans la jurisprudence relative à la « complicité ». Enfin, la question de savoir si l’appartenance à une organisation militaire comme l’armée salvadorienne constitue une complicité suffisante pour justifier l’application de la disposition d’exclusion est, elle aussi, une question de droit.

Il semble évident que les questions de droit ne se prêtent pas à des décisions qui renvoient à des concepts juridiques enchâssés dans une théorie des probabilités. Toutefois, il existe d’autres raisons d’exempter les questions de droit de l’application d’une norme de preuve. Certes, la norme de preuve inférieure à celle prévue en droit civil, établie dans l’arrêt Ramirez, affermit l’opinion voulant qu’il était dans l’intention des signataires de la Convention d’exclure les personnes ne méritant aucune protection. Mais il est difficile de leur prêter l’intention d’établir une norme de preuve préliminaire qui, virtuellement, garantit l’exclusion du demandeur de statut dès que le ministre démontre qu’il existe de « sérieuses raisons de penser » que les gestes ou les omissions du demandeur pourraient être qualifiés de crimes contre l’humanité.

À mon avis, il s’agit là d’une question de droit qui doit être tranchée conformément aux principes juridiques plutôt que par référence à une norme de preuve. (Ces principes juridiques seront appliqués à un ensemble de faits établis conformément au fardeau de preuve inférieur à la norme prévue en droit civil, soit celui qui se rapporte aux « sérieuses raisons de penser ».) Conclure autrement reviendrait à réécrire maladroitement la disposition d’exclusion et risquerait fort d’entraîner des décisions malheureuses et injustes en matière de statut de réfugié. Ainsi, les prisonniers de guerre qui ont aidé l’ennemi à persécuter d’autres prisonniers se verraient refuser toute protection dans le cadre du droit international si la norme de preuve inférieure à celle prévue en droit civil était appliquée à ce qui, essentiellement, est une question de droit. Cette situation paradigmatique mettrait en cause les « kapos » (détenus juifs) qui ont supervisé des codétenus au camp de concentration Treblinka; voir Fedorenko v. United States, 449 U.S. 490 (1981), aux pages 534 et 535. Je suppose que, dans de telles affaires, la norme de preuve inférieure à celle prévue en droit civil envisagée dans l’arrêt Ramirez serait présumée inapplicable, comme le serait la disposition d’exclusion elle-même.

C)        Le tribunal a-t-il commis une erreur en tirant des conclusions de fait et de crédibilité erronées?

L’avocate des appelants soutient [traduction] « que la Commission a commis une erreur de droit en ne tirant aucune conclusion expresse sur la crédibilité de ses clients et en ne donnant donc aucun motif à l’appui ». Cette Cour a à maintes reprises conclu que, si la crédibilité du demandeur est en cause, la Commission est tenue de motiver sa conclusion dans des termes clairs et nets; voir Ababio c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 5 Imm. L.R. (2d) 174 (C.A.F.); Rahman c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 170 (C.A.F.); Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.); Sebaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 264 (C.A.F.) et Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.). Dans la présente affaire, la Commission n’a tiré aucune conclusion sur la crédibilité proprement dites des demandeurs. Elle a toutefois évoqué trois cas où elle a décelé des incompatibilités ou des contradictions[4]. À tous autres égards, la crédibilité de l’appelant n’a pas été mise en doute.

Comme je l’ai signalé précédemment, deux des conclusions sur la crédibilité étaient fondées sur des incompatibilités perçues quant à la date à laquelle l’appelant a pour la première fois décidé de déserter l’armée et ses raisons pour le faire. Les passages pertinents de la décision de la Commission sont les suivants (dossier d’appel, aux pages 239 et 242 respectivement) :

En guise de réponse au conseil du ministre, le demandeur a déclaré qu’il avait décidé de s’enfuir de l’armée le 5 mai 1988. Il a avoué avoir déclaré au responsable de l’immigration canadienne qui l’a interviewé le 6 mars 1990 qu’il avait quitté l’armée pour assister à la naissance de son premier fils.

Même s’il a déclaré qu’au cours de sa première permission il avait décidé de fuir l’armée, il a également déclaré que c’est le 5 mai 1988, lorsqu’il a quitté le El Salvador, qu’il avait décidé de quitter l’armée. Nous croyons en la valeur du dernier témoignage.

Il est à mon avis inutile de se demander si le dossier étaye ou non les incompatibilités décelées par la Commission. Il a été convenu dès le début du présent appel que cette Cour n’aurait pas à rendre une décision sur le statut de réfugié. Bien que les raisons de l’appelant pour déserter l’armée et le moment de sa décision soient primordiaux quant à sa revendication du statut de réfugié, ils ne sont pas pertinents relativement à la décision qui porte sur l’applicabilité de la disposition d’exclusion[5]. Quoi qu’il en soit, la preuve qui porte sur la crainte bien fondée de l’appelant d’être persécuté, compte tenu des incompatibilités décelées par la Commission, n’est pas déterminante. Il ressort du dossier d’appel que les deux parties et la Commission étaient préoccupées par l’application de la disposition d’exclusion et les raisons qui ont motivé les appelants à venir au Canada plutôt qu’à résider aux États-Unis.

La crédibilité de l’appelant a également été mise en doute relativement à son témoignage, dans lequel il a nié avoir participé au meurtre de civils. Cette conclusion fait ressortir la relation délicate qui existe entre les décisions en matière de crédibilité et la norme de preuve requise. Cette difficulté est particulièrement marquée puisque, je le répète, la Commission se voit dans la délicate obligation de s’en remettre au témoignage de l’appelant comme preuve appuyant tant l’inclusion que l’exclusion.

Il s’agit en premier lieu de savoir si la conclusion suivante de la Commission est appuyée par la preuve à tel point qu’il existe de « sérieuses raisons de penser » que l’appelant a effectivement participé aux actes en cause (dossier d’appel, page 240) :

Bien que le demandeur ait essayé de nier sa participation aux atrocités commises à l’endroit des civils, selon son témoignage, il est parfaitement clair que sans tenir compte de l’allusion à la situation précédente extraite de sa Fiche de renseignements personnels, qu’il avait participé de façon active au massacre des civils qui avaient été capturés ou qu’il agissait en parfaite entente avec ses camarades qui agissaient ainsi. [C’est moi qui souligne.]

La citation tirée de la Fiche de renseignements personnels (FRP), à laquelle renvoie la Commission dans ses motifs, est la suivante (dossier d’appel, aux pages 239 et 240) :

Au cours de l’opération, nous avons pris les villages que la guérilla occupait habituellement. Tous ceux qui demeuraient sur les lieux, y compris deux vieillards et de jeunes enfants, ont été soupçonnés de faire partie de la guérilla, et plusieurs d’entre eux ont été tués pour cette unique raison. Nous avons reçu l’ordre de tuer tout le monde.

Malgré le fait que la Commission ait affirmé ne pas avoir tenu compte de la preuve soumise dans la FRP, c’est sur le fondement de la déclaration ci-dessus, et de cette déclaration seulement, que la Commission doit avoir conclu que l’appelant était impliqué, directement ou indirectement, dans le meurtre de civils. À mon avis, et comme je l’expliquerai plus loin, il n’y a simplement aucune autre preuve qui étaye cette conclusion. Je me pencherai d’abord sur la portée de la FRP.

La FRP représente la traduction anglaise d’un récit rédigé par l’avocate à la suite d’une entrevue menée en espagnol. L’imprécision qui caractérise fréquemment la traduction d’un témoignage verbal impose une certaine prudence lorsque des conclusions défavorables de toutes sortes sont tirées. En l’espèce, la déclaration reproduite ci-dessus ne constitue qu’une partie d’un paragraphe unique de la FRP de l’appelant, qui tente d’exposer, sur une seule feuille, les détails du service militaire de ce dernier aussi bien que les préceptes moraux de l’armée salvadorienne. Le paragraphe entier se lit comme suit (dossier d’appel, page 116) :

[traduction] En janvier 1988, avant que je puisse amasser suffisamment d’argent pour quitter le Salvador, j’ai été recruté contre mon gré dans l’armée salvadorienne. J’ai reçu un entraînement de trois mois avant d’obtenir une permission de deux jours. Mon épouse et mes parents tentaient toujours d’amasser l’argent qui nous permettrait de quitter le pays. À mon retour dans l’armée, j’ai participé à de véritables affrontements avec la guérilla. L’opération a duré approximativement vingt jours, pendant lesquels ont eu lieu environ cinq affrontements. Au cours de l’opération, nous avons pris les villages que la guérilla occupait habituellement. Tous ceux qui demeuraient sur les lieux, y compris deux vieillards et de jeunes enfants, ont été soupçonnés de faire partie de la guérilla, et plusieurs d’entre eux ont été tués pour cette unique raison. Nous avons reçu l’ordre de tuer tout le monde. Mes amis parlaient fréquemment des tâches qui leur étaient assignées, lesquelles consistaient notamment à aller chercher à domicile ceux qu’on soupçonnait être de la guérilla pour les interroger. À une occasion, j’ai reçu l’ordre d’assurer la garde d’un homme qui avait été amené pour être interrogé. J’ai été témoin de sa torture.

Purement et simplement, il ne peut être accordé que peu ou pas de poids à la FRP en ce qui concerne la participation de l’appelant à ce qui peut par ailleurs être clairement reconnu comme un crime contre l’humanité. Toute ambiguïté perçue demande à tout le moins à être clarifiée. À mon avis, à elle seule la FRP ne satisfait pas à la norme relative aux « sérieuses raisons de penser ». Par conséquent, il ne reste que les témoignages verbaux qui pourraient avoir valablement amené la Commission à conclure ou à affermir sa croyance qu’il existait de « sérieuses raisons de penser » que l’appelant avait participé à des crimes contre l’humanité.

Contrairement à la Commission, nous avons l’avantage de revoir la transcription entière des débats, dont les parties pertinentes sont reproduites ci-dessous (dossier d’appel, vol. 1, page 38) :

[traduction] avocate : Avez-vous rencontré des civils au cours de l’un de ces cinq affrontements?

demandeur : Non.

avocate : Non?

demandeur : Des civils ou des guérilleros civils, mais ils étaient morts.

avocate : Mais en ce qui concerne l’affrontement lui-même, ceux contre qui vous luttiez, vous parlez d’hommes armés, ou étaient-ils …

demandeur : Oui.

avocate : Au cours de ces affrontements, saviez-vous si des civils étaient tués?

demandeur : Je n’étais présent à aucun d’entre eux.

avocate : À aucun d’entre quoi?

demandeur : Des meurtres de civils.

avocate : Vous est-il arrivé de tirer sciemment sur un civil au cours de ces affrontements?

demandeur : Non, jamais.

avocate : Vous avez mentionné avoir vu des civils morts. Pourriez-vous nous dire si c’était à l’occasion des affrontements ou à d’autres occasions, lorsque vous étiez sur la montagne?

demandeur : À cette occasion, ce n’était pas le cas, cela n’avait pas été fait par mon groupe, mais par d’autres groupes.

Lors du contre-interrogatoire mené par le représentant du ministre, le demandeur a témoigné comme suit (dossier d’appel, vol. 1, page 58) :

[traduction] demandeur : Oui, nous avons reçu l’instruction ou l’ordre des majors de tuer tout le monde. Parce que s’ils se joignent aux guérilleros, c’est qu’ils en sont eux-mêmes.

représentant du ministre : Donc, avez-vous tué les vieillards et les enfants?

demandeur : Le peloton dont je faisais partie ne l’a pas fait. Un autre peloton l’avait fait. Un peloton dont je faisais partie.

maraj : Pourquoi n’en avez-vous rien dit dans votre Fiche de renseignements personnels?

demandeur : Je n’ai tué personne.

représentant du ministre : Selon ce que vous affirmez savoir. Vous avez dit avoir tiré et vous ne savez pas quelle balle a tué qui.

demandeur : Je l’admets, j’ai tiré. Mais je n’ai jamais tué de guérilleros civils.

Les extraits qui précèdent constituent tout le témoignage qui intéresse directement cette question particulière[6]. Le témoignage de l’appelant est logique en lui-même. À mon avis, même en faisant un grand effort d’imagination, il n’est pas « parfaitement clair » selon le témoignage que l’appelant ou son peloton étaient impliqués dans le meurtre de civils au cours de la période de vingt jours. On ne peut non plus affirmer avec certitude, comme la Commission l’a fait, que la preuve était « accablante ».

Mettant de côté la question de la crédibilité[7] et me reportant au libellé de la Loi, j’estime que la preuve est loin d’établir qu’il existe de « sérieuses raisons de penser » que l’appelant ou les membres de son peloton ont participé au meurtre de civils. Si l’appelant avait depuis longtemps été membre d’une unité militaire reconnue pour son traitement inhumain des civils, il aurait peut-être été possible pour la Commission de conclure comme elle l’a fait. Toutefois, compte tenu des circonstances, on peut seulement affirmer que l’appelant était membre d’un régime militaire engagé dans la perpétration de crimes contre l’humanité. Dans les présentes circonstances, la culpabilité de l’appelant ne peut se poser que par association.

Une telle erreur constitue un motif suffisant pour annuler la décision de la Commission et renvoyer l’affaire pour un réexamen. En l’espèce toutefois, le tribunal tenant la nouvelle audience aurait la tâche de déterminer si les actes et les omissions de l’appelant relativement à la garde d’un prisonnier, de même que son appartenance à un groupe dont le code de conduite prévoit le meurtre de civils, suffisent pour invoquer la disposition d’exclusion. Bien que la Commission n’ait pas commenté la question de l’« appartenance », elle a conclu que la complicité de l’appelant dans la torture d’un prisonnier constituait un crime contre l’humanité. Les autres questions en litige doivent par conséquent être tranchées.

D)        La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que les actes ou les omissions de l’appelant constituaient un crime contre l’humanité?

Le succès du présent appel dépend maintenant de la réponse à deux questions, dont la première est la suivante : L’appartenance de l’appelant à une organisation militaire qui commet des actes inhumains envers la population civile suffit-elle en elle-même pour que l’on puisse invoquer la disposition d’exclusion? En d’autres termes, l’appelant est-il « coupable par association »? La deuxième question est plus spécifique. La participation de l’appelant à titre de gardien au cours de la torture d’un prisonnier permet-elle de présumer qu’il était un « complice », et qu’il est de ce fait visé par l’application de la disposition d’exclusion? La question suppose que l’on convienne que le « complice » est aussi coupable que l’« auteur »—celui qui appuie sur la détente. L’autre solution consiste à qualifier l’appelant de « spectateur innocent ». Je me prononcerai sur les questions dans l’ordre où elles ont été posées.

1)         Culpabilité par association

Il est bien établi que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d’invoquer la disposition d’exclusion; voir les arrêts Ramirez, à la page 317, et Laipenieks v. I.N.S., 750 F. 2d (1985) (9th Cir. 1985), à la page 1431. La règle générale connaît une exception lorsque l’existence même de l’organisation repose sur l’atteinte d’objectifs politiques ou sociaux par tout moyen jugé nécessaire. L’appartenance à une force policière secrète peut être jugée suffisante pour que l’on puisse invoquer la disposition d’exclusion; voir l’arrêt Naredo et Arduengo c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1990), 37 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.), mais voir également l’arrêt Ramirez, aux pages 318 et suivantes. L’appartenance à une organisation militaire impliquée dans un conflit armé contre les forces de la guérilla est visée par la règle générale et non par l’exception.

2)         Complice c. spectateur innocent

Pour répondre à la seconde question (participation à titre de gardien), il convient de souligner les principes fondamentaux qui sous-tendent le droit criminel canadien. Bien que je ne prétende pas que la tâche de la Commission consiste à en venir à une conclusion qui repose entièrement sur l’application des principes de droit criminel, j’estime utile de recourir aux propos du juge Dickson (tel était alors son titre), qui s’exprimait au nom de la majorité de la Cour dans l’arrêt Dunlop et Sylvester c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881, où il a étudié l’infraction d’aide et d’encouragement (aux pages 891 et 896) :

La simple présence sur les lieux d’un crime n’est pas suffisante pour conclure à la culpabilité. Il faut faire quelque chose de plus : encourager l’auteur initial; faciliter la perpétration de l’infraction, comme monter la garde ou attirer la victime, ou accomplir un acte qui tend à faire disparaître les obstacles à la perpétration de l’acte criminel, comme par exemple empêcher la victime de s’échapper ou encore se tenir prêt à aider l’auteur principal.

… J’ai beaucoup de difficulté à déceler une preuve de quelque chose de plus que la simple présence et l’acquiescement passif. La présence au moment de la perpétration d’une infraction peut constituer une preuve d’aide et d’encouragement si elle est accompagnée d’autres facteurs, comme la connaissance préalable de l’intention de l’auteur de perpétrer l’infraction ou si elle a pour but l’incitation. Il n’y a aucune preuve qu’au cours de la perpétration de l’acte criminel, l’un ou l’autre des accusés ait fourni une aide, une assistance ou une incitation au viol … Il n’y a aucune preuve de quelque acte positif ou omission pour faciliter le dessein illicite.

Si la simple présence sur les lieux d’un crime (la torture) n’est pas suffisante pour invoquer la disposition d’exclusion, l’acte qui consiste à monter la garde en vue d’empêcher la victime visée de s’échapper peut bien entraîner la responsabilité criminelle. En l’espèce, toutefois, l’appelant n’aurait pu aider le prisonnier à s’échapper puisqu’il n’a jamais détenu la clef de la cellule. Quoi qu’il en soit, la détermination de la complicité de l’appelant ne devrait pas reposer sur la possession d’une clef. Dans une même veine, il reste à déterminer si, comme l’a laissé entendre la Commission, l’appelant aurait dû tenter d’empêcher ses officiers supérieurs de poursuivre leurs actes de torture. Par son raisonnement tranchant, le juge MacGuigan répond promptement à cet argument dans l’arrêt Ramirez (aux pages 319 et 320) :

Il faut prendre particulièrement soin de ne pas condamner automatiquement quiconque est mêlé à un conflit en situation de guerre. Dans la plupart des guerres de l’histoire de l’humanité, la plupart des combattants ont probablement vu leur propre armée se livrer à des actes qu’ils auraient normalement trouvés répréhensibles mais qu’ils se sont sentis absolument incapables d’arrêter, du moins sans courir de risques graves. Bien que la loi puisse obliger ceux qui reçoivent l’ordre de commettre des crimes internationaux à faire un choix, elle ne requiert pas des gens se trouvant sur les lieux d’un tel crime qu’ils se portent immédiatement au secours des victimes à leurs propres risques. La loi n’a pas habituellement pour effet d’ériger l’héroïsme en norme.

Appliquant les critères énoncés par le juge Dickson dans l’arrêt Dunlop et Sylvester c. La Reine aux faits du présent appel, j’en arrive à la conclusion que les actes ou omissions de l’appelant ne suffiraient pas en droit pour entraîner sa responsabilité criminelle. L’appelant n’avait aucune connaissance préalable des actes de torture qui devaient être perpétrés. On ne peut non plus affirmer qu’il a aidé directement ses officiers supérieurs ou les a encouragés à perpétrer un crime international. Mon opinion est renforcée par la décision de la Cour suprême du Canada d’annuler les dispositions du Code criminel [S.R.C. 1970, ch. C-34] en matière de meurtre par imputation dans l’arrêt R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, pour le motif qu’elles violaient l’article 7 (vie, liberté et sécurité de la personne) et l’alinéa 11d) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (présomption d’innocence).

La complicité de l’appelant ne peut être déterminée sur le fondement des seules dispositions du droit criminel. Comme on l’a indiqué dans l’arrêt Ramirez (à la page 315), « une convention internationale ne saurait s’interpréter à la lumière d’un seul des systèmes juridiques du monde ». Je porte maintenant mon attention sur les principes du droit relatif aux réfugiés qui, il n’est guère surprenant, chevauchent ceux du droit criminel.

Il est reconnu en droit que les actes ou les omissions qui équivalent à un acquiescement passif ne permettent pas d’invoquer la disposition d’exclusion. Il faut établir une participation personnelle aux actes de persécution. À cet égard, le raisonnement exposé dans l’arrêt Ramirez est à la fois obligatoire et convaincant (à la page 318) :

Je crois que, dans de tels cas, la complicité dépend essentiellement de l’existence d’une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont.

À la page 320, le juge MacGuigan, J.C.A., conclut ceci :

À mon avis, il n’est pas souhaitable, dans l’établissement d’un principe général, de dépasser le critère de la participation personnelle et consciente aux actes de persécution. Le reste devrait être tranché en fonction des faits particuliers de l’affaire.

Tenant compte du raisonnement précédent, nous devons déterminer si le comportement de l’appelant satisfait au critère de la « participation personnelle et consciente aux actes de persécution ». Tout aussi important toutefois est le fait que la complicité repose sur l’existence d’un dessein commun, poursuivi par l’« auteur » et le « complice ». En d’autres termes, la mens rea demeure un élément essentiel du crime. À mon avis, une personne recrutée contre son gré dans l’armée, et qui à une occasion a été témoin de la torture d’un prisonnier alors qu’elle était affectée à la garde de celui-ci, ne peut être considérée en droit comme ayant commis un crime contre l’humanité.

Superficiellement, il pourrait être maintenu que l’appelant a sciemment aidé ou autrement participé à un acte de persécution. Cette analyse ne renferme toutefois aucune preuve étayant l’existence d’un dessein commun. En outre, la preuve établit que l’appelant s’est dissocié des véritables auteurs en désertant l’armée dans un délai plutôt bref après avoir été recruté contre son gré. Compte tenu des circonstances, la présence de l’appelant sur les lieux d’un crime équivaut à un acte d’acquiescement passif. En conséquence, il n’y a aucun fondement juridique sur lequel puisse se fonder l’application de la disposition d’exclusion.

Ma conclusion est influencée par l’opinion d’un auteur suivant lequel plus une personne est impliquée dans le processus décisionnel et moins elle tente de contrecarrer la perpétration d’actes inhumains, plus il est vraisemblable qu’elle soit criminellement responsable; voir l’ouvrage de M. Cherif Bassiouni, Crimes Against Humanity in International Criminal Law, Dordrecht : Martinus Nijhoff Publishers, 1992, à la page 343. Évidemment, plus une personne est éloignée des auteurs des décisions, en présumant qu’elle n’est pas l’« auteur », moins il est probable que le degré de complicité requis pour entraîner des sanctions criminelles ou l’application de la disposition d’exclusion sera atteint. Je tiens pour acquis que des soldats d’infanterie âgés de seize ans ne seront pas traités de façon identique sur le plan juridique que ceux qui sont aux commandes de la guerre.

Puisque je conclus que les actes de l’appelant n’atteignent pas le seuil établi dans l’arrêt Ramirez, j’estime inutile de recourir aux défenses absolues fréquemment invoquées pour absoudre le demandeur de toute culpabilité (par exemple la contrainte). À mon avis, l’élément de mens rea requis fait tout simplement défaut. Pour reprendre les propos du juge MacGuigan, J.C.A. [à la page 320], dès que le critère de la participation personnelle et consciente est accepté, « [l]e reste devrait être tranché en fonction des faits particuliers de l’affaire ». Les faits de l’affaire Ramirez sont substantiellement différents de ceux qui sont pertinents quant à la revendication du statut de réfugié de l’appelant en l’espèce.

M. Ramirez était âgé de dix-sept ans lorsqu’il s’est engagé dans l’armée salvadorienne. Contrairement à l’appelant, il s’est porté volontaire pendant deux ans, et il a ensuite renouvelé son engagement. Il a déserté l’armée après trente-trois mois de service, période au cours de laquelle il avait été promu au rang de sergent. En outre, il avait participé à plus de cent engagements et assisté à la torture et au meurtre d’autant de prisonniers (un fait décrit par la Cour comme étant entré dans les mœurs militaires au Salvador). Dans son évaluation de l’applicabilité de la disposition d’exclusion, le juge MacGuigan, J.C.A. a tenu les propos suivants (aux pages 326 et 327) :

Compte tenu du critère des « raisons sérieuses de penser … [q]u’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité », le cas de l’appelant ne peut même pas être qualifié de cas limite. Pendant ses vingt mois de service actif, il était conscient du très grand nombre d’interrogatoires menés par l’armée, peut-être aussi souvent que deux fois par semaine (après 130 à 160 engagements militaires). Il ne pourrait jamais entrer dans la catégorie des simples spectateurs. Il était chaque fois un membre actif et conscient d’une force armée dont l’un des objectifs communs était la torture de prisonniers pour en obtenir des renseignements. De son propre aveu, c’était l’une des activités auxquelles son armée se livrait régulièrement et de façon répétée. Il faisait partie de l’opération même si, personnellement, il n’applaudissait pas les actions accomplies. Autrement dit, sa présence pendant les incidents de persécution, jointe au fait qu’il partageait l’objectif commun des forces militaires, constitue clairement une forme de complicité. Il n’est pas nécessaire, pour les fins de la présente espèce, de déterminer à quel moment cette complicité a pu être établie, car cette affaire n’est pas du tout un cas limite. L’appelant n’était pas un spectateur innocent. Il faisait partie intégrante, même si c’était à son corps défendant, de l’entreprise militaire responsable de ces terribles moments d’inhumanité collective délibérée.

Pour reconnaître l’appelant criminellement responsable des actions qu’il a accomplies, il faudrait, bien sûr, appliquer une norme de preuve tout à fait différente. Mais étant donné que les nations du monde et le Canada ont adopté, en regard de l’admission des réfugiés lorsqu’il est question de crimes internationaux, une norme de preuve inférieure à celle du droit civil, il ne fait pas de doute qu’aucun tribunal correctement instruit ne pourrait conclure à autre chose qu’à la participation personnelle et consciente de l’appelant aux actes de persécution.

Dans l’arrêt Ramirez, la Cour était convaincue « hors de tout doute raisonnable » que l’auteur de la revendication avait participé personnellement et consciemment à des actes de persécution. Le fait que M. Ramirez se soit converti à une idéologie différente et qu’il ait par la suite fui l’armée et son pays ne peut en lui-même l’absoudre de complicité dans les crimes qui ont été commis contre l’humanité. À mon avis, ce qui distingue la présente affaire de l’affaire Ramirez est la durée du service militaire de l’appelant, son rang militaire et le rôle passif qu’il a joué dans ce qui manifestement était un crime commis par des officiers supérieurs.

E)        La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en ne se prononçant pas sur l’admissibilité de l’appelant dans le cadre de la disposition d’inclusion?

Puisque j’ai conclu que le comportement de l’appelant ne justifie aucunement du point de vue juridique l’application de la disposition d’exclusion, il n’est pas nécessaire que je me penche sur cette question fondamentale. Il n’y a pas lieu non plus de trancher la question accessoire de savoir si la Commission a le pouvoir discrétionnaire d’apprécier la nature des crimes contre l’humanité par rapport au sort qui attend le demandeur qui aurait été déclaré réfugié au sens de la Convention n’eût été de l’application de la disposition d’exclusion. On peut formuler de nouveau la question de la façon suivante : La Commission a-t-elle commis une erreur en n’appréciant pas la preuve qui soutenait l’application de la disposition d’exclusion par rapport à celle qui appuyait l’application de la disposition d’inclusion? Il sera répondu à ces questions à un autre moment; voir l’arrêt Ramirez, précité, mais voir également l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Mehmet, [1992] 2 C.F. 598 (C.A.), les motifs du juge Marceau, J.C.A., aux pages 607 et 608.

J’estime utile de souligner qu’il aurait été préférable que la Commission se prononce à l’égard de la revendication du statut de réfugié de l’appelant malgré sa décision d’appliquer la disposition d’exclusion, et ce, pour trois raisons.

D’une part, du point de vue pratique, il est extrêmement difficile de distinguer les motifs sur lesquels le demandeur fonde sa revendication du statut de réfugié des circonstances qui pourraient entraîner l’application de la disposition d’exclusion. Dans la plupart des cas, le demandeur offre une certaine preuve de complicité dans les crimes commis contre l’humanité et soutient ensuite qu’il craint avec raison d’être persécuté après avoir déserté le régime militaire ou la force policière qui demeure insensible aux conventions internationales régissant les droits de la personne; voir Velose, Commission d’appel de l’immigration 79-1017, 24 août 1979; Giraud c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1982 (C.A.F.), no A-1080-82; Cruz c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 10 Imm. L.R. (2d) 47 (C.A.I.), Personne non nommée c. M.E.I., Section du statut de réfugié, T89-00198, 11 juillet 1989; Naredo et Ardunengo c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 37 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.) et Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Mehmet, précité; à remarquer que la disposition d’exclusion n’est entrée en vigueur que le 1er janvier 1989.

D’autre part, si la Commission commet une erreur relativement à l’application de la disposition d’exclusion mais qu’elle se prononce également sur l’application de la disposition d’inclusion, il peut être inutile de lui renvoyer l’affaire. Il en est de même si la Commission se prononce sur la disposition d’inclusion, tire une conclusion défavorable et rejette la revendication sans se pencher sur le critère d’exclusion. Les facteurs tels le temps et le coût sont toujours éloquents dans l’élaboration de directives pratiques. Je remarque que certaines formations de la Commission ont déjà reconnu les avantages des décisions subsidiaires; voir Ramirez, précité, et Caballero c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), A-266-91, juges Marceau, Desjardins et Létourneau, J.C.A., jugement en date 13/5/93, C.A.F., encore inédit.

Enfin, indépendamment des considérations pratiques, il se peut fort bien que, dans certains cas, la Commission soit légalement tenue de se prononcer sur la revendication du statut de réfugié, sans tenir compte de l’applicabilité de la disposition d’exclusion. Cette possibilité survient dans le contexte des revendications de statut de réfugié d’un conjoint et d’une personne à charge, et sera analysée ci-après.

F)        La Commission a-t-elle commis une erreur en appliquant la disposition d’exclusion à la revendication du statut de réfugié de l’appelante?

Cette question doit être considérée, ne serait-ce que pour dissiper la conception erronée voulant que si la revendication de l’appelant dépend de l’application de la disposition d’exclusion, il en est de même pour celle de l’appelante et des deux enfants des appelants. Comme je l’ai signalé précédemment, la Commission a conclu que, la revendication de l’appelante ayant été faite en fonction de celle de son époux, elle devrait également être rejetée du fait de l’application de la disposition d’exclusion. Après réflexion, il est apparent que la Commission a commis une erreur.

La Commission a présumé à tort que la revendication du statut de réfugié de Mme Sanchez était soumise à l’application de la disposition d’exclusion, alors qu’en réalité elle dépend de la question de savoir si M. Moreno sera persécuté s’il retourne au Salvador. Le raisonnement applicable aux revendications de statut de réfugié du conjoint et de la personne à charge est simple. Si le demandeur principal risque vraisemblablement d’être persécuté, les personnes à sa charge courent vraisemblablement le même risque du fait de cette relation; voir Astudillo c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), 31 N.R. 121 (C.A.F.), les motifs du juge Heald, à la page 123; Djama c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), A-738-90, juge Marceau, J.C.A., jugement en date du 5/6/92, C.A.F., encore inédit; et Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 14 Imm. L.R. (2d) 51 (C.A.F.). La probabilité que l’appelante soit persécutée n’est pas éteinte simplement du fait que la disposition d’exclusion rend la revendication de l’appelant irrecevable.

Pour les fins de la discussion, présumons que la Commission ait décidé que l’appelant aurait été déclaré réfugié au sens de la Convention n’eût été l’applicabilité de la disposition d’exclusion. Présumons également que la Commission n’a commis aucune erreur à cet égard. Pour quel motif juridique pourrait-on rejeter la revendication de l’appelante? Pour aucun. La question de savoir s’il existe de « sérieuses raisons de penser » que le demandeur a commis des crimes contre l’humanité n’a aucun rapport avec la revendication du statut de réfugié de la conjointe et des personnes à charge qui n’ont jamais participé, directement ou indirectement, à de tels crimes. La disposition d’exclusion ne peut servir à promouvoir efficacement une justice vengeresse aux dépens des membres innocents de la famille.

J’aimerais également souligner que la question posée ci-dessus est distincte de celle qui a été soulevée par l’intimé et débattue en appel. L’avocate a formulé la question dans les termes suivants :

[traduction] La section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur en ne considérant pas la revendication du statut de réfugié de l’appelante indépendamment de la revendication de son époux?

Il est vrai que Mme Sanchez n’a pas présenté une revendication du statut de réfugié distincte en ce qu’elle n’a soumis aucun motif de crainte d’être persécutée autre que ceux de son époux. Elle aurait pu alléguer par exemple la crainte d’être persécutée du fait qu’elle est l’épouse d’une personne accusée ou coupable de crimes contre l’humanité. Il ne nous appartient pas de décider si son défaut de soulever des motifs indépendants de persécution et de présenter une preuve régulière à cet égard au moment de l’audience l’empêche de soulever la question en appel; voir Caballero, précité. Par conséquent, le fait que Mme Sanchez n’ait soumis aucun motif distinct est sans conséquence dans les circonstances de l’espèce.

Il s’ensuit que la Commission a commis une erreur de droit en ne décidant pas si, pour les fins de l’appréciation de la revendication du statut de réfugié de l’appelante à titre de personne à charge, l’appelant aurait été déclaré réfugié au sens de la Convention.

CONCLUSION

À mon avis, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a rejeté la revendication de l’appelante sans d’abord déterminer si son époux satisfaisait au critère d’inclusion énoncé dans la Loi. Cette erreur, jointe à la conclusion erronée de la Commission qu’il existe de « sérieuses raisons de penser » que l’appelant a commis des crimes contre l’humanité, sont des motifs suffisants pour accueillir l’appel.

J’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de la Commission rendue le 22 avril 1991, et je renverrais l’affaire à un tribunal formé différemment pour qu’il tienne compte du fait que la section F de l’article premier de la Convention ne s’applique à la revendication du statut de réfugié ni de l’un ni de l’autre des appelants.

Le juge Mahoney, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] J’estime qu’il n’y a aucune distinction fondamentale entre les expressions « il y a raisonnablement lieu de croire » et « des raisons sérieuses de penser ». Dans l’arrêt Ramirez (aux p. 311 et 312) la Cour renvoyait à d’autres dispositions de la Loi, qui excluent également certaines personnes lorsque l’« on peut penser, pour des motifs raisonnables », et elle a conclu qu’il n’y avait pas « de différences importantes » entre les deux expressions.

[2] La seule exception que je connaisse est l’arrêt Sivakumar c. M.E.I., 17 mai 1991, no U91-02923 [Re K. (Y.P.), [1991] D.S.S.R. no 672 (Q.L.)] où le ministre a présenté une preuve indépendante concernant les activités du demandeur de statut au Sri Lanka.

[3] Dans son exposé supplémentaire, l’avocate des appelants a revu en détail les critères applicables pour déterminer si un comportement, que les Canadiens considéreraient être un crime, est également susceptible d’être qualifié de crime contre l’humanité. Pour les fins du présent appel, j’adhère à l’opinion que les actes en question relèvent des deux catégories.

[4] En appel, l’avocatr a identifié une quatrième incompatibilité, que la Commission n’a pas mentionnée dans ses motifs; voir dossier d’appel, vol. I, aux p. 58 et 59. Je me garderai de me pencher sur ce point si ce n’est pour affirmer qu’à mon avis, cette omission n’est importante que dans la mesure où elle confirme la véracité du témoignage de l’appelant.

[5] Normalement, le témoignage qui porte sur de telles questions vise à démontrer que le demandeur a déserté l’armée par conscience et que, pour cette raison, sa désertion peut constituer le fondement d’une revendication du statut de réfugié parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de ses opinions politiques ou de celles qu’on lui prête. La jurisprudence antérieure de cette Cour sur le statut de réfugié des objecteurs de conscience doit être appliquée en regard du raisonnement de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; et voir Musial c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1982] C.F. 290 (C.A.); Padilla c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.) et Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 540 (C.A.).

[6] Le dossier d’appel, vol. 1, contient une preuve supplémentaire concernant cette question aux p. 55 à 57, 83 et 84. Elle est compatible avec la preuve reproduite ci-dessus.

[7] Je n’ai pu m’empêcher de remarquer que, dans les notes de l’entrevue prises par le représentant de l’immigration au moment où l’appelant tentait d’entrer au Canada, on lit notamment ceci (dossier d’appel, p. 190) : « A répondu à toutes les questions honnêtement, sans hésitation ».

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