[2011] 4 R.C.F. 349
T-474-09
2010 CF 623
Jacques Nault (demandeur)
c.
Le ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux du Canada (défendeur)
Répertorié : Nault c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux)
Cour fédérale, juge Gauthier—Montréal, 7 avril; Ottawa, 9 juin 2010.
Accès à l’information — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Commissariat à l’information du Canada a refusé de communiquer certains renseignements en vertu de la Loi sur l’accès à l’information — Le défendeur a effectué plusieurs prélèvements des curriculum vitae, lettres et preuve d’études des candidats qui avaient participé à des concours au sein d’institutions gouvernementales en vertu de l’art. 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information — Le Commissariat a statué que les documents prélevés n’étaient pas du domaine public — Il s’agissait de savoir si les antécédents professionnels des fonctionnaires fédéraux avant leur entrée dans la fonction publique sont dans le domaine public par le biais de l’exception prévue à l’art. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels — Les renseignements demandés ne coïncidaient pas avec les exceptions énumérées à l’art. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et demeuraient inaccessibles au public — Même si la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels doivent être lues conjointement, une importance particulière doit être accordée à la protection des renseignements personnels — Les renseignements demandés ne portaient pas sur le poste ou les fonctions des candidats engagés dans le cadre des concours — L’objet de l’art. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est de garantir que l’État et ses représentants répondent de leurs actes — Il n’y avait en l’espèce aucun tel acte posé par les candidats reçus — De la même façon, les renseignements demandés n’étaient pas directement liés aux postes ou aux fonctions des fonctionnaires fédéraux chargés d’administrer le concours et n’étaient pas visés par l’exception à l’art. 3j) — Les dossiers des candidats ne deviennent pas des renseignements publics du simple fait qu’ils ont été examinés par un fonctionnaire fédéral dans le cadre de ses fonctions — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Commissariat à l’information du Canada a refusé de communiquer certains renseignements en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.
Le demandeur a demandé qu’on lui donne accès aux curriculum vitae, lettres et preuve d’études des candidats qui avaient participé à des concours afin d’obtenir un poste au sein de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Le défendeur a effectué plusieurs prélèvements des documents qu’il a communiqués, déclarant que la majorité des documents étaient assujettis à l’exception du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information, qui dispose que les documents contenant des renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne sont pas communiqués. Cependant, l’information concernant les postes et fonctions occupés par les candidats au sein d’institutions gouvernementales n’a pas été prélevée en application de l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le Commissariat a statué que les documents prélevés n’étaient pas du domaine public et a rejeté la plainte du demandeur comme non établie.
La question litigieuse était celle de savoir si les antécédents professionnels des fonctionnaires fédéraux avant leur entrée dans la fonction publique sont dans le domaine public par le biais de l’exception prévue à l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Jugement : la demande doit être rejetée.
Certains renseignements personnels des fonctionnaires fédéraux, notamment des examens et évaluations du rendement et les notes prises pendant une entrevue, demeurent toujours inaccessibles au public. En l’espèce, l’information quant aux emplois, l’expérience et l’éducation des candidats avant leur entrée dans la fonction publique ne coïncide avec aucune des exceptions énumérées à l’alinéa 3j). Même si la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information doivent être lues conjointement, une importance particulière doit être accordée à la protection des renseignements personnels. Les renseignements demandés par le demandeur ne portaient pas sur le poste ou les fonctions des candidats engagés dans le cadre de ces concours; ils portaient sur leur formation, leur expérience et leurs compétences avant d’entrer en poste dans une institution gouvernementale. Ils concernent les personnes elles-mêmes et ce, même si ces compétences et qualités personnelles ont été évaluées afin de s’assurer que ces candidats avaient les compétences requises. L’objet de l’alinéa 3j) est de garantir que l’État et ses représentants répondent de leurs actes. Il n’y avait en l’espèce aucun tel acte posé par les candidats reçus. De la même façon, les renseignements demandés par le demandeur n’étaient pas directement liés aux postes ou aux fonctions des fonctionnaires fédéraux chargés d’administrer le concours et ne seraient pas visés par l’exception à l’alinéa 3j). Les dossiers des candidats ne deviennent pas des renseignements publics du simple fait qu’ils ont été examinés par un fonctionnaire fédéral dans le cadre de ses fonctions. Toute autre conclusion produirait un résultat absurde.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2, 7, 8, 19, 26, 41, 48.
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 2, 3 « renseignements personnels » (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 47(F)), 8(1),(2)a),m)(i),(ii).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66; Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551 (1re inst.).
décisions examinées :
Forsch c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2004 CF 513; H.J. Heinz du Canada ltée c. Canada (Procureur général), 2006 CSC 13, [2006] 1 R.C.S. 441.
décisions citées :
Nault c. Canada (Commission de la fonction publique), 2002 CFPI 1297, conf. par 2004 CAF 350; Van Den Bergh c. Canada (Conseil national de recherches), 2003 CF 1116; Brainhunter (Ottawa) Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1172; Rubin c. Canada (Conseil privé, Greffier) (1993), 48 C.P.R. (3d) 337, 62 F.T.R. 287 (C.F. 1re inst.).
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Commissariat à l’information du Canada a refusé de communiquer certains renseignements en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Jacques Nault pour son propre compte.
Caroline Laverdière pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] La juge Gauthier : M. Nault, qui se représente lui-même, demande à la Cour de réviser la légalité de la décision refusant de lui communiquer certains renseignements en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la Loi).
[2] Cette demande soulève une question qui n’a pas été examinée jusqu’ici, à savoir si les antécédents professionnels des fonctionnaires fédéraux avant leur entrée dans la fonction publique sont dans le domaine public par le biais de l’exception prévue à l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 (LPRP).
[3] Malgré l’éloquence et les arguments bien étoffés du demandeur, la Cour conclut que la demande doit être rejetée, et ce, pour les motifs suivants.
Contexte
[4] Le 12 septembre 2005, M. Nault demande au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada de lui donner accès à l’information suivante : les documents (curriculum vitae (CV), lettre, preuve d’études) soumis par chacun des 61 candidats embauchés dans le cadre de quatre concours auxquels ils avaient participés, pour des postes d’analystes de systèmes financiers (niveau FI-01 et FI-02) et d’analystes financières et financiers (niveau FI-01 et FI-02). Les concours en question avaient été lancés dans le cadre du projet de mise en œuvre de la Stratégie d’information financière du gouvernement.
[5] L’avis de concours, publié dans le journal La Presse du samedi 25 mars 2000, indiquait que les candidats devaient rencontrer les exigences suivantes pour être admissibles à ces postes :
[...] avoir un diplôme de premier cycle d’une université reconnue et une spécialisation acceptable en comptabilité, en finances, en administration des affaires, en commerce ou dans un autre domaine lié au poste à combler et de l’expérience dans un domaine lié aux postes du groupe « Gestions des finances », OU être admissible à un titre professionnel reconnu en comptabilité. De l’expérience dans le domaine de l’administration financière et dans l’utilisation d’un micro-ordinateur et de deux logiciels ou plus connexes, la connaissance des principes et pratiques comptables et de l’administration financière [. . .]
[6] Le 19 juin 2006, le défendeur communique à M. Nault des documents numérotés de 001 à 654 où plusieurs prélèvements avaient été effectués. Selon le défendeur, la majorité des documents demandés par M. Nault étaient sujet à l’exception de l’article 19(1) de la Loi qui prévoit que le défendeur est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements personnels visés à l’article 3 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, no 47(F)] (particulièrement l’alinéa 3b)) de la LPRP.
[7] Toutefois, selon le défendeur, l’information concernant les postes et fonctions occupés par les 61 candidats au sein d’institutions fédérales n’a pas été prélevée et ce, en application de l’alinéa 3j) de la LPRP. De plus, il appert que le défendeur a tenté d’obtenir le consentement à divulgation des individus concernés. Des 57 personnes finalement retracées, 8 ont consenti à une divulgation (1 à une divulgation complète et 7 à une divulgation partielle). Ces informations ont donc été incluses dans l’envoi de juin 2006.
[8] Le 18 octobre 2006, M. Nault dépose une plainte auprès du Commissariat à l’information du Canada (Commissariat) relativement à cette communication partielle des documents. Il argue que les prélèvements effectués sont abusifs. Il dénonce notamment le fait que les certificats d’études et les CV ont été dépouillés de toute l’information pertinente. Le 9 février 2009, le Commissariat communique au demandeur le résultat de son enquête. Selon le Commissariat, les renseignements personnels prélevés de la documentation fournie au demandeur ne sont pas du domaine public et la plainte est rejetée comme non établie.
[9] Le 30 mars 2009, M. Nault dépose son avis de demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 41 de la Loi.
[10] Dans son mémoire, le demandeur réfère à divers faits connexes qui ont motivé sa demande d’accès à l’information de même que diverses communications avec le Commissariat. Plusieurs de ces allégations sont niées par le défendeur qui demande à la Cour de ne pas en tenir compte parce qu’elles ne sont pas étayées par la preuve et qu’il les considère gratuites.
[11] À l’audience, les parties ont reconnu que, comme l’a clairement indiqué la Cour suprême du Canada dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66 (Re GRC), le but ou le motif de la demande de renseignements ne sont absolument pas pertinents. La décision doit être prise sans égard à l’intention de l’auteur de la demande, mais plutôt en considérant uniquement la nature des renseignements demandés (voir paragraphes 32 et 33).
[12] Il n’y a donc rien de plus à ajouter à cet égard sauf que de préciser que les principes et dispositions en jeu ici ne sont pas les mêmes que ceux qui seraient pertinents si M. Nault avait demandé cette information dans le cadre d’une plainte sur la légalité de la dotation
[1].
Analyse
[13] Il est suffisant ici de reproduire les alinéas 3b) et 3j) de la LPRP qui sont au cœur du débat puisque les deux parties ont limité leurs arguments à une seule question, soit si l’information prélevée doit être divulguée en vertu de l’alinéa 3j) de la LPRP. Les autres dispositions législatives pertinentes sont reproduites à l’annexe I :
3. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi. [...] « renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment : [...] b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé; [...] toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant : j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment : (i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution, (ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail, (iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste, (iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi, (v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi; |
Définitions |
[14] Le demandeur n’a pas fait de soumission spécifique relativement à la norme de contrôle, il précise toutefois que la Cour possède un vaste pouvoir de contrôle. Dans l’arrêt Re GRC, la Cour suprême a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle d’une question similaire à celle dont la Cour est saisie dans la présente demande mais quant à des informations différentes. Elle a déterminé que la norme de contrôle applicable à la décision du responsable de l’institution fédérale qui refuse de divulguer des informations en vertu de l’article 3 de la LPRP et du paragraphe 19(1) de la Loi est celle de la décision correcte. Cette même norme de contrôle a été appliquée dans les décisions Van Den Bergh c. Canada (Conseil national de recherches), 2003 CF 1116, au paragraphe 4; Brainhunter (Ottawa) Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1172, au paragraphe 11. Le défendeur est d’accord qu’il s’agit de la norme applicable en l’espèce.
[15] Les parties s’entendent que l’information dont M. Nault demande la communication est couverte par la définition de « renseignements personnels » que l’on retrouve à l’alinéa 3b) de la LPRP. Dans l’arrêt Re GRC, la Cour suprême a indiqué que ce concept est défini dans des termes larges; il inclut expressément les renseignements relatifs à l’éducation et aux antécédents professionnels d’un individu identifiable. Il ne fait aucun doute non plus que l’expression « antécédents professionnels » s’interprète dans son sens usuel et reçoit une interprétation large qui englobe la liste des postes occupés précédemment par un individu, le lieu de travail, les tâches effectuées, etc. (Re GRC, paragraphes 23 et 25 et Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403 (Dagg), aux paragraphes 68 et 69).
[16] Il s’agit donc de décider si les renseignements demandés portent par ailleurs sur le poste ou les fonctions d’un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale. À cet égard, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Re GRC a indiqué [au paragraphe 34] :
L’alinéa 3j) ne s’applique qu’à « un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale » et uniquement pour l’application des art. 7, 8 et 26, et de l’art. 19 de la Loi sur l’accès à l’information. Par contre, l’al. 3b) est une disposition d’application générale. Le législateur a donc choisi de ne pas protéger autant la vie privée des fonctionnaires de l’administration fédérale lorsque les renseignements demandés portent sur leur poste ou leurs fonctions. En conséquence, si une institution fédérale a en sa possession les antécédents professionnels d’une personne qui n’a jamais travaillé pour l’administration fédérale, ces renseignements demeurent confidentiels, alors que les renseignements portant sur le poste et les fonctions des employés de l’administration fédérale seront communiqués. L’alinéa 3b) a donc une portée plus large, car il s’applique à tout « individu identifiable », plutôt qu’exclusivement aux cadres et employés actuels ou anciens d’une institution fédérale.
[17] Dans cette affaire, la Cour suprême a défini la portée de l’alinéa 3j) de la LPRP et a établi que le mot « poste » est interprété comme applicable à plusieurs postes même s’il est utilisé dans sa forme au singulier. De plus, cette disposition n’est pas limitée dans le temps, elle s’applique tant aux postes actuels qu’aux postes occupés précédemment par un employé d’une institution fédérale, ce qui explique la décision du défendeur de fournir les détails quant aux postes occupés par les candidats dans des institutions fédérales.
[18] Toutefois, la Cour suprême a aussi indiqué que, malgré l’alinéa 3j) de la LPRP, certains renseignements personnels des fonctionnaires fédéraux demeurent toujours inaccessibles au public. Il est donc opportun de reproduire au long certaines conclusions de la Cour relativement à la portée de cette disposition [aux paragraphes 35 et 38] :
Par ailleurs, seuls les renseignements portant sur le poste ou les fonctions de l’employé visé de l’administration fédérale ou correspondant à l’un des exemples donnés sont exclus de la définition des « renseignements personnels ». De très nombreux renseignements pouvant être considérés comme des « antécédents professionnels » demeurent inaccessibles. C’est le cas notamment des examens et évaluations du rendement d’un employé de l’administration fédérale, ainsi que des notes prises pendant une entrevue. En effet, ces évaluations ne constituent pas des renseignements concernant un cadre ou employé d’une institution fédérale qui portent sur son poste ou ses fonctions, mais touchent plutôt sa compétence quant à l’accomplissement de sa tâche. Il est clair qu’il existe des aspects des antécédents professionnels qui ne portent pas sur les fonctions et postes antérieurs. Par conséquent, le fait de reconnaître que l’al. 3j) autorise la communication de renseignements portant sur les postes et fonctions non seulement actuels, mais aussi antérieurs, des cadres et employés de l’administration fédérale, sans égard à la formulation de la demande de renseignements, ne vide pas de son sens la définition des « antécédents professionnels ».
[…]
Comme je l’ai déjà expliqué, les exemples donnés à l’al. 3j) ne sont pas exhaustifs. Cet alinéa a néanmoins une portée déterminée, car les renseignements doivent porter sur le poste ou les fonctions d’un employé de l’administration fédérale. Par exemple, dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551 (1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome a statué que certaines opinions exprimées au sujet de la formation, de la personnalité, de l’expérience ou de la compétence de certains employés ne relevaient pas de l’al. 3j). Ces renseignements ne sont pas liés directement au poste de l’individu, mais touchent plutôt la compétence et les caractéristiques de l’employé. L’alinéa 3j) ne doit s’appliquer que lorsque les renseignements demandés ont un lien suffisant avec les caractéristiques générales rattachées au poste ou aux fonctions d’un cadre ou employé d’une institution fédérale. Le juge La Forest a donné l’explication suivante dans Dagg, précité, par. 95 :
En général, les renseignements concernant le poste, les fonctions ou les attributions d’une personne sont du genre de ceux qu’on trouve dans la description de travail. Ils comprennent les conditions liées au poste, dont les qualités requises, les attributions, les responsabilités, les heures de travail et l’échelle de traitement.
De toute évidence, une demande de renseignements qui porte sur les postes actuel ou antérieurs d’un employé de l’administration fédérale concerne nécessairement l’individu. Étant donné que les « renseignements personnels » sont définis à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels comme des renseignements « concernant un individu identifiable » et que l’al. 3j) établit en définitive une exception à la manière de traiter habituellement les « renseignements personnels », l’al. 3j) doit viser des renseignements concernant un individu. Selon moi, il est à la fois artificiel et vain d’essayer de faire une distinction entre les renseignements « concernant un individu » et les renseignements « portant sur son poste ou ses fonctions ». L’alinéa 3j) s’applique lorsque les renseignements — toujours liés à un individu — portent directement sur les caractéristiques générales rattachées au poste ou aux fonctions d’un employé, sans que la nature objective ou subjective de ces renseignements soit déterminante.
[19] M. Nault reconnaît que l’information quant aux emplois, l’expérience et l’éducation des candidats avant leur entrée dans la fonction publique ne coïncide avec aucun des sous-alinéas de l’alinéa 3j). Il soumet que, comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Re GRC, cette énumération n’est pas exhaustive. Quant à lui, il ne fait absolument aucun doute que cette information qui était essentielle pour l’obtention d’un poste dans une institution fédérale porte nécessairement sur le poste ou les fonctions de ces candidats. En effet, toute autre interprétation diminuerait grandement l’objet de cette disposition qui est de garantir que l’État et ses représentants répondront de leurs actes devant l’ensemble de la population (Re GRC, paragraphe 29 in fine).
[20] Il soumet que le droit du public en général d’accéder à cette information afin de vérifier qu’il n’y a pas eu de favoritisme ou d’autre passe-droit prime sur le droit à la vie privée des fonctionnaires fédéraux. Selon lui, le législateur a clairement exprimé son choix à cet égard en adoptant l’alinéa 3j) qui soustrait tous ces « renseignements personnels » de l’application des articles 7, 8, 19 et 26 de la Loi.
[21] Il est évident qu’en l’espèce, tout comme dans d’autres contextes impliquant le paragraphe 19(1) de la Loi, les deux grands principes énoncés ci-dessus s’opposent. Alors que le demandeur argumente la primauté du premier, le demandeur s’appuie plutôt sur le second. Toutefois, les principes d’interprétation applicables à la LPRP et à la Loi exigent que ces deux lois soient interprétées conjointement (Re GRC, paragraphes 21 et 22; Dagg, paragraphes 47, 48 et 55). Récemment, la Cour suprême dans l’arrêt H.J. Heinz du Canada ltée c. Canada (Procureur général), 2006 CSC 13, [2006] 1 R.C.S. 441 a eu l’opportunité de réaffirmer ces principes (paragraphe 25) mais elle a reconnu qu’une importance particulière doit être accordée à la protection des renseignements personnels (paragraphes 26, 28 et 29). Elle conclut au paragraphe 31:
Il ressort de l’économie et des historiques de la LAI et de la LPRP que les deux lois ont pour objet conjugué d’établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et le droit d’accès à l’information. Toutefois, dans ce régime équilibré, les lois en question accordent une plus grande protection aux renseignements personnels. En imposant des restrictions rigoureuses à la divulgation de renseignements personnels, le législateur a clairement voulu empêcher toute atteinte à cet aspect du droit à la vie privée. C’est pourquoi, comme le régime législatif offre un droit de révision à l’art. 44, les tribunaux ne devraient pas créer d’obstacles artificiels à une protection efficace des renseignements personnels.
[22] Après avoir longuement réfléchi et bien évalué les renseignements examinés dans les arrêts Re GRC, Dagg et la décision Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), [1988] 3 C.F. 551 (1re inst.), une décision de la Cour fédérale [auparavant la Section de première instance] citée avec approbation par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Re GRC au paragraphe 38[2], la Cour ne peut conclure que les renseignements visés par la présente demande sont des renseignements portant sur le poste ou les fonctions des candidats engagés dans le cadre de ces quatre concours. Ces informations portent sur leur formation, leur expérience et leurs compétences avant d’entrer en poste dans une institution fédérale. Elles concernent principalement les personnes elles-mêmes, et ce, même si ces compétences et qualités personnelles ont été évaluées afin de s’assurer que ces candidats avaient les compétences par ailleurs requises pour ces postes dans l’appareil fédéral. Tel que mentionné, les renseignements quant aux caractéristiques générales directement rattachées à ces postes y inclus les qualités requises pour les obtenir — par opposition aux renseignements portant sur les candidats eux-mêmes — ont été divulguées au demandeur.
[23] L’objet de l’alinéa 3j) est de garantir que l’État et ses représentants répondent de leurs actes. Ici, il n’y a aucun tel acte posé par les candidats reçus. De la même façon, si l’on examine plutôt les actes posés par les fonctionnaires fédéraux chargés d’administrer les concours, force est de conclure qu’il est encore plus évident que les renseignements demandés par M. Nault ne sont pas directement liés à leur poste ou à leurs fonctions et par conséquent, ne seraient pas visés par l’exception à l’alinéa 3j). En effet, les dossiers des candidats ne deviennent pas des renseignements publics du simple fait qu’ils ont été analysés ou examinés par un fonctionnaire fédéral dans le cadre de ses fonctions. Toute autre conclusion produirait un résultat absurde[3].
[24] Pour en venir à sa conclusion, la Cour a aussi tenu compte du fait que le législateur n’a pas référé à l’expression « antécédents professionnels » dans les sous-alinéas de l’alinéa 3j) alors qu’il avait l’opportunité de le faire, l’ayant utilisé expressément dans le cadre de l’alinéa 3b). Comme l’a indiqué la Cour Suprême, bien que la description des sous-alinéas de l’alinéa 3j) ne soit pas exhaustive, elle est limitée par l’expression « portant sur [les] poste[s et les] fonctions ».
[25] La Cour a aussi très attentivement examiné la décision du juge Richard Mosley dans Forsch avant de conclure que celle-ci n’est pas un précédent en l’espèce[4] et que le principe de courtoisie judiciaire ne s’applique pas.
[26] Avant de conclure, il est important de noter que, lors de son examen du dossier[5], la Cour a remarqué que certaines informations concernant des postes occupés dans des institutions fédérales par certains candidats n’avaient pas été entièrement divulguées contrairement à ce qu’énonce le défendeur : voir, par exemple, à la page 000008, la référence à un emploi au sein de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada a été prélevée et à la page 000313, certains éléments de la description relative à un emploi au sein de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada ont également été prélevés. Il est donc important que le défendeur réexamine le dossier afin de s’assurer que toute l’information ayant trait à des postes dans des institutions fédérales soit effectivement divulguée.
[27] En ce qui a trait aux dépens, considérant la nature et la nouveauté de la question soulevée par cette demande ainsi que les circonstances de l’affaire, la Cour estime que chaque partie devrait supporter ses propres dépens.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le défendeur devra revoir les prélèvements effectués dans le dossier et s’assurer que toute l’information devant être divulguée en conformité avec les présents motifs sera communiquée au demandeur.
ANNEXE I
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1
2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif. [...] |
Objet |
19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. |
Renseignements personnels |
(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où : a) l’individu qu’ils concernent y consent; b) le public y a accès; c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. [...] |
Cas où la divulgation est autorisée |
41. La personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation. [...] |
Révision par la Cour fédérale |
48. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41 ou 42, la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document incombe à l’institution fédérale concernée. |
Charge de la preuve |
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent. DÉFINITIONS |
Objet |
3. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi. [...] « renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment : |
Définitions |
a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille; b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé; c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre; d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin; e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l’exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de celle-ci visée par règlement; f) toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l’institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l’expéditeur; g) les idées ou opinions d’autrui sur lui; h) les idées ou opinions d’un autre individu qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui octroyer par une institution, ou subdivision de celle-ci, visée à l’alinéa e), à l’exclusion du nom de cet autre individu si ce nom est mentionné avec les idées ou opinions; i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet; toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant : |
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j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment : (i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution, (ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail, (iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste, (iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi, (v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi; k) un individu qui, au titre d’un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l’individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de la prestation; l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d’un permis ou d’une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui-ci et la nature précise de ces avantages; m) un individu décédé depuis plus de vingt ans. [...] |
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8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au présent article. |
Communication des renseignements personnels |
(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants : [...] |
Cas d’autorisation |
m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution : (i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée, (ii) l’individu concerné en tirerait un avantage certain. |
[1] Voir à cet égard Forsch c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2004 CF 513 (Forsch) qui indique que, dans un tel cas, les principes d’équité procédurale et d’autres dispositions telles que l’alinéa 8(2)a) de la LPRP peuvent s’appliquer. Dans les faits, M. Nault a effectivement porté plainte auprès de la Commission de la fonction publique du Canada soutenant qu’il avait des motifs raisonnables d’estimer que le principe du mérite avait été violé et qu’il n’a pas été traité de façon juste et équitable. Après enquête, cette plainte a été rejetée, de même que la demande de contrôle judiciaire visant cette décision : Nault c. Canada (Commission de la fonction publique), 2002 CFPI 1297, conf. par 2004 CAF 350. Il appert toutefois que pour diverses raisons, ni la Commission ni la Cour n’ont eu l’opportunité d’examiner la décision initiale de rejeter la candidature de M. Nault à la lumière du document que l’on retrouve maintenant à la page 531 du dossier du demandeur.
[2] Voir aussi la décision dans Rubin c. Canada (Conseil privé, Greffier) (1993), 48 C.P.R. (3d) 337 (C.F. 1re inst.).
[3] Pensons, par exemple, à un fonctionnaire chargé de réviser les rapports d’impôts de particuliers.
[4] Voir conclusion, par. 61.
[5] Il est pertinent de noter que le demandeur a reçu l’information relative au(x) numéro(s) de concours pour le[s]quel(s) les candidats ont soumis leur candidature puisque celle-ci n’a pas été prélevée.