Référence : |
Toronto Transit Commission c. Canada (Revenu national), 2010 CAF 33, [2011] 1 R.C.F. 478 |
A-203-09 |
A-203-09
2010 CAF 33
Toronto Transit Commission (appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (intimé)
Répertorié : Toronto Transit Commission c. Canada (Revenu national)
Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Evans et Stratas, J.C.A.—Toronto, 18 janvier; Ottawa, 28 janvier 2010.
Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt rejetant l’appel de l’appelante visant la décision de l’intimé portant que les prestations d’invalidité mensuelles constituent une rémunération au titre d’un emploi ouvrant droit à pension et que l’employeur doit verser une cotisation à leur égard en application du Régime de pensions du Canada (RPC).
Deux des employés de l’appelante recevaient des prestations d’invalidité permanente aux termes du régime de l’appelante. Même s’ils étaient en congé pour des raisons personnelles et même si un statut « inactif » leur avait été attribué, ils demeuraient des employés de l’appelante. Lorsqu’elle a conclu que l’interprétation des dispositions du RPC devrait s’harmoniser avec celle des textes législatifs en matière d’assurance-emploi et de l’impôt sur le revenu, la Cour canadienne de l’impôt a statué que les employés étaient en situation d’« emploi » pendant leur congé autorisé, et leurs prestations d’invalidité constituaient une « rémunération au titre d’un emploi ouvrant droit à pension ».
Les questions litigieuses étaient celles de savoir 1) si les prestations d’invalidité de longue durée payées dans le cadre d’un régime financé par l’employeur constituent une « rémunération au titre d’un emploi ouvrant droit à pension » au sens du paragraphe 9(1) du RPC et 2) si un employé touchant des prestations d’invalidité de longue durée est en situation d’« emploi » au sens du paragraphe 2(1) du RPC.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
1) La Cour de l’impôt a commis une erreur dans son interprétation de la législation. Pour constituer une « rémunération » aux fins du paragraphe 9(1), les presta tions d’invalidité doivent avoir été payées aux employés pour l’accomplissement de services ouvrant droit à pension aux termes d’un contrat de louage de services. Les presta tions payées en l’espèce avaient le caractère d’une indemnité partielle pour les pertes de salaire subies par les employés en raison de leur incapacité, consécutive à leur invalidité de longue durée, à accomplir les services prévus aux termes de leurs contrats de louage de services. Les prestations n’avaient en conséquence pas été payées « au titre d’ » l’accomplissement de services. L’expression « au titre d’ » au paragraphe 9(1) diffère de l’expression plus étendue « à l’égard de » utilisée à la disposition semblable au para graphe 2(1) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations et cette première expression signifie que la rémunération doit être étroitement liée à l’accomplissement de services par les employés. Lorsque le législateur utilise des mots différents dans des dispositions analogues de lois connexes, il leur donne des sens différents. Rien dans le contexte législatif plus large ou dans les objec tifs du RPC laisse entendre que le paragraphe 9(1) ne doit pas être interprété de manière à donner aux mots leur sens le plus évident. C’est au législateur qu’il revient de décider si les termes du RPC devraient être modifiés de manière à ce que les prestations d’invalidité payées par l’employeur constituent une « rémunération ».
2) La définition d’« emploi » prévue au paragraphe 2(1) du RPC renforce la conclusion que le RPC ne vise pas les employés qui n’exercent pas effectivement un emploi. L’employé qui n’accomplit pas de services n’est pas en situation d’« emploi » et il n’est donc pas en situation d’« emploi ouvrant droit à pension » aux fins du para graphe 9(1). En d’autres mots, le terme « emploi » vise une activité et non seulement le statut ou le fait d’être employé dans le cadre d’un contrat de louage de services. L’intimé soutenait que l’alinéa 12(1)b) du RPC, qui exclut des « traite ment et salaire ouvrant droit à pension » le revenu reçu par l’employé pour un emploi ouvrant droit à pension lorsqu’il reçoit une pension d’invalidité, ne serait pas nécessaire si un « emploi » requiert l’accomplissement de services. Bien que cet argument ait une certaine force, il n’était pas suffisant pour supplanter le sens le plus évident de la définition d’emploi en vertu du RPC.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 6(1)f), 248(1) « emploi ».
Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 2(1) « emploi ».
Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, art. 2(1) « emploi », « employeur », 6(1) « emplois ouvrant droit à pension », 9(1) (mod. par L.C. 2004, ch. 22, art. 15), 12(1) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 5; L.C. 2004, ch. 22, art. 17(A)).
Règlement sur la rémunération assurable et la percep tion des cotisations, DORS/97-33, art. 2(1) (mod. par DORS/98-10, art. 1).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions différenciées :
Université Laval c. M.R.N., 2002 CAF 171; Bear c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 40, [2003] 3 C.F. 456.
décisions citées :
Ministre du Revenu national c. Visan, [1983] 1 C.F. 820 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Banque nationale du Canada, 2003 CAF 242.
APPEL à l’encontre d’une décision (2009 CCI 198) de la Cour canadienne de l’impôt rejetant l’appel de l’appelante visant la décision de l’intimé portant que les prestations d’invalidité mensuelles constituent une rémunération au titre d’un emploi ouvrant droit à pen sion et que l’employeur doit verser une cotisation à leur égard en application du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8. Appel accueilli.
ONT COMPARU
Matthew G. Williams et Mark A. Barbour pour l’appelante.
Laurent Bartleman et Donna A. Dorosh pour l’intimé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Thorsteinssons LLP, Toronto, pour l’appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Evans, J.C.A. :
A. INTRODUCTION
[1] La question à trancher dans le présent appel consiste à savoir si l’employeur doit verser des cotisa tions en application du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (RPC) à l’égard des prestations d’invalidité de longue durée versées aux employés de la Toronto Transit Commission (la TTC), dans le cadre d’un programme financé par l’employeur. Le para graphe 9(1) [mod. par L.C. 2004, ch. 22, art. 15] du RPC régit la responsabilité de l’employeur de verser des cotisations. Il prévoit que l’employeur doit verser une cotisation pour l’année « au cours de laquelle est payée à l’employé la rémunération au titre d’un emploi ouvrant droit à pension ». Cette disposition soulève deux questions d’interprétation.
[2] Premièrement, est-ce que les prestations d’invalidité payées aux employés constituent une « rémunération au titre d’un emploi ouvrant droit à pension » au sens du paragraphe 9(1) du RPC? Deuxièmement, les employés en question étaient-ils en situation d’« emploi » au sens du paragraphe 2(1) du RPC lorsqu’ils étaient dispensés d’accomplir des services pour la TTC en raison de leur invalidité? Ce n’est que si les réponses à ces deux questions sont affirmatives que la TTC est responsable de verser la cotisation de l’employeur.
[3] Il s’agit en l’espèce d’un appel de la TTC visant une décision de la Cour canadienne de l’impôt : Toronto Transit Commission c. M.R.N., 2009 CCI 198. Dans cette décision, le juge suppléant Weisman a rejeté l’appel de la TTC visant la décision du ministre du Revenu national portant que les prestations d’invalidité mensuelles constituent une rémunération au titre d’un emploi ouvrant droit à pension et que l’employeur doit verser une cotisation à leur égard en application du RPC.
[4] Le juge a conclu que l’interprétation des dis positions du RPC devrait s’harmoniser avec celles des textes législatifs connexes, soit l’assurance-emploi et l’impôt sur le revenu. Il a statué que, bien qu’ils étaient considérés comme étant en congé autorisé et qu’ils n’exécutaient pas de services en raison de leur invalidité, les employés étaient en situation d’« emploi » à ce momentlà et les prestations qui leur étaient payées constituaient une « rémunération au titre d’un emploi ouvrant droit à pension ».
[5] En toute déférence, le juge a commis une erreur dans son interprétation de la législation. Le para graphe 2(1) définit « emploi » comme une activité : l’accomplissement de services aux termes d’un contrat de louage de services. Le paragraphe 9(1) prévoit que la « rémunération » payée par un employeur doit être au titre d’un emploi ouvrant droit à pension pour qu’on exige que l’employeur verse une cotisation. Les paiements dans la présente affaire n’étaient pas liés à l’accomplissement de services ouvrant droit à pension, mais constituaient, comme les conditions des régimes l’établissent clairement, des indemnités pour les salaires perdus par les employés qui ne pouvaient pas travailler. Selon moi, rien dans le contexte des dispositions ou dans l’objectif législatif du RPC ne supplante le sens le plus évident de son libellé. En conséquence, j’accueillerais l’appel.
B. CONTEXTE FACTUEL
[6] Les deux employés de la TTC dont il est question dans le présent appel, Hershell Green et Nancy Murphy, reçoivent des prestations d’invalidité permanente. M. Green, un employé syndiqué, a commencé à travailler pour la TTC le 18 octobre 1979 et est devenu invalide en 2005. Son dernier jour de travail était le 18 juin 2005 et il est devenu admissible à des prestations de longue durée aux termes du régime pour les employés syndiqués le 14 avril 2006. Mme Murphy a commencé à travailler pour la TTC le 20 avril 1986 et est devenue invalide en 2003. Son dernier jour de travail était le 4 août 2003. Elle est une employée non syndiquée et est devenue admissible à des prestations d’invalidité de longue durée aux termes du régime pour les employés non syndiqués le 6 avril 2004.
[7] La TTC finance pleinement les deux régimes. Les conditions du régime pour les employés syndiqués sont négociées par la TTC et le mandataire chargé de la négociation des employés et constituent une partie intégrante de la convention collective. Le régime pour les employés non syndiqués a été mis sur pied unilatéra lement par la TTC et est intégré aux contrats de travail des employés.
[8] La Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie (la Sun Life) s’est engagée par contrat auprès de la TTC à administrer les régimes, à titre de mandataire de la TTC, et non à titre d’assureur. Aux termes de cette entente, la Sun Life établit l’admissibilité des deman deurs, détermine le montant de tout paiement et fait les paiements, lesquels lui sont remboursés par la TTC. La TTC garde le contrôle ultime sur les régimes d’assurance invalidité et, advenant un litige avec un employé, prend la décision finale sur les questions comme l’admissibilité des employés, leur droit de recevoir des prestations et le montant exigible.
[9] Les conditions des régimes qui intéressent le présent appel sont largement similaires. Les deux ré gimes accordent aux employés un pourcentage de leurs traitements et salaires après avoir épuisé les autres avantages sociaux prescrits et la paye de vacances. Les employés ne sont admissibles aux prestations d’invalidité de longue durée que s’ils ont exercé un emploi actif pendant un temps déterminé. Les prestations cessent à l’âge de 65 ans ou à la retraite. Les prestations d’invalidité sont déclarées entièrement imposables.
[10] Le statut « inactif » est attribué aux employés qui reçoivent des prestations d’invalidité de longue durée; ces employés peuvent être remplacés par de nouveaux employés. Ils demeurent néanmoins des employés de la TTC, mais qui sont en congé pour raisons personnelles. Ils conservent également certains avantages, comme leur rang d’ancienneté, leur admissibilité aux régimes de soins de santé et de soins dentaires et leurs privilèges de transport. De plus, les prestations d’invalidité de la TTC sont rajustées au coût de la vie.
C. CADRE LÉGISLATIF
[11] Le paragraphe 2(1) du RPC définit « employeur » et « emploi » aux fins de la Loi :
2. (1) [...] « emploi » L’accomplissement de services aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage, exprès ou tacite, y com pris la période d’occupation d’une fonction. [...] « employeur » Personne tenue de verser un traite ment, un salaire, ou une autre rémunération pour des services accomplis dans un emploi. |
Définitions |
[12] Le paragraphe 6(1) donne les définitions des catégories d’« emplois ouvrant droit à pension », dont chacune traite d’un « emploi » :
6. (1) Ouvrent droit à pension les emplois suivants : a) l’emploi au Canada qui n’est pas un emploi excepté; b) l’emploi au Canada qui relève de Sa Majesté du chef du Canada, et qui n’est pas un emploi excepté; c) l’emploi assimilé à un emploi ouvrant droit à pension par un règlement pris en vertu de l’article 7. |
Emplois ouvrant droit à pension |
[13] Le paragraphe 9(1) est le [traduction] « para graphe des impositions » qui impose aux employeurs l’obligation de payer une cotisation et régit le calcul du montant de la cotisation. Cependant, comme le montant est sans importance dans le présent appel, je n’ai pas inclus les dispositions de ce paragraphe traitant du montant :
9. (1) Tout employeur doit, à l’égard de chaque personne employée par lui dans un emploi ouvrant droit à pension, payer pour l’année au cours de laquelle est payée à l’employé rémuné ration au titre d’un emploi ouvrant droit à pension [...] |
Montant de la cotisation de l’employeur |
D. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE
[14] Il est établi que, pour les appels des décisions de la Cour de l’impôt, la norme de la décision correcte est la norme de contrôle judiciaire applicable aux questions de droit. Le présent appel porte sur une question de droit exclusivement, soit l’interprétation du RPC. La norme de contrôle judiciaire est par conséquent celle de la décision correcte.
Question 1 : Les prestations d’invalidité de longue durée payées dans le cadre d’un régime financé par l’employeur constituent-elles une « rémunération au titre d’un emploi ouvrant droit à pension » au sens du paragraphe 9(1)?
[15] Les lois doivent être interprétées en tenant compte de leur libellé, de leur contexte et de leur objet et d’une manière qui tende à harmoniser les éléments constitutifs du régime législatif entre eux et à harmoniser ces éléments avec le régime dans son ensemble. J’examinerai d’abord le libellé du RPC.
i) le texte législatif
[16] Le terme « rémunération » n’est pas défini dans le RPC. Les catégories d’« emplois ouvrant droit à pen sion » sont définies au paragraphe 6(1). La catégorie qui intéresse la présente affaire est celle de l’alinéa 6(1)a) : « l’emploi au Canada qui n’est pas un emploi excepté. » Comme « emplois ouvrant droit à pension » est un sous-ensemble d’« emploi », il est également nécessaire de déterminer la signification d’« emploi ». Ce terme est défini au paragraphe 2(1), que je citerai à nouveau par commodité :
2. (1) [...]
« emploi » L’accomplissement de services aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage, exprès ou tacite, y compris la période d’occupation d’une fonction.
[17] Par conséquent, pour constituer une « rémuné ration » aux fins du paragraphe 9(1), les prestations d’invalidité doivent avoir été payées aux employés pour l’accomplissement de services ouvrant droit à pension aux termes d’un contrat de louage de services. À mon avis, les prestations payées par la TTC avaient le caractère d’une indemnité partielle pour les pertes de salaires subies par les employés en raison de leur incapacité, consécutive à leur invalidité de longue durée, à accomplir les services prévus aux termes de leurs contrats de louage de services : voir Ministre du Revenu national c. Visan, [1983] 1 C.F. 820 (C.A.), à la page 829. Les prestations n’ont en conséquence pas été payées « au titre d[e] » l’accomplissement de services. J’ajouterais, seulement à titre de parenthèse, que pour parvenir à cette conclusion, je n’ai accordé aucune importance au fait que les prestations payées aux employés ont été versées par la Sun Life parce qu’elles ont été versées au nom de la TTC et qu’elles ont été remboursées par cette dernière.
[18] À mon avis, les termes « au titre d’ » au para graphe 9(1) signifient que la rémunération doit être étroitement liée à l’accomplissement de services par les employés. Il n’est pas suffisant que les paiements n’aient été versés qu’aux employés ayant accompli des services une seule fois en vertu de leur contrat ou que l’obligation de la TTC de payer des prestations découle d’un contrat de travail.
[19] D’un autre côté, je ne doute guère qu’une prime payée une année relativement à des services exécutés l’année précédente constitue une « rémunération » pour l’année où a été effectué le paiement, à l’égard de laquelle une cotisation serait exigible de l’employeur. J’estime que la paye de vacances doit être considérée comme une « rémunération » de l’employé pour l’accomplissement de services. Par exemple, à la ces sation de son emploi, un employé a normalement droit à un paiement en remplacement des jours de vacances qu’il n’a pas pris, et le nombre de semaines de vacances payées est souvent lié à la durée de son emploi. Un court congé ne signifie pas qu’un employé cesse d’être un employé actif.
[20] Le libellé du paragraphe 9(1) du RPC est différent de celui du paragraphe 2(1) [mod. par DORS/98-10, art. 1] du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations, DORS/97-33, disposition semblable au paragraphe 9(1) édicté par la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23. Il prévoit ce qui suit :
2. (1) Pour l’application de la définition de « rémunération assurable » au paragraphe 2(1) de la Loi et pour l’application du présent règlement, le total de la rémunération d’un assuré provenant de tout emploi assurable correspond à l’ensemble des montants suivants :
a) le montant total, entièrement ou partiellement en espèces, que l’assuré reçoit ou dont il bénéficie et qui lui est versé par l’employeur à l’égard de cet emploi; [Non souligné dans l’original.]
[21] Cette disposition a été prise en considération par la Cour dans plusieurs affaires concernant des paie ments qui avaient été faits à des employés alors qu’ils n’accomplissaient pas de services. Il a été statué que les indemnités payées par un employeur dans le cadre d’un régime d’assurancesalaire peuvent constituer une « rémunération assurable » aux fins de l’assuranceemploi, même lorsque ces services ne sont pas exécutés.
[22] Par exemple, dans Université Laval c. M.R.N., 2002 CAF 171, la Cour a conclu que les indemnités payées par l’employeur à des employés dans le cadre d’un régime d’assurance-salaire de courte durée cons tituaient une « rémunération assurable ». Cependant, au nom de la Cour, le juge Décary indiquait (au para graphe 15) qu’il avait souligné les mots « à l’égard de cet emploi » lorsqu’il a cité le texte du paragraphe 2(1) du Règlement afin de « rappeler qu’il est acquis, en jurisprudence, que l’expression “à l’égard de”, “in re spect of”, est particulièrement large ». Voir aussi Canada (Procureur général) c. Banque Nationale du Canada, 2003 CAF 242, au paragraphe 3.
[23] Par conséquent, à mon avis, cette décision n’est pas d’un grand secours pour le ministre en l’espèce, le législateur ayant indiqué par l’utilisation des termes « au titre d’ », plutôt qu’« à l’égard de », qu’il existe un lien étroit entre le paiement et l’accomplissement de services.
ii) contexte
[24] Le ministre soutient que le régime d’assurance-emploi et le RPC sont connexes et qu’il convient d’interpréter les dispositions correspondantes de l’un et de l’autre de manière similaire. De plus, comme il a été mentionné précédemment, puisqu’il a été conclu que les prestations d’invalidité payées par les employeurs pour indemniser les employés incapables de travailler cons tituent une « rémunération assurable » aux fins de l’assurance-emploi, des paiements similaires devraient être considérés comme une « rémunération » aux fins du RPC.
[25] Je ne suis pas d’accord. Il est difficile d’éviter la conclusion portant que, lorsque le législateur utilise des mots différents dans des dispositions analogues de lois connexes, il leur donne des sens différents. En fait, dans la mesure où cet argument contextuel repose sur la nature connexe de ces deux régimes, les libellés différents des dispositions pertinentes me semblent renforcer l’argument fondé sur le texte du paragraphe 9(1) du RPC.
iii) objectif législatif
[26] L’avocat du ministre soutient également qu’il serait contraire à l’objectif du RPC de donner au paragraphe 9(1) une interprétation étroite de manière à ce que les prestations d’invalidité payées en l’espèce ne soient pas considérées comme une « rémunération ». Il s’est appuyé sur la déclaration suivante du juge Strayer s’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Bear c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 40, [2003] 3 C.F. 456 [Bear], au paragraphe 7 :
Il est par ailleurs utile de signaler que le RPC a été délibérément conçu comme un régime de pensions universel à participation obligatoire auquel, à quelques exceptions près, toute personne de 18 ans ayant un revenu imposable serait tenue de cotiser.
[27] Il est convenu que les prestations d’invalidité payées aux employés par la TTC sont imposables entre les mains du prestataire, manifestement à titre de revenu d’emploi conformément à l’alinéa 6(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1. Cependant, la question en litige dans l’arrêt Bear était très différente de celle en l’espèce. Elle concernait une contestation de la validité constitutionnelle d’une modi fication législative qui supprimait l’exclusion antérieure du RPC des Amérindiens dont le revenu découlait d’un emploi sur une réserve et était pour cette raison non imposable. La Cour a rejeté l’argument selon lequel la modification était inconstitutionnelle parce qu’elle n’était pas rétroactive.
[28] Dans ces circonstances, je ne peux estimer que l’explication donnée par le juge Strayer de l’objectif du RPC ait une grande incidence sur la question dont nous sommes saisis. La question soulevée en l’espèce consiste à savoir si l’objet du RPC est de fournir une pension régulière à des employés « inactifs » qui re çoivent des prestations d’invalidité de longue durée de leur employeur, de même qu’à ceux qui font partie de la population active, et donc d’exiger une cotisation de l’employeur à l’égard des employés qui n’accomplissent pas de services pour l’employeur en raison de leur invalidité.
[29] Le RPC ne contient aucune disposition énonçant ses objectifs, et son long titre, reproduit cidessous, nous donne peu d’indications à cet égard :
Loi instituant au Canada un régime général de pensions de vieillesse et de prestations supplémentaires payables aux cotisants et à leur égard
iv) conclusion
[30] Je ne vois rien dans le contexte législatif plus large ou dans les objectifs du RPC qui laisse entendre que le paragraphe 9(1) ne doit pas être interprété de manière à donner aux mots leur sens le plus évident ou [traduction] « courant et ordinaire ». C’est au légis lateur qu’il revient de décider si les termes du RPC, tels qu’ils sont interprétés, devraient être modifiés de manière à ce que les prestations d’invalidité payées par l’employeur constituent une « rémunération » et pour exiger ainsi de l’employeur qu’il paie une cotisation relativement à ces prestations.
Question 2 : Un employé touchant des prestations d’invalidité de longue durée est-il en situation d’« emploi » au sens du paragraphe 2(1) du RPC?
[31] Ma conclusion quant à la première question suffit pour trancher le présent appel. Néanmoins, la définition d’« emploi » renforce la conclusion que le RPC ne vise pas les employés qui n’exercent pas effectivement un emploi. Le paragraphe 2(1) précise que :
2. (1) [...]
« emploi » L’accomplissement de services aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage, exprès ou tacite, y compris la période d’occupation d’une fonction.
[32] Le sens le plus évident de cette disposition est qu’un employé qui n’accomplit pas de services (par exemple en raison d’une invalidité de longue durée) n’est pas en situation d’« emploi » et qu’il n’est donc pas en situation d’« emploi ouvrant droit à pension » aux fins du paragraphe 9(1).
[33] En d’autres mots, le terme « emploi » vise une activité et non seulement le statut ou le fait d’être employé dans le cadre d’un contrat de louage de services. À cet égard, le contraste avec la définition d’« emploi » dans la Loi de l’impôt sur le revenu [au paragraphe 248(1)] est frappant. La définition est rédigée comme suit :
248. (1) [...] « emploi » Poste qu’occupe un particulier, au service d’une autre personne (y compris Sa Majesté ou un État ou souverain étrang ers) [...] |
Définitions |
[34] La définition d’« emploi » dans la Loi sur l’assurance-emploi [au paragraphe 2(1)] est du même ordre :
2. (1) [...] « emploi » Le fait d’employer ou l’état d’employé. [Non souligné dans l’original.] |
Définitions |
[35] L’avocat du ministre a soutenu que le paragraphe 12(1) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.),ch. 30, art. 5; L.C. 2004, ch. 22, art. 17(A)] du RPC indique que le terme « emploi » ne se limite pas à l’accomplissement actif de services par les employés. L’alinéa 12(1)b) ex clut des « traitement et salaire » ouvrant droit à pension le revenu reçu par l’employé pour un emploi ouvrant droit à pension lorsqu’il reçoit une pension d’invalidité en application du RPC ou d’un régime provincial. Selon lui, il est improbable que des employés dans une telle situation accomplissent des services conformément à leur contrat de travail. Il a fait valoir que si un « emploi » requiert l’accomplissement de services, l’alinéa 12(1)b) ne serait pas nécessaire. Les dispositions législatives ne sont pas censées être redondantes.
[36] Bien que cet argument ait une certaine force, je ne le considère pas suffisant pour supplanter le sens le plus évident de la définition d’emploi en vertu du RPC. Par exemple, certains régimes provinciaux accordent des pensions aux personnes qui ne sont pas complètement empêchées d’exercer activement un emploi en raison de leur invalidité. Des dispositions législatives pourraient aussi être ajoutées à un régime législatif complexe pour lever le doute sur une question particulière.
[37] Quant à l’argument selon lequel le paragraphe 12(1) incorpore la Loi de l’impôt sur le revenu et ses définitions au régime, je souligne que cette situation sert seulement au calcul du revenu annuel d’une per sonne exerçant un emploi ouvrant droit à pension. La Loi de l’impôt sur le revenu ne permet pas de déterminer si la personne avait un emploi ouvrant droit à pension; il s’agit d’une question qui relève du RPC lui-même.
E. CONCLUSIONS
[38] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens devant notre Cour.
Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.