[2011] 3 R.C.F. 223
A-302-09
2010 CAF 198
La province d’Alberta, représentée par le ministre de l’Éducation; la province de la Colombie-Britannique, représentée par le ministre de l’Éducation; la province du Manitoba, représentée par le ministre de l’Éducation, de la Citoyenneté et de la Jeunesse; la province du Nouveau-Brunswick, représentée par le ministre de l’Éducation; la province de Terre-Neuve-et-Labrador, représentée par le ministre de l’Éducation; les territoires du Nord-Ouest, représentés par le ministre de l’Éducation, de la Culture et de la Formation; la province de la Nouvelle-Écosse, représentée par le ministre de l’Éducation; le territoire du Nunavut, représenté par le ministre de l’Éducation; la province d’Ontario, représentée par le ministre de l’Éducation; la province de l’Île-du-Prince-Édouard, représentée par le ministre de l’Éducation; la province de la Saskatchewan, représentée par le ministre de l’Éducation; le territoire du Yukon, représenté par le ministre de l’Éducation; le Airy and Sabine District School Area Board; le Algoma District School Board; le Algonquin and Lakeshore Catholic District School Board; le Asquith-Garvey District School Area Board; le Atikokan Roman Catholic Separate School Board; le Avon Maitland District School Board; le Bloorview Macmillan School Authority; le Bluewater District School Board; le Brant Haldimand Norfolk Catholic District School Board; le Bruce-Grey Catholic District School Board; le Campbell Children’s School Authority; le Caramat District School Area Board; le Catholic District School Board of Eastern Ontario; le Collins District School Area Board; le Connell and Ponsford District School Area Board; le Conseil des écoles catholiques du Centre-Est de l’Ontario; le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario; le Conseil des écoles séparées catholiques de Dubreuilville; le Conseil des écoles séparées catholiques de Foleyet; le Conseil scolaire de district catholique Centre-Sud; le Conseil scolaire de district catholique de l’Est Ontarien; le Conseil scolaire de district catholique des Aurores Boréales; le Conseil scolaire de district catholique des Grandes Rivières; le Conseil scolaire de district catholique du Nouvel-Ontario; le Conseil scolaire de district catholique Franco-Nord; le Conseil scolaire de district des écoles catholiques de Sud-Ouest; le Conseil scolaire de district du Centre Sud-Ouest; le Conseil scolaire de district du Grand Nord de l’Ontario; le Conseil scolaire de district du Nord-Est de l’Ontario; le District School Board of Niagara; le District School Board Ontario North East; le Dufferin-Peel Catholic District School Board; le Durham Catholic District School Board; le Durham District School Board; le Foleyet District School Area Board; le Gogama District School Area Board; le Gogama Roman Catholic Separate School Board; le Grand Erie District School Board; le Greater Essex County District School Board; le Halton Catholic District School Board; le Halton District School Board; le Hamilton-Wentworth Catholic District School Board; le Hamilton-Wentworth District School Board; le Hastings & Prince Edward District School Board; le Hornepayne Roman Catholic Separate School Board; le Huron Perth Catholic District School Board; le Huron-Superior Catholic District School Board; le James Bay Lowlands Secondary School Board; le Kawartha Pine Ridge District School Board; le Keewatin-Patricia District School Board; le Kenora Catholic District School Board; le Lakehead District School Board; le Lambton Kent District School Board; le Limestone District School Board; le Missarenda District School Area Board; le Moose Factory Island District School Area Board; le Moosonee District School Area Board; le Moosonee Roman Catholic Separate School Board; le Murchison and Lyell District School Area Board; le Nakina District School Area Board; le Near North District School Board; le Niagara Catholic District School Board; le Niagara Peninsula Children’s Centre School Authority; le Nipissing-Parry Sound Catholic District School Board; le Northeastern Catholic District School Board; le Northern District School Area Board; le Northwest Catholic District School Board; le Ottawa Children’s Treatment Centre School Authority; le Ottawa-Carleton Catholic District School Board; le Ottawa-Carleton District School Board; le Parry Sound Roman Catholic Separate School Board; le Peel District School Board; le Peterborough Victoria Northumberland and Clarington Catholic District School Board; le Rainbow District School Board; le Rainy River District School Board; le Red Lake Area Combined Roman Catholic Separate School Board; le Renfrew County Catholic District School Board; le Renfrew County District School Board; le Simcoe County District School Board; le Simcoe Muskoka Catholic District School Board; le St Clair Catholic District School Board; le Sudbury Catholic District School Board; le Superior North Catholic District School Board; le Superior-Greenstone District School Board; le Thames Valley District School Board; le Thunder Bay Catholic District School Board; le Toronto Catholic District School Board; le Toronto District School Board; le Trillium Lakelands District School Board; le Upper Canada District School Board; le Upper Grand District School Board; le Upsala District School Area Board; le Waterloo Catholic District School Board; le Waterloo Region District School Board; le Wellington Catholic District School Board; le Windsor-Essex Catholic District School Board; le York Catholic District School Board; et le York Region District School Board (demandeurs)
c.
The Canadian Copyright Licensing Agency, exerçant ses activités sous l’appellation « Access Copyright » (défenderesse)
et
L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (intervenante-1)
et
The Canadian Publishers’ Council, l’Association of Canadian Publishers et le Canadian Education Resources Council (intervenants-2)
Répertorié : Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright)
Cour d’appel fédérale, juge en chef Blais, juges Noël et Trudel, J.C.A.—Montréal, 8 juin; Ottawa, 23 juillet 2010.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission du droit d’auteur du Canada portant que les copies faites par les demandeurs ne constituaient pas une utilisation équitable conformément aux articles 29 et 29.1 de la Loi sur le droit d’auteur et que l’exception énoncée à l’article 29.4 (quant à la reproduction faite par des établissements d’enseignement) ne s’y appliquait pas. En conséquence, la Commission a inclus les copies dans le calcul du tarif. La Commission du droit d’auteur a homologué un tarif, qui comprenait parmi les utilisations ouvrant droit à rémunération la photocopie d’extraits de manuels scolaires destinés aux élèves de la maternelle à la 12e année. Les demandeurs sont les ministres de l’Éducation de toutes les provinces et de tous les territoires canadiens, à l’exception du Québec, de même que chacun des conseils scolaires ontariens. La défenderesse est une société à but non lucratif qui représente les auteurs et les éditeurs d’œuvres protégées par le droit d’auteur. En plus d’affirmer que leur utilisation de photocopies constituait une utilisation équitable, les demandeurs soutenaient, à titre subsidiaire, que les copies en cause tombaient sous le coup de l’exception prévue à l’article 29.4 de la Loi en tant que copies « d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur […] dans le cadre d’un examen ou d’un contrôle » lorsque l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur ne sont pas « accessibles sur le marché et sont sur un support approprié aux fins visées ».
Lorsque les parties ne pouvaient pas en arriver à une entente sur le nouveau tarif après l’expiration de l’entente antérieure, la défenderesse a déposé auprès de la Commission son propre projet de tarif. Les demandeurs se sont toutefois opposés au projet et ont demandé à la Commission de le réviser. Les parties ont accepté une enquête de volume. Les résultats de cette enquête ont été classés dans quatre catégories différentes. Bien que les parties aient convenu que les copies entrant dans les catégories 1, 2 et 3 constituaient une utilisation équitable, elles divergeaient toutefois d’opinion au sujet de la catégorie 4, qui correspondait à l’immense majorité des copies. Ces copies s’entendaient de copies multiples faites pour l’usage du copiste et copies uniques ou multiples faites pour un tiers sans sa demande […] aux fins d’étude privée et/ou de recherche et/ou de critique et/ou de compte rendu ». La défenderesse affirmait — et la Commission abondait dans son sens — qu’elles ne constituaient pas une utilisation équitable et qu’elles ouvraient en conséquence droit à rémunération.
Les questions à trancher étaient celles de savoir si la Commission avait conclu à juste titre que les copies appartenant à la catégorie 4 répondaient à la définition d’utilisation équitable en vertu des articles 29 et 29.1 de la Loi et si elles échappaient à l’exception prévue à l’article 29.4 de la Loi.
Arrêt : la demande doit être accueillie.
La Commission a appliqué le critère en deux étapes formulé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada pour déterminer si l’activité des demandeurs répondait à la définition d’utilisation équitable. S’agissant de la première étape de l’analyse proposée dans l’arrêt CCH — portant sur la question de savoir si les copies ont été faites pour une des fins énumérées — les parties ont convenu que la Commission n’avait pas commis d’erreur. La seule question qui devait être tranchée en ce qui concerne l’utilisation équitable était donc celle de savoir si, comme elles avaient été faites pour une fin énumérée, les copies visaient une utilisation équitable.
La Cour jugeait raisonnable la conclusion de la Commission suivant laquelle les copies relevant de la catégorie 4 ne répondent pas à la définition d’utilisation équitable et le critère exposé dans l’arrêt CCH était raisonnable. La seconde étape de l’analyse de la question de l’équité est d’ordre factuel et la conclusion tirée par la Commission commande donc un degré élevé de déférence. En outre, les six facteurs énumérés par la Cour suprême dans l’arrêt CCH ne prévoient pas de liste de contrôle des conditions nécessaires ou suffisantes; ils se veulent simplement des lignes directrices non exhaustives. Le caractère raisonnable de la conclusion tirée par la Commission au sujet de l’équité devait donc être apprécié en fonction de l’ensemble des motifs de la Commission. Lorsqu’on envisage la question sous cet angle, il était évident que la Commission avait conclu que l’utilisation faite par les demandeurs était inéquitable étant donné qu’elle ne répondait pas à la définition de « recherche et étude privée ». Il s’agissait d’une conclusion légitime qu’il était loisible à la Commission de tirer vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait. Les motifs de la Commission étaient par ailleurs compréhensibles et transparents.
En ce qui concerne l’exception prévue à l’article 29.4, la Commission n’a pas abordé une question qui était essentielle pour pouvoir trancher l’affaire dont elle était saisie. Elle devait définir l’expression « sur un support approprié aux fins visées » et appliquer cette définition aux faits de la présente affaire. Les motifs de la Commission pouvaient être interprétés de deux manières et ni l’une ni l’autre n’est suffisante pour justifier sa décision. Première interprétation : La Commission ne répond pas à la question de savoir si les œuvres étaient accessibles « sur un support approprié aux fins visées ». Elle a seulement abordé la question de savoir si les œuvres étaient « accessibles sur le marché ». La conclusion limitée de la Commission portant que l’exception n’est offerte qu’à l’égard des utilisations pour lesquelles la défenderesse n’offre pas de licence autorisant l’utilisation de l’œuvre sur un support [« format » dans la version anglaise] qui convient ne peut pas être interprétée comme une conclusion que les œuvres sont accessibles sur un support [« medium » dans la version anglaise] approprié aux fins visées. Comme la Loi emploie dans sa version anglaise à la fois le mot « medium » et le mot « format », ces mots ne peuvent avoir le même sens. En conséquence, même si l’on interprète les motifs de la Commission comme une conclusion que les œuvres étaient accessibles en un « format » approprié, on ne peut considérer que la Commission a conclu que les œuvres étaient accessibles en un « medium » approprié.
Seconde interprétation : Même en supposant que la Commission voulait dire « medium » lorsqu’elle a écrit « format » (la version française de la Loi ne fait aucune distinction entre « medium » et « format »), elle n’a pas parlé de ce qui était approprié ou ne l’est pas et elle n’a tiré aucune conclusion de fait sur le fondement des éléments de preuve qui lui ont été présentés. Une vague allusion à un « format » approprié ne saurait justifier une conclusion, fondée sur l’article 29.4, que les œuvres étaient accessibles en un « medium » approprié aux fins visées.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2 « déficience perceptuelle » (édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 1), 13(1),(4) (mod., idem, art. 10), 29 (mod., idem, art. 18), 29.1 (édicté, idem), 29.4 (édicté, idem), 30.1 (édicté, idem; 1999, ch. 31, art. 59(A)), 30.9 (édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 18), 32 (mod., idem, art. 19), 38.1 (édicté, idem, art. 20), 70.13(2) (édicté, idem, art. 46), 79 « support audio » (édicté, idem, art. 50), « support audio vierge » (édicté, idem), 80 (édicté, idem).
Projet de loi C-32, Loi sur la modernisation du droit d’auteur, 3e sess., 40e lég., 2010, art. 21.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1.
décisions examinées :
Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427, infirmant en partie 2002 CAF 166, [2002] 4 C.F. 3; University of London Press, Limited v. University Tutorial Press, Limited, [1916] 2 Ch. 601; Pro Sieben Media A.G. v. Carlton UK Television Ltd. and Another, [1999] 1 W.L.R. 605 (C.A.); Rubin v. Boston Magazine Co., 645 F.2d 80 (1st Cir. 1981); Association of American Medical Colleges v. Mikaelian, 571 F. Supp. 144 (E.D. Pa. 1983), conf. par 734 F.2d 3 (3d Cir. 1984); Copyright Licensing Ltd. v. University of Auckland, [2002] 3 N.Z.L.R. 76 (H.C.).
décisions citées :
R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61; R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378; Peach Hill Management Ltd. c. Canada, [2000] A.C.F. no 894 (C.A.) (QL).
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (Tarif des redevances à percevoir par Access Copyright pour la reproduction par reprographie, au Canada, d’œuvres de son répertoire, Dossier : Reproduction par reprographie 2005-2009) de la Commission du droit d’auteur du Canada portant que les copies faites par les demandeurs ne constituaient pas une utilisation équitable conformément aux articles 29 et 29.1 de la Loi sur le droit d’auteur et que l’exception énoncée à l’article 29.4 ne s’y appliquait pas. Demande accueillie.
ONT COMPARU
J. Aidan O’Neill et Wanda Noel pour le demandeur.
David R. Collier pour la défenderesse.
Howard P. Knopf pour l’intervenante-1.
Barry B. Sookman et Daniel G. C. Glover pour les intervenants-2.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l., Ottawa, pour le demandeur.
Ogilvy Renault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour la défenderesse.
Macera & Jarzyna LLP, Ottawa, pour l’intervenante-1.
McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour les intervenants-2.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
La juge Trudel, J.C.A. :
Introduction
[1] La Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi) permet d’utiliser, sans qu’il y ait violation du droit d’auteur, des œuvres protégées par le droit d’auteur à la condition que cette utilisation vise l’une des fins énumérées dans la Loi et qu’elle soit équitable. C’est ce qu’on appelle l’utilisation équitable.
[2] La présente affaire concerne un tarif homologué par la Commission du droit d’auteur (la Commission), qui comprend parmi les utilisations ouvrant droit à rémunération la photocopie d’extraits de manuels scolaires destinés aux élèves de la maternelle à la 12e année. Plus particulièrement, les parties acceptent que les copies visées en l’espèce sont des « [c]opies multiples faites pour l’usage du copiste et copies uniques ou multiples faites pour un tiers sans sa demande a. aux fins d’étude privée et/ou de recherche et/ou de critique et/ou de compte rendu » (voir catégorie 4 du tableau reproduit au paragraphe 15).
[3] Les demandeurs soutiennent que cette utilisation constitue une utilisation équitable au sens des articles 29 [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 18] et 29.1 [édicté, idem] de la Loi : les copies étaient faites pour une fin énumérée dans la Loi et leur utilisation était équitable. Les deux parties conviennent que les copies ont été faites à une des fins énumérées dans la Loi. Toutefois, les demandeurs affirment aussi que les copies visaient une utilisation équitable et que la Commission a par conséquent commis une erreur en incluant les copies dans le calcul du tarif.
[4] À titre subsidiaire, les demandeurs soutiennent que les copies tombent sous le coup de l’exception prévue à l’article 29.4 [édicté, idem] de la Loi en tant que copies « d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur […] dans le cadre d’un examen ou d’un contrôle » lorsque l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur ne sont pas « accessibles sur le marché et sont sur un support approprié, aux fins visées ».
[5] Essentiellement, la question de l’utilisation équitable revient à réviser la conclusion de la Commission suivant laquelle l’utilisation n’est pas équitable. Il s’agit d’une question purement factuelle. Or, je ne décèle dans la conclusion de la Commission aucune erreur qui justifierait notre intervention et je ferais donc droit à la demande pour ce motif.
[6] S’agissant toutefois de l’article 29.4, la Commission a omis d’aborder un aspect important du critère, en l’occurrence la question de savoir si les œuvres étaient accessibles sur le marché sur un support approprié aux fins visées. Il ressort du dossier de la demande que cet argument a nettement été plaidé devant la Commission. Au paragraphe 68 de leur exposé des moyens de droit, les demandeurs déclarent en effet (voir dossier de la demande, volume 3, onglet L, à la page 654, voir aussi le mémoire des faits et du droit des demandeurs, au paragraphe 101) :
[traduction] […] l’obligation pour une œuvre d’être « accessible sur le marché » n’est qu’un des aspects du critère prévu par la Loi qu’il faut appliquer pour déterminer si une reproduction donnée tombe sous le coup de l’exception prévue au paragraphe 29.4(2), ou si on peut la faire relever de l’exception prévue au paragraphe 29.4(3). Le critère intégral est celui de savoir si l’œuvre ou autre objet du droit d’auteur qui sont reproduits dans le cadre d’un examen ou d’un contrôle « sont accessibles sur le marché et sont sur un support approprié aux fins visées ».
[7] Bien qu’elle ait estimé que les œuvres étaient accessibles sur le marché, la Commission n’a pas déterminé le support sur lequel elles étaient accessibles et elle n’a pas déterminé si ce support était approprié. Je suis par conséquent d’avis de faire droit à la demande pour ce motif et de renvoyer l’affaire à la Commission pour les motifs ci-après exposés aux paragraphes 49 et suivants.
Les faits
[8] Le 17 juillet 2009, la Commission du droit d’auteur du Canada a publié la version corrigée de sa décision [en date du 26 juin 2009] intitulée Tarif des redevances à percevoir par Access Copyright pour la reproduction par reprographie, au Canada, d’œuvres de son répertoire, Dossier : Reproduction par reprographie 2005-2009 (la décision). Il s’agit de la décision dont les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire.
[9] Les demandeurs sont les ministres de l’Éducation de toutes les provinces et territoires canadiens, à l’exception du Québec, de même que chacun des conseils scolaires ontariens. La défenderesse, qui était désignée à l’origine sous le nom de CANCOPY, est une société à but non lucratif qui représente les auteurs et les éditeurs d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Elle acquiert son répertoire en concluant des ententes d’affiliation avec des titulaires de droits d’auteur et elle administre le droit d’autoriser la reprographie de son répertoire pour l’ensemble du Canada sauf le Québec.
[10] L’intervenante-1 représente les professeurs, bibliothécaires, chercheurs et autres universitaires et membres du personnel des universités canadiennes. Les intervenants-2 se veulent les porte-parole de la presque totalité de l’industrie canadienne de l’édition. Leurs membres vendent leurs œuvres directement à l’ensemble du secteur de l’enseignement au Canada, y compris les établissements d’enseignement primaire, secondaire, collégial et universitaire.
[11] Entre 1991 et 1997, la défenderesse a conclu des ententes sur les redevances avec la totalité des provinces et des territoires, à l’exception du Québec relativement à la reproduction de son répertoire destiné aux établissements d’enseignement élémentaire et secondaire au Canada. En 1999, les parties ont signé une entente pancanadienne d’une durée de cinq ans, qui prévoyait une hausse progressive des redevances jusqu’en 2004. Jusqu’alors toutefois, les redevances n’étaient pas calculées en fonction du nombre réel de pages photocopiées.
[12] En 2004, les parties ne sont pas parvenues à une nouvelle entente sur une licence pancanadienne, parce qu’elles n’arrivaient pas à s’entendre sur les modalités de l’« enquête de volume » devant servir au calcul du nombre réel de pages photocopiées. Le tarif en vigueur en 1999 a donc été maintenu d’année en année en attendant que la Commission rende sa décision sur le nouveau tarif. À défaut d’entente, la défenderesse a déposé auprès de la Commission son propre projet de tarif (Tarif des établissements d’enseignement élémentaire et secondaire pour 2005-2009) conformément au paragraphe 70.13(2) [édicté, idem, art. 46] de la Loi :
70.13 […] |
|
(2) Lorsque les sociétés de gestion ne sont pas régies par un tarif homologué au titre du paragraphe 70.15(1), le dépôt du projet de tarif auprès de la Commission doit s’effectuer au plus tard le 31 mars précédant la date prévue pour sa prise d’effet. |
Sociétés non régies par un tarif homologué |
[13] Les demandeurs se sont opposés au projet de tarif et ont demandé à la Commission de le réviser. Au cours de l’instance, les parties se sont entendues sur les modalités de l’enquête de volume. Celle-ci a été menée entre février 2005 et mars 2006. Les données de l’enquête de volume ont été recueillies pendant 10 jours par des observateurs postés près des photocopieuses de 894 établissements d’enseignement situés un peu partout au Canada. Chaque fois que quelqu’un faisait une photocopie, l’observateur notait certains renseignements sur une étiquette d’enregistrement. Toutes les parties se sont entendues sur la teneur de l’étiquette d’enregistrement. On y trouve les questions et les choix de réponses suivants :
[traduction]
Qui a fait les copies? Prière de ne cocher qu’une seule réponse.
Un enseignant
Un bibliothécaire
Un autre membre du personnel
Un étudiant
Quelqu’un d’autre
Pour qui les copies ont-elles été faites? Veuillez cocher toutes les réponses applicables.
Le copiste
Un membre du personnel
Un(des) étudiant(s)
Une autre personne
Si la copie a été faite pour un membre du personnel, pour un(des) étudiant(s) ou pour une autre personne, la copie a‑t‑elle été faite à sa demande?
Oui
Non
Ne sait pas
Dans le cas d’(un) étudiant(s) : Les étudiants ont-ils reçu pour instruction de lire le document?
Oui
Non
Ne sait pas
À quelle(s) fin(s) les copies ont-elles été faites? Veuillez cocher toutes les réponses applicables.
Administration
Critique ou compte rendu
Divertissement
Consultation future
Examen ou test
Étude privée
Projection en classe
Recherche
Enseignement, devoirs et travaux en classe
Autre(s) fin(s). Préciser
Ne sait pas
[14] Les parties ont convenu de tenir pour avérés les résultats de l’enquête de volume ainsi que les renseignements consignés sur les étiquettes d’enregistrement et ont convenu que la décision de savoir si une copie constituait une utilisation équitable ne devait reposer que sur les renseignements consignés sur les étiquettes d’enregistrement.
[15] La Commission a réparti les résultats de l’enquête dans les catégories suivantes [voir le tableau 1 de la décision] :
VOLUME DE L’EXCEPTION RELATIVE À L’UTILISATION ÉQUITABLE
Catégories de photocopies |
Volume |
Total cumulatif |
1. Copies uniques faites pour l’usage du copiste et copies uniques ou multiples faites pour un tiers à sa demande1 |
623 585 |
|
a. uniquement aux fins d’étude privée et/ou de recherche 2. Copies uniques faites pour l’usage du copiste et copies uniques ou multiples faites pour un tiers à sa demande1 a. uniquement aux fins de critique et/ou de compte rendu, ou b. uniquement aux fins de critique et/ou de compte rendu ET d’étude privée et/ou de recherche |
204 285 |
827 870 |
3. Copies uniques faites pour l’usage du copiste et copies uniques ou multiples faites pour un tiers à sa demande1 a. aux fins d’étude privée et/ou de recherche et/ou de critique et/ou de compte rendu i. avec au moins une autre fin que celles donnant ouverture à l’exception relative à l’utilisation équitable |
821 909 |
1 649 779 |
4. Copies multiples faites pour l’usage du copiste et copies uniques ou multiples faites pour un tiers sans sa demande a. aux fins d’étude privée et/ou de recherche et/ou de critique et/ou de compte rendu i. avec au moins une autre fin que celles donnant ouverture à l’exception relative à l’utilisation équitable b. uniquement aux fins d’étude privée et/ou de recherche et/ou de critique et/ou de compte rendu |
16 861 583 |
18 511 362 |
1 Sans instruction de lire.
[16] Les parties ont convenu que les copies entrant dans les catégories 1, 2 et 3 constituent une utilisation équitable. Les parties divergent toutefois d’opinion au sujet de la catégorie 4, qui correspond à l’immense majorité des copies. Les demandeurs soutiennent que les copies qui entrent dans la catégorie 4 constituent une utilisation équitable, tandis que la défenderesse affirme — et la Commission a abondé dans son sens — qu’elles ne constituent pas une utilisation équitable et qu’elles ouvrent en conséquence droit à rémunération.
L’utilisation équitable
A. La loi
[17] Voici les dispositions pertinentes de la Loi en ce qui concerne l’utilisation équitable :
29. L’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d’auteur. |
Étude privée ou recherche |
29.1 L’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins de critique ou de compte rendu ne constitue pas une violation du droit d’auteur à la condition que soient mentionnés : a) d’une part, la source; b) d’autre part, si ces renseignements figurent dans la source: (i) dans le cas d’une œuvre, le nom de l’auteur, (ii) dans le cas d’une prestation, le nom de l’artiste-interprète, (iii) dans le cas d’un enregistrement sonore, le nom du producteur, (iv) dans le cas d’un signal de communication, le nom du radiodiffuseur. |
Critique et compte rendu |
[18] L’arrêt de principe en ce qui concerne l’interprétation de cette disposition est l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339 (CCH). Dans cette affaire, la Cour interprétait les règles de droit relatives à l’utilisation équitable dans le contexte du service de photocopie sur demande offert par le Barreau du Haut-Canada à la Grande bibliothèque de Toronto. Dans le cadre du service de photocopie sur demande, les membres pouvaient demander des ouvrages juridiques, que le personnel de la bibliothèque photocopiaient et remettaient sur place ou transmettaient par la poste ou par télécopieur. La Cour suprême a jugé que cette activité constituait une utilisation équitable à des fins de recherche ou d’étude privée.
[19] Dans sa décision, la Cour suprême a expliqué : « À l’instar des autres exceptions que prévoit la Loi sur le droit d’auteur, [l’]exception [relative à l’utilisation équitable] correspond à un droit des utilisateurs. » Cette exception doit donc être interprétée de façon large et libérale : « Pour maintenir un juste équilibre entre les droits des titulaires du droit d’auteur et les intérêts des utilisateurs, il ne faut pas l’interpréter restrictivement » (CCH, au paragraphe 48). La Cour a ensuite posé un critère en deux étapes visant à déterminer si une activité donnée répondait à la définition d’utilisation équitable : « Pour établir qu’une utilisation était équitable au sens de l’art. 29 de la Loi sur le droit d’auteur, le défendeur doit prouver (1) qu’il s’agit d’une utilisation aux fins d’étude privée ou de recherche et (2) qu’elle était équitable » (CCH, au paragraphe 50).
[20] La seconde étape, celle à laquelle on se demande si l’utilisation est équitable, est « une question de fait qui doit être tranchée à partir des circonstances de l’espèce » (CCH, au paragraphe 52). Au paragraphe 53, la Cour propose six facteurs non exhaustifs dont on peut tenir compte pour décider si une utilisation est équitable : « (1) le but de l’utilisation; (2) la nature de l’utilisation; (3) l’ampleur de l’utilisation; (4) les solutions de rechange à l’utilisation; (5) la nature de l’œuvre; (6) l’effet de l’utilisation sur l’œuvre ».
[21] Je suis également consciente du fait que l’article 21 du projet de loi C-32, Loi sur la modernisation du droit d’auteur, 3e session, 40e législature, 59 Elizabeth II, 2010, modifierait l’article 29 pour qu’il déclare que « [l]’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée, de recherche, d’éducation, de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du droit d’auteur » (les modifications ont été soulignées dans l’original). Cette modification a toutefois seulement pour effet de créer d’autres fins énumérées et elle n’a aucune incidence sur l’analyse de l’utilisation équitable. Comme les parties conviennent qu’en l’espèce, l’utilisation visait une fin énumérée, les modifications proposées à la Loi n’ont aucune incidence sur l’issue de la présente affaire et nous ne reviendrons plus sur le projet de loi C-32.
B. La décision de la Commission
1) Les copies ont-elles été faites pour une fin énumérée?
[22] La Commission a tenu pour avéré qu’une copie était faite pour une fin énumérée dès lors que l’étiquette d’enregistrement le mentionnait. La Commission a conclu que, comme les étiquettes apposées sur toutes les copies entrant dans la catégorie 4 indiquaient que les copies avaient été faites pour fin énumérée, les copies entrant dans la catégorie 4 avaient effectivement été faites pour une fin énumérée (décision, au paragraphe 87). La Commission a ajouté toutefois que, lorsque l’étiquette d’enregistrement indiquait que la copie avait été faite à des fins de « critique ou de compte rendu », elle devait être considérée comme ayant été faite à des fins de « recherche ou d’étude privée » (décision, au paragraphe 94). Elle a expliqué qu’« une copie n’est faite aux fins de critique que si elle est incorporée à la critique même ». La copie fournie à celui qui veut éventuellement se livrer à la critique est faite aux fins de recherche de cette personne, et non à des fins de critique (décision, au paragraphe 91).
[23] Au paragraphe 88 de ses motifs, la Commission établit par ailleurs une distinction entre l’analyse du but effectuée à la première étape dans l’arrêt CCH et celle qui est effectuée à la seconde étape :
Il nous semble au contraire que CCH a établi une règle de démarcation simple et nette pour ce volet, laissant l’appréciation plus fine (l’établissement de l’objet principal) à l’analyse de ce qui est ou non équitable. Par conséquent, dès lors qu’une étiquette note que l’utilisation vise une fin énumérée, il faut passer à la deuxième étape. Le fait que l’objet principal soit ou non une fin énumérée est l’un des facteurs qu’il faut prendre en compte subséquemment, afin de décider si l’utilisation est ou non equitable.
2) L’utilisation était-elle équitable?
[24] À cette étape, la Commission a examiné les six facteurs proposés par la Cour dans l’arrêt CCH pour déterminer si une copie faite pour une fin énumérée constitue une utilisation équitable. Le premier facteur concerne le but de l’utilisation. Ici, la Commission a examiné les copies de plus près, s’interrogeant sur « le but ou le motif réel de l’utilisation » [décision, au paragraphe 96]. La Commission a conclu que, dans le cas où l’étiquette d’enregistrement indique plus d’une fin et que la copie est faite à la demande de l’étudiant, si au moins une des fins énumérées sur l’étiquette d’enregistrement vise la recherche ou l’étude privée, elle acceptera que le but de la copie est avant tout la recherche ou l’étude privée. Toutefois, dans le cas des copies faites à l’initiative de l’enseignant pour ses élèves, la Commission a conclu que « [l]a plupart du temps, cette fin réelle ou principale est l’enseignement ou l’étude “non privée”. » Elle a expliqué que « [l]’enseignant qui décide ce qu’il reproduit et à qui il le remet […] le fait pour accomplir son travail, qui est d’enseigner. En vertu de ce critère, l’utilisation tend donc à être inéquitable » (décision, au paragraphe 98).
[25] En ce qui concerne la nature de l’utilisation, la Commission a constaté que des copies multiples étaient distribuées à l’ensemble de la classe et que les élèves les conservaient la plupart du temps dans un cartable aussi longtemps qu’ils conserveraient l’original : jusqu’à la fin de l’année scolaire. La Commission a estimé que ce facteur militait en faveur de la conclusion que l’utilisation est inéquitable (décision, au paragraphe 100). Au sujet de l’ampleur de l’utilisation, la Commission a conclu que les enseignants se limitaient généralement à reproduire des extraits relativement courts. Par contre, la Commission a également conclu qu’il était plus que probable que les ensembles de classe fassent l’objet de nombreuses demandes visant les mêmes recueils, ce qui tendrait à rendre l’utilisation inéquitable (décision, au paragraphe 104). La Commission a également conclu qu’il existait une solution de rechange à l’utilisation : les établissements pouvaient acheter les originaux (décision, au paragraphe 107). En ce qui concerne la nature de l’œuvre, la Commission a établi une distinction entre la présente espèce et l’arrêt CCH, signalant que, dans cette dernière, la Cour suprême avait jugé qu’il était dans l’intérêt du public de faire connaître l’opinion des juges au grand public, tandis qu’en l’espèce, les copies en question étaient créées à l’aide de ressources privées (décision, au paragraphe 108). La Commission a également examiné l’effet de l’utilisation sur l’œuvre. Elle a cité des éléments de preuve non contredits tendant à démontrer que les ventes de manuels scolaires avaient fléchi de plus de 30 pour cent en 20 ans. Tout en admettant qu’elle ne pouvait pas mettre le doigt sur la raison précise de ce déclin des ventes, elle a néanmoins estimé que la photocopie avait eu un effet inéquitable sur les œuvres (décision, au paragraphe 112).
[26] Ayant abordé les six facteurs, la Commission a ensuite conclu, au paragraphe 118 de ses motifs, que les copies entrant dans les catégories 1, 2 et 3 constituaient une utilisation équitable, alors que les copies appartenant à la catégorie 4 étaient inéquitables et devaient donc être assujetties à une redevance :
Même lorsqu’elle est faite uniquement à des fins donnant ouverture à l’exception, la copie faite par l’enseignant avec instruction de lire, que ce soit ou non à la demande d’un élève, et la copie faite à l’initiative de l’enseignant pour un groupe d’élèves ne sont tout simplement pas équitables. Leur but principal est l’enseignement ou l’étude non privée. Il s’agit de copies conservées tout au long de l’année. L’établissement pourrait acquérir le manuel plutôt que de le copier. Et surtout, tout porte à croire que la photocopie en général, et celle de manuels scolaires, qui représente 86 pour cent de l’activité pour laquelle Access demande à être rémunérée, en particulier, fait concurrence à la vente de ces mêmes manuels.
C. L’analyse
1) La norme de contrôle
[27] La norme de contrôle de la conclusion tirée par la Commission au sujet de l’utilisation équitable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), la Cour suprême a jugé qu’« en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement » (au paragraphe 51), ajoutant qu’« [e]n présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée » (Dunsmuir, au paragraphe 53) et que « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (Dunsmuir, au paragraphe 54).
[28] S’agissant de la première étape de l’analyse proposée dans l’arrêt CCH — portant sur la question de savoir si les copies ont été faites pour une des fins énumérées —, les parties conviennent que la Commission n’a pas commis d’erreur. La seule question à laquelle la Cour doit répondre en ce qui concerne l’utilisation équitable est donc celle de savoir si, comme elles ont été faites pour une fin énumérée, les copies visaient une utilisation équitable.
[29] La Cour suprême a affirmé dans les termes les plus nets que la question de savoir ce qu’il faut entendre par équitable est « une question de fait qui doit être tranchée à partir des circonstances de l’espèce » (CCH, au paragraphe 52).
[30] Les demandeurs affirment que la décision de la Commission devrait être assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte, citant à l’appui l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427 (SOCAN), au paragraphe 49 :
Il n’existe dans la loi ni clause privative ni droit d’appel des décisions de la Commission du droit d’auteur. Même si son président doit être juge ou juge à la retraite, la Commission peut tenir une audience en l’absence de tout membre ayant une formation juridique. La Loi sur le droit d’auteur est une loi de portée générale dont l’application relève habituellement des cours de justice, et non des tribunaux administratifs. Les questions en litige dans le présent pourvoi sont des questions de droit. Par exemple, en concluant à l’absence de violation du droit d’auteur au Canada lorsque la communication est transmise à partir de l’étranger, la Commission a tranché une question de droit d’une importance générale allant bien au‑delà de la mise au point d’un tarif de redevances approprié, laquelle est au cœur du mandat de la Commission.
[31] L’intervenante-1 cite la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. cana-dienne des fournisseurs Internet, 2002 CAF 166, [2002] 4 C.F. 3, au paragraphe 105 : « Dans l’ensemble, il ressort de l’économie de la Loi sur le droit d’auteur que, saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour devrait appliquer la norme de la décision correcte à l’interprétation par la Commission des dispositions de la Loi sur le droit d’auteur qui pourraient également donner ouverture à une action en violation du droit d’auteur devant les tribunaux judiciaires. »
[32] Ce précédent n’appuie pas suffisamment l’argument des demandeurs ou de l’intervenante‑1. Rappelons tout d’abord que l’arrêt SOCAN a été rendu avant l’arrêt Dunsmuir, dans lequel on constate une insistance renouvelée sur l’importance de faire preuve de déférence envers les tribunaux administratifs lorsqu’ils interprètent leur propre loi constitutive. En second lieu, le différend en l’espèce n’a pas une vaste portée juridique. Le contrôle judiciaire porte sur la question de savoir si un type précis de copie révélé par l’enquête de volume répond à la définition d’utilisation équitable. Il s’agit en grande partie d’un examen factuel qui entre parfaitement dans le cadre de la compétence de la Commission. La norme de contrôle appropriée est en conséquence celle de la décision raisonnable.
[33] Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême explique, au paragraphe 47, que le caractère raisonnable comporte deux éléments : « Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » La présente demande ne peut donc être accueillie que si les motifs de la Commission ne sont ni transparents ni intelligibles ou s’ils n’appartiennent pas aux issues acceptables.
2) L’utilisation visait-elle une fin énumérée?
[34] Comme je l’ai déjà dit, les parties s’entendent pour dire que les copies ont été faites pour une fin énumérée et qu’elles satisfont donc à la première étape de l’analyse de l’arrêt CCH. Les demandeurs soutiennent que la Commission a eu tort d’affirmer qu’une copie ne peut pas être faite aux fins de critique que si elle est incorporée à la critique même. Ces propos ont toutefois été formulés à titre incident, puisque la Commission a tout simplement tenu pour avérées les fins indiquées sur l’étiquette d’enregistrement. Voici comment elle s’exprime au paragraphe 87 de ses motifs :
Comme nous tenons pour avéré pour l’essentiel qu’une copie a été faite à une fin énumérée dès lors que l’étiquette apposée le mentionne, nous pourrions passer sous silence la plupart des prétentions des parties à ce sujet. Nous tenons néanmoins à livrer un certain nombre de commentaires.
[35] En conséquence, comme il n’y a pas de différend au sujet de la première étape du critère de l’arrêt CCH, je passe à la seconde étape, qui porte sur la question de savoir si l’utilisation était équitable.
3) L’utilisation était-elle équitable?
[36] Pour les motifs qui suivent, la Cour juge raisonnable la conclusion de la Commission suivant laquelle les copies relevant de la catégorie 4 ne répondent pas à la définition d’utilisation équitable.
a) L’objet de l’utilisation
[37] Les demandeurs font surtout valoir que la Commission a interprété la Loi de manière trop restrictive, contrairement aux exigences de l’arrêt CCH citées au paragraphe 18, surtout en ce qui concerne l’objet de l’utilisation. Je ne suis pas de leur avis. La Commission a essentiellement décidé que, lorsqu’un enseignant photocopie des œuvres protégées par le droit d’auteur pour ses élèves, une telle utilisation ne peut viser une étude privée. Comme la défenderesse le signale, les demandeurs demandent en fait à la Cour d’interpréter le mot « étude privée » comme si le qualificatif « privée » ne s’y trouvait pas.
[38] Les demandeurs soutiennent que l’adjectif « privée » vise à exclure de l’utilisation équitable l’utilisation commerciale d’œuvres protégées par le droit d’auteur qui n’ont aucune valeur pédagogique. Je n’arrive pas à comprendre comment on pourrait considérer le mot « privé » comme un synonyme de « non commercial ». Selon toute vraisemblance, l’expression « étude privée » signifie précisément cela : étude personnelle. Si le législateur avait voulu exclure seulement l’exploitation commerciale, il aurait pu employer des mots comme « non commercial » ou « sans but lucratif ». Interpréter de façon large et libérale signifie que l’on reconnaît une portée généreuse aux dispositions en question, ce qui ne veut pas dire que le texte de loi doit se voir attribuer un sens qu’on ne peut normalement lui prêter. Lorsque des élèves étudient collectivement des documents en classe, ils ne se livrent pas à une étude « privée »; on peut dire qu’ils « étudient », tout simplement. J’estime donc que la conclusion de la Commission est raisonnable.
[39] Les demandeurs soutiennent que l’arrêt University of London Press, Limited v. University Tutorial Press, Limited, [1916] 2 Ch. 601 (ULP) vient étayer leur thèse. Dans cette affaire, l’University of London Press était titulaire du droit d’auteur sur les examens qui étaient remis aux étudiants. L’University Tutorial Press avait reproduit des extraits de ces examens dans des livrets qu’elle vendait dans le but d’aider les étudiants à se préparer pour les examens. Le juge Peterson a conclu que cette utilisation n’était pas assimilée à une étude privée et ainsi n’était pas équitable parce que les publications [traduction] « visaient des fins pédagogiques et étaient destinées aux élèves », et ne devaient pas servir à l’étude privée (ULP, à la page 614). Les demandeurs ont raison d’affirmer que, contrairement aux enseignants dont il s’agit en l’espèce, l’University Tutorial Press se servait de toute évidence des examens à des fins commerciales. Cette distinction est toutefois en grande partie sans intérêt. Rien dans la décision ULP n’indique que les motifs commerciaux des usagers constituent un facteur pertinent : on y indique seulement que l’utilisation était inéquitable parce qu’elle visait des fins pédagogiques et non l’étude privée. En fait, on ne sait pas avec certitude si le tribunal a tenu compte du but lucratif pour décider si l’utilisation visait l’« étude privée ». Après tout, la Cour suprême a bien précisé dans l’arrêt CCH que la recherche effectuée dans le but de réaliser un profit peut quand même être considérée comme équitable (CCH, au paragraphe 54). En résumé, rien ne permet de penser que l’absence de profit rend équitable l’utilisation que font les demandeurs.
[40] Pour en arriver à cette conclusion, la Commission avait le droit d’aller au-delà du fait que l’étiquette d’enregistrement pouvait indiquer que les copies étaient faites pour la recherche ou l’étude privée. D’ailleurs, l’arrêt CCH oblige la Commission à « s’efforcer d’évaluer objectivement le but ou le motif réel de l’utilisation de l’œuvre protégée » (CCH, au paragraphe 54). Rien n’empêchait la Commission de conclure que le but objectif à la seconde étape était différent de celui qu’elle avait accepté à la première étape. À la première étape, la Commission vérifiait seulement si l’objectif déclaré par les demandeurs était acceptable en vertu de la Loi; elle ne prétendait pas déterminer le but objectif de l’utilisation.
[41] Ce raisonnement va dans le sens des règles de droit d’autres pays, où la question a été carrément posée aux tribunaux. Bien que la jurisprudence étrangère en la matière porte surtout sur la question de savoir si les utilisations correspondent à une des fins énumérées — ce qui correspond en fait à la première étape de l’analyse de l’arrêt CCH — elle appuie néanmoins la proposition que l’on trouve également dans l’arrêt CCH et suivant laquelle les tribunaux doivent chercher à discerner le véritable objectif de l’utilisation. Les intentions et les motifs de celui qui utilise l’œuvre protégée par le droit d’auteur de quelqu’un d’autre sont [traduction] « des facteurs très pertinents pour déterminer si l’utilisation est équitable, dans la mesure où l’on peut la dissocier de la question de l’objet de la Loi » (Pro Sieben Media A.G. v. Carlton UK Television Ltd. and Another, [1999] 1 W.L.R. 605 (C.A.) (Pro Sieben) [à la page 614]).
[42] Dans l’arrêt Pro Sieben, la Cour d’appel de l’Angleterre a adopté cette approche dans le contexte de l’utilisation équitable de bulletins de nouvelles [à la page 614] :
[traduction] Il n’est pas nécessaire pour la Cour de se mettre à la place de celui qui viole le droit d’auteur pour décider si l’article contrevenant a été publié « aux fins de critique ou de compte rendu ». Notre Cour ne devrait pas, à mon avis, donner quelque appui que ce soit à l’idée qu’il suffit, pour l’usager, de croire sincèrement, même s’il fait fausse route, qu’il critique une œuvre ou qu’il donne un compte rendu sur les affaires courantes. Si elle le faisait, notre Cour inciterait les journalistes, pour qui les faits devraient être sacrés, à donner un témoignage invraisemblable au sujet de leurs intentions, ce qui ne saurait être souhaitable.
[43] On trouve également une abondante jurisprudence sur la question aux États-Unis. Ainsi, dans l’affaire Rubin v. Boston Magazine Co., 645 F.2d 80 (1st Cir. 1981), à la page 84, le collaborateur d’un magazine affirmait que l’utilisation qu’il avait faite de tableaux tirés d’un ouvrage spécialisé constituait une utilisation équitable à des fins de recherche. La Cour d’appel, 1er Circuit a écarté cet argument :
[traduction] L’argument des défendeurs suivant lequel ils cherchaient à « vulgariser des recherches » est démenti tant par le support que par le contenu de la publication accusée de violation du droit d’auteur. Ils démontrent de façon irréfutable que l’extrait protégé par le droit d’auteur a été utilisé comme un jeu-questionnaire pour divertir les lecteurs d’un magazine à grand tirage.
[44] De même, dans la décision Association of American Medical Colleges v. Mikaelian, 571 F. Supp. 144 (E.D. Pa. 1983), à la page 152, conf. par 734 F.2d 3 (3d Cir. 1984), la Cour de district des États-Unis pour le district de l’est de la Pennsylvanie a jugé que l’utilisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur pour des documents uniformisés de préparation d’examens d’une école de médecine ne constituait pas une utilisation équitable aux fins d’« enseignement ou de recherche » :
[traduction] Les défendeurs affirment simplement qu’ils se livrent à de l’« enseignement ». Cette affirmation catégorique ne suffit pas pour démontrer l’applicabilité des dispositions relatives à l’utilisation équitable que l’on trouve dans la loi (17 U.S.C. § 107). Certes, Mikaelian et Multiprep offrent des cours de préparation aux examens et de l’enseignement en matière de préparation aux examens dans le cadre de ces cours. Cependant, les étudiants de Multiprep ne se voient remettre aucun diplôme et ne se voient reconnaître aucune compétence ou connaissance particulières après avoir suivi le cours, et ils ne peuvent se servir de ce cours comme prérequis lorsqu’ils s’inscrivent par la suite à d’autres cours ou d’autres formations sur le plan pédagogique ou professionnel. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’on ne peut affirmer avec certitude que le cours préparatoire offert par Multiprep est un type d’activité protégé par la loi (17 U.S.C. § 107).
[45] La Haute Cour de Nouvelle-Zélande a adopté une approche semblable. Dans l’arrêt Copyright Licensing Ltd. v. University of Auckland, [2002] 3 N.Z.L.R. 76, au paragraphe 35, le juge Salmon déclare : [traduction] « La question de l’objet dans un cas précis est une question de fait, mais je tiens à souligner la nécessité de tenir compte de l’objectif véritable de la copie dans le contexte de l’article relatif à l’utilisation équitable. La bonne foi revêt une importance capitale. » La jurisprudence internationale s’accorde donc avec l’opinion que la fin doit être examinée objectivement.
[46] Enfin, la Commission a agi de façon raisonnable en tenant compte de la question de savoir si l’élève demandait les copies de son propre chef ou si l’enseignant faisait les copies de sa propre initiative. Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, la Commission n’a pas exigé que la personne qui demandait la copie soit celle qui se livrait à une étude privée. La Commission a plutôt estimé que, comme les élèves en question n’avaient pas demandé eux‑mêmes les photocopies, compte tenu du contexte pédagogique en question, la photocopie servait probablement à l’enseignement, et elle ne visait pas l’étude privée. Il s’agit d’une conclusion parfaitement légitime, vu l’ensemble des faits de l’espèce. Il n’y a pas d’autre condition à satisfaire. Dans le même ordre d’idées, la Commission avait le droit de conclure que, lorsqu’un élève reçoit pour instruction de lire un document, il est probable que la copie vise l’enseignement en classe plutôt que l’étude privée de l’élève.
b) Les autres facteurs de l’arrêt CCH
[47] Les conclusions tirées par la Commission au sujet des facteurs énoncés dans l’arrêt CCH sont également raisonnables. Pour ce qui est de la nature de l’utilisation, les demandeurs citent des témoignages suivant lesquels, normalement, les élèves détruisent ou perdent les photocopies. La Commission a toutefois conclu que les élèves conservaient souvent leurs copies dans des cartables pendant toute la durée de l’année scolaire. S’agissant de l’effet de l’utilisation, la Commission a conclu, vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait, qu’il était probable que l’utilisation avait nui à la vente de manuels scolaires. Bien que la Commission ait admis qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve déterminant en ce sens, elle n’a pas agi de façon déraisonnable en tenant compte de la baisse générale des ventes lorsqu’elle a procédé à son analyse de l’utilisation.
4) Conclusion
[48] Je ne décèle aucune erreur qui justifierait notre intervention dans la conclusion de la Commission suivant laquelle l’utilisation des copies de la catégorie 4 était inéquitable au sens de la Loi et du critère posé dans l’arrêt CCH. Il est important de rappeler que la seconde étape de l’analyse de la question de l’équité est d’ordre factuel et que la conclusion tirée par la Commission commande un degré élevé de déférence. En outre, les six facteurs énumérés par la Cour suprême ne prévoient pas de liste de contrôle des conditions nécessaires ou suffisantes; ils se veulent simplement des lignes directrices non exhaustives. Le caractère raisonnable de la conclusion tirée par la Commission au sujet de l’équité doit donc être apprécié en fonction de l’ensemble des motifs de la Commission. Lorsqu’on envisage la question sous cet angle, il est évident que la Commission a conclu que l’utilisation faite par les demandeurs était inéquitable étant donné qu’elle ne répondait pas à la définition de « recherche et étude privée ». Il s’agit d’une conclusion légitime qu’il était loisible à la Commission de tirer vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait. Les motifs de la Commission sont par ailleurs compréhensibles et transparents et, partant, raisonnables.
L’article 29.4
A. La loi
[49] L’article 29.4 de la Loi prévoit une exception particulière qui permet la reproduction d’œuvres protégées par le droit d’auteur à des fins pédagogiques. Cette exception n’entre pas dans la catégorie des « utilisations équitables ». Il s’agit d’une exception à part entière qui constitue une disposition distincte et autonome.
29.4 (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour un établissement d’enseignement ou une personne agissant sous l’autorité de celui-ci, à des fins pédagogiques et dans les locaux de l’établissement : a) de faire une reproduction manuscrite d’une œuvre sur un tableau, un bloc de conférence ou une autre surface similaire destinée à recevoir des inscriptions manuscrites; b) de reproduire une œuvre pour projeter une image de la reproduction au moyen d’un rétroprojecteur ou d’un dispositif similaire. |
Reproduction d’œuvres |
(2) Ne constituent pas des violations du droit d’auteur, si elles sont faites par un établissement d’enseignement ou une personne agissant sous l’autorité de celui-ci dans le cadre d’un examen ou d’un contrôle : a) la reproduction, la traduction ou l’exécution en public d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur dans les locaux de l’établissement; b) la communication par télécommunication d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur au public se trouvant dans les locaux de l’établissement. |
|
(3) Sauf cas de reproduction manuscrite, les exceptions prévues à l’alinéa (1)b) et au paragraphe (2) ne s’appliquent pas si l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur sont accessibles sur le marché et sont sur un support approprié, aux fins visées par ces dispositions. |
Accessibilité sur le marché |
B. La décision de la Commission
[50] La Commission a conclu que l’exception prévue à l’article 29.4 ne s’appliquait pas aux copies relevant de la catégorie 4. Par souci d’exhaustivité, je reproduis intégralement les motifs de la Commission sur la question, aux paragraphes 123 à 129 :
Les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
2 […]
« accessible sur le marché » S’entend, en ce qui concerne une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur
a) qu’il est possible de se procurer, au Canada, à un prix et dans un délai raisonnables, et de trouver moyennant des efforts raisonnables;
b) pour lequel il est possible d’obtenir, à un prix et dans un délai raisonnables et moyennant des efforts raisonnables, une licence octroyée par une société de gestion pour la reproduction, l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, selon le cas.
[…]
29.4(2) Ne constituent pas des violations du droit d’auteur, si elles sont faites par un établissement d’enseignement ou une personne agissant sous l’autorité de celui-ci dans le cadre d’un examen ou d’un contrôle :
a) la reproduction […] d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur dans les locaux de l’établissement;
[…]
(3) Sauf cas de reproduction manuscrite, les exceptions prévues […] et au paragraphe (2) ne s’appliquent pas si l’œuvre ou l’autre objet du droit d’auteur sont accessibles sur le marché et sont sur un support approprié, aux fins visées par ces dispositions.
Access soutient que les copies faites dans le cadre d’examens devraient entraîner une rémunération et être assujetties au tarif. Une œuvre est « accessible sur le marché » s’il est possible d’obtenir une licence « à un prix et dans un délai raisonnables et moyennant des efforts raisonnables ». L’homologation d’un tarif fait en sorte que ces trois conditions sont remplies. Le prix, établi par la Commission, est nécessairement raisonnable. Le délai et l’effort requis pour se prévaloir du tarif sont insignifiants.
Les opposants soutiennent au contraire que les seuls examens visés dans le paragraphe 29.4(3) de la Loi sont ceux qui sont publiés par des éditeurs commerciaux pour vente à des établissements scolaires. À leur avis, conclure le contraire rendrait l’exception illusoire. Si l’intention était de ne pas étendre l’exception aux œuvres pour lesquelles une licence est disponible, on aurait stipulé, comme on l’a fait aux paragraphes 30.8(8) et 30.9(6) de la Loi, que l’exception « ne s’applique pas dans les cas où l’entreprise peut obtenir, par l’intermédiaire d’une société de gestion, une licence […] ».
L’expression « accessible sur le marché » doit nécessairement avoir le sens qu’Access lui attribue. Elle n’est utilisée qu’à trois reprises, soit dans la disposition qui nous intéresse et dans celles qui suivent :
30.1(1) Ne constituent pas des violations du droit d’auteur les cas ci-après de reproduction, par une bibliothèque, un musée ou un service d’archives […] d’une œuvre […], en vue de la gestion ou de la conservation de leurs collections permanentes […] :
a) reproduction dans les cas où l’original, qui est rare ou non publié, se détériore, s’est abîmé ou a été perdu ou risque de se détériorer, de s’abîmer ou d’être perdu;
b) reproduction, pour consultation sur place, dans les cas où l’original ne peut être regardé, écouté ou manipulé en raison de son état, ou doit être conservé dans des conditions atmosphériques particulières;
c) reproduction sur un autre support, le support original étant désuet ou faisant appel à une technique non disponible;
[…]
(2) Les alinéas (1)a) à c) ne s’appliquent pas si des exemplaires de l’œuvre ou de l’autre objet du droit d’auteur sont accessibles sur le marché et sont sur un support et d’une qualité appropriés aux fins visées au paragraphe (1).
[…]
32(1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait pour une personne agissant à la demande d’une personne ayant une déficience perceptuelle, ou pour un organisme sans but lucratif agissant dans l’intérêt de cette dernière, de se livrer à l’une des activités suivantes :
a) la production d’un exemplaire ou d’un enregistrement sonore d’une œuvre littéraire, dramatique – sauf cinématographique –, musicale ou artistique sur un support destiné aux personnes ayant une déficience perceptuelle;
b) la traduction, l’adaptation ou la reproduction en langage gestuel d’une œuvre littéraire ou dramatique – sauf cinématographique – fixée sur un support pouvant servir aux personnes ayant une déficience perceptuelle;
c) l’exécution en public en langage gestuel d’une œuvre littéraire, dramatique – sauf cinématographique – ou l’exécution en public d’une telle œuvre fixée sur un support pouvant servir aux personnes ayant une déficience perceptuelle.
[…]
(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si l’œuvre ou l’enregistrement sonore de l’œuvre est accessible sur le marché sur un tel support, selon l’alinéa a) de la définition « accessible sur le marché ».
L’expression « accessible sur le marché » comporte deux volets. L’alinéa a) vise l’acquisition de copies. L’alinéa b) vise l’acquisition de licences. Les parties pertinentes du libellé des paragraphes 29.4(3) et 30.1(2) de la Loi sont identiques; elles doivent être interprétées de la même façon. Le paragraphe 32(3) exclut expressément l’accès à une licence. Interpréter le paragraphe 29.4(3) et donc, par voie de conséquence le paragraphe 30.1(2) de la façon dont le proposent les opposants, rendrait superflu l’alinéa b) de la définition.
Par ailleurs, c’est par erreur que les opposants s’appuient sur le commentaire dans CCH voulant que la disponibilité d’une licence ne soit pas un facteur pertinent. Ce commentaire ne vise que l’utilisation équitable. L’exception relative aux reproductions faites dans le cadre d’examens par des établissements scolaires est une exception distincte. D’ailleurs, l’application de cette proposition dans le contexte sous examen irait à l’encontre du libellé même de l’alinéa b) de la définition.
L’interprétation que nous retenons ne vide pas l’exception de sens. Les établissements pourront s’en prévaloir non seulement à l’égard des utilisations d’œuvre ne faisant pas partie du répertoire d’Access, mais aussi à l’égard de celles pour lesquelles Access n’offre pas de licence autorisant l’utilisation de l’œuvre sur un support qui convient. Tel serait le cas de l’examen devant se faire électroniquement.
C. L’analyse
[51] On trouve à l’article 29.4 deux expressions clés dont il y a lieu de tenir compte pour trancher la présente demande : « dans les locaux de l’établissement » et « sur un support approprié aux fins visées ».
1) La norme de contrôle
[52] Les parties font valoir que la norme de contrôle de la décision de la Commission en ce qui concerne l’article 29.4 est celle de la décision correcte. Je suis du même avis.
2) « Dans les locaux de l’établissement »
[53] Suivant les demandeurs, l’expression « dans les locaux de l’établissement » que l’on trouve à l’alinéa 29.4(2)a) vise à s’assurer que les éditeurs commerciaux — comme par exemple les sociétés qui produisent des documents préparatoires à des examens uniformisés — ne peuvent se prévaloir de l’exception prévue à l’article 29.4. Ils ajoutent toutefois que cette exception n’est pas censée exclure les enseignants (mémoire des faits et du droit des demandeurs, au paragraphe 107). Je ne vois pas comment cette affirmation appuie la thèse des demandeurs, étant donné que toutes les parties s’entendent pour dire que l’alinéa 29.4(2)a) s’applique. La question qui se pose est donc celle de savoir si l’exception prévue à l’alinéa 29.4(2)a) est supplantée par le paragraphe 29.4(3).
3) « Sur un support approprié aux fins visées »
[54] En ce qui concerne le paragraphe 29.4(3), les demandeurs affirment que, bien que les œuvres reproduites soient accessibles sur le marché, la Commission ne s’est pas demandé si elles étaient accessibles « sur un support approprié aux fins visées » (« in a medium that is appropriate for the purpose »). Dans le cas qui nous occupe, les demandeurs affirment que les œuvres qui ont été copiées n’étaient pas accessibles sur un support approprié. Par exemple, si un enseignant souhaite reproduire un extrait d’un roman dans un examen, le seul support approprié consisterait à photocopier le passage en question et à l’intégrer à l’examen. Suivant les demandeurs, l’ouvrage imprimé au complet ne constituerait pas un support approprié à la fin visée (décision, au paragraphe 105).
[55] La défenderesse affirme que les demandeurs confondent les mots anglais « medium » et « format ». Elle soutient que, dans le cas qui nous occupe, le mot anglais « medium » désigne la catégorie plus large des « imprimés ». La catégorie plus étroite des « manuels scolaires » désigne un « format » et non un « medium ». En conséquence, un manuel scolaire et la photocopie qui en est tirée seraient tous les deux sur le même « medium », mais constituent probablement un « format » différent.
[56] Accepter en bloc l’un ou l’autre de ces points de vue conduirait à des conséquences absurdes. Si une photocopie se trouve toujours sur le même « medium » qu’un livre, les écoles devraient payer pour obtenir une licence chaque fois qu’un enseignant souhaite photocopier une citation de trois lignes tirée d’un ouvrage de 800 pages. En revanche, aux termes de l’alinéa 29.4(1)a), si ce même enseignant veut plutôt écrire la citation au tableau, l’école n’aura pas à acquérir de licence. Par contre, si la photocopie et le livre sont toujours des « media » différents, le même enseignant peut photocopier les 799 premières pages d’un livre de 800 pages et bénéficier de l’exception. De toute évidence, pour savoir si les deux œuvres sont sur le même « medium », il faut tenir compte du contexte et des faits de l’espèce.
[57] Je ne me prononce pas sur la question de savoir si les copies qui appartiennent à la catégorie 4 étaient effectivement accessibles sur un support (« medium » dans la version anglaise) approprié aux fins visées. Je me propose de démontrer seulement que les motifs de la Commission sont viciés parce qu’ils ne disent rien au sujet de la signification des mots « sur un support approprié aux fins visées » ou de l’application de cette signification aux faits de l’espèce.
[58] Les motifs de la Commission peuvent être interprétés de deux manières et ni l’une ni l’autre n’est suffisante pour justifier sa décision.
Première interprétation : La Commission ne répond pas à la question de savoir si les œuvres étaient accessibles « sur un support approprié aux fins visées »
[59] À première vue, les motifs de la Commission n’abordent tout simplement pas la question de savoir si les œuvres étaient accessibles ou non sur un support approprié; ils abordent seulement la question de savoir si les œuvres étaient « accessibles sur le marché ». Les règles d’interprétation législative créent une présomption contre toute tautologie : chaque mot de la Loi doit se voire attribuer un sens (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. Markham (Ontario), LexisNexis Canada Inc., 2008, à la page 210, citant l’arrêt R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, au paragraphe 28). En conséquence, l’expression « accessibles sur le marché » ne peut être interprétée comme signifiant « accessibles sur le marché sur un support approprié aux fins visées ».
[60] La conclusion limitée que la Commission tire au paragraphe 129 de ses motifs (reproduite au paragraphe 50) suivant laquelle « [l]es établissements pourront s’en prévaloir […] à l’égard des utilisations […] pour lesquelles Access n’offre pas de licence autorisant l’utilisation de l’œuvre sur un support [« format » dans la version anglaise] qui convient » (non souligné dans l’original) ne peut pas être interpretée comme une conclusion que les œuvres sont accessibles sur un support (« medium » dans la version anglaise) approprié aux fins visées. Suivant les règles généralement admises en matière d’interprétation des lois, un mot est présumé avoir le même sens dans l’ensemble d’une loi et les mots différents sont présumés avoir un sens différent (R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378, à la page 1387; Peach Hill Management Ltd. c. Canada, [2000] A.C.F. no 894 (QL) (C.A.), au paragraphe 12). Dans le cas qui nous occupe, la Loi emploie dans sa version anglaise deux termes différents : « format » et « medium ».
[61] Le mot anglais « format » apparaît seul dans les dispositions suivantes [art. 2 « déficience perceptuelle » (édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 1), 30.9 (édicté, idem, art. 18), 32 (mod., idem, art. 19)] :
2. […] « déficience perceptuelle » Déficience qui empêche la lecture ou l’écoute d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique sur le support original ou la rend difficile, en raison notamment: a) de la privation en tout ou en grande partie du sens de l’ouïe ou de la vue ou de l’incapacité d’orienter le regard; b) de l’incapacité de tenir ou de manipuler un livre; c) d’une insuffisance relative à la compréhension. […] |
Définitions |
30.9 (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait pour une entreprise de radiodiffusion de reproduire, en conformité avec les autres dispositions du présent article, un enregistrement sonore ou une prestation ou œuvre fixée au moyen d’un enregistrement sonore aux seules fins de les transposer sur un support en vue de leur radiodiffusion, pourvu que : a) elle en soit le propriétaire et qu’il s’agisse d’exemplaires autorisés par le titulaire du droit d’auteur; b) elle ait le droit de les communiquer au public par télécommunication; c) elle réalise la reproduction par ses propres moyens et pour sa propre diffusion; d) la reproduction ne soit pas synchronisée avec tout ou partie d’une autre œuvre ou prestation ou d’un autre enregistrement sonore; e) elle ne soit pas utilisée dans une annonce qui vise à vendre ou promouvoir, selon le cas, un produit, une cause, un service ou une institution. […] |
Enregis-trements éphé-mères : entreprises de radiodiffusion |
32. (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait pour une personne agissant à la demande d’une personne ayant une déficience perceptuelle, ou pour un organisme sans but lucratif agissant dans l’intérêt de cette dernière, de se livrer à l’une des activités suivantes : |
Production d’un exemplaire sur un autre support |
a) la production d’un exemplaire ou d’un enregistrement sonore d’une œuvre littéraire, dramatique — sauf cinématographique —, musicale ou artistique sur un support destiné aux personnes ayant une déficience perceptuelle; b) la traduction, l’adaptation ou la reproduction en langage gestuel d’une œuvre littéraire ou dramatique — sauf cinématographique — fixée sur un support pouvant servir aux personnes ayant une déficience perceptuelle; c) l’exécution en public en langage gestuel d’une œuvre littéraire, dramatique — sauf cinématographique — ou l’exécution en public d’une telle œuvre fixée sur un support pouvant servir aux personnes ayant une déficience perceptuelle. |
|
(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet de permettre la production d’un livre imprimé en gros caractères. |
Exception |
(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si l’œuvre ou l’enregistrement sonore de l’œuvre est accessible sur le marché sur un tel support, selon l’alinéa a) de la définition « accessible sur le marché ». [Non souligné dans l’original.] |
Existence d’exem-plaires sur le marché |
[62] Le mot anglais « medium » apparaît seul dans les dispositions suivantes [art. 13(1), (4) (mod., idem, art. 10), 38.1 (édicté, idem, art. 20), 79 « support audio » (édicté, idem, art. 50), « support audio vierge » (édicté, idem), 80 (édicté, idem)] :
13. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre. […] |
Possession du droit d’auteur |
(4) Le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d’une façon générale ou avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la |
Cession et licences |
concession n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par son agent dûment autorisé. […] |
|
38.1 (1) Sous réserve du présent article, le titulaire du droit d’auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l’ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages-intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), des dommages-intérêts préétablis dont le montant, d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence, pour toutes les violations — relatives à une œuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur — reprochées en l’instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsables. […] |
Dommages-intérêts préétablis |
(3) Dans les cas où plus d’une œuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur sont incorporés dans un même support matériel, le tribunal peut, selon ce qu’il estime équitable en l’occurrence, réduire, à l’égard de chaque œuvre ou autre objet du droit d’auteur, le montant minimal visé au paragraphe (1) ou (2), selon le cas, s’il est d’avis que même s’il accordait le montant minimal de dommages-intérêts préétablis le montant total de ces dommages-intérêts serait extrêmement disproportionné à la violation. […] |
Cas particuliers |
79. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie. […] « support audio » Tout support audio habituellement utilisé par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores, à l’exception toutefois de ceux exclus par règlement. « support audio vierge » Tout support audio sur lequel aucun son n’a encore été fixé et tout autre support audio précisé par règlement. […] |
Définitions |
80. (1) Sous réserve du paragraphe (2), ne constitue pas une violation du droit d’auteur protégeant tant l’enregistrement sonore que l’œuvre musicale ou la prestation d’une œuvre musicale qui le constituent, le fait de reproduire pour usage privé l’intégralité ou toute partie importante de cet enregistrement sonore, de cette œuvre ou de cette prestation sur un support audio. [Non souligné dans l’original.] |
Non-violation du droit d’auteur |
[63] Enfin, les mots « medium » et « format » figurent tous les deux dans la version anglaise de l’article 30.1 [édicté idem, art. 18; 1999, ch. 31, art. 59(A)] :
30.1 (1) Ne constituent pas des violations du droit d’auteur les cas ci-après de reproduction, par une bibliothèque, un musée ou un service d’archives ou une personne agissant sous l’autorité de ceux-ci, d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur, publiés ou non, en vue de la gestion ou de la conservation de leurs collections permanentes ou des collections permanentes d’autres bibliothèques, musées ou services d’archives : a) reproduction dans les cas où l’original, qui est rare ou non publié, se détériore, s’est abîmé ou a été perdu ou risque de se détériorer, de s’abîmer ou d’être perdu; b) reproduction, pour consultation sur place, dans les cas où l’original ne peut être regardé, écouté ou manipulé en raison de son état, ou doit être conservé dans des conditions atmosphériques particulières; c) reproduction sur un autre support, le support original étant désuet ou faisant appel à une technique non disponible; d) reproduction à des fins internes liées à la tenue de dossier ou au catalogage; e) reproduction aux fins d’assurance ou d’enquêtes policières; f) reproduction nécessaire à la restauration. |
Gestion et conservation de collections |
(2) Les alinéas (1)a) à c) ne s’appliquent pas si des exemplaires de l’œuvre ou de l’autre objet du droit d’auteur sont accessibles sur le marché et sont sur un support et d’une qualité appropriés aux fins visées au paragraphe (1). [Non souligné dans l’original.] |
[64] Comme la Loi emploie dans sa version anglaise à la fois le mot « medium » et le mot « format », ces mots ne peuvent avoir le même sens. En conséquence, même si l’on interprète les motifs de la Commission comme une conclusion que les œuvres étaient accessibles en un « format » approprié, on ne peut pour autant considérer que la Commission a conclu que les œuvres étaient accessibles en un « medium » approprié.
Seconde interprétation : En écrivant « format », la Commission voulait dire « medium »
[65] Il se pourrait que la Commission voulait dire « medium » lorsqu’elle a écrit « format ». Cette interprétation est renforcée par le fait que la version française de la Loi ne fait aucune distinction entre « medium » et « format » : dans les deux cas, elle emploie en français le terme « support ». Or, la version anglaise et la version française des lois font également foi.
[66] Toutefois, même en supposant que la Commission voulait dire « medium » lorsqu’elle a écrit « format », elle ne parle pas de ce qui est approprié ou ne l’est pas et elle ne tire aucune conclusion de fait sur le fondement des éléments de preuve qui lui ont été présentés. Elle ne se penche pas sur la nature de l’une quelconque des photocopies d’extraits de manuels scolaires et ne précise pas combien d’entre elles ont été faites en vue de préparer un examen. Elle ne fait aucune mention des éléments de preuve qui lui ont été présentés au sujet des photocopies. La Commission emploie tout simplement le mot anglais « format » sans préciser si les œuvres étaient effectivement accessibles sur un support (« format », en anglais) acceptable.
[67] Une vague allusion à un « format » approprié ne saurait justifier une conclusion, fondée sur l’article 29.4, que les œuvres étaient accessibles en un « medium » approprié aux fins visées et ce, même si l’on interprète le mot anglais « medium » comme signifiant « format ».
Conclusion
[68] En l’espèce, la Commission était tenue de déterminer si les copies appartenant à la catégorie 4 copies répondaient à la définition d’utilisation équitable et si elles tombaient sous le coup de l’exception prévue à l’article 29.4 de la Loi. S’agissant de la question de l’utilisation équitable, la Commission a cité le critère applicable, celui de l’arrêt CCH et, par des motifs clairs et compréhensibles, elle en est arrivée à une conclusion justifiable. Je ne constate aucune erreur justifiant notre intervention sur ce point.
[69] Toutefois, en ce qui concerne l’exception prévue à l’article 29.4, la Commission n’a pas abordé une question qui était essentielle pour pouvoir trancher l’affaire dont elle était saisie. Elle devait définir l’expression « sur un support approprié aux fins visées » et appliquer cette définition aux faits de la présente affaire.
[70] Notre Cour pourrait entreprendre cette tâche. Il revient toutefois à la Commission d’intepréter en premier sa propre loi constitutive, qu’elle connaît bien, et de tirer les conclusions de fait qui s’imposent.
[71] Je suis par conséquent d’avis de faire droit à la demande et de renvoyer la décision à la Commission du droit d’auteur pour qu’elle a) définisse le sens de l’expression « sur un support approprié aux fins visées » (« in a medium appropriate for the purpose ») que l’on trouve au paragraphe 29.4(3); et b) décide si les copies appartenant à la catégorie 4 répondent à la définition de cette expression.
[72] Comme chacune des parties obtient en partie gain de cause, je suis d’avis de ne pas adjuger de dépens.
Le juge en chef Blais : Je suis d’accord.
Le juge Noël, J.C.A. : Je suis d’accord.